La procédure relative aux questions de privilège

Un député qui estime qu’il y a eu violation de privilège ou un outrage peut en saisir la Chambre en soulevant une « question de privilège ». Maingot explique :

[…] toute question de « privilège » posée dans une des chambres a théoriquement pour objet la sauvegarde du respect et de la crédibilité qui lui sont dus en ce qui concerne ses privilèges, la confirmation de ses pouvoirs et l’application des privilèges de ses membres. C’est pourquoi la véritable question de privilège est une procédure sérieuse qui ne doit pas être traitée à la légère et dont on ne doit saisir la Chambre des communes qu’en de rares occasions356.

La procédure à suivre pour soulever une question de privilège est régie à la fois par le Règlement et par les usages parlementaires. C’est à la Chambre qu’il incombe de déterminer s’il y a matière à question de privilège. La décision que prend la Chambre sur une question de privilège, comme sur toute autre question sur laquelle elle doit se prononcer, est connue seulement une fois que la question, nécessairement formulée sous forme de motion proposée par un député, a été mise aux voix par le Président de son fauteuil et a été adoptée ou rejetée.

Dans cette section, on décrira la manière dont la Chambre traite ces questions (voir la figure 3.1, « Le cheminement d’une question de privilège »).

Façon de soulever une question de privilège

On attache une grande importance aux allégations d’atteinte aux privilèges parlementaires. Un député qui désire soulever une question de privilège à la Chambre doit d’abord convaincre la présidence que de prime abord sa préoccupation peut faire l’objet d’une question de privilège. Le rôle du Président se limite à décider si la question qu’a soulevée le député est de nature à autoriser celui-ci à proposer une motion qui aura priorité sur toute autre affaire à l’Ordre du jour de la Chambre, autrement dit, que le Président pourra considérer de prime abord comme une question de privilège. Le cas échéant, la Chambre devra immédiatement prendre la question en considération357. C’est finalement la Chambre qui établira s’il y a eu atteinte aux privilèges ou outrage.

Une question de privilège peut également être soulevée dans le cours des travaux d’un comité permanent, spécial, législatif ou mixte, ou encore d’un comité plénier de la Chambre. La procédure qui s’applique alors diffère toutefois de la procédure générale que suit la Chambre dans ce genre de situation.

Si un député croit qu’il y a eu atteinte aux privilèges ou outrage, mais que la question ne mérite pas d’être débattue en priorité, il peut recourir à un autre moyen pour saisir la Chambre de l’affaire. Il peut faire inscrire un avis de motion au Feuilleton des avis.

À la Chambre

Une plainte sur une question de privilège doit satisfaire à deux conditions pour qu’on puisse l’examiner en priorité sur toute affaire inscrite à l’Ordre du jour. Le Président doit être convaincu, premièrement, qu’il y a eu de prime abord atteinte à un privilège et, deuxièmement, que la question a été soulevée à la première occasion. Si le Président estime que ces deux conditions ont été remplies, il informe la Chambre qu’à son avis la question peut être traitée avant de passer aux avis de motions et aux affaires de l’Ordre du jour inscrites au Feuilleton. La décision du Président ne va pas jusqu’à déterminer s’il y a eu effectivement atteinte à un privilège. Seule la Chambre est habilitée à en décider.

Figure 3.1 Le cheminement d’une question de privilège
Série de cases reliées par des lignes et illustrant les étapes suivies à la Chambre des communes lorsqu’un député soulève une question de privilège. Le processus commence avec les cases du haut de la page, lorsqu’un député soulève une question de privilège ; il se poursuit vers le bas avec d’autres cases affichant les façons dont le Président peut choisir de traiter la question et se termine au bas de la page par des cases illustrant ce qui peut arriver une fois que le Président a rendu sa décision.
Moment de soulever la question et avis à donner

Une question de privilège découlant des délibérations de la séance en cours peut être soulevée sur-le-champ sans préavis. Les Présidents ont toutefois généralement refusé d’accueillir les questions de privilège soulevées pendant les périodes réservées aux Déclarations de députés, aux Questions orales358, pendant le processus de la sanction royale359, le Débat d’ajournement360 et la tenue d’un vote par appel nominal361. Dans ces circonstances, la question de privilège peut être soulevée le jour même à la fin de la période consacrée à ces travaux362, sauf dans le cas du Débat d’ajournement, où la question de privilège ne peut être soulevée qu’à la séance suivante, après signification du préavis approprié au Président.

Un député qui veut soulever une question de privilège sur un sujet qui ne découle pas des délibérations de la séance en cours doit en donner avis avant de porter la question à l’attention de la Chambre. Il doit faire transmettre un avis écrit en ce sens au Président au moins une heure avant de soulever sa question de privilège à la Chambre363. Sans ce préavis, le Président ne l’y autorisera pas364. La présidence a généralement considéré qu’un préavis verbal n’était ni nécessaire ni suffisant365. Des moments précis sont prévus pour soulever une question de privilège précédée d’un avis écrit, à savoir à l’ouverture d’une séance, après les Affaires courantes, mais avant de passer à l’Ordre du jour, et immédiatement après la période des questions. À l’occasion, on la soulève durant un débat.

L’avis au Président doit contenir les quatre éléments suivants :

  1. Il doit indiquer que le député écrit au Président pour lui faire part de son intention de soulever une question de privilège.
  2. Il doit mentionner que la question est soulevée à la première occasion.
  3. Il doit exposer l’essentiel des faits relatifs à la question de privilège que le député entend soulever366.
  4. Il doit inclure le texte de la motion que le député doit être prêt à proposer à la Chambre si le Président juge que la question est fondée de prime abord.

En exposant à la présidence le contexte dans lequel se situe la question de privilège et des suggestions pour remédier au problème, le député aide le Président à résoudre la question d’une manière éclairée et expéditive367. Le fait d’inclure le texte de la motion proposée permet au Président de suggérer les modifications qui s’imposent pour éviter tout vice de procédure que pourrait comporter le libellé ; autrement, le député pourrait se voir empêché de proposer sa motion ou forcé de la reporter, si jamais le Président jugeait que la question de privilège était fondée de prime abord368.

La question doit être soulevée à la première occasion

La question de privilège dont sera saisie la Chambre doit porter sur un événement survenu récemment et requérir l’attention immédiate de la Chambre. Le député devra donc convaincre le Président qu’il porte la question à l’attention de la Chambre le plus tôt possible après s’être rendu compte de la situation369. Les fois où des députés n’ont pas respecté cette importante exigence, la présidence a généralement indiqué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord370.

Avis multiples

Si le Président reçoit plus d’un avis de la même question de privilège, ou si plus d’un député demande la parole sur une question de privilège donnée, le Président déterminera l’ordre dans lequel les députés pourront intervenir371. En règle générale, le Président donnera la parole aux députés dans l’ordre où il a reçu les avis, ou encore au premier qui aura réussi à attirer son attention. Si plus d’une question de privilège est soulevée, le Président n’en examinera qu’une à la fois.

Examen initial de la question soulevée

Un député qui est autorisé à soulever une question de privilège doit exposer brièvement les faits qui sont à l’origine de sa question de privilège et les motifs pour lesquels la Chambre devrait examiner sa plainte en priorité sur tous les autres travaux de la Chambre372. Si la question de privilège sème le doute sur la conduite d’un député, son élection ou son droit de siéger, celui qui soulève la question doit formuler une plainte précise contre ce député373. En règle générale, le député s’efforcera de renvoyer la présidence aux articles du Règlement et aux cas de jurisprudence pertinents et de citer des passages d’ouvrages de procédure parlementaire qui font autorité. Il peut aussi demander le consentement de la Chambre pour déposer des documents ayant trait à l’affaire374. Il devrait en outre démontrer que la question a été portée à l’attention de la Chambre à la première occasion. Enfin, il suggérera les mesures que la Chambre devrait prendre pour remédier à la situation et, si la présidence juge qu’il s’agit d’une question de privilège fondée de prime abord, il indiquera qu’il est prêt à proposer la motion appropriée.

Le Président entendra l’exposé du député et permettra parfois à d’autres députés directement impliqués d’intervenir. Dans les cas où la question de privilège concerne plus d’un député, le Président peut reporter la présentation des arguments jusqu’à ce que tous les députés visés puissent être présents à la Chambre375. Il pourra aussi, à sa discrétion, demander l’avis d’autres députés pour l’aider à déterminer s’il y a, de prime abord, matière à soulever une question de privilège qui mériterait qu’on lui accorde la priorité sur tous les autres travaux de la Chambre. Une fois satisfait, le Président mettra fin à l’examen initial de la question376.

Décision de la présidence

C’est à la présidence et à elle seule qu’il incombe de décider si la question de privilège est fondée de prime abord. Sauf dans les cas où sa décision coule de source, la présidence pourra prendre la question en délibéré pour pouvoir rendre un jugement motivé. Lorsqu’il a comparu devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre en 2002, le Greffier de la Chambre a décrit ainsi le rôle du Président dans l’examen d’une question de privilège :

Je crois nécessaire d’expliquer le rôle du Président de la Chambre. Il ne se prononce pas sur les faits, mais dit simplement si, à première vue, la question dont la Chambre est saisie mérite d’être examinée en priorité avant toutes les autres questions à l’ordre du jour de la Chambre377.

Les fois où la question de privilège exigeait une décision immédiate, le Président a parfois, sans que personne ne s’y oppose, suspendu brièvement la séance pour délibérer sur la question, puis est revenu à la Chambre pour annoncer sa décision378.

En délibérant sur une question de privilège, la présidence prendra en considération dans quelle mesure l’atteinte aux privilèges a gêné le député dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires ou semble avoir fait outrage à la dignité du Parlement. Si la question de privilège concerne un désaccord entre deux députés (ou plus) quant à des faits, le Président juge habituellement qu’un tel différend ne compromet pas leur capacité de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires et qu’il ne porte pas atteinte aux privilèges collectifs de la Chambre379. Si le Président est convaincu que les conditions requises sont remplies et estime qu’il y a de prime abord atteinte à un privilège ou outrage, il informe la Chambre de sa décision. Le député qui a soulevé la question est dès lors autorisé à présenter une motion en conséquence.

Dans la grande majorité des cas, la présidence établit qu’il n’y a pas de prime abord matière à soulever la question de privilège. En informant la Chambre d’une telle décision, elle explique habituellement (souvent de façon assez détaillée) les facteurs qui l’ont amenée à arriver à cette conclusion. Fréquemment, dans de tels cas, elle reconnaîtra l’existence d’un grief légitime et recommandera parfois des mesures propres à redresser la situation380. Si le Président décide que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord, l’affaire est close. Cependant, si de nouveaux faits viennent à être découverts par la suite, le député qui a initialement soulevé la question de privilège, ou tout autre député, peut la soulever à nouveau381.

Débat sur une motion de privilège

Une fois que le Président a décidé que la question de privilège était fondée de prime abord, il incombe au député qui l’a soulevée de proposer la motion appropriée382, qui, comme toute autre motion, doit être appuyée. Il arrivera parfois que le député propose une motion immédiatement après avoir présenté ses arguments en soulevant initialement la question de privilège. Le Président peut alors, au besoin, informer le député de la forme dans laquelle la motion doit être présentée383. Lorsque la teneur de la motion n’est pas connue à l’avance, le Président peut aider le député à la reformuler si son contenu diffère substantiellement de celui que le député avait initialement prévu384. La présidence hésiterait à permettre qu’une affaire aussi importante qu’une motion de privilège soit refusée pour un simple vice de forme385. L’usage veut qu’il soit généralement mentionné dans ce genre de motion que la question est renvoyée pour étude à un comité, ou que la motion initialement présentée soit modifiée de manière à prévoir un tel renvoi386.

Une fois que la motion a été proposée, appuyée et présentée à la Chambre en bonne et due forme, elle est soumise à toutes les procédures et à tous les usages relatifs au débat d’une motion de fond. Les discours ne doivent pas durer plus de 20 minutes et sont suivis d’une période de questions et d’observations d’au plus 10 minutes387. Seuls le premier ministre et le chef de l’Opposition bénéficient alors d’un temps de parole illimité (leurs interventions sont aussi suivies d’une période de questions et d’observations de 10 minutes). Les députés doivent suivre les règles les obligeant à tenir des propos pertinents et à éviter de se répéter inutilement, et le Président doit s’assurer que la discussion ne s’éloigne pas du sujet sur lequel porte la motion.

Quand la motion à l’étude concerne la conduite d’un député, ce dernier peut faire une déclaration pour s’expliquer et devrait ensuite se retirer de la Chambre388. Par le passé, la présidence a interprété le mot « conduite » comme s’entendant d’actes qui, s’il est confirmé qu’ils ont été commis, peuvent entraîner l’expulsion du député au motif qu’il n’est pas apte à être membre de la Chambre, plutôt que d’actes qui pourraient simplement amener le Président à « désigner le député par son nom »389. Il ne s’est toutefois pas toujours avéré qu’un député dont la conduite faisait l’objet d’un débat à la Chambre s’est retiré dans ces circonstances390. Il peut arriver qu’un député soit autorisé à retourner à la Chambre pour clarifier ou expliquer des faits.

Une fois mise en délibération, la motion de privilège a priorité sur tout point à l’Ordre du jour, y compris sur les Ordres émanant du gouvernement et les Affaires émanant des députés, mais non sur les Affaires courantes, les Déclarations de députés, les Questions orales, la sanction royale, les votes par appel nominal différés et l’ajournement de la Chambre391. Si la motion de privilège n’est pas encore réglée au moment où la Chambre doit passer aux Affaires émanant des députés, l’heure réservée à ces affaires est annulée392. Si le débat sur la motion de privilège n’est pas terminé à l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien, la question aura alors priorité sur tous les autres points à l’Ordre du jour à la séance suivante et figurera au Feuilleton avant toute autre affaire sous la rubrique « Ordre du jour »393.

La Chambre peut modifier une motion de privilège dont elle est saisie, même si l’amendement devait se traduire par un libellé différent de celui initialement accepté par le Président et proposé à la Chambre394.

Durant les délibérations sur une motion de privilège, les motions d’ajournement du débat395, d’ajournement de la Chambre ou passant à l’Ordre du jour sont recevables, au même titre que les motions visant à poser la question préalable (« que cette question soit maintenant mise aux voix »), à obtenir le prolongement d’une séance ou à donner la parole à un député (« qu’un député soit maintenant entendu »). Si l’on adopte une motion portant ajournement du débat ou de la Chambre, le débat sur la motion de privilège reprend à la séance suivante396. Toutefois, en cas de rejet de la question préalable ou d’adoption d’une motion passant à l’Ordre du jour, la motion de privilège est remplacée et rayée du Feuilleton397. Dans le cas de l’adoption d’une motion passant à l’Ordre du jour, la question de privilège initiale peut être soulevée de nouveau. Le Président a rendu une décision indiquant que la question initiale pourrait alors de nouveau être jugée fondée de prime abord398. Un ministre peut également proposer la clôture du débat sur la motion de privilège399.

À l’issue du débat sur la motion, le Président met la question aux voix400. Si la motion est adoptée, on donne suite aux instructions qu’elle contient. Si elle est rejetée, le débat sur la question est clos401.

En comité permanent, spécial, législatif ou mixte

Puisque la Chambre n’a pas donné à ses comités le pouvoir de réprimer eux-mêmes l’inconduite, l’atteinte aux privilèges et l’outrage, les comités ne peuvent se prononcer sur ces questions ; ils ne sont habilités qu’à en faire rapport à la Chambre. Seule la Chambre peut établir si une infraction a été commise402. La présidence a toujours eu pour politique, sauf dans des circonstances extrêmement graves, de n’accueillir des questions de privilège découlant de délibérations de comités que sur présentation, par le comité visé, d’un rapport traitant directement de la question et non lorsqu’elles étaient soulevées à la Chambre par un député403. Comme l’a précisé le Président Milliken en réponse à une question de privilège soulevée en 2003 au sujet de la divulgation d’un projet de rapport confidentiel d’un comité : « En l’absence d’un rapport du comité à ce sujet, il est en pratique impossible pour la présidence de déterminer s’il y a eu, à première vue, une atteinte aux privilèges en ce qui concerne ces accusations404 ».

La plupart des incidents signalés par les comités ont trait à la conduite de députés, de témoins ou du public ou encore au non-respect d’un ordre de comité. Les comités ont eu l’occasion de faire rapport à la Chambre du refus de témoins de comparaître lorsqu’on les y avait convoqués405 ; du refus de témoins de répondre à des questions406 ; du refus de témoins de fournir des documents ou des dossiers407 ; du refus de certaines personnes d’obéir aux ordres d’un comité408 ; de la divulgation de faits survenus durant une réunion à huis clos409 ; de la divulgation de projets de rapports410 et de la présentation de faux témoignages devant un comité411. Les comités peuvent également faire rapport de cas d’outrage, par exemple de comportement irrespectueux à l’endroit de l’autorité ou des activités d’un comité, d’intimidation de membres ou de témoins ou de refus de témoins de prêter serment.

Contrairement au Président de la Chambre, le président d’un comité n’a pas le pouvoir de réprimer le désordre ou de statuer sur des questions de privilège. Si un député veut soulever une question de privilège au cours des délibérations d’un comité ou s’il survient en comité un incident qui s’apparente à une violation de privilège ou à un outrage, le président du comité permettra au député d’intervenir pour soulever la question de privilège ou, dans le cas d’un incident, suggérera que le comité examine la question. Un président de comité n’est toutefois pas habilité à juger s’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage412. Le rôle d’un président de comité, dans ces circonstances, consiste à déterminer si la question soulevée touche bel et bien au privilège parlementaire ou s’il s’agit plutôt d’un rappel au Règlement, d’un grief ou d’une question devant faire l’objet d’un débat. S’il est d’avis que l’intervention du député a trait à un rappel au Règlement, à un grief ou à une question devant faire l’objet d’un débat, ou que l’incident relève de la compétence du comité, il peut prendre une décision en conséquence, en la motivant. Le comité ne peut plus traiter l’affaire comme s’il s’agissait d’une question de privilège. Un député qui serait en désaccord avec la décision du président pourrait en appeler au comité (c’est-à-dire en proposant la motion « La décision de la présidence est-elle maintenue ? »). Le comité peut ainsi décider de maintenir ou d’infirmer la décision du président.

Si le président du comité estime que la question concerne un privilège (ou si sa décision affirmant qu’il n’y a pas matière à privilège est infirmée en appel), le comité peut alors envisager de présenter un rapport à la Chambre sur la question. Le président du comité recevra une motion qui constituera le texte du rapport. On devrait y exposer clairement la situation, résumer les faits, nommer les personnes en cause, indiquer qu’il pourrait y avoir atteinte aux privilèges ou outrage, et demander à la Chambre de prendre les mesures qui s’imposent. La motion peut être débattue et modifiée, et le comité devra l’étudier en priorité413. Si le comité décide qu’il y a effectivement lieu de faire rapport de la question à la Chambre, il adoptera le rapport, qu’il présentera à la Chambre au moment prévu sous la rubrique « Présentation de rapports de comités » au cours des Affaires courantes.

Dès que le rapport lui aura été présenté, la Chambre sera officiellement saisie de la question414. Après avoir transmis l’avis approprié415, un député pourra ensuite soulever une question de privilège à ce sujet416. Le Président accueillera la question et pourra entendre d’autres députés, avant de décider si les allégations constituent de prime abord matière à question de privilège. Comme le Président Fraser l’a noté en rendant une décision, « […] la présidence ne prononce pas de jugement sur cette question. Seule la Chambre peut le faire. La présidence se contente de décider en fonction des témoignages présentés si la question doit être abordée en priorité »417. Si le Président décide qu’il y a atteinte aux privilèges de prime abord, la prochaine étape sera, pour le député qui a soulevé la question de privilège, de proposer une motion demandant à la Chambre de prendre les mesures qui s’imposent418. Si le Président juge que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord, elle n’aura pas priorité et aucune motion n’est présentée.

Si un comité présente un rapport à la Chambre pour signaler la possibilité d’une atteinte aux privilèges, mais qu’aucun député ne soulève ensuite de question de privilège, le Président ne peut traiter de l’affaire419. Un député pourra alors demander, au cours des Affaires courantes, l’adoption du rapport du comité en suivant la procédure habituelle prévue pour tout rapport de comité420.

En comité plénier

Étant donné que la Chambre se forme rarement en comité plénier et que, lorsque cela se produit, les délibérations du comité plénier ne durent habituellement que quelques minutes, les questions de privilège n’y sont pas très fréquentes421. La procédure relative aux questions de privilège en comité plénier est pratiquement identique à celle qui s’applique dans un comité permanent, spécial ou législatif.

Quand la Chambre est réunie en comité plénier, un député peut soulever une question de privilège uniquement à propos de faits qui se sont produits au comité et qui ont trait à ses délibérations. Un député ne peut pas soulever une question de privilège concernant les privilèges de la Chambre en général ou des faits survenus ailleurs qu’à la Chambre. Si un député veut soulever une question de privilège à propos de faits qui ne concernent pas le comité, il peut présenter une motion demandant que le comité lève la réunion et fasse rapport du progrès de ses travaux, afin de permettre au Président d’entendre la question de privilège422. Si la motion est adoptée, le président du comité lèvera la réunion et fera rapport au Président de la Chambre, qui accueillera ensuite la question du député423.

Si un député soulève une question de privilège qui a trait aux délibérations en cours au comité plénier, le président du comité l’entendra. Comme dans un comité permanent, spécial ou législatif, il incombe alors au président de déterminer si la question soulevée peut vraiment être considérée comme une question de privilège424. Encore là, il est possible d’en appeler de sa décision. Dans ce cas, l’appel n’est pas adressé au président du comité plénier, mais bien au Président de la Chambre425. Si la question soulevée par le député a trait à un privilège et à des faits survenus au comité plénier, le président du comité accueillera une motion portant qu’il soit fait rapport de ces faits à la Chambre. L’examen de cette motion, qui peut être débattue et modifiée, a dès lors priorité sur les autres travaux du comité. Si le comité accepte de faire rapport de la question, le président du comité lève la réunion, le Président de la Chambre prend le fauteuil et reçoit le rapport426. Le texte du rapport à la Chambre doit inclure un résumé des faits, indiquer qu’il y a peut-être eu atteinte à un privilège et demander que le comité soit ensuite de nouveau formé pour poursuivre ses travaux.

Ce n’est qu’après que le président du comité a fait rapport à la Chambre que cette dernière peut être dûment saisie de la question afin que le Président puisse l’accueillir. Un député doit alors soulever la question de privilège et présenter les faits au Président, qui peut également permettre à d’autres députés d’intervenir. Une fois satisfait des arguments présentés, le Président déterminera si de prime abord il y a matière à soulever une question de privilège. Si la question de privilège est jugée fondée de prime abord, le député pourra présenter une motion traitant de l’affaire de la façon habituelle. Si le Président estime que la question n’est pas fondée sur des présomptions suffisantes, la Chambre reprendra ses travaux. Sous l’Ordre du jour, la Chambre peut soit se former de nouveau en comité plénier pour reprendre l’étude de la question dont le comité avait été initialement saisi, soit passer à un autre point.

Le Président recevra une question de privilège concernant une affaire survenue en comité plénier seulement si le comité plénier en a déjà traité et s’il en a fait rapport à la Chambre427.

Au moyen d’un avis inscrit au Feuilleton des avis

Si un député est convaincu qu’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage, sans pour autant estimer que l’affaire devrait être traitée en priorité dans les débats, il peut, en utilisant un moyen auquel on a très rarement recours, faire publier un avis de motion dans le Feuilleton des avis. Dans ce cas, à la fin du délai d’avis de 48 heures, la motion est inscrite au Feuilleton sous la rubrique appropriée. Une motion parrainée par un ministre peut être étudiée par la Chambre à la fin du délai d’avis de 48 heures, sous la rubrique des Ordres émanant du gouvernement428. Une motion parrainée par un simple député sera inscrite au Feuilleton après le délai d’avis de 48 heures dans la liste des affaires émanant des députés qui ne font pas partie de l’ordre de priorité429.

Toutefois, après l’expiration du délai d’avis de 48 heures, le parrain de la motion peut décider de demander que la motion soit débattue en priorité (par exemple si de nouveaux faits surviennent). Il doit alors tenter de convaincre le Président que la question sur laquelle porte la motion devrait être considérée de prime abord comme une question de privilège. Dans ce cas, il devra aviser par écrit le Président au moins une heure à l’avance de son intention de soulever la question à la Chambre430.

Par le passé, il est arrivé à un certain nombre d’occasions que des députés choisissent de donner avis par écrit de leurs motions de privilège, notamment lorsque la question découlait d’incidents survenus à l’extérieur de la Chambre. En 1874, par exemple, une motion qui avait été précédée d’un avis écrit et qui n’était pas censée être soulevée un jour précis a été abordée avant son tour, déplaçant tous les autres points à l’ordre du jour431. Dans un cas similaire, en 1886, une motion avait pris le pas sur toutes les autres affaires à la demande du député visé dans la motion432. Il n’a toutefois pas toujours été aussi facile d’obtenir ce genre de traitement. Dans deux cas exceptionnels, en 1892, le Président a refusé d’accorder la priorité à des motions qui avaient été annoncées par des avis écrits, ayant jugé qu’il ne s’agissait pas vraiment de questions de privilège433. Par ailleurs, dans les cas où la motion comporte une accusation contre un député, l’étiquette exige que le parrain de la motion informe personnellement le député visé du moment où la motion sera présentée434.

On a continué de recourir à ces pratiques au XXe siècle et de donner avis, verbalement ou par écrit, même si on n’y était pas tenu, qu’on allait soulever une question de privilège. En 1911, par exemple, une question de privilège a été soulevée après qu’on en eut donné avis verbalement435, alors qu’en 1932, une motion concernant des accusations qui avaient été portées contre le premier ministre a été accueillie après qu’on en eut donné avis par écrit436. Il est également arrivé que des questions soient soulevées sans préavis aucun437.

À un moment donné, on a tenté de convaincre le Président de donner prioritairement suite à un avis de motion parce qu’il semblait y avoir eu atteinte à un privilège. En juin 1959, le chef de l’Opposition a donné avis d’une motion dans laquelle il s’élevait contre la conduite d’un député ministériel. Avant d’établir s’il y avait lieu de donner priorité à la question, le Président a demandé l’avis de la Chambre438. À l’issue d’une longue discussion, il a pu, en se fondant sur les critères établis peu avant pour guider la présidence concernant la façon de traiter les questions de privilège, en arriver à conclure que de prime abord il ne semblait pas y avoir matière à question de privilège et que, par conséquent, il ne permettrait pas que les autres affaires à l’ordre du jour soient mises de côté pour débattre de la motion439. La motion est donc demeurée au Feuilleton et la Chambre n’en a jamais été saisie.

Un avis de motion portant sur des allégations d’outrage à la Chambre a été inscrit au Feuilleton des avis du 27 février 1996. Le texte de la motion, parrainée par Don Boudria ( Glengarry–Prescott–Russell), accusait Ray Speaker (Lethbridge) d’avoir tenté de faire pression sur le Président pour l’inciter à donner au Parti réformiste le statut d’Opposition officielle. La motion disait en outre que la conduite du député constituait un outrage au Parlement et exigeait que le Président réprimande le député de Lethbridge à la barre de la Chambre. Après le délai d’avis requis, on a inscrit la motion au Feuilleton sous la rubrique des Affaires émanant des députés440 puis, on l’a choisie, lors d’un tirage au sort le 4 mars 1996, comme motion pouvant faire l’objet d’un débat. Conformément aux dispositions du Règlement régissant à l’époque les Affaires émanant des députés, la motion a été désignée comme ne pouvant pas faire l’objet d’un vote.

Le député de Lethbridge a par la suite invoqué le Règlement pour demander si l’on pouvait porter ainsi une accusation contre un député par la voie d’une motion ne pouvant faire l’objet d’un vote441. Le 18 juin 1996, le Président Parent a établi que, aux termes des règles qui gouvernent les Affaires émanant des députés, la motion était recevable sur le plan de la procédure. Il a déclaré :

L’honorable député a tout à fait raison lorsqu’il affirme que la conduite d’un député ne peut être examinée par la Chambre qu’en vertu d’une accusation précise contenue dans une motion de fond. Souvent, dans ces cas, les députés choisissent de soulever la question à la Chambre, sans donner l’avis de 48 heures ou de deux semaines, et demandent au Président de lui accorder priorité pour que la Chambre l’étudie immédiatement, mettant ainsi toutes les autres délibérations de la Chambre de côté […]. Dans les circonstances présentes, je conclus que les règles relatives aux Affaires émanant des députés ont été observées et que le rappel au Règlement n’est pas fondé442.

Le député de Lethbridge a soulevé sur-le-champ une question de privilège qui aurait constitué un moyen de forcer une décision sur l’accusation portée contre lui en permettant que la question soit mise aux voix. Il a soutenu que, si cette accusation n’était pas résolue, sa réputation en souffrirait gravement443. Lorsqu’il a indiqué qu’il n’y avait pas de prime abord atteinte aux privilèges, le Président a rappelé à la Chambre qu’il était arrivé par le passé que des motions comportant des accusations relatives à la conduite de députés soient inscrites au Feuilleton sous la rubrique des Affaires émanant des députés sans jamais avoir été mises aux voix par la suite444.

Le 25 mars 2011, la Chambre a débattu une motion de l’opposition parrainée par Michael Ignatieff (chef de l’Opposition), qui a déclaré que le gouvernement avait commis un outrage au Parlement en refusant de produire les documents demandés par le Comité permanent des finances et qu’il n’avait par conséquent plus la confiance de la Chambre. La Chambre s’est ajournée après adoption de la motion445. Le lendemain, la législature a été dissoute et une élection générale a été déclenchée.

Examen d’une question de privilège par un comité

Si la motion de privilège précise que l’affaire doit être renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, son adoption par la Chambre constitue par le fait même un ordre de renvoi au Comité. Le Règlement habilite le Comité à enquêter sur toute question qui lui est renvoyée, à convoquer des personnes et à ordonner la production de documents et de dossiers. Bien que le Comité soit maître de son ordre du jour, tant le Comité que la Chambre prennent très au sérieux ce genre d’enquête. Le Comité n’a pas le pouvoir d’imposer des sanctions, ce pouvoir étant réservé à la Chambre. Il doit se borner à examiner l’affaire et à faire rapport de ses conclusions à la Chambre. Lorsqu’il enquête sur une question de privilège, le Comité adopte la même ligne de conduite que tout autre comité de la Chambre qui examine une question donnée, mais ce type d’ordre de renvoi, de par sa nature même, l’incite à procéder avec prudence446.

Rapport du comité

Le rapport que produit le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre lorsqu’il enquête sur une question de privilège a la même forme que tout autre rapport que produit un comité de la Chambre sur une question de fond. Il peut comprendre des recommandations concernant l’application de mesures ou de sanctions447 et, si le Comité l’ordonne, il peut également comporter en annexe des opinions ou recommandations dissidentes ou complémentaires448. Souvent, le rapport suffit par lui-même à clore l’affaire, et la Chambre n’a pas à prendre d’autres mesures449. Le rapport peut également recommander au Président de prendre certaines mesures ou encore que des mesures d’ordre administratives soient prises450. Comme c’est le cas pour la plupart des rapports de comité, un député peut, après en avoir dûment donné avis, proposer une motion portant adoption du rapport, motion que la Chambre pourra mettre en délibération451. Si le rapport est adopté, les recommandations pourraient être considérées comme des ordres de la Chambre en vue de prendre certaines mesures.

Explication sur un fait personnel

Il arrive parfois que la présidence autorise un député à expliquer un fait de nature personnelle sans que la Chambre soit saisie d’une question particulière452. Une intervention de ce genre, que les députés appellent communément « une question de privilège personnelle », est normalement accueillie avec indulgence par la présidence. Il ne s’agit nullement d’une question de privilège proprement dite et, comme le Président Fraser l’a déjà fait remarquer, la présidence, en l’accueillant, ne s’appuie « sur aucune autorité juridique, règle de procédure ou précédent historique ou autre453 ». Avant de prendre la parole à la Chambre, le député doit donner un avis écrit de la question au Président ; il peut aussi lui donner un avis verbal en privé.

De telles occasions ne sont pas censées être utilisées pour engager un débat de nature générale, et les députés sont invités à s’en tenir dans leurs propos au point qu’ils cherchent à faire valoir454. Le Président a également dit, puisqu’il s’agit généralement de déclarations personnelles et non de véritables questions de privilège, qu’il ne permettrait à aucun autre député d’intervenir sur la question455. Par le passé, les députés ont utilisé cette procédure pour fournir des explications personnelles456, rectifier des erreurs commises dans les délibérations457, présenter des excuses à la Chambre458, remercier la Chambre ou lui témoigner de la reconnaissance459, annoncer un changement d’affiliation politique460, annoncer une démission461 ou pour quelque autre motif462.