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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 6 juin 1995

.1104

[Traduction]

Le vice-président (M. Volpe): La séance est ouverte. Je constate que nous avons ici des représentants des deux partis de l'Opposition et du gouvernement.

.1105

Je commencerai par lire l'Ordre de renvoi que voici:

Parmi nos témoins, il y a aujourd'hui des représentants de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques. Je crois qu'il s'agit de M. Jean Bélanger, président et de M. David Shearing, directeur des Programmes d'affaires et d'économie. Ils vont faire un exposé. Une déclaration sera faite également par le groupe Markland, qui est représenté par M. Douglas Scott, président et par M. Walter Dorn, associé de la recherche au programme des relations internationales à l'Université de Toronto.

Chers collègues, après ces deux exposés, des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international répondront aux questions que vous voudrez leur poser. Il s'agit de M. Ralph Lysyshun, directeur général de la Direction générale de la Sécurité internationale et M. Geoff Weir, coordinateur national par intérim, Autorité nationale pour la Convention sur les armes chimiques, Direction générale de la Sécurité internationale.

Je demanderais à M. Bélanger et à M. David Shearing de commencer.

M. Jean Bélanger (président, Association canadienne des fabricants de produits chimiques): Monsieur le président, merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de venir témoigner aujourd'hui. Je ne lirai pas notre mémoire. Vous l'avez reçu et il a été distribué à vos collègues, si j'ai bien compris.

Je commencerai par vous dire en quoi consiste notre organisation. L'Association canadienne des fabricants de produits chimiques regroupe les entreprises canadiennes qui fabriquent des produits chimiques et qui représentent la base de l'industrie chimique. Nous avons 65 membres dont la production combinée représente environ 90 p. 100 de la valeur marchande des produits chimiques fabriqués au Canada, le chiffre des ventes se situant aux alentours de 12 à 13 millions de dollars.

J'ai deux choses à signaler. La première, c'est que nous participons depuis longtemps à la préparation de la Convention sur les armes chimiques, d'une façon directe et par le biais de la collaboration avec nos collègues d'autres pays, à savoir les Australiens, les Japonais, les Européens et les Américains. Nous nous sommes efforcés de faire appuyer un mouvement international en faveur d'une plus grande prudence dans la manutention des armes chimiques. Nous avons joué un rôle important dans l'élaboration de la Convention et nous avons examiné les dispositions relatives à la confidentialité qui sont indispensables dans ce genre de documents. Nous sommes convaincus que, sous sa forme actuelle, la Convention assurera une protection suffisante à cet égard.

Je tiens à signaler qu'aucun des produits chimiques énumérés dans les tableaux n'est produit par des entreprises membres de l'ACFPC. Nous reconnaissons par contre que certains d'entre eux sont importés pour entrer dans la fabrication d'autres produits chimiques.

D'une manière générale, nous approuvons vigoureusement l'objectif poursuivi par la CAC. L'élaboration et la réalisation de cette convention ont pris beaucoup de temps. Nous avons recommandé son adoption depuis les réunions qui ont été tenues en Australie. L'International Council of Chemical Associations lui accorde également son plein appui.

J'ajouterai que notre association estime que la Convention concorde parfaitement avec une initiative venant de nous, celle de Gestion responsable. Nous avons remis à la greffière plusieurs exemplaires d'une brochure exposant notre approche à cet égard et je crois qu'elle les a déjà distribués; il s'agit d'une brochure de couleur bleue dans laquelle nous disons que nous comptons faire en sorte que nos produits soient manipulés de façon responsable du début à la fin; c'est une question de déontologie. Cette initiative repose sur six codes de pratique. Nous avons également des systèmes de déclaration et de vérification.

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J'estime qu'il est important de signaler que c'est l'ACFPC qui a lancé cette initiative et qu'elle a maintenant été adoptée par 37 pays, par les Américains, les Européens, les Sud-Américains et des pays africains et asiatiques. Je crois que c'est grâce à elle que l'industrie chimique accorde son appui total à la Convention sur les armes chimiques.

Celle-ci imposera certes des charges aux membres de l'ACFPC, mais nous estimons que c'est acceptable, que c'est la seule façon de progresser. Nous trouvons que c'est important pour les entreprises et que la convention ainsi que le projet de loi sont structurés de façon à atteindre les objectifs de la façon la moins coûteuse pour l'industrie.

Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de faire un exposé. Nous sommes prêts à répondre aux questions par la suite.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bélanger.

Monsieur Shearing a-t-il quelque chose à ajouter?

M. Bélanger: Non, pas pour le moment.

M. Douglas Scott (président, groupe Markland): Je représente le groupe Markland et je suis accompagné de plusieurs personnes. M. Dorn fera une déclaration lorsque j'aurai fini mon exposé. Voici également M. Edward Lee, ex-ambassadeur canadien et membre du conseil d'administration de l'AIEA. Voici par ailleurs M. Jon Jennekens, ex-sous-directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique et ex-président de la Commission de contrôle de l'énergie atomique au Canada. Nous avons ensuite M. Robertson, également ex-ambassadeur canadien, qui a participé très activement aux négociations relatives à la Convention sur les armes chimiques, à Genève.

Nous tenons tout d'abord à vous remercier de nous permettre de comparaître devant votre comité et de vous faire part de certaines doléances au sujet de ce projet de loi.

De façon générale, nous en sommes satisfaits. Nous aimons particulièrement l'article 5, en vertu duquel la Couronne sera liée par la loi lorsque celle-ci entrera en vigueur. C'est un principe auquel nous nous intéressons depuis un certain temps et que nous avons défendu très vigoureusement.

Par contre, nous pensons que des améliorations s'imposeraient dans deux secteurs et nous espérons que cela pourra se faire sans trop de complications. Nous vous avons fourni le libellé des amendements qui pourraient servir à combler ces deux lacunes.

Mon collègue, M. Dorn, vous parlera d'une de ces deux questions. Quant à moi, j'aborderai celle de la réglementation.

Nous recommandons que le projet de loi C-87 soit modifié de façon à y inclure des pouvoirs de réglementation supplémentaires. Ce qui nous préoccupe, c'est la réglementation concernant les produits chimiques des tableaux 2 et 3. Comme vous le savez peut-être, il s'agit de précurseurs ou d'ingrédients servant à fabriquer des armes chimiques. La plupart de ces produits ont un usage mixte, en ce sens qu'ils peuvent servir aussi bien à fabriquer des produits industriels ou médicaux qu'à produire des armes chimiques.

Par exemple, un produit appelé thiodiglycol, que l'on utilise fréquemment pour fabriquer un certain nombre de produits, notamment l'encre des stylos à bille, est également un des principaux ingrédients du gaz moutarde. C'est un exemple de produit chimique des tableaux 2 et 3; le thiodiglycol figure au tableau 2.

Le problème, c'est que, dans l'état actuel des choses, le projet de loi ne permet aucun contrôle de ces produits, sauf en ce qui concerne leur exportation et leur importation. Par contre, en ce qui concerne les produits chimiques du tableau 1, on a prévu des mesures de contrôle assez exhaustives. Nous ne préconisons pas des mesures analogues pour les produits chimiques des tableaux 2 et 3, parce que leur liste est trop longue et parce que cela provoquerait des remous au sein de l'industrie chimique. Nous recommandons toutefois d'accorder au ministre le pouvoir de choisir les produits chimiques qu'il juge particulièrement problématiques et d'imposer des mesures de contrôle à eux seulement.

.1115

Pour être plus précis, nous recommandons de donner au gouverneur en conseil le pouvoir d'établir des règlements qui énuméreraient chacune des activités mettant en cause des produits chimiques des tableaux 2 et 3 et de désigner ceux qui peuvent être considérés comme étant visés par l'interdiction très générale prévue aux alinéas 1.1a) et 2.1a) de la Convention. Je n'entrerai pas dans les détails pour le moment. Je signale toutefois qu'il s'agit d'une interdiction très générale qui englobe tous les produits chimiques, mais que la convention ne précise pas quelles activités il conviendrait d'interdire en particulier.

Aux termes d'un tel règlement, le gouverneur en conseil pourrait désigner des activités relatives au produit de ces deux tableaux pour les rendre illégales et établir des mesures d'exécution et notamment un système de permis, comme c'est déjà le cas pour les produits du tableau 1, des amendes, des peines d'emprisonnement, des injonctions, des saisies et surtout des confiscations.

Parmi les activités qui pourraient faire l'objet d'une interdiction en vertu de ces règlements, notons la fourniture des produits chimiques en cause à des personnes ou à des groupes ne détenant pas de permis - des groupes terroristes, par exemple - et le stockage de quantités de produits chimiques dépassant les limites prescrites. Les quantités seraient prescrites dans les règlements et ceux-ci indiqueraient que les stocks ne peuvent pas dépasser cette limite. Ils pourraient également s'appliquer à la production ou à la fabrication de ces produits chimiques, mais cela ne s'appliquerait probablement pas au Canada car, comme M. Bélanger l'a déjà expliqué, nous ne produisons aucun des produits chimiques de ces tableaux. J'ai été heureux de l'apprendre, mais nous les utilisons et, par conséquent, il faudrait en réglementer la fourniture et le stockage.

Je souligne toutefois que les mesures de contrôle qui seraient appliquées aux termes de notre amendement seraient sujettes au jugement du ministre. Je présume qu'il ne mettrait aucun produit sur cette liste sans avoir pleinement consulté l'industrie chimique.

Nous avons quatre raisons de recommander la promulgation de tels règlements. Premièrement, en vertu de la convention, les États-membres ont l'obligation implicite - précisons que c'est bien une obligation implicite et non directe - d'établir un programme de contrôle visant au moins quelques-uns des produits chimiques énumérés dans les tableaux 2 et 3. Cette obligation découle de l'article VII, qui oblige les États-membres à promulguer une législation visant à interdire certaines activités à leurs citoyens.

À propos, si vous avez un exemplaire de mes notes, je vous signale qu'une erreur s'est glissée à la page 3. Au lieu de dire «activities to States Parties», il aurait fallu dire «activities on the part of its citizens» pour se conformer aux exigences de l'article VII en matière d'interdictions.

Le projet de loi C-87 n'interdit malheureusement absolument aucune activité ayant trait aux produits chimiques des tableaux 2 et 3 et n'autorise pas non plus la promulgation de règlements visant à les interdire. C'est tout pour le premier point.

Deuxièmement, ces produits chimiques peuvent être dangereux à deux égards: ils peuvent être utilisés à l'extérieur du pays, en cas de conflit entre des nations, ou à l'intérieur, par des terroristes. Étant donné que rien n'a été prévu dans le projet de loi, si le gouvernement canadien venait à découvrir une cachette contenant des stocks importants de ces produits, appartenant par exemple à une quelconque organisation secrète, il ne pourrait rien faire d'autre que d'empêcher celle-ci d'exporter ou d'importer les produits en question par les voies légales. Il ne pourrait pas faire ce que la police japonaise a fait, c'est-à-dire faire une descente au quartier général de l'organisation et saisir tout ce qu'elle trouve. Voilà la deuxième raison pour laquelle nous recommandons d'autoriser l'adoption de tels règlements.

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La troisième raison concerne la position du Canada dans la monde et les initiatives que les autres pays prennent pour se conformer à la convention. Nous estimons qu'il importe que le Canada contrôle ces substances pour servir d'exemple à d'autres pays et les inciter à l'imiter. Si un nombre suffisant de pays promulguaient des dispositions de ce genre, il finirait par être possible de le stipuler dans la convention. On a sans doute essayé de le faire, mais on n'avait pas le temps de décider quels produits chimiques devraient être inscrits sur la liste. Par conséquent, la question est restée en suspens. À notre avis, il est important que le Canada montre l'exemple, qu'il montre ce qu'il faut faire et l'on finira peut-être par arriver à faire modifier la Convention en conséquence.

Enfin, et il s'agit peut-être là de la principale raison d'autoriser une réglementation de ce genre, en l'absence de ce genre de pouvoir, le Canada ne serait pas bien placé pour coopérer rapidement avec l'OIAC. Je vous signale, au cas où vous l'auriez oublié, qu'il s'agit de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. C'est une organisation administrative qui a été créée aux termes de la Convention et qui a son siège à La Haie.

Il pourrait arriver un jour que l'OIAC s'intéresse à un problème qui se pose dans l'industrie chimique canadienne. Dans ce cas, elle demanderait probablement au Canada de faire le nécessaire pour y remédier. Elle pourrait par exemple exiger une réduction du volume de production d'un produit donné ou des quantités stockées au Canada. Pour être en mesure de se conformer à une demande de ce genre, le Canada doit pouvoir promulguer une réglementation qui lui permettrait d'obéir.

Dans l'état actuel des choses, il lui faudrait dire à l'OIAC qu'il n'a pas le pouvoir d'ordonner aux fabricants de réduire leur production ou leurs stocks et que la seule façon de les amener à le faire serait de demander au Parlement de promulguer une loi spéciale, ce qui n'est pas toujours facile à faire. On y arriverait dans certains cas mais pas dans d'autres. Par conséquent, nous voudrions que ce soit prévu dès à présent, de façon à pouvoir promulguer ce genre de règlement.

Je vais m'arrêter là, mais je signale que vous trouverez à la page 4 du document qui vous a été remis le libellé d'une disposition qui permettrait, à notre avis, d'appliquer notre recommandation. Il reprend en partie celui de l'alinéa 18a) du projet de loi. Nous l'avons modifié pour qu'il couvre également les produits chimiques des tableaux 2 et 3.

Merci.

Je cède maintenant la parole à M. Dorn pour qu'il vous parle de nos autres préoccupations au sujet du projet de loi C-87.

[Français]

M. Walter Dorn (associé de recherche, Programme de relations internationales, Université de Toronto): Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant ce Comité.

[Traduction]

Pour les membres du Groupe Markland, peu de choses ont autant d'importance que la contribution du Canada à l'édification de la paix et de la sécurité dans le monde. Le Groupe Markland est un groupe de citoyens inquiets dont le but est de promouvoir l'intégrité des traités sur le désarmement et du processus de contrôle des armes.

C'est pour nous un plaisir et un honneur de vous dire ce que nous pensons du projet de loi de mise en oeuvre de la convention sur les armes chimiques, le projet de loi C-87, et de faire quelques critiques constructives à son sujet.

Nous reconnaissons que le Canada a activement milité en faveur de l'adoption d'un régime de vérification efficace et radical. En 1984, le Canada a appuyé les Américains qui réclamaient un régime d'inspection fondé sur le principe de la possibilité de faire des inspections en tout temps et en tout lieu. En 1990, nous avons repris le flambeau lorsque les États-Unis ont abandonné la partie et finalement les clauses de la convention concernant la réglementation de l'accès constituent le meilleur compromis que nous ayons pu obtenir. Il reste que c'est grâce à cela que la convention représente un jalon dans l'établissement d'un mécanisme international de contrôle des armements, surtout des armes de destruction de masse.

Nous espérons que le Canada prendra autant l'initiative en matière de législation et d'exécution qu'il l'a fait au cours des négociations. Nous estimons que le projet de loi constitue un pas en avant et qu'il est très bien, mais nous avons toutefois quelques suggestions concrètes à faire, notamment au sujet des droits des inspecteurs de l'OIAC.

Aux termes de l'article 14 du projet de loi, le représentant de l'autorité nationale peut ordonner au responsable du lieu inspecté - au directeur d'usine, par exemple - d'exécuter un certain nombre de mesures, notamment de permettre l'accès. C'est capital pour la conduite d'une inspection. La législation canadienne est très progressiste en ce sens qu'elle donne à l'autorité nationale des pouvoirs de représentation plus étendus que ceux prévus dans la convention, mais il y a deux choses qui nous préoccupent.

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La première, c'est que nous estimons que le représentant de l'autorité nationale devrait être obligé d'essayer d'obtenir l'accès ou les documents réclamés par l'inspecteur. On pourrait y arriver en employant le verbe «devoir» au lieu de «pouvoir» au paragraphe 14(1). Nous envisageons la possibilité que dans certains États, voire au Canada, dans certains cas, l'autorité nationale ou son représentant joue un rôle capital lorsqu'il s'agit non seulement d'encourager mais aussi, dans certains cas, d'empêcher l'application de la convention. Si le représentant de l'autorité nationale doit obligatoirement répondre aux souhaits de l'inspecteur ou de l'équipe d'inspection, l'application du traité sera plus sûre et les risques d'obstruction seront réduits. Nous pensons que la législation canadienne servira de modèle à d'autres pays et qu'à ce titre, c'est important.

Premièrement, nous reconnaissons que les mesures prévues aux alinéas a) à f) sont plus radicales que la convention. Deuxièmement, il peut arriver que l'inspecteur outrepasse ses pouvoirs et exige l'accès ou des documents que le traité ne lui confère pas le droit d'exiger.

Nous reconnaissons que l'industrie ne souhaite peut-être pas être forcée d'accepter des contraintes plus strictes que celles qui sont prévues dans la Convention. Par conséquent, nous recommandons de remplacer «peut ordonner» par «doit, à la demande de l'inspecteur international pour appliquer la convention, ou de sa propre initiative, ordonner...». Je pourrais vous donner le libellé exact plus tard pour que vous compreniez un peu mieux quels changements je recommande.

Grâce à cette précision, le représentant de l'autorité nationale est libre de rejeter toute demande émanant d'un inspecteur qui outrepasse les pouvoirs conférés par le traité. Il peut toutefois toujours accepter la demande, mais il n'est pas tenu d'y accéder si elle est illégitime. En ce qui concerne les demandes légitimes, le représentant de l'autorité nationale est obligé de s'y plier et de donner les instructions nécessaires. Cette modification est conforme à l'obligation de faire respecter les droits de l'inspecteur prévue dans la convention.

La deuxième chose qui nous préoccupe concerne les pouvoirs de l'autorité nationale en matière d'inspection. Nous envisageons la possibilité que celle-ci souhaite avoir accès à un lieu en l'absence d'un inspecteur. À supposer que l'on ait affaire à une fabrique d'armes chimiques exploitée par des terroristes - et l'on songe évidemment à l'incident de Tokyo - , il serait souhaitable que l'autorité nationale ou une autre autorité fédérale inspecte les lieux. Un pays pourrait toujours avoir recours de sa propre initiative à une inpection par mise en demeure, mais cela risque de retarder beaucoup les choses et de servir d'avertissement aux conspirateurs. Nous avons examiné les possibilités de prévoir de telles inspections en modifiant le moins possible le projet de loi.

Il suffirait d'insérer «ou un représentant de l'autorité nationale» après «l'inspecteur national», au paragraphe 13(1).

Je ferai une autre petite remarque au sujet de la rédaction du projet de loi. Nous trouvons que le paragraphe 2(3), qui porte sur les dispositions incompatibles, est inutile et est lui-même incompatible. Il dit que s'il existe des différences entre les dispositions reproduites à l'annexe du projet de loi et celles de la convention, ces dernières l'emportent. Pourtant, l'annexe du projet de loi ne contient que des extraits de la convention, et plus particulièrement des extraits de l'article II, l'annexe sur les produits chimiques, et la première partie de l'annexe sur la vérification. Par conséquent, on ne voit pas comment les dispositions du projet de loi et celles de la convention pourraient diverger, ni pourquoi ce paragraphe est inclus.

Nous allons également faire quelques observations qui n'entraînent pas des modifications au projet de loi C-87 mais que vous pourriez examiner maintenant ou plus tard. À notre avis, elles concernent des questions qui méritent d'être examinées et, si possible, réglées par un comité parlementaire.

La première concerne les traités secrets. Le Canada a ratifié plusieurs traités secrets concernant des programmes de défense chimiques et biologiques; nous ne savons pas au juste combien. Par souci de transparence et par respect pour la convention, le Canada devrait révéler publiquement la teneur de ces ententes secrètes. Le gouvernement canadien n'a aucune raison de cacher à ses citoyens et aux autres pays les traités et les engagements internationaux qu'il a pris, surtout depuis que la Guerre froide est finie. Il y a longtemps que de telles cachotteries ne servent plus l'intérêt national. En outre, selon l'article 102 de la Charte, les États et les parties signataires, y compris le Canada, sont tenus de faire enregistrer ces traités et de les faire publier par le secrétariat de l'ONU. Il faudrait le faire sans plus tarder pour se conformer à la réglemetation internationale.

La deuxième question concerne l'appui à accorder au secrétariat technique. Le Canada devrait lui apporter une aide scientifique, technique et technologique importante. L'OIAC devrait avoir à sa disposition les meilleurs systèmes de surveillance, les meilleures méthodes de scellage et d'étiquetage et le meilleur matériel de recherche pour rester à la fine pointe du progrès scientifique.

Troisièmement, nous vous rappelons que le Canada n'a pas encore adopté de mesures législatives de mise en oeuvre de la Convention sur les armes biologiques et à toxines. Nous estimons, dans notre groupe, que c'est souhaitable, sinon nécessaire, pour se conformer aux dispositions de l'article IV du traité. L'Australie, la France et le Royaume-Uni l'ont fait depuis longtemps. Les États-Unis ont adopté une loi il y a quelques années, la Biological Anti-Terrorism Act. Il est temps que le Canada se mette à préparer une loi de mise en oeuvre. Nous ne tenons pas à nous trouver dans la même situation que les parlementaires japonais, qui ont dû adopter une loi à la hâte à la suite d'une attaque.

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Les armes biologiques présentent encore plus de danger que les armes chimiques aux mains des terroristes ou de certaines nations. Il faut renforcer le régime de vérification et de mise en oeuvre de la CABT.

Quatrièmement et finalement, nous félicitons le gouvernement pour la création du Comité d'examen en matière de défense biologique et chimique, qui a présenté son premier rapport au ministre de la Défense nationale en 1990. Nous pensons que c'est le premier organisme civil de surveillance d'un programme de défense biologique et chimique au monde.

Nous recommandons d'élargir son mandat pour le charger d'examiner l'application de la CAC par les organismes gouvernementaux. Dans ce cas, ce comité relèverait à la fois du ministre de la Défense nationale, comme c'est actuellement le cas, et du ministre des Affaires étrangères.

Enfin, nous espérons que vous allez accélérer le processus de ratification. Nous sommes certains que la noble aspiration du Canada de devenir un des 65 pays à appliquer ce traité pourra se concrétiser. En matière de contrôle des armements, l'ironie du sort veut que, plus les mécanismes de vérification deviennent difficiles et complexes, plus les délais de ratification s'allongent. L'obligation de chaque pays d'adopter une loi de mise en oeuvre met en relief le rôle des parlementaires et de la réglementation internationale et renforce par conséquent les traités. C'est une bonne tendance que nous tenons à encourager.

Merci encore une fois de nous avoir donné l'occasion de faire des commentaires au sujet de l'important traité sur lequel porte ce projet de loi. Nous sommes heureux d'apporter notre collaboration au Parlement dans le régime de démocratie directe qui est le nôtre.

Le président: Merci, monsieur Dorn.

Avant de passer aux questions, je vais demander aux représentants du ministère des Affaires étrangères s'ils ont des commentaires à faire au sujet des recommandations. Je sais qu'ils auront l'occasion de le faire dans le cadre de l'étude article par article, mais j'estime, monsieur Flis, qu'il serait peut-être utile de faire des commentaires tout de suite.

Je n'essaye pas de vous pousser dans le dos. Vous n'avez peut-être encore jamais vu ces recommandations, mais si vous avez des commentaires à présenter immédiatement, vous pourriez peut-être nous faire profiter demain de vos réflexions plus approfondies à l'occasion de l'étude article par article. Vous pourriez peut-être nous aider en faisant quelques commentaires avant de passer aux questions.

M. Ralph Lysyshun (directeur général, Direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président. C'est effectivement la première fois que nous voyons ces recommandations. Il faudra que nous les examinions de très près. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'exposé de M. Dorn, qui a abordé plusieurs sujets importants et qui a fait quelques recommandations très différentes que nous ne manquerons pas d'examiner. Nous serons prêts à vous donner plus de détails dans le cadre de l'étude article par article du projet de loi.

D'une manière générale, je signalerais toutefois que, tout au long des négociations concernant ce traité, la nécessité d'établir un équilibre bien défini entre les exigences du contrôle des armements et du désarmement d'une part et le besoin légitime de l'industrie chimique d'être en mesure de poursuivre ses activités et d'être concurrentielle d'autre part a été une de nos préoccupations majeures, et c'est également vrai pour les autres participants. C'est pourquoi nous avons pris soin de consulter la Chemical Weapons Producers' Association et nous avons collaboré étroitement avec elle pour éviter d'aller trop loin ou de mettre des bâtons dans les roues de ses membres, surtout sur le plan concurrentiel.

Par conséquent, ma première réaction est la suivante: en voulant insérer dans le projet de loi des dispositions qui permettraient au Canada de donner l'exemple en allant plus loin que le traité, on finirait peut-être par causer des difficultés à l'industrie, des difficultés concernant des produits chimiques que nous ne produisons pas. Je songe notamment que dans un marché aussi concurrentiel, cela ne marcherait pas si notre industrie avait un handicap que l'industrie américaine n'a pas. Il me paraît bon de vouloir que le Canada donne l'exemple dans le domaine du contrôle des armements et c'est l'objectif que nous avons toujours poursuivi.

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Je suis très fier de l'exemple que nous avons donné en collaborant avec l'industrie chimique et le résultat, c'est qu'aujourd'hui ses représentants viennent manifester leur appui à l'égard du traité au lieu de se plaindre. Je crois qu'il est très important d'obtenir ce genre d'appui en ce qui concerne un traité sur les armes chimiques.

Dans les recommandations qu'il a faites au sujet des droits des inspecteurs, M. Dorn délimite avec beaucoup de précisions le rôle et les responsabilités du représentant de l'organisme canadien qui accompagnerait l'inspecteur, qui consiste en fait à s'assurer que celui-ci obtienne ce qu'il faut conformément au traité mais n'ait pas accès à plus que cela. Je le répète, il s'agit d'un équilibre très précaire. Il va falloir examiner de très près les recommandations de M. Dorn pour voir si cet équilibre ne serait pas compromis. Je ne peux pas faire d'autres commentaires à leur sujet avant de les avoir examinées de plus près. Je ne les ai pas vues par écrit.

Le président: Merci beaucoup. C'est utile, pour un début.

[Français]

M. Paré (Louis-Hébert): Je remercie les témoins. C'est un sujet extrêmement important, mais qui n'est pas facile à aborder. Heureusement, monsieur le président, vous avez permis un certain échange entre les participants. Il serait intéressant que cet échange s'intensifie pour que les spécialistes qui se trouvent dans la salle puissent intervenir et exposer leurs craintes très simplement.

Pour ma part, il s'agit plus d'un commentaire que d'une question. Je veux bien être sensible aux propos du dernier intervenant quant à la protection de l'industrie chimique. Cependant, il m'apparaît qu'il y a sûrement un équilibre extrêmement important à maintenir pour la protection de l'humanité. D'autre part, je comprends qu'il faille protéger l'industrie chimique.

J'aurais souhaité que les intervenants disent comment toute cette question de la production et du stockage des produits chimiques est conciliable avec la notion de développement durable avec laquelle on devra composer dans les prochaines années si on ne veut pas aller tout droit au désastre.

Le premier intervenant, M. Bélanger, a parlé du cycle de vie des produits chimiques et a dit que c'était quelque chose de bien géré. Mais j'avoue avoir des petits frissons dans le dos. Je suis incapable d'en dire davantage parce que je ne suis pas un connaisseur.

J'aimerais terminer en exprimant le souhait que les gens qui interviennent dans ce secteur, tant au niveau de l'industrie qu'au niveau des regroupements qui tentent de protéger les droits de l'humanité, le fassent avec un très haut sens de l'éthique afin que les questions purement commerciales et mercantiles ne prennent pas le dessus sur le développement durable. Voilà mon commentaire, monsieur le président.

[Traduction]

M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci à tous d'être venus aujourd'hui. J'ai une question à poser à M. Lysyshun.

Il y a quelques semaines, le ministère a tenu une séance d'information au sujet de ce projet de loi, avant qu'il ne soit présenté à la Chambre. Je suis un peu étonné. Le groupe Markland a fait d'excellents commentaires mais j'ai l'impression que ce projet de loi, qui représente en fait la Convention sur les produits chimiques, porte sur les produits chimiques des tableaux 2 et 3 et qu'il accorde ce pouvoir, autrement dit j'ai l'impression qu'en fait on procèdait régulièrement à des inspections auprès des entreprises qui les fabriquent.

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Par ailleurs, les pays autres que celui où les produits en question sont fabriqués ont également le pouvoir de s'adresser directement à l'OIAC ou au pays concerné pour réclamer et en fait, exiger, une inspection concernant telle ou telle entreprise.

Par exemple, la société une telle fabrique un produit chimique du tableau 2 qui pourrait être considéré comme un précurseur pour la fabrication d'une arme chimique. D'autres pays le savent et s'adressent directement aux autorités du pays en question pour exiger qu'elles fassent une inspection et vérifient ce que cette entreprise fabrique, parce qu'on la soupçonne d'armer des groupes terroristes.

Je croyais déjà que c'était prévu dans ce projet de loi, que c'est en fait une obligation et que c'était spécifié en ce qui concerne les produits chimiques des tableaux 2 et 3. La seule différence entre ces produits et ceux du tableau 1 est que pour ces derniers, il faut obtenir un permis pour leur fabrication ou leur utilisation et des inspections régulières sont prévues. En ce qui concerne les produits chimiques des tableaux 2 et 3, la décision est laissée à la discrétion du pays concerné, mais on ferait en réalité régulièrement des inspections.

M. Scott: Puis-je répondre?

Le président: Je crois que nous devons laisser parler d'abord les représentants du ministère. Vous pourrez ensuite faire des commentaires, si vous le voulez, monsieur Scott.

M. Geoff Weir (coordinateur national par intérim, Autorité nationale pour la Convention sur les armes chimiques, Direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je vous signale, monsieur Martin, que la convention et le projet de loi obligent les pays et les entreprises qui fabriquent des produits chimiques des tableaux 2 et 3 - ou, en ce qui concerne ceux du tableau 2, qui en produisent, en consomment ou en transforment - à signaler tout dépassement de certains plafonds précisés dans la convention. Ils ne sont pas dans le projet de loi, mais ce n'est pas nécessaire.

Les entreprises qui dépassent certaines limites doivent tout simplement faire une déclaration quand elles dépassent un premier seuil, 30 tonnes, par exemple. Ce renseignement est communiqué à l'organisation et il ne se passe rien en réalité. C'est noté et tout le monde sait quelles quantités produit l'entreprise en question. Par contre, les entreprises qui dépassent une autre limite peuvent être soumises à des inspections.

Par conséquent, toutes les entreprises qui fabriquent des produits chimiques des tableaux 1, 2 et 3 ou transforment ou consomment des produits du tableau 2, sont assujetties à une inspection passé un certain niveau. Dans certains cas, des inspections régulières sont prévues.

C'est ce que la convention et le projet de loi prévoient en ce qui concerne les produits des tableaux 2 et 3.

M. Martin: Le pays en question a également le pouvoir de saisir les produits chimiques utilisés à des fins qui peuvent être jugées illégales.

M. Weir: La convention ne le stipule pas. En cas d'enquête par les autorités - et cela n'a rien à voir avec le projet de loi; il s'agit des dispositions prévues en ce qui concerne les inspections internationales - , si l'État a des raisons de soupçonner un Canadien ou une entreprise canadienne de s'adonner à des activités qui vont à l'encontre de la loi et, du fait même, de la convention, il s'agit d'une enquête criminelle qui donnera lieu au besoin à des poursuites criminelles contre l'accusé.

Si celui-ci est en fait reconnu coupable par les tribunaux et est condamné à une peine quelconque et si toutes les marchandises sont saisies par la GRC, les douanes ou n'importe quelle autre autorité compétente, la loi stipule de quelle manière il faut s'en débarrasser.

M. Martin: J'espère que cela règle la question soulevée par M. Scott.

M. Weir: Il ne s'agit pas, comme il le proposait, d'assujettir les produits chimiques des tableaux 2 et 3 au même régime que ceux du tableau 1 ou à un régime très analogue en ce qui concerne l'octroi des permis. Ce n'est pas cela.

M. M. Martin: J'espère toutefois que cela permet de faire des fouilles et des saisies dans le cas d'entreprises qui s'adonnent à la fabrication de produits chimiques pouvant être utilisés dans le cadre d'activités illégales, comme le demande M. Scott. Je crois que vous avez dit que c'est le cas, mais M. Scott a prétendu que non, si je ne m'abuse.

C'est ce qui sème la confusion dans mon esprit, à cause de ce que j'ai entendu au cours de la première intervention faite par le ministère il y a quelques semaines.

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Le président: Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Scott?

M. Scott: En ce qui nous concerne, il n'y a pas de problème au sujet des droits d'inspection ou des exigences de déclaration pour ce qui est des produits chimiques des tableaux 2 et 3. Il existe toutefois un problème en ce qui concerne la prohibition de certaines activités et, à moins qu'elles ne soient interdites par notre loi, on n'aura aucun moyen d'action quand on découvrira qu'une entreprise possède des quantités excessives. Le seul article du projet de loi faisant allusion à une certaine forme d'interdiction susceptible de s'appliquer aux produits des tableaux 2 et 3 est l'article 6. Il s'agit d'une interdiction très générale. L'article stipule en effet qu'il est interdit «de mettre au point, de fabriquer, d'acquérir d'une autre manière, de stocker ou de conserver des armes chimiques, ou de transférer...».

On peut théoriquement intervenir aux termes des dispositions du paragraphe 6a), mais il faut malheureusement vérifier la définition de l'expression «arme chimique» pour pouvoir déclarer coupable l'entreprise en question. Si l'on n'y arrive pas, ni le Code criminel ni aucune autre loi ne nous donnent la possibilité d'obtenir un mandat de perquisition pour vérifier ce qui se passe.

Il serait peut-être possible d'obtenir un mandat aux termes d'autres articles, mais une fois sur les lieux, on n'aurait aucun moyen de saisir et de faire quoi que ce soit. C'est précisément le problème qu'on eu les inspecteurs japonais. Quelques semaines avant l'incident du métro, ils avaient déjà découvert que cette drôle de secte religieuse possédait de grandes quantités de ces produits chimiques, mais ils ne pouvaient rien faire. Il n'existait pas de loi. Nous tenons à fournir cette loi aux inspecteurs et c'est pourquoi nous voulons que ce soit précisé.

Si j'affirme que l'article 6 ne règle pas le problème, c'est parce que la définition d'«arme chimique», qui est évidemment celle de la Convention sur les armes chimiques, est très générale. L'article II.1(a) parle des «produits chimiques toxiques et leurs précurseurs», ce qui est bien beau, «à l'exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention», c'est-à-dire en gros les produits qui sont destinés à des fins pacifiques ou médicales, par exemple. La Convention ajoute ceci: «aussi longtemps que les types et les quantités en jeu sont compatibles avec de telles fins».

Qui va trancher? C'est une question d'intentions. Nous voulons que le ministre examine la situation et qu'il décide par exemple qu'étant donné que la possession d'une quantité de thiodiglycol supérieure à une certaine limite cause des inquiétude, on va le préciser dans les règlements et interdire aux entreprises concernées de dépasser cette limite. À moins que le ministre ne fasse cela, quand on se présentera devant le tribunal pour demander au juge de condamner l'entreprise en question ou d'accorder un mandat pour pouvoir faire une perquisition, il dira ceci: «Où est l'interdiction? Quelle infraction a été commise? Vous attendez-vous à ce que moi, le juge, je décide qu'il est interdit de posséder une quantité de thiodiglycol supérieure à une certaine limite? Je n'y connais rien». Le ministre par contre pourrait le préciser dans les règlements. C'est pourquoi nous tenons à ce que cela s'y trouve.

Les limites prévues sont indiquées en ce qui concerne les produits du tableau 1, mais pas ceux des tableaux 2 et 3.

M. Martin: Pourrais-je demander à M. Weir de répondre, monsieur le président?

M. Weir: Je ne sais pas très bien à quelle partie vous souhaitez que je réponde, monsieur. C'était un long exposé.

M. Martin: Je posais seulement la question. Je ne sais pas si j'ai...

Le président: Allez-y. Je crois que les membres du comité voudraient entendre la réponse de M. Weir. Mais je voudrais poser une question pour savoir où M. Scott veut en venir.

Monsieur Scott, pourriez-vous confirmer mon impression. Je vais vous poser une question directe. Voulez-vous dire que, d'une façon ou d'une autre, ce projet de loi ne nous permet pas de remplir les obligations internationales que nous avons contractées en ratifiant cette Convention? Contient-il des lacunes à cet égard.

M. Scott: Je dis que la Convention exige implicitement que les pays concernés établissent le genre de mécanisme de réglementation que nous proposons.

Le président: Implicitement.

M. Scott: En disant cela, je songe à l'article VII. Nous nous écartons un peu du sujet dont M. Martin veut discuter, mais c'est bien vonlontiers que j'en parle. Je ne sais pas si vous voulez que M. Weir...

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Le président: J'essaie seulement de comprendre où vous voulez en venir. Personnellement, j'ai l'impression que ce que vous avez dit jusqu'à présent, et notamment dans votre introduction, c'est que la convention, c'est bien beau, mais que le Canada devrait montrer l'exemple en allant plus loin. Par exemple, le problème que vous avez abordé à propos de ce qui c'est passé au Japon n'est peut-être pas du tout du ressort de la convention. Il faut peut-être l'examiner dans une perspective interne.

Ce qui intéresse le comité, c'est de savoir si, oui ou non, nous appliquerons la convention ou si ce projet de loi incarne bien sur le plan légal les obligations internationales qu'elle nous impose. C'est pourquoi je vous ai posé cette question. Elle va dans le même sens que les démarches de M. Martin, car il essaie lui aussi de savoir où vous voulez en venir et jusqu'où vous voulez aller.

Ce que j'essaie de savoir, c'est dans quelle mesure vos propositions renforcent nos obligations internationales et les dépassent et si vous estimez que, sous son libellé actuel, le projet de loi ne nous permet pas de mettre effectivement en oeuvre les conventions internationales auxquelles nous sommes partie. Nous pourrons ensuite demander aux représentants du ministère de nous donner également leur opinion à ce sujet.

J'espère que ma question va dans le même sens que les démarches de M. Martin.

M. Martin: Exactement.

Tout ce que je veux savoir, c'est si ce projet de loi nous donne le pouvoir de soumettre une entreprise qui fabrique des produits chimiques des tableaux 2 et 3 à une perquisition, si elle le fait à des fins illégales, ainsi que de saisir les produits en question, d'arrêter les responsables et de les poursuivre en justice en vertu des dispositions actuelles. Le projet de loi nous donne-t-il ce pouvoir? Je crois que c'est une des principales choses que nous essayons de déterminer.

Le président: Êtes-vous disposé à répondre à ma question avant que l'on poursuive, monsieur Scott?

M. Scott: Oui. Voulez-vous que je réponde d'abord à cette question ou voulez-vous que M. Weir réponde à celle de M. Martin?

Le président: J'apprécierais que vous répondiez d'abord à la mienne.

M. Scott: Je dirais que la convention stipule - et c'est à vous de savoir si vous voulez l'interpréter de la même façon que nous - que la législation doit indiquer en particulier qu'il est interdit, et je cite le paragraphe VII.1(a), «aux personnes physiques et morales d'entreprendre quelque activité que ce soit qui est interdite à un État partie à la présente convention».

Est-ce qu'il est interdit aux États parties de prendre des mesures concernant des produits chimiques des tableaux 2 et 3? Ces produits ne sont assujettis à aucune limite quantitative, contrairement à ceux du tableau 1. Par ailleurs, l'interdiction s'applique aux États parties et il faudrait par conséquent préciser dans la loi qu'elle s'applique également aux citoyens. Certains interdictions peuvent être appliquées aux produits des tableaux 2 et 3 en se basant sur les dispositions générales prévues aux articles II.1 et I.1. En ce qui concerne l'article II.1,...

Le président: S'agit-il d'articles de la Convention?

M. Scott: Oui. L'article II.1 dit que l'on entend par «armes chimiques» les produits chimiques toxiques en quantité incompatible avec des fins pacifiques. Elle ne précise pas de quoi il s'agit au juste, mais elle stipule que les pays sont tenus de promulguer une loi à cet effet.

Par exemple, je suppose qu'il est impossible de justifier l'utilisation de plusieurs millions de tonnes de thiodiglycol à des fins pacifiques et je crois que même mes amies de l'industrie chimique sont de cet avis. Il n'existe tout simplement pas suffisamment de débouchés dans le monde entier pour une telle quantité de thiodiglycol et j'estime que l'on devrait disposer d'un moyen de contrôle au cas où l'on découvrirait une telle quantité de ce produit. Dans l'état actuel des choses, le projet de loi ne nous en fournit aucun.

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D'après la convention, vous êtes tenus, selon moi, d'adopter une loi interdisant l'entreposage d'une telle quantité même si elle n'est pas spécifiquement énoncée dans la convention. Donc, en vertu de cette convention, vous devez établir un seuil, même si elle ne vous dit pas où il se situe.

En fait, la convention stipule qu'il appartient à chaque pays d'établir, pour sa propre industrie, une limite raisonnable. Alors, nous allons certainement plus loin que la lettre de la convention, mais non au plan juridique, et M. et Mme Tout le monde ne s'en rendraient pas compte.

Eux, ils veulent savoir comment nous pouvons parvenir à interdire la constitution de stocks de thiodiglycol. Ils se demandent si cela n'est pas exigé par la convention et ils se disent que c'est certainement le cas parce qu'une telle quantité n'a aucun rapport avec des motifs pacifiques.

Le président: Monsieur Weir.

M. Weir: Il y a un aspect sur lequel je tiens à revenir, aspect que M. Martin a abordé dans sa deuxième question et dont M. Scott a parlé dans sa dernière intervention. C'est la question de l'intention.

Dans sa question, M. Martin a parlé et je l'ai noté: d'«une entreprise qui fabrique des produits chimiques... à des fins illicites». Quant à M. Scott, il a dit qu'un des éléments importants de la définition d'armes chimiques tenait à l'intention.

Tous ces produits chimiques inscrits aux tableaux sont d'abord et avant tout des produits chimiques. Il s'agit de produits chimiques toxiques. Mais ceux du tableau 1, du moins la plupart d'entre eux, sont spécifiquement destinés à la fabrication d'armes chimiques. Ceux du tableau 2 - je vous parle ici de la façon dont les choses sont comprises, en général - ont des applications commerciales limitées, mais ils constituent également des précurseurs aux produits chimiques du tableau 1 dans ce sens qu'ils peuvent devenir, après une ou deux autres étapes de traitement, des produits pour armes chimiques.

Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit aussi de produits chimiques commerciaux. Le thiodiglycol est utilisé par des dizaines d'industries à des fins différentes. À cause de cela, dès que l'on tombe sur un stock de thiodiglycol, il faut se demander à quoi il est destiné.

On peut vous répondre qu'il sert à fabriquer des stylobilles, mais il pourrait également être destiné à la fabrication de produits chimiques. Il faut s'intéresser d'abord et avant tout à l'intention, à la destination du produit, parce que, en temps que tel, il n'enfreint pas les termes de la Convention.

Par conséquent, toute personne enquêtant au sujet d'un tel stock devrait principalement s'intéresser à la raison d'être du stock. Une des entreprises représentée par l'association de M. Bélanger pourrait fort bien fournir une réponse tout à fait légitime et dire que ce produit est destiné à fabriquer des stylobilles. Il n'y a rien de mal à cela.

Mais il y a aussi l'autre cas de figure - et ce matin on a souvent parlé de ce qui s'est passé à Tokyo et de ce groupe terroriste - où quelqu'un a un énorme stock de plusieurs millions de tonnes de produits chimiques, sans aucune raison; les autorités chargées de faire appliquer la loi doivent alors certainement mener une enquête.

Si elles devaient en venir à la conclusion que la possession de ce stock est illicite et que l'intention poursuivie est contraire à la loi et à la convention, alors elles devraient entamer des poursuites. La façon dont elles recueilleraient les preuves et les soumettraient au tribunal dépendrait beaucoup, selon moi, des circonstances.

Ce n'est pas simplement parce qu'une personne possède des produits chimiques qu'elle doit être condamnée. Merci beaucoup.

Le président: D'après ce que j'ai compris de l'intervention de M. Scott, et pour lui mettre en quelque sorte les mots dans la bouche, le règlement devrait au moins permettre au ministre d'avoir le droit de prescrire des quantités, c'est-à-dire un seuil, au-delà duquel on pourrait présumer d'une intention parce qu'il serait totalement ridicule, sur le plan commercial et sur le plan industriel, d'accumuler de telles quantités de produits.

Ce n'est peut-être pas le moment de discuter de cela, mais j'aimerais que vous y pensiez. Peut-être pourrons-nous revenir sur cette question demain lors de notre analyse article par article. Et peut-être que les autres membres du comité aimeraient avoir la possibilité de revenir sur ces questions avec vous.

Y a-t-il d'autres questions? Une rapide questioni de M. Dorn, après quoi nous lèverons la séance. Excusez-moi, monsieur Flis.

.1200

M. Flis (Parkdale - High Park): Je suis intéressé à entendre la réponse des producteurs à ce sujet.

M. Bélanger: Merci beaucoup, monsieur Flis, de nous permettre de prendre un peu part à ce débat.

Le président: N'hésitez pas à intervenir.

M. Bélanger: Ce débat m'a beaucoup intéressé. Monsieur Paré a parlé d'équilibre et du droit de l'humanité. Notre association reconnaît la chose, respecte cette dimension et convient qu'il est nécessaire de protéger ces droits. Cela ne devrait donc pas entrer en ligne de compte.

Mais dans toute cette recherche d'un équilibre, s'il y a une chose qui crée problème, c'est l'incertitude qui règne d'un point de vue canadien. Plus vous dites que nous risquons d'imposer d'autres exigences au Canada ou d'adopter d'autres règlements pour imposer un seuil et plus on favorise l'incertitude.

Cela crée donc un autre obstacle à surmonter quand une industrie comme l'industrie chimique, qui est internationale, mondiale et où les décisions sont prises de façon intégrée... Le plus souvent, les usines qu'on va construire ont une capacité de production supérieure à la capacité du marché canadien, si bien qu'il faut exporter. Donc, quand vient le temps de prendre une telle décision, il faut se demander s'il n'est pas plus risqué de l'installer ici, plutôt que là.

Donc, tout ce que nous disons ici, c'est que nous sommes convaincus qu'on a atteint un équilibre très subtil dans la convention. Nous croyons que si l'on n'a pas imposé de seuils dans ce cas, c'est pour favoriser cet équilibre. Nous sommes par ailleurs convaincus, comme l'ont dit les fonctionnaires du ministère, qu'il existe des dispositions en matière d'intention qui permettraient, au besoin, d'entreprendre des poursuites.

En fin de compte, je vous demande de permettre à notre industrie de continuer à évoluer. Je suis convaincu que nous sommes mus par une éthique professionnelle, en regard de nos propres engagements industriels et du point de vue de la gestion responsable. Vous risquez de nous affecter, au même titre que vous allez affecter les gens qui n'ont peut-être pas la même éthique que nous, et vous risquez ainsi d'ajouter à l'incertitude. Nous estimons que, telles qu'elles sont, les choses conviennent, qu'elles respectent la Convention et nous espérons que vous partagerez notre point de vue.

Malheureusement, nous n'avions vu aucune de ces recommandations. Si vous le voulez, nous pourrions les étudier et vous communiquer des renseignements directs, plus précis. C'est tout ce que je vous propose, car je crois comprendre que nous manquons de temps. Personnellement, j'estime que ce projet de loi est conforme aux exigences de la convention.

Le président: Si l'un des députés a besoin de plus de renseignements, monsieur Bélanger, nous pourrions nous adresser à vous mais pour ce qui est de la journée de demain, je pense que les fonctionnaires pourraient s'entretenir avec vous de tous les problèmes qu'ils entrevoient. Je pense que tout ira bien.

Y avait-il d'autres questions? Non? Alors je vais remercier M. Bélanger et l'Association des producteurs de produits chimiques de nous avoir aidés avec leurs témoignages, ainsi que le Groupe Markland pour les remarques fort utiles dont il nous a fait part à propos de la nature de la convention et des obligations qu'elle nous impose. Nous tiendrons bien sûr compte de toutes ces remarques demain, dans notre analyse article par article.

Nous savons quels articles vous aimeriez voir amender et nous demanderons aux fonctionnaires de nous en parler plus précisément. Merci beaucoup, messieurs Scott et Dorn, d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous en sommes gré.

Nous levons la séance jusqu'à 15h30 demain pour l'examen de la Convention article par article. Merci beaucoup.

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