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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 11 mars 2002




¹ 1535
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington)):
V         
V         Mme Line Beauchesne (professeure titulaire, Département de criminologie, Université d'Ottawa)

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550
V         

¹ 1555

º 1600

º 1605
V         La présidente
V         M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne)
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Kevin Sorenson

º 1610
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Kevin Sorenson
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Kevin Sorenson

º 1615
V         La présidente
V         M. Kevin Sorenson
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Kevin Sorenson
V         Mme Line Beauchesne

º 1620
V         La présidente
V         M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ)
V         Mme Line Beauchesne
V         
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne

º 1630
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Réal Ménard
V         La présidente
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.)

º 1635
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Mac Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Mac Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Mac Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Mac Harb
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Mac Harb
V         La présidente
V         M. Lee

º 1640
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Lee
V         La présidente
V         Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.)

º 1645
V         Mme Line Beauchesne
V         Mme Carole-Marie Allard
V         Mme Line Beauchesne

º 1650
V         Mme Carole-Marie Allard
V         Mme Line Beauchesne
V         Mme Carole-Marie Allard
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne

º 1655
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Ménard
V         Mme Line Beauchesne

» 1700
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente

» 1705
V         Mme Line Beauchesne
V         M. Réal Ménard
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente

» 1710
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         Mme Line Beauchesne
V         La présidente
V         M. Derek Lee
V         Mme Line Beauchesne

» 1715
V         M. Derek Lee
V         La présidente
V         M. Harb
V         Mme Line Beauchesne

» 1720
V         La présidente
V         M. Ménard
V         
V         La présidente










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 030 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 11 mars 2002

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington)): Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments et nous sommes très heureux d'accueillir parmi nous, Mme Line Beauchesne, de l'Université d'Ottawa.

[Français]

+-

     de l'Université d'Ottawa, Mme Line Beauchesne. Soyez la bienvenue, Line.

[Traduction]

    Je vous prie de commencer et nous poursuivrons avec une période de questions.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne (professeure titulaire, Département de criminologie, Université d'Ottawa): Merci de votre invitation.

    Je vais faire une présentation sur la prévention. Je donne plusieurs formations aux parents sur la prévention. Je pense que vous êtes en train de réfléchir sur une politique en matière de drogues. J'ai préparé un document qui ratisse beaucoup plus large, qui touche aux conventions internationales et à la réduction des méfaits. Mais je pense que tout ça n'a pas beaucoup d'importance si on ne comprend pas le but, si on ne s'entend pas sur le but de la politique. Le but est de prévenir l'abus des drogues. Cela a l'air innocent, mais on va voir, en élaborant sur ce que signifie prévenir l'abus des drogues, qu'il y a déjà des choix politiques qui doivent être faits dans cette petite phrase. Il est certain que si on ne s'entend pas sur ce que signifie prévenir l'abus des drogues, vous aurez beau financer à coups de millions un organisme pour coordonner une politique en matière de drogues, cet organisme ne coordonnera rien du tout.

    Il est écrit sur la première page du document: Guide aux parents pour agir dès l'école primaire parce que c'est à des parents qui ont des enfants à l'école primaire que je donne ces formations.

    En 1985, pour le gouvernement, j'avais fait un bilan des programmes de prévention d'abus des drogues pour trouver quels sont les indices qui montrent ce qu'est un bon programme de prévention d'abus des drogues. Cela avait donné lieu à ce livre-ci. Ce n'est pas un livre que je vous recommande, car c'est ennuyeux comme la pluie. C'est un bilan des différents programmes. Cependant, les trois indices qui en ressortent sont encore valables aujourd'hui.

    Le premier indice qui ressortait, c'était que lorsqu'on veut faire la prévention de l'abus des drogues, il faut parler de l'ensemble des drogues, c'est-à-dire les drogues licites et illicites. Si on fait de la prévention en parlant aux enfants de nos drogues comme si elles étaient dans un monde complètement à part, on fait déjà fausse route. Pourquoi?

    Je vais vous donner un petit exemple que j'ai vu à la porte: le Comité sur l'usage non médical des drogues ou médicaments. Aux dernières nouvelles, les médicaments étaient des drogues. Donc, quand on fait des sauts comme celui-là, c'est qu'on sépare d'une façon artificielle, pour l'enfant, les drogues licites et illicites. Et l'enfant voit déjà des situations en matière de drogues qui l'incitent à se poser des questions dès qu'il est petit, ce qui nous permet de commencer dès lors la prévention.

    Par exemple, il a déjà vu son oncle qui avait trop bu, qui a rendu tout le monde mal à l'aise et qu'on a sorti de la pièce. Il se pose déjà des questions. Il y a là une occasion de parole pour le parent. Il se rend compte qu'il y a des discours sur la cigarette, des discours contre la cigarette, que ça crée des tensions et qu'il y a des gens qui fument malgré tout. Donc, il se pose déjà des questions. Il se rend déjà compte également que les mots mêmes, les mots « drogue », « cocaïne » et « héroïne », ont une portée émotive, comme il se rend compte, lorsqu'il entend les premiers mots sur la sexualité, que ces mots ont une charge émotive pas comme les autres.

    Donc, l'enfant commence toute une interrogation sur la drogue et ses effets. Il ne faut pas attendre que des habitudes de consommation de produits pas nécessairement illicites soient prises. On va en reparler un peu tout à l'heure. Donc, c'est le premier élément. Il est important de parler de l'ensemble des drogues pour tenir un discours cohérent.

    Je regardais à ce propos le chapitre 11 du rapport du vérificateur général. Il fait ce truc-là. À un moment donné, il parle des drogues illicites et de l'alcool et il essaie de séparer les deux, ce qui fait qu'il passe d'une philosophie à l'autre. J'aurai l'occasion de dire ce que ça implique un peu plus loin.

    On a aussi intérêt à parler de l'ensemble des drogues parce qu'on a dépossédé les parents. À chaque fois que je donne des formations aux parents, les parents me disent qu'ils laissent cela au spécialiste ou à l'expert à l'école. Je dis au parent que c'est lui, l'expert en prévention, que c'est à lui de parler en premier lieu de la sexualité et des drogues à ses enfants. La prévention, ça se fait au quotidien. Ah, mais je ne connais pas tous les produits, me dit-il. Quand on met l'accent sur des produits illicites dont il faut connaître les effets, le parent se sent incompétent. Mais quand on parle de l'ensemble des drogues, le parent a des expériences de drogues. On aura l'occasion d'en reparler.

¹  +-(1540)  

    Le deuxième élément qui ressortait des programmes qui avaient du succès, c'était le fait de parler de l'ensemble des motifs de consommation. On ne consomme pas des drogues, tant licites qu'illicites, uniquement parce que ça va mal. On peut consommer pour le plaisir, par curiosité, par habitude, par utilité. On consomme pour toutes sortes de raisons, et c'est de ça qu'il faut parler pour comprendre les motifs qui peuvent déraper et les motifs qui peuvent s'avérer plus appropriés.

    Enfin, le troisième indice qui ressortait des programmes de prévention, c'est qu'il fallait que le sujet soit abordé très tôt par des adultes significatifs pour le jeune, surtout les parents.

    Aujourd'hui, pour ce qui est des drogues, nous sommes un peu comme dans les années 1950 ou au début des années 1960, alors que les parents attendaient la veille du mariage pour expliquer la nuit de noces à leur enfant.  Souvent, on avait déjà des connaissances, quand ce n'était pas déjà bien consommé. On est un peu dans la même situation pour les drogues. On se dit qu'on va attendre que l'enfant soit rendu à certain âge pour lui en parler et avoir une bonne discussion avec lui, comme s'il n'y avait pas d'information qui était déjà accumulée, comme s'il n'y avait pas, comme c'est souvent le cas, des premières expériences qui ont déjà été faites.

    Donc, il faut savoir aborder le sujet très tôt et, pour aborder le sujet très tôt, on a déjà des compétences. Quand un enfant de 5 ou 6 ans nous demande d'où viennent les enfants, on ne se dit pas qu'on n'est pas biologiste et qu'il faut sortir un livre de biologie pour lui montrer l'anatomie du corps de l'homme et de la femme. On lui donne des réponses adaptées à son âge.

    En matière de drogues aussi, les premières questions sur la dépendance et les drogues commencent très tôt, et il est important de commencer à donner des débuts de réponses très tôt afin que quand cela s'articule, ce soit un savoir qui s'élargisse et non un savoir qui arrive de nulle part.

    L'autre élément qui ressort, c'est que ce n'est pas la prévention du produit qu'il faut faire, mais bien la prévention du besoin du produit. On veut prévenir un rapport négatif avec un produit. Donc, c'est sur ce besoin qu'il faut axer l'attention.

    Qu'est-ce qu'une bonne prévention avec ces éléments? Une bonne prévention se fait au quotidien, au fur et à mesure que le savoir se développe. Elle centre son action sur le besoin du produit et elle cherche à prévenir des situations de dépendance. Qu'est-ce que la dépendance?

    La dépendance, comme il y a sûrement des gens qui vous l'ont dit, est toujours une interaction entre un produit, une personne et un environnement. Très peu de dépendances sont physiques. La plupart sont psychologiques. Toute dépendance physique implique une dépendance psychologique, mais toute dépendance psychologique n'implique pas une dépendance physique.

    Je vais donner quelques exemples parce que la notion de dépendance est très importante. On met beaucoup l'accent sur le produit. Il y en a sûrement quelques-uns parmi vous qui sont des consommateurs de café. Que diriez-vous si je vous disais que je vais remplacer votre café par une petite pilule de caféine, que vous n'aurez plus à prendre de café et que vous allez avoir quand même votre dose de caféine? Ce n'est pas juste ça, prendre du café. Prendre du café, ce n'est pas juste prendre une dose de caféine. C'est tenir sa tasse chaude, aller la réchauffer, la mettre à côté, se brosser les cheveux, la réchauffer au micro-ondes, la reprendre... On a tous un rituel accroché au café. Arrêter de prendre du café, ce n'est pas juste arrêter de prendre de la caféine.

    La nicotine, c'est la même chose. Arrêter la cigarette au plan physique, ce n'est rien du tout. C'est une affaire de quelques jours. Si c'était juste ça, arrêter la cigarette, les gens qui fument demanderaient qu'on les enferme dans une chambre et qu'on les en sorte au bout de quelques jours. Ce n'est pas juste ça, arrêter la cigarette.

    La dépendance psychologique est la plus difficile. Pourquoi? Il y a le deuil du plaisir de fumer, toutes les émotions et tous les moments où on a mis des émotions dans la fumée, la détente que ça nous donnait à certains moments.

    C'est la même chose dans le cas des drogues. Il faut comprendre qu'une dépendance est une interaction entre un produit, une personne et un environnement. Une dépendance, c'est tout ça, et on ne peut pas dire qu'il s'agit de sevrer la personne du produit. On parle beaucoup du sevrage. D'ailleurs, à mon avis, on accorde beaucoup trop d'importance au sevrage. Le sevrage est la partie spectaculaire quand quelqu'un arrête une drogue, mais c'est la partie anodine. Le travail commence lors du traitement, quand on se penche sur le bris et le deuil de la dépendance psychologique.

¹  +-(1545)  

    On a souvent tendance à se demander pourquoi une personne ne décide pas d'arrêter quand elle voit que ça va mal, ou pourquoi une personne rechute. Quand je vous parle, je suis en train de parler à des parents dans ma tête. Je suis en train de leur dire qu'ils peuvent dire tout cela à leurs enfants au fur et à mesure que cela se déroule. Ils connaissent tout cela.

    J'imagine que vous avez tous vécu une rupture amoureuse qui n'a pas été très heureuse. On va le supposer. Pendant que vous étiez dans la relation amoureuse, vous ne vous êtes pas dit un bon jour que vous faisiez le bilan et que, puisqu'il y avait plus de négatif que de positif, vous alliez faire votre valise et partir. Il y avait du négatif, mais comme il y avait aussi un peu de positif, vous vous êtes dit que vous restiez parce que l'inconnu vous faisait peur, parce que partir vous faisait peur. Cela voulait dire être tout seul et vous vous demandiez si, au fond, ce serait mieux. Quand vous aviez trop peur de l'inconnu, vous recherchiez tous les petits côtés positifs de la relation et, quand vous avez finalement mis fin à la relation, peut-être au bout de deux ans, vous êtes sorti de là et vous vous êtes demandé pourquoi vous n'étiez pas parti plus tôt. Vous n'êtes pas parti plus tôt parce que vous étiez dépendant. L'interaction entre le produit, la personne et l'environnement fait toujours un tout.

    Au bout de trois semaines, vous n'avez pas encore d'attaches dans le nouveau. Vous trouvez cela difficile. Votre ancien compagnon ou compagne vous rappelle et vous invite à aller souper. Vous vous dites qu'il n'était peut-être pas si mauvais que cela et vous avez envie de retourner avec lui. Vous retournez avec votre compagnon ou votre compagne parce que vous n'avez pas encore de racines dans le nouveau.

    C'est pareil dans le cas des drogues. En d'autres termes, on en a fait un univers complètement à part, qui fait que les gens ne sont plus capables de faire de la prévention. Il faut arrêter de faire des drogues illicites cet univers à part qu'il n'est pas. Faire de la prévention, parler de la dépendance aux drogues, ce n'est pas un univers à part. Il existe des dépendances, même aux drogues licites. Dans le cas des drogues illicites, même dans cette ambiance de réduction des méfaits--on pourra y revenir lors de la période des questions, car je n'aurai pas le temps d'aborder cela maintenant--, cela peut donner des messages en porte-à-faux. Je le vois avec les parents.

    Par exemple, les parents me demandent souvent si le cannabis ou l'Ecstasy cause une dépendance moins forte que telle autre drogue. Cela n'a pas d'importance. Le cannabis ne cause à peu près pas de dépendance physique. J'ai parlé tout à l'heure de la dépendance psychologique. Un jeune peut décider de se faire un mur avec le cannabis et se dire que le monde est à l'extérieur. Il se fait une bulle avec le cannabis. Une dépendance psychologique peut très bien exister sans dépendance physique, et c'est tout aussi difficile. C'est là qu'est la partie difficile de la dépendance. Une dépendance est négative lorsqu'on a pris l'habitude d'un produit pour gérer sa vie au point de ne plus la gérer. Que le produit crée une dépendance physique ou non, c'est un ajout.

    Quand on fait porter tout le poids sur le cannabis, comme à l'heure actuelle, ou qu'on dit que le cannabis crée probablement moins de dépendance ou très peu de dépendance, les parents se disent qu'ils n'ont rien à craindre puisque leur enfant ne consomme que du cannabis, plutôt que de s'interroger sur le rapport qu'il a développé avec le produit.

    En ce moment, on se retrouve avec les deux extrêmes: des parents qui sont totalement paniqués parce que l'enfant a essayé du cannabis une fois, mais aussi des parents qui ne paniquent plus du tout parce que leur enfant fume du cannabis, qui n'est pas une drogue dangereuse. Ils ne s'interrogent pas sur le rapport que le jeune a développé avec le produit.

    Je disais qu'en prévention, il faut parler du produit, de la personne et de l'environnement. C'est cela que je vais aborder dans la deuxième partie.

    L'environnement, il est de deux ordres en matière de drogues. Il y a le marché illégal. Quand on fait de la prévention, on a beaucoup tendance à confondre les effets du marché noir et les effets des produits. J'ai vu cela dans le document du vérificateur général, d'ailleurs.

    Par exemple, lorsqu'on a eu le marché noir du tabac, il y a eu de la violence. Des gens en ont vendu dans les hôpitaux, des jeunes en ont vendu dans des écoles, des infirmières en ont vendu dans des foyers de personnes âgées.

¹  +-(1550)  

+-

     Il y a eu plein de choses. Est-ce que ce sont les effets de la nicotine ou du marché noir? En d'autres termes, il ne faut pas confondre les effets du marché noir et les effets des drogues, ce qu'on fait beaucoup dans le cas des drogues illicites.

    Par exemple, le document du vérificateur général dit à un endroit--je le lisais ce matin et c'est pour ça qu'il m'est frais à la mémoire--que les terroristes se financent avec les drogues illicites parce que ces drogues sont sur le marché noir. Si ces drogues étaient sur un marché légal, elles ne constitueraient pas le marché payant qu'elles sont à l'heure actuelle. Donc, il ne faut pas confondre les effets des drogues et les effets du marché.

    Les parents peuvent dire qu'ils craignent les effets du marché noir. Ils peuvent en parler à leurs enfants et leur dire qu'ils ont peur des drogues illicites parce que les marchés sur lesquels elles circulent leur font peur. On peut dire cela et lorsqu'on dit cela, on ne confond pas les effets des drogues et les effets du marché.

    Le deuxième élément dont les parents peuvent parler, c'est qu'il n'y a aucun contrôle de la qualité des produits et qu'il est plus difficile d'apprendre à gérer cela. Je leur donne souvent un exemple: s'ils prennent un verre de bière sans savoir si la bière contient 2 p. 100, 15 p. 100 ou 30 p. 100 d'alcool, c'est difficile d'apprendre à gérer le produit. Est-ce parce que la bière est nocive ou non? C'est qu'il n'y a pas de contrôle sur la qualité du produit et qu'il est difficile d'apprendre à gérer un produit dont la qualité n'est aucunement contrôlée.

    Également, sur les sites de santé, on parle aux parents de l'Ectasy, cette petite pilule qui fait ceci ou cela. Je ne trouve pas que c'est le grand danger pour les jeunes. Le grand danger pour les jeunes, c'est que quand on leur met une petite pilule dans les mains et qu'on leur dit que c'est de l'Ectasy, ils n'ont aucun moyen de savoir si c'est cela qu'ils ont dans les mains.

    Les saisies policières montrent qu'il y a énormément de produits frelatés. Lorsqu'il y a des intoxications, les gens disent qu'ils ont mêlé de l'alcool, deux petites pilules bleues et une pilule rouge. C'est difficile de gérer des produits comme ceux-là.

    Les parents sont capables de parler de ça, de dire que, parce qu'on est sur un marché noir, il n'y a pas de contrôle sur la qualité des produits et il y a des usages qui deviennent très risqués. Avaler quelque chose dont on ne sait pas ce qu'il contient est risqué. On n'a pas besoin de connaître tous les risques des produits.

    La troisième chose que les parents peuvent dire, c'est que la sollicitation est beaucoup plus active sur le marché noir. J'entends souvent dire que si les drogues étaient réglementées dans un marché légal, tout le monde pourrait en consommer. Les jeunes sont beaucoup plus sollicités sur un marché noir que sur un marché régulier. Pourquoi? Parce que sur un marché noir, quand on contracte des dettes, il faut les payer, parce qu'on ne passe pas chez le notaire pour faire les règlements d'argent. Donc, il faut vendre les produits. On l'a vu dans le cas du marché du tabac.

    Je vais prendre l'exemple suivant. Vous avez décidé de vous faire un petit revenu en vendant sur le marché noir des cartons de cigarettes à votre lieu de travail. Trois semaines plus tard, vous êtes trois à en vendre. Vous avez pris telle quantité de cartons de cigarettes et vous devez payer. Vous commencez alors à devenir très actif dans votre vente. Au début, vous ne vendiez qu'à ceux qui consommaient, mais maintenant, puisqu'il faut que vous payiez la personne, il faut que vous vendiez votre produit et vous allez commencer à solliciter les gens de façon active. C'est ce que j'appelle la vente Tupperware, c'est-à-dire la vente très personnalisée pour chacun. Donc, on est beaucoup plus actif pour solliciter les jeunes et pour vendre les produits sur un marché noir. Les parents sont capables d'en parler. Ce sont les trois caractéristiques du marché noir.

    Sur le marché légal, maintenant, qui est le deuxième pan de l'environnement, il y a également de la publicité. Le danger ne vient pas d'où on pense. Je n'aurai pas le temps d'élaborer là-dessus, mais dans la publicité, le danger vient du fait que le message est toujours le même. On n'a pas le droit d'être malade: il y a un médicament. On n'a pas le droit d'être triste: il y a un médicament. L'enfant apprend très tôt qu'il y a une drogue pour chaque problème. Ici, c'est moins grave qu'aux États-Unis, parce que nous avons une réglementation beaucoup plus sévère sur les drogues d'ordonnance.

    À un moment donné, j'étais à Washington, à 17 heures, et j'ai vu à la télévision une pub que je n'oublierai jamais. Il y avait la mère de famille qui arrivait à la maison avec ses sacs d'épicerie. Le petit avait répandu tous ses legos et tous ses autres jouets par terre, et on voyait la mère se fâcher et dire au petit de ranger. Le petit court à la pharmacie, va chercher des Tylenol, revient et les donne à sa mère. On voit l'horloge avancer de 20 minutes et la mère jouer par terre avec le petit. Et là on voit: «Pourquoi perdre un bon moment avec votre enfant? Tylenol».

¹  +-(1555)  

Donc, la réglementation est beaucoup moins serrée aux États-Unis et la consommation de médicaments y est beaucoup plus grande aussi.

    La prévention commence là aussi. L'enfant voit des publicités qui lui apprennent qu'on n'est pas censé être triste ou malade, qu'il y a des pilules pour cela. Je trouve qu'on a été très naïf dans le cas du tabac, quand on a décidé d'éliminer toute la publicité sur le tabac. Je vais prendre des chiffres arbitraires pour vous donner un exemple.

    Si j'ai un million de dollars à dépenser en publicité, que je suis une compagnie de tabac et qu'on me dit que je n'ai plus le droit de faire de la publicité dans les journaux ou les magazines ou même de financer les événements sportifs, j'ai toujours mon million de dollars à dépenser en publicité. Bien sûr, je vais fabriquer des briquets avec mes étiquettes et toutes sortes de choses, mais qu'est-ce que je vais commencer à faire? On a d'ailleurs commencé à le faire et, si vous regardez la télévision, vous l'avez sûrement vu. On a commencé à financer des films et des téléromans où on voit des cartons de cigarettes et où on voit le héros fumer. On voit le carton de cigarettes qui a été laissé là. Ce sont de bons montants. On voit apparaître cela parce que cela fait longtemps que les gens qui travaillent en publicité savent que si on veut inciter quelqu'un à commencer à fumer, il faut associer la cigarette à un personnage positif. Ça, c'est la plus grande force de la publicité. Si le héros est quelqu'un qui fume, cela a plus d'impact que n'importe quoi d'autre.

    Une publicité bien réglementée d'un produit n'a pas beaucoup d'impact autre que celui d'orienter quelqu'un vers une marque de produit. En d'autres termes, s'il y a une bonne prévention, le fait de voir des publicités sur la cigarette n'incite pas quelqu'un à commencer à fumer; cela oriente la personne vers une marque plutôt qu'une autre. Par contre, si on laisse la publicité s'infiltrer par le financement de films, comme on le fait à l'heure actuelle, on transmet des messages qui sont autrement plus pernicieux sur des associations entre la cigarette et les héros que voient les jeunes.

    Les compagnies pharmaceutiques et les compagnies de tabac, pas plus que les compagnies de drogue sur le marché noir, ne sont pas des organismes à but non lucratif. La publicité joue pour beaucoup et fait partie de l'environnement sur lequel il faut agir en matière de prévention.

    Parlons maintenant des vulnérabilités. Je parle des vulnérabilités avec les jeunes parce que mon programme s'adresse aux jeunes, mais il y en a dans toutes les catégories d'âges. Il y a trois vulnérabilités qui ont été identifiées.

    La première est l'urgence. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'espace, dans le milieu familial, pour exprimer un malaise ou même pour discuter du sujet. En d'autres termes, dans la maison, il n'y a pas d'espace où il n'y a pas d'idées préconçues à part «fais tes devoirs», «prends ton bain», «range ta chambre», «ne sors pas trop tard», «il faut que je te parle», «tu n'as pas tondu le gazon». Dans cet espace, on est toujours en train de donner des consignes ou de faire des choses utilitaires. Il n'y a pas d'espace de dialogue libre avec les enfants. Je dis aux parents de se demander s'il y a des lieux de dialogue libre dans la maison. Souvent, les parents et les enfants sont pressés. Quand bien même on aurait de bonnes intentions de prévention, s'il n'y a aucun moment qui existe pour que ce dialogue ait lieu au fur et à mesure que l'enfant grandit, cela devient difficile de le faire. C'est une des choses qui reviennent dans le cas des jeunes qui ont des problèmes de consommation. Lorsqu'on leur demande s'ils en ont parlé à leurs parents, ils disent que les parents n'en ont pas le temps. 

    La deuxième est la réussite à tous crins: il n'y a pas de place pour l'échec. Les jeunes sentent qu'ils déçoivent toujours leurs parents, qu'ils ne sont jamais à la hauteur. Les parents disent souvent aux autres que leur fils ou leur fille est super, mais ils ne le disent pas à leur fils ou à leur fille. À leur fils ou à leur fille, ils disent qu'il aurait pu avoir de meilleurs notes en mathématique et en français. Quand on a l'impression de toujours décevoir, on ne se protège plus. Pourquoi se protéger quand, de toute façon, on échoue toujours? Donc, la deuxième vulnérabilité qui ressortait, c'est qu'il n'y avait pas de place pour l'échec.

º  +-(1600)  

    La troisième, c'est l'individualisme ou l'isolement. Je ne suis pas en train de parler ici d'un jeune qui n'est pas entouré de monde. Je parle d'un jeune qui ne peut pas se confier à quelqu'un d'autre. Comme vous le savez, on n'a pas 50 amis; on en a deux ou trois à qui on se confie. Eh bien, le jeune a besoin de cela aussi, surtout si les parents n'ont pas beaucoup de temps à lui consacrer. Le jeune a besoin, quand ça va mal, d'avoir des amis à qui parler. Chez les jeunes, ce sont les trois grandes vulnérabilités qui existent en matière de toxicomanies.

    Pour ce qui est des produits, on m'a dit que les autres témoins vous en avaient passablement parlé. Donc, j'indique aux parents les grandes catégories de produits. Je n'insisterai pas là-dessus puisque vous avez déjà eu des témoignages là-dessus.

    Donc, que signifie la prévention? Premièrement, il s'agit de reconnaître les réalités dans le vocabulaire utilisé pour ne pas faire du sujet des drogues illicites un monde à part. Je vous donne l'exemple d'une phrase que j'ai vue dans une publicité en matière de drogues. On disait ceci: «Luttons contre l'alcoolisme et les drogues.» Il y a trois erreurs dans cette phrase-là. Pourtant, elle est simple.

    La première est: «luttons contre». On est en guerre, et non en prévention. Si on veut faire de la prévention, il va falloir lâcher ce vocabulaire de guerre.

    La deuxième est: «l'alcoolisme et les drogues». Quand on dit «alcoolisme», on reconnaît qu'on peut boire de l'alcool et devenir alcoolique. On fait une différence entre l'usage et l'abus. Quand on dit «les drogues», il n'y a plus de différence entre l'usage et l'abus. Il y a juste l'abus qui est possible. En plus, l'alcool est une drogue. On dit toujours: «l'alcool et les drogues». L'alcool est une drogue. Vous ne verrez pas cette phrase-là, mais je peux toujours la rêver. Si on voulait voir une phrase qui traduise la réalité de la dépendance, il faudrait lire: «Prévenons les toxicomanies» et, entre parenthèses, «y inclus l'alcoolisme, les abus de médicaments, le tabagisme, etc.» Mais comme on veut faire un monde à part des drogues illégales, on n'écrit pas ce genre de phrase.

    Le deuxième élément de la prévention est de garder le sujet ouvert et centré sur la personne. Voici un exemple. Quand je vois un jeune dans une école, à 10 heures le matin, qui boit une bière ou fume un joint, la question est toujours la même: «Qu'est-ce que tu as? Qu'est-ce qui se passe?» Mon interrogation doit-elle porter sur le produit ou sur la personne? On est trop centré sur le produit. Au lieu de dire: «Si jamais je te vois fumer un joint...», on devrait plutôt dire: «Eh bien, si jamais tu en consommes, j'aimerais le savoir parce que cela m'inquiète.» Donc, c'est la personne, et non le produit, qui doit être le centre.

    D'ailleurs, je trouve une chose inquiétante. Sous la pression des compagnies pharmaceutiques, il nous arrivera bientôt des États-Unis des petits kits qu'on pourra trouver en pharmacie et qui permettront aux parents de détecter si leur enfant prend des drogues. Je trouve cela épouvantable.

    Le troisième élément est d'éviter les clichés qui reviennent facilement et qu'on a tellement entendus, c'est-à-dire confondre prendre de la drogue et être drogué. La drogue n'est pas un phénomène de jeunesse. Les personnes âgées ont leurs toxicomanies. Les femmes ont leurs toxicomanies. Il y a des drogues à tous les âges. Il y a des types de toxicomanies propres aux vulnérabilités des différents âges. Donc, il y a des vulnérabilités propres à la jeunesse, mais il n'y a pas juste la jeunesse qui prend des drogues.

    Les drogues illicites ne sont pas plus dangereuses que les autres, mais le marché noir les rend plus dangereuses. Par exemple, lorsqu'il y a eu la prohibition de l'alcool, l'alcool qui circulait n'était pas de la bière à 0,5 p. 100. C'était de l'alcool à 80 p. 100 et à 60 p. 100, de l'alcool frelaté, du moonshine qui envoyait les gens à l'hôpital. Quand on a légalisé à nouveau l'alcool, on n'a pas légalisé l'alcool frelaté. On a fait la distinction entre les boissons à haute concentration d'alcool et les boissons à basse concentration. Donc, légaliser les drogues, ce n'est pas mettre sur le marché régulier les cochonneries du marché noir. Le marché noir développe des produits durs, propres à ce type de marché, pour faire de l'argent.

    De la même manière, il n'y a pas de drogues douces et de drogues dures; il y a des usages durs et des usages doux de drogues, et des usages appropriés et inappropriés. Je peux prendre une bière à 10 heures le matin et prendre la même bière chez des amis à 10 heures le soir. J'ai pris une bière. Dans un cas, c'est un usage approprié et dans l'autre, c'est un usage inapproprié.  

º  +-(1605)  

Je peux m'injecter de la caféine ou en boire en tisane. Dans le premier cas, il s'agit d'un usage dur alors que dans l'autre, il s'agit d'un usage doux. Le pape a bu des tisanes de coca en Bolivie et, aux dernières nouvelles, il n'était pas devenu délinquant. Il a fait un usage relativement doux de coca.

    Une autre chose que l'on entend, c'est qu'il suffit d'essayer une fois pour que l'escalade s'ensuive. Ça aussi, c'est un mythe. On pourra y revenir, si ça vous intéresse, mais je n'insisterai pas trop là-dessus parce que vous avez déjà entendu de bons invités à ce propos.

    Détecter un jeune à risque, c'est possible. Un jeune à l'adolescence passe déjà par toutes les couleurs en dehors des drogues. Donc, comment peut-on détecter ce qui provient et ce qui ne provient pas des drogues? Je pense que si l'on centre l'oeil sur la personne, c'est la meilleure façon de la protéger.

    La véritable prévention, en somme, n'est pas de fournir de l'information sur les dangers des drogues. C'est plutôt de prévenir le besoin du produit en centrant l'action sur la prévention des éléments qui peuvent créer une interaction négative entre le produit, la personne et son environnement. Le but de la prévention, au niveau du produit, est de réduire les méfaits des drogues liés à des usages inappropriés ou trop à risque. Au niveau de la personne, le but est de réduire les conditions de vulnérabilité des jeunes et, au niveau de l'environnement, le but est de réduire tant les effets négatifs de la commercialisation propre au marché légal que les risques qu'ajoute, dans l'environnement du jeune, la prohibition actuelle de certaines drogues.

    C'est la fin de ma présentation. Comme je l'ai signalé à la recherchiste, mon texte porte, entre autres, sur les conventions, la réduction des risques et les lois. Je n'ai présenté qu'une partie de mon texte, mais les questions peuvent être beaucoup plus larges.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, madame Beauchesne.

    Kevin ou Randy.

[Traduction]

+-

    M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Je vous remercie de votre présence.

    Vous avez consacré pas mal de temps à parler non pas de l'interdiction de vendre le produit, mais du besoin du produit. J'ai de la difficulté avec cela, parce que les besoins de chaque personne sont différents. Est-ce que vous préconisez que nous ne devrions pas interdire quelque produit que ce soit? Est-ce que nous parlons actuellement de légalisation de tous les produits ou de légalisation de produits contenant des drogues illicites? Vous êtes professeur titulaire du Département de criminologie; je me demande ce qu'on en pense dans ce domaine et ce que vous enseignez aux personnes qui défendront ce genre de chose.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Il faut faire attention. Ce que j'ai dit, c'est que l'objet de la prévention, c'est le besoin des produits. C'est le travail de l'État que d'assurer la qualité des produits. L'État est responsable de cela. Quand j'achète une pinte de lait, il y a une date de péremption et la qualité en est assurée par l'État.

[Traduction]

+-

    M. Kevin Sorenson: Est-ce qu'ils sont chargés de voir à la sûreté des produits illicites. Voilà où je veux en venir.

º  +-(1610)  

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Je vais présenter ma réponse en trois parties.

    D'abord, dans le cas des drogues pharmaceutiques, il y a déjà des scandales parce qu'il y a des contrôles en place qui ne sont pas tout à fait bien.

    Au niveau du tabac, à mon avis, l'État ne fait pas son travail. Les méfaits pourraient être grandement réduits si on contrôlait davantage les compagnies de tabac.

    Au niveau des drogues illégales, le gouvernement a choisi de prohiber des drogues en abandonnant totalement le contrôle de la qualité des produits. Ces produits sont devenus dangereux en raison de leur illégalité, comme l'alcool est devenu beaucoup plus dangereux, lors de la prohibition, à cause de l'illégalité.

    Voilà pourquoi je dis que lorsqu'on réfléchit à la solution du problème, ou plutôt à une meilleure politique, puisque «solution» est un mot trop fort, il faut s'interroger sur le fait que la prohibition de produits les rend plus dangereux. Ça, c'est le questionnement auquel l'État doit se livrer. Comme ce ne sont pas les parents qui écrivent les politiques, ils doivent se livrer à un autre questionnement et se dire qu'il y a des produits sur le marché noir et que ces produits-là sont plus dangereux parce qu'ils sont justement sur le marché noir.

    J'ai parlé de la capacité qu'ont les parents de parler de l'environnement que créent ces produits. Lorsqu'on arrive au niveau politique et que l'on s'interroge sur la prévention, on doit s'interroger sur les lois parce qu'on crée des produits beaucoup plus dangereux en ayant recours à la prohibition.

[Traduction]

+-

    M. Kevin Sorenson: Mais il ne relève pas du gouvernement de s'occuper des produits illicites; il n'en revient pas au gouvernement de s'occuper de la sécurité des Canadiens. Si nous avons un produit qui est illégal, qui ne devrait pas se trouver au Canada, que nous pouvons prohiber et dont nous pouvons empêcher l'entrée au Canada, avec l'aide des garde-frontière, si nous faisons tout en notre pouvoir pour empêcher ces produits d'entrer au pays, tout ce que nous pouvons pour en limiter la production dans notre pays, il ne revient pas au gouvernement de s'assurer que le produit est sûr, le gouvernement doit s'assurer que les Canadiens sont en sécurité. Si nous affirmons que notre responsabilité à titre de gouvernement est d'assurer la sécurité des Canadiens, peut-être que notre responsabilité se limite à prohiber le produit. Nous savons qu'il se retrouvera sur le marché noir. Il y aura toujours quelque chose sur le marché noir, à moins que vous soyiez complètement libertins et que vous nous suggériez de tout simplement ouvrir les frontières à n'importe quoi. Je ne suis pas d'avis que le gouvernement doive assurer la sûreté du produit, mais plutôt qu'il est responsable de la sécurité de la population canadienne.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Si vous dites que la responsabilité du gouvernement est de préserver la sécurité des Canadiens, expliquez-moi en quoi ça préserve la sécurité des Canadiens que d'assurer la croissance d'un marché noir de la drogue, de rendre des produits plus dangereux. À l'heure actuelle, la prohibition rend ce marché florissant. Avec l'argent, on se paie des chimistes, une croissance de marché, une croissance de culture. Ce marché connaît une croissance fulgurante grâce à la prohibition.

    Aux dernières nouvelles, les lois étaient faites par les gouvernements. Donc, le gouvernement est quand même responsable de ces lois. Les produits ne sont pas devenus illégaux comme ça. Ils sont devenus illégaux à cause des Américains, si on veut de l'histoire, mais on a quand même la capacité de prendre certaines distances.

    Donc, oui, le gouvernement est responsable de la sécurité des Canadiens, et l'outil qu'il a entre ses mains pour cette responsabilité, entre autres, c'est les lois. Oui, il y a aura toujours des marchés noirs, mais on en a créé un qui est le plus lucratif, le plus dommageable pour la santé. C'est un peu comme si vous me disiez que ça ne vaut pas la peine de commencer à faire du recyclage dans les maisons parce qu'il y aura toujours des industries qui polluent.

    Ce n'est pas la question. La question est de savoir si ce serait mieux ou pire comme situation. On peut aller vers le mieux; on peut aller vers le pire. Le laisser-faire, à mon avis, ne fait qu'accroître la puissance du marché noir et diminuer la sécurité des Canadiens quant aux drogues.

[Traduction]

+-

    M. Kevin Sorenson: Peut-être que le 95 % attribué à la sensibilisation aux drogues ou peu importe ce qui est attribué à l'application de la loi et à l'interdiction n'est pas suffisant. Peut-être faudra-t-il tout simplement apprendre à dire, non, nous allons le prohiber. Nous allons reconnaître qu'il y aura toujours un marché noir, mais vous savez quoi? Nous allons investir davantage, nous allons faire appliquer la loi davantage, nous allons tout faire pour le rendre prohibitif. Et je vous dirai pourquoi.

    Il y a deux philosophies. Il y a celle de l'enfant qui est placé devant une enseigne affichant «ne pas toucher»: il veut absolument y toucher. C'est la philosophie que vous préconisez en ce moment. Nous pouvons retourner à la philosophie de la pomme dans l'arbre: ne touchez pas à cette pomme, et ils finissent par y toucher. Il y a deux façons d'aborder la question. Vous l'interdissez, en reconnaissant qu'il y aura toujours des personnes qui vont l'essayer ou vous le légalisez, en reconnaissant que tout un autre groupe de personnes en souffriront. Je ne suis toujours pas persuadé que la solution est de simplement dire non, interdissons-le, les conséquences sont moindres. Oui, il y en aura sur le marché noir; il y aura des personnes qui en consommeront illégalement, mais nous l'interdirons. S'ils ne prennent pas leur responsabilités, il devront en assumer les conséquences. Toutefois, à titre de gouvernement, nous ne pouvons garantir la sécurité de tous les produits qui sortent sur le marché.

º  +-(1615)  

+-

    La présidente: Avez-vous un commentaire? Aussi, je ne suis pas certaine que vous avez répondu à la première question. Vous avez bien dit que vous souhaitez réduire le besoin de la drogue plutôt que de mettre l'accent sur cette drogue en particulier.

+-

    M. Kevin Sorenson: Ne pas faire la prévention du produit, mais la prévention du besoin du produit.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Je peux résumer ce que j'ai expliqué. J'ai dit que lorsque les parents étaient en prévention, pour que la prévention soit efficace, l'accent devait être mis sur le besoin du produit. Si on met l'accent sur les produits plutôt que sur le besoin des produits, on ne fait pas de prévention sur la vulnérabilité du jeune à prendre des produits. Je vais prendre l'exemple suivant. C'est un peu comme si on mettait l'accent au niveau du suicide chez les jeunes, ce que l'on fait d'ailleurs, et que l'on disait qu'il faut éliminer les cordes avec lesquelles ils se pendent. Le problème n'est pas la corde. Oui, il lui fallait une corde pour se pendre, mais le problème était la déprime, le besoin qu'avait eu le jeune de se tuer. Vous me corrigerez, monsieur Ménard, si ce n'est pas confirmé, mais de la même façon, on veut faire une espèce de petite bordure sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal, pour empêcher les gens de se suicider, comme si la cause du suicide était le pont. C'est ridicule. Je dis ici que c'est la même chose en prévention, c'est-à-dire que la cause n'est pas le produit; la cause est le besoin du produit. C'est la même image.

    Par contre, je disais aussi que si on se transpose au niveau politique et qu'on fait une politique en matière de prévention au niveau du gouvernement, le gouvernement a une responsabilité quant aux produits qui circulent, et là se pose la question des lois. Mais il faut faire la distinction: le parent n'est pas celui qui fait les lois. Le parent, lui, s'interroge sur le besoin du produit et constate qu'il y a un marché légal et un marché illégal. Mais sa préoccupation, c'est le besoin du produit.

[Traduction]

+-

    M. Kevin Sorenson: Mais en attendant, ne devrions-nous pas placer une barrière pour les empêcher de sauter?

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Vous n'en mettez pas, une barrière. À l'heure actuelle, au contraire, vous leur offrez davantage de drogues, davantage de produits, davantage de sollicitation. Si la police n'était pas là, les gens du marché noir l'inventeraient. Ils en ont besoin pour faire monter les prix et les profits. Ils en ont besoin pour enlever leurs mauvais vendeurs du marché, mais ils font des millions et même des milliards de dollars. Même si tous les policiers travaillaient là-dessus, trop de gens en vivent pour que la police puisse arrêter quoi que ce soit. De toute façon, beaucoup de policiers qui ont travaillé sur les drogues ont reconnu que ce n'était pas une question d'argent et de moyens. Des millions de personnes vivent du marché des drogues et des milliards de dollars en sont faits.

    Donc, ce n'est pas une question d'augmenter la répression. La répression régule le marché. Elle lui permet de justifier ses prix et d'éliminer les mauvais vendeurs, mais elle ne nuit pas au marché. N'importe quel policier va vous dire que la police ne touche que 10 à 15 p. 100 du marché. C'est tout. J'ai participé à suffisamment de commissions dans le monde pour savoir que ce sont toujours les mêmes chiffres qui ressortent: 5, 10, 15 p. 100. Elle ne diminue pas non plus l'usage et le trafic, non plus que le blanchiment d'argent. C'est une rigolade. La police n'est pas capable de toucher à cela non plus. Tout les pays qui ont une certaine relativité, qui n'ont pas d'autres sources de revenus veulent blanchir de l'argent.

    Alors, en augmentant la répression, on ne réussit rien. Tout ce qu'on fait, c'est laisser faire un marché noir qui va encore davantage solliciter les jeunes ou d'autres catégories de clientèles.

º  +-(1620)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Monsieur Ménard.

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.

    J'ai quatre questions pour vous, madame Beauchesne.

    Vous qui connaissez bien la question des différentes stratégies d'intervention par les pouvoirs publics et qui avez un peu voyagé, si vous aviez à nous citer un pays qui correspond le plus à vos aspirations en termes d'interventions publiques, quel serait votre choix?

    Je vous pose mes quatre questions en rafale. Comme ça, vous pourrez y répondre l'une à la suite de l'autre.

    Deuxièmement, quel bilan faites-vous de la défunte stratégie nationale antidrogue? Je dis défunte parce qu'en principe, il n'est pas censé y avoir de nouveaux fonds reconduits pour la stratégie.

    Troisièmement, à notre deuxième séance, lorsque les hauts fonctionnaires de différents ministères sont venus nous rencontrer, ils ont remis en cause la capacité qu'aurait le Canada de faire face à ses obligations internationales en tant que signataire de différents traités si on légalisait la marijuana. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

    Finalement, je sais que depuis 1994, il n'y a pas vraiment eu d'études dignes de ce nom sur les tendances de la consommation de drogues au Canada. Vous-même, est-ce que vous avez pu faire une petite investigation afin de déterminer quelles sont les tendances ou quel est l'état de la situation quant aux différents types de consommation? Avez-vous des informations à partager avec le comité là-dessus?

+-

    Mme Line Beauchesne: À la première question, à savoir s'il y a un pays qui a une démarche plus intéressante que les autres, je réponds les Pays-Bas.

+-

     Pourquoi les Pays-Bas? Parce que, comme vous le savez, ils ont fait la Commission Baan, qui est arrivée à des résultats relativement similaires à ceux de la Commission Le Dain, avec des études relativement similaires. La différence est qu'ils ont pris le rapport et qu'ils ont fait un suivi plutôt que de le tabletter comme on l'a fait ici.

    Je trouve ça intéressant parce que la théorie de réduction des méfaits s'est politisée dans les années 1980, mais c'est une vieille théorie. Les Pays-Bas n'ont pas attendu le sida pour se dire qu'il y avait certaines drogues pour lesquelles les usages qui s'étaient développés étaient plus doux. Ils ne voulaient pas que les gens fréquentent le marché noir et ils ont essayé de voir comment ils pouvaient aider les gens sur le marché noir. Même s'ils ne connaissaient pas encore ces drogues-là, ils ont adopté une stratégie de réduction des méfaits en partant, sans que le sida soit en cause, sans que l'idée de se protéger du VIH soit en cause. Et il faut se rappeler qu'ils sont signataires des conventions également.

+-

    M. Réal Ménard: Aux Pays-Bas, madame la présidente. On va y aller au mois de juillet.

+-

    Mme Line Beauchesne: Les Pays-Bas, contrairement à ce que l'on pense, n'ont pas légalisé les drogues et ils sont signataires des conventions.

+-

    M. Réal Ménard: Même pas le Sénat? Dans une petite note, on nous a dit que le Sénat avait adopté un projet de loi l'an passé.

+-

    Mme Line Beauchesne: Je vous parle sous réserve, parce que ce qu'on m'a dit--et il faudrait que je le confirme--, c'est qu'ils ont transféré cela aux tribunaux administratifs. Donc, ça ne relève plus du pénal. C'était ça, le grand enjeu, car ils sont signataires des conventions. Donc, ils cherchent à demeurer signataires, tout en jouant la carte santé au plus grand.

+-

    M. Réal Ménard: Quand on a rencontré les hauts fonctionnaires, on s'est fait projeter un diaporama, un vidéo, qu'on pourra peut-être vous envoyer, sur les deux projets qui existent à Vancouver et à Toronto sur les tribunaux pour les drogues. Si jamais ça vous tente de nous donner votre opinion, elle sera la bienvenue.

+-

    Mme Line Beauchesne: D'accord.

    Deuxièmement, sur la stratégie nationale antidrogue, ça revient à ce que j'ai dit tout à l'heure. Peu importe l'organisme que vous allez créer ou que vous voulez créer ou la stratégie que vous allez écrire, il va falloir deux choses. D'abord, il va falloir qu'il y ait une seule philosophie à l'intérieur. Voyez, on est un petit groupe et ce n'est déjà pas facile d'avoir la même philosophie, mais si on n'a pas la même idée de l'objectif, si on n'a pas d'objectif commun, comment voulez-vous demander à cet organisme de rallier les troupes? Donc, il va d'abord falloir que, politiquement parlant, il y ait un objectif commun et clair, pas un truc comme celui du vérificateur, qui se promène et qui essaie de mettre des choses un peu contradictoires dans le même panier.

    Troisièmement, en ce qui concerne les conventions internationales, on est dans une situation assez particulière. La plupart des pays n'ont pas leur charte des droits et libertés enchâssée dans leur constitution. Chez nous, la Charte des droits et libertés est enchâssée dans la Constitution, et les conventions internationales disent clairement, comme toutes les conventions d'ailleurs, que les lois en matière de drogues ne doivent pas entrer en conflit avec les constitutions ou les attachés constitutionnels. Donc, à ce titre-là, nous avons des éléments de la Charte qui nous permettraient d'atténuer grandement...

    Légaliser? J'avoue qu'au niveau des juristes, on est divisé sur la question, sur le mot «légaliser», sur une distribution relativement large à des fins thérapeutiques. Le parallèle que je ferais, c'est qu'au Québec, depuis très longtemps, il y a des cliniques de planification familiale en matière d'avortement. Or, l'avortement était criminel, mais au Québec, on avait convenu que les femmes qui décidaient de se faire avorter pouvaient le faire librement, et on l'a fait dans cette perspective.

º  +-(1630)  

+-

    M. Réal Ménard: Cependant, il y a un vide juridique au niveau de l'avortement.

+-

    Mme Line Beauchesne: Je dirais qu'au niveau des conventions, il y a deux éléments qui existent. Le premier, c'est que tant que les conventions ne sont pas changées, il est difficile d'aller plus loin que ça, mais c'est déjà beaucoup plus loin que là où on est maintenant. La convention ne nous demande pas de réprimer les drogues; elle nous demande de les interdire. Toute la répression qu'on met est au niveau national. Donc, on peut diminuer grandement la répression.

    Le deuxième élément est que les conventions permettent les usages thérapeutiques des drogues. C'est à nous de définir ce qu'on fait entrer dans le cadre la santé. Est-il plus simple d'envoyer quelqu'un chercher sa drogue sur le marché noir lorsqu'il est devenu dépendant ou de lui en donner? Les programmes de prescription d'héroïne de la Suisse sont permis par les conventions au titre de l'usage thérapeutique.

    Il y a un jeu. Dire qu'on s'entend sur les limites de ce jeu... Il y a actuellement des procès qui sont en cours. Comme dans le cas de toute convention, des clarifications vont se faire au cours de procès qui s'en viennent en Europe et ici. Vous allez sûrement en entendre parler par différents témoins.

    Pour ce qui est du quatrième élément en ce qui concerne les tendances en matière de consommation de drogues, il y a des lectures de données qui m'apparaissent difficiles. Je vous donne les données québécoises parce que ce sont celles que j'ai en tête. Je m'excuse de ne pas avoir les données canadiennes. Par exemple, il y a deux ans et demi, au Québec, le gouvernement avait sorti un rapport disant que la consommation d'alcool avait baissé de 4 p. 100 au Québec, que c'était magnifique, que la prévention marchait bien. Mais les gens qui travaillaient en prévention ont répondu que les consommations problématiques n'avaient pas diminué. Le nombre de gens qui ont des comportements problématiques avec l'alcool, par exemple au volant, ou de gens qui ont des comportements à risque avec l'alcool n'a pas diminué. Vous confondez l'idéal moral, comme si, idéalement, personne ne devrait boire, avec la prévention, qui est la diminution des comportements problématiques.

    Pour revenir à votre question sur les données, si quelqu'un me dit, dans le cadre d'une enquête, que 56 personnes ont fait usage d'Ecstasy--je prends des nombres fous, parce que ça n'a pas d'importance--, je comprends que 56 personnes ont acheté sur le marché noir une petite pilule dont ils pensaient que c'était de l'Ecstasy. Ça ne me dit absolument pas que ces 56 personnes ont consommé de l'Ecstasy.

    Les chiffres sur le marché noir, je trouve qu'on devrait les retransmettre en termes de risque. Des personnes ont avalé des drogues qu'elles croyaient être des stimulants. Voici un autre exemple à cet effet. Dans un centre, il y avait des cocaïnomanes qui avaient des symptômes de sevrage, et on se demandait comment il se faisait qu'ils avaient des symptômes de sevrage puisqu'il n'y a pas de dépendance physique à la cocaïne. C'étaient des cocaïnomanes qui avaient des sources d'approvisionnement. On s'est rendu compte qu'il y avait tellement de cocaïne frelatée aux amphétamines qu'ils étaient devenus dépendants des amphétamines. Si des gens qui ont des sources d'approvisionnement achètent régulièrement des produits frelatés, vous pouvez vous imaginer ce que c'est pour les jeunes, qui n'ont déjà pas de sources et qui achètent des petites pilules à gauche et à droite.

    Comme vous le savez, les chiffres ne sont pas neutres. Si on nous dit qu'on est passé de 56 à 54 personnes qui achètent de l'Ecstasy, cela ne me dit rien. Ce que je trouve intéressant, c'est de savoir quels sont les comportements à risque qu'il y a encore. Sur cela, on manque de données. Quels sont les comportements problématiques qu'il y a encore?

    En matière d'alcool, en matière de drogues illicites et en matière de médicaments, on a des... Je m'excuse, mais j'ai des données américaines en tête parce que c'est ce que je lisais hier. Il y a à peu près le même nombre d'overdoses d'héroïne et d'aspirine aux États-Unis. Pourtant, l'un fait scandale et l'autre est glissé en-dessous. Donc, pour moi, en termes de prévention, pour être significatives, les données devraient être faites en termes de comportements problématiques avec des drogues. Je trouve qu'il en manque beaucoup. On a des indices, mais il faudrait accumuler ces données, non pas en termes comptables, mais en termes de comportements à risque pour nous aider à cibler notre prévention davantage.

+-

    M. Réal Ménard: Est-ce qu'il me reste un peu de temps?

+-

    La présidente: C'est fini.

    M. Réal Ménard: Je reviendrai au deuxième tour.

[Traduction]

+-

    La présidente: Avant de poursuivre avec mes collègues de ce côté, je me demande si vous pouvez nous indiquer où nous pourrions trouver les statistiques démontrant qu'aux États-Unis, si je vous ai bien compris, autant de personnes sont mortes d'une surdose d'aspirine que d'une surdose de cocaïne.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: C'est le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomaniesqui a publié les données dans une brochure.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Dans le cas d'une overdose, on peut se retrouver en intoxication à l'hôpital. Les gens ne sont pas nécessairement morts, mais quand on fait une overdose, on est en intoxication et...

[Traduction]

+-

    La présidente: Alors autant de personnes ont fait une surdose d'aspirine que de cocaïne l'année passée.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Ce n'était pas l'année passée. Les données qu'on rapportait étaient de 1996 ou 1997. C'est dans la brochure du...

+-

    La présidente: Mais c'était la même année.

+-

    Mme Line Beauchesne: Oui, c'était la même année. Je vais vous dire pourquoi l'exemple m'a frappé. C'est que l'aspirine et l'héroïne ont été mises sur le marché la même année par la compagnie Bayer et faisaient l'objet de la même publicité. Comme Bayer a lancé l'héroïne et l'aspirine sur le marché et que les deux faisaient l'objet de la même publicité, j'ai été frappée que les deux se retrouvent la même année avec les mêmes chiffres en matière d'intoxication.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui.

    Mac, et je crois Derek aimeraient vous poser une question, et ensuite Derek.

[Français]

+-

    M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Merci beaucoup pour votre présentation.

    Dans votre rapport, on parle de la question de la disponibilité des drogues et on fait la corrélation entre cela et la consommation des drogues, en particulier à la page 12. Vous avez donné l'exemple du Québec où, avant 1978, il y avait à peu près 350 magasins qui vendaient de l'alcool. On a alors adopté un projet de loi à Québec, et le nombre de magasins vendant de l'alcool est passé à plus de 10 000. On a fait une étude et une comparaison entre la situation avant 1978 et la situation après 1978. On est arrivé à la conclusion que, quand on augmente la disponibilité de l'alcool ou d'une drogue, ça ne veut pas dire qu'il va y avoir une augmentation de consommation. Il serait intéressant que mon collègue de l'Alliance canadienne lise cette partie de votre rapport, que je trouve très intéressante.

    J'aimerais vous demander si, oui ou non, vous avez des informations sur la situation à cet égard depuis 1987, il y a presque 15 ans. Savez-vous s'il y a eu d'autres études dans la province de Québec qui montrent que cette corrélation n'existe pas?

º  +-(1635)  

+-

    Mme Line Beauchesne: L'alcool est effectivement un bon exemple. Bien sûr, pour consommer une drogue, il faut qu'elle soit disponible, mais la disponibilité ne suffit pas. Vous faisiez allusion au projet de loi 79. À chaque année, on prend les statistiques du Québec et des autres provinces canadiennes sur les taux de consommation d'alcool. La consommation d'alcool per capita a diminué au Québec l'année suivant ce projet de loi, comme dans toutes les provinces d'ailleurs, parce qu'il y avait sensiblement les mêmes programmes de prévention qui étaient mis en place. Donc, le Québec suit les tendances canadiennes, mais il est plus bas que la moyenne nationale en matière de consommation d'alcool.

    Toutefois, ça me permet de souligner un élément que j'ai encore vu dans L'Actualité de ce mois-ci. On aime bien faire croire que le Québec boit plus parce qu'il est plus affiché dans sa consommation. On mesure ça en termes de litres d'alcool. Mais un litre de bière et un litre de scotch, ce n'est pas la même chose. On ne calcule pas l'alcool consommé per capita en calculant le nombre de litres vendus. Comme le Québec est la province où l'on boit le plus de bière à 0,5 p. 100, de vin et d'alcools à basse concentration, son taux de consommation d'alcool est parmi les plus bas au Canada. C'est comme ça qu'il faut calculer la consommation d'alcool.

    En fait, notre pays n'est pas très différent des autres. Quand on regarde les autres pays, au plan démographique, en termes de consommation de drogues licites et illicites, on voit que les profils sont à peu près toujours les mêmes. Les populations qui consomment le plus de drogues sont les plus aisées et les plus pauvres. Ensuite viennent les autres régions. Donc, tout ce que ça dit, c'est que le Québec n'est ni parmi les provinces les plus riches, ni parmi les provinces les plus pauvres du Canada.

+-

    M. Mac Harb: Est-ce qu'on a des statistiques d'après 1987 dont vous êtes au courant?

+-

    Mme Line Beauchesne: Sur l'alcool, oui.

+-

    M. Mac Harb: Est-ce qu'on a, par exemple, des statistiques de 1995 ou 1997 qui...

+-

    Mme Line Beauchesne: Les plus récentes, je les ai mises ici.

+-

    M. Mac Harb: C'est à la page 12.

+-

    Mme Line Beauchesne: Je n'ai pas la même page 12 parce que je n'ai pas le même document.

+-

    M. Mac Harb: D'accord.

+-

    Mme Line Beauchesne: Donnez-moi 30 secondes et je vais arriver au tableau.

+-

    M. Mac Harb: À la page 12, on parle d'une étude que M. Lamarche avait faite en 1987.

+-

    Mme Line Beauchesne: Ah, pour étudier la diversification des produits.

+-

    M. Mac Harb: Voilà!

+-

    Mme Line Beauchesne: Effectivement, la consommation de vin a augmenté, mais il serait difficile d'attribuer cela uniquement aux dépanneurs. Les gens voyagent plus. Le Canada anglais aussi consomme plus de vin. Mais effectivement, la Commission Le Dain, en 1972, avait déjà dit clairement qu'une des craintes des compagnies de drogues licites était que la légalisation de certaines drogues n'amène l'arrivée d'autres drogues récréatives sur le marché. Elles avaient très bien compris que les gens n'additionneraient pas leur consommation, mais la diversifieraient. On ne se dit pas qu'un soir, on va consommer du cognac, de l'alcool et de la bière parce que tout cela existe. On fait des choix. Donc, cette tendance a augmenté, mais on ne pourrait plus l'attribuer uniquement à cette loi-là, étant donné les autres variables qui sont entrées en jeu après cela.

+-

    M. Mac Harb: Merci beaucoup.

+-

    La présidente: C'est très intéressant. En anglais, il n'y a pas de numéros de pages. C'est totalement différent. Je cherche et je cherche. J'ai trouvé maintenant.

[Traduction]

    Derek, avez-vous une question?

+-

    M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.): Oui, j'ai une question. Elle se rapporte aux possibilités d'éducation des jeunes. Que nous établissions un système de prohibition, que les drogues soient défendues ou non, il faut quand même informer les jeunes sur la consommation de drogues, quelles qu'elles soient. J'ai eu une conversation avec une jeune fille qui était assise à côté de moi lors d'un événement public. Elle était âgée d'environ 20 ans--je ne mentionnerai pas le moment et l'endroit, car ces renseignements apparaîtront dans les archives publiques et je ne veux pas la mettre dans l'embarras. Je lui ai demandé comment, à son avis, nous devrions traiter cette grande question d'éducation des jeunes. Elle m'a dit deux choses. J'aimerais vos commentaires sur ce qu'elle a dit parce que ces deux choses sont liées à certaines études que vous avez effectuées et concernent les propos de votre exposé.

    Premièrement, selon elle, lorsque la société tente d'informer les jeunes, elle devrait donner les faits et non porter des jugements de valeur: éviter les jugements de valeurs et donner les faits aux jeunes. Tout le reste sera rejeté par les jeunes. Deuxièmement, de nombreux jeunes ont besoin, de temps à autre, de se confier à une personne plus mature afin de vérifier et de valider leurs connaissances ou de demander conseil. Elle m'a dit--et je crois comprendre ce qu'elle a voulu dire--plus souvent qu'autrement, il ne s'agit pas d'un parent. Il se peut que ça soit un parent, mais ça pourrait être un enseignat, un membre de la famille, ou un parent éloigné.

    Ces deux choses m'ont fait réfléchir sur la façon dont la société pourrait aborder la question de renseigner les jeunes, en particulier du point de vue du gouvernement, car il ne participe pas directement à l'éducation des jeunes, ce sont les provinces qui en sont responsables. D'abord, est-ce que ces commentaires étaient vrais ou complètement farfelus, sont-ils des renseignements utiles? Puis, comment ces commentaires peuvent-ils nous aider à rédiger un rapport sur la politique d'intérêt public et à livrer l'information portant sur la consommation non médicale de drogues aux jeunes?

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Vous avez raison de dire que la prévention est la même, que les drogues soient légales ou illégales. Il faut ajouter à l'environnement le marché noir, mais il faut faire de la prévention comme on en fait pour toutes sortes d'autres comportements à risque, que ce soit en matière de conduite automobile ou autre. Quel que soit le comportement, on fait de la réduction des méfaits. Je vous disais que la politique de réduction des méfaits était une vieille politique. On fait continuellement cela. On voudrait que nos enfants profitent des bienfaits de quelque chose tout en réduisant les risques. On fait de la réduction des méfaits. On voudrait qu'ils apprennent à conduire la voiture, mais qu'ils prennent les précautions nécessaires, qu'ils fassent du ski, mais qu'ils prennent les précautions nécessaires.

    Donc, en matière de drogues, oui, on doit dire exactement quelle est la situation dans laquelle on est au niveau de l'environnement légal et illégal et, comme je le disais, les parents peuvent faire ça.

    Vous dites que l'adolescent va vérifier. Oui, l'adolescent va vérifier, mais les parents se sous-estiment énormément lorsqu'ils parlent de leurs adolescents. On a tous été adolescents. Oui, on a fait certaines vérifications, mais on ne peut pas dire que derrière notre tête, il n'y a pas certains arrêts d'agir qui se sont faits parce qu'on en avait parlé, parce que de la prévention avait été faite.

    Donc, oui, il y a des vérifications qui se font à l'adolescence, mais comme parents, notre travail est de faire en sorte que le choix de risque que le jeune prend soit le plus éclairé possible en faisant de la prévention. Je pense que le parent doit retrouver son rôle en matière de drogues, comme en matière de sexualité, par exemple.

    En somme, comme dans n'importe quoi d'autre, plus le jeune a un dialogue ouvert sur des choses, plus il apprend à être autonome et plus il risque de ne pas faire des choses très naïves et très à risque.

[Traduction]

+-

    M. Derek Lee: Je vous remercie.

[Français]

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Madame Allard.

+-

    Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.): Merci, madame la présidente.

    Madame Beauchesne, vous êtes criminologue. Vous en mettez beaucoup sur le dos des parents. Les parents devraient faire ceci et cela. Vous êtes criminologue et vous êtes dans un milieu de criminels. Vous pouvez, vous, agir sur des adultes en temps que criminologue.

    On dit souvent que les peines de prison ne sont pas assez sévères au Canada. Le Canada a une réputation. Les criminels veulent être jugés au Canada parce que, apparemment, il est plus facile de s'en sortir au Canada. Regardez ce qui se passe à Montréal. On a des procès. On a une loi antigang qui a durci les lois sur la drogue et sur les gangs de motards, et les motards plaident coupable. On a l'impression que ça fait un peu peur au crime organisé.

    Je fais appel à vous en tant que criminologue. Est-ce qu'il n'y aurait pas une action qu'on pourrait mener chez les adultes, chez les criminels pour faire en sorte qu'ils soient eux aussi sensibles aux effets de leurs méfaits dans la société? Dans ce sens-là, est-ce qu'on ne pourrait pas envisager un durcissement des peines? Est-ce que vous avez également analysé la situation du côté des criminels?

º  +-(1645)  

+-

    Mme Line Beauchesne: Tout d'abord, vous me dites que j'en mets beaucoup sur le dos des parents. Comme on m'a demandé de parler de la prévention que doivent faire les parents, j'ai parlé de cela. Plusieurs pensent que les parents ne sont pas capables de faire de la prévention en matière de drogues. Je voulais simplement montrer qu'ils connaissent tout cela et qu'ils sont capables de faire de la prévention.

    Maintenant, au niveau des politiques pénales, si on veut réduire un peu le marché noir des drogues, il faut savoir qu'il y a trois différents niveaux dans ce marché. Il y a les consommateurs-vendeurs, qui vendent suffisamment pour consommer et parfois pour se faire un peu d'argent. Il y a les distributeurs, qui sont un peu comme les autochtones lors du marché noir du tabac, qui sont les groupes de motards. Ces groupes ont des régions, mais ce ne sont pas eux qui détiennent le marché. Les gens qui détiennent le marché ont des cravates, des habits, des usines, des industries. Les Hells Angels sont des distributeurs. On pense qu'on touche au marché, alors qu'on touche à un distributeur dans une région donnée. Cela va peut-être obliger à mettre un autre distributeur. Un distributeur va se faire tasser, mais on va en mettre un autre.

    Le marché de drogues, c'est un peu comme la prostitution. Quand je parle de prostitution, c'est un peu la même chose. La prostitution sur la rue est la partie visible. On ne voit pas le grand marché de la prostitution, avec le trafic des enfants. On s'attaque à la partie visible. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais qu'on ne s'imagine pas qu'en arrêtant les motards, on va arrêter le marché noir. Ce sont des distributeurs. Ce ne sont pas eux qui cultivent. Ce n'est pas parce qu'on a quelques acres de cannabis qu'on a les tonnes d'opium qui arrivent par l'entremise des compagnies d'import-export. Donc, ils sont des distributeurs de drogues. On leur donne des marchés et, s'ils ne sont pas capables de gérer le marché, on met quelqu'un d'autre à leur place. Mais cela ne touche pas au marché noir des drogues. Les gens vont toujours pouvoir s'en procurer. Même s'il y a plusieurs motards en-dedans, il n'y a personne qui manque de drogue à l'extérieur.

+-

    Mme Carole-Marie Allard: Et même en-dedans.

+-

    Mme Line Beauchesne: Et même en-dedans. D'ailleurs, en-dedans, c'est maintenant la folie furieuse. Lorsqu'on a commencé à dire qu'on voulait faire des programmes d'échange de seringues, le Service correctionnel du Canada a augmenté les tests de drogues à l'intérieur. La seule drogue qui peut être testée minimalement longtemps, c'est le cannabis, les autres se dissolvant assez rapidement.

    Je reprends votre scénario et votre question. On arrête le vendeur de hasch dans un bar et on le met en prison. En prison, c'est trop dangereux de prendre du cannabis à cause des tests de drogues. Il commence à s'injecter. Quand il sort, il est séropositif et il fait usage de drogues par injection. Est-ce bien ce que vous vouliez montrer au vendeur de haschisch? Quand il sort de prison, il est devenu un usager de drogues par injection. C'est cela que vous avez fait.

    Comme vous l'avez dit et comme l'ont démontré suffisamment d'études, de toute façon, il y a des drogues en prison. Donc, si vous pensez que vous mettez quelqu'un en prison parce qu'il n'y aura pas de drogues là, vous vous trompez. D'ailleurs, le Canada est le deuxième pays en matière d'enfermement d'usagers, de toxicomanes. Essayez d'imaginer ce qui arrive lorsque vous mettez en prison un tas de toxicomanes et d'usagers de drogues et des vendeurs de drogues. Vous avez un marché.

º  +-(1650)  

+-

    Mme Carole-Marie Allard: Madame Beauchesne, ça veut donc dire que la population est complètement bernée quand elle pense qu'elle est protégée actuellement. On a énormément d'argent pour essayer d'instaurer un système de contrôle de l'offre et cela ne mène à absolument rien, selon ce que vous dites. Donc, on est tous en train de jouer un grand jeu.

+-

    Mme Line Beauchesne: Attention! Les gangs de motards se chicanaient entre eux au mépris des civils, en détruisant des civils. Ne serait-ce que pour cela, ils doivent être réprimés. Mais si on le fait en pensant qu'on diminue l'offre de drogues, ce n'est pas le cas. Si on le fait parce qu'ils attaquent des civils et font sauter des restaurants et des voitures, oui.

+-

    Mme Carole-Marie Allard: Et l'augmentation des peines?

+-

    Mme Line Beauchesne: Vous pensez que l'augmentation des peines va agir sur la question des drogues? Non, ça ne changera rien.

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Monsieur Sorenson, avez-vous d'autres questions? Non.

    Monsieur Ménard.

+-

    M. Réal Ménard: J'ai eux ou trois petites questions. Tout ça est très intéressant. Pour aller dans le même sens que Mme Allard, évidemment, je comprends votre logique et on ne remet pas en cause la nécessité d'une loi antigang. On se rappelle qu'il y a eu quelque 250 victimes innocentes dans différentes communautés. Donc, ce n'est pas ça qui est cause. Ce qui est en cause, c'est de se questionner sur l'approvisionnement véritable, sur ceux qui contrôlent véritablement le marché de la drogue. Je veux bien vous comprendre et j'aimerais que vous nous donniez plus de détails.

    Le Service canadien du renseignement de sécurité estime qu'il y a 35 gangs de motards criminalisés au Canada. Peut-être suivez-vous même l'émission du mercredi à Radio-Canada ou du dimanche en anglais, The Last Chapter ou Le Dernier Chapitre. Vous dites que ceux qui contrôlent ce marché, ce ne sont pas nécessairement les gangs de motards criminalisés. J'aimerais que vous élaboriez sur ceux qui contrôlent véritablement ce marché.

    Deuxièmement, au terme de notre rapport, ce qui pourrait nous arriver de mieux, ce serait qu'on revoie les lois afin que le statu quo ne perdure pas. Quels sont les différents éléments qu'il faudrait qu'un projet de loi contienne pour qu'on se rapproche du modèle hollandais, que vous privilégiez?

+-

    Mme Line Beauchesne: À la première question, qui portait sur la loi antigang, je vous répondrai que vous avez traduit ma pensée. Ils doivent être réprimés pour les actes commis. Ce ne sont pas des enfants de choeur. Mais si on pense que l'offre de drogues se résout à ce niveau-là, non, elle ne se résout pas là.

    En fait, quand on pense à ceux qui contrôlent le marché des drogues, c'est assez effrayant. Comme vous le savez sans doute, les drogues qui sont actuellement illégales ont été mises sur le marché et mondialisées par les pays occidentaux. Les pays occidentaux, lors de la période coloniale, se sont aperçus que des gens consommaient certaines drogues, en ont répandu l'usage et en ont fait un commerce.

    Dans la deuxième étape, lorsqu'on a commencé à interdire ces drogues, au début du siècle, on a continué à les vendre ailleurs. Lorsqu'est arrivée l'ONU, après la Deuxième Guerre mondiale, les groupes qui se sont formés par la suite ont dit qu'il n'était pas correct d'interdire chez soi des produits qu'on jugeait dangereux et de les vendre ailleurs. Donc, ils ont transféré à leurs services secrets le contrôle de ces laboratoires. Par exemple, les laboratoires de transformation d'opium en héroïne, qui ont appartenu d'abord aux Français, puis aux Américains, ont beaucoup servi à financer la guerre au Vietnam. Ils ont aussi servi à financer les contras au Nicaragua.

    Donc, on peut dire qu'ils ont appartenu aux pays occidentaux jusqu'à la fin des années 1970. Dans les années 1970, certains groupes qu'on avait instaurés pour contrôler ces marchés ont commencé à devenir de plus en plus autonomes et se sont constitués en multinationales. C'est le même principe que celui d'une multinationale. Il y a des groupes locaux pour contrôler les cultures, des industries d'import-export et des banques.

    Dans les années 1980, on a identifié trois groupes, puis un quatrième groupe à la fin des années 1980. Le premier est la mafia sicilienne, qui contrôlait une bonne partie de l'Amérique du Nord et du Sud et du marché de la cocaïne. Les Yakuza japonais, que les Américains avaient sortis de prison à la fin de la guerre pour leur donner le marché asiatique et pour empêcher que le communisme sorte de la Chine, se sont mis à contrôler l'Asie. Il y a aussi les Triades chinoises, l'Indochine et tout ça. Enfin, la mafia russe, qui est arrivée à la fin des années 1980, allait devenir un gros coureur.

    Mais il ne faut pas penser que l'étape coloniale, qui est remplacée par les services secrets, fait disparaître l'autre. Les États tirent encore des profits mais contrôlent de moins en moins les groupes criminalisés. Auparavant, les États pouvaient empêcher un pays d'avoir des armes. On disait qu'il n'y avait pas d'armes dans ce pays-là.  Mais maintenant, comme on a de moins en moins le contrôle du marché des drogues, il y a des gens pour vendre des armes ici. «Tu as de la drogue. J'ai des armes.»

    Donc, ils ont perdu le contrôle non seulement du marché des drogues, mais d'un tas d'autres marchés. Ces gens-là font maintenant des milliards. Pourquoi les États ne lâchent-ils pas le morceau? Parce qu'ils contrôlent encore certains marchés. Ils vendent encore des armes contre de la drogue. Après tout, les armes, on les achète à l'Occident. Ils profitent encore de plusieurs aspects de ce marché.

º  +-(1655)  

+-

    M. Réal Ménard: Y compris le Canada?

+-

    Mme Line Beauchesne: Je pourrais entrer dans les affaires de CANDU, mais ce serait long.

    C'est comme dans n'importe quoi: la main gauche ignore ce que fait la main droite; on fait quelque chose d'une main quand ça fait notre affaire et ainsi de suite. Pour vous donner un exemple de la force de ce marché, je vous dirai que lorsque le régime taliban était en place--j'en parlais à mes étudiants avant les événements du 11 septembre--, les trafiquants l'avaient payé à coups de millions pour qu'il diminue considérablement sa production d'opium, parce qu'on était en période de surplus d'opium, pour ne pas faire baisser les prix.

    Quand on est rendu à payer des régimes politiques pour les compenser des pertes de ventes de drogues afin que les prix restent élevés au niveau mondial, on n'est plus dans les guerres de motards. On est à des niveaux financiers beaucoup plus...

+-

    M. Réal Ménard: Me permettez-vous de poser une sous-question, si j'en ai encore le temps?

    On a accueilli ici des témoins des forces policières, de la GRC, de la Colombie-Britannique. Le scénario que vous décrivez m'apparaît tout à fait plausible. Il est documenté, et je sais que vous avez vous-même écrit un livre là-dessus. Ce sont certainement des considérations dont il va falloir tenir compte dans notre rapport.

    Cependant, j'avais l'impression qu'il y avait une distinction à faire au niveau du marché intérieur du Canada, au niveau de la culture du cannabis. J'avais l'impression que toute la réalité des serres hydroponiques... On nous disait que c'était la deuxième industrie de la Colombie-Britannique.

+-

    Mme Line Beauchesne: Vous abordez ici la deuxième question, celle des scénarios. Je vais donc parler du cannabis.

    Lorsque les Pays-Bas, 20 ans plus tard, ont évalué leur politique, ils ont trouvé que le cannabis était un cas différent, que le pays pouvait en produire--ils produisent le Nederweit--, et le gouvernement s'est dit que le cannabis produit chez eux était bon, avait divers degrés de concentration et qu'il pouvait vendre uniquement le produit du pays. Je vous dirai honnêtement que cela n'a pas marché parce que dans les coffee shops, c'est un peu comme dans les restaurants. Quand tous les restaurants ont le même menu, ce n'est plus très intéressant. Ils ont donc continué à s'approvisionner à l'extérieur. Ça n'a pas marché.

    Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une grande partie du cannabis qui est du Nederweit, mais de là à penser qu'on va restreindre... Si on me disait que désormais je ne pourrai plus boire que des vins canadiens et que je n'aurai plus le droit de m'approvisionner à l'étranger, personnellement, je serais prête à poser une pancarte de protestation sur ma maison. Je veux simplement dire ici qu'il est assez difficile de limiter la consommation de produits récréatifs aux produits locaux, même s'il s'agit d'une variété particulière qu'on a créée.

    Le gouvernement néerlandais, bien sûr, avait espéré éviter ainsi tout ce qui est relié à l'import-export de la drogue produite à l'étranger, mais cela n'a pas très bien marché.

    Vous m'avez demandé de vous dire quelles seraient les étapes à suivre en m'inspirant de l'exemple des Pays-Bas. Sans procès, dans le cadre même des conventions, on pourrait déjà, si on le voulait sur le plan politique, réduire considérablement la répression des usagers. Les conventions ne nous obligent pas à faire autant de répression. Il serait donc possible d'adopter une politique davantage orientée vers l'aide.

    Le deuxième volet dont on pourrait s'occuper, c'est celui des soins, dont il existe toute une gamme. Vous avez sûrement entendu parler des programmes d'ordonnance. Sous le couvert thérapeutique, on peut déjà élargir considérablement l'univers de la consommation de façon à le rendre plus sécuritaire par de l'information. Par exemple, quand les femmes fréquentaient les cliniques de planification familiale au Québec, elles rencontraient un psy; cela se faisait dans un univers qui exigeait certains apprentissages. Je ne voudrais pas qu'on aille trop vite non plus, parce qu'il y a des apprentissages à faire. Pensez seulement à ce qu'a été l'alcool. L'existence de l'alcool frelaté et de l'alcool sur le marché régulier a créé tout un autre univers de drogues.

    À mon avis--et je sais que je pourrais me faire lancer des pierres par certains consommateurs de drogue parce que je dis cela--, on a des apprentissages culturels à faire et l'univers thérapeutique, s'il est suffisamment large et qu'on en assure le suivi, nous permettrait de les faire plus prudemment. Il y a des apprentissages à faire parce que ce sont de nouveaux produits. Il ne faut pas brûler les étapes.

»  +-(1700)  

[Traduction]

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Avant de céder la place à mes collègues, j'aimerais vous poser une question. Nous vous avons demandé de parler de la prévention. et vous avez très bien cerné les éléments principaux d'un programme de prévention efficace et comment l'orienter. Il me semble que nous avons parlé d'un grand nombre de questions, ce qui a été utile, à cause de votre vaste expérience, mais lorsque vous parlez de la manière dont nous devrions parler aux jeunes en particulier--et fondamentalement, je crois que cela touche toute la vie des gens--vous dites: concentrez les efforts sur les jeunes et trouver la façon de les guider vers un mode de vie sain. Il est peut-être approprié pour un jeune d'avoir un certain comportement à risque, mais cela ne fait pas de lui un drogué, ce qui a une connotation nettement négative. Pourquoi prennent-ils de la drogue? Tout le monde a certains besoins. Il y a des personnes qui ont besoin d'avoir du succès, d'autres ont besoin de courir plus vite. Si nous pouvions parler aux jeunes de leur besoins, peut-être qu'au lieu de combler ces besoins en consommant du haschich, il pourraient trouver une autre façon moins nocive de le faire. Peut-être qu'une bière est un meilleur substitut dans ce cas, s'ils ont l'âge de boire.

    Est-ce que c'est ce que vous vouliez dire, comment vivre selon un mode de vie plus sain?, comment réduire les méfaits?

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Oui, on peut en étendre le sens. Ce n'est pas qu'une question de drogues. Le Nintendo, par exemple, n'est pas mauvais en soi. Cependant, si votre enfant passe 30 heures devant le Nintendo parce que cela lui permet d'établir une barrière entre le monde et lui, cela devient un problème. Ce peut être le cas de la télévision aussi. Donc, comme parent, il nous faut apprendre aux enfants à comprendre le rapport que certaines activités ont avec leurs besoins. Si on a tendance à fuir le monde en utilisant le Nintendo ou la télévision, on a des comportements qui peuvent permettre aux parents de dialoguer sur certains sujets. Je veux simplement dire qu'il en va de même en matière de drogue.

[Traduction]

+-

    La présidente: Puisque qu'on en parle, l'Internet est nécessaire aux jeunes pour qu'ils puissent faire leurs travaux et se procurer de l'information. Vous ne voulez certainement pas qu'ils se retrouvent dans un bavardoir sexuellement explicite ou qu'ils soient dupés par l'entremise de l'Internet, mais ils ont besoin de se servir de ce service.

    Ce que j'aime de votre approche est ceci. Nous avons entendu une femme qui a perdu un enfant, et elle avait besoin de soulagement à ce moment de profonde détresse pour tenir le coup. Un médecin lui a prescrit des drogues illicites et elle en a été dépendante pendant 20 ans, et toutes sortes de choses horribles lui sont arrivées. Oui, le médecin a joué un rôle, elle a joué un rôle, mais si elle avait eu d'autres moyens pour combler son besoin ou s'il y avait eu un moyen de briser le cycle, il y aurait eu d'autres moyens de lui offrir du soutien, autres que celui de lui prescrire des comprimés.

»  +-(1705)  

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: On parle des jeunes et de leur besoin de drogues. Regardez comment les adultes se sont précipités sur le Prozac.

+-

    M. Réal Ménard: Ils se sont aussi précipités sur le Viagra.

+-

    Mme Line Beauchesne: C'est vrai, mais le Viagra touche d'autres réalités moins parallèles.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui, mais c'est une question de point de vue.

    Lorsque nous avons demandé à des jeunes de Vancouver pourquoi ils consommaient de la drogue, j'ai été très touchée par le fait que la raison principale n' était pas pour se sentir bien ou pour faire partie du groupe, mais pour s'évader. Alors, quel est le problème? Qu'est-ce qui cloche par rapport à leur vie? Peut-être devrions-nous traiter les causes sous-jacentes du suicide à Montréal au lieu de seulement établir des mesures visant à limiter les méfaits. Quand j'étudiais à l'Université Mc Gill, les grandes fenêtres étaient verrouillées, parce que trop de jeunes sautaient par les fenêtres. Il croyaient avoir résolu le problème en mettant des verrous sur les fenêtres au lieu d'aborder le problème sous-jacent.

    Est-ce que vous avez, en vous fondant sur votre documentation--je sais, c'est un document assez aride--de bons programmes de prévention? J'ai parlé à des jeunes qui avaient participé au Programme de sensibilisation aux effets de la drogue (PSED). Au cours d'une discussion portant sur les excuses pour ne pas consommer, ils se sont fait dire de répondre à leur amis qu'ils sont allergiques, réponse qu'ils ont trouvée plutôt ridicule. Toutefois, le concept de dire, écoute, je n'en veux pas ou le fait de trouver une excuse n'est pas une mauvaise idée pour les jeunes, si c'est comme ça qu'ils peuvent le gérer. Est-ce qu'il y a de bons exemples de programmes de prévention? Parce que, finalement, si on peut reporter la question jusqu'à ce qu'on ait trouvé d'autres solutions d'aborder le problème, ce serait préférable.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Je ne veux pas en nommer un en particulier parce que je suis certaine qu'il y a en a plusieurs qui existent. Quelqu'un qui travaille en prévention en connaîtrait sûrement plusieurs. Je suis certaine qu'il y a plusieurs documents qui font allusion à ce type de programmes.

    Par contre, je trouve qu'il n'y a pas beaucoup de documents qui s'adressent au grand public. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai écrit ce guide. Il y a beaucoup de bons documents qui s'adressent aux jeunes de 10, 12 ou 15 ans, aux intervenants, aux enseignants, mais il n'y en a pas qui disent comment aborder la question dès le début. J'en ai donc écrit un. Est-ce que ça veut dire qu'il n'en existe pas d'autres au Canada? Je n'en sais rien. Je n'en ai pas vu. C'est donc pour cela que j'ai préparé ce guide pour les parents. Je ne voudrais pas présumer qu'il n'en existe pas d'autres. Il n'en existait pas dans mon environnement. J'en ai donc préparé un.

[Traduction]

+-

    La présidente: Jusqu'à présent, nous n'en avons pas trouvé non plus. En Colombie-Britannique, où il y avait de bons programmes, on avait de la difficulté à faire accepter le matériel dans les écoles. Il semble y avoir une grande lacune dans la communication. Comme mes collègues de l'Alliance l'ont souligné, nous avons investi 95 p. 100 de ces sommes au pays à essayer d'arrêter le trafic, mais si nous ne pouvons pas faire cesser la demande, le fait que ce soit de la drogue illicite ne compte plus, ce sera l'alcool ou le jeu ou le haschich, ou quelque chose d'autre. Comme nous l'avons entendu voilà quelques jours, on a prohibé la colle à modèle d'avion miniature dans une ville parce que les jeunes l'utilisaient pour se donner un high, alors ils ont commencé à inhaler de l'essence. On ne peut pas prohiber l'essence. Il faut aborder les causes sous-jacentes du problème et trouver les solutions qui aideront la population canadienne à avoir un mode de vie plus sain. Ce n'est pas une évasion de boire un verre de vin pour se détendre, pour se sentir plus détendu pendant une fête; cependant, boire trop de vin est manifestement un problème.

    Il serait utile que vous nous donniez des exemples de programmes, parce que, honnêtement, nous avons de la difficulté à en trouver. Il semble y avoir un réel besoin d'en parler au sein de la population. Je crois que votre commentaire sur le fait que de très jeunes enfants sont témoins d'un oncle ou d'une tante ou d'un parent en état d'ébriété est un bon exemple.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Je sais que l'éditeur songe à faire traduire le document l'automne prochain. Je vous enverrai un mot si jamais celui-ci est traduit.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui, cela serait utile.

    Il existe un débat à savoir si la réduction des méfaits est une bonne approche. Vous nous avez bien présenté un modèle de réduction des méfaits. Croyez-vous que c'est le chemin à prendre?

»  +-(1710)  

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Oui, je crois que c'est bien. Comme je le disais plus tôt, la réduction des méfaits, ce n'est pas nouveau. En matière de drogues, quel que soit le comportement, on essaie, comme parents ou comme politiciens, de faire en sorte que la personne jouisse des bienfaits. On veut réduire les méfaits. Quand une personne apprend à conduire une automobile, on veut que cette personne apprenne à conduire tout en réduisant les méfaits. En d'autres termes, la réduction des méfaits, ce n'est pas quelque chose de nouveau comme approche. Ce qui est nouveau, c'est que depuis l'arrivée du sida, on essaie de l'appliquer également aux drogues illicites. À mon avis, on aurait dû faire ça avant. Mais l'approche comme telle n'est pas nouvelle.

    Quant à moi, l'approche de réduction des méfaits, ce n'est pas la prévention du sida ou l'échange de seringues. La prévention comprend deux volets. D'abord, on essaie de réduire les comportements à risque en prévenant les besoins et en faisant connaître les risques. C'est ça, la prévention. Ensuite, lorsque les problèmes surgissent, on essaie d'en réduire les méfaits. Une personne n'est pas obligée d'avoir une accoutumance au tabac, d'être pauvre, malade et en prison. Elle peut seulement avoir une accoutumance à la drogue. On peut réduire l'ensemble des autres méfaits.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui.

    Sur ce point, je suis persuadée que mes collègues en ont aussi entendu parler. Il y a ces conversations au cours de dîners d'affaires, de fêtes ou autres. Une personne me disait qu'elle était très perturbée du fait que bien qu'elle croyait que le message «Pas d'alcool au volant» était une réussite auprès des jeunes et que ceux-ci s'efforçaient vraiment de désigner un conducteur, et qu'ils étaient initialement heureux d'entendre un cousin refuser une bière pour ensuite l'apercevoir en train de fumer de la drogue à l'extérieur. Ce n'est pas qu'ils veulent réduire les méfaits de conduire en état d'ébriété, c'est qu'ils ne veulent pas se faire prendre. Alors, ils croient que la meilleure solution est de consommer du cannabis, car il n'y a pas de test pour le détecter.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Je ne connais pas beaucoup ça parce que je n'écoute pas régulièrement la télévision.

    Au Québec, il y a deux publicités qui sont très explicites. Une de ces publicités porte sur la personne qui n'a pas beaucoup bu. On y dit que, même si une personne n'a pas beaucoup bu, elle peut se faire arrêter. Le message que l'on transmet, ce n'est pas de dire aux gens de conduire leur véhicule seulement lorsqu'ils sont en état de conduire, que c'est leur responsabilité d'agir ainsi, mais bien de faire attention aux gendarmes. Le message est très clair.

    Je demande toujours à mes étudiants s'ils savent sur quel pont entre Ottawa et Hull il n'y a pas de policiers. Tous peuvent me le nommer. Ils ont appris qu'il peut y avoir des barrages sur les autres ponts et que, s'ils ont trop bu, ils peuvent prendre ce pont parce qu'il n'y en a pas sur celui-là. Il y a toujours une possibilité d'y échapper.

    Il y a aussi le cas d'étudiants qui quittent très tard et à qui je dis de rester à coucher parce qu'il est 3 heures du matin. Ils partent donc à 6 heures du matin. À 6 heures du matin, ils n'ont pas les réflexes nécessaires pour conduire s'ils ont beaucoup bu, mais ils calculent qu'ils ont suffisamment absorbé l'alcool pour ne pas se faire prendre par le gendarme.

    Il y a aussi l'exemple du mari qui, ayant beaucoup bu, réveille sa femme qui dort sur le divan et la met au volant. Celle-ci vient de se réveiller et il la met au volant parce qu'il se dit qu'elle n'a pas beaucoup bu alors qu'il a beaucoup bu. S'il met au volant une personne qui n'a pas l'habitude de conduire et qui est à moitié endormie, c'est la peur du gendarme qui le fait agir ainsi et non sa préoccupation de savoir s'il est en état de conduire.

[Traduction]

+-

    La présidente: Oui, ce n'est pas un comportement souhaitable.

    M. Lee, suivi de M. Harb--car je crois que M. Lee ne tient plus en place.

+-

    M. Derek Lee: J'ai lu votre document et j'ai entendu votre exposé, et j'en suis venu à la conclusion que, selon vous, que vous l'ayez déclaré explicitement ou non, la prohibition serait une stratégie perdante. Je suis personnellement d'accord avec vous. Que devons-nous faire alors? C'est une très courte question qui demande une très longue réponse, mais j'apprécierais vos commentaires sur ce point.

[Français]

+-

    Mme Line Beauchesne: Comme je le disais un peu plus tôt, avant de décider de légaliser du jour au lendemain, on a quand même des apprentissages à faire sur le plan de la prévention, des formes de traitement et de l'information. On ne peut pas tout d'un coup changer la donne.

    Je pense qu'il faut définir des étapes d'apprentissage. La première chose à faire, c'est de modifier le message concernant la prévention et de diminuer la répression pour adopter envers les usagers une stratégie d'aide et de prévention plus efficace. Pour moi, c'est la première étape. On n'a pas besoin des conventions internationales pour le faire. On peut déjà le faire.

    En deuxième lieu, dans le cas du cannabis, comme le disait M. Ménard, on a déjà acquis des connaissances et des usages culturels qui peuvent nous permettre d'apprivoiser certaines choses. Je serais tentée de dire qu'il faudrait commencer par en apprivoiser une, soit déterminer ce que cela signifiera sur le marché en termes de mesures de contrôle, de réglementation et de distribution. Cela fait beaucoup de choses à apprendre.

    En même temps, le fait que c'est énorme ne doit pas nous empêche d'avancer. Je prends un autre exemple, celui d'une personne qui milite activement contre le racisme. Est-ce que cela veut dire qu'elle croit que le racisme disparaîtra demain matin? Non. Mais son orientation est claire: idéalement, le racisme ne devrait pas exister. Donc, c'est un peu comme ça. Est-ce que je pense que, demain matin, tout peut changer? Non, je ne le pense pas. Mais mon orientation est claire quand même. Ma direction est que, idéalement, les produits devraient être sécuritaires et qu'il devrait y avoir de la prévention. C'est la direction que je prends. Je suis très consciente qu'on ne peut pas brûler les étapes, mais on peut au moins progresser, ce qui serait déjà quelque chose.

»  +-(1715)  

+-

    M. Derek Lee: Merci.

+-

    La présidente: Monsieur Harb.

+-

    M. Mac Harb: Légaliser ou ne pas légaliser? Si on légalise, combien de produits légalise-t-on? Légalise-t-on un, deux ou trois produits de plus?

    Deuxièmement, si on légalise, comment peut-on mettre en place un plan d'action, tout en tenant compte de nos voisins les Américains?

+-

    Mme Line Beauchesne: Premièrement, légaliser veut dire réglementer. Combien y aura-t-il de produits? Je n'en sais rien parce que, comme je le disais tout à l'heure, même avec l'alcool, on a connu un énorme changement de marché. Il y a des produits qui vont disparaître parce qu'ils tiennent juste par le marché noir. Il y a des produits dont les usages vont changer. L'injection, qu'on soit en marché légal ou illégal, est certainement un usage extrêmement dur qui n'a pas sa place, qui devrait être considéré comme un usage trop à risque et probablement mis dans une stratégie à part.

    Donc, il y a des apprentissages à faire, et je ne peux pas prédire le marché. C'est pour cette raison que je ne veux pas aller trop vite, de façon à ce que ce soit sécuritaire. Mais légaliser veut dire réglementer. Je ne voudrais pas qu'on soit dans la même situation que celle de l'avortement, qu'aucune loi ne régit ou ne réglemente à l'heure actuelle. Si on ne faisait que décriminaliser, les gens se procureraient toujours leurs produits sur le marché noir. Pour moi, en termes de santé publique, ce n'est pas bon. Ça laisse le marché noir en santé, mais pas nécessairement les personnes.

    Quant aux Américains, pour être honnête, c'est d'eux que vient mon plus grand pessimisme, en fait. Ils tirent énormément d'argent, comme État, de ce marché. Ils ont énormément d'intérêt à ce que ça continue. Il y a toute une industrie bureaucratique qui s'est construite là-dessus. Il y a des services secrets, des organismes gouvernementaux qui, voyant la fin de la guerre froide, ont réorganisé leur budget en fonction des drogues.

    Ce que je pense, mais je ne saurais vous dire si c'est une réalité ou un rêve, c'est qu'on a intérêt, comme pays, à se rapprocher le plus possible de l'Europe en matière de drogues, parce qu'il n'y a qu'une collectivité qui va pouvoir s'opposer aux intérêts américains. Comme pays tout seul, je pense qu'on peut déjà réduire considérablement la répression, mais on ne peut certainement pas aller beaucoup plus loin. Pourquoi? Je vais vous donner l'exemple des Pays-Bas.

    Aux Pays-Bas, au début, quand ils ont adopté une stratégie différente de celle des autres pays, ils ne demandaient pas les cartes, non pas les cartes d'assurance-maladie, mais des cartes similaires pour recevoir les services. Ils se sont retrouvés avec tous les toxicomanes d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne sur leur territoire, jusqu'à ce qu'ils disent que c'en était trop. Désormais, même l'itinérant dans la rue, s'il est Néerlandais, a une carte et peut avoir les services. Donc, les Néerlandais ont maintenant accès à tous les services, mais plus les étrangers.

    À ce moment-là, beaucoup d'étrangers ont déchiré leur passeport parce qu'on ne pouvait plus alors les renvoyer là d'où ils venaient. Entre autres, je me souviens qu'il y a cinq ans, plusieurs Marocains héroïnomanes avaient déchiré leurs papiers, et le gouvernement marocain disait ne pas les connaître. Il ne tenait pas à voir arriver plusieurs héroïnomanes au Maroc. On ne peut pas retourner les gens n'importe où comme ça. Il est certain qu'aucun pays ne veut devenir la terre d'accueil des problèmes des voisins. Alors, les Pays-Bas sont devenus très stricts en matière d'accès aux services uniquement pour les nationaux. Ils ont donc ainsi réduit considérablement leurs problèmes.

    Là où ils ont d'autres problèmes, c'est face à la réaction américaine, qui a été de dire aux pays... Un pays peut demander de rapatrier quelqu'un. Par exemple, un Néerlandais ayant été accusé dans un autre pays d'avoir eu de la drogue en sa possession était rapatrié et, une fois qu'il était revenu à la maison, on ne le punissait pas beaucoup. Les Américains ont dit aux autres pays de punir eux-mêmes tout Néerlandais qu'ils auraient entre les mains.

    Donc, ça rend les choses très difficiles quand on a un voisin aux vues différentes, particulièrement les Américains. Tout ce que je peux dire, c'est que je pense que l'Europe est en train de s'unifier sur ces questions-là, sur certains aspects pour réussir à modifier les conventions. Je ne pense pas que le Canada pourra modifier les conventions seul. Je pense qu'il pourra le faire avec les Européens.

»  -(1720)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup. Je pense que le temps est écoulé. Est-ce qu'il y a d'autres questions?

    Alors, merci beaucoup, madame. C'était très intéressant pour nous. Je pense que vous avez beaucoup de bonnes idées. Si vous avez des programmes spécifiquement...

+-

    M. Réal Ménard: J'ai un rappel au Règlement. Est-ce que vous prévoyez recevoir des témoins mardi et mercredi de cette semaine?

    La présidente: Pas demain.

    M. Réal Ménard: Pas demain.

+-

     Deuxièmement, quand allons-nous décider de notre calendrier pour notre voyage en Europe? Vous savez comment c'est. Si on veut que les whips nous laissent partir...

[Traduction]

-

    La présidente: Permettez-moi de lever la séance et nous pourrons avoir une conversation plus tard.

     Merci beaucoup.