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AANO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 17 février 2005




Á 1110
V         La présidente (Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.))
V         M. Dennis Troniak (conseiller, Troniak Law Office)

Á 1115
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette (à titre personnel)

Á 1120
V         Mme Flora Merrick (survivante des pensionnats, requérante MARC, à titre personnel)

Á 1125
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         Mme Grace Daniels (survivante des pensionnats, requérante MARC, à titre personnel)
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette

Á 1130
V         La présidente
V         M. Dennis Troniak
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         M. Raymond Mason (président, Spirit Wind Association)

Á 1135

Á 1140

Á 1145

Á 1150
V         La présidente
V         Mme Carol Skelton (Saskatoon—Rosetown—Biggar, PCC)

Á 1155
V         Mme Ruth Roulette
V         Mme Carol Skelton
V         Mme Grace Daniels (interprétation)
V         Mme Carol Skelton
V         M. Raymond Mason

 1200
V         Mme Carol Skelton
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary (Louis-Saint-Laurent, BQ)

 1205
V         La présidente
V         M. Raymond Mason
V         La présidente
V         M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD)

 1210
V         M. Raymond Mason
V         M. Dennis Troniak
V         M. Pat Martin
V         M. Dennis Troniak
V         M. Pat Martin

 1215
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         M. Lloyd St. Amand (Brant, Lib.)
V         Mme Flora Merrick (interprétation)

 1220
V         Mme Ruth Roulette
V         Mme Grace Daniels
V         Mme Ruth Roulette
V         Mme Grace Daniels
V         Mme Ruth Roulette
V         Mme Grace Daniels
V         Mme Ruth Roulette
V         Mme Grace Daniels
V         Mme Ruth Roulette
V         M. Lloyd St. Amand
V         Mme Grace Daniels
V         M. Lloyd St. Amand
V         La présidente
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         Mme Flora Merrick

 1225

 1230
V         Mme Ruth Roulette
V         La présidente
V         La présidente

 1240
V         Mme Nora Bernard (directrice, Association for the Survivors of the Shubenacadie Indian Residential School)

 1245
V         La présidente
V         Mme Nora Bernard
V         La présidente
V         M. Alfred Beaver (à titre personnel)

 1250

 1255

· 1300

· 1305

· 1310

· 1315

· 1320

· 1325

· 1330
V         La présidente
V         M. Alfred Beaver
V         La présidente
V         M. Alfred Beaver
V         La présidente
V         M. Jon Faulds (conseiller légal, à titre personnel)

· 1335
V         La présidente
V         Mme Nora Bernard
V         La présidente
V         L'hon. Ted Hughes (arbitre en chef, Indian Residential Schools Adjudication Secretariat)

· 1340

· 1345
V         La présidente
V         M. André Bellavance (Richmond—Arthabaska, BQ)
V         La présidente
V         L'hon. Ted Hughes
V         La présidente
V         M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, PCC)

· 1350
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary
V         La présidente
V         M. Bernard Cleary
V         La présidente
V         M. Roger Valley (Kenora, Lib.)
V         Mme Nora Bernard

· 1355
V         M. Roger Valley
V         La présidente










CANADA

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


NUMÉRO 019 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 17 février 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

Á  +(1110)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.

    Étant donné que le temps passe et que nous voulons entendre nos premiers témoins dans le créneau dont nous disposons, j'aimerais que l'on commence la séance. Je serai très généreuse en ce qui a trait au temps accordé aux témoins, comme je l'ai été avec les autres témoins, compte tenu que ces personnes sont venues de loin pour témoigner devant nous.

    Il s'agit de la séance no 19, du jeudi 17 février 2005. Conformément à l'article 108 du Règlement, nous faisons une étude de l'efficacité du mode alternatif de règlement des conflits concernant les pensionnats autochtones.

    Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont ici ce matin.

    Notre premier témoin devrait être M. Raymond Mason, de la Spirit Wind Association. Toutefois, la version française de sa présentation est dans le porte-documents qui devrait bientôt arriver ici, à la salle de comité. Par conséquent, nous allons commencer avec M. Dennis Troniak, conseiller, de Troniak Law Office, pour la première heure.

    M. Troniak.

+-

    M. Dennis Troniak (conseiller, Troniak Law Office): Merci.

    Je m'appelle Dennis Troniak. Je suis un avocat au Manitoba et je pratique le droit lié aux problèmes et aux besoins des Canadiens autochtones.

    Je représente des survivants des pensionnats, y compris Flora Merrick, que vous entendrez plus tard.

    J'appuie le travail et les buts de Spirit Wind, qui est un groupe de survivants dont le représentant va témoigner aujourd'hui. Vous allez entendre M. Mason, lorsque cette confusion sera corrigée.

    Je suis membre du National Consortium of Residential School Survivors' Counsel. J'appuie l'exigence formulée par le consortium portant que le gouvernement fédéral doit immédiatement négocier une entente juste, efficace, complète et exécutoire en ce qui a trait à toutes les revendications des autochtones qui ont fréquenté des pensionnats, et que le règlement soit mis en oeuvre avec l'approbation et sous la supervision des tribunaux. Cela dit, la présente audience est une occasion d'entendre ce que les survivants ont à dire.

    À mon avis, il est essentiel que le comité entende des survivants, et je le remercie de donner à des survivants des pensionnats l'occasion de s'exprimer. Ces survivants sont la condamnation vivante du racisme et de la violence systémiques envers des enfants par le gouvernement du Canada, durant une période de plus de cent ans. Je n'ai jamais compris pourquoi, au lieu d'appliquer avec détermination une politique nationale de règlement, de réconciliation et de guérison par suite de l'une des plus grandes violations des droits de la personne commises au cours de notre histoire, violation qui a entraîné la destruction de dizaines de milliers de familles et causé un préjudice énorme à des centaines de milliers d'enfants, le gouvernement du Canada se cache derrière le juridisme et les platitudes.

    Les vies de ces survivants comptent parmi les plus beaux exemples de courage, de force spirituelle contre la noirceur et de victoire de l'esprit humain contre l'adversité. Un grand nombre de ces vies ont pris fin dans la misère totale et dans des conditions sordides, et cette réalité nous touche profondément. Toutefois, un bon nombre de survivants, y compris des témoins que vous avez entendus mardi et d'autres que vous entendrez aujourd'hui, sont des exemples de victoires face à l'adversité que nous, qui n'avons pas vécu leurs expériences, pouvons à peine imaginer.

    Le gouvernement n'a pas respecté l'application régulière de la loi dans le cas de ces enfants--en effet, n'oublions pas que ces personnes étaient toutes des enfants à l'époque--et de leurs parents lorsqu'il a séparé les membres de ces familles et qu'il a gâché leurs vies. Le gouvernement continue de leur refuser un traitement juste en essayant de façon tout à fait déraisonnable de défendre ce qui est indéfendable.

    Par conséquent, je pose la question au premier ministre, aux membres de son Cabinet et de son caucus, ainsi qu'à tout parlementaire qui fait obstruction à la justice dans ce dossier: « N'avez-vous pas honte? N'avez-vous pas honte? »

    Je vous remercie de m'avoir donné la parole.

Á  +-(1115)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant entendre Mme Flora Merrick et Mme Grace Daniels.

    Je ne suis pas certaine si c'est Flora ou une autre personne qui fera la présentation, mais soyez tout à fait à l'aise. Nous ferons comme bon vous semble.

+-

    Mme Ruth Roulette (à titre personnel): Je m'appelle Ruth Roulette. Je suis la petite-fille de Flora Merrick. Je vais lire l'exposé en son nom, puis celle-ci formulera elle-même quelques observations. Voici sa présentation:

    « Je m'appelle Flora Merrick et je suis la fille de feu Flora McKinney et Archie Myron. Je suis aussi la veuve de l'ancien chef de la Première nation de Long Plain, au Manitoba, Angus Merrick, que le gouverneur général a fait membre de l'Ordre du Canada pour avoir passé sa vie à travailler pour les peuples autochtones du Canada.

    « Je suis née le 11 novembre 1916, maintenant le jour du Souvenir, et j'ai passé ma vie entière dans la réserve de la Première nation Long Plain, à environ 120 kilomètres à l'ouest de Winnipeg, au Manitoba.

    « Je tiens à remercier le comité de nous avoir invitées ici, aujourd'hui, ma belle-fille Grace Daniels et moi, pour raconter brièvement ce que nous avons enduré au pensionnat et notre expérience du mode alternatif de règlement des conflits (MARC) du gouvernement du Canada.

    « Nous sommes accompagnées de Ruth Roulette, qui est membre du conseil de la Première nation Long Plain et qui nous aidera à faire nos exposés. Ruth est la fille de Grace et ma petite-fille, et elle a aussi vécu l'expérience du pensionnat.

    « Nous avons aussi avec nous notre avocat, Me Dennis Troniak, qui répondra à toutes vos questions au sujet de nos revendications touchant le pensionnat et notre expérience du MARC.

    « J'ai été pensionnaire au pensionnat de Portage la Prairie de 1921 à 1932 et, à 88 ans, j'ai encore un souvenir très vivace de la douleur et de la souffrance que j'ai ressenties pendant que j'y étais. Le fait d'avoir été arrachée à l'âge de cinq ans à des parents et à une famille qui m'aimaient beacoup et d'avoir ensuite subi pendant des années des violences physiques, émotives, psychologiques et verbales constantes me hante toujours. On me punissait quand je parlais ma langue maternelle et je vivais dans la crainte constante de ce que les professeurs et le directeur me feraient. C'était comme être en prison.

    « Pendant mes années au pensionnat de Portage la Prairie, j'ai été témoin des injustices, des raclées et des violences de toutes sortes infligées aux autres enfants, dont certains étaient mes frères et soeurs. Nous étions traités plus mal que des animaux et nous vivions dans une peur continuelle. Je ressentirai toujours le choc de ce que j'ai vécu et de ce que j'ai vu les autres enfants subir.

    « Un de ces souvenirs m'est particulièrement pénible. Cela s'est passé en 1932. J'avais alors quinze ans. Mon père était venu au pensionnat pour nous dire, à ma petite soeur et à moi, que notre mère venait de mourir et pour nous emmener à ses funérailles, mais le directeur ne nous a pas permis d'y aller. Ma soeur et moi avons tellement pleuré qu'on nous a enfermées dans une pièce noire pendant environ deux semaines.

    « Quand on m'a laissée sortir et rejoindre les autres enfants, j'ai essayé de m'enfuir pour retrouver mon père et ma famille, mais les professeurs m'ont rattrapée dans les buissons et m'ont battue si fort à coups de ceinture que mes bras ont été couverts de bleus pendant plusieurs semaines. À la fin de l'année scolaire, lorsque mon père a vu ce qu'ils m'avaient fait, il n'a plus voulu que je retourne au pensionnat.

    « J'ai raconté cette histoire lors de mon audition dans le cadre du MARC, à Long Plain, en juillet 2004. On m'a alors dit que les traitements et châtiments que j'avais subis correspondaient à ce qu'on a appelé « les normes acceptables de l'époque ». Avant d'être emmenée au pensionnat, j'avais vécu dans une famille unie et pleine d'amour et, à mes yeux, il est barbare de battre une enfant à coups de ceinture au point qu'elle soit couverte d'ecchymoses pendant des semaines et de l'enfermer deux semaines dans une pièce noire.

Á  +-(1120)  

    « On m'a dit que ce que j'avais vécu ne correspondait à aucune des catégories restrictives et rigides du système d'indemnisation du MARC. Après avoir entendu mon histoire, l'arbitre, M. Chin, m'a quand même accordé 1 500 $, mais le gouvernement fédéral a interjeté appel de sa décision afin de m'enlever même cette somme dérisoire.

    « J'aurais accepté les 1 500 $ non parce qu'ils constituaient une indemnisation juste et équitable, mais uniquement à cause de mon âge, de mon état de santé et de ma situation financière. Je voulais clore le dossier de mes années au pensionnat, et même cette petite somme m'aurait été utile.

    « Je suis très bouleversée et fâchée de savoir le gouvernement mesquin au point de me refuser même une indemnisation aussi ridicule. J'ai donné instruction à mon avocat, M. Troniak, de retirer ma plainte du MARC et de m'inscrire au recours collectif national dès que celui-ci sera jugé recevable. Je suis en colère non seulement pour moi-même, mais aussi pour tous les survivants du pensionnat.

    « Ma belle-fille, Grace Daniels, a aussi fait l'expérience du MARC. Je luis demande donc de vous dire ce qu'elle en pense. »

    Ma grand-mère aimerait maintenant dire quelques mots au comité.

+-

    Mme Flora Merrick (survivante des pensionnats, requérante MARC, à titre personnel): La plupart des élèves avec qui j'ai été à l'école ne sont plus là. Il ne reste plus que quelques-uns d'entre nous. Il y a à peine à peu près deux semaines, la dernière parmi celles qui s'étaient aussi enfuies est décédée. C'était terrible.

    Je ne sais quoi d'autre ajouter, mais je pense beaucoup à cela, notamment à la maison, lorsque je suis seule. Tant et aussi longtemps que vivrai, je n'oublierai pas ce qu'ils nous ont fait à cette école.

    S'ils peuvent enlever la douleur et la souffrance que j'ai éprouvées—

Á  +-(1125)  

+-

    Mme Ruth Roulette: C'est tout ce qu'elle a à dire.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, madame Merrick.

    Je ne sais trop si Grace fait une présentation distincte ce matin.

+-

    Mme Grace Daniels (survivante des pensionnats, requérante MARC, à titre personnel): Je demanderais à Ruth, ma fille, de lire cet exposé. Je ne pense pas pouvoir le faire moi-même.

+-

    La présidente: Merci.

    Allez-y Ruth.

+-

    Mme Ruth Roulette: Merci.

    Voici ce que ma mère veux dire:

    « Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant votre comité.

    « Je m'appelle Grace Daniels—même si le prénom inscrit sur mon certificat de naissance, qui est daté du 9 octobre 1928, est Elsie. La direction du pensionnat de Portage la Prairie a modifié mon nom quand j'y suis arrivée. Je suis restée à cet endroit de 1933 à 1943 et, pendant ces dix années, je ne voyais ma famille que durant une période de deux mois au cours de l'été. Pendant toutes ces années, je n'ai jamais fêté Pâques ou Noël avec les miens.

    « Je peux confirmer tout ce que ma belle-mère vient de vous dire, car j'ai subi les mêmes violences physiques qu'elle, comme d'innombrables enfants. Dès l'âge de 7 ou 8 ans, j'ai été fréquemment envoyée au bureau du directeur pour y recevoir des coups de ceinture. À dix ans, j'ai commencé à prendre la défense des autres enfants, surtout les plus jeunes, qui recevaient des coups de ceinture. Parfois, nous recevions des volées de coups sans raison apparente. À partir de là, on m'a frappée plus souvent et plus fort pour me décourager et faire de moi un exemple.

    « Un jour, le directeur de l'école m'a battue très fort. Il m'a amenée dans une salle privée, m'a ordonné de me déshabiller et m'a battue à coups de ceinture pendant une demi-heure. J'avais des marques sur tout le corps. Ça faisait très mal et j'ai été enflée et complètement couverte de bleus pendant plusieurs jours. Il ne s'est arrêté qu'à bout de souffle, trop fatigué pour continuer. J'avais treize ans à l'époque. J'ai trouvé cela dégradant et humiliant. J'ai reçu beaucoup d'autres volées, à coups de ceinture ou à main nue, qui duraient plusieurs minutes et parfois jusqu'à une demi-heure. Mais je n'ai jamais cédé et je ne me suis jamais découragée. Les volées de coups de ceinture étaient administrées en présence des autres enfants, ce que je trouvais également dégradant et humiliant.

    « Le directeur qui me battait faisait régner la terreur dans l'école et les enfants vivaient constamment dans la peur. Comme il avait fait percer des judas dans toutes les portes, il pouvait nous épier et trouver des prétextes pour nous battre.

    « J'ai aussi été punie et menacée quand j'ai tenté de parler ma langue, l'ojibwa. Souvent, pour me punir, on m'affamait. Et la nourriture n'était la plupart du temps qu'une bouillie claire et fade.

    « Les violences que j'ai subies pendant mes années au pensionnat me donnent encore des cauchemars. Une bonne camarade y est morte sans raison pour avoir été négligée après être tombée malade, et on ne m'a pas permis de porter son deuil. Cet épisode est un des chocs émotifs dont je garderai toujours les cicatrices.

    « Je considère comme une grave injustice qu'on m'ait cataloguée dans la catégore du Modèle B aux fins du mode alternatif de règlement des conflits (MARC) et qu'on ait jugé que ce que j'ai enduré ne me donnait droit qu'à une indemnisation de 3 500 $. On m'a d'abord offert 3 000 $, mais je les ai refusés, car je jugeais l'offre insultante.

Á  +-(1130)  

    « J'ai interjeté appel du règlement, mais on a rejeté mon appel sous prétexte que je n'avais pas été victime d'abus sexuels et que je n'avais pas gardé de séquelles permanentes graves des mauvais traitements. J'ai l'impression que pour toucher une indemnité digne de ce nom, il aurait fallu que je subisse des lésions corporelles graves ou que je frôle la mort.

    « J'ai aussi l'impression d'être doublement victime, car je suis à la merci d'un processus gouvernemental indifférent et hostile dont la priorité est de nous dénier à tout prix un règlement équitable. On m'a dit que le gouvernement fédéral avait probablement dépensé près de 20 000 $ pour vérifier mon dossier et tenir l'audition. Sauf erreur, comme j'ai refusé l'offre du MARC, les dépenses que j'ai dû faire et les honoraires de mon avocat ne sont pas couverts.

    « J'ai donné instruction à mon avocat, maître Troniak, de m'inscrire sur la liste des auteurs du recours collectif national qui a été intenté et qui, je l'espère, sera certifié très bientôt. Je crois pouvoir dire, personnellement et au nom de ma belle-mère, qu'on ne peut pas faire confiance au gouvernement fédéral ni au MARC et qu'on ne doit pas s'attendre à ce qu'ils nous rendent justice et mettent un terme à la douleur et à l'humiliation que nous gardons des violences dont nous avons été victimes.

    « Je vous remercie. »

+-

    La présidente: Merci beaucoup, madame Roulette, d'avoir pris la parole au nom de madame Daniels et de madame Merrick.

    Monsieur Troniak.

+-

    M. Dennis Troniak: Madame Daniels à quelque chose à dire.

+-

    La présidente: Je m'excuse.

+-

    Mme Ruth Roulette: Elle voudrait juste faire une courte déclaration. Est-ce possible?

+-

    La présidente: Oui, nous vous écoutons.

+-

    Mme Ruth Roulette: Sa déclaration se lit comme suit:

    « Je m'appelle Grace Daniels. Je suis la mère de 14 enfants, y compris une paire de jumeaux, la grand-mère de 60 petits-enfants, et l'arrière-grand-mère d'un grand nombre d'arrière-petits-enfants. Mon regretté mari était un survivant des pensionnats, tout comme six de mes enfants. Je suis ici pour présenter mon cas ainsi que cleui de mes enfants.

    « J'ai refusé l'offre de règlement, parce que le processus du MARC est lent et qu'il ne reflète pas les souffrances que nous avons endurées en tant que prisonniers et prisonnières du système. Cette offre ne correspond pas aux souffrances que j'ai endurées lorsque j'étais une enfant.

    « En ma qualité de mère et d'aînée au sein de ma collectivité, j'ai été à même de constater les répercussions et les effets dévastateurs de cette politique sur les jeunes hommes et les jeunes femmes, au fil des années, notamment: le manque de compétences parentales, la pauvreté, les mauvais traitements et l'abus d'alcool ou d'autres drogues, qui entraînent l'éclatement de familles. J'ai vu les organismes provinciaux de protection de l'enfance et le système de justice nous enlever nos enfants que, parfois, nous n'avons jamais revus. Cette génération était celle qui était censée transmettre notre culture, nos récits, notre histoire et nos croyances, mais elle nous a été enlevée.

    « La seule façon que le gouvernement fédéral peut indemniser les survivants est d'appliquer un système juste et de faire en sorte que les fonds soient versés aux survivants et non pas à des avocats, et de s'assurer aussi que les fonctionnaires fédéraux ne nous les enlèvent pas.

    « En ce qui a trait à l'offre qui m'a été faite, j'ai été, comme je l'ai dit, giflée par les employés du pensionnat et je l'ai été de nouveau par ceux qui m'ont fait cette offre dans le cadre du MARC.

    « Puisse le Seigneur vous guider afin que vous accordiez un règlement adéquat à nos survivants.

    « Meegwetch. »

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant entendre M. Raymond Mason.

+-

    M. Raymond Mason (président, Spirit Wind Association): Bonjour à tous.

    Je m'appelle Raymond Mason et je suis un survivant de trois pensionnats indiens où j'ai passé dix ans et demi de ma vie. Je suis également président de la Spirit Wind, l'association de survivants qui a été créée au Manitoba, en janvier 2003.

    Lors de réunions tenues à Winnipeg et dans le nord du Manitoba, des survivants ont appuyé la création de Spirit Wind, ainsi que ses buts et objectifs. La Spirit Wind a également été entérinée par des résolutions adoptées en 2003 par l'Assemblée des Premières Nations et l'Assembly of Manitoba Chiefs.

    Permettez-moi d'abord de vous parler un peu de Spirit Wind. Notre association est entièrement indépendante et elle ne reçoit pas d'argent de Résolution des questions des pensionnats indiens Canada, ni du gouvernement du Canada. Par conséquent, nous avons les coudées franches pour représenter les survivants des pensionnats et nous faire leur porte-parole sans craindre de voir notre financement interrompu par mesure de représailles.

    Malheureusement, comme c'est souvent le cas lorsque de grandes questions juridiques et politiques et d'importantes sommes d'argent sont en jeu, les premiers intéressés et les premiers touchés, ceux qui ont le moins d'influence et de pouvoir, sont souvent oubliés lorsque des accords et des arrangements sont faits supposément en leur nom et dans leur intérêt. L'objectif de Spirit Wind est d'empêcher que cette triste règle s'applique dans le cas des survivants de pensionnats.

    Spirit Wind a l'intention de collaborer avec nos dirigeants élus au sein d'organisations comme l'Assemblée des Premières Nations et l'Assembly of Manitoba Chiefs, et non pas de s'en dissocier pour faire cavalier seul. Spirit Wind appuie le travail de l'Indian Residential School Survivors Society, qui cherche à organiser les survivants de pensionnats de tout le Canada. Nous appuyons et encourageons également le travail de ceux qui aident les survivants à composer avec la douleur et la souffrance qui découlent de leurs expériences vécues dans les pensionnats.

    Les buts et les objectifs de Spirit Wind, forte des résolutions adoptées par l'Assemblée des Premières Nations et l'Assembly of Manitoba Chiefs, consistent à :

Réunir tous les survivants des pensionnats indiens et leurs avocats dans le but de faciliter : l'expression d'une voix collective forte pour tous les survivants; une action politique et juridique efficace pour une résolution prompte et équitable de toutes les réclamations relatives aux pensionnats indiens; l'information de la population du Canada concernant l'ampleur des expériences et des effets du réseau des pensionnats indiens sur les Autochtones; et la diffusion d'expériences collectives et personnelles de survivants, par l'entremise des relations publiques et des médias.

    Ce qui précède est tiré de la résolution portant création de Spirit Wind, appuyée par les Residential School Survivors au cours de réunions tenues à Winnipeg et dans le nord du Manitoba.

    Quelques grands principes ont guidé Spirit Wind depuis sa création. Premièrement, les dédommagements financiers accordés directement à chaque survivant, dans le cadre du processus de résolution, font partie intégrante de la solution à la tragédie des pensionnats. Les survivants appuient énergiquement cette position. Ils nous ont dit que nous sommes, avec nos familles, ceux qui ont enduré les abus, les chagrins et les répercussions de nos séjours dans des pensionnats. La guérison est importante, mais une indemnisation financière suffisante et juste est un élément central de la guérison. Les fonds accordés pour des fondations de guérison et la culture autochtone sont importants, mais ils ne doivent pas être inclus dans le règlement des réclamations. En deux mots, il ne faut pas que ces initiatives du gouvernement fédéral soient financées à même les sommes qui doivent être réservées au paiement d'indemnités aux survivants.

    Par exemple, le gouvernement du Canada consacre des centaines de millions de dollars à la préservation et à la promotion de la culture française dans ce pays. L'application de cette politique gouvernementale est financée à même les recettes annuelles. Nous estimons que cette formule devrait être appliquée au maintien et à la promotion des cultures et des langues autochtones et de la guérison dans tout le Canada. L'argent nécessaire ne doit pas être pris dans les poches des survivants, dont un grand nombre sont parmi les êtres les plus pauvres et les plus vulnérables de notre société.

Á  +-(1135)  

    Deuxièmement, il faut se rappeler que chaque survivant doit être traité comme une personne, avec dignité et respect, afin qu'il ait la possibilité d'affronter sa peine et sa souffrance et de chercher la réconciliation et la réparation qu'il juge convenables. Chaque survivant doit avoir le droit de prendre ses propres décisions et de ne pas se faire imposer des accords ou des décisions arbitraires par d'autres personnes ou des organisations, même celles qui prétendent les représenter et défendre leurs intérêts. Chaque survivant doit avoir le droit de retenir les services d'un avocat qu'il trouve compétent et en qui il a confiance, pour s'occuper de sa réclamation. Cet avocat doit participer à toutes les négociations sur l'avenir du mode alternatif de règlement des conflits (MARC) ou de tout autre programme de réparation du gouvernement.

    Troisièmement, le gouvernement du Canada doit reconnaître et admettre les torts causés aux survivants et s'engager à les redresser justement et équitablement. Cela implique de leur verser directement une compensation financière pour les sévices sexuels, physiques, psychologiques, émotionnels, culturels, linguistiques et spirituels qui leur ont été infligés. Tout programme ou toute politique du gouvernement visant à réparer les effets de la tragédie des pensionnats doit prévoir et comporter une compensation financière pour tous ces sévices.

    En plus du mode alternatif de règlement des conflits (MARC), fortement critiqué, il faut offrir aux survivants d'autres moyens d'obtenir réparation. Le MARC est présenté aux survivants et au public comme un processus extrajudiciaire juste, exhaustif, non contradictoire, économique et empreint de compassion qui permet de résoudre promptement les réclamations relatives aux pensionnats. Or, de plus en plus, le MARC s'éloigne des qualités qu'on lui prête. Jy reviendrai un peu plus tard.

    La Spirit Wind est tout à fait convaincue que les réclamations relatives aux pensionnats doivent faire l'objet d'un recours collectif. Elle estime que c'est la seule manière de se faire entendre par le gouvernement du Canada et de l'amener à prendre en compte les préoccupations et les souffrances des survivants. C'est donc pour nous la voie à suivre. À notre avis, le recours collectif sera un moyen efficient et prompt d'obtenir réparation, sous la supervision de la cour. Il assurera l'équité et un traitement juste et uniforme à tous les survivants. Le recours collectif garantira également que le gouvernement fédéral demeure honnête et ne peut pas faire arbitrairement des règles du jeu ou changer celles qui existent, comme il l'a déjà fait avec le MARC.

    Finalement, chaque survivant doit avoir la possibilité de demander réparation individuellement, par la voie des tribunaux. Les survivants doivent avoir la possibilité de s'exclure du recours collectif afin d'intenter des poursuites personnelles s'ils le souhaitent. Autrement dit, quelle que soit la solution qu'ils choisiront, ils seront entendus par un tribunal. Mais peu importe la filière retenue par les survivants, il ne faut pas que les horreurs et la dévastation liées au génocide délibéré et systématique de notre race soient passées sous silence.

    Comme vous l'avez appris et comme vous l'entendrez encore aujourd'hui, les conséquences des sévices sont considérables et transcendent les générations. Le gouvernement fédéral ne doit pas se contenter de faire ce qu'il faut. On doit aussi constater qu'il fait ce qu'il faut à l'égard des survivants des pensionnats et de leurs réclamations. À cette fin, il faut que les survivants et leurs avocats s'assoient à la table et négocient tous les arrangements qui auront une incidence sur les réclamations et la vie des survivants et de leur famille.

    Dans le cas du règlement, dans les années 1980, du dossier des Canadiens d'origine japonaise qui ont été placés dans des camps d'internement pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a procédé promptement au versement d'indemnités, même s'il n'y était pas obligé par la loi. À l'époque, le premier ministre Brian Mulroney avait déclaré qu'une compensation était accordée à ceux qui avaient été placés dans des camps, parce que c'était la chose que la morale et l'éthique imposaient de faire. Nous aimerions bien que le premier ministre actuel, Paul Martin, suive le même principe et veille à ce que le gouvernement fédéral règle la question des pensionnats. Les survivants de pensionnats indiens ne devraient pas être traités comme des citoyens canadiens de deuxième ou de troisième classe.

Á  +-(1140)  

    Ces principes guident les prises de position et les actions de Spirit Wind face au gouvernement du Canada et au MARC. En mai 2003, environ trois semaines après l'entrée en fonctions de l'actuel sous-ministre chargé de Résolution des questions des pensionnats indiens Canada, Mario Dion, le chef spirituel de Spirit Wind, Melvin Swan, a eu l'occasion de le rencontrer et de lui exposer nos principes et notre position sur la question des pensionnats.

    Nous avons également présenté à M. Dion une série de doléances que nous souhaitions voir incorporées au programme de MARC. Quand le processus de MARC a été annoncé en novembre 2003, il était bien évident que nos préoccupations n'avaient pas été prises au sérieux. Dans un communiqué de presse publié le 7 novembre 2003, Spirit Wind dénonçait le MARC, un processus qu'elle considérait très imparfait et délibérément destiné à éviter la prise de responsabilité et à limiter l'obligation aux seuls survivants.

    Nous avons également été très critiques au sujet du programme d'une valeur de 1,7 milliard de dollars qui prévoyait qu'environ 750 millions de dollars seraient affectés aux coûts administratifs et juridiques du gouvernement. Le fait que les dédommagments se limiteraient aux cas de sévices sexuels et de sévices physiques graves a également été critiqué dans notre communiqué, parce qu'il crée des divisions et exclut les personnes qui ont fait l'objet de sévices émotionnels et psychologiques, sans parler du génocide culturel et de la perte de la langue et de l'identité dont nous avons été victimes.

    Malheureusement, bon nombre de nos craintes se sont avérées. Le fait que 80 p. 100 des sommes affectées à ce jour au MARC ont servi à l'administration constitue une grossière injustice et un gaspillage éhonté des deniers publics. Les réclamations sont traitées au compte-gouttes, pendant que le gouvernement fait des pieds et des mains pour engorger le processus et contester les réclamations devant les tribunaux. Les demandeurs sont réduits de nouveau à l'état de victimes par le MARC. Je suis soulagé de penser que ces audiences porteront sur ces questions.

    Je suis par ailleurs dégoûté de voir comment certains survivants sont traités par le MARC. Deux survivantes du Manitoba, Mme Flora Merrick, dont vous venez d'entendre l'histoire, et sa belle-fille, Grace Daniels, dont vous venez aussi d'entendre le récit, sont ici pour vous raconter ce qu'elles ont vécu et ce que le gouvernement fédéral et ses avocats considèrent comme un programme équitable et empreint de compassion. Mme Merrick est la veuve de feu le chef Angus Merrick, récipiendaire de l'Ordre du Canada, dont Mme Daniels est la fille. Le gouvernement fédéral a interjeté appel de la modeste indemnité accordée à Mme Merrick par un arbitre, parce qu'elle ne correspondait pas aux règles strictes du MARC que le gouvernement fédéral a lui-même fixées de manière arbitraire. Le petit dédommagement de Mme Daniels, qui, me dit-t-on, a été refusé, a été limité simplement parce qu'il était assujetti à un plafond arbitraire fixé par le gouvernement fédéral.

    Je suis convaincu que les mesures prises contre mesdames Merrick et Daniels s'inscrivent dans une stratégie du gouvernement fédéral visant à intimider et à effrayer les survivants en vue de les dissuader de présenter des réclamations. J'en veux pour preuve l'intention annoncée récemment par le gouvernement d'utiliser des millions de dollars de deniers publics pour charger des enquêteurs privés de vérifier les informations fournies par les survivants inscrits au MARC. Sur les ondes de la chaîne Radio I de la CBC, j'ai déclaré que cela équivaut à nous traiter de menteurs. Je ne conteste pas la nécessité de vérifier les renseignements. Cependant, le fait d'embaucher des enquêteurs privés qui vont venir fouiller dans nos existences constitue une intrusion dans notre vie privée et pourrait mettre en danger la sécurité de survivants, notamment dans le cas où des personnes accusées d'avoir infligé des sévices seraient interrogées au sujet des personnes qui les dénoncent comme auteurs de mauvais traitemements.

    Un autre exemple d'intimidation patente ou cachée nous est donnée par le fait que Résolution des questions des pensionnats indiens Canada a demandé aux survivants qui avaient un casier judiciaire d'obtenir ce document du Centre d'information de la police canadienne, le CIPC, qui est exploité par la GRC. Pour obtenir ce document, la personne doit se rendre au bureau central de la GRC de la région, présenter une demande officielle, faire prendre ses empreintes digitales et débourser environ 115 dollars.

Á  +-(1145)  

    Si le gouvernement fédéral a besoin de ce document, il peut l'obtenir tout seul, étant donné que la déclaration faite lors de la demande dans le cadre du MARC l'y autorise. Le moins que l'on puisse dire c'est que le fait de forcer quelqu'un à se plier à cette formalité est susceptible d'en déprécier et d'en décourager plus d'un. Cette exigence risque aussi beaucoup de décourager les survivants de poursuivre leurs démarches pour obtenir réparation.

    Je voudrais également parler de l'embauche par Résolution des questions des pensionnats indiens Canada de prétendus remplisseurs de formulaires. Il s'agit d'autochtones qui sont censés aider les survivants à remplir les demandes de MARC. Il nous a été signalé que, dans beaucoup de cas, ces remplisseurs tentent de dissuader les survivants d'obtenir les services d'un avocat. On nous a raconté que, dans bien des cas, après avoir convenu de travailler avec un remplisseur de formulaires, il est promis aux demandeurs un règlement rapide et considérable, mais que ceux-ci sont finalement laissés à eux-mêmes. Au Manitoba, des survivants nous ont raconté qu'on leur avait dit que leur avocat blanc prendrait leur argent et ne leur laisserait que des miettes de leur règlement dans le cadre du MARC.

    Il faut se rappeler que le MARC est offert seulement aux personnes de plus de 70 ans et aux personnes à la santé précaire. Il est scandaleux de voir le gouvernement fédéral embaucher nos frères et soeurs pour nous tromper et nous mener comme des agneaux à l'abattoir. De toute évidence, les intentions et les actions du gouvernement ne visent pas à servir l'intérêt des survivants, mais plutôt à les diviser pour les vaincre. Le gouvernement cherche simplement à limiter les règlements financiers accordés aux survivants, quels que soient les coûts juridiques ou administratifs à payer.

    On m'a dit que, à bon nombre d'audiences du MARC, il se trouve deux ou trois avocats du gouvernement et au moins un responsable de cas fédéral pour protéger les intérêts du gouvernement. Il est tout à fait inacceptable que le gouvernement cherche à décourager et à dissuader les survivants de se faire représenter par un avocat. Cette attitude discrédite la justice.

    Il faudrait que votre comité examine ce programme gouvernemental et en particulier l'embauchage et les agissements de ces remplisseurs de formulaires payés par le gouvernement. Nous devons avoir la certitude qu'ils ne cherchent pas à tromper et, en bout de ligne, à blesser des persones vulnérables en les incitant et les amenant à conclure des ententes avec eux.

    Tout ce qui précède et d'autre agissements du gouvernement fédéral tendent à prouver, à mon avis, que l'on ne peut lui faire confiance. Spirit Wind appuie vivement le recours collectif national Baxter et estime qu'il s'agit d'un moyen de trouver une solution aux quelque 12 000 réclamations non réglées relativement aux pensionnats indiens. Récemment, j'ai eu le plaisir de signer un protocole d'entente affirmant notre appui au recours collectif. Je crois comprendre que la certification récente du recours collectif des Mohawks de l'Ontario, en vertu de l'arrêt Cloud de la Cour d'appel de l'Ontario, fera jurisprudence pour le recours collectif national. Toutefois, le gouvernement du Canada conteste ce recours, qui contribuerait grandement à assurer un règlement prompt et équitable des réclamations des survivants. J'ai appris que le gouvernement fédéral a entrepris récemment devant la Cour suprême du Canada un recours en annulation du jugement Cloud. Il est évident que le gouvernement fédéral ne ménagera aucun effort pour contrôler et limiter le processus et empêcher une résolution juridique acceptable des réclamations relatives aux pensionnats.

    Bon nombre d'entre nous, survivants, sont des personnes âgées et à la santé précaire et beaucoup sont déjà décédés en attendant que justice soit faite. Malheureusement, il semble qu'il en mourra encore beaucoup d'autres avant que nous obtenions réparation. Il ne faut pas que la réclamation disparaisse avec le demandeur, comme le prétend le gouvernement. Le gouvernement avance qu'il n'est pas légalement tenu de reconnaître ces réclamations. Qu'en est-il de l'obligation morale et éthique de répondre à ces réclamations et aux réclamations des descendants qu'il refuse également de reconnaître? Il est honteux de constater que le gouvernement est récompensé pour tergiverser et éviter de répondre aux réclamations. Le gouvernement ne doit pas être autorisé à résoudre le problème de l'héritage des pensionnats indiens en attendant que tous les survivants soient morts. Au nom de Spirit Wind, j'exhorte le comité à veiller à ce que cela ne se produise pas.

    Je vous remercie de votre attention.

Á  +-(1150)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Mason, et merci à vous tous de vos témoignages, lesquels ont été, j'en suis consciente, très difficiles à donner.

    J'aimerais que l'on entame une série de questions en commençant avec le Parti conservateur et plus précisément avec Mme Carol Skelton.

+-

    Mme Carol Skelton (Saskatoon—Rosetown—Biggar, PCC): Merci beaucoup, madame la présidente.

    Merci beaucoup. J'en suis à mon deuxième mandat à la Chambre des communes et les séances de mardi et d'aujourd'hui du comité ont été les plus difficiles auxquelles j'ai assisté, parce que les témoignagnes entendus au cours des deux derniers jours m'ont montré à quel point chacun et chacune d'entre vous ont été victimes d'injustices. Je vous dis du fond de mon coeur que je suis profondément désolée que vous ayez fait l'objet d'un tel traitement.

    J'aurais aimé que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le premier ministre soient ici ce matin pour entendre ce qu'ont dites ces femmes braves et courageuses.

    M. Troniak a dit que vous n'aviez pas été traitées de façon juste et que vous étiez des prisonnières du système. Je me reporte à des propos formulés dans le témoignage fourni ce matin. Ce qui s'est produit est scandaleux et je dis au gouvernement de l'époque: N'avez-vous pas honte? Il est tout à fait injuste qu'une école change le nom d'un enfant parce qu'elle ne l'aime pas, que le personnel lui donne de telles fessées et qu'on ne permette pas à cet enfant d'assister aux funérailles de sa propre mère.

    Madame Merrick, ma mère a votre âge. Elle n'a jamais eu à subir les injustices dont vous avez été victime, et ce n'est pas juste. Ce n'est pas correct et il incombe au gouvernement de réagir et de prendre les mesures qui s'imposent. Faire maintenant appel à des enquêteurs privés pour scruter votre passé n'est rien de moins qu'une autre gifle. Ce n'est pas raisonnable.

    Cela va être très difficile. Ruth—je m'excuse de vous appeler par votre prénom, mais j'ai l'impression que vous et moi avons un lien commun à certains égards—je me demande si vous pourriez élaborer davantage en ce qui a trait à vos enfants et à la façon dont ils ont été affectés par cette situation. Pourriez-vous nous fournir un peu plus de précisions?

Á  +-(1155)  

+-

    Mme Ruth Roulette: Faites-vous allusion au témoignage de ma mère?

+-

    Mme Carol Skelton: Est-ce que votre mère ou votre grand-mère pourrait nous en dire un peu plus sur la façon, à long terme, dont les enfants ont été affectés?

+-

    Mme Grace Daniels (interprétation): La plupart de nos enfants ne parlent pas notre langue autochtone. Étant donné que l'on ne nous permettait pas de parler notre langue au pensionnat, nous l'avons oubliée. Au sein de notre collectivité, il y a beaucoup de problèmes d'alcoolisme et de consommation abusive de drogues liés au fait que nous n'avions pas de compétences en tant que parents. En outre, il y a beaucoup de suicides, sans parler des séparations.

+-

    Mme Carol Skelton: Monsieur Mason, puis-je vous demander?

+-

    M. Raymond Mason: J'aimerais ajouter quelque chose à l'observation faite par madame. Je veux parler de mon expérience personnelle et je veux m'exprimer du fond de mon coeur.

    Pendant une très longue période après mon mariage, je ne comprenais pas pourquoi j'étais si distant, si froid avec mes propres enfants. Je pensais que la seule façon d'exprimer de leur exprimer de l'amour consistait à leur donner de l'argent et à les laisser se débrouiller. Après avoir suivi un processus de guérison avec un psychiatre, j'ai découvert qu'étant donné que j'avais passé tellement de temps dans le système, que je n'avais pas été élevé par mes parents, je n'avais jamais appris comment aimer en tant que parent. Par conséquent, comment aurais-je pu exprimer de l'amour à mes propres enfants?

    Le système a créé beaucoup de situations dysfonctionnelles, et pas seulement dans ma famille. Vous pouvez le constater dans tout le système. Encore aujourd'hui, j'éprouve des problèmes avec mon propre fils, à cause de l'alcoolisme, parce que je n'ai pas été un bon père. Je ne savais pas comment être un bon père. Il était trop tard quand j'ai appris et c'est triste.

  +-(1200)  

+-

    Mme Carol Skelton: Je pense que l'une des choses les plus importantes que vous avez dites est que le gouvernement a l'obligation morale et éthique de régler ce dossier.

    Merci, madame la présidente.

+-

    La présidente: Merci.

    Nous cédons maintenant la parole à M. Cleary, du Bloc.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary (Louis-Saint-Laurent, BQ): Madame la présidente, je suis très ému après avoir entendu les témoignages de ce matin. Je trouve toujours abominable d'obliger des personnes qui ont subi des sévices extrêmement pénibles à venir raconter en public tout ce qu'elles ont souffert.

    Malheureusement, il faut le faire parce que nos gouvernements ne comprennent ni la première, ni la deuxième, ni la troisième fois, et ne comprennent pas plus la quatrième fois. On doit leur répéter continuellement les mêmes choses.

    Je suis un Innu, un Montagnais, du même âge que ces personnes. J'ai eu de la chance de ne pas avoir connu ces fameux pensionnats et d'avoir pu étudier parce que mon père a été obligé de sortir de la réserve pour travailler. Dans le fond, j'ai été sauvé de toutes ces histoires parce qu'il n'y avait pas de travail pour mon père sur la réserve.

    Maintenant, mon intention n'est pas de vous questionner, parce que je sais combien il vous est difficile de raconter ce que vous avez vécu. Mon intention est plutôt d'essayer—et je pense parler au nom du comité—de vous réconforter et de vous dire qu'on va faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les choses se règlent, et le plus rapidement possible.

    Ce qui se passe est insensé. Il est insensé qu'on ait réglé si rapidement le dossier des Japonais et qu'on soit incapable de régler le dossier, pour moi cent fois plus grave, des premiers peuples, des peuples qui avaient accueilli les Européens les bras grands ouverts.

    Comment un gouvernement peut-il prendre de telles positions? Comment peut-il discuter de ce qui s'est passé chez les gens, mettre en doute ce qui s'est passé chez des gens, alors que des rapports comme celui de la Commission royale sur les peuples autochtones ont expliqué cela en long et en large?

    Le gouvernement refuse de voir les choses telles qu'elles sont et soulève mille et une questions dans ce dossier. Le gouvernement devrait reconnaître son erreur.

    Que voulez-vous? Il a fait une erreur et c'est abominable. La première préoccupation des personnes âgées qui en discutent est qu'on leur fasse des excuses, au moins pour les réconforter. L'argent, c'est bien beau, mais la satisfaction que ressent quelqu'un lorsqu'on reconnaît la véracité de ce qu'il a raconté toute sa vie vaut beaucoup plus. Cela ne coûte pas cher pour un gouvernement responsable de dire qu'il y a eu des erreurs et que ce sont des erreurs monumentales que le pays ne peut pas supporter.

    Réglons cela une fois pour toutes. Le plus important, ce n'est pas 200 millions de dollars de plus, ou même un milliard de dollars de plus. Le plus important, c'est de faire en sorte que les gens, comme vous, qui ont perdu toute leur vie...

    Quand je regarde Mme Merrick et sa fille ainsi que Mme Daniels et la sienne, je vois trois générations de personnes qui ont souffert des mêmes problèmes. Ce n'est pas abominable à peu près! Trois générations ont vécu les mêmes problèmes et les mêmes peines et ont eu la même difficulté à s'en sortir.

    Tout à l'heure, j'aurais braillé comme un enfant en écoutant cette histoire, parce que je sentais que c'était extrêmement difficile, pour les témoins, de ressasser des souvenirs qu'ils voudraient bien oublier, alors qu'ils n'en sont pas capables.

    Il y a toujours un comique quelque part qui refuse de reconnaître certaines choses et qui oblige les gens à répéter, encore et encore.

    Je veux simplement vous dire que le Bloc québécois va faire tout ce qui est en son pouvoir—et notre pouvoir est plus grand que vous ne le pensez—pour que vous receviez une juste réparation pour tout ce que vous avez souffert. Le gouvernement va être obligé de se rendre compte qu'il est minoritaire. Nous allons essayer. Je serais fort surpris que nous ne réussissions pas. Nous allons essayer d'obtenir justice pour vous. Vous le méritez.

    Merci.

  +-(1205)  

[Traduction]

+-

    La présidente: Merci.

    Je ne sais si quelqu'un d'autre veux formuler une observation. Par conséquent, je pense que je vais céder la parole à M. Mason.

+-

    M. Raymond Mason: J'aimerais remercier M. Bernard Cleary. Le fait d'avoir quelqu'un de notre côté me donne confiance et me fait sentir à l'aise.

    Merci beaucoup. Thank you.

+-

    La présidente: Merci.

    M. Martin, du NPD, a la parole.

+-

    M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, madame la présidente.

    Je remercie tous les témoins.

    Je viens de Winnipeg. Le Manitoba est mon coin de pays. Je crois que tous les témoins d'aujourd'hui sont des Manitobains. J'espère que vous êtes d'avis que vous avez la chance d'être entendus par des gens à l'écoute. J'espère seulement que la population en général vous entendra elle aussi. Ma question est la suivante.

    L'Assemblée des Premières Nations a fait remarquer à quel point le processus actuel est déficient. En plus de représenter un échec, il est fondamentalement faussé. Le 17 novembre 2004, l'Assemblée a présenté sa propre proposition visant à corriger la situation et a donné au gouvernement trois mois pour y répondre. La date d'ajourd'hui, le 17 février 2005, est la date limite. Il est donc tout à fait approprié que vous soyez ici aujourd'hui pour nous livrer votre message.

    La proposition de l'Assemblée des Premières Nations ne porte pas seulement sur l'aspect financier. Je crois qu'il y a consensus sur l'idée que l'admissibilité à l'indemnisation ne devrait se fonder que sur une preuve de présence. Si vous pouvez prouver que vous étiez un étudiant pendant cette période dans ces pensionnats, nous pouvons supposer que vous êtes une victime et personne ne vous fera revivre cette période.

    Le deuxième aspect de la proposition de l'Assemblée des Premières Nations concerne un processus de rétablissement axé sur la vérité et la conciliation vous permettant de raconter votre histoire et de révéler ce qui s'est passé et donnant aux Canadiens la possibilité de participer à ce processus de rétablissement. Est-ce là votre demande, non seulement une indemnisation raisonnable, mais également la tenue d'un forum national de vérité et de conciliation conforme au document de l'Assemblée des Premières Nations?

  +-(1210)  

+-

    M. Raymond Mason: Tout d'abord, j'aimerais vous remercier pour vos commentaires. Je le répète, je crois que nos dirigeants autochtones ont fait de l'excellent travail. Par contre, à ma connaissance, nous n'avons jamais été consultés. Personne ne nous a demandé si c'était ce que nous voulions, si nous trouvions que cette proposition était acceptable.

    Je crois que la meilleure chose à faire serait de tenir un forum afin que nous puissions nous réunir et en discuter point par point. Demandons aux gens ce qu'ils en pensent au lieu de choisir un chiffre et de dire que c'est ce à quoi correspond la guérison. Je crois que nous devrions tenir un forum afin que chacun puisse au moins avoir son mot à dire.

+-

    M. Dennis Troniak: L'un des obstacles les plus frustrants auxquels nous avons été confrontés à titre de conseillers de Spirit Wind et des survivants que vous avez entendus aujourd'hui est le fait de révéler cette histoire. Elle ne semble pas atteindre le public. Elle ne semble même pas atteindre les députés, semble-t-il. Nous croyons que la tenue d'un forum serait très importante pour faire connaître la situation et éviter que Mme Merrick et Mme Daniels n'aient pas à répéter leur histoire encore et encore.

    Je me suis occupé de bien des cas en vertu du MARC—nous en avons vu deux aujourd'hui—. Ce n'est pas facile. Ces deux cas, par exemple, sont tout en bas de la liste des sujets d'intérêt pour le gouvernement. Dans le cas de Mme Merrick, le gouvernement ne considérait même pas qu'il était question d'abus. Dans le cas de Mme Daniels, l'abus était considéré comme minime. Imaginez un peu ce que ces gens doivent endurer pendant ces audiences.

+-

    M. Pat Martin: Je crois que je peux affirmer sans me tromper que si les Canadiens étaient au courant de cette histoire, ils feraient preuve d'une grande compassion. Personne ici n'oubliera ce que nous avons entendu aujourd'hui. Si, comme vous le dites, il y a des milliers d'autres cas, semblables ou pires, je crois que les Canadiens agiront rapidement et sûrement.

    Je remercie le Parti conservateur de nous avoir fait part de cette affaire afin que nous en débattions et que nous l'étudiions dans ce contexte.

+-

    M. Dennis Troniak: Merci.

    Il s'agit d'erreurs graves. Vous devez faire quelque chose. Vous ne devez pas vous contenter du strict minimum.

+-

    M. Pat Martin: L'élément qui pourrait nous aider, et que vous avez tous mentionné à votre façon, est l'effet intergénérationnel. Je représente le centre-ville de Winnipeg, où habitent de nombreux jeunes autochtones en difficulté. Bon nombre d'entre eux sont au chômage ou sont dépendants aux drogues ou ont d'autres problèmes. Savoir d'où viennent ces jeunes et quelle est leur histoire serait profitable à tout le monde. quiconque a un peu de jugeote peut comprendre l'effet que ces vies interrompues peuvent avoir sur les générations suivantes.

    M. Mason, votre témoignage fut très émouvant. Vous avez dit que vos propres problèmes, même ceux de vos enfants, découlent de cette période interrompue de votre vie. C'est très fort.

  +-(1215)  

+-

    La présidente: Merci, M. Martin.

    Mme Roulette a la parole.

+-

    Mme Ruth Roulette: Pour répondre à votre question sur la diffusion de ces histoires, dans notre communauté, nous avons un livre où sont documentés environ 80 p. 100 des témoignages des survivants du pensionnat. Une maison d'édition de Winnipeg, Pemmican Publishers, serait prête à publier un livre sur histoires. On ne sait pas combien de temps il faudra avant que ce projet se concrétise, car il reste plusieurs choses à négocier, notamment sur la question des coûts.

    Bref, il est vrai que nos histoires seront connues du public, dans notre communauté, du moins.

+-

    La présidente: Merci.

    M. St. Amand, du Parti libéral, a la parole.

+-

    M. Lloyd St. Amand (Brant, Lib.): Merci, madame la présidente.

    Permettez-moi de joindre ma voix à celles de mes collègues de ce côté-ci de la salle et de faire écho aux paroles de Mme Skelton, de M. Cleary et de M. Martin.

    Vos histoires, vos témoignages, Mme Merrick et Mme Daniels, ont été relatés avec bravoure par vos représentants. Ceux d'entre nous qui n'ont jamais vécu pareil abus ne peuvent imaginer à quel point il faut être brave pour raconter en public des épisodes sordides et privés de son passé. Je vous félicite de votre bravoure.

    Si, en vous présentant ici aujourd'hui, votre objectif était de nous raconter ces souvenirs de façon vivante et de donner un côté humain aux abus du passé, vous avez réussi au-delà de toute espérance, croyez-moi. En ce qui me concerne, et il en va certainement de même pour mes collègues, vos témoignages ont donné vie à une situation que nous ne connaissons que par l'entremise de récits écrits. Vous nous avez encouragés et motivés à agir immédiatement pour corriger cette situation de la manière la plus équitable possible.

    Croyez-moi, Mme Daniels, ce que vous avez vécu n'a pas détruit votre âme. Le fait que vous soyez ici aujourd'hui témoigne de votre courage. Et que dire de Mme Merrick, si forte et éloquente. En bout de ligne, c'est vous qui avez gagné.

    Ceci dit, nous devons nous pencher sur le problème de façon pratique. Nous vous indemniserons, comme M. Mason et les autres, de la façon la plus rapide et équitable possible.

    Peut-être pourrais-je vous demander, Mme Merrick, Mme Daniels, de nous aider. Vraiment, que pourrions-nous faire afin que vous puissiez vous dire, à la fin de chaque journée, « Je me sens mieux. Cette expérience fut épouvantable, mais je sens maintenant que cette génération me traite de façon équitable. » Que pouvons-nous faire?

+-

    Mme Flora Merrick (interprétation): Merci à tous. Chaque soir, avant de me coucher, je prie pour avoir la force.

  +-(1220)  

+-

    Mme Ruth Roulette: Je vais répondre à sa question. Mais d'abord, je veux m'adresser à ma mère.

    Et toi, maman?

+-

    Mme Grace Daniels: Je les remercie de nous avoir écoutés.

+-

    Mme Ruth Roulette: Elle remercie le comité de nous avoir écoutés.

+-

    Mme Grace Daniels: Je ne veux pas que notre peuple ait à vivre une telle situation de nouveau. Ce qui m'est arrivé ne doit pas arriver à d'autres enfants. J'ai perdu ma jeunesse. J'ai... j'ai perdu tout cela. Je ne veux pas que cela se reproduise.

+-

    Mme Ruth Roulette: Ma mère dit que cela ne doit plus jamais arriver à qui que ce soit.

+-

    Mme Grace Daniels: Surtout à notre peuple.

+-

    Mme Ruth Roulette: Surtout à notre peuple.

+-

    Mme Grace Daniels: Je mérite davantage, je crois.

+-

    Mme Ruth Roulette: Ma mère croit qu'elle mérite davantage.

+-

    M. Lloyd St. Amand: Davantage sur le plan de l'indemnisation?

+-

    Mme Grace Daniels: Oui. Cela m'a suivi toute ma vie. J'ai perdu ma langue.

+-

    M. Lloyd St. Amand: À M. Mason...

+-

    La présidente: Pourriez-vous nous répéter ce que votre grand-mère a dit?

+-

    Mme Ruth Roulette: Elle souhaite dire quelque chose.

    Avons-nous le temps de raconter une histoire?

+-

    La présidente: Oui.

+-

    Mme Flora Merrick: Après avoir quitté l'école, j'ai laissé mes deux petites soeurs à l'école. Je savais ce qu'elles allaient endurer, mais je les y ai laissées.

    Ma soeur cadette a grandi. Elle avait 17 ans. Un jour, elle est revenue à l'occasion de notre pow-wow pour parler à mon père. Ma mère était déjà décédée à l'époque; il était tout seul. Ma soeur avait emmené avec elle un étranger. Il portait un uniforme de l'aviation. Elle était revenue pour demander à mon père de signer les papiers ou les formulaires afin qu'elle puisse... elle n'avait pas l'âge requis pour s'enrôler dans l'aviation. Mon père a refusé. Mon père n'était jamais allé à l'école, mais elle voulait qu'il signe d'une croix. Il ne voulait pas. Il lui a dit que si elle se rendait de l'autre côté de l'océan, elle se ferait tuer. Mon père n'était jamais allé à l'école, mais il savait ce qu'était la guerre.

    Ma soeur s'est mise en colère et elle a dit à mon père qu'elle ne reviendrait jamais à la maison, qu'elle nous quittait. C'est ce qu'elle a fait; elle s'est enrôlée dans l'aviation.

    J'ai une photo d'elle avec moi. Je la regarde tous les jours.

    La guerre s'est terminée avant qu'elle ne s'y rende. Elle a obtenu sa libération honorable et elle est partie. Nous n'avons plus jamais eu de ses nouvelles. Pas une lettre, rien.

    Nous avons passé à la télévision. Un homme, Norman Williamson, travaillait dans la réserve. Je lui ai raconté l'histoire et c'est passé à la télévision. Beaucoup de gens l'ont vu.

    Un jour, mon fils a reçu un appel de New York. Je ne me souviens plus du nom de cette fille. Elle a dit que sa grand-mère s'appelait Helen Rose—c'est le nom de ma soeur, Helen Rose. Elle prenait soin de sa grand-mère, ma soeur Helen. Cette fille nous téléphonait, à l'occasion. Elle avait vu l'émission à la télévision. Mon fils Maurice lui a dit que nous aimerions parler à ma soeur, mais la fille ne nous laissait jamais lui parler. Elle nous téléphonait, à l'occasion. Elle appelait soit ma fille Evelyn, soit mon fils Maurice, mais elle ne laissait jamais personne parler à ma soeur. Elle ne la laissait pas parler si elle était présente.

    Quelques mois plus tard, un an plus tard, j'ai commencé à me douter de quelque chose. Et si cette fille nous mentait? Elle voulait de l'argent. Maurice lui a envoyé de l'argent. Elle travaillait, elle avait un bon travail. Puis, elle nous a demandé une robe de cuir, comme celles que les Indiennes portent lors des pow-wow, ainsi qu'une ceinture perlée et des mocassins perlés. Elle revenait à la maison, à Winnipeg. Une amie d'Helen avait une fille qui allait se marier et elle avait invité Helen à venir à Winnipeg. Elle allait porter ces vêtements.

    Nous ne portons plus ces vêtements, seulement lors des pow-wow.

    Alors Evelyn et une de mes belles-filles ont confectionné les vêtements, ont acheté la ceinture perlée et les mocassins perlés, ont tout mis dans une boîte et sont allées la mettre à la poste.

  +-(1225)  

    Je ne sais pas pendant combien de temps nous avons été sans nouvelle de cette fille. Evelyn a fini par lui téléphoner pour lui demander si elle avait bien reçu la robe et si elle était de la bonne taille. Elle l'avait bien reçue, mais elle était trop grande. Elle avait donné les mesures à Evelyn; comment la robe pouvait-elle être trop grande? J'ai eu des soupçons. Je n'aimais pas cela.

    Lorsqu'elle a téléphoné la fois suivante, j'était chez Evelyn. Je lui ai dit que je ne la croyais pas parce qu'elle ne nous laissait pas parler à ma soeur. Je lui ai dit cela au téléphone. Je lui ai dit de ne plus jamais nous appeler. Je lui ai dit au revoir et j'ai raccroché. Elle n'a plus jamais rappelé.

    Je n'ai jamais revu ma soeur pendant toutes ces années, ni une lettre, ni un coup de téléphone. Mais je la vois chaque jour car j'ai une photo d'elle. Parfois, je lui parle, je lui demande de rentrer à la maison. C'est une autre chose avec laquelle je dois vivre. Nous ne savons pas si elle est encore en vie. Je voulais vous dire que je dois vivre avec cela. À Noël, je reste près du téléphone au cas où elle téléphonerait. Mais elle n'appelle jamais. Elle disparu complètement.

    Le directeur de l'école indienne est parti et ce directeur était son remplaçant. Il a dit aux enfants que la réserve n'était pas un endroit où nous pouvions retourner, qu'il n'y avait rien là-bas. Il leur a donc trouvé des emplois de nettoyeurs de maisons en ville. C'est à ce moment que ma soeur est partie. Elle a travaillé en ville pour gagner un peu d'argent pour pouvoir s'en aller ou s'enrôler.

    Je vous dis la vérité. C'est ce qui s'est passé. Je n'ai rien inventé.

  +-(1230)  

+-

    Mme Ruth Roulette: Ma grand-mère croit qu'il était important de raconter cette histoire, car c'est la dernière fois qu'elle a vu sa soeur. C'est au pensionnat qu'elle a eu l'idée de partir ailleurs plutôt que de revenir à la communauté. Elle voulait raconter cette histoire.

    Merci.

+-

    La présidente: En tant que présidente, j'avais décidé qu'aujourd'hui serait notre jour d'écoute. Je suis désolée que certaines personnes n'aient pas eu le temps de poser leurs questions, mais j'aimerais donner la parole aux prochains intervenants. J'ai pris la décision de changer l'ordre du jour pour en faire un jour d'écoute car je croyais qu'il était important que nous puissions écouter les gens qui se sont présentés ici aujourd'hui.

    Je vous remercie de nous avoir raconté vos histoires ce matin.

    La séance est levée pendant quelques minutes afin que les prochains intervenants puissent prendre place à la table.

  +-(1231)  


  +-(1239)  

+-

    La présidente: À l'ordre, s'il vous plaît. Nous passons maintenant aux intervenants de la prochaine heure.

    Au cours de la prochaine heure, quatre intervenants prendront a parole, en commençant par l'Association for the Survivors of the Shubenacadie Indian Residential School. Mme Nora Bernard, coordonnatrice, représente l'association.

    C'est votre tour, Nora. Je vous remercie de votre patience.

    Merci à tous d'avoir attendu. Je sais que nous avons quelque peu dépassé l'heure prévue de votre intervention, mais nous sommes prêts à vous écouter maintenant.

    Bonjour.

  +-(1240)  

+-

    Mme Nora Bernard (directrice, Association for the Survivors of the Shubenacadie Indian Residential School): Bonjour à tous. Je m'appelle Nora Bernard. Notre avocat, John McKiggan, m'accompagne. Je viens de Truro, en Nouvelle-Écosse.

    Membres du comité, compagnons survivants, je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de parler du MARC. J'espère pouvoir rendre justice aux survivants que je représente dans les dix minutes qui me sont allouées.

    Permettez-moi de commencer par tracer l'historique de l'Association for the Survivors of the Shubenacadie Indian Residential School. Elle a été fondée le 22 septembre 1995 et comptait 900 membres à l'époque. Aujourd'hui, il en reste un peu plus de 600. Nos membres habitent au Canada, aux États-Unis et même au Mexique et à Hawaï. Bon nombre de nos compagnons plus âgés sont décédés. Nous en avons aussi perdu à cause de dépendances ou de suicides. Notre association a mis sur pied un programme appelé Mi'kmaq-Maliseet Walk-in and Referral Healing Centre, situé à Truro, en Nouvelle-Écosse. Chaque jour, des survivants communiquent avec nous au sujet du pensionnat et pour répondre à des questions concernant le programme du MARC.

    Le MARC, dans sa forme actuelle, ne rend pas justice à nos membres survivants car il ne couvre pas la totalité des abus qui ont été, et sont toujours, reconnus par le gouvernement. Les abus sexuels et physiques ne sont pas les seuls abus que les survivants ont subi dans ces institutions. Il faut également mentionner les incarcérations sans raison, le travail forcé des enfants, le manque de nourriture, de vêtements et d'éducation, la perte de la langue et de la culture et le manque de soins médicaux.

    Ce ne sont que quelques-uns des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui et que le gouvernement a créés lorsqu'il a manqué à ses obligations fiduciaires en embauchant ces religieuses de différents ordres ainsi que les prêtres, ministres, frères et pères oblats. Combien de temps les survivants devront-ils attendre pendant que le gouvernement et les églises négocient à huis clos? Les églises refusent d'être tenues responsables. On dirait que toutes les parties cherchent à gagner du temps en espérant que les survivants décèdent tous ou que le problème se règle tout seul.

    Ce qui me préoccupe le plus est le fait que les anciens sont de nouveau considérés comme des victimes et doivent revivre le traumatisme. En bout de ligne, rien n'est réglé et, surtout, justice n'est pas faite. Les survivants qui sont passés par le processus du MARC n'ont pas été traités équitablement.

  +-(1245)  

    Je voudrais proposer que le gouvernement indemnise tous les survivants à 100 p. 100 et que le gouvernement, qui en a le temps et les moyens, intente un procès contre les églises afin qu'elles paient leur part de l'indemnisation.

    Je recommande fortement que le gouvernement cesse de créer des programmes tels que le MARC et commence à indemniser les survivants.

    Une voix: Absolument.

+-

    La présidente: J'aimerais que tout le monde soit à l'écoute et que les conversations se déroulent à voix basse.

+-

    Mme Nora Bernard: Comme je l'ai dit, il est question de survivants âgés dont la majeure partie vit dans la pauvreté.

    Les descendants des survivants ont également leur lot de problèmes, notamment les tentatives de suicide—parfois réussies—, la dépendance aux drogues et à l'alcool, la dépendance aux médicaments d'ordonnance ou autres, la violence familiale, les abus sexuels et la violence faite aux personnes âgées.

    Nous organisons des cérémonies du cercle de la guérison dans les prisons fédérales pour les détenus autochtones. Il s'avère que les deux tiers des détenus sont des parents ou des descendants de gens qui ont fréquenté les pensionnats.

    Je recommande l'établissement de programmes supplémentaires pour les détenus autochtones, en particulier pour ceux qui sont remis en liberté après bien des années d'incarcération. Ils ont besoin d'aide et d'orientation. L'augmentation du nombre de maisons de transition où les techniques traditionnelles de guérison sont utilisées serait très utile.

    Je suis consciente, comme l'un de mes collègues l'a mentionné plu tôt, que le MARC a un programme—et je crois que M. Martin en a parlé—, mais le MARC, ne représente pas les survivants de la Shubenacadie Indian Residential School. Moi, si. Je crois que tout règlement devrait être approuvé par la Cour de sorte que le gouvernement ne puisse changer d'idée comme bon lui semble.

    Pour terminer, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'aborder certains des principaux enjeux. J'espère que les fonctionnaires tiendront compte de nos recommandations et agiront en conséquence.

    Merci.

+-

    La présidente: Merci, Mme Bernard.

    M. Alfred Joseph Beaver a maintenant la parole. Nous vous écoutons.

+-

    M. Alfred Beaver (à titre personnel): Tout d'abord, puisque nous sommes à l'heure de l'Ontario, bon après-midi, mesdames et messieurs.

    J'espère que le degré de sincérité de ces audiences n'est pas égal au nombre de sièges occupés. J'espère qu'il est bien supérieur.

    Ensuite, j'aimerais remettre quelque chose qui n'a aucune utilité pour moi, ce MARC. Ce n'est même pas bon à brûler.

    Mon nom est Alfred Beaver. Je suis membre de la Bigstone Cree Nation. Je suis né et j'ai grandi à Wabiscaw, Alberta. À cinq ans, j'ai accompagné ma mère lorsqu'elle a été inscrire mon frère, qui était d'un an mon aîné. Nous nous sommes rendus à l'édifice des autochtones. À l'époque, il s'agissait probablement du plus haut édifice au nord d'Edmonton. Nous n'en avions pas la moindre idée. Je ne savais même pas qu'Edmonton existait, puisque j'étais un garçon de cinq ans d'une nation crie.

    Au début du mois de septembre 1950, je crois, j'ai goûté pour la première fois au pensionnat des Indiens. Ce fut le début de l'endoctrination et de la suppression du nehiyo en moi. Ce jour-là, j'ai connu pour la première fois l'injustice et l'absence de considération pour les autochtones, que je connais sous l'appellation d'Indiens. Après que ma mère ait inscrit mon frère, nous sommes sortis de l'édifice. J'ai pleuré lorsque j'ai vu une femme en longue robe noire emmener mon frère.

    Nous n'étions pas très éloignés de l'édifice lorsque nous avons entendu quelqu'un crier derrière nous. Il était environ midi. Ma mère s'est arrêtée, et je me suis arrêté aussi. Elle devait marcher lentement car je souffrais d'une maladie très grave, l'arthrite infantile. Ainsi, lorsqu'elle s'est arrêtée, je n'ai eu aucun mal à faire de même. J'ai vu quelqu'un courir vers nous depuis l'édifice de la mission. J'ai vu qu'il s'agissait d'un homme lorsqu'il s'est approché, amis il portait une longue robe noire. Je en savais pas qu'il s'agissait d'une robe, à l'époque. L'homme a dit quelque chose à ma mère et ma mère lui a répondu. Je ne parlais pas l'anglais à l'époque, seulement le cri. Après quelques mots échangés, l'homme en noir m'a pris par le bras gauche, et ma mère par le bras droit. Il devait être midi, car les garçons jouaient dans la cour. Ils se tenaient tous le long de la clôture, comme des animaux dans un corral.

    Ils se sont mis à se disputer. Ma mère m'a pris par le bras droit et ils ont tiré chacun de leur côté, comme une partie de souque-à-la-corde. L'homme à la robe noire s'est vite mis en colère. Sa voix me faisait peur. Je n'avais jamais vu un homme violenter une femme. Ce prétendu homme de Dieu a frappé ma mère à la mâchoire avec son poing fermé. J'ai vu ma mère tomber. Elle était trop faible pour se relever.

  +-(1250)  

    L'homme m'a ensuite pris par le bras et par le col de ma chemise et m'a amené à l'intérieur de l'édifice de la mission. Voilà comment je suis entré à la St. Martin's Indian Residential School. Je ne crois pas qu'il y avait beaucoup de saints, à cette époque. Il n'y en a toujours pas beaucoup, s'il y en a jamais eu.

    Pendant ma première année au pensionnat indien, j'ai vu pour la première fois des enfants se faire traiter différemment des adultes. Je serai bref, car je n'ai pas beaucoup de temps. La seule fois où il y avait du sucre, du beurre, du lait, des confiture ou quoi que ce soit à part du sel et du poivre à notre table était à l'occasion de la visite annuelle des représentants du ministère des Affaires indiennes à Wabiscaw. Pendant trois jours, nous portions des habits et nous mangions la même nourriture que les prêtres, les soeurs et les frères. La seule autre fois était lorsque l'évêque McLennan décidait de nous rendre visite avec son entourage, soit l'évêque Routhier, à l'époque. Autrement, nous n'étions jamais traités de la même façon que les autres humains.

    J'ai entendu un autre survivant raconter avoir été attaché et fouetté. J'ai aussi vécu cela. Je ne sais pas combien de gens parleraient ouvertement des abus sexuels dont ils ont été victimes. Il y a quelques jours, le 14 février, j'ai eu 60 ans. Cinquante années n'ont pas effacé le souvenir du traitement inhumain que j'ai subi aux mains de gens qui étaient responsables de ma vie. Cinquante années n'ont pas atténué le traumatisme et la honte.

    Pouvez-vous vous mettre dans la peu d'un garçon de neuf ou dix ans? Chaque vendredi à la mission nous enlevions nos vêtements pour en mettre des propres. C'était à midi, en 1954, environ deux semaines avant Noël. J'avais appris ce que signifiait Noël grâce aux décorations, aux chants, et ainsi de suite. J'étais à la mission depuis trois ou quatre ans. Environ deux semaines avant Noël, un vendredi, nous avons enlevé nos vêtements: nos pantalons, nos chemises, nos gilets de corps, nos sous-vêtements et nos bas. La dernière pile était formée de nos mouchoirs.

  +-(1255)  

    Aussitôt dévêtus, nous devions enfiler une petite jupe. Nous faisons cela devant les superviseurs; il s'agissait des Soeurs de la Providence, je crois. Les garçons devaient se déshabiller devant les femmes. Je n'ai jamais été témoin d'une scène semblable de l'autre côté de l'édifice, du côté des filles, mais j'ai entendu dire que c'était exactement la même chose. Un prêtre était là pour bénir les filles après qu'elles se soient dévêtues afin de les purifier avant qu'elles n'enfilent leurs vêtements propres. Nous n'avons jamais subi un tel traitement. Et dire qu'il s'agissait d'hommes et de femmes de Dieu.

    Enfin, ce vendredi, j'ai déposé mon pantalon, ma chemise, mon gilet de corps, mes sous-vêtements et mes bas, mais je n'avais pas mon mouchoir. À cause de l'endroit et de la situation de notre côté, les garçons volaient souvent des petites choses entre eux. Dans ce cas-ci, quelqu'un avait volé mon mouchoir après avoir perdu le sien. J'étais l'un des plus petits. Lorsque vint le moment de déposer mon mouchoir par terre, Soeur Denise, la superviseure des garçons, m'a dit « Où est votre mouchoir? » J'ai répondu « Je ne sais pas ». Elle a demandé « L'avez-vous utilisé comme papier de toilette? » J'ai dit « Non », mais elle a dit « Oui, c'est ce que vous avez fait ». J'ai répondu « Non, quelqu'un me l'a volé », mais cette réponse n'était pas suffisante. Elle m'a dit d'aller me tenir debout près du bureau où ils s'asseyaient du côté nord-ouest de la chambre des garçons. C'est l'endroit ou s'asseyait le superviseur des garçons dans l'ancien édifice de la mission.

    Les garçons sont partis dîner et je suis demeuré debout devant le bureau avec ma petite jupe. Après avoir mangé, les garçons sont sortis jouer. Vers une heure, la cloche a sonné et les garçons se sont mis en rang pour retourner en classe. Pas moi, je suis resté debout devant le bureau.

    À cette époque, entre 1950 et 1954, j'étais tellement domestiqué, comme un petit animal, que j'obéissais au doigt et à l'oeil. Alors, je suis demeuré debout. Les autres garçons se mettaient en rang pour retourner en classe et ils riaient de moi et de ma condition médicale, dont j'ai souffert pendant bien des années. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je souffrais d'arthrite infantile; je marchais avec les jambes et les bras fléchis et le dos courbé. Je suis passé à travers avec l'aide d'un autre garçon au pensionnat.

    Donc, les garçons se mettaient en rang pour retourner en classe et j'étais toujours tout seul debout. Soeur Denise est revenue et a dit « Alfred, mettez vos sous-vêtements, votre pantalon, vos bas, votre chemise, votre manteau et votre tuque. » C'est ce que j'ai fait.

    Il y avait une ligne téléphonique directe entre l'édifice de la mission et l'hôpital et entre l'hôpital et la maison du père. Il y avait trois édifices reliés par ces vieux téléphones à manivelle. Elle a pris le téléphone et a dit quelque chose en français que je n'ai pas compris.

    Un peu plus tard, Frère Filion, qui était prêtre, serviteur de Dieu... Je ne sais pas s'il est encore en vie, mais il l'était encore il y a quelques années, je l'ai vu. Il est entré dans l'édifice de la mission, du côté des garçons, avec un homme de ma communauté, Gabriel Anderson. Il est encore envie. Je suppose qu'il était l'un des Indiens domestiqués qui travaillait à la mission.

    Si je donne l'impression que je suis amer, c'est que je le suis. Je ne m'en cache pas.

·  +-(1300)  

    J'ai remarqué que Frère Filion avait un pied-de-biche ou une barre à clous. À l'extérieur de l'édifice de la mission, dans la cour des garçons, il y avait des toilettes extérieures d'environ 36 pieds de long et 3 pieds de large. Chaque cabine était large de 3 pieds. Soeur Denise m'a dit d'accompagner Frère Filion et Gabriel pour chercher mon mouchoir. Je ne sais pas pourquoi cet homme avait apporté une barre à clous, mais nous nous sommes rendus aux toilettes.

    Rendu aux toilettes, Frère Filion a enlevé trois ou quatre planches sur le côté de ces toilettes de 3 pieds de largeur. Après qu'il eut terminé, il m'a demandé de chercher mon mouchoir. J'ai regardé, il a commencé à se lever et j'ai dit « Rien ». C'était tout ce que je savais dire en anglais à l'époque—rien. Il a dit que je n'avais pas regardé et m'a empoigné par le collet et le fond de culotte et m'a jeté dans les excréments, dans 36 pieds de merde.

    Ces gens étaient en charge d'enfants sans défense. Pouvez-vous imaginer l'humiliation de ramper dans 36 pieds d'excréments humains? Pouvez-vous imaginer la puanteur?

    Moi, si. Je ne pouvais pas me défendre ou m'opposer à la volonté des gens en charge, à l'époque. J'ai rampé sur toute la longueur des toilettes, sur les coudes et les genoux. Je me suis rendu jusqu'au bout, puis je suis revenu. En essayant de sortir de là, j'ai dit à Frère Filion que je n'avais rien trouvé, et il a esquissé un léger sourire. Il m'a dit que je n'avais pas regardé et d'y retourner. Et j'ai obéi, comme l'esclave obéissant que j'étais. J'y suis retourné, j'ai rampé de nouveau, mais cette fois, je me suis appuyé sur les mains et les genoux. J'imagine qu'être couvert de merde m'importait peu. Difficile de descendre plus bas.

    Voilà qui étaient ces gens en charge de la vie des enfants indiens pendant quelque dix ans. Ce qui était triste et choquant à propos de cette période était que nous ne pouvions pas nous plaindre à nos parents, car ils était tellement endoctrinés qu'ils étaient convaincus qu'il était impossible que leurs enfants disent la vérité et que ces gens, ces prêtres et ces religieuses, mentent, car ils étaient au service de Dieu.

·  +-(1305)  

    Vous voyez, nos parents étaient passés par le même système. Ma mère avait vécu la même chose. Mon père, non. Mon père vit toujours. Le 14 février, j'ai en 60 ans. Mon père est à peine âgé d'un jour de moins, si vous pouvez le croire. Son anniversaire est le 15 février; il vient d'avoir 105 ans. Sa parole, sa mémoire, sa vision, son ouïe, tout y est, tout est intact, même après plus d'un siècle. Je lui ai parlé de cela il y a quelques jours. Je lui ai parlé de ce dont je m'étais plaint après quelques années à la mission. Il a dit: « Je regrette de ne pas avoir cru mes propres enfants, à l'époque. J'aurais aimé que ta mère ait cru ce que ses propres enfants racontaient. Mais nous ne savions pas, à l'époque. » Il m'a dit cela en cri.

    Une chose triste que nos parents—et les vôtres aussi, peut-être—ont vécu est l'endoctrination et l'institutionnalisation par les prêtres catholiques, par l'église catholique, par ses assistants, par les soeurs de divers ordres et par les gens du gouvernement. Mais le pire, à cette époque, était que si mes parents allaient voir le prêtre pour se plaindre de quelque chose qui se reflétait chez moi ou chez tout autre parent ou chez leurs enfants, la première réponse, le premier commentaire du prêtre était: « Si vous voulez vous plaindre, je vais appeler la GRC. »

    À cette époque, la GRC du détachement de Slave Lake venait à Wabiscaw une fois par mois, à cheval. Son pouvoir était incontestable. Je me souviens qu'en 1963, la GRC est venue à Wabiscaw, mais à cette époque il y avait une section de route de gravier entre Wabiscaw et Slave Lake. Ces agents de la GRC sont arrivés à Wabiscaw et ont fouillé toutes les maisons qui pouvaient, selon eux, abriter des distilleries clandestines ou d'autres choses de ce genre. C'était toujours cela qu'ils cherchaient. Ils ne cherchaient pas la drogue. Nous n'en avions pas à l'époque. Ils cherchaient la bière artisanale. La distillation clandestine était passable de six mois de prison. C'était cela, le système judiciaire: six mois de prison sans procès.

    Ce n'est pas une théorie. Ce n'est pas un ouï-dire. J'ai vu trois personnes se faire emprisonner pendant six mois à Fort Saskatchewan. L'un deux était mon oncle, le regretté Robert Auger. Il s'est fait prendre par la GRC car il avait de la bière artisanale chez lui. Il n'y a pas eu de procès. On l'a emmené à Slave Lake, et de là, à Fort Saskatchewan, où il est resté six mois. Après qu'il ait eu purgé sa peine, ont l'a ramené à Slave Lake, d'où il a marché jusqu'à Wabiscaw.

    Voilà de quelle autorité les prêtres et l'église faisaient usage pour menacer les Indiens, les parents d'enfants pensionnaires à la mission. Ils pouvaient faire des enfants ce qu'ils voulaient, sans avoir de comptes à rendre à personne.

    Par exemple, en 1955, si je me souviens bien, j'avais un grave problème d'énurésie. Je n'avais jamais eu ce problème avant mon entrée au pensionnat. Ma mère me l'a dit. Je n'avais jamais eu de problème de pipi au lit avant. Or, pendant mon séjour, ce problème est devenu si grave que je n'avais aucun contrôle sur mon urine ou mes selles, même le jour. Après une nuit, le matin, je me suis levé comme d'habitude. À 6 h 30, elle est venue tirer mes couvertures, comme elle le faisait pour les nombreux garçons qui faisaient souvent pipi au lit.

·  +-(1310)  

    Elle passait dans la rangée de lits et tirait les couvertures. Elle est arrivée à mon lit et a enlevé les couvertures. J'avais mouillé mon lit. Elle m'a dit de me lever, et j'ai sauté hors du lit aussi vite que ma condition me le permettait. Elle m'a dit d'aller à la salle de bain. Elle n'avait pas besoin de me le dire; j'étais bien obligé de la suivre car elle me tirait par l'oreille.

    Son arme favorite était la petite claquette des religieuses, constituée de deux morceaux de bois de cette longueur et cette largeur environ. Elles était si habiles avec ces claquettes qu'elles pouvaient claquer en cadence.

    Sa tactique de prédilection était d'ouvrir la claquette et de la refermer sur l'oreille des garçons. C'est ce qu'elle m'a fait, alors je l'ai suivie. Dans la salle de bain, il y avait un bain de cette largeur environ et long comme cette table. C'était un bain à l'ancienne d'environ deux pieds de profondeur. Elle avait déjà fait couler de l'eau chaude. C'était son système: le matin, elle faisait couler l'eau dans le bain. Mais cette fois, elle avait exagéré et je pouvais voir la vapeur monter. Il faisait froid l'hiver dans cet édifice. Je pouvais voir la vapeur monter de l'eau et j'y ai trempé le doigt: c'était trop chaud. C'est à ce moment qu'elle m'a poussé dans le bain.

    Il n'y a pas grand-partie de mon corps qui n'a pas été trempée. À cause de mon problème médical, j'ai eu de la difficulté à sauter hors de ce bain d'eau presque bouillante. Je sais ce que c'est que d'avoir des cloques d'eau grosse comme cela sur la peau, partout sur le corps. Presque tout mon corps a été ébouillanté. C'était douloureux et les autres garçons ont eu peur à cause de mes hurlements.

    On dit qu'on ne connaît pas sa force. Eh bien, on ne connaît pas sa voix lorsqu'on est terrorisé ou que l'on croit être en train de mourir. Je hurlais tellement que les autres garçons sont sortis de leurs lits pour voir ce qui se passait. Je courais de toutes mes forces en essayant d'échapper à la sensation de brûlure, à cette eau bouillante, aux cloques sur ma peau, et je suis tombé.

    Mais qui s'en souciait? Ce n'était qu'Alfred.

    Je le répète: ces gens étaient supposés faire de moi un être humain, car, selon les prêtres et les religieuses, j'étais un sauvage. Si une soeur m'entendait parler ma langue, elle me forçait à manger du savon ou à porter une pince à linge sur la langue pour avoir parlé « la langue du diable ».

·  +-(1315)  

    À la mission, j'ai été victime d'abus psychologiques, physiques et sexuels, mais les abus physiques et psychologiques n'ont pas pris fin à ma sortie de la mission, car rien n'a été fait pour réparer les dégâts causés par les prêtres et les religieuses. J'étais devenu une personne complètement humiliée, confuse et soumise.

    Je ne répondais qu'à un seul nom. Jusqu'à l'âge d'environ huit ans, si je ne répondais pas lorsqu'on prononçait ce surnom, je savais que j'allais avoir des problèmes. Jusqu'à ce que j'aie environ 15 ans, presque personne ne connaissait mon vrai nom. Je suis devenu une victime de la mission, des prêtres, des soeurs et des frères. Je suis devenu une victime de la communauté entière à cause de ce surnom. À cause de ma condition médicale, on m'avait donné un surnom, le nom d'un reptile qui ne mérite pas de vivre dans le monde des Cris; lorsqu'on le voit, on marche dessus et on le tue. J'ai été tellement programmé que je n'avais aucune façon de me défendre.

    En 1967, je me suis défendu pour la première fois: j'ai réagi. À cause de l'humiliation et des abus physiques, psychologiques et sexuels que j'avais endurés toute ma vie, j'ai réagi, en 1967, en tuant un homme. Il s'agissait d'un homme qui ne méritait pas de mourir, l'un des seuls qui m'ait traité comme un être humain dans la communauté de Wabiscaw. Il était le père de mon meilleur ami. Il était également une victime des pensionnats. J'ai réagi à dix ans d'humiliation et d'abus en à peine dix secondes.

    Je suis allé en prison. Je crois que c'est la seule fois où j'ai regretté quoi que ce soit. Ce n'aurait pas dû être cet homme.

    J'ai vécu dix ans de misère. Pendant dix ans, j'ai été victime d'abus verbaux et psychologiques. Je pourrais dire que j'ai été victime d'abus sexuels pendant sept ans.

·  +-(1320)  

    Je suis devenu la victime sexuelle du Père Rainville, le prêtre qui avait frappé ma mère le jour où je suis entré à la mission. S'ils n'avaient pas peur de faire de moi leur victime, pourquoi aurais-je peur de mentionner leurs noms?

    Père Giguère, qui est décédé... Ils sont tous décédés aujourd'hui: Frère Bouchier, Frère Guimot, et aussi Frère... je ne me souviens plus de son nom; on l'appelait Polack, Frère Polack. C'était le plus cruel de tous les frères, soeurs et prêtres. Il n'avait aucune pitié, aucune sympathie, pour qui que ce soit. J'ai été victime d'hommes et de femmes, car je me suis rendu compte assez jeune que ces religieuses qui avaient été formées pour être comme des saintes étaient des femmes ordinaires. À l'âge d'environ dix ans, j'ai découvert la différence entre un homme et une femme. Je n'en retirais aucune fierté. Je ne voulais pas en parler. J'en avais honte, car ma mère, mes soeurs et mes tantes étaient des femmes. À la maison, on m'avait appris à respecter les femmes. Les femmes ne faisaient pas le genre de choses que les religieuses faisaient—Soeur Elaine Margaret, Soeur Celine. Elles me sont tombées dessus avant même que je connaisse la connexion entre un homme et une femme.

    Aujourd'hui, on entend parler d'enseignantes qui violent des garçons de 14 ou 15 ans et qui se font punir en conséquence. Ces soeurs n'ont pas été punies. J'en ai fait l'expérience. Je n'étais pas un favori. elles ne m'ont pas choisi parce que je dégageais de la confiance sur le plan sexuel. Elles m'ont choisi car personne ne serait au courant, personne ne s'en soucierait. J'ai été choisi uniquement pour satisfaire les besoins sexuels dépravés de ces deux soeurs, celles que j'ai nommées. Elles ne m'avaient pas choisi parce que j'étais leur favori, mais bien parce que j'étais une victime dont personne ne se souciait.

·  +-(1325)  

Je ne veux pas donner l'impression que je fais l'éloge de qui que ce soit, mais il faut souligner le courage des gens qui ont témoigné plus tôt et à ceux qui sont en faveur de fournir de l'aide à leurs membres. J'aimerais que cela se fasse aussi dans ma communauté. J'ai entendu parler de plusieurs premières nations qui ont appuyé leurs membres survivants des pensionnats. Dans ma communauté, il y a encore énormément de déni. J'ai parlé à un membre du conseil plus tôt aujourd'hui. Il est l'un des survivants. Il m'a dit « Pourquoi y aller? Pourquoi aller là-bas? Un membre du conseil ou du programme de mieux-être communautaire aurait pu y aller. »

    Toutes les activités liées aux abus sexuels, physiques et psychologiques des enfants Indiens au cours de l'existence des pensionnats, toutes les conférences et les ateliers, ont été très utiles aux thérapeutes, aux psychologues, aux psychiatres et aux conseillers, mais les vraies victimes n'ont reçu que très, très peu.

    J'ai participé à une conférence à Edmonton. J'ai pris le micro et l'animateur m'a demandé si je voulais parler des pensionnats indiens. J'ai répondu: « Oui, j'ai été une victime et j'ai survécu au premier round. » Il m'a demandé si je faisais partie d'une agence de thérapeutes. J'ai répondu que non, et il a dit que seuls les thérapeutes, les guérisseurs, pouvaient intervenir. J'ai dit: « Mais je ne suis ni un guérisseur ni un thérapeute, seulement une victime. Donc, je ne suis pas admissible. »

    Je peux raconter bien des choses. J'ai vécu beaucoup d'expériences et je pourrais les raconter de façon plus claire. J'espère toutefois que ce que j'ai dit demeure à l'esprit des représentants des parties concernées. Il n'est jamais facile de se rappeler ou de parler de son état de victime de viol, de cruauté inhumaine, mais les souvenirs ne sont jamais très loin.

·  +-(1330)  

+-

    La présidente: M. Beaver, je suis désolée mais je dois vous interrompre. D'autres personnes veulent prendre la parole et d'autres souhaitent poser des questions. Je vous remercie pour votre intervention. Nous avons bien écouté et nous prenons note de ce que vous avez dit. Je vous remercie.

+-

    M. Alfred Beaver: Je veux seulement ajouter que c'est terminé. Il est temps de remplacer les dix ans de ma vie qui m'ont été pris en une demi-heure.

+-

    La présidente: Et je vous remercie de votre témoignage. Je sais que c'est très difficile pour vous, comme pour tous ceux qui ont parlé de leurs propres expériences.

+-

    M. Alfred Beaver: Je veux juste dire une chose, j'espère que ce sera clair. Il y a eu d'autres victimes que celles qui ont fait une demande d'indemnisation. Tous ceux qui étaient inscrits au pensionnat indien sont devenus victimes d'une façon ou d'une autre. Bon nombre refuse de parler de leurs expériences, mais tous ont été victimes.

    Le fait est que tous devraient être indemnisés financièrement. J'ai entendu un intervenant dire que ce montant est acceptable. Eh bien, si vous n'avez pas été victime très jeune ou que vous n'êtes pas devenu une victime avec les années, vous ne savez pas ce que c'est.

    Merci.

+-

    La présidente: Merci, M. Alfred Beaver.

    Je ne suis pas sûre si votre conseiller légal désire ajouter quelque chose ou si nous passons à M. Hughes. Je sais que les députés doivent se rendre à la période des questions avant deux heures.

+-

    M. Jon Faulds (conseiller légal, à titre personnel): Tout ce que je pourrais dire après l'intervention de M. Beaver n'aurait pas grand impact. Il y a toutefois un aspect sur lequel je dois insister. Le MARC du gouvernement n'est pas conçu pour mettre fin à ce que j'appelle la « crise des pensionnats ». Ce n'est pas sa raison d'être. Il n'a pas été conçu dans le but de mettre un terme à la crise des pensionnats. Son objectif est beaucoup plus limité et, comme les témoins l'ont dit plus tôt, il semble qu'il ait de la difficulté à atteindre même cet objectif limité.

    J'affirme que le MARC ne peut mettre un terme à la crise des pensionnats. J'utilise le mot « crise » car, comme nous l'avons entendu, les survivants décèdent à un rythme égal ou même plus élevé que les auditions tenues et les décisions prises en vertu du MARC. C'est une tragédie, et le Canada, selon moi, en est bien conscient.

    Il a été dit que le Canada respecterait les demandes et verserait des sommes aux familles des survivants. Je ne crois pas que cette politique soit raisonnable, car il n'est pas acceptable de dire que ce n'est pas grave si le processus est si long et que si les gens meurent nous indemniserons leurs enfants. C'est inacceptable et injuste. Il ne faut pas que les survivants meurent sans avoir obtenu justice et indemnisation.

    Je propose donc à votre comité une solution évidente à cette crise. Le gouvernement doit négocier de bonne foi afin de mettre sur pied un système de règlement exhaustif qui pourra être supervisé par la cour afin d'en garantir l'équité. Voilà comment on pourrait mettre fin à cette crise.

·  +-(1335)  

+-

    La présidente: Merci.

    Mme Nora Bernard a la parole.

+-

    Mme Nora Bernard: Avant que l'honorable Ted Hughes prenne la parole, puis-je demander que mon conseiller, John McKiggan, s'adresse au comité?

+-

    La présidente: Nous avons très peu de temps. Nous avons été très généreux avec le temps dont nous disposions. Je regrette, mais je vais donner la parole à M. Hughes, qui est sur la liste des intervenants.

    Tout ce que vous nous donnez sera considéré comme présenté au comité. Si vous nous donnez une déclaration écrite, le greffier en prendra note.

    M. Hughes, c'est à vous.

+-

    L'hon. Ted Hughes (arbitre en chef, Indian Residential Schools Adjudication Secretariat): Merci, madame la présidente.

    Je vois que la salle se vide. Comme vous dites que vous devez quitter pour la période des questions, je ne sais pas à quel point vous souhaitez que j'entre dans les détails.

    J'ai été heureux de répondre à l'invitation de venir ici aujourd'hui. Personne ne m'a dit quels sujets je devais aborder, mais je crois que je prendrai quelques minutes pour parler du processus du MARC et donner quelques chiffres et statistiques. Je serai bref, car les députés préféreront certainement poser des questions que m'écouter parler. Je pourrais revenir s'ils souhaitent obtenir de plus amples renseignements. J'ai ici des statistiques sur les récentes activités; je pourrais vous les laisser, si cela vous suffit.

    Le mois prochain, cela fera deux ans que celui qui était, à l'époque, le sous-ministre du nouveau ministère qui avait été formé pour régler ce dossier m'a téléphoné pour me demander si j'étais disposé à passer une entre vue avec d'autres gens, car le gouvernement voulait choisir un nouvel arbitre en chef pour ce nouveau processus du MARC. J'ai donc passé l'entrevue menée par les quatre parties: le gouvernement, les églises, l'association représentant les demandeurs et le groupe d'autochtones.

    J'ai été choisi avec ces représentants pour faire ce travail. Maintenant, 48 autres arbitres travaillent avec moi dans ce dossier. Ils ont tous été choisis de la même façon. Ils devaient être approuvés par ces mêmes quatre parties pour pouvoir occuper ce poste.

    Vous savez peut-être que le noeud du dossier est l'exécution rapide; bien que les dossiers se rendent à Ottawa lorsque le demandeur remplit son formulaire de demande, ils passent tous par notre secrétariat. Je vous assure qu'en ce qui me concerne, et en ce qui concerne les 48 arbitres qui travaillent avec moi, notre secrétariat est indépendant du gouvernement. Bien entendu, je suppose que c'est le gouvernement qui a confirmé nos fonctions, par des contrats, après que les parties nous aient choisis, mais le gouvernement ne nous dit pas quoi faire, à l'exception du fait que nous devons agir selon le modèle fourni par le gouvernement, comme d'autres l'ont bien dit aujourd'hui. Ce sont des contraintes avec lesquelles nous devons composer. Nous devons nous conformer au modèle établi pour verser les indemnisations et ainsi de suite, nous ne pouvons nous en écarter.

    Je crois qu'il ne faut pas méconnaître que la clé de notre processus est que notre modèle est inquisitoire et non accusatoire. Le demandeur est interrogé uniquement par le juge, et nous tentons de procéder d'une façon sensible et détendue. Nous nous rendons au domicile du demandeur, si c'est ce qui convient le mieux. Nous avons tenu des audiences dans des hôpitaux, dans des réserves et d'autres installations publiques communautaires, et j'en passe. Notre objectif est de rendre le demandeur qui vient présenter un témoignage pénible, comme ceux que nous avons entendus aujourd'hui, aussi détendu que possible.

    Je n'aurai pas le temps d'expliquer en détails les circonstances entourant nos activités, en ce qui a trait à nos domaines de compétence. Vous avez entendu aujourd'hui que le coeur de notre mandat porte sur les cas d'abus physiques et sexuels et sur certains cas d'isolement forcé injustifiés.

    Les statistiques que je peux vous fournir—je vous en laisse une copie—disent que, à l'heure actuelle, nous avons reçu 209 dossiers au total. Nous avons commencé à en recevoir au bureau du secrétariat en avril dernier. De ce nombre, 165 dont des dossiers individuels et 44 sont arrivée en deux groupes, pour un total de 209.

·  +-(1340)  

    Jusqu'à présent, 112 audiences ont été tenues, et les deux groupes qui représentent 44 cas sont actuellement en séance. Les audiences seront terminées le mois prochain.

    J'ai ici des statistiques sur la provenance des demandes, soit en majorité de l'Ouest canadien. Comme je l'ai dit, nous avons tenu 112 audiences, plus les audiences de groupe qui en totalisent 44; 88 décisions ont été rendues et 30 sont en cours de préparation puisque les audiences sont terminées.

    Nous tentons de respecter des échéanciers serrés, c'est-à-dire que les audiences sont prévues, dans la mesure du possible, dans les deux semaines suivant la réception du dossier par le secrétariat et nous espérons que la tenue des audiences se fasse dans les 30 jours. L'arbitre dispose ensuite de 30 jours pour rédiger sa décision. Notre objectif est de rendre les décisions dans les 90 jours suivant la réception du dossier par notre bureau, objectif que nous sommes très près d'atteindre.

    Le gouvernement nous a dit que nous devrions recevoir 1 000 demandes au cours du prochain exercice. Nous nous sommes donc préparés en embauchant du personnel pour traiter ces demandes, car nous voulons maintenir la rapidité avec laquelle nous informons les demandeurs de notre décision.

    Je peux vous dire que, jusqu'à présent, les montants d'indemnisation que nous avons décidé d'octroyer s'élèvent à environ 2,5 millions de dollars pour les cas de catégorie A, les plus graves, et à environ 200 000 $ pour les cas de catégorie B.

    Toutes ces données se trouvent sur la feuille que je laisse avec plaisir aux députés. Étant donné votre horaire chargé, je crois qu'il serait préférable que je m'arrête ici afin que les députés puissent poser des questions, à moi ou aux autres intervenants dont les témoignages ont été si éloquents cet après-midi.

·  +-(1345)  

+-

    La présidente: Nous avons le temps pour une très courte période de questions, une question par parti.

    M. Bellavance.

[Français]

+-

    M. André Bellavance (Richmond—Arthabaska, BQ): Je pense qu'en toute justice pour le témoin et pour le comité--plusieurs députés ont dû s'absenter--, nous devrions réinviter M. Hughes et l'entendre à nouveau, plutôt que de poser des questions de manière précipitée. Nous devons tous participer, dans quelques minutes, à la période de questions. Je pense qu'il serait important, vu le témoignage de M. Hughes, de ne pas précipiter le débat. Si les membres du comité, Mme la présidente et M. Hughes sont d'accord, nous pourrions nous entendre à ce propos. Sinon, faites ce que vous voulez.

[Traduction]

+-

    La présidente: La date d'aujourd'hui était la seule où M. Hughes pouvait venir. Je crois savoir qu'il sera en voyage la semaine prochaine; il peut probablement répondre mieux que moi.

+-

    L'hon. Ted Hughes: Je ne peux être ici mardi prochain, mais je peux venir tout à autre jour de l'année. Lundi, mardi et mercredi prochains, j'ai un rendez-vous avec le premier ministre et son Cabinet, à Yellowknife, pour discuter d'un autre dossier. Je serais très heureux de revenir à toute autre date, si vous avez besoin de moi.

+-

    La présidente: Je tiens à ce que les témoins sachent que seulement trois députés doivent être présents pour que des témoins comparaissent devant le comité. Toute l'information est mise en commun avec les autres membres du comité qui ne peuvent être présents à cause d'autres engagements. Tous les membres reçoivent l'information, qu'ils soient présents ou non.

    Si vous le désirez, je pourrais accorder une question à chacun. Comme je l'ai dit au début, je savais que cette journée serait surtout consacrée à l'écoute des témoins, car je savais qu'ils voudraient raconter leur histoire et ne pourraient le faire dans la période habituellement prévue pour les témoignages.

    Commençons par M. Lunn, du Parti conservateur.

+-

    M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, PCC): Merci beaucoup, madame la présidente. Je serai bref afin que mes collègues puissent également intervenir. Je ne demande pas de réponse immédiate; les témoins me la feront parvenir par écrit. J'aimerais également qu'ils reviennent témoigner.

    Tout d'abord, M. Hughes, mes questions s'adressent toutes à vous. Nous avons entendu, ce matin, un témoignage extrêmement troublant qui ferait dresser les cheveux sur la tête à n'importe qui. La seule conclusion que l'on peut tirer est que ce système a échoué lamentablement. Je suis conscient que vous vous efforcez de traiter les demandes en trois mois, mais il s'agit de demandes provenant de personnes très âgées. Les demandes doivent passer par tout un processus de vérification, d'enquête et ainsi de suite. Je ne sais pas combien de temps s'écoule avant que les dossiers vous parviennent.

    Les témoignages que nous avons entendus ce matin étaient horribles. Je le répète, des témoins ont affirmé que ce qu'ils ont vécu n'était pas considéré comme des abus au moment où cela s'est produit. C'est complètement inacceptable. Je n'entrerai pas dans les détails car nous manquons de temps.

    En ce qui a trait au nombre de demandes prochaines—et j'inclus celles qui ont déjà été envoyées au ministère—, je crois que nous dépassons largement le millier, comme vous l'avez mentionné. Un très petit nombre de ces demandes ont été réglées. Comme l'a dit M. Faulds, je crois, il s'agit d'une crise. Il a utilisé le mot « crise ». Nous devons agir très rapidement pour régler cette crise et cerner les problèmes. Il est inacceptable que nous ne trouvions pas de solution avant que les victimes passent de vie à trépas. Chaque membre de ce comité, de chaque parti, conviendra que, selon les témoignages que nous avons entendu aujourd'hui, dont certains des plus crédibles qu'il m'ait été donné d'entendre au cours de mes sept années comme député, ce processus est un échec lamentable.

    Je vous demande d'obtenir du greffier une transcription des témoignages de ce matin, de réagir par écrit à ce qui a été dit et de nous faire parvenir votre déclaration le plus tôt possible.

    Nous n'avons pas le temps d'écouter les réponses, madame la présidente. Un autre intervenant pourrait peut-être prendre la parole. Je suis d'accord avec mon savant confrère du Bloc québécois que nous devrions inviter M. Hughes de nouveau.

    Merci.

·  +-(1350)  

+-

    La présidente: Merci.

    M. Cleary a la parole.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: Je n'ai pas de questions à poser.

    J'en aurais fort probablement plusieurs, mais j'appuie la demande d'André. Je pense que nous devrons, d'une façon ou d'une autre, reparler à M. Hughes de toute cette question. Il n'est pas possible de terminer les travaux de notre comité sans avoir obtenu une série de réponses provenant de personnes qui ont participé au processus et qui pourraient être capables de nous expliquer bien des choses obscures.

    Je réitère la demande d'André. Je voudrais que nous puissions interroger une personne importante dans le cadre du processus pour obtenir des réponses à nos questions.

    Merci.

[Traduction]

+-

    La présidente: Je rappelle au comité que le ministre comparaîtra devant le comité le mardi 22. Vous pourrez peut-être alors poser certaines de vos questions; nous déciderons après cette séance si vous préférez poser vos questions à M. Hughes.

[Français]

+-

    M. Bernard Cleary: J'aimerais faire une observation. Selon moi, il est plus important de rencontrer M. Hughes que le ministre. Je peux vous garantir que je connais déjà les réponses du ministre. Nous avons beaucoup plus de chances d'obtenir des informations sérieuses en rencontrant M. Hughes qu'en rencontrant le ministre.

[Traduction]

+-

    La présidente: Je réagissais simplement au commentaire de M. Hughes au sujet du modèle défini par le gouvernement qu'ils devaient suivre selon leur mandat.

    M. Valley a maintenant la parole, et je crois que nous lèverons la séance après son intervention.

+-

    M. Roger Valley (Kenora, Lib.): Merci, madame la présidente.

    Certains témoins ne seront pas en mesure de revenir et j'aurais une question pour Nora. Je prendrai une minute pour y arriver, mais je serai bref.

    Je remercie tous les témoins d'être venus parler des abus de la part des églises et des ordres religieux. Nous savons que le MARC était un processus qui laissait place à la participation des premières nations. Il était censé travailler pour les premières nations. Il a causé beaucoup de problèmes aux survivants et nous devons tenter de les résoudre.

    Vous avez mentionné le programme des détenus. Bon nombre de ces détenus sont liés aux survivants des pensionnats et nous devons en tenir compte. Mais vous avez mentionné quelque chose qui a été dit ce matin—par Ray, je crois—à propos de la participation populaire.

    Nous avons consacré du temps—en ce qui me concerne, du moins—à la proposition de l'APN. Vous en avez parlé pendant votre témoignage et vous avez également dit que l'APN ne représente pas directement votre groupe. Je suis sûr que vous avez eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à ce document pour voir s'il a une valeur quelconque.

    Voilà ce qui me préoccupe le plus: peu importe ce que nous faisons, soit modifier le MARC pour l'améliorer ou établir un tout nouveau système, tout le monde devrait y participer. Voilà ce qui me préoccupe. Je suis désolé que vous n'ayez que si peu de temps pour répondre, mais j'aimerais avoir votre avis à cet égard.

+-

    Mme Nora Bernard: Je n'ai pas vu ce document et je n'ai pas été consultée du tout. J'aurais vraiment aimé que l'APN me consulte et consulte le groupe en entier, car c'est le peuple que nous représentons.

    Je le répète, notre groupe compte un grand nombre de survivants et le chef Fontaine est au courant de notre existence. Il me connaît bien.

·  -(1355)  

+-

    M. Roger Valley: J'en ai justement discuté lors de ma rencontre avec les représentants de l'APN, hier. Ma circonscription, comme celle de bien des députés, compte un grand nombre de collectivités éloignées. Il est toujours difficile de leur faire parvenir l'information.

    Voilà ce qui me préoccupe, le fait que tout le monde devrait participer. Ce sera notre défi pour l'avenir.

    Merci beaucoup, madame la présidente.

-

    La présidente: Merci.

    Je tiens à vous remercier tous d'être venus, même si je sais que nous n'avons pas eu le temps d'entendre tous les témoignages. Le comité a travaillé très fort pour vous entendre tous et pour respecter au maximum tous les intervenants.

    Je vous remercie de vos témoignages et, en tant que présidente, je travaillerai avec mes collaborateurs pour établir un calendrier. Mardi, nous recevons le ministre et le chef national de l'APN. J'espère qu'après cela nous serons en mesure de nous entendre sur la marche à suivre.

    Encore une fois, je vous remercie. J'ajouterais, en ce qui a trait à l'autre préoccupation, au sujet de la diffusion des témoignages, que c'est l'une des choses que la technologie moderne nous permet de faire. Chaque comité a son propre site Internet et les séances peuvent être diffusées instantanément, et les documents sont accessibles à tous. Grâce à Internet, nous pouvons diffuser nos séances en temps réel. Il s'agit d'un autre moyen de faire connaître les histoires que nous avons entendues aujourd'hui.

    Encore une fois, merci aux témoins.

    La séance est levée.