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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 039 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 15 novembre 2010

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Chers collègues, nous vous souhaitons la bienvenue après une semaine que vous avez passée dans les circonscriptions.
    Bienvenue à la 39e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous sommes le 15 novembre 2010. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur le transfèrement international des délinquants.
    Comme témoins aujourd'hui, nous accueillons, à titre personnel, Charis Lynn Williams, de même que John Conroy, qui est avocat.
    De l'Association du Barreau canadien, nous entendrons Gaylene Schellenberg, qui s'occupe de législation et de réforme du droit, et Paul Calarco, qui est membre de la section nationale du droit pénal.
    De l'Association canadienne des libertés civiles, nous accueillons — soyez de nouveau la bienvenue parmi nous — Nathalie Des Rosiers, avocate générale, et Lorne Waldman, avocat.
    Je crois comprendre que chacun d'entre vous a une déclaration préliminaire. J'ai eu l'occasion de rencontrer la plupart d'entre vous. Nous allons tout simplement commencer, puis j'aimerais vous rappeler que nous passerons aux premières séries de questions, d'une durée de sept minutes.
    Parce que nous sommes télédiffusés aujourd'hui, je demanderais également à ceux qui sont dans la tribune d'éteindre leurs téléphones cellulaires et leurs BlackBerry. Cela facilite les choses, tout simplement.
    Je vois que M. Davies a levé la main.
    Monsieur Davies.
    Merci, monsieur le président.
    Avant que nous commencions à écouter les témoignages, monsieur le président, j'aimerais proposer une motion pour que le comité réserve 15 ou 20 minutes à la fin de la réunion afin de discuter des travaux futurs du comité, si possible. Je sais qu'il y a un problème avec ce dont le comité a prévu de discuter mercredi. Je veux soulever cette question d'entrée de jeu pour éviter d'interrompre les témoignages des témoins.
    D'accord. Nous avons une motion pour passer aux travaux du comité. Relativement à ces motions, je crois que nous devrions normalement nous attendre à pouvoir discuter des travaux du comité. Ce n'est pas à l'ordre du jour, mais je pense que nous pouvons réserver un peu de temps pour le faire; donc, nous le ferons.
    Très bien. Commençons avec Mme Williams.
    Bienvenue.
    Merci de m'accueillir. Je m'appelle Charis Lynn Williams. Je suis la soeur aînée de Brent James Curtis, le détenu fédéral numéro 79979004 des États-Unis, qui purge actuellement une peine d'emprisonnement de 57 mois à Pecos, au Texas, pour complot en vue de faire le trafic de cocaïne.
    Je suis contre le projet de loi C-5 en raison de l'expérience que j'ai vécue au cours des trois dernières années. Mes démarches pour faire transférer mon frère au Canada m'ont permis de très bien connaître la Loi sur le transfèrement des délinquants, le système judiciaire des États-Unis et diverses prisons américaines.
    Je suis très préoccupée par la façon dont la Loi sur le transfèrement des délinquants a été bafouée et ignorée par le gouvernement actuel. Je suis sidérée de constater qu'on empêche des citoyens canadiens d'avoir accès à une loi à laquelle on a eu recours avec succès au cours des quatre dernières décennies. Ce traité entre pays a connu un haut taux de succès depuis son adoption, sauf qu'actuellement les contrevenants canadiens emprisonnés à l'étranger se voient refuser le droit de purger leur peine près de leur famille.
    La vérité, c'est que lorsque le ministre de la Sécurité publique refuse les transfèrements, il se trouve en fait à mettre en péril la sécurité publique, à refuser aux détenus l'accès à la réadaptation et transforme des délinquants non violents qui en sont à leur première infraction en détenus qui purgent des peines d'emprisonnement fermes. Je ne saurai peut-être jamais pourquoi le gouvernement agit ainsi, mais je sais que c'est mal aux yeux de tous les Canadiens et que cela doit cesser dès aujourd'hui.
    Brent, mon frère, est un citoyen canadien, un jeune homme qui a pris de mauvaises décisions. Ces décisions ont mené à son arrestation par le FBI en octobre 2007. Ni lui, ni moi ne pouvons justifier le crime qu'il a commis. Oui, il devrait être tenu responsable de ses actes. Mais puisqu'il est citoyen canadien, nous ne pouvons pas le priver de ses droits.
    Quand Brent a plaidé coupable à l'accusation de complot en vue de faire le trafic de cocaïne, il était passible d'une peine d'emprisonnement de 17 ans. Mais après avoir examiné la preuve du FBI, les références morales de Brent, ses antécédents en matière d'emploi et d'études et après l'avoir entendu parler en cour, la juge fédérale américaine l'a condamné à une peine d'emprisonnement de 57 mois à purger dans un pénitencier fédéral, soit environ cinq ans. Lors du prononcé de la sentence, la juge a dit qu'elle voyait Brent comme une bonne personne venant d'une bonne famille, non comme un criminel de carrière, mais comme quelqu'un qui a pris la décision stupide de jouer un rôle mineur dans un crime important pour se faire un peu d'argent rapidement.
    Pour nous, la sentence de mon frère — quoique tout de même sévère — n'a été rien de moins qu'un miracle parce qu'aux États-Unis les sentences sont établies en fonction de la quantité. Notre avocat américain connaissait la Loi sur le transfèrement des délinquants et nous a assurés que Brent serait près de nous pendant qu'il purgerait sa peine, que nous serions capables de l'appuyer dans son adaptation à l'emprisonnement, dans sa réadaptation et que nous pourrions l'aider à planifier son avenir.
    Le transfèrement de Brent au Canada a été approuvé par les États-Unis en décembre 2008. Il a été refusé en mai 2009 par celui qui était alors notre ministre de la sécurité publique, Peter Van Loan. Dans une lettre qu'il a envoyée à Brent, le ministre avait déterminé que s'il était transféré au Canada, Brent commettrait une infraction liée au crime organisé, malgré le fait qu'il avait été reconnu coupable d'avoir joué un rôle mineur. Il a été établi en cour que Brent n'a pas participé à des activités du crime organisé, mais qu'il avait été engagé à titre de livreur. M. Van Loan a ignoré tous les faits entourant le dossier, y compris les recommandations des États-Unis, des Services correctionnels du Canada, du procureur et de la juge qui a prononcé la sentence de Brent.
    Brent a maintenant purgé plus des deux tiers de sa sentence à des milliers de kilomètres de la maison et de la famille. Nous l'avons visité aussi souvent que nous avons pu, à grands frais. Les criminologues, les psychologues criminels et les gens des services correctionnels savent très bien que les meilleurs résultats pendant et après l'emprisonnement dépendent du soutien que le détenu reçoit de sa famille. En refusant les transfèrements, le ministre enlève à tous les Canadiens le droit au meilleur dénouement possible pour ceux qui sont arrêtés à l'étranger.
    Depuis son arrestation, mon frère n'a reçu ni réadaptation, ni aide psychologique, ni éducation. Les ressortissants étrangers incarcérés aux États-Unis n’ont accès à aucun programme et, en conséquence, ils n'ont pas les meilleures chances de réussite.
    Quand Brent s'est vu refuser un transfèrement, j'ai déposé une demande d'accès à l'information auprès de tous les ministères et bureaux du gouvernement. J'ai demandé et reçu tous les documents, en format électronique ou autre, sur lesquels apparaissait le nom de mon frère. J'ai fait cela afin de découvrir pourquoi le ministre avait refusé son transfèrement au pays.
    Dans tous les rapports, mon frère était considéré comme un candidat idéal et on a recommandé son transfèrement. Service correctionnel du Canada, les responsables des transfèrements internationaux, le procureur qui s'est occupé de sa cause, l'agent de probation qui a fait son enquête communautaire et la juge qui a prononcé la sentence s'entendaient pour dire que Brent avait toutes les chances de réussir sa réadaptation s'il était transféré au Canada.

  (1535)  

    Encore une fois, je le souligne, le département de la Justice des États-Unis a approuvé son transfèrement au Canada en décembre 2008, il y a près de deux ans, mais son pays natal, le Canada, a refusé. Plutôt, M. Van Loan a dit non.
    Les Canadiens détenus à l'étranger savent très bien que plus on refuse de transfèrements, plus les délinquants perdent le contact avec leur famille et plus les familles sont détruites.
    Brent est séparé de sa famille depuis maintenant trois ans. Sa conjointe de fait a décidé de passer à autre chose quand le transfèrement de Brent a été refusé. Au moins, quand quelqu'un est incarcéré au Canada, on peut lui rendre visite régulièrement et appeler à la maison ne coûte pas 1,99 $ par minute. Les familles se ruinent à essayer de rester en contact. Quand les transfèrements sont refusés, elles prennent la difficile décision de faire ce qu'elles ont à faire jusqu'à ce que la sentence ait été purgée à l'étranger. Lorsqu'on laisse des délinquants à l'étranger, on ne sait pas dans quel état — physique, mental ou émotif — ils reviendront au Canada.
    Il importe que le projet de loi C-5 ne soit pas adopté. Ce qui est encore plus important, c'est que le gouvernement recommence à honorer un traité qui a bien servi notre pays pendant des décennies. Modifier la loi pour qu'on y lise « le ministre peut tenir compte de tout autre facteur qu'il juge pertinent » est beaucoup trop vague et sujet à l'interprétation du ministre et non à celle des faits. À long terme, cela met en péril la sécurité publique.
    C'est un fait bien connu que le gouvernement conservateur de M. Harper veut être perçu comme un gouvernement qui lutte âprement contre la criminalité. Il est assez évident — même pour le simple observateur — que M. Van Loan, qui ne mâche pas ses mots, a choisi la voie la plus facile. Les détenus qui sont de l'autre côté de la frontière sont des cibles faciles et le ministre peut bafouer leurs droits de citoyen dans le but d'avoir l'air sévère aux yeux des électeurs au Canada.
    Si Brent purge toute sa sentence aux États-Unis, il reviendra au Canada sans le moindre casier judiciaire. Au cours des trois dernières années, mon frère a été emprisonné aux côtés d'agresseurs d'enfants, de violeurs et de meurtriers. Le Canada ne doit pas s'inquiéter du retour au pays de mon frère; il a retenu sa leçon. Mais nous devons être préoccupés par ceux qui seront laissés à la frontière. Après que les transfèrements eurent été refusés sans que l'on s'en rende compte, il n'y aura, au Canada, aucune trace des infractions commises par ces personnes, qui n'auront pas une carte d'identité de Service correctionnel du Canada. Encore une fois, ceci n'est pas de la sécurité publique; c'est de la mise en danger du public.
    Commettre un crime à l'étranger ne révoque pas la citoyenneté. Ces délinquants reviennent à la maison après leur peine d'emprisonnement, peu importe si leur transfèrement a été approuvé ou non. En notre qualité de Canadiens, nous devons savoir qui ils sont, leur fournir l'occasion de se réadapter et, par-dessus tout, nous avons besoin qu'ils soient près de leur famille qui pourra éventuellement les aider à réintégrer la société.
    L'attitude selon laquelle « si vous commettez le crime là-bas, vous pouvez purger votre peine là-bas » n'aidera personne. Oublier ces personnes et les laisser dans des situations dangereuses tandis qu'il existe un traité international tout à fait convenable est inhumain, fait preuve d'un manque de prévoyance et semble n'avoir de sens que comme un stratagème utilisé dans une campagne où l'on veut avoir l'air de réprimer sévèrement la criminalité.
    Dans le cas de mon frère, le ministre a ignoré les fonctionnaires américains, ses propres fonctionnaires, a pris sa propre décision, et a refusé le transfèrement. En fait, il a agi de façon arrogante comme si ce projet de loi avait déjà été adopté.
    La seule chose qui apporte un peu de réconfort à ma famille, c'est que peut-être, en défendant la cause du transfèrement des détenus, nous pouvons empêcher une autre famille de subir cette épreuve. Lorsque les personnes qui commettent un crime sont arrêtées et incarcérées, elles ont besoin d'aide pour se reprendre en main. Les empêcher d'avoir accès à leurs réseaux d'entraide nous expose tous au danger qu'elles récidivent.
    Encore une fois, il est très important que le projet de loi C-5 ne soit pas adopté et — ce qui est encore plus important — que le pays accepte la responsabilité de ses citoyens emprisonnés à l'étranger. Cela nous permettra d'obtenir des résultats positifs et d'assurer la sécurité de tous les Canadiens.
    J'espère vous avoir donné une idée de notre expérience. Je suis prête à répondre à toute question qui pourrait être utile au comité. Je vous remercie de votre temps.

  (1540)  

    Merci beaucoup, madame Williams.
    Nous passons maintenant à M. Conroy, s'il vous plaît.
    Je pratique le droit depuis 38 ans. Comme je le pratique dans le « Kingston de l'Ouest », la ville d'Abbotsford, qui est entourée par des prisons fédérales et provinciales, mon travail ne consiste pas seulement à représenter des gens qui font face à des accusations; il consiste passablement à faire du travail postsentenciel, à traiter avec des gens en prison, pour des problèmes qui surviennent sous l'égide du Service correctionnel du Canada ou devant la Commission nationale des libérations conditionnelles. Je connais donc très bien le fonctionnement de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et je sais ce qui se passe pour quelqu'un qui revient au Canada, qui arrive dans les centres de réception, et qui est traité de la même façon qu'une personne envoyée par les tribunaux. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions, car il y a des dispositions dans le projet de loi qui semblent incompatibles avec cela, avec la notion de protection des victimes et des témoins. Comme notre service correctionnel est conçu pour cela, il n'est pas clair si l'opinion du ministre, dans certaines de ces dispositions, suppose que la personne récidivera si elle est incarcérée au Canada. Ou, récidivera-t-elle après être passée par le processus d'emprisonnement au Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles? Ou, quand exactement? La loi ne semble pas l'indiquer.
    Je m'occupe présentement d'environ 50 affaires. Nous en avons 10 qui sont devant la Cour fédérale. Je crois m'être occupé de toutes ces affaires, à part celles de Grant et de DiVito. En passant, j'ai remis au greffier une mise à jour des affaires et de ce qui se passe en droit pour que vous l'ayez à votre disposition et soyez au courant de la situation.
    La Cour fédérale annule régulièrement les décisions du ministre qu'elle juge déraisonnables. En gros, ce sont des paragraphes passe-partout; vous pouvez constater qu'on a seulement inséré les noms et tout le reste à différents endroits. À mon avis, c'est incompatible avec l'objet de la loi, qui est de permettre le transfèrement afin de faciliter la réadaptation et la réinsertion sociale du délinquant en le faisant entrer dans notre système pour que le Service correctionnel du Canada sache qui est ce délinquant, et qu'il puisse l'évaluer, déterminer sa cote de sécurité et le programme qu'il devrait suivre, et l'intégrer, comme je l'ai dit, dans le système canadien.
    La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition oblige le Service correctionnel du Canada à tenter de placer les délinquants à proximité de leur famille et de leur collectivité, dans un milieu qui correspond à leur culture et où l'on parle leur langue, car depuis bon nombre d'années, on constate que le soutien, que le soutien de gens qui vivent à proximité, est un élément très important qui contribue à la réinsertion sociale et à la réadaptation d'une personne.
    L'exemple de M. Curtis, pour qui j'ai plaidé, est plutôt représentatif. La plupart des Canadiens qui sont emprisonnés aux États-Unis ont commis des infractions en matière de drogue, habituellement en tant que passeurs de drogue. En général, ils sont dans un établissement à sécurité minimale. Comme on l'a mentionné, ils ne sont pas admissibles à beaucoup de programmes aux États-Unis et ils ne font qu'attendre leur heure en espérant revenir au Canada et suivre le processus du Service correctionnel du Canada qui les aidera dans leur réinsertion sociale et leur réadaptation.
    L'autre option, c'est qu'une fois rendus à une certaine étape de leur peine aux États-Unis — au niveau fédéral, c'est lorsqu'ils ont purgé 85 p. 100 de leur peine —, les délinquants sont renvoyés au Canada parce qu'ils sont interdits de territoire dans le pays où ils ont commis leur crime. Donc, ils reviennent, comme on l'a indiqué, sans casier judiciaire au Canada. Il est certain qu'ils ont un casier judiciaire aux États-Unis et qu'il y a des bases de données auxquelles on peut avoir accès pour savoir si quelqu'un a un casier judiciaire à l'étranger, mais ils ne font pas partie de la base de données du Centre d'information de la police canadienne, grâce à laquelle un policier qui arrête une personne et qui vérifie dans sa base de données, verra des renseignements.
    L'infraction doit constituer une infraction dans les deux pays. Il faut être citoyen canadien. La peine doit pouvoir être administrée au Canada. Nous avons eu des cas où des gens faisaient le trafic de certains stupéfiants aux États-Unis. Comme c'était illégal aux États-Unis, mais pas au Canada, on ne pouvait pas demander l'extradition de ces gens ou leur transfèrement. On a ces deux facteurs de base importants: la citoyenneté et la double incrimination.
    La situation est telle que beaucoup, beaucoup de Canadiens se retrouvent dans cette situation. Ils perdent leur soutien et leur conjoint, ils sont loin de leur famille, et ce n'est pas seulement aux États-Unis. J'ai un certain nombre de cas particulièrement extrêmes au Japon.

  (1545)  

    Récemment, il nous a fallu contester, car le ministre a rejeté la demande d'une femme, Mme Bouseh, qui, avec ses deux frères, a commis une infraction en matière de drogue au Japon. Mme Bouseh a été arrêtée et n'a été condamnée que neuf mois plus tard. Elle a découvert qu'elle était enceinte et a donné naissance à son enfant, menottée, dans un hôpital carcéral au Japon. On lui a retiré son enfant après quelques jours, et elle ne l'a pas revu depuis. Le ministre a mis presque trois ans avant de se prononcer sur la question, et il a refusé. J'ai de la difficulté à comprendre en quoi cela renforce la sécurité publique du Canada.
    Le mois dernier, j'ai reçu une lettre d'un autre Canadien au Japon qui conteste la légalité de sa condamnation et qui affirme avoir été victime d'un coup monté. Mais, cela dit, il a reçu lui aussi une peine de neuf ans de prison. Lorsque sa femme a découvert ce que le gouvernement actuel faisait en ce qui concerne les traités sur le transfèrement, elle l'a laissé tomber. Il a trois enfants — âgés de 11, 12 et 15 ans — et il a appris récemment, grâce à sa mère, que sa femme, qui l'a quitté, est décédée subitement. Il n'a pas été capable de savoir ce qu'il est advenu du reste de sa famille. Comme il a été condamné en 2006, il n'a pas communiqué avec ses enfants depuis quatre ou cinq ans. Il espérait que grâce à cette démarche, il serait capable d'être réinséré socialement et réadapté par le Service correctionnel du Canada.
    Je reçois beaucoup de lettres de prisonniers qui sont aux États-Unis, et en fait de prisonniers de partout dans le monde, dans lesquelles ils me racontent ce genre d'histoires. Comme je l'ai dit, je suis allé devant un tribunal à maintes reprises.
    Le projet de loi semble conçu pour que le ministre puisse refuser plus facilement des transfèrements, alors que d'après l'article 3, le projet de loi a pour objet de faciliter la réadaptation et la réinsertion sociale du délinquant. Dans les décisions que je vois couramment maintenant, qui sont rendues par différents ministres — à commencer par Stockwell Day, ensuite Peter Van Loan, et maintenant Vic Toews —, essentiellement, leur raisonnement, c'est qu'ils ne croient pas qu'un transfèrement atteindrait l'objectif de la loi, qui, encore une fois, même avec la modification de l'article 3, est de renforcer la sécurité publique. Les transfèrements renforcent la sécurité publique.
    Si la personne qui revient a été expulsée, en fin de compte, et que nous ne savons rien à son sujet, cela s'arrête là. Si la personne revient par un transfèrement, nous apprenons à la connaître, nous l'évaluons, nous découvrons qui elle est et quels sont ses liens — tout ce que le ministère du ministre lui-même, le Service correctionnel du Canada, est censé faire. Des équipes de gestion des cas élaborent des plans correctionnels et les présentent à la Commission nationale des libérations conditionnelles, le cas échéant. La plupart des membres de cette commission sont nommés par le gouvernement. Avant qu'ils décident de libérer un délinquant, il faut que les membres soient convaincus qu'il ne pose aucun risque inacceptable de récidiver.
    Bon nombre de prisonniers transférés en vertu d'un traité reviennent après leur date d'admissibilité. Ils attendent encore — du moins en Colombie-Britannique — durant deux ou trois mois au centre de réception avant qu'on les classe et qu'on les place. Souvent, ce sont des délinquants qui en sont à leur première infraction et qui n'ont pas d'antécédents de violence, donc ils se qualifient pour ce qu'on appelle la procédure d'examen expéditif. Le critère consiste à déterminer s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils récidiveront de manière violente avant l'expiration du mandat.
    Il y a bien des années, j'ai eu le privilège de comparaître devant le comité lorsque le gouvernement a décidé de rendre les choses plus difficiles pour les délinquants violents et de faciliter les choses pour les délinquants non violents, car on a constaté  — et les recherches le montrent encore — que plus on garde une personne longtemps en prison, plus elle deviendra une mauvaise personne. Les gens ne s'améliorent pas en prison; c'est tout le contraire. Ainsi, la procédure d'examen expéditif a été créée.
    Pour bon nombre de ces personnes, c'est la première fois qu'elles sont détenues sous responsabilité fédérale, et elles n'ont pas commis d'infraction avec violence. Si elles reviennent au Canada par transfèrement, selon la loi — en raison de la conversion de l'infraction et de la peine —, elles en sont à leur deuxième infraction. Donc, si on est expulsé et qu'on récidive, on peut toujours être admissible à la procédure d'examen expéditif. Si on est transféré au Canada, on n'y est plus admissible si l'on récidive.

  (1550)  

    Je sais que le comité a les statistiques qui ont été présentées au ministre sur ce qui arrive aux personnes qui reviennent au Canada. Ce serait bien de savoir ce qui arrive aux personnes qui sont expulsées. Nous n'avons pas les statistiques sur celles qui sont revenues libres et quittes de toute accusation. Combien d'entre elles ont récidivé?
    Nous savons que parmi les personnes qui sont revenues — dans les deux ans suivant la date d'expiration du mandat au Canada —, 0,6 p. 100 ont récidivé, c'est-à-dire 4 personnes sur les quelque 620 qui ont été transférées au Canada de 1997 à  2007. Les statistiques nous montrent également que de 2003 à 2008, sur un total de 473 personnes, 16 ont récidivé, ce qui représente 3,4 p. 100.
    Donc, pour les personnes qui sont revenues grâce au processus de transfèrement, le taux de récidive est très faible, ce qui semble indiquer que le programme actuel fonctionne très bien, qu'il doit être maintenu, et qu'on devrait refuser moins de gens.
    J'ai dépassé le temps qui m'était alloué, mais j'ai donné mes solutions...
    Je vais vous permettre de continuer un peu plus longtemps. Vous avez déjà dépassé d'une minute et demie, mais si vous voulez ajouter quelque chose pour conclure, s'il vous plaît, allez-y.
    Alors je vais faire une dernière remarque.
    Vous devriez savoir que bon nombre des autres pays n'utilisent pas la même approche que nous en matière d'incarcération. Aux États-Unis, la loi sur la réforme des peines de 1984 a éliminé la réadaptation des principes de la détermination de la peine. Dans ce pays, on n'envoie pas de gens en prison pour les réadapter.
    Parmi les documents que je vous ai fournis, j'ai inclus les buts et les principes de la détermination de la peine prévus par le Code criminel, l'objet et les principes du système correctionnel prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et l'objet et les principes du régime de mise en liberté sous condition qui correspond à la partie 2 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, pour vous montrer ce que notre système fait.
    Si l'on regarde le Japon, par exemple, les conditions de détention remontent en quelque sorte à celles de l'époque de Charles Dickens, en ce qui a trait au silence, aux communications limitées, etc. Ce qui se passe si on laisse les gens là-bas et qu'on ne les fait pas revenir au pays pour tenter de les réadapter, c'est qu'ils deviennent fâchés et aigris et qu'on les rend encore plus mécontents et, à mon humble avis, ils risquent de revenir et de récidiver.

  (1555)  

    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à Mme Schellenberg.
    Je m'appelle Gaylene Schellenberg. Je suis avocate à la section de la législation et de la réforme du droit de l'Association du Barreau canadien.
    Je vous remercie d'avoir invité l'ABC à présenter son point de vue au sujet du projet de loi C-5 aujourd'hui. L'ABC est une association nationale qui représente plus de 37 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires.
    Un aspect important de notre mandat est de chercher à améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est à partir de ce point de vue que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.
    Je suis accompagnée de Paul Calarco, qui est membre de la section nationale du droit pénal de l'ABC. Cette section représente tant les avocats de la Couronne que les avocats de la défense de partout au pays, et M. Calarco pratique le droit pénal à Toronto.
    Je vais le laisser vous présenter le contenu de notre exposé et répondre à vos questions.
    Merci.
    Monsieur Calarco.
    Je tiens à remercier le comité de donner l’occasion à l’Association du Barreau canadien de lui faire part de son point de vue au sujet du projet de loi C-5 et de la question du transfèrement international des délinquants.
    Comme Mme Schellenberg l’a dit, la section de l’ABC représente le point de vue des avocats de la Couronne et des avocats de la défense. Bien que je sois avocat de la défense à Toronto, j’ai été procureur adjoint de la Couronne et agent permanent pour le procureur général du Canada pendant six ans. J’amène un point de vue personnel aux travaux d’aujourd’hui qui est lié à mon expérience en matière de défense, mais aussi de poursuite.
    L’Association du Barreau appuie fermement les mesures législatives qui renforcent la sécurité des Canadiens. L’objectif de notre droit pénal, c’est de créer une société sûre et juste grâce à différentes mesures. L’une des mesures les plus importantes, c’est la réadaptation du délinquant. Lorsqu’un délinquant s’est réadapté, non seulement cette personne ne représente plus une menace pour le bien-être de notre société, mais elle devient un membre actif de notre pays. Les intérêts du délinquant réadapté concordent avec l’intérêt national ou social.
    L’ABC comprend que les Canadiens qui voyagent à l’étranger sont assujettis aux lois du pays dans lequel ils voyagent. Le Canada ne peut pas appliquer ses lois dans un autre pays tout comme un autre pays ne peut le faire au Canada, mais la question ne se limite pas à savoir quelles lois s’appliquent à une personne. La question que nous étudions concerne ce qui lie fondamentalement un pays et une personne, c’est-à-dire la citoyenneté. Tout comme chacun de nous doit être loyal envers le Canada, notre pays doit être loyal envers ses citoyens et les protéger. Le projet de loi à l’étude ne tient pas compte de ce principe fondamental.
    Au cours des quelques minutes qui me sont allouées pour faire ma déclaration préliminaire, il y a deux éléments importants dont j’aimerais parler. Premièrement, les mesures législatives visent à assurer la sécurité des Canadiens. En fait, non seulement elles ne permettront pas de le faire, mais elles mettront en péril la sécurité publique. Deuxièmement, le projet de loi donne trop de pouvoir discrétionnaire au ministre, ce qui va à l’encontre de nos principes de droit les plus fondamentaux.
    Concernant mon premier élément, il est généralement admis que la meilleure façon d’assurer la sécurité publique c’est de réadapter les délinquants. La réadaptation se fait par différents moyens selon les différentes situations  — par exemple, un traitement pour des toxicomanes ou pour des personnes présentant une déficience intellectuelle, ou de la formation pour des gens démunis. Une personne qui ne reçoit pas d’aide à la réadaptation durant sa peine ne sera pas mieux en mesure de contribuer à la société à la fin de sa peine qu’au début. Les problèmes qu’elle avait au départ seront encore présents, sinon accentués par son incarcération à l’étranger et par le fait qu’elle est loin de sa famille, dont la proximité aurait eu une influence positive sur elle. Le délinquant est plus susceptible de commettre des infractions que de ne pas en commettre.
    Lorsque le délinquant revient au Canada, comme il a le droit de le faire en tant que citoyen, rien n’aura été fait pour réduire la probabilité qu’il commette des crimes. En revanche, ramener une personne au Canada durant sa peine, lorsqu’elle peut être assujettie aux mesures de réadaptation, accroît la probabilité de réadaptation et réduit les risques de récidive. On renforce ainsi la sécurité publique en permettant aux autorités canadiennes d’aider une personne à se réinsérer dans la collectivité au moyen de la libération conditionnelle, ce qui permet aux autorités canadiennes d’obtenir des renseignements sur le délinquant qui ne seraient pas accessibles autrement.
    Ces deux méthodes contribuent à assurer la sécurité publique. Lorsque le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes, on faisait valoir que le gouvernement s’engageait à assurer la sécurité publique; toutefois, on n’a pas expliqué en quoi le projet de loi contribuait à assurer la sécurité publique. À notre avis, le projet de loi aura l’effet contraire et ne contribuera pas à protéger les Canadiens.
    Concernant le deuxième élément dont je veux parler, le projet de loi permet à l’opinion du ministre d’être le facteur déterminant lorsqu’on décide s'il faut ramener un délinquant canadien au Canada. À l’heure actuelle, il y a des critères obligatoires dans la loi que le ministre doit appliquer. Le projet de loi amènerait des changements qui permettraient au ministre de refuser le transfèrement d’un délinquant simplement en fonction de son opinion, même si son opinion n’est pas légitime ou qu’elle est déraisonnable.

  (1600)  

    On ne peut pas appuyer une norme comme celle-là dans un pays qui respecte le principe de la primauté du droit. En fait, on tente de mettre les décisions du ministre à l'abri d'une révision et de créer une situation où l'on s'attache aveuglément à ces décisions. À notre avis, il est très probable qu'une telle norme soit jugée inconstitutionnelle par nos tribunaux. De plus, une telle norme engendrerait des demandes de révision judiciaire pour lesquelles on dépenserait de l'argent qui serait mieux investi dans la réadaptation des délinquants. La réadaptation contribuera à assurer la sécurité publique; des poursuites interminables ne contribueront pas à le faire.
    Si le Parlement souhaite agir sur la sécurité publique de façon efficace, l'Association du Barreau l'exhorte à réexaminer le projet de loi. Il ne renforce pas la sécurité publique; il la met en péril.
    Je serai ravi de répondre à toutes les questions des membres du comité. Je vous remercie d'avoir écouté ma déclaration préliminaire.
    Merci beaucoup, monsieur Calarco.
    Nous passons maintenant à Mme Des Rosiers.

[Français]

    Je veux remercie le comité d'avoir invité l'Association canadienne des libertés civiles.
     Nous parlerons essentiellement de quatre points. Le premier portera sur la vulnérabilité constitutionnelle du projet de loi. Le deuxième portera sur son incompatibilité avec le régime international qui est présentement en vigueur. Quant au troisième point, il a déjà été abondamment discuté, soit le fait que le projet de loi est contraire aux objectifs mêmes de sécurité publique, parce qu'il élimine le suivi nécessaire de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et élimine l'accès à des programmes de réhabilitation qui sont tout aussi nécessaires. Finalement, je parlerai des dangers du projet de loi, tel que rédigé présentement.
    Avant tout, je veux présenter Me Lorne Waldman

[Traduction]

    qui a représenté l'association dans une affaire pour laquelle nous sommes intervenus devant la Cour fédérale.
    M. Waldman vous parlera des trois premiers points que soulève l'association.
    Merci.
    Merci, madame Des Rosiers.
    Monsieur Waldman, allez-y, s'il vous plaît.
    Je vais tenter de m'en tenir au temps qui m'est alloué.
    En tant qu'avocat, je suis surpris du fait que, parmi tous les avocats ici présents, aucun n'a parlé de l'article 6 de la charte. J'ai l'honneur d'être le premier à le faire, mis à part ma collègue, qui l'a mentionné brièvement.
    Le mois dernier, nous sommes intervenus dans une affaire présentée à la Cour d'appel fédérale, l'affaire DiVito. C'est l'une des affaires pour laquelle un transfèrement a été refusé.
    À l'heure actuelle, il existe deux différents points de vue à la Cour fédérale. Selon moi, le plus convaincant, c'est l'idée que l'article 6 s'applique lorsqu'il y a refus de permettre le transfèrement d'une personne. En termes simples, un Canadien a le droit de retourner au Canada. Donc, s'il est expulsé et envoyé à la frontière, le Canada doit le ramener. Si les Américains lui disent qu'il peut retourner au Canada pour purger sa peine, et que plus rien n'empêche le citoyen canadien de retourner dans son pays, excepté le refus du ministre, alors, puisque le ministre refuse de permettre au Canadien de revenir, il y a alors apparence de violation de l'article 6. Ce point de vue a été pleinement débattu à la Cour d'appel fédérale le mois dernier. Je m'attends à ce qu'une décision soit rendue très bientôt, et si, comme je l'espère, la cour décide qu'il y a apparence de violation de l'article 6 par ce refus, je crois personnellement que cette loi sera inconstitutionnelle.
    Si un prisonnier a le droit de retourner au Canada, droit qu'il a, à mon avis, en vertu de l'article 6, la seule façon pour le ministre de refuser son retour serait de justifier son refus en fonction de circonstances exceptionnelles, comme le prévoit l'article 1. Présentement, le prisonnier fait la demande et il doit convaincre le ministre qu'il a le droit de retourner au Canada. Si l'article 6 s'applique, et si c'est la conclusion à laquelle en vient la Cour d'appel fédérale dans le jugement qui, je l'espère, sera rendu très bientôt, alors à ce moment-là, il incomberait au gouvernement, ou au ministre, probablement, de justifier en vertu de l'article 1, que le transfèrement mettrait en péril la sécurité publique ou la sécurité du Canada — et il faudrait que le ministre soit capable de justifier cela.
    C'est ce que nous nous employions à faire valoir aux juges, et nous tentions de trouver des scénarios. Souvenez-vous qu'il importe peu que le citoyen soit très dangereux; il revient au Canada après avoir purgé sa peine, et il nous faut utiliser tous les mécanismes en place dans le Code criminel pour protéger les Canadiens. La question, c'est de savoir si la personne revient avant d'avoir terminé de purger sa peine pour purger sa peine au Canada.
    Je crois qu'il est très difficile de concevoir une situation où le transfèrement accroît les risques pour la sécurité publique ou la sécurité nationale. Comme il peut y avoir des cas exceptionnels, il se peut que la cour n'invalide pas complètement les dispositions, mais j'espère que la cour jugera que l'article 6 exige que, sauf dans des cas exceptionnels, le ministre doit permettre au citoyen canadien de revenir. Si telle est la décision, alors je suppose que le projet de loi devra être rejeté et qu'il faudra tout reprendre à zéro.
    Le deuxième point que je veux très brièvement soulever concerne le droit international. Le transfèrement des prisonniers a pris naissance, tout ce régime est né, parce qu'on constate dans le monde que les prisonniers sont mieux servis s'ils purgent leur peine au Canada. C'est préférable pour la société dans laquelle ils sont citoyens, car elle participe à leur réadaptation et il est préférable pour les prisonniers qu'ils soient à proximité de leur famille.
    Le droit d'un citoyen de retourner dans son pays est également reconnu en droit international. Je crois qu'il y a un point très convaincant selon lequel ce projet de loi est incompatible non seulement avec l'article 6 de la charte, mais aussi avec nos obligations internationales.
    Le troisième point que nous voulions soulever a été mentionné à maintes reprises et de façon beaucoup plus éloquente par le premier témoin: nous voulons tous renforcer la sécurité publique. Durant tout le temps que j'ai passé en cour à débattre de la question, je n'ai pas entendu d'argument qui me convainc que le projet de loi renforcerait la sécurité publique.
    Comme le témoin précédent l'a dit, il semble que le projet de loi ait été conçu pour remplacer une liste de facteurs obligatoires dont le ministre doit tenir compte par un pouvoir discrétionnaire qui va à l'encontre de la primauté du droit et, il est à espérer, si la Cour fédérale est d'accord avec nous, qui va à l'encontre de l'article 6 de la charte.
    Je crois que Nathalie avait un autre point à soulever.

  (1605)  

    Beaucoup de familles, dont des êtres chers sont aux États-Unis ou ailleurs, nous ont approchés. Le seul point que je veux soulever, c'est que lorsqu'on examine certaines dispositions du projet de loi... Je vais en mentionner deux. L'un des critères, c'est le fait que le délinquant a reconnu sa responsabilité par rapport à l'infraction pour laquelle il a été condamné, et l'autre, c'est le fait que le délinquant a coopéré ou s'est engagé à coopérer avec les responsables de l'application de la loi.
    En théorie, on pourrait dire que c'est formidable, que nous voulons vraiment savoir cela. Mais le danger qui se présente, c'est qu'on utilisera cette disposition pour évaluer le rapatriement de gens qui sont aux États-Unis, mais aussi de gens qui sont dans les autres pays qui figurent sur la liste. Comme vous le savez, il y a des pays dans le monde où, parfois, l'évaluation rigoureuse de la présomption d'innocence... Imaginez-vous qu'il est possible que dans le monde, il y ait des condamnations injustifiées. Si une personne se déclare innocente, le ministre pourrait considérer que c'est une façon inappropriée, par exemple, de coopérer, de reconnaître ses torts.
    C'est dangereux, car nous constatons qu'ailleurs dans le monde, on a parfois utilisé cela pour obliger les gens à plaider coupables, et nous avons entendu dire qu'on a fait des pressions à cet égard. C'est la même chose lorsqu'il est question de collaborer avec les responsables de l'exécution de la loi dans des affaires où il est question de torture ou de mauvais traitements ou de gens qui font l'objet de discrimination parce qu'ils sont étrangers, gais, lesbiennes, etc. Il est dangereux de leur demander de coopérer avec les responsables de l'exécution de la loi, car ils peuvent être mal traités ou battus en prison justement parce qu'ils coopèrent.
    Donc, d'une certaine façon, je crois que nous sommes préoccupés par le fait que pour certains des critères, nous risquons de mettre en danger la vie de personnes incarcérées dans divers pays, et que cette liste de pays continuera à s'élargir et à inclure des pays dans lesquels on respecte la primauté du droit, mais aussi d'autres pays où les gens sont préoccupés par la façon dont elle est appliquée.
    Nous croyons qu'il est prématuré d'examiner le projet de loi, car la cour est saisie de la question présentement. Nous considérons qu'il n'atteint pas l'objectif qu'il visait et que certains de ses critères peuvent représenter un danger.

[Français]

    C'est la fin de notre intervention, merci beaucoup.

  (1610)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Des Rosiers
    Je donne maintenant la parole au Parti libéral. Nous allons entendre M. Holland. Vous disposez de sept minutes. Allez-y, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup aux témoins de leur présence aujourd'hui.
    Lorsque le comité a discuté du projet de loi pour la première fois, j'avais dit, d'entrée de jeu, que c'était un mauvais projet de loi. À mon avis, j'ai été trop bon. Si vous me le permettez, j'aimerais faire le tour du projet de loi avec les témoins.
    J'ai demandé aux représentants du ministère de m'expliquer en quoi ce projet de loi n'était pas mauvais et améliorait la sécurité publique. Ces témoins n'ont pas réussi à me convaincre que le projet de loi améliorait la sécurité publique — et je ne sais pas si l'un d'entre vous avez essayé de le faire, mais vous n'y êtes certainement pas arrivés. En fait, d'après ce que nous avons entendu, c'est bien le contraire.
    Permettez-moi de discuter d'abord de récidivisme: le taux de récidive d'une personne. Des données obtenues grâce à une demande d'accès à l'information ont été publiées dernièrement, et je crois que M. Conroy en a fait mention dans son exposé. Pour la période d'étude, de 2003 à 2008 — et j'ai la demande sous les yeux —, le taux de récidive était de 3,4 p. 100 pour les gens qui ont profité du programme de transfèrement. Puisqu'il s'agit d'un taux de récidive remarquablement bas, ne pourrions-nous pas presque affirmer hors de tout doute, dans le cas d'un Canadien, par exemple, qui purge une peine aux États-Unis, où le taux de récidive est beaucoup plus élevé — nous ne parlons pas seulement de manière empirique, mais aussi de manière concrète —, que nous créons une situation plus dangereuse, en nous fondant sur les taux de récidive, en ne rapatriant pas ces gens au Canada?
    Je ne sais pas si l'un des témoins aimerait me donner son opinion.
    À mon avis, c'est assez clair. Comme vous l'avez mentionné, les taux de récidive sont différents entre nos deux pays. Comme M. Conroy l'a dit plus tôt, dans la loi américaine sur la réforme des peines de 1984, la réadaptation a été éliminée des principes de la détermination des peines aux États-Unis. De plus, les Canadiens ne seront pas admissibles aux programmes de réadaptation s'ils purgent leur peine aux États-Unis.
    Bien entendu, cela diffère d'un pays à l'autre, mais les pays étrangers sont très peu enclins à investir des ressources dans la réadaptation des détenus canadiens, étant donné qu'ils seront déportés au Canada, lorsque leur peine aura été purgée ou lorsqu'ils seront admissibles à une libération dans le pays étranger. Ensuite, ces Canadiens seront le problème du Canada, mais ils ne pourront pas suivre un programme de réadaptation. Résultat: comme je l'ai expliqué plus tôt dans mon exposé, les problèmes qui existaient avant le crime ou le prononcé de la peine sont exacerbés.
    Comme M. Conroy l'a mentionné, les prisons ne sont pas de bons centres de réadaptation. Plus les gens y passent de temps et moins ils ont accès à des programmes, plus leur situation s'envenime. Donc, il est très important de mettre au point d'excellents programmes de réadaptation, si nous voulons que les Canadiens qui reviennent au pays deviennent des membres utiles de notre société, ce qui est l'objectif essentiel.
    Les représentants du ministère nous ont dit que le projet de loi restreindrait l'éventail de raisons qui pourraient être invoquées pour refuser une demande de transfèrement. Nous leur avons fait part de notre crainte que le ministre puisse, pour n'importe quelle raison, refuser le transfèrement. Les représentants ont dit que ce n'était pas le cas, que le nombre de raisons serait restreint et que la décision du ministre devra respecter certains critères. Or, alors que je parcours le projet de loi — et j'aimerais avoir votre opinion à cet égard —, je tombe sur un alinéa qui dit « et tout autre facteur » dont le ministre juge pertinent de tenir compte.
    Je m'adresse aux témoins réunis ici devant le comité: quelqu'un partage-t-il l'opinion des représentants du ministère, à savoir que le ministre aura des contraintes, ou ma crainte qu'il n'ait justement aucune contrainte? En fait, même sans ce projet de loi, le gouvernement semble déjà refuser la majorité des demandes de transfèrement.

  (1615)  

    En tant qu'avocat spécialisé en droit administratif, je peux essayer de répondre à votre question.
    Les limites du pouvoir discrétionnaire du ministre sont établies dans la loi. Aux termes de la présente loi, le ministre doit tenir compte de certains facteurs; c'est une obligation. Autrement, sa décision pourrait être invalidée.
    L'objectif de ce projet de loi est de remplacer cette obligation de tenir compte de certains facteurs par une liste de facteurs dont il peut tenir compte, pourvu qu'il... Le projet de loi ne force pas le ministre à tenir compte de ces facteurs et lui permet, s'il le souhaite, de retenir tout autre facteur. Évidemment, l'objectif est d'étendre le pouvoir discrétionnaire du ministre et d'essayer d'éliminer bon nombre des contestations réussies qui ont été déposées — par M. Conroy, majoritairement — pour renverser le refus d'une demande de transfèrement.
    Cela étant dit, le ministre serait toujours sujet à une contestation judiciaire, et si ses décisions sont non fondées... Je veux dire que son pouvoir discrétionnaire doit être utilisé en se fondant sur des facteurs pertinents au dossier. Par exemple, s'il fonde sa décision sur le fait que le prisonnier a les yeux bleus ou tout autre facteur totalement non pertinent, les tribunaux pourraient tout de même intervenir. Tout cela revient au problème que j'ai soulevé par rapport à la charte, mais le projet de loi augmentera énormément le pouvoir discrétionnaire du ministre. Ce sera donc extrêmement difficile.
    Étant donné que le gouvernement refuse déjà un grand nombre d'ententes de transfèrement et que le ministre disposerait d'un très large éventail de raisons pour refuser les transfèrements, si le projet de loi C-5 est adopté, le ministre ne pourrait-il pas dans tous les dossiers réussir à trouver une certaine excuse, parmi la panoplie de raisons possibles, pour refuser la demande?
    Tout à fait.
    D'accord.
    Je ne sais pas si l'un des témoins se sent apte à répondre à cette question. Nous savons que les États-Unis ont approuvé bon nombre de ces transfèrements, que le Canada les a refusés et que notre refus a été perçu très négativement par le département d'État. Bien que je sache que vous aborderez la question d'un point de vue légal, un témoin aimerait-il parler de l'effet que notre attitude a sur nos relations avec les États-Unis et des conséquences que cela pourrait avoir?
    J'ai entendu dire que les États-Unis se sont plaints du fait que le Canada a refusé d'approuver des transfèrements de prisonniers en vertu de ce traité, de cet accord que le Canada a ratifié avec les États-Unis il y a environ 30 ans. Si nous sommes pour agir ainsi, pourquoi ne pas tout simplement abolir la loi? Pourquoi ne pas abroger la Loi sur le transfèrement international des délinquants, si c'est l'intention réelle du Canada, et arrêter de jouer à ces jeux, de faire accroire aux détenus qu'ils peuvent toujours déposer une demande de transfèrement? C'est ce qu'ils se font souvent dire au prononcé de la peine.
    Les États-Unis approuvent les demandes de transfèrement régulièrement, et la majorité des détenus concernés sont incarcérés dans des prisons à sécurité minimale et ont, entre autres, maintenu une bonne conduite. Les autorités américaines disent avoir vérifié que ces Canadiens n'étaient pas membres de gangs avant de les envoyer en prison. Que fait le Canada maintenant? Pourquoi le gouvernement canadien refuse-t-il de les rapatrier? C'était essentiellement l'objectif de notre entente.
    Nous avons adopté une loi, parce qu'il faut le faire pour que les traités entrent en vigueur au Canada. Ce n'est pas le cas aux États-Unis; les traités ont force de loi.
    Certaines gens disent qu'il s'agit du projet de loi qui m'emmènera à ma retraite. Avec ce genre de modifications à la loi, je prévois me trouver régulièrement devant la Cour fédérale pour des contestations judiciaires en invoquant les articles 6 et 7 de la Charte.
    Merci, monsieur Conroy.
    Madame Mourani.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie tous d'être présents aujourd'hui pour nous éclairer sur ce projet de loi.
    En écoutant tout le monde, surtout vous, monsieur Conroy, je comprends que la loi actuelle fonctionne. C'est ce que je trouvais aussi, avant, bien sûr, que ce gouvernement ne soit élu. Je trouve que, depuis qu'il est là, il y a de moins en moins de transfèrements. D'ailleurs, je reçois à mon bureau des demandes de détenus. On appelle au ministère et on ne nous répond même pas, ce qui est une autre histoire.
     Vous savez, plutôt que de nommer ce projet de loi Loi modifiant la Loi sur le transfèrement international des délinquants, je lui aurais donné le nom de Loi Omar Khadr. J'ai l'impression qu'ils ont rédigé ce projet de loi pour en arriver à ce qu'il y ait tellement d'arbitraire qu'ils pourraient refuser des cas comme celui d'Omar Khadr. Est-ce que je me trompe?
     Est-ce qu'à votre avis, pour eux, tout ce qui est réhabilitation est mis à la poubelle et, à partir du moment où on se fait prendre à l'extérieur pour un délit, on reste là-bas?

  (1620)  

[Traduction]

    C'est un mystère, car pour déroger à un droit constitutionnel tel que le droit d'entrer mentionné à l'article 6, ou le droit qu'on porte atteinte à votre liberté en conformité avec les principes de justice fondamentale, comme il est précisé à l'article 7, il faut habituellement faire valoir que le gouvernement a un objectif à la fois urgent et important. Comme nous en avons discuté, cette façon de procéder ne prend pas vraiment la sécurité publique en compte ni ne l'augmente.
    La loi existait bien avant l'affaire Khadr. C'est peut-être ce qui est à l'origine de ces modifications. Je ne sais pas. M. Khadr est un bon exemple. Si vous prenez quelqu'un qu'on accuse... bien, il a plaidé coupable de meurtre, mais dans un contexte de terrorisme. L'alinéa 10(2)a) de la loi, dans sa version actuelle, porte sur la question de savoir si le délinquant commettra un acte terroriste ou un acte de gangstérisme une fois son transfèrement effectué. Donc, si vous parlez d'un individu associé au terrorisme, vous vous demandez quel est l'endroit le plus sécuritaire pour cet individu. Est-ce dans quelque pays étranger où il pourrait être déporté à tout moment, ou est-ce dans l'une de nos prisons, où nous pouvons mieux le connaître et agir sur les paramètres de son emprisonnement et sur sa réinsertion dans la société canadienne?

[Français]

    Merci.
    Lorsqu'on lit ce projet de loi, on voit qu'il y a beaucoup d'arbitraire. Par exemple, on trouve des expressions comme « le ministre peut tenir compte », « à son avis », etc. Pensez-vous que ce genre d'arbitraire et ce genre de loi peuvent nous faire tomber dans des scénarios de corruption? Ma question s'adresse à tout le monde.
    Le plus bel exemple serait celui d'un ministre dont la caisse électorale serait financée et qui recevrait une demande de transfèrement d'un tel qui serait lui-même connecté avec un tel qui financerait la caisse électorale.
    Ne croyez-vous que cet arbitraire peut conduire à la corruption et aussi à financer des caisses électorales?
    Madame Des Rosiers, je vous voyais hocher la tête.
    Chaque fois qu'il y a énormément d'arbitraire, on s'inquiète toujours de la possibilité que le pouvoir discrétionnaire soit mal utilisé et surtout qu'il soit perçu comme tel par le public.
     Ainsi, une famille un peu désespérée pourrait penser que faire une contribution à un parti politique l'aidera dans sa démarche. On ne veut pas cela.
    Une autre chose aussi pourrait peut-être être inquiétante, soit que ce projet de loi devienne un modèle pour d'autres pays. Si le Canada adopte une loi comme celle-là qui touche un traité international, on peut penser que cela deviendra un modèle qui pourrait être exportable.
     C'est dangereux parce qu'on va voir, évidemment dans d'autres contextes, le même pouvoir discrétionnaire sans limite qui est mis en avant. Cela pourrait être dangereux dans ce contexte également.
    Monsieur Calarco, pensez-vous que ce genre d'arbitraire peut entraîner de la corruption, tout simplement?
     À partir du moment où il y a de l'arbitraire et qu'on finance nos caisses électorales, peut-être que Vito Rizzuto pourrait y contribuer plus facilement que M. Tremblay qui n'a pas un sou en poche.

[Traduction]

    On peut toujours espérer que n'importe quel ministre agirait de façon honorable, mais il faut bien se rendre compte que laisser une trop grande marge de manoeuvre aux ministres va directement à l'encontre de la primauté du droit. Il ne fait aucun doute que les ministres ont besoin qu'on leur laisse une certaine marge de manoeuvre pour accomplir leur travail. Mais dans le cas qui nous occupe, cela va au-delà de ce qui est nécessaire pour remplir les fonctions ministérielles. Malheureusement, l'histoire du Canada a connu des cas de ministres aux actes répréhensibles qui ont dû être traduits devant les tribunaux. Les cas les plus extrêmes... par exemple, l'affaire Roncarelli c. Duplessis, qui remonte à longtemps, mais ces cas nous rappellent les erreurs à ne pas répéter.

[Français]

    Merci.
    Oui, monsieur Conroy?

[Traduction]

    Je voudrais seulement ajouter que l'exigence minimale à l'article 7 de la Charte concerne ce qu'on appelle « l'équité procédurale », selon laquelle la personne accusée doit être mise au courant qu'elle fait l'objet d'accusations pour avoir la chance de se défendre.
    Cet article mentionne « tout facteur que le ministre juge pertinent ». La personne qui fera l'objet de cette décision devra être informée à l'avance des facteurs que le ministre examinera. Autrement, la décision sera considérée injuste, la Cour fédérale la rejettera et cassera la décision du ministre et nous devrons repartir de zéro.

  (1625)  

[Français]

    Ma question s'adresse à tous. Ne croyez-vous pas que l'arbitraire peut entraîner des décisions fondées sur des préjugés ou des jugements de valeur?
    Par exemple, une personne homosexuelle peut se retrouver dans un pays quelconque, ou quelqu'un peut se retrouver dans un pays où l'avortement est illégal. Ce sont donc des crimes qui vont à l'encontre de certaines valeurs de certains partis politiques au pouvoir.
    Ne croyez-vous pas que, quand on tombe dans l'arbitraire, on peut aussi tomber dans le jugement de valeur et dans les préjugés, sans forcément appuyer notre analyse sur les faits?

[Traduction]

    Malheureusement, madame Mourani, votre temps est écoulé. Vous serez peut-être en mesure d'intégrer votre question dans certaines des réponses à venir.

[Français]

    Puis-je avoir une réponse?

[Traduction]

    Monsieur Davies.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais tous vous remercier d'avoir comparu et, à mon avis, d'avoir enrichi de bon sens, de rationalité et de logique une discussion qui jusqu'ici était surtout politique. Nous avons discuté en long et en large de l'importante marge de manoeuvre qui est indiscutablement accordée par le projet de loi, alors je ne vais pas m'étendre plus sur le sujet.
    Mais je veux faire ressortir un point et avoir votre avis à ce sujet. Je m'attends à ce qu'il soit teinté d'ironie.
    La Loi actuelle stipule quatre critères obligatoires. Non seulement le projet de loi change-t-il la directive obligatoire en suggestion -- « tient compte » pour « peut tenir compte » --, mais cinq des critères ajoutés contiennent les mots « le ministre, (...) à son avis ». Il ne s'agit pas d'une directive obligatoire dont il ou elle peut tenir compte; on parle ici d'ajouter à la loi le critère « selon l'avis du ministre ».
    Je demanderais à ceux d'entre vous qui connaissent bien les cours d'appel et qui sont familiers avec le processus d'appel, surtout en droit administratif, de nous parler un peu de vos inquiétudes à propos de ce critère, surtout pour ce qui est des appels, et comment vous pourriez appeler d'un tel critère.
    D'abord, lorsqu'on fait intervenir l'avis du ministre, la décision est laissée beaucoup plus à sa discrétion et devient bien plus difficile à réviser.
    Deuxièmement, lorsque nous nous sommes retrouvés devant la cour d'appel le mois dernier et que nous avons examiné les critères contenus dans la loi actuelle, nous avons soutenu -- et je suis d'accord -- que la plupart des critères qui sont en place actuellement vont à l'encontre de l'article 6. Il faut garder en tête que si on se demande si on peut justifier le refus d'un transfèrement sous prétexte qu'il pourrait représenter un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité publique, les facteurs dont le ministre a tenu compte doivent être utilisés pour répondre à cette question. La plupart de ces critères sont absolument inutiles si on cherche à évaluer les conséquences du transfèrement sur la sécurité publique.
    Le premier critère de la loi actuelle -- et non du projet de loi -- détermine que le transfèrement va augmenter le risque pour la sécurité publique. Il est accompagné d'une série de questions qui, selon moi, ne sont absolument pas pertinentes. Tous ces critères vont à l'encontre de l'article 6.
    Le premier critère se lit comme suit: « le fait que, à son avis, le retour au Canada du délinquant constituera une menace pour la sécurité du Canada ». Le deuxième se lit: « le fait que, à son avis, le retour au Canada du délinquant mettra en péril la sécurité publique. » Il s'ensuit que si le ministre dit « À mon avis, cette personne met en péril », en autant que son raisonnement ne soit pas irrationnel ou ne se fonde pas sur la couleur des yeux du délinquant, comment pourriez-vous porter la cause en appel?
    Il sera beaucoup plus difficile de faire appel si l'article 6 n'est pas invoqué. S'il l'est, le ministre devra faire la preuve... et il incombera au ministre de l'établir.
    J'en suis conscient, si la Charte s'applique.
    Je vois que M. Conroy veut faire un commentaire, mais je veux passer à... Une des raisons pour lesquelles je suis inquiet à ce propos n'est pas seulement théorique. La décision dans l'affaire Dwayne Grant venait de M. Van Loan, le ministre à ce moment-là. La Cour fédérale a déclaré que la décision lui semblait « incohérente et arbitraire, et n'est donc pas suffisamment transparente ». M. Van Loan n'a pas tenu compte de l'avis unanime des haut fonctionnaires qui recommandaient d'opérer le transfèrement.
    Dans l'affaire Getkate -- à laquelle vous avez pris part, monsieur Conroy -- le ministre du temps, M. Day, un différent ministre du gouvernement actuel, a décidé que le requérant représentait une menace pour la sécurité nationale, même si les haut dirigeants des prisons canadiennes lui avaient dit qu'il n'y avait pas l'ombre d'une preuve que c'était le cas.
    Je me demande ce que vous pensez du fait qu'il existe des exemples concrets de cas où des ministres ont déjà commencé à essayer de prendre des décisions fondées sur l'absence de preuve ou de procédure judiciaire.

  (1630)  

    Je n'ai pas connaissance d'un seul cas où la preuve appuyait le refus d'un transfèrement. Toutes les enquêtes menées par le Service correctionnel du Canada avalisaient habituellement le transfèrement. On y disait que les sources de renseignements indiquaient que la personne ne représentait pas une menace pour la sécurité du Canada, ou qu'elle n'était pas un terroriste, ou qu'elle n'allait pas commettre un acte de gangstérisme. Parfois, on y disait que certains renseignements pouvaient laisser croire que cette personne a des liens avec une organisation criminelle, si elle est impliquée dans le trafic de drogues, mais souvent on continuait en disant que rien ne laissait penser que cette personne était plus qu'un passeur ou une mule.
    Il s'ensuit qu'habituellement la preuve ne corrobore pas l'avis du ministre, ce qui a conduit les tribunaux à déclarer les décisions déraisonnables et à les annuler -- bon nombre de tribunaux ont décidé d'éviter d'aborder la question de l'article 6, en espérant que la cour d'appel s'en occupe. Le critère de raisonnabilité sera donc appliqué, que ces modifications soient adoptées ou non, et l'article 1 de la Charte, que j'ai mis en évidence dans la documentation que j'ai distribuée, fait état des différents critères.
    C'est la question qui sera à l'avant-plan si l'article 6 est invoqué. Nous pouvons nous référer à l'affaire Van Vlymen, pour laquelle la Cour fédérale a décidé que l'article 6 s'appliquait et a déclaré que le gouvernement avait violé volontairement et de mauvaise foi les droits garantis par les articles 6 et 7 sur une période de 9 ans et un quart.
    Actuellement, le temps écoulé entre le moment où le dossier aboutit au cabinet du ministre et le moment où une décision est prise constitue l'un des plus gros problèmes à régler. En effet, certains dossiers accumulent la poussière dans le bureau du ministre depuis trois ans.
    Merci.
    Madame Des Rosiers, vous avez soulevé, je pense, un point très important selon lequel le projet de loi incorporerait en fait un des critères qui exige que le délinquant ait reconnu sa responsabilité à l'infraction pour laquelle il a été déclaré coupable. Je pense ici à Donald Marshall, David Milgaard, Guy Paul Morin et Steven Truscott, des cas célèbres de Canadiens faussement déclarés coupables. Selon le projet de loi actuel, si ces personnes avaient été déclarées coupables de ces infractions par un pays étranger, elles n'auraient jamais pu obtenir un transfèrement, simplement parce qu'elles ont maintenu qu'elles étaient innocentes, ce qui a été confirmé par la suite. Est-ce un exemple de ce qui vous inquiète?
    C'est en effet ce qui m'inquiète, car si la loi exige de coopérer en admettant sa culpabilité, les personnes qui sont accusées à tort sont alors pénalisées. Il n'y a pas d'issue pour elles: si elles maintiennent qu'elles sont innocentes, et qu'elles le sont réellement, on les traite encore pire que si elles avaient plaidé coupables. C'est inquiétant et cette situation ne devrait pas exister, car elle conduit à adopter des comportements que nous ne voulons pas voir apparaître. Il n'est pas nécessaire d'en arriver là et, vraiment, il pourrait s'ensuivre des conséquences graves pour certaines personnes en prison, non seulement aux États-Unis mais ailleurs dans le monde. Comme vous le savez, la liste des pays concernés est assez longue.
    Merci beaucoup, madame Des Rosiers.
    Nous allons maintenant laisser la parole aux membres du gouvernement.
    Allez-y, monsieur McColeman.
    Tout d'abord, merci à vous tous d'être ici et de nous faire profiter de votre expertise. Nous vous en sommes évidemment très reconnaissants. Vous avez vraiment approfondi le sujet.
    La Bibliothèque du Parlement nous a fourni des notes d'information pour la séance d'aujourd'hui. Si je peux me permettre, j'aimerais faire référence à une partie de ces notes, qui est en fait un résumé du sujet préparé par la Bibliothèque. Je vais vous le lire:
Entre 1978 et 2007, 1 351 délinquants canadiens ont été transférés au Canada, dont 1 069 (79 p. 100) en provenance des États-Unis. Les autres pays d’où le plus de Canadiens ont été rapatriés sont: le Mexique (59 délinquants, 4,4 p. 100 des transfèrements), le Royaume-Uni (33 délinquants, 2,4 p. 100 des transfèrements)...

    On en comptait donc 12 du Pérou, 17 de la Thaïlande, 17 du Venezuela, 16 de Cuba et 14 du Costa Rica. Ensuite, on dit dans le rapport que: « Pour tout autre pays, le nombre de délinquants rapatriés ne dépassait pas la dizaine », ce qui est la fin de la citation provenant du rapport de la Bibliothèque du Parlement.
    Il apparaît donc clairement que la grande majorité des délinquants auxquels nous avons affaire ont commis leur méfait aux États-Unis. En comparaison, 124 délinquants ont été transférés hors du Canada entre 1978 et 2007. Parmi eux, 106 délinquants, ce qui représente 85,5 p. 100, l'ont été aux États-Unis.
    Je pense qu'il est important de souligner que 106 délinquants ont été transférés aux États-Unis et que 1 069 ont été rapatriés au Canada à partir des États-Unis pendant la même période. L'actuelle Loi sur le transfèrement international des délinquants exige que le ministre détermine si le système carcéral du pays étranger constitue une menace pour la « sécurité du délinquant » ou « ses droits de la personne ». Je suppose que je vais vous demander, en tant qu'avocats concernés par le sujet -- peut-être que M. Conroy pourrait répondre en premier -- si c'est exact. Est-ce qu'on tient compte de ces facteurs?

  (1635)  

    Non. Ce que je peux voir dans la documentation, d'habitude, c'est qu'on a tendance à penser que puisque le cas vient des États-Unis, et que ce pays est industrialisé, son système carcéral doit donc être sécuritaire pour les personnes. Bien sûr, cette idée est tout à fait erronée. California City vient juste de fermer à cause de problèmes liés à la violence. Au Texas, il y a une prison appelée Beaumont qu'on surnomme « Beaumont la sanglante », car la violence et les guerres de gangs y font rage.
    On ne se préoccupe pas de la sécurité des Canadiens qui sont détenus aux États-Unis, parce qu'on présume que la sécurité est adéquate là-bas. Et si vous prenez connaissance de ce qui se passe dans certaines autres prisons, par exemple au Japon et à d'autres endroits, vous allez vous rendre compte que la situation est encore pire.
    Gardez toutefois à l'esprit que la raison d'être du projet de loi est de favoriser l'amendement et la réinsertion des détenus. Je ne suis pas surpris du nombre restreint de détenus américains qui retournent dans leur pays, parce que leur système carcéral ne fonctionne pas de cette façon; il n'est pas conforme aux buts visés par notre loi. Par contre, pour un détenu, revenir au Canada, c'est passer d'un pays qui n'est pas conforme aux buts visés par notre loi à un pays qui l'est.
    J’ai l’impression que la nouvelle loi proposée, celle que nous étudions à l’heure actuelle, établirait un nouvel équilibre en matière de décisions. Il est évident que vous avez témoigné aujourd’hui dans le but d’indiquer que cet équilibre ne serait pas approprié.
     En fait, je crois que M. Waldman laisse entendre que la loi actuelle n’est pas adéquate parce qu’elle viole la charte des droits de la personne. Est-ce exact?
    C’est exact. Selon moi, la plupart des critères de l’article 10 enfreignent l’article 6 de la charte.
    Afin que je comprenne bien, car je ne suis pas avocat, vous dites que la loi actuelle n’est pas acceptable parce qu’elle viole la charte des droits des personnes qui ont commis des infractions à l’extérieur du pays.
    Les citoyens canadiens ont le droit d’entrer au Canada. Si ce droit leur est refusé, c’est une violation à première vue de l’article 6. Toute disposition de la mesure législative qui tient compte de facteurs ne contribuant pas à déterminer le risque que le transfèrement présente pour la sécurité publique ou nationale est, à mon avis, inconstitutionnelle. Cela s’applique tant à la loi actuelle qu’au projet de loi.
    Donc, si je reformule, monsieur, ce que vous avez dit en des termes plus courants, vous êtes d’avis que, peu importe l’infraction commise dans l’autre pays, sa gravité, son caractère odieux, etc., la personne reconnue coupable a le droit, en vertu de la charte, de revenir au Canada après en avoir fait la demande. Est-ce exact?
    Dans chaque cas, le pays étranger doit d’abord consentir à renvoyer la personne. Dans certaines circonstances, les États refusent de renvoyer les gens. Si c’est le cas, l’article 6 n’entre pas en jeu. Il est seulement pertinent dans la mesure où le citoyen canadien a le droit de revenir au Canada.
     N’oubliez pas que le Canada expulse, de manière routinière, des gens qui ont été reconnus coupables de crimes très graves. J’ai vu des gens déclarés coupables de meurtre qui ont été expulsés après quatre ou cinq ans. Ils obtiennent une libération conditionnelle anticipée à des fins d’expulsion et sont renvoyés dans d’autres pays. Ces pays sont tenus de reprendre ces gens qui ont été reconnus coupables des crimes les plus graves au Canada, parce que ce sont leurs citoyens. Selon le droit international, les États sont obligés de rapatrier leurs citoyens.
     Pour ce qui est du Canadien déclaré coupable d’un crime odieux dans un pays, quel qu’il soit, une fois que l’État étranger a décidé de le renvoyer, nous devons l’accepter. Ce que nous disons, c’est qu’il vaut mieux le reprendre pendant qu’il purge encore sa peine. Ainsi, nous pourrons exercer un certain contrôle sur lui, au lieu d’attendre que sa peine soit terminée et qu’il soit reconduit à notre frontière.
     Je pense que c’est ce que nous essayons de faire valoir.

  (1640)  

     Cependant, il nous faut une loi ou quelque chose d’autre qui nous permettra, tout d’abord, de déterminer si la personne est canadienne. Ainsi, nous pourrons vérifier qu’aucun étranger n’essaie de venir au Canada. Deuxièmement, nous devons nous assurer que l’infraction en est une dans les deux pays. Évidemment, si quelqu’un est condamné à mort aux États-Unis, nous ne pouvons pas exécuter cette sentence au Canada.
     La peine, l’infraction, le principe de la double incrimination, qui est fondé sur le droit international — nous devons nous assurer qu’au moins, ces conditions sont remplies afin que la personne ne se présente pas à la frontière en disant « j’ai le droit d’entrer », alors qu’elle demande de revenir au pays pour purger sa peine. Nous devons être en mesure d’exercer un certain contrôle, car ces personnes intégreront nos établissements correctionnels. Il faut que cette démarche soit précédée de certains échanges de renseignements afin de faciliter le transfert.
    Merci, monsieur Conroy.
     Nous allons maintenant passer à M. Kania.
     Merci, monsieur le président.
     Je vous remercie tous d’être venus.
     Étant la cinquième personne à poser des questions, il va de soi que certains des sujets que j’aborderai seront répétitifs, car les lacunes du projet de loi sont plutôt évidentes.
     Monsieur Waldman, j’aimerais commencer en vous disant qu’en tant qu’avocat, je souhaiterais parler de l’article 6. Il est très clair que la charte donne aux citoyens canadiens le droit de revenir au Canada. Ce droit fonctionne vraiment de la façon suivante: au terme de sa peine, un citoyen canadien a le droit constitutionnel de retourner au Canada.
     J’examine le titre du projet de loi, soit la « Loi visant à assurer la sécurité des Canadiens ». Je vous mets franchement au défit de déterminer comment cette mesure législative pourrait contribuer, comme je le dis, à assurer la sécurité des Canadiens. Je doute que vous puissiez penser à quelque chose. Cette personne, ce condamné, reviendra au Canada, en supposant qu’il soit libéré. Surtout si l’on prend en considération la participation d’États étrangers, le manque de réadaptation, l’absence même d’un critère à cet effet et le fait qu’à la fin de sa peine d’emprisonnement, le détenu reviendra au Canada de toute manière, comment pouvez-vous trouver logique que nous n’exercions pas un certain contrôle sur la réadaptation qu’il suivra ici au Canada afin de nous assurer que, lorsqu’il sera relâché dans la société, il aura, avec un peu de chance, amélioré son comportement et la sécurité des Canadiens s’en trouvera rehaussée?
     Comment cela peut-il avoir du sens?
     Je peux vous dire que, dans le cas de mon frère, cela se produira. John s’est adressé à la Cour fédérale. On a donné au ministre actuel 45 jours pour réexaminer le dossier. Après réexamen, son transfert a été approuvé. Le 15 décembre, mon frère traversera la frontière canadienne et sera remis aux autorités canadiennes, puis il sera admis dans le système. Comme c’est sa première infraction et qu’elle est non violente, il sera placé dans ce que je crois être un programme de libération d’office. Il n’a fait l’objet d’aucune réadaptation, et il reviendra au Canada pour être relâché dans la société, sans avoir suivi quoi que ce soit qui ressemble à de la réadaptation.
     Il faut que vous sachiez que la libération d’office d’un délinquant transféré fonctionne différemment de celle d’un délinquant canadien. En général, si une personne est condamnée au Canada à une peine d’emprisonnement de, disons, neuf ans, elle sera admissible à la libération conditionnelle totale après trois ans et à la semi-liberté six mois avant, à moins qu’elle ne se soit rendue coupable d’une infraction non violente, auquel cas elle sera admissible à la semi-liberté, après avoir purgé un sixième de sa peine. La prochaine étape appelée la libération d’office se produit lorsque le détenu a purgé les deux tiers de sa peine. La loi prévoit de vous garder en détention jusqu’à la date d’expiration du mandat.
     Par contre, même si un délinquant transféré a purgé plus des deux tiers de sa peine d’emprisonnement, il continuera tout de même d’être détenu parce que, selon la loi, le délinquant transféré doit purger les deux tiers du reste de sa peine avant d’être admissible à la libération d’office. Par conséquent, le compte à rebours commence seulement à son retour. La libération d’office est retardée.
     Merci.
     Monsieur Waldman, vous ai-je vu plus tôt essayer de participer à cette série de questions?
    Je vais céder mon temps de parole à M. Calarco.
    Je voulais revenir sur l’un des points de votre question, monsieur Kania.
     Ce projet de loi ne protège pas les Canadiens, entre autres, parce qu’il n’offre pas de protection aux victimes d’actes criminels. Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, le délinquant reviendra et ne fera l’objet d’aucune surveillance. Si la personne revient au Canada avant d’avoir fini de purger sa peine, elle sera non seulement assujettie aux programmes canadiens de réadaptation, mais les autorités canadiennes détiendront beaucoup plus de renseignements à son sujet et seront en mesure de déterminer si des mesures postsentencielles doivent être prises. Par exemple, elles peuvent avoir recours aux paragraphes 810(1) et 810(2) du Code criminel afin de s’assurer que la personne fait l’objet d’engagements de ne pas troubler la paix et que les services de police de la région où elle s’établira sont informés de sa libération et sont en mesure de la surveiller. La mesure législative à l’étude ne prévoit aucun de ces mécanismes.

  (1645)  

    Rapidement, en ce qui concerne le premier point, c’est-à-dire l’analyse de la sécurité publique, j’aimerais souligner que nous parlons de personnes qui sont transférées, par exemple, des États-Unis, c’est-à-dire d’un État étranger, pour être incarcérées au Canada. Elles ne sont pas retirées d’une prison et relâchées dans la société. Alors lorsqu’il est question de sécurité publique, j’ai franchement du mal à comprendre les réserves des gens.
     Deuxièmement, monsieur Conroy, avez-vous participé à l’affaire Getkate?
    Oui, j’étais l’avocat du client.
    Je vais maintenant examiner quelques parties du raisonnement invoqué ici mais, essentiellement, le ministre a pris une décision qui, selon le juge, allait « à l’encontre de la preuve ainsi que de l’évaluation et des recommandations de son propre ministère ».
     J’examine la modification décrite ici qui aurait pour effet de remplacer « tient » par « peut tenir » et d’ajouter à la fin du paragraphe une clause discrétionnaire à l’intention du ministre — « tout autre facteur qu’il juge pertinent ». Personnellement, je vois un gouvernement qui tente de ne pas respecter la loi et qui s’efforce de contourner les juges qui ont déclaré qu’il prenait de mauvaises décisions. En somme, est-ce votre évaluation?
    Oui, et vous utilisez…
    Désolé, c’est tout le temps dont nous disposions pour cette question.
     Nous allons maintenant passer à M. Lobb.
     Merci, monsieur le président.
     Je remercie nos invités de leur présence.
     Monsieur Conroy, je pense que, dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné qu’une pile de ces dossiers reposait sur le bureau du ministre. Est-ce ce que vous avez dit ou…?
    Il s’est parfois écoulé deux à trois ans entre le moment où le dossier parvenait au bureau du ministre et celui où la décision était prise. Il y avait un énorme arriéré. Je crois comprendre que le ministre actuel s’est efforcé de l’éliminer. On interdisait au personnel des transfèrements internationaux de nous révéler quand le dossier quittait le bureau du ministre. J’ai le sentiment que c’était parce que le ministre était préoccupé et peut-être un peu embarrassé, je l’espère, par le temps qu’il fallait pour prendre ce qui était essentiellement une simple décision.
    Vous seriez donc très satisfait d’apprendre que l’arriéré a été complètement éliminé, ce qui est aujourd’hui le cas?
    Eh bien, il n’a pas été complètement éliminé. Cinquante affaires m’attendent à mon bureau et au moins 15 sont toujours en cours.
    Mais ces dossiers ne se trouvent pas nécessairement sur le bureau du ministre; ils pourraient être ailleurs.
    Oui. Si vous êtes en train de me dire que le ministre est venu à bout de l’arriéré, je suis très content de l’apprendre. J’ai déposé au moins 10 nouveaux dossiers, et je suis certain que certains d’entre eux découlent de ces décisions.
    D’accord. C’est bien.
     Monsieur Calarco, il se peut que je me trompe mais, dans le document que vous nous avez remis, la seule partie qui, selon moi, fait allusion à une victime se trouve complètement à la fin, lorsque vous répondez à certaines des propositions qui, à l’heure actuelle, font partie du mandat du ministre.
     Du point de vue d’une victime, croyez-vous qu’il soit juste que nous soyons plus préoccupés par la réadaptation du délinquant que par ce qu’elle pourrait avoir à dire? Je sais qu’il est possible que vous invoquiez de nouveau à l’article 6, mais ne croyez-vous pas que la victime devrait avoir un peu son mot à dire à ce sujet?
    Eh bien, monsieur, si je peux vous renvoyer à la page 5 de la version française de notre mémoire, plus précisément à l’avant-dernier paragraphe, il est indiqué ce qui suit: « Lorsqu’un délinquant est rapatrié au Canada pour y purger une peine, les autorités sauront aussi s’il doit faire l’objet d’une intervention ou d’un suivi de la part de l’État après la fin de sa peine »; ce paragraphe se préoccupe des victimes. La note 14 traite précisément des engagements de ne pas troubler la paix. Nous avons également mentionné dans notre mémoire que les victimes seraient en mesure d’exprimer leur avis sur la situation.
     Par exemple, lorsqu’une personne relève des responsables des libérations conditionnelles ou que son dossier est sur le point d’être examiné par eux, ceux-ci pourraient communiquer avec la victime de l’infraction, ce qui serait particulièrement important dans les cas de violence familiale, et cette dernière pourrait indiquer si elle a l’intention de se réconcilier avec la personne ou si elle ne veut plus avoir aucun contact avec elle, si elle se sent encore menacée par cette personne et si elle a besoin d’une protection continue. Cela fait assurément partie de ce que nous vous avons exposé et de la position de l’Association du Barreau canadien.

  (1650)  

    Que se passera-t-il si la victime réside dans le pays où l’infraction a eu lieu?
    Ce ne sera pas nécessairement le cas. En théorie, les victimes pourraient habiter dans les deux pays, n’est-ce pas?
    Mais si ces infractions ont été commises dans un autre pays, y a-t-il un seul cas où la victime se trouve au Canada? Je n’en connais pas. Les infractions en matière de stupéfiants, je suppose…
     Je peux vous assurer qu’il est tout à fait plausible qu’il y ait des victimes dans les deux pays, et il ne faudrait pas beaucoup de sens pratique pour voir comment cela pourrait se produire. Les pédophiles en seraient un excellent exemple.
     Je parlais à une victime aujourd’hui, et je lui demandais ce qu’elle pensait de ce projet de loi. Je lui ai mentionné le fait que la sécurité de toute victime canadienne serait prise en considération, la sécurité de tout membre de la famille du délinquant, dans le cas d’un délinquant ayant été reconnu coupable d’une infraction à l’encontre de l’un d’eux, la sécurité d’un enfant, etc. Elle pensait que toutes ces suggestions étaient excellentes et que le ministre avait la capacité de déterminer si un criminel condamné dans un autre pays pouvait revenir au Canada, compte tenu de certains de ces critères. Elle considérait également qu’il était bon d’inclure cette disposition afin que le ministre ait la possibilité de défendre les intérêts des victimes.
     Monsieur Calarco, voyez-vous une objection à ce que le ministre prenne la défense des victimes?
    Évidemment, je n'étais pas présent lorsque vous avez parlé à cette personne, mais ce qu'il faudrait que toutes les victimes sachent, c'est que le délinquant a le droit constitutionnel de revenir. Préféreriez-vous qu'il revienne au Canada, et ce qu'il vous a fait avant de commettre un crime dans un autre État... Aimeriez-vous mieux qu'il soit surveillé par les autorités canadiennes? Préféreriez-vous que les services de police sachent où il est, qu'il soit assujetti aux conditions de libération conditionnelle et aux ordonnances des tribunaux, ou voudriez-vous qu'il revienne et qu'il ne soit soumis à aucune restriction? Voilà les questions que vous devez vous poser.
    Nous passons maintenant au Bloc québécois.
    Madame Mourani, vous avez cinq minutes, s'il vous plaît.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je voudrais continuer à parler des pédophiles et présenter un exemple qui pourrait très bien être réel.
    Prenons l'exemple d'un pédophile qui ne s'est jamais fait « poigner » au Canada, mais qui se fait « poigner » en Thaïlande, aux États-Unis, ou ailleurs, pour la première fois. Si on ne procède pas au transfèrement de ce pédophile, cela voudra dire qu'il va rentrer au Canada et que le Canada n'aura aucune information sur lui. Il pourra donc continuer à agresser des enfants au Canada. Est-ce vrai?

[Traduction]

     Il se peut que nous ayons un peu de renseignements, mais nous n'avons aucun contrôle sur la personne. Ce que je comprends, c'est que le gouvernement ne semble pas vraiment croire que le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles sont en mesure de protéger les victimes et l'ensemble des Canadiens. Or, c'est là leur rôle, et c'est pour cette raison que nous affirmons que ramener les délinquants, apprendre à les connaître, découvrir qui ils sont, comprendre quelles sont leurs propensions, leur permettre de bénéficier de programmes de traitement des délinquants sexuels, qui ne sont pas offerts si la personne se fait prendre en Thaïlande ou aux États-Unis, tout cela protège certainement les victimes, et non le fait de tout simplement renvoyer la personne sans restrictions.

[Français]

    Sauf erreur, vous disiez tout à l'heure que ces gens vont rentrer au Canada et qu'on n'aura pas plus d'information à leur sujet. On aura très peu d'information.
    Quel est le genre d'information que l'on aurait sur eux, par exemple, si on ne faisait pas le transfèrement?

[Traduction]

    Je suppose qu'il faudrait que le gouvernement prenne l'initiative d'aller chercher l'information en communiquant avec l'autre pays, mais la personne ne se pointera certainement pas à la frontière avec plein de renseignements. Ce sera simplement un citoyen canadien autorisé à revenir. Il existe aussi un dossier international; on pourrait donc s'adresser au Service des renseignements criminels... pour voir s'il y a un dossier étranger. Or, si un agent de police vérifie le CPIC dans sa voiture, il n'apprendra pas que la personne concernée a été reconnue coupable de pédophilie en Thaïlande, par exemple.

[Français]

    On ne le verra pas? D'accord. Cela veut donc dire que la possibilité d'avoir des informations sur cette personne en faisant le transfèrement n'existera pas.
    Vous avez parlé de l'initiative du gouvernement en vue d'obtenir de l'information, mais je dois vous avouer que je ne crois pas beaucoup aux initiatives du gouvernement. Cela veut dire que ce ne sera pas très fort sur le plan de l'information.

[Traduction]

    Il faudrait peut-être un projet de loi qui les oblige à faire le nécessaire pour recueillir des renseignements ou quelque chose, mais ce n'est pas celui-ci qui répond à ce besoin. En fait, il empêche de récolter des renseignements.

[Français]

    Je m'adresse maintenant à tous. Pensez-vous que ce projet de loi soit amendable? Peut-on l'améliorer, ou est-il vraiment à mettre à la poubelle et il n'y a pas d'autre choix que de voter contre? Y a-t-il quelque chose que l'on puisse conserver de cela? J'ai des doutes, mais aidez-moi, peut-être qu'il y en a.
    Monsieur Waldman?

  (1655)  

[Traduction]

    Je ne pense pas que le projet de loi soit amendable. De fait, je crois qu'il contrevient tout à fait à l'article 6 et qu'il ne peut pas être amendé. Si l'on met de côté l'article 6, à mon sens, le projet de loi actuel accorde déjà un trop grand pouvoir discrétionnaire au ministre, et tout ce qu'on ferait ici, c'est lui donner plus de latitude.
    Pour reprendre le point constitutionnel de M. Waldman, simplement par rapport aux principes de rédaction des lois, je ne vois pas comment on pourrait apporter suffisamment d'amendements au projet de loi pour qu'il soit conforme à nos obligations internationales ou à la Constitution.

[Français]

    J'ai une question au sujet de la peine de mort. Comme vous le savez, la peine de mort n'existe pas ici, mais elle existe aux États-Unis, pas partout mais dans certains États.
    Dans votre pratique, constatez-vous qu'il est facile d'effectuer le transfèrement de ces détenus? Est-ce possible de le faire? Je crois qu'il faut qu'il y ait un changement, une transformation de la peine de mort en peine de prison à vie ou quelque chose comme ça.

[Traduction]

    Ils ne sont pas admissibles.

[Français]

    Ils n'y sont pas admissibles? Donc, s'ils n'y sont pas admissibles, vous êtes en train de me dire que le Canada sous-traite la peine de mort.

[Traduction]

    Je présume que s'ils sont condamnés à mort, ils demeureront dans le pays jusqu'à ce que la peine soit exécutée. Puisque le Canada ne peut pas appliquer cette peine, ils ne sont pas admissibles à revenir en vertu de cette loi.

[Français]

    Cela veut dire que ces gens vont se faire tuer s'ils sont condamnés à la peine de mort.

[Traduction]

    À moins que l'autre pays commue la peine, c'est exact.

[Français]

    Cela veut donc dire que nous sous-traitons la peine de mort dans d'autres pays.

[Traduction]

    Si le citoyen commet l'infraction dans l'autre pays, il est assujetti aux lois de ce pays. Dans le cas de la peine de mort, la loi n'est tout simplement pas applicable.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à M. Rathgeber, s'il vous plaît.
    Pour poursuivre sur ce point, afin que ce soit clair pour moi et pour Mme Mourani — c'est un point très important —, à moins que l'autre pays approuve le transfèrement, la personne n'a même pas le droit de faire demande. N'est-ce pas exact?
    En fait, non. Elle a le droit de faire demande, mais si le consentement n'est pas accordé, elle ne reviendra pas. La demande sera rejetée.
    Ainsi, une personne qui a été condamnée à mort dans tout État américain qui applique la peine de mort ne serait pas admissible au transfèrement.
    Elle n'est pas admissible parce que la peine ne peut pas être exécutée. N'oubliez pas le principe de double criminalité du droit international: l'infraction et la peine doivent exister au Canada, parce que nous les convertissons en peines canadiennes.
    Je comprends. Je n'étais pas certain que c'était clair pour Mme Mourani.
    Monsieur Waldman, vous avez dit que vous croyez que les modifications proposées contreviendraient à l'article 6 de la Charte.
    Oui.
    Or, n'avez-vous pas déjà affirmé, notamment il n'y pas longtemps devant la Cour fédérale, que vous croyez que la loi actuelle va à l'encontre de l'article 6 de la Charte?
    Oui. Le mois dernier, devant la Cour d'appel fédérale, nous avons soutenu que certaines parties de la loi actuelle enfreignent l'article 6 parce qu'elles demandent au ministre de tenir compte de facteurs qui n'ont rien à voir avec la question de savoir si le transfèrement menacerait l'ordre public ou la sécurité nationale.
    Vous croyez donc que tout le mécanisme est inconstitutionnel.
    Non. Non, non, non. Au contraire, je crois que le mécanisme est essentiel et constitutionnel, mais je pense que le pouvoir du ministre de refuser est très limité. Autrement dit, la loi est nécessaire. Elle fournit aux Canadiens un mécanisme qui leur permet d'exercer leur droit de revenir, mais le seul motif pour lequel le ministre devrait pouvoir refuser un transfèrement en vertu de la loi, c'est s'il menace l'ordre public ou la sécurité nationale.
    D'accord.
    Monsieur Calarco, je veux vous parler du pouvoir discrétionnaire. La première phrase de la partie IV de votre mémoire se lit comme suit: « Le projet de loi C-5 conférerait au ministre de la Sécurité publique un vaste pouvoir, sans contraintes, de refuser aux délinquants canadiens de revenir dans leur pays pour purger leurs peines. » Je présume que vous croyez que cette affirmation est vraie.
    Oui, monsieur.
    Or, n'est-il pas vrai aussi que les modifications proposées accordent également au ministre la liberté totale de permettre aux délinquants de rentrer au Canada comme il l'entend?
    Je ne crois pas que ce soit là la question.
    Voici la situation: en vertu de la loi actuelle, le ministre peut examiner les critères et faire rentrer le délinquant. La mesure accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire qui échappe presque à tout contrôle, et lorsque nous constatons la façon dont cela a été mis en pratique — M. Conroy et M. Waldman en ont déjà parlé —, de plus en plus de demandes sont rejetées. À notre avis, on ne doit pas avoir de doute quant aux critères qui seront appliqués par rapport à toute mesure législative.

  (1700)  

    Or, vous conviendrez que les modifications proposées comptent des critères qui aideront en fait les délinquants qui tentent de se faire rapatrier, par exemple, l'alinéa g), « la santé du délinquant », et l'alinéa k), « le fait que le délinquant a coopéré ou s’est engagé à coopérer avec tout organisme chargé de l’application de la loi ». N'êtes-vous pas d'accord avec moi que ces facteurs aideront le demandeur à se faire rapatrier au Canada?
    Non, monsieur.
    Tout d'abord, la santé du délinquant n'est pas un facteur déterminant. Qu'une personne soit malade ou robuste... n'a rien à voir avec la question de savoir si elle devrait pouvoir revenir dans son pays pour purger sa peine.
    Vous avez aussi mentionné l'alinéa i), « a reconnu sa responsabilité par rapport à l’infraction ». Comme Mme Des Rosiers l'a déjà dit, et comme il est écrit dans notre mémoire, cela signifie que si la personne insiste qu'elle est innocente, si elle a été reconnue coupable à tort, c'est là une raison pour laquelle le ministre déclarerait: « Non, vous ne pouvez pas revenir. »
    Je comprends ce que cela signifie. Toutefois, je veux que vous conveniez que si un prisonnier a besoin d'un traitement médical qu'il ne peut pas recevoir à l'endroit où il est incarcéré, il pourrait se servir de l'alinéa g) pour étayer sa demande de transfèrement au Canada. Aussi, si une personne a avoué sa culpabilité, elle pourrait citer l'alinéa k) dans sa demande, et le ministre peut tenir compte de ces facteurs.
    Le ministre peut déjà s'en servir. Les modifications ne sont pas nécessaires pour ce faire, à supposer qu'elles comblent toutes vos attentes, monsieur. Tout ministre pourrait déclarer que la personne est canadienne, qu'elle a besoin de soins médicaux et qu'elle peut donc être transférée. On peut le faire sans les modifications.
    Merci, monsieur Rathgeber.
    Monsieur Kania.
    Pour suivre la logique de M. Rathgeber, si la personne a les yeux bleus, elle pourrait utiliser ce facteur, parce qu'on dit à l'alinéa 10(1)l): « tout autre facteur qu’il juge pertinent. »
    C'est ce qu'on appelle de la discrétion sans entraves et, bien sûr, nous nous y opposons.
    Exactement.
    Pour revenir sur ce dont je parlais lorsque j'ai été interrompu, monsieur Conroy, au sujet de l'affaire Getkate, si l'on remonte un peu plus loin dans le temps, le tribunal a conclu que le ministre avait laissé de côté la preuve, et on déclare précisément dans la décision que puisque les « motifs invoqués par le ministre allaient à l’encontre de la preuve ainsi que de l’évaluation et des recommandations de son propre ministère », l'affaire a été renvoyée au ministre.
    Je vais répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. J'examine le projet de loi et je constate que l'exigence relative aux facteurs a été changée de « tient » à « peut tenir ». Si l'on ajoute la disposition que je viens de mentionner — « tout autre facteur qu’il juge pertinent » —, je vois tout cela comme une tentative évidente de contourner la jurisprudence, qui existe manifestement et dans laquelle, essentiellement, on réprimande le gouvernement parce qu'il n'a pas suivi la loi ou qu'il ne l'a pas appliquée équitablement. Je considère la mesure comme la tentative du gouvernement de faire ce qu'il veut sans jamais devoir se plier à une révision judiciaire. Mon interprétation vous semble-t-elle juste?
    On fera encore beaucoup de révision judiciaire, je vous le garantis, tant par rapport à l'article 6 qu'à l'article 1 de la Charte, ainsi que relativement à des principes généraux. Toutefois, de façon générale, je suis d'accord avec vous.
    En outre, il importe de souligner que malgré la décision rendue par la cour dans l'affaire Getkate et les observations du juge Kelen au sujet du sens de « menace pour la sécurité du Canada », le ministre a continué à rejeter des demandes pour les mêmes motifs, en dépit de l'interprétation du tribunal. Il a simplement déclaré: « Je ne suis pas du même avis que la cour. »
    Je tiens à être clair. Je sais qu'on fera encore de la révision judiciaire. Ce que je voulais dire, c'est qu'à mon avis, la mesure législative constitue une tentative d'empêcher qu'on réussisse les révisions judiciaires. Selon moi, le fait de changer l'exigence relative aux facteurs de « tient » à « peut tenir » et d'insérer une disposition fourre-tout à la fin — « tout autre facteur qu’il juge pertinent » —, cela représente une tentative du gouvernement de faire en sorte de gagner les révisions judiciaires et d'agir comme bon lui semble. N'est-ce pas exact?
    Absolument. La mesure est conçue précisément pour contourner ce que les tribunaux ont fait jusqu'à maintenant et pour faciliter les refus, comme je l'ai dit dans ma déclaration. J'espère toutefois que l'article 1 de la Charte bornera ces limites déraisonnables.

  (1705)  

    Encore une fois, j'ai peine à comprendre, parce que nous parlons de transférer une personne d'une prison située dans un pays étranger à une prison au Canada, où elle sera réadaptée.
    Je veux revenir sur l'exemple de M. Lobb, parce qu'il parlait de victimes. La première chose que j'aimerais dire, c'est que, logiquement, si une personne est incarcérée dans un pays étranger, les victimes se trouvent dans ce pays. Il n'est pas question ici de victimes canadiennes. Je dois avouer que je ne comprends même pas ce point-là. Or, supposons pour l'instant qu'il y a des victimes canadiennes. Je vais vous donner un exemple: la semaine dernière, une victime canadienne s'est présentée à mon bureau de circonscription. L'homme qui l'a blessée est incarcéré aux États-Unis pour une autre infraction. Elle s'inquiétait au sujet de son retour au Canada. Parce que sa demande a été refusée, il n'a pas été transféré au Canada; il n'y a donc pas de dossier ici, et il n'y en aura pas. On l'escortera simplement jusqu'à la frontière et on le relâchera dans la population générale. Il ne sera pas réadapté, et puisqu'aucune peine n'est purgée au Canada, il n'y aura pas de libération conditionnelle, pas de mesures de contrôle, et nous ne saurons pas où il est. Il n'y aura rien.
    Elle m'a demandé: « Comment est-ce possible? Comment ne peut-on avoir aucun moyen de contrôler cette personne? » Elle avait peur: « Qu'est-ce que je fais? » La seule chose que je pouvais lui répondre... non, en fait, je ne le dirai pas, mais là où je veux en venir, c'est que si le délinquant avait été transféré, la victime canadienne aurait été mieux protégée. Cela n'est-il pas plus logique?
    Absolument.
    Le président: Madame Des Rosiers.
    Si ces procédés existent et sont acceptés par un si grand nombre de pays, c'est que ces pays croient qu'ils sont à leur avantage et à l'avantage de leurs citoyens. En effet, le fait de pouvoir contrôler les délinquants augmente la capacité de gérer les risques qu'ils présentent. Voilà la raison. Ce n'est pas parce qu'ils sont des libéraux au coeur tendre qu'un si grand nombre de pays ont décidé d'autoriser le transfèrement de prisonniers. L'idée, c'était qu'il s'agissait d'un moyen d'améliorer la sécurité publique au sein de leur pays. Le fait d'accepter les transferts permet de mieux contrôler et de connaître le délinquant, ainsi que de bien protéger la population. Voilà la raison.
    Le problème, c'est qu'on a peut-être oublié qu'il est important de ramener les délinquants afin de pouvoir les contrôler. On peut les accepter pour n'importe quelle raison; ce qui compte, c'est que leur demande soit accueillie et qu'ils reviennent ici.
    Merci beaucoup, madame Des Rosiers.
    Nous passons maintenant à M. MacKenzie, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Je pense que tous les membres du groupe, à l'exception de Mme Williams, sont des avocats? Très bien. Il n'y a pas de juge?
    Me Lorne Waldman: Pas encore.
    M. Dave MacKenzie: Donc lorsque vous plaidez votre cause devant les tribunaux quant à savoir s'il s'agit ou non d'une cause fondée sur la Charte, il y a d'autres avocats de l'autre côté qui soutiendront que c'est dans le contexte de la Charte. Est-ce juste? C'est notre système, n'est-ce pas? Alors si cette décision est rendue et que le tribunal décide qu'elle s'inscrit dans le cadre de la Charte des droits et libertés, alors nous devons trouver une autre façon de défendre la cause. C'est simplement la façon dont fonctionne notre système. C'est bien cela?
    Me John Conroy: Non.
    M. Dave MacKenzie: Par « défendre », je veux dire contester la loi, retourner devant les tribunaux pour remettre de nouveau en question la charte ou trouver une autre façon de le faire.
    Alors vous dites que la cour dit si la loi viole la Charte ou non?
    Qu'elle ne viole pas la Charte.
    Si la cour décide qu'elle ne viole pas l'article 6, alors il y a encore de toute évidence des questions juridiques.
    Vous n'allez pas vous enfuir; c'est tout ce que je dis.
    Il y a toujours la Cour suprême du Canada, mais au bout du compte, ce serait...
    Très bien.
    J'ai deux ou trois autres petites choses à mentionner. Je pense que tout le monde a indiqué que ce gouvernement a été tout simplement horrible et n'a pas fait ce que les gouvernements antérieurs ont fait. Si je vous disais qu'au cours des 10 dernières années, 709 contrevenants canadiens ont été retransférés au Canada, ce qui correspond à 71 en moyenne par année.
    Si je vous dis que 206 contrevenants ont été retransférés au Canada entre 2006-2007 et 2008-2009, conviendrez-vous que nous avons raison au sujet de la moyenne de 10 ans?
    Oui, je pense qu'il n'y en a eu que 32 au cours de la première année, mais les choses... Nous ne l'avons pas dit. Nous sommes revenus ici pour parler de l'amendement au projet de loi.

  (1710)  

    Bien, mais ce qu'on nous a dit, c'est que le gouvernement est complètement dans l'erreur dans ce qu'il fait, alors on a extrapolé en disant que la situation empirerait encore.
    Par ailleurs, si nous avons un grand nombre de contrevenants incarcérés dans des prisons étrangères, pour accomplir ce que vous suggérez pour la réinsertion sociale et toutes ces choses, ne serait-il pas préférable pour le Canada de simplement tous aller les chercher pour les ramener ici? Savez-vous combien de contrevenants qui sont à l'étranger ne feront jamais la demande? Quand mon ami parle de la victime dans sa circonscription qui veut que le détenu revienne au pays, la meilleure façon pour lui d'éviter cette situation, c'est d'attendre, d'espérer qu'il sera transféré au pays au moyen d'une mesure d'expulsion et qu'il ne se fasse pas arrêter, n'est-ce pas?
    J'ai des clients qui, un an ou deux avant leur expulsion des États-Unis, retireront leur consentement car ils savent qu'ils peuvent revenir libres et quittes de toute accusation.
    Mais le but ici est en partie qu'il y a peut-être ceux qui feront une demande pour revenir, s'intégreront à notre système et suivront certains programmes, mais un plus grand nombre d'entre eux ne veulent peut-être pas revenir. Je ne sais pas à quel point ce que vous suggérez est justifié, à savoir que nous devrions tous les faire revenir, car ils n'en font pas tous la demande.
    Quand vous dites qu'ils sont peut-être plus nombreux, sauf votre respect, vous ne faites que spéculer. Nous ne connaissons pas les chiffres. Ce que vous dites au comité, c'est que cette mesure législative particulière ne répond pas aux objectifs que le ministre a établis à la Chambre. Elle n'aide en rien. Elle ne réalise pas ses objectifs, et pour cette raison, comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne vois pas comment le projet de loi pourrait être reformulé de sorte qu'il respecte nos obligations internationales ou la charte.
    Je pense, monsieur Conroy, que vous avez dit — ou du moins j'en ai eu l'impression, mais j'ai peut-être mal compris — que les tribunaux ont renversé la majorité des décisions, sinon toutes.
    Non. Je pense que deux ou trois seulement n'ont pas été renversées dans les affaires auxquelles j'ai participé, et je pense à deux dont je ne me suis pas occupé — DiVito et Grant étaient les... et Kosorov, qui portait sur l'abandon du Canada en tant que résidence permanente. Ce sont les trois seules affaires où le tribunal a maintenu la décision du ministre, et l'affaire Grant l'a confirmée. Dans toutes les autres affaires, à commencer par Van Vlymen et Getkate — et je pourrais vous les énumérer —, la cour a renversé la décision du ministre.
    Merci. Le président me dit que mon temps est écoulé.
    Oui. Merci beaucoup.
    Monsieur Gaudet.

[Français]

    Merci, monsieur le président. J'ai seulement un commentaire à formuler.
    J'écoute ce qui se dit depuis le début. Je ne suis pas très bon en éthique et en justice, mais cinq avocats et un autre témoin se sont prononcés ici. Je pense qu'on vient de régler ce cas. Le projet de loi n'est pas bon. N'en parlons plus et passons à autre chose.
    Des voix: Ah, ah!

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Gaudet. Ce serait bien si l'étude d'une loi était toujours aussi simple.
    On nous a déjà dit qu'il y a un certain nombre d'appels en instance, et les avocats des deux côtés plaident leur cause, mais je vous remercie d'avoir résumé la situation pour nous, monsieur Gaudet.
    Je veux tous vous remercier d'être venus aujourd'hui et de nous avoir exposé vos points de vue et vos opinions au sujet du projet de loi.
    Comme nous allons passer aux travaux du comité, nous allons suspendre la séance pour une minute environ, puis nous poursuivrons à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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