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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 034 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 27 octobre 2022

[Enregistrement électronique]

  (1610)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Je vous souhaite la bienvenue à la 34e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 22 septembre, le Comité entame son étude sur l'objet du projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
    Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se tient suivant un format hybride, c'est-à-dire que certains membres du Comité y participeront en personne alors que d'autres le font à distance, à l'aide de l'application Zoom.
    J'aurais quelques consignes à transmettre à l'intention des témoins et des députés.
    Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Ceux qui participent à la réunion par vidéoconférence doivent cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer et le mettre en sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole. Des services d'interprétation sont offerts. Les participants à la réunion via Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre la transmission du parquet, l'anglais ou le français. Ceux qui se trouvent dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal souhaité.
    Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole sont priés de lever la main. Sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ». Notre greffier et moi-même nous efforcerons de tenir à jour la liste des intervenants. Merci à l'avance de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
    Je tiens aussi à informer les députés que tous les tests nécessaires ont été effectués avec les témoins et que tout est satisfaisant.
    Par ailleurs, je vais utiliser des cartons. Lorsqu'il vous restera 30 secondes, je vais montrer le carton jaune. S'il ne vous reste plus de temps, je vais montrer le carton rouge. À ce moment‑là, je vais vous demander de conclure, car je ne veux pas avoir à vous interrompre et couper la fluidité de votre conversation.
    Je vais maintenant présenter les témoins qui comparaissent devant nous aujourd'hui.
    Durant la première heure, nous accueillons Elizabeth Sheehy, professeure émérite de droit à l'Université d'Ottawa; Kerri Froc, professeure agrégée à l'Université du Nouveau-Brunswick; et Isabel Grant, qui comparaît par vidéoconférence.
    Je vous souhaite la bienvenue. Vous disposez chacune de cinq minutes. Ensuite, nous allons passer aux questions.
    Nous allons commencer par Mme Sheehy pour cinq minutes, ou par qui veut bien commencer. C'est votre choix.
    Monsieur le président, si c'est correct, j'aimerais commencer.
    Bonjour, honorables président et membres du Comité.
    Je m'appelle Kerri Froc. Je suis professeure agrégée à la faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick. Mon domaine de recherche est le droit constitutionnel et je me spécialise dans les droits des femmes.
    Les professeures Sheehy et Grant sont toutes les deux des expertes et des auteures reconnues nationalement et internationalement dans les domaines de la violence envers les femmes et du droit pénal, particulièrement en ce qui a trait aux agressions sexuelles, et je vous exhorte à porter une attention très sérieuse à ce qu'elles ont à dire sur les répercussions de l'article 33.1, qui impose un lourd fardeau à la Couronne, et sur la façon d'y remédier.
    Je suis la présidente de l'Association nationale Femmes et Droit, mais je comparais à titre personnel. Toutefois, si vous avez des questions factuelles à propos du manque de consultation précédant le dépôt du projet de loi C‑28 — et pour être claire, la consultation avec l'ANFD était une imposture — je peux y répondre parce que j'étais présente.
    Cependant, s'il y a une chose que j'aimerais que vous reteniez de mon exposé, c'est ceci: le Parlement a d'autres options que de simplement légiférer en utilisant les mêmes termes employés par la Cour suprême dans l'arrêt Brown. La Cour a reconnu que le Parlement est un interprète constitutionnel de plein droit et que ses interprétations méritent d'être respectées. En effet, dans l'arrêt Brown, la Cour a reconnu que ses suggestions n'étaient rien de plus que des suggestions, et que la solution que le Parlement adoptera sera respectée. Elle n'a pas garanti que, si le Parlement adopte l'une de ses deux suggestions, que son choix serait conforme à la Charte, et elle n'a pas maintenu non plus que le Parlement doit choisir l'une de ses suggestions en utilisant les mêmes mots pour décrire la norme minimale de faute afin que l'amendement soit constitutionnel.
    Lorsque la Cour suprême déclare une mesure législative inconstitutionnelle, cela signifie habituellement, comme cela a été le cas ici, que le Parlement doit refaire ses devoirs afin d'atteindre son objectif d'une manière constitutionnelle en utilisant comme guide le jugement de la Cour. Lorsque la Cour analyse la deuxième tentative de la mesure législative, elle fait preuve de la retenue qui s'impose à l'égard de la tentative du Parlement de résoudre un problème social complexe d'une manière qui respecte les droits de la personne. Cela ne signifie pas que le Parlement a carte blanche pour violer les droits à la deuxième tentative; cela signifie plutôt que la Cour respecte la séparation des pouvoirs. Le Parlement est engagé dans un processus dans le cadre duquel tous les intervenants sont entendus, le gouvernement essaie de concilier des intérêts variés pour le bien collectif et les représentants élus démocratiquement — vous tous — délibèrent. Idéalement, c'est ainsi que les choses fonctionnent. Les tribunaux s'en tiennent aux parties présentes devant eux et aux questions juridiques soulevées par ces parties, et sont parfois guidés par des intervenants. Ils interprètent la Constitution et l'appliquent. C'est tout.
    Dans l'arrêt Brown, le juge Kasirer a dit: « Je suis conscient qu'il convient de faire preuve de déférence envers le Parlement dans cette analyse. De fait, pour ce qui est de l'élaboration d'une nouvelle réponse législative au problème de la violence perpétrée en état d'intoxication, c'est au Parlement qu'il incombe de décider de l'équilibre à trouver entre les objectifs qu'il vise tout en respectant dans toute la mesure du possible les droits garantis par la Charte. » Il a aussi dit: « Je suis conscient qu'il n'appartient pas aux tribunaux d'élaborer des politiques sociales, et encore moins de rédiger des lois à l'intention du Parlement, dès lors que les tribunaux ne sont pas conçus, sur le plan institutionnel, pour de telles tâches. »
    En ce qui a trait à la modification de l'article 33.1, la Cour a indiqué qu'un professeur, Hugues Parent, qui, je crois savoir, comparaîtra devant vous, « propose pas moins de quatre variantes » pour respecter la norme minimale de faute. Le juge Kasirer a également affirmé que l'infraction autonome d'intoxication criminelle n'est « pas une solution viable » pour ce qui est de réaliser l'objectif du Parlement. Par conséquent, les deux options dont on vous a parlé à maintes reprises sont une mauvaise interprétation à bien des égards.
    En dernier lieu, je dois dire qu'il pourrait y avoir de très bonnes raisons pour le Parlement de ne pas abandonner son rôle de législateur pour le confier à la Cour suprême. Contrairement à ce qui figure dans sa propre jurisprudence, la Cour suprême n'a pas tenu compte des droits des femmes dans son analyse constitutionnelle, ou du moins elle n'en a pas tenu compte comme il se doit et de façon égale.

  (1615)  

    La professeure Sheehy et moi-même donnons des explications détaillées dans notre article, que nous avons transmis au greffier avant la réunion d'aujourd'hui et que, je l'espère, vous aurez l'occasion de lire. Je peux expliquer aujourd'hui nos propos ou en dire davantage.
    Je sais que veiller à accorder au moins autant de considération aux droits des femmes qu'à ceux des personnes accusées traduit très bien la teneur de vos questions et de vos discussions sur le projet de loi jusqu'à maintenant. Les recommandations de la professeure Grant font exactement cela, tout en suivant les conseils de la Cour dans l'arrêt Brown.
    Merci.
    Je sais qu'elle est un peu pressée par le temps, alors vous voudrez peut-être lui adresser vos premières questions, mais c'est à vous de décider.
    Je vous remercie beaucoup.
    Merci, madame Froc.
    La parole est maintenant à la professeure Sheehy.
    Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer au sujet de l'amendement à l'article 33.1 du Code criminel.
    Mon principal argument est que le recours à la défense fondée sur l'intoxication extrême sera plus fréquent dans les cas d'actes de violence perpétrés par des hommes contre des femmes, ce qui aura des conséquences sur les signalements, la répression et la poursuite de ces crimes. Si on examine la preuve dans les affaires Brown et Chan, à titre d'exemples, on constate que la nouvelle mesure législative ne parviendra pas à limiter le recours à la défense fondée sur l'intoxication extrême.
    Durant les 12 mois qui se sont écoulés entre la publication de l'arrêt Daviault et l'adoption de l'article original 33.1, cette défense a été utilisée à au moins 30 reprises dans des cas signalés, et cela ne représente que la pointe de l'iceberg. Dans près de la moitié de ces cas, à savoir une douzaine, il y avait eu clairement de la violence contre des femmes: six étant des cas d'agressions sexuelles et cinq des cas d'agressions contre une conjointe, en plus du meurtre d'une travailleuse du sexe. Dans deux autres cas, il y a eu des attaques contre des femmes. Un homme a battu brutalement sa mère, et un autre a attaqué une femme dans une boîte de nuit. La majorité des allégations ont été rejetées, faute de preuve, mais parmi les six cas où cette défense a fonctionné, quatre étaient des cas d'agression contre une conjointe.
    Les défenseurs des intérêts des femmes victimes de violence masculine ont tout de suite compris que la défense fondée sur l'intoxication extrême correspond très bien au discours sur la violence contre les femmes, qui laisse entendre que la faute ne revient jamais à l'homme, mais plutôt à la femme, ou qu'il s'agit d'un crime sans agent qui est simplement inévitable dans la vie.
    Si l'article 33.1 n'avait pas été adopté en 1995, il y aurait pu y avoir au moins 30 cas signalés par année où on aurait tenté d'utiliser cette défense, ce qui aurait totalisé au moins 780 cas en l'espace de plus de 26 ans. L'article original 33.1 a pratiquement mis un terme au recours à cette défense, mais même à cela, durant cette période de 26 ans, il y a eu 86 cas où l'article 33.1 a été mentionné, soit pour examiner sa constitutionnalité, ou à tout le moins pour l'invoquer comme un motif pour rejeter une défense fondée sur l'intoxication.
    Même si un auteur a affirmé que seulement quatre cas auraient pu réussir, car la plupart ont échoué à respecter la norme de preuve établie dans l'arrêt Daviault, cela ne tient pas compte du fait que l'article 33.1 a empêché le recours à cette défense, de sorte qu'il ne fallait pas vraiment s'attendre à ce que les avocats consacrent les ressources nécessaires pour lancer une contestation constitutionnelle et appuyer la défense avec des témoignages d'experts.
    Sur les 86 cas, 35 étaient des cas d'agressions sexuelles, et dans les cinq autres, il s'agissait d'hommes qui ont attaqué leur partenaire actuelle ou précédente. Outre les 40 cas clairs de violence contre les femmes, il y a eu 23 autres cas où des femmes ont été des victimes, soit en tant que la seule cible de l'acte de violence commis par l'accusé, ou en tant qu'une autre victime en plus des victimes masculines. Dans l'ensemble, dans 63 des 86 cas, des femmes ont été des victimes. Parmi les agresseurs, 80 étaient des hommes et 6 étaient des femmes. Ces chiffres concordent avec ceux des affaires Brown, Sullivan et Chan, dont la Cour suprême du Canada a été saisie: trois agresseurs masculins, trois victimes féminines et une victime masculine.
    Même si on ne peut pas prédire dans quelle mesure la défense fondée sur l'intoxication extrême réussira, les torts causés aux femmes s'étendent aux tentatives des hommes de recourir à cette défense. Il existe un risque sérieux que les femmes n'oseront pas signaler ces crimes dont les auteurs sont intoxiqués, car elles ne seront pas en mesure de déterminer si un agresseur extrêmement intoxiqué peut être tenu responsable.
    En outre, le traumatisme subi par les plaignantes en raison des longs procès où la défense fondée sur l'intoxication extrême est utilisée, la diminution de la confiance des femmes envers le système de justice ainsi que le gaspillage des ressources judiciaires et de la Couronne sont tous des conséquences négatives de cette défense qu'on peut maintenant invoquer librement.
    Les policiers et les procureurs devront tenir compte de la défense fondée sur l'intoxication extrême lors de leurs décisions relatives aux accusations et aux poursuites. Cette défense pourrait également avoir une incidence sur les cas d'intoxication moins sévère. Bien sûr, à l'heure actuelle, l'intoxication qui n'est pas extrême ne constitue pas une défense qui peut être invoquée pour des crimes d'intention générale, comme des agressions sexuelles et des homicides involontaires, mais lorsque la Couronne ou la police doit déterminer si des accusations seront portées, elles ne savent pas exactement à quel point l'accusé était intoxiqué. Elles ne disposent peut-être pas de la preuve solide démontrant que l'individu était dans un état d'intoxication extrême. Seul l'accusé dispose de cette preuve. La Couronne ne peut pas obtenir cette preuve à moins qu'un test sanguin ait été effectué immédiatement après la perpétration du crime, ce qui est rare.
    Elles savent que ces procès vont exiger le témoignage d'experts et qu'ils nécessiteront beaucoup de ressources. Il pourrait alors arriver que des accusations ne soient pas portées dans les cas d'intoxication très élevée, particulièrement dans des provinces comme la Colombie-Britannique, où la norme d'approbation des accusations est la probabilité marquée d'une condamnation.

  (1620)  

    Nous n'aurons donc aucun moyen de déterminer l'incidence de la défense fondée sur l'intoxication extrême sur les crimes de violence envers les femmes.
    Merci.
    Je vous remercie, professeure Sheehy.
    La parole est maintenant à la professeure Grant, de l'Université de la Colombie-Britannique.
    Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
    Cela fait 35 ans que j'enseigne le droit pénal. Mes recherches ont été citées par la Cour d'appel de l'Alberta et la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brown, et, il y a de nombreuses années, le ministère de la Justice m'a demandé d'examiner la question de savoir si le Parlement pourrait constitutionnellement limiter le recours à la défense fondée sur l'intoxication extrême pour des actes de violence commis envers des femmes et des filles.
    J'estime que la réponse à l'affaire Brown que vous avez sous les yeux à l'article 33.1 a été mal conçue et précipitée, et, comme l'a expliqué la professeure Sheehy, je crains que cette disposition ait des effets dans des cas autres que ceux d'intoxication extrême. Je pense que l'absence de préoccupation de la part des avocats de la défense à propos de cette mesure législative nous donne une indication de la mesure dans laquelle elle sera efficace pour protéger les femmes et les filles contre la violence masculine.
    J'aimerais souligner quelques problèmes que pose l'article 33.1 et vous montrer qu'il existe des solutions assez simples pour y remédier. Le premier problème est qu'on a raté l'occasion, dans le cadre de cette mesure législative, de codifier l'arrêt Daviault et de préciser que le fardeau de la preuve incombe à l'accusé lorsqu'il évoque une défense fondée sur l'intoxication extrême. J'espère seulement que la plupart des juges vont présumer que c'est le cas, mais c'est une erreur de ne pas avoir codifié cela dans l'article 33.1.
    Toutefois, le plus gros problème est la norme énoncée au paragraphe 33.1(2). Vous avez le projet de loi sous les yeux. Le paragraphe 33.1(1) énonce le critère auquel la Couronne doit répondre, à savoir le critère de l'écart marqué. Il s'agit d'une norme constitutionnelle minimale que nous devons respecter, car la Cour suprême du Canada l'a indiqué. Le paragraphe 33.1(2) vient vraiment compliquer les choses. Il stipule qu'un juge « prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui. »
    Ce que cela signifie n'est pas tout à fait clair. Que signifie le fait que le juge doit prendre en compte une norme juridique? Que se passe-t-il si le juge en tient compte? Le juge est‑il libre de la rejeter? Est‑ce que c'est déterminant pour trancher la question? C'est une norme qui crée de la confusion sur le plan de son application par les tribunaux, et je ne vois pas pourquoi elle est même nécessaire ou utile.
    Cependant, le problème le plus important relativement au paragraphe 33.1(2) est que la prévisibilité objective du risque de préjudice est impossible à prouver par la Couronne. Cela signifie, bien entendu, que cette défense sera toujours autorisée; autrement dit, l'article 33.1 ne limite aucunement le recours à la défense fondée sur l'intoxication extrême.
    La raison pour laquelle cela est impossible à prouver tient au fait que l'intoxication extrême risque fort de mener à la perte de conscience, au sommeil ou à une autre réaction chez l'accusé. La violence n'est pas une réaction courante à l'intoxication extrême. Cela signifie qu'un accusé peut toujours faire valoir qu'il a déjà été intoxiqué auparavant et qu'il n'est pas devenu violent à cette époque, alors il ne pouvait pas prévoir qu'il aurait un comportement violent cette fois‑là. Il peut aussi faire valoir qu'il n'a jamais été dans un état d'intoxication extrême auparavant, alors il ne pouvait absolument pas prévoir qu'il serait violent cette fois‑là.
    Lorsqu'il s'agit d'événements relativement rares, il est absolument impossible de prévoir objectivement le risque de préjudice. Par conséquent, à moins que l'accusé ait déjà consommé dans le passé la même quantité de drogues et d'alcool dans les mêmes circonstances et qu'il ait commis un acte de violence, il ne sera pratiquement jamais possible de prévoir objectivement qu'un préjudice sera causé à une autre personne.
    Comme je l'ai mentionné plus tôt, je pense qu'il existe des solutions simples à ce problème. La solution la plus simple est de supprimer le paragraphe 33.1(2), car il n'est pas nécessaire. Il créera de la confusion chez les juges. Cette disposition leur dit comment effectuer leur travail. Les juges appliquent toujours la norme de l'écart marqué. La jurisprudence leur indique qu'ils doivent examiner toutes les circonstances de l'infraction et les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu. Les juges n'ont pas besoin que le Parlement leur dise qu'ils doivent tenir compte d'une autre norme juridique. C'est peut-être différent que leur dire comment l'appliquer, mais on leur dit qu'ils doivent en tenir compte sans toutefois préciser ce que cela signifie.

  (1625)  

    La réponse la plus simple serait donc d'éliminer le paragraphe 33.1(2), car il cause de la confusion. Il pourrait aussi faire en sorte que l'article 33.1 soit complètement inutile.
    Il y a toutefois une deuxième option. Si vous pensez qu'il est important de conserver le paragraphe 33.1(2), vous pourriez modifier la norme de « prévisibilité » et exiger la prévisibilité d'une perte du contrôle de soi au lieu de la prévisibilité d'un préjudice. Comme je l'ai dit, lorsqu'il s'agit de la prévisibilité de…
    Je vous remercie, madame Grant.
    Je suis désolé, mais votre temps est écoulé. J'espère que nous serons en mesure d'extraire...
    Je suis désolée. Je n'ai pas vu le signal. Nous pourrons peut-être revenir sur ce point dans le cadre des questions.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant passer à notre première série de questions.
    Monsieur Moore, vous avez la parole. Vous avez six minutes.
    Je vous remercie.
    Je remercie tous les témoins. Je vous suis très reconnaissant des contributions que vous apportez aujourd'hui.
    Madame Grant, vous étiez en train de terminer une réflexion. Je ne dispose que de six minutes et j'ai plusieurs questions à poser, mais si vous souhaitez terminer votre réflexion, je vais vous donner le temps de le faire maintenant.
    Je vous remercie beaucoup.
    Très brièvement, je disais qu'il y a trois façons de régler ce problème. La première est d'éliminer le paragraphe 33.1(2). La deuxième façon est de changer la norme de prévisibilité pour qu'il vise la perte de contrôle de soi plutôt que la prévisibilité de causer un préjudice. La troisième option consiste à insérer une disposition qui inverse le fardeau de la preuve et qui oblige l'accusé à démontrer si le préjudice était prévisible ou non. Cette disposition a été jugée constitutionnelle dans l'affaire Daviault, ainsi que dans le contexte de la défense fondée sur l'aliénation mentale.
    Ce sont donc les trois options.
    Je vous remercie.
    Je présume que cela nous ramène donc à vous, madame Froc, c'est‑à‑dire à un commentaire que vous avez fait au sujet des consultations. À mon avis, il n'y a réellement aucune excuse pour ne pas mener de consultations approfondies. Lorsque des décisions importantes se trouvent devant les tribunaux, il est facile d'envisager qu'un tribunal prendra une décision et que le gouvernement devra y répondre. Certaines de ces décisions, s'il n'y a pas de suspension d'invalidité, peuvent avoir des conséquences immédiates et importantes, comme dans ce cas‑ci. En effet, c'est ce qui a donné lieu au projet de loi C‑28.
    Je pense que le genre de discussion que nous avons aujourd'hui, et le type de contribution très détaillée que vous offrez... Avez-vous eu l'occasion de fournir ce niveau de détails au ministre ou aux intervenants du ministère lorsqu'ils envisageaient de rédiger une réponse à cette décision?
    Un employé subalterne du ministère de la Justice nous a consultés le 14 juin. Nous avons envoyé une proposition très détaillée au ministère avant 17 heures le même jour, mais bien entendu, la première lecture du projet de loi C‑28 a eu lieu le 17 juin. Le cheval était déjà sorti de l'écurie à ce moment‑là. On nous a remerciés de notre contribution, mais il est évident qu'elle n'avait pas été prise en compte d'une manière ou d'une autre.
    Je ne sais pas à quel moment d'autres groupes ont été consultés. Vous pourriez leur poser la question. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on nous a consultés quelques jours avant la présentation du projet de loi. Nous avons participé à une autre très brève consultation le 17 juin, je crois. Des représentants de Luke's Place ont été invités à participer à une consultation organisée par le ministère de la Justice. J'ai été prévenue environ 15 minutes avant l'événement, mais j'ai quand même réussi à participer à l'appel.
    Là encore, nos suggestions ont été rejetées assez sommairement, mais je peux vous assurer que nous avons fourni de nombreux détails techniques à très court préavis lors de cette consultation.

  (1630)  

    En parlant du cheval qui est sorti de l'écurie, nous avons maintenant une loi en place. Ce processus d'étude se déroule à l'envers. Habituellement, les comités étudient d'abord un projet de loi et obtiennent le type de contribution que vous nous donnez aujourd'hui pendant que la Chambre est saisie du projet de loi, et il est ensuite renvoyé au Sénat. Dans ce cas‑ci, l'ordre est inversé, ce qui nous complique les choses. Comme vous l'avez illustré à juste titre, nous voulons nous assurer qu'à titre de parlementaires, nous faisons notre travail, et cela consiste à rédiger des lois qui seront fonctionnelles.
    Comme tous nos autres témoins, vous avez mentionné l'impact disproportionné sur les femmes. Nous avons pu le constater dans ces affaires. Nous avons pu le constater lorsque cette défense est utilisée. Que pensez-vous de l'appui offert par le FAEJ, c'est‑à‑dire le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, au projet de loi C‑28?
    Je pense que vous entendrez des témoins du FAEJ, et vous pourrez leur poser ces questions et leur demander qui ils ont consulté pour leur analyse et quel était le fondement de cette analyse. Je peux seulement vous parler de ce que nous avons fait.
    Mme Grant et Mme Sheehy sont ici aujourd'hui. Nous avons également consulté d'autres personnes. J'ai un parti pris, car Mme Sheehy était ma superviseuse à la maîtrise. Je peux vous dire que ces deux professeures ont été citées par le tribunal dans l'affaire Brown. Elles ont non seulement des dizaines d'années d'expérience dans l'analyse du droit pénal et du droit constitutionnel, mais elles sont également très bien considérées dans la communauté des organismes de femmes qui luttent contre la violence faite aux femmes. Je suis professeure depuis moins longtemps qu'elles, mais je vous encourage simplement à les écouter très attentivement.
    Oui, et c'est exactement ce que nous faisons ici aujourd'hui. Nous écoutons très attentivement ce que vous avez à nous dire.
    Madame Sheehy, vous aimeriez peut-être répondre à ma prochaine question. On a affirmé que la décision de la Cour suprême n'avait laissé que deux options au Parlement. Il y avait l'option A et l'option B, et certaines raisons expliquent que l'option A ait été choisie et non l'option B. Cependant, vous dîtes que c'était un faux choix, et qu'il y a d'autres options.
    Pourriez-vous rapidement répondre à cela?
    Je ne veux pas monopoliser la discussion, mais je peux répondre à cette question.
     Juste pour réitérer, le tribunal a dit que l'option A n'était pas une option viable pour créer une défense autonome, car les objectifs visant la protection des femmes et des filles, et aussi le fait d'avoir une reddition de comptes suffisante... Ce n'était tout simplement pas une solution viable.
    Essentiellement, on a dit que la seule façon de satisfaire à l'objectif du Parlement était de modifier l'article 33.1. Le tribunal n'a jamais dit qu'il fallait suivre à la lettre le libellé qu'il avait suggéré, et ce, pour une très bonne raison, car le tribunal sait que le Parlement peut s'engager dans le genre de consultation que vous menez en ce moment. Ce que le tribunal a dit, c'est qu'il doit s'agir d'une norme minimale en matière criminelle, et il y a plusieurs façons d'y parvenir.
    Je vous remercie.
    Encore une fois, ils ont cité l'avis d'un universitaire qui a indiqué qu'il y avait quatre options. Nous avons également proposé d'autres moyens qui, selon nous, sont constitutionnels. Encore une fois, il vous revient de faire cette évaluation en vous fondant sur ce que nous vous disons au sujet des conséquences possibles d'une erreur...
    Madame Froc, malheureusement, votre temps est écoulé. Nous tenterons d'obtenir le reste de votre réponse par l'entremise d'un autre intervenant.
    La parole est maintenant à Mme Brière. Elle a six minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.

[Français]

     Merci à tous les témoins d'être des nôtres, aujourd'hui. Je vous félicite du travail que vous réalisez en droit constitutionnel, particulièrement pour la protection des droits des femmes.
    Vous savez, le projet de loi C‑28 a été déposé en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c Brown, qui a invalidé l'article 33.1 du Code criminel, empêchant ainsi la défense fondée sur l'intoxication s'apparentant à de l'automatisme.
    Dans un premier temps, êtes-vous d'accord que, ayant invalidé cet article, la décision de la Cour suprême a créé un vide juridique?
    Deuxièmement, ne croyez-vous pas que le projet de loi C‑28 remédie à cette situation?

  (1635)  

[Traduction]

    Puis‑je répondre brièvement à cette question?
    Oui, la décision dans l'affaire Brown a certainement laissé un vide, mais je ne sais pas quelle défense ce projet de loi va limiter. Je pense que ce vide est tout aussi grave aujourd'hui qu'il l'était avant l'élaboration de ce projet de loi. Je ne comprends pas quel accusé hypothétique se verra refuser une défense en vertu de ce projet de loi. Je ne pense pas que cela se produira, et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, car nous sommes très inquiets à ce sujet.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Voulez-vous ajouter quelque chose?
    Je suis certainement d'accord avec le commentaire de Mme Grant. Il y avait un vide, et il y a toujours un vide. Je ne pense pas que justice soit rendue par la mise en œuvre précipitée d'une solution, car une mauvaise solution ne réglera pas le problème.
    Je pense que je ne fais que répéter ce que Mme Grant vient de dire.
    Madame Froc, vous avez la parole.
    Je pense que ce que Mme Grant et Mme Sheehy veulent dire, c'est qu'il faut faire les choses correctement, car les conséquences potentielles d'une mauvaise application sont très graves, et cela ne concerne pas seulement les cas signalés. Nous vous avons dit que 86 cas avaient été signalés, et la plupart d'entre eux ont été signalés après l'entrée en vigueur de l'article 33.1. Il s'agit aussi des décisions d'inculper et des décisions en matière de poursuite. Nous ne connaîtrons jamais certaines d'entre elles, et il sera très difficile de savoir exactement quelles répercussions seront engendrées par une défense si ouverte.

[Français]

     Êtes-vous d'accord pour dire qu'il est tout à fait inacceptable que quelqu'un se mette volontairement ou par négligence dans un état dangereux, ne contrôle pas ses actions, blesse une personne, mais échappe aux conséquences?

[Traduction]

     Eh bien, je pense que ce que nous disons, c'est qu'il est discriminatoire de transférer aux femmes le fardeau de démontrer un préjudice. Ce que je veux dire, c'est que les individus qui se sont engagés dans une surconsommation d'alcool et de drogues, et qui ont par conséquent causé des blessures très graves et même parfois mortelles à d'autres personnes, sont en mesure, grâce à cette défense, de se délester de toute responsabilité. Le fardeau se retrouve donc sur les épaules des femmes. Je présume que ce que nous disons, c'est que c'est une pratique discriminatoire.
    Je vous remercie.

[Français]

    La décision rendue dans l'affaire R. c Brown nous a permis de constater qu'il y avait beaucoup de désinformation, particulièrement en ligne. Par exemple, des jeunes femmes pensaient vraiment qu'on ne leur offrirait aucune protection si elles étaient agressées.
    J'aimerais entendre vos commentaires sur cette désinformation.

[Traduction]

    Je pense que l'exemple que vous donnez constituerait visiblement de la désinformation, mais il faut se mettre à la place d'un procureur de la Couronne très occupé qui doit décider s'il faut porter des accusations. Par exemple, une jeune femme se présente et affirme avoir été agressée sexuellement par un homme très intoxiqué, et c'est tout ce qu'elle sait. Elle ne sait pas quelle quantité il a consommée ou ce qu'il a consommé. Le procureur de la Couronne doit donc décider si des accusations seront portées dans ces circonstances, et je ne suis pas certaine qu'il le fera dans de nombreux cas.
    Nous savons déjà qu'une grande partie des agressions sexuelles ne font pas l'objet d'accusations dans notre pays, et je pense donc que ce qui a été exagéré, c'est la mesure dans laquelle il s'agissait en fait de désinformation. Nous ne connaissons pas les répercussions de cette décision, et nous ne savons pas comment nous pourrons les étudier si elle fait en sorte que des accusations ne sont jamais portées en premier lieu.

  (1640)  

    Je vous remercie.
    Mme Froc souhaite faire un commentaire.
    Je pratiquais autrefois le droit en Saskatchewan, et je ne comprends toujours pas pourquoi on tente de contrer la désinformation sur les médias sociaux en apportant des modifications dans un domaine très complexe du droit. Il y a bien d'autres façons de sensibiliser la population. Par exemple, on pourrait offrir un financement de base aux groupes de femmes, ce qui leur permettrait de mener des campagnes de sensibilisation. On ne le fait pas en modifiant le Code criminel.
    Je vous remercie, madame Brière.
    La parole est maintenant à M. Fortin. Il a six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie moi aussi les témoins qui sont ici aujourd'hui de leur participation. Comme le disait mon collègue M. Moore, il est un peu inusité d'étudier un projet de loi après son entrée en vigueur, mais c'est la façon dont on doit procéder.
    Comme les témoins ont pu le constater, nous avons peu de temps, alors je voudrais utiliser mes six minutes de temps de parole pour parler du paragraphe 33.1(2).
    Madame Froc, vous avez parlé un peu de la question de la prévisibilité objective. Dans le projet de loi, on dit que pour décider « si une personne s'est écartée de façon marquée de la norme de diligence, le tribunal prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui. »
     Je vais me faire l'avocat du diable, si vous le permettez: objectivement, quand on consomme une substance intoxicante, n'y a-t-il pas toujours un risque? Dans ce paragraphe, il ne s'agit pas de déterminer s'il était évident que la consommation d'une substance allait causer une intoxication extrême, mais plutôt si c'était un risque objectivement prévisible. Or, à ma première lecture, je me disais que les tribunaux pourraient dire que, lorsqu'on consomme une substance intoxicante, il y a nécessairement un risque objectif et prévisible qu'on se place dans une situation d'intoxication extrême.
    Madame Froc, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

[Traduction]

    Certainement, et je m'en remettrais à Mme Sheehy et à Mme Grant à ce sujet.
    Le problème, c'est que la Cour suprême, dans l'arrêt Brown, utilise le risque de préjudice et le risque d'intoxication extrême de façon disjonctive. Nous les utilisons ici de manière conjonctive, c'est‑à‑dire que la Couronne doit essentiellement prouver les deux. C'est l'un des problèmes.
    L'autre enjeu, et vous avez entendu le ministre de la Justice en parler, c'est que la prévisibilité objective a été définie dans le cadre d'une analyse contextuelle. Qu'est‑ce que cela signifie? Est‑ce que cela signifie quelqu'un à la place de la personne qui a consommé les substances intoxicantes? Est‑ce que cela signifie, comme l'a dit Mme Grant, que si vous n'avez jamais été extrêmement intoxiqué auparavant, vous ne pouviez pas le prévoir cette fois‑ci? Si vous l'avez déjà été, objectivement... Mais objectivement en fonction du contexte, et c'est là le problème.
    Tout ce que vous avez à faire, c'est d'examiner les témoignages d'experts dans l'affaire Brown et l'affaire Chan.
    Dans l'affaire Brown, le juge de première instance a décidé que, même si M. Brown avait dit dans son témoignage qu'il avait consommé entre 13 et 17 boissons et grignoté des poignées de champignons magiques toute la soirée, il n'était pas possible de prévoir qu'il perdrait la capacité de se contrôler. Nous ne parlons même pas de faire du mal à quelqu'un.
    Les affaires que nous examinons démontrent que cela sera très difficile, car la défense peut obtenir des experts qui sont prêts à dire que la personne était dans un état d'intoxication extrême, mais ils ne sont pas prêts à affirmer — ou ils estiment qu'ils ne peuvent pas affirmer — que c'était prévisible, car ils ne connaissent pas la quantité exacte de substance consommée. Ils ne connaissent pas la quantité de psilocybine contenue dans cette dose particulière de champignons magiques. Ils ne connaissent pas le rythme auquel l'accusé a consommé ces substances. Ils ne connaissent pas ses antécédents en matière de drogues.
    Tous ces facteurs signifient qu'il sera très difficile pour la Couronne de prouver la prévisibilité de la perte de contrôle.

  (1645)  

[Français]

    Je crois que Mme Froc disait qu'une des solutions serait d'éliminer le paragraphe 33.1(2).
     Si on pose comme hypothèse qu'on ne l'élimine pas, comment le rédigeriez-vous, madame Sheehy? Comment devrait-il être écrit?

[Traduction]

    Je m'en remettrais à Mme Grant sur ce point, car elle est experte en matière de reconstitution.
    Je suis la personne qui a suggéré d'éliminer le paragraphe 33.1(2) parce qu'il n'est pas nécessaire. En effet, la norme que la Couronne doit prouver pour éliminer ce moyen de défense se trouve déjà dans le paragraphe 33.1(1). Les juges savent qu'ils doivent tenir compte des circonstances.
    Je pense que le critère, si nous voulions simplement changer cette norme... Même la prévisibilité d'une perte de contrôle serait une norme plus pratique que la prévisibilité d'un préjudice. Lorsqu'il est prévisible qu'une personne perdra le contrôle de ses actions, cette personne devrait assumer le risque que ses actions causent un préjudice grave à une autre personne. Ce fardeau ne devrait pas incomber aux victimes, qui sont de manière disproportionnée des femmes et des filles.

[Français]

     En partant du principe que l'idée est d'offrir un motif de défense acceptable et recevable aux personnes accusées de crimes de cette nature, et qu'il faudra vivre avec la possibilité que quelqu'un puisse invoquer comme motif de défense une intoxication volontaire extrême non prévisible, est-ce qu'on ne doit pas, à tout le moins, restreindre cette prévisibilité comme on le fait ici?
    Sinon, une des possibilités serait qu'il n'y ait pas de défense possible pour intoxication volontaire extrême. Je serais peut-être d'accord avec ce point de vue. Je ne suis pas en train de prendre position, mais je réfléchis objectivement à la question. Une autre possibilité...
    Merci, monsieur Fortin.

[Traduction]

    La norme se trouve dans le paragraphe 33.1(1). Elle n'est pas dans le paragraphe 33.1(2).
    Je vous remercie.
    La parole est maintenant à M. Garrison. Il a six minutes.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins d'être ici aujourd'hui. Leurs témoignages sont très utiles.
    Pour ma part, une partie de l'entente pour agir rapidement était conditionnelle à la tenue de ces audiences, et je pense que nous sommes nombreux à avoir compris que nous agissions rapidement et nous n'aurions pas accepté de prendre ces décisions rapides sans la garantie que nous allions revenir pour examiner cela plus attentivement. Je pense que vous avez déjà démontré aujourd'hui la raison pour laquelle c'était nécessaire.
    En ce qui concerne le vide qui a été créé, je n'ai qu'une question. Le fait d'exiger que l'accusé fournisse des preuves ou des témoignages d'experts selon lesquels il était dans un état d'intoxication extrême pour tenter de se prévaloir de cette défense a‑t‑il aidé à combler ce vide? S'agit‑il d'une quelconque amélioration?
    Je vais juste préciser très rapidement…
    La Cour suprême l'a fait dans l'affaire Daviault, il y a de nombreuses années. Cela a toujours été le cas. La Couronne ne peut tout simplement pas prouver que l'accusé était extrêmement intoxiqué, car elle n'a pas accès aux substances consommées par l'accusé ou à la quantité consommée, et nous ne pouvons pas obliger un accusé à fournir cette preuve à l'État. Cela a déjà été déterminé dans l'affaire Daviault. L'article 33.1 ne fait pas cela du tout. Je pense que l'article 33.1 ne comble pas le vide à cet égard.
    Madame Sheehy, comme je soupçonne que vos observations allaient être similaires, je vous en prie, faites‑les.
    La nouvelle version de l'article 33.1 n'ajoute rien. La Cour suprême du Canada a déjà établi que la charge de la preuve de son intoxication extrême incombait à l'accusé selon la prépondérance des probabilités. La version révisée n'ajoute rien.
    Comme Mme Grant l'a fait remarquer, faute d'intégrer dans le nouvel article 33.1 la norme de preuve fondée sur l'arrêt Daviault, on risque de voir certains juges omettre de l'appliquer. C'était le premier point de son exposé, c'est‑à‑dire l'explication de la nécessité d'un renvoi — de nouveau — à cette norme dans l'article même.
    Si je comprends bien, l'article, après l'intégration de l'arrêt Daviault, aurait peut-être été plus long.
    C'est ce que préconisait en effet Mme Grant. L'arrêt Brown n'a pas vidé la norme de preuve de sa substance, mais dans la nouvelle mouture de la loi, il pourrait être sage d'ajouter de nouveau un renvoi à cette norme.

  (1650)  

    D'accord.
    L'arrêt Daviault a maintenu la constitutionnalité de cette norme.
    Entendu. La gradation des remèdes que vous nous avez proposés me fait espérer que, si nous pouvions édicter rapidement le projet de loi C‑28, nous pourrons appliquer rapidement n'importe lequel d'entre eux.
    En plus d'une gradation dans la simplicité des remèdes, y en a‑t‑il une pour la certitude de leur efficacité pour limiter les moyens de défense?
    Madame Froc, comme vous les avez énumérés, c'est à vous que je le demande.
    En fait, c'était Mme Grant. Je la laisse répondre.
    Désolé. D'accord.
    Merci. Je crois les avoir énumérés dans l'ordre de mes préférences. Je pense que le plus simple, le plus efficace également, est de se débarrasser du paragraphe 33.1(2). Les juges savent appliquer la norme d'écart marqué depuis des décennies dans d'autres contextes au pénal, comme la négligence criminelle. Je préfère qu'on se débarrasse complètement de ce paragraphe.
    Mon deuxième choix serait de clarifier la norme, tout en répétant qu'il incombe à l'accusé de prouver l'imprévisibilité de ce qu'il a fait.
    D'après vous, le troisième remède serait‑il alors le moins souhaitable?
    Il conserverait une norme impraticable, mais il reporterait la charge sur l'accusé. Le mieux est de se débarrasser de la norme, mais si on veut la conserver, qu'il soit clair qu'il incombe à l'accusé de prouver qu'il lui était impossible de prévoir la probabilité de causer un préjudice. Il est impossible à la Couronne de le prouver hors de tout doute raisonnable. C'est un obstacle considérable.
    C'est ce qui se passe dans le contexte de la défense d'aliénation mentale. L'accusé qui invoque l'aliénation mentale doit la prouver selon la prépondérance des probabilités. La même charge doit s'appliquer ici. Les tribunaux ont maintenu la constitutionnalité de cette condition dans l'arrêt Chaulk et Morissette.
    En remplaçant la norme de prévisibilité par celle de perte de maîtrise, comme le préconise Mme Grant, ne réduit‑on pas la capacité d'employer cette défense ou n'est‑ce pas simplement une façon de clarifier la norme?
    Ça la limite un peu, mais pas beaucoup. La norme pose problème, et c'est pourquoi j'estime que l'une des deux autres options serait peut-être meilleure.
    Ça limite la capacité de la défense en donnant à la Couronne l'occasion de s'acquitter de sa charge et de priver l'accusé de ce moyen de défense. Je continue de croire qu'une norme, quelle qu'elle soit, compliquera beaucoup la tâche de la Couronne, connaissant l'aboutissement des affaires Daviault, Chan et Sullivan.
    Ça équilibre un peu les chances pour la Couronne, mais s'en débarrasser, ça lui en donne davantage.
    Merci beaucoup.
    Je le sais, mon temps est écoulé. À ma prochaine intervention, je reviendrai au problème actuel en matière d'accusation.
    Merci, monsieur Garrison.
    Monsieur Caputo, vous disposez de cinq minutes.
    Je vous remercie, mesdames, d'être venues témoigner.
    Je pense que c'est Mme Grant qui a fait allusion à la Colombie-Britannique. L'assistance le sait, mais je répéterai à l'intention de nos témoins que j'étais procureur dans cette province et que le gros de ma tâche concernait les agressions sexuelles contre les enfants. Pour les besoins de la rédaction de notre rapport, je précise que, en général, dans certaines provinces ou territoires, la police dépose l'accusation, mais, en Colombie-Britannique, l'accusation fait suite à un rapport fait au conseiller juridique de la Couronne, après quoi un procureur l'examine. Il doit évaluer tous les moyens de défense et déterminer s'il satisfait à un critère juridique minimal, qui présente une forte probabilité de condamnation. En fait, ce critère est assez exigeant. Ce n'est pas seulement une probabilité; la plupart des gens le chiffreraient peut-être aux environs de 90 %.
    Si j'ai bien compris vos observations, particulièrement celles de Mmes Grant et Sheehy, vous demandez comment on peut porter une accusation dans les circonstances, quand on ignore quelle mauvaise surprise de la défense attend au détour.
    Ai‑je bien compris?

  (1655)  

    La plainte constitue sa propre preuve…
    Allez‑y.
    À moins de pouvoir appréhender immédiatement l'accusé, d'effectuer tous les tests et de déterminer les concentrations d'alcool et de stupéfiants, ce qui se produit rarement en cas d'agression sexuelle, la Couronne ne saura tout simplement pas à quel point l'accusé était intoxiqué au moment des faits. Elle n'aura tout simplement pas l'information.
    Étant donné la loi, il sera très difficile de satisfaire à ce critère de forte probabilité de condamnation dans les cas où l'accusé était très intoxiqué, même si on pouvait ne pas nécessairement satisfaire à la norme d'intoxication extrême.
    Parce que l'accusé détient absolument toute l'information.
    Oui.
    Très bien.
    Comment le prouver hors de tout doute raisonnable, quand, théoriquement, c'est la défense qui pourrait être employée pendant le procès? Comprenez-vous ce que je veux dire?
    Oui.
    Autrement dit, la Couronne doit présenter l'intégralité de son dossier, après quoi la défense pourrait invoquer cet argument dans ses éléments preuve, à l'insu de la Couronne.
    Est‑ce que ça correspond à votre compréhension de l'éventuel déroulement du procès?
    Je craindrais que la partie plaignante ait dit à la Couronne que l'accusé semblait vraiment ivre, défoncé ou dans les vapes, ce qui donnerait à la Couronne une indication que c'est un problème, et ça risque d'influer sur le choix des accusations.
    Je m'inquiète moins des affaires qui aboutissent à un procès. Je m'inquiète pour les motifs que j'ai exposés au sujet de l'impossibilité de prouver la norme. Une femme peut devoir à subir un procès alors que la probabilité de condamnation de l'accusé est nulle. En ce qui concerne l'effet sur l'accusation d'agression sexuelle en général, je crains d'abord qu'elle ne soit même pas portée.
    Vous craignez que, au moment d'approuver l'accusation ou de la prendre en considération, un élément d'appréciation pourrait être que l'intoxication ou l'intoxication extrême est le nœud du problème. Nous pouvons avoir prouvé hors de tout doute raisonnable que, non nécessairement, il s'est commis une agression sexuelle mais que l'accusé était intoxiqué au point de rendre impossible une intention générale de commettre l'infraction.
    Nous savons que, en droit canadien, on ne peut invoquer, pour se défendre contre une accusation d'agression sexuelle, le fait d'avoir été très ivre. Si on est extrêmement ivre et [difficultés techniques].
    Je m'arrête un moment.
    Je crois que Mme Froc, dans son mémoire, à écrit, sauf erreur de ma part, que, en réalité, quelqu'un qui se trouve dans un état apparenté à l'automatisme par l'effet de l'alcool… J'ignore comment on peut être physiquement ivre à ce point.
    Madame Froc, avez-vous une observation à ce sujet?
    Oui.
    Le problème est que la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Brown, s'est penchée sur cette situation. Mme Sheehy est venue témoigner devant votre comité à l'époque, après l'arrêt Daviault. Nous savons très bien qu'un certain nombre d'experts ont publiquement affirmé que l'alcool causait très rarement cet effet, mais le tribunal a décidé de ne pas en écarter la possibilité. C'est l'une des causes du problème.
    Le problème surgit quand il y a eu consommation d'alcool et d'autres drogues, ce qui est assez fréquent dans les cas que j'ai vus. Nous avons invité, comme l'Association nationale Femmes et Droits, pour même… Si, quand seulement l'alcool est en cause, ça ne se produit jamais, pourquoi ne pas le prévoir directement dans l'article 33.1? Ça n'a même pas été discuté.
    Merci, madame Froc.
    J'ai beaucoup apprécié le temps que vous m'avez accordé. Merci.
    Monsieur Caputo, je vous remercie.
    Madame Dhillon, vous disposez de cinq minutes.
    Je pose ma question à tous les témoins.
    Pouvez-vous expliquer pourquoi il importe tellement de clairement affirmer que la défense fondée sur la simple intoxication ne peut être invoquée contre une accusation au pénal, alors que la Cour suprême du Canada et le gouvernement l'ont déjà affirmé?
    Oui. La question est maintenant réglée une fois pour toutes. Il n'y a plus à y revenir pour les crimes dont nous discutons, des crimes d'intention générale. C'est une défense pour les crimes d'intention spécifique comme le meurtre.
    Mais le problème, pour les plaignants, la police ou la poursuite, est de les distinguer. La personne en cause était-elle simplement ou extrêmement intoxiquée ? Là gît la difficulté. C'est une question d'expert. On ne connaîtra la réponse qu'au moment où les experts viendront témoigner.

  (1700)  

    Puis‑je poser ma question suivante?
    Comme vous le savez, il incombe à l'accusé, et non à la Couronne ni à la victime, de prouver qu'il se trouvait dans un état d'automatisme. Pouvez-vous, s'il vous plaît, expliquer ce que vous en pensez?
    Comme Mme Grant l'a fait remarquer, il est parfaitement normal qu'il incombe à l'accusé de prouver selon la prépondérance des probabilités qu'il se trouvait dans cet état. Il est le seul à posséder l'information et les preuves utiles. La poursuite n'a rien.
    De plus, on ne considère pas comme normal un état où le corps et l'esprit sont incoordonnés. Nous exigeons que l'accusé prouve qu'il se trouvait dans cet état inhabituel.
    Que pensez-vous du fait que, grâce au projet de loi, la poursuite disposera de moyens supplémentaires pour établir la commission d'une infraction en établissant que l'intoxication volontaire extrême de l'accusé constituait de la négligence criminelle?
    La difficulté que pose le projet de loi est de laisser entendre que la Couronne doit prouver la prévisibilité d'une perte de maîtrise et du risque de préjudice. J'estime notamment que la deuxième norme sera impossible à prouver par la Couronne. Elle devra le faire hors de tout doute raisonnable, ce qui est une norme de preuve très exigeante. Elle aura besoin d'au moins deux experts pour réfuter les deux experts de l'accusé. J'estime qu'il est impossible de prouver que telle drogue était susceptible de provoquer la violence. Par exemple, aucune étude ne prouve une corrélation entre telles drogues et des crimes violents.
    Madame Froc, avez-vous quelque chose à ajouter?
    J'ai observé vos questions dans d'autres audiences, et ça m'a donné à réfléchir. J'ai compté... La Cour suprême a répété au moins deux fois que la simple intoxication n'est pas une défense contre une accusation d'agression et d'agression sexuelle. On ne trouve pas sur Twitter ou d'autres médias sociaux le recours à un domaine complexe du droit pour corriger la désinformation.
    Seulement, je vous en supplie, particulièrement en raison des effets accidentels dont nous discutons, que vous ne verrez peut-être jamais... Il deviendra très difficile de collecter des données, par exemple, sur le nombre d'accusations qu'on n'a jamais portées, de poursuites jamais intentées, parce qu'une défense d'intoxication extrême est imminente. Cette fois‑ci, vous ne devez pas vous tromper.
    Affirmer la nécessité d'agir à cause de la désinformation sur Twitter... D'accord, il fallait réagir à l'arrêt Brown, mais vous pouvez maintenant peaufiner le projet de loi et en conjurer les conséquences non voulues.
    Seulement, je vous en supplie, faites‑le.
    Très bien. Je pense que mon temps est écoulé. Merci.
    Merci, madame Dhillon.
    Monsieur Fortin, vous disposez de deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Professeure Sheehy, vous savez probablement qu'en juin 2022, le professeur Parent, de l'Université de Montréal, a dit qu'il faudrait peut-être élargir le concept. Selon lui, en limitant la défense aux cas d'intoxication extrême, on ne tient pas compte des autres intoxications qui ne sont pas nécessairement extrêmes, mais qui font qu'une personne perd complètement contact avec la réalité. comme lorsqu'elle est en état de psychose.
    J'aimerais connaître votre opinion sur ce qui suit. Est-ce que le professeur Parent a lieu de s'inquiéter du fait que la définition de l'intoxication extrême est trop limitée et qu'elle ne couvre pas les cas pour lesquels un individu, pour se défendre, invoque l'absence de mens rea pour cause de psychose?

  (1705)  

[Traduction]

    Que je sache, on pourra employer la défense d'intoxication extrême pour la psychose causée par une drogue.
    Je ne suis pas certaine de répondre à votre question.

[Français]

    Le professeur Parent disait qu'en limitant l'intoxication extrême à un état s'apparentant à l'automatisme, le gouvernement laisse de côté les intoxications qui ne perturbent pas la conscience de l'individu, mais qui affectent son rapport avec la réalité, comme les psychoses.
    Madame Sheehy, j'aimerais connaître votre opinion sur le commentaire de M. Parent, puisque vous êtes une spécialiste en droit. Comme il ne reste que 20 secondes à mon temps de parole, je vous demande de donner une brève réponse.

[Traduction]

    Je suis désolée. Dans quel contexte l'a‑t‑il dit.
    Laisse‑t‑il entendre que l'objet de la nouvelle loi est trop restreint ou que notre compréhension de la défense d'intoxication extrême est trop étroite?

[Français]

    Selon lui, la définition de l'intoxication extrême est trop étroite et il faudrait peut-être l'élargir à d'autres types d'intoxication, qui ne sont pas extrêmes, mais qui font perdre le contact avec la réalité, comme dans le cas d'une psychose.

[Traduction]

    Je suppose que je ne peux que me répéter, c'est‑à‑dire que j'estime que la psychose provoquée par une drogue, parce qu'elle détache l'individu de la réalité, est susceptible de servir de base à une défense d'intoxication extrême. Je crois que la jurisprudence est peut-être en train d'évoluer pour accueillir sa crainte que la définition soit trop étroite.
    Merci, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, vous disposez de deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Deux minutes et demie, c'est visiblement très court.
    Si nous peaufinons le projet de loi en tenant compte de l'une des trois options que Mme Grant nous a proposées, est‑ce que ça aura un effet sur l'éventuelle réduction du nombre d'accusations?
    Je suppose que, logiquement, il faut le demander à Mme Grant.
    Je pense qu'elle a dû partir.
    Peut-être qu'une de vous deux pourrait répondre, alors.
    Nous espérons que ces modifications éloigneront le spectre préoccupant de l'abandon des poursuites. L'élaboration d'un projet de loi en escomptant des résultats précis n'est évidemment pas une science exacte. Je pense qu'il est juste de présumer qu'une modification de la norme juridique, comme l'explique la loi, aura une incidence sur les décisions d'intenter des poursuites.
    Je sais que votre expertise se situe dans le domaine du droit constitutionnel, mais j'ai une question pour savoir s'il serait possible d'utiliser des lignes directrices en matière de poursuites, que ce soit en cas d'intoxication extrême ou d'agression sexuelle en général, pour faire en sorte que plus d'accusations soient portées.
    La question dépend en partie des services de police. Comme vous le savez, le fait que la police tende à juger les plaintes pour agression sexuelle non fondées constitue un problème très répandu, profond et persistant au Canada. Les taux demeurent très élevés dans certaines provinces. Des lignes directrices en matière de poursuites ne changeront rien à la situation dans les provinces qui laisse la police décider des accusations à porter.
    Des lignes directrices en matière de poursuite peuvent effectivement être utiles. J'imagine que la plupart des provinces en ont pour les agressions sexuelles, et je suis certaine que certaines d'entre elles en adopteront concernant l'intoxication extrême dans le cadre des efforts qu'elles déploient pour orienter les procureurs de la Couronne lorsqu'ils prennent des décisions dans de telles affaires.
    Excellent. Je vous remercie.
    Je suis certain qu'il ne me reste presque plus de temps, alors je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie, monsieur Garrison.
    Nous remercions les témoins, soit Mme Sheehy, Mme Froc et Mme Grant, qui a dû partir il y a peu de temps.
    Voilà qui conclut le premier volet de la séance. Nous suspendrons la séance un instant pour permettre à notre prochaine témoin de se joindre à nous. Je tiens à ce que les membres du Comité sachent que nous continuerons ensuite jusqu'à 17 h 40 environ. Nous effectuerons un tour de questions légèrement plus court, mais nous ne recevons qu'une témoin.
    Je vous remercie. Je suspends brièvement la séance.

  (1710)  


  (1710)  

    Nous reprenons la séance avec notre nouvelle témoin.
    Nous recevons Mme Suzanne Zaccour, de l'Association nationale Femmes et Droit.
    Madame Zaccour, vous avez la parole pour cinq minutes, après quoi nous entreprendrons notre tour de questions.
    Bonjour à tous. Je m'appelle Suzanne Zaccour et je suis responsable de la réforme féministe du droit de l'Association nationale Femmes et Droit, aussi appelée ANFD ou National Association of Women and the Law.
    L'ANFD est une organisation sans but lucratif nationale qui défend les droits des femmes au Canada. Nous sommes à l'œuvre depuis 1974 et nous avons consulté bien des fois de nombreux gouvernements au sujet de l'élaboration de lois qui protègent les droits des femmes, et notamment des réformes importantes des lois relatives aux agressions sexuelles dans les années 1980 et 1990.
    L'Association nationale Femmes et Droit a trois grandes préoccupations quant à ce projet de loi.
    Premièrement, nous devons tenir compte de toutes les répercussions de la loi et pas seulement de celles qu'elle aura sur les acquittements. Même si un accusé n'a pas de défense valide, il peut quand même utiliser l'intoxication extrême pour influencer la victime, la police et les procureurs dans les décisions qu'ils prennent à propos du signalement, des accusations et de la négociation du plaidoyer. Je n'ai probablement pas à vous rappeler que la plupart des agressions sexuelles et des affaires de violence conjugale ne se rendent jamais jusqu'au procès. Il importe donc de considérer toutes les répercussions de la loi avant le processus judiciaire. Nous nous préoccupons particulièrement des affaires qui ne se rendent pas en cour parce que l'accusé était enivré. Pour rendre les choses limpides pour les victimes, la police et les procureurs, nous recommandons que le projet de loi indique explicitement que l'alcool est présumé ne pas causer d'intoxication extrême. Il sera en outre nécessaire d'offrir une formation adéquate et d'informer la population.
    Deuxièmement, nous nous préoccupons de la capacité de la Couronne de prouver l'écart marqué, vu que le projet de loi parle de la prévisibilité du risque d'intoxication extrême et du risque de préjudice. La consommation de n'importe quelle drogue achetée dans la rue garantira‑t‑elle la réussite de la défense parce qu'il est impossible de savoir ce qu'elle contient réellement? Un accusé ayant déjà consommé de telles drogues pourra‑t‑il affirmer que le risque n'était pas prévisible parce qu'il en avait déjà consommé sans perdre la maîtrise de lui-même? Un accusé qui n'en avait jamais consommé pourra‑t‑il faire de même et affirmer qu'il ne pouvait prévoir que son corps réagirait de cette manière parce qu'il n'avait jamais consommé ces drogues? Un homme qui agresse régulièrement sa conjointe quand il a bu pourra‑t‑il prétexter qu'il ne pouvait pas prévoir qu'il perdrait sa maîtrise de soi cette fois‑là parce qu'il a l'habitude de boire et qu'il n'avait jamais atteint d'état d'intoxication extrême? Les tribunaux, mais également la police et les procureurs, doivent recevoir une orientation adéquate à ce sujet.
    Troisièmement, le gouvernement doit s'engager à réexaminer la loi après ces audiences et à réunir de l'information sur l'utilisation de la défense, car nombreux sont ceux qui, au cours du débat sur ce projet de loi, ont affirmé que ce genre de défense serait rarissime. C'est ce qu'on continue d'entendre, mais comment le savoir si la plupart des accusés ont été complètement incapables d'invoquer cette défense depuis 27 ans? Mme Sheehy, qui a témoigné dans le groupe précédent, a parlé d'une recherche qui indique que la défense de l'intoxication extrême pourrait être utilisée plus souvent que prévu. De plus, comme des témoins l'ont clairement fait savoir, nous ignorons quelle incidence cette défense aura à l'extérieur du procès, sur les décisions de porter des accusations, par exemple.
    Le projet de loi est maintenant adopté. Comment saurons-nous si cette défense est effectivement rare et fonctionne comme prévu ou si elle devient un nouveau prétexte pour excuser la violence d'agresseurs enivrés contre les femmes? Les agresseurs à répétition invoqueront-ils cette défense? Réussira‑t‑elle quand l'alcool seul est en jeu? Les tribunaux sont-ils stricts ou permissifs? Nous devons obtenir des réponses à ces questions.
    Nous demandons au Comité de recommander que la loi soit réexaminée aux trois ans. Au moment où je vous parle, il est trop tard pour en amender les dispositions, mais il est encore temps de rectifier le tir.
    Je vous remercie de m'avoir écoutée et d'accorder à cette question l'attention qu'elle mérite.

  (1715)  

    Je vous remercie.
    Je pense que c'est M. Brock qui a la parole pour six minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie, madame Zaccour, de votre exposé aujourd'hui. J'ai quelques questions à vous poser. Je vais vous offrir une occasion d'entrée de jeu. Voudriez-vous ajouter quelque chose à propos des trois principales recommandations que vous avez présentées pour expliquer comment le projet de loi peut être amélioré?
    Certainement. Je vous remercie de me donner l'occasion de le faire.
    J'ajouterais peut-être quelque chose à propos de la consommation d'alcool seul comme cause d'intoxication extrême. Certains ont fait valoir que du point de vue scientifique, il est douteux que l'alcool seul puisse causer l'intoxication extrême. Il suffit toutefois qu'un seul expert affirme que cela se produit pour que la loi cause du tort. On n'a même pas besoin de cela. Il suffit qu'un agent de police, un procureur ou une victime pense qu'un expert pourrait le dire.
    Notre organisation tient à souligner qu'il faut porter adéquatement attention non seulement à la manière dont la loi est censée fonctionner, mais aussi à la manière dont elle fonctionnera réellement dans la pratique.
    Voilà qui explique probablement pourquoi il importe, dans votre esprit, qu'un examen triennal ait lieu dans les circonstances. Nous nous aventurons en terre inconnue à l'heure actuelle. Étant donné que de nombreux groupes du pays n'ont pas été réellement consultés, nous pouvons tous convenir que ce projet de loi a été élaboré à la hâte. Il n'y avait pas d'urgence. Le gouvernement devait réagir, mais ce n'était pas pressant. Voilà qui fait que nous nous retrouvons à examiner ce projet de loi.
    Je vous remercie de vos observations, notamment de la première qui portait sur les répercussions de la loi. Je suis un ancien procureur, fort de 30 ans d'expérience en procédures judiciaires. Je me suis occupé de poursuites pour un certain nombre d'infractions dont des femmes aient été victimes dans des affaires d'agression sexuelle ou de voies de fait graves, et dans le cadre desquelles ces genres de défenses ont été utilisés. En une seule occasion, j'ai perdu ma cause en raison d'une défense s'appuyant sur l'article 33.1, mais je connais les répercussions générales que cela a sur les victimes.
    Comme le projet de loi reste vague, je prévois que la possibilité d'invoquer cette défense pourrait faire en sorte qu'il y aura beaucoup plus de procès qu'il n'y en a eu jusqu'à maintenant. Cela signifie en soi que plus de victimes seront traumatisées par la durée des procédures qui s'étireront devant les tribunaux.
    Vous préoccupez-vous aussi des retards et des répercussions générales sur les victimes?

  (1720)  

    Certainement.
    Je veux souligner le fait que le droit que j'ai étudié à la faculté de droit est fort différent de ce que j'entends des victimes. J'ai entendu les doléances des victimes, qui indiquent qu'elles n'entament pas de poursuites parce qu'il existe des restrictions prescrites, ce qui, bien entendu, n'a aucun sens dans les affaires d'agression sexuelle. Certaines victimes m'ont dit qu'elles n'intentaient pas de poursuites parce qu'il n'y avait pas eu de pénétration, ce qui n'a également aucun sens selon l'état du droit.
    Il importe vraiment de comprendre que la loi n'est pas toujours appliquée de manière aussi subtile. La Cour suprême ne l'applique pas nécessairement de la même manière que les agents de police ou les procureurs du pays.
    Je me préoccupe également de la question de l'alcool étant la seule substance intoxicante. Il me semble me rappeler que bien avant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brown, la jurisprudence indiquait clairement aux procureurs, particulièrement en Ontario, qu'une défense invoquant l'article 33.1 ne réussirait jamais si l'alcool seul était en jeu. Maintenant, avec ce nouveau projet de loi et quelques rapports que j'ai lus de certains experts qui ont témoigné avant vous, il semblerait que l'alcool pourrait être considéré pour ce genre de défense.
    Seriez-vous d'accord avec cette assertion?
    Oui. Selon le discours de la Cour suprême et des commentateurs, l'alcool n'est pas susceptible de causer l'intoxication extrême. Par conséquent, dès que quelqu'un prouve qu'il y avait intoxication extrême, il est impossible de prouver la prévisibilité. Tout le monde affirme qu'on ne prévoit pas que l'alcool puisse causer l'intoxication extrême.
    Une autre question de pose. L'ANFD préconise continuellement la formation des juges. Des progrès ont été accomplis à cet égard, mais la situation continue d'être préoccupante. Ici encore, ce n'est pas parce qu'un universitaire affirme quelque chose dans un article ou même parce que la Cour suprême dit quelque chose que tous les juges le sauront et que la loi sera appliquée uniformément.
     Voilà où le bât blesse, car les juges verront les choses de manière très différente. L'uniformité attendue brille souvent par son absence, particulièrement dans le domaine du droit, et je pense que c'est pourquoi les experts ont insisté vivement sur la nécessité de rendre le projet de loi plus précis pour qu'il indique très clairement quel pouvoir les juges possèdent dans ces circonstances.
    Évidemment, plus la loi est claire, mieux tout le monde s'en porte. Nous ne devrions pas tenir pour acquis que les gens connaîtront la jurisprudence sur le bout de leurs doigts. La loi devrait être limpide et facile à interpréter, selon moi.
    En effet. Je pense que vous avez également...
    Je vous remercie.
    Oh, mon temps est écoulé?
    Oui.
    D'accord. Je vous remercie, monsieur le président.
    C'est maintenant M. Naqvi qui a la parole pour six minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie de témoigner. Je veux également remercier les témoins qui ont comparu plus tôt.
    Je vous poserai quelques questions, car je suis un peu mêlé. J'ai interrogé Mme Froc plus tôt également pour me démêler et me permettre de mieux comprendre.
    Commençons juste par certaines de vos réflexions de base sur la défense et le projet de loi que nous examinons. Étiez-vous d'accord avec la défense fondée sur l'article 33.1 qui existait avant que ce dernier ne soit jugé inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada?

  (1725)  

    Voulez-vous savoir si je considère que c'était un bon choix stratégique ou si c'était constitutionnel?
    C'est une bonne question. Répondez-nous pour les deux.
    Je sais que l'ANFD, notre organisation, a exercé des pressions concernant ce projet de loi. Nous pensions donc certainement que des correctifs s'imposaient. Nous jugeons que la défense d'intoxication extrême ne devrait pas être mise en œuvre sans balises.
    Évidemment, la Cour suprême du Canada a statué que cette disposition est inconstitutionnelle. L'affaire est donc entendue, mais comme Mme Froc l'a expliqué, cela ne signifie pas qu'il n'existe pas d'autres solutions.
    Comment avez-vous réagi à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Brown? Êtes-vous d'accord avec son analyse et sa décision, ou vous préoccupez-vous du raisonnement des tribunaux quand il est question de l'ancien article 33.1?
    Nous considérons que les droits et les intérêts des femmes devraient recevoir plus d'attention. J'ajouterais également que ce n'était pas entièrement une surprise. Depuis un certain temps, la constitutionnalité de ces dispositions était remise en question, et de toute évidence, le litige ne se... Quiconque saisit la Cour suprême d'une affaire de constitutionnalité n'obtient pas de décision en un jour. Cela prend souvent des années.
    Il était, je dirais, raisonnablement prévisible que nous nous retrouvions dans cette situation. C'est pourquoi l'Association nationale Femmes et Droit, ou l'ANFD, s'est principalement demandé pourquoi des consultations n'avaient pas eu lieu avant, un fait qu'elle a dénoncé haut et fort. S'il fallait agir si rapidement, ce qui est difficile à comprendre vu l'insistance du ministre sur le fait que cette défense est rarement invoquée, pourquoi alors n'a‑t‑on pas commencé à consulter les groupes de femmes beaucoup plus tôt?
    J'ai entendu cet argument précédemment. Je ne sais pas qu'il est possible de présupposer une décision de la Cour suprême et d'être prêt à toute éventualité en tout temps. Je ne suis pas entièrement d'accord avec ce raisonnement, mais ce n'est que mon opinion.
    Ne pensez-vous pas, à la lumière de la décision de la Cour suprême, qu'il existait une lacune, un vide qui devait être comblé le plus rapidement possible pour protéger les femmes? Considérez-vous que tous les parlementaires ont fait fausse route en accélérant l'élaboration et l'adoption du projet de loi? Pourquoi aurions-nous dû retarder le processus? Cela aurait‑il été une bonne politique publique?
     Je pense que c'est l'un ou l'autre. Soit c'est une défense si rare qu'il importe peu que la norme soit très élevée pour la Couronne, car cette défense est si rare qu'elle n'a jamais été invoquée et qu'elle n'a pas été utilisée depuis l'arrêt Brown, soit il s'agit d'une affaire très urgente pour laquelle on n'a même pas eu le temps de tenir les audiences que nous avons aujourd'hui.
     Je ne pense pas qu'il soit juste envers les groupes de femmes d'avoir expédié les consultations, car ils ont joué un rôle de premier plan dans l'intégration de dispositions de base sur les agressions sexuelles dans le Code criminel. Comme Mme Froc l'a expliqué, nous pensons avoir été consultées un peu après les faits. Je ne veux pas présumer de l'intention de ces consultations, mais nous avons certainement eu l'impression qu'il aurait été préférable d'accorder quelques semaines supplémentaires à ce dossier pour s'assurer de faire mieux.
    La question dépend aussi de la suite des choses: le Comité apportera‑t‑il des amendements ou sommes-nous entendues après les faits? Des consultations ont maintenant eu lieu, mais nous voulons que ces les consultations soient sérieuses pour que notre contribution ne se résume pas à notre témoignage. Idéalement, nous voulons que nos préoccupations soient intégrées au processus législatif.
    Je le comprends. Je vous remercie.
    Je vous ai également entendue dire, pendant votre exposé, que vous vous préoccupez non seulement de la loi, mais aussi beaucoup de son application. Ai‑je raison de penser qu'un grand nombre de groupes de femmes se préoccupent principalement... La loi est peut-être bonne ou parfaite, mais c'est la manière dont la police, les procureurs et les juges l'appliquent qui les préoccupe le plus, car elle n'est pas appliquée identiquement à l'échelle du pays. Est‑ce un problème important pour votre organisation?

  (1730)  

    Oui. À titre d'experte en matière d'agression sexuelle, je peux dire que l'application est toujours notre principale préoccupation. Je ne dirais pas que la loi est parfaite et que le problème vient de l'application. La loi nous préoccupe, car nous pensons qu'elle pourrait faire en sorte que l'application soit encore pire parce qu'elle manque de clarté.
    Avec le groupe de témoins précédents, une grande partie de la discussion a porté sur le paragraphe 33.1(2) et sur la question de savoir s'il devrait y avoir une norme ou non. C'est ce qui suscite chez moi un peu d'inquiétude et de confusion. D'après moi, une norme au paragraphe 33.1(2) permettrait une application plus uniforme de la loi. Sans norme, les différents juges, procureurs et agents de police pourraient avoir des interprétations différentes de la loi.
    Mme Suzanne Zaccour: Puis‑je répondre?
    Oui, madame Zaccour, mais très brièvement.
    Il ne s'agit pas d'une norme. Comme l'a expliqué Mme Grant, la norme correspond à « l'écart marqué ». Ce qui figure dans le paragraphe que nous critiquons, ce sont les facteurs. La question est toujours de savoir pourquoi on a ces deux facteurs. Quels étaient tous les autres facteurs que vous avez décidé de ne pas inclure dans la loi, et ce, pour quelles raisons? Comment ces facteurs doivent-ils être pondérés? C'est ce qui, à notre avis, conduira à une application incohérente et problématique.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Naqvi.
    C'est à vous, monsieur Fortin. Vous disposez de six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Madame Zaccour, merci d'être ici aujourd'hui.
    Vous nous avez dit que vous n'aviez pas été consultée par le ministre avant l'adoption de ces dispositions. Si vous l'aviez été, que lui auriez-vous dit?
    Nous lui aurions probablement dit ce que nous avons entendu aujourd'hui. Nous aurions notamment fait valoir l'importance de s'assurer non seulement que la Couronne peut prouver cette norme, mais aussi que les critères qui s'y rattachent sont clairs et pertinents.
    Je crois qu'on peut dire qu'une personne agit de façon irresponsable si elle s'intoxique en sachant qu'il y a un risque que cela l'amène à causer un préjudice, tout comme une personne qui le fait en sachant qu'elle risque de perdre complètement le contrôle de ses actions. Alors, pourquoi avoir les deux éléments? Comme la professeure Grant l'a dit, les deux sont-ils nécessaires? Est-ce une norme? Est-ce que ce sont des critères?
    Nous nous serions donc efforcés de clarifier la loi. Depuis le début, nous avons critiqué l'idée de devoir prouver, dans un cas donné, que le risque de préjudice était prévisible.
    Au paragraphe 33.1(2), il est écrit que « le tribunal doit prendre en compte la prévisibilité objective du risque ». Déjà, on se retrouve dans une situation rare, et chaque critère ajoute à sa rareté. On doit prouver qu'il était objectivement prévisible que la consommation de substances intoxicantes par la personne soulève le risque d'une intoxication extrême. Il me semble que c'est quelque chose de très rare.
    N'êtes-vous pas de cet avis?
    C'est une grande question.
    Cela dépend un peu du niveau de risque devant être prouvé. À mon avis, ce n'est pas clair dans cette loi. Faut-il prouver qu'il était possible que cela arrive? Faut-il prouver que c'était probable? Faut-il prouver que c'était plausible? C'est là que la loi pourrait être interprétée de différentes façons.
     Un ou une juge pourrait très bien dire que, lorsqu'on s'intoxique, il y a toujours un risque qu'on perde le contrôle. En revanche, d'autres pourraient dire que la plupart des personnes qui s'intoxiquent ne deviennent pas violentes, comme on en a parlé plus tôt. En tout cas, il y a certainement des personnes qui deviennent violentes sans se rendre à l'intoxication extrême.
    Alors, finalement, ce n'est jamais prévisible. C'est la raison pour laquelle je recommande de surveiller la façon dont la loi va être interprétée, parce que les balises qui y sont proposées pour guider les tribunaux pourraient obscurcir le sens de la loi plutôt que le clarifier.

  (1735)  

     Abstraction faite de la possibilité de complètement éliminer le paragraphe 33.1(2), que changeriez-vous au texte si vous aviez à le modifier aujourd'hui?
    La professeure Grant a parlé de la possibilité de l'éliminer, ce qui est certainement une proposition intéressante.
    Supposons, par contre, qu'il faille conserver ce paragraphe. Comme je l'ai dit plus tôt, le risque qu'une personne devienne violente et le risque qu'elle perde le contrôle de ses actions me semblent chacun suffisants en soi pour tenir cette personne responsable de ses actions. J'ai donné l'exemple d'un conjoint qui est violent envers sa femme lorsqu'il boit. Le fait qu'il soit violent lorsqu'il boit est prévisible. En revanche, il n'est pas nécessairement prévisible qu'il se retrouve dans un état d'intoxication extrême. De toute façon, même quand il est en contrôle de ses actions, il est violent envers sa femme.
    C'est la raison pour laquelle cette norme à deux composantes me semble excessive. J'aurais certainement recommandé qu'on la clarifie si on ne veut pas laisser les tribunaux se borner à déterminer ce qu'une personne raisonnable aurait fait et si on est en présence d'un écart marqué, et qu'on leur dit d'évaluer le niveau de risque et s'il était possible, plausible ou probable.
    Ce sont des aspects que je vous encourage à envisager.
    Je sais que la jurisprudence dans ce domaine offre une variété de points de vue, mais on parle ici de personnes qui consomment des substances intoxicantes à un point tel qu'elles se mettent dans un état d'intoxication extrême, ce qui est quand même sérieux.
     N'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'une personne, une fois qu'elle a consommé une substance intoxicante en quantité suffisante, risque nécessairement d'atteindre un état d'intoxication extrême et, par le fait même, de causer un préjudice à autrui? Je ne dis pas nécessairement que cela va se produire, mais qu'il y a un risque objectif.
     Je ne connais pas la quantité de substance qu'une intoxication extrême représente, mais il va de soi qu'elle est élevée. Certains diront qu'il n'y a pas de problème, mais, quand une personne consomme une grande quantité de cette substance, ne peut-on pas dire qu'il est automatiquement prévisible que cette personne se retrouve dans un état d'intoxication extrême?

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Je vais vous donner quelques secondes pour répondre très rapidement à cette question, madame Zaccour.

[Français]

    Un des problèmes soulevés est le fait que bon nombre de personnes s'intoxiquent, mais ne savent pas nécessairement ce qu'elles consomment, ou en quelle quantité. Après combien de bières est-il prévisible d'atteindre un état d'intoxication extrême: 5, 10, 15, 20, 25 ou 30 bières? Je ne le sais pas. C'est pour cela qu'on demande que des experts et expertes consomment.
    Puisque je défends les droits des femmes, je m'inquiète toujours du risque qu'une personne qui se met dans ce genre de situation et qui perd le contrôle de ses actions soit violente envers une femme ou une autre personne de son entourage.
    Merci, madame Zaccour.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, c'est à vous pour le dernier tour.
    Merci beaucoup, madame Zaccour.
    Vous avez dit, de façon un peu désinvolte, qu'il aurait fallu y consacrer « quelques semaines supplémentaires ». En tant que parlementaire, je dois vous dire qu'en contexte parlementaire, quelques semaines supplémentaires nous auraient fait manquer complètement la session du printemps, et nous en serions encore cet automne à essayer de régler ce problème.
    Je sais que les gens ont parfois du mal à concevoir cela, mais pour le Parlement, bouger aussi vite que nous l'avons fait était un petit miracle. Si nous ne l'avions pas fait à ce moment‑là, nous en serions probablement encore à ce point aujourd'hui. Nous avons un Parlement minoritaire qui risque l'instabilité et qui pourrait être paralysé. Ne pas agir est parfois un risque plus grand que ce que l'on croit généralement.
    Je suppose que cela m'amène à nouveau à la question de savoir s'il y avait un vide à combler ou s'il y en a toujours un. Je pense que je connais votre réponse, mais j'aimerais vous entendre directement.
    Merci.
    Si vous le permettez, je vais peut-être réagir au préambule de votre question. Il y avait un préambule, contrairement à la loi, bien que nous ayons plaidé pour qu'il y en ait un.
    Je suppose que la question que je peux vous renvoyer est la suivante. Avons-nous été utiles aujourd'hui? Dans quelle mesure avons-nous été utiles? Quand je dis « nous », je parle de l'Association nationale Femmes et Droit, et des professeurs de droit que vous avez entendus précédemment. Est‑ce que cela valait la peine d'attendre? C'est une question à laquelle vous pouvez répondre parce que vous avez écouté.
    Je reconnais qu'il est difficile de faire fonctionner cette machine rapidement. Nous espérons certainement... Nous défendons de nombreuses causes et je peux vous dire que de nombreuses femmes sont préoccupées parce que cette mesure ne tient pas compte de la plupart des préjudices et des violences qu'elles subissent. Nous aimerions voir cet engagement dans d'autres domaines, et je sais que vous y croyez aussi.
    J'ai oublié la question et je n'ai répondu qu'à votre préambule. Je suis désolée.

  (1740)  

    Est‑ce qu'un vide subsiste?
    Nous pensons qu'il vaut toujours la peine de prendre le temps, maintenant que la poussière est retombée. Je sais que la désinformation était une préoccupation du Parlement. Nous pensons qu'il y a encore de bonnes raisons de modifier la loi et de combler un vide, mais aussi de clarifier la loi et de la rendre plus facile à appliquer.
    Je sais qu'au moment de nos discussions, la tenue de ces audiences était un geste de bonne foi. Ce n'était pas seulement pour le plaisir de tenir des audiences, mais si nous devions faire d'autres ajustements, ces audiences nous en informeraient et nous donneraient cette possibilité.
    C'est ce que nous espérons.
    On me trouve parfois trop optimiste, mais je siège au Parlement depuis 11 ans seulement. Il m'est arrivé de voir que nous faisions ce qu'il fallait.
    Je sais que nous arrivons à la fin du temps imparti, alors ma dernière question porte sur la norme du préjudice prévisible par rapport à la perte de contrôle, qui est ressortie très clairement avec le groupe précédent. Pensez-vous qu'il serait utile, si nous n'éliminons pas l'article, de le réécrire de manière à ce que l'accent soit mis sur la prévisibilité de la perte de contrôle plutôt que sur le préjudice?
    On peut certainement faire valoir que s'il est prévisible que vous allez perdre le contrôle... Si nous croyons à la nécessité de cette défense, et que tout repose sur le principe voulant que lorsqu'on perd le contrôle, on perd le contrôle et on ne peut pas dire ce qu'on va faire, alors cela semble suffisant pour tenir quelqu'un responsable si l'intoxication était volontaire.
    Il se peut aussi que l'un ou l'autre soit suffisant, mais nous pensons que, s'il faut prouver cela au‑delà de tout doute raisonnable, avec les préoccupations que nous avons concernant la façon dont les tribunaux interpréteront qui est cette personne raisonnable et quels types de risques elle prend dans une société où la plupart de ces intoxications sont légales, mais où les gens en prennent quand même... Que fait la personne raisonnable dans ces circonstances?
    Ce sont des questions très difficiles, et les tribunaux n'ont pas toujours été d'accord avec les organisations de femmes sur le type de risque qu'il est raisonnable de faire courir aux femmes.
    Merci beaucoup.
    Je prends au sérieux ce que vous et l'autre groupe de témoins avez dit, ainsi que l'Association des femmes autochtones du Canada, à savoir qu'il y a beaucoup d'autres aspects de la question pour lesquels nous avons besoin d'un meilleur soutien et d'une meilleure éducation. Je sais que nous allons tous prendre ces suggestions au sérieux dans nos travaux futurs.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Garrison.
    Je tiens à remercier notre témoin, Mme Zaccour, pour cette séance très instructive, et je remercie tous les membres du Comité.
    Avant de lever la séance, je tiens à rappeler aux membres de transmettre les noms de témoins qu'ils souhaitent pour la réunion du jeudi 3 novembre, si ce n'est pas encore fait. Pour le moment, nous en avons trois de confirmés, alors demandez à vos whips de vérifier s'il y a des témoins qui doivent être informés.
    Merci beaucoup de cette réunion fructueuse.
    La séance est levée.
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