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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 007 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 16 février 2022

[Enregistrement électronique]

  (1605)  

[Traduction]

     Je vous remercie, monsieur le greffier, d'avoir effectué tous les tests d'appareils technologiques.
     Je remercie d'avance les témoins de leur patience.
    Chers collègues, je vois que nous commençons la réunion environ 35 minutes en retard. Je propose que nous siégions au moins jusqu'à 18 heures, à moins qu'il n'y ait des objections farouches. Nous recevons aujourd'hui des témoins extraordinaires, notamment MM. Kolga et Hampson.
    Je vous remercie tous les deux de votre présence et des observations que vous nous ferez.
    Sur ce, j'invite M. Hampson à faire un exposé de cinq minutes, après quoi nous entendrons l'exposé de M. Kolga, qui aura également cinq minutes, et nous passerons ensuite à la période des questions.
     Je vous remercie.
     Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais me lancer dans le vif du sujet.
    Permettez-moi de commencer par quelques dures vérités.
    Aujourd'hui, les forces armées du Canada connaissent leur plus faible déploiement à l'étranger depuis la guerre de Corée. Il y a quatre ans, le gouvernement Trudeau a annoncé qu'il s'engageait à augmenter les dépenses militaires de 62,3 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années, ce qui comprenait l'engagement d'augmenter les dépenses de 6,5 ou 6,6 milliards de dollars au cours des 5 prochaines années. Pourtant, les documents budgétaires ont montré que le gouvernement a manqué de plus de 2 milliards de dollars par année pour les nouvelles dépenses en équipement militaire en raison de retards dans les projets, bien que certains projets n'aient pas dépassé le budget établi.
    À pleine puissance, l'armée canadienne devrait compter plus de 100 000 soldats, membres des forces régulières et réservistes, mais aujourd'hui, elle fait face à un manque de 12 000 soldats, et la situation semble s'aggraver.
    Aujourd'hui, le monde est un endroit beaucoup plus dangereux. Il n'y a pas de dividendes de la paix et certainement pas de congés de l'histoire. Le système international devient très concurrentiel et instable, en raison de la montée en puissance de la Chine et de la résurgence de la Russie. Ces deux pays menacent leurs voisins et aspirent à une influence mondiale. Il y a aussi des acteurs régionaux — l'Iran et la Corée du Nord — qui menacent leurs voisins par de nouvelles provocations, sans compter l'instabilité dans de nombreuses autres régions du monde, y compris dans notre propre hémisphère.
     Avec le retour de la concurrence et de la rivalité géostratégiques, les Forces armées canadiennes doivent relever les défis liés à ce que l'on pourrait appeler une dissuasion double ou à deux fronts: comment faire face à la menace militaire croissante que représentent la Russie et la Chine? La Russie et la Chine sont maintenant unies par la hanche avec leur nouveau pacte d'amitié sans limites qui remet en question l'ordre politique et militaire actuel.
    Je pense que nous pouvons convenir que les actions de la Russie contre l'Ukraine s'inscrivent dans le contexte d'une série d'interventions dans des pays avoisinants: la Géorgie, la Biélorussie et le Kazakhstan.
     Les dépenses de la Russie au titre de la défense sont axées sur le déploiement de nouveaux armements, notamment des systèmes non stratégiques équipés pour transporter des ogives nucléaires ou classiques, de nouvelles armes antisatellites, des armes à énergie dirigée et des capacités perfectionnées en matière de cyberguerre qui permettront d'exploiter des capacités asymétriques contre des adversaires plus puissants.
    Le comportement de la Chine sous la présidence de Xi Jinping et son propre renforcement militaire présentent un schéma d'agression similaire et inquiétant. Entre 2010 et 2020, les dépenses militaires de la Chine ont augmenté de 76 %, et les capacités de combat de l'Armée populaire de libération se sont considérablement améliorées. D'ici 2030, la marine chinoise sera plus moderne et plus grande que celle des États‑Unis. À l'instar de la Russie, la Chine investit massivement dans la modernisation de son armée: missiles balistiques et de croisière hypersoniques, armes antisatellites, capacités de cyberguerre, et j'en passe.
    Le rythme tranquille de la modernisation de nos forces armées pour faire face aux nouvelles réalités géostratégiques contraste fortement avec celui de nos cousins australiens, qui ont mis le pied sur l'accélérateur. Bien qu'elle fasse les deux tiers de la taille du Canada en matière de population et de PIB, le budget militaire de l'Australie représente 2,2 % du PIB, soit 26,9 milliards de dollars américains, contre 1,4 % pour le Canada, soit 21 milliards de dollars américains. C'est 28 % de plus que le Canada. L'Australie s'est engagée à augmenter considérablement ses propres dépenses militaires au cours des quatre prochaines années, en renforçant ses capacités aériennes et navales afin de se préparer à ce que le premier ministre australien, Scott Morrison, appelle un voisinage « plus pauvre, plus dangereux et plus désordonné », et un monde dans lequel « nous n'avons pas vu autant d'incertitudes mondiales, économiques et stratégiques » depuis les années 1930.
    Aucun avertissement de ce genre n'a été lancé par les dirigeants du Canada.
    Compte tenu de l'importance de la région indopacifique pour l'avenir économique du Canada et de la nouvelle stratégie indopacifique du gouvernement, le Canada est directement concerné par la sécurité et la stabilité de la région. Pour nos partenaires économiques de la région, l'économie et la sécurité sont les deux faces d'une même médaille. Ils nous ont dit à maintes reprises que, si le Canada veut renforcer ses liens commerciaux et économiques dans la région, il doit être un partenaire beaucoup plus engagé et fiable en matière de sécurité.

  (1610)  

    Dans son évaluation du Canada en tant que partenaire de sécurité, l'ancien secrétaire général de l'ANASE, le Thaïlandais Surin Pitsuwan, n'y est pas allé de main morte. En effet, en 2012, il a affirmé que le Canada savait qu'il avait été plutôt absent de la région, et j'oserais dire que peu de choses ont changé depuis.
    En fait, nous avons été pris de court par le pacte de sécurité entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. L'Australie est considérée comme un partenaire sérieux en matière de défense et de sécurité dans la région indopacifique. Le Canada ne fait manifestement pas partie de ce premier groupe. L'Australie a été mentionnée à sept reprises dans la stratégie indopacifique des États-Unis qui vient d'être publiée. Le Canada, pas une fois. On ne nous a pas mentionnés du tout.
    Monsieur Hampson, je m'excuse de vous interrompre, comme je m'en excuse trop souvent, mais nous avons largement dépassé le temps qui vous était imparti.
    D'accord. L'essentiel, c'est que nous devons courir plus vite, sauter plus haut et arrêter de faire moins que ce que nous sommes capables de faire.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Kolga, vous avez cinq minutes.
     Monsieur le président, distingués membres du Comité, merci de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui de la menace que représentent pour notre sécurité et notre démocratie les opérations d'influence et de désinformation en provenance de l'étranger.
    En plus d'être chercheur principal à l'Institut Macdonald-Laurier et à l'Institut de la Conférence des associations de la défense, je suis le directeur de DisinfoWatch, une plateforme qui se consacre à la surveillance et à la dénonciation de la guerre de l'information menée à partir de l'étranger à l'endroit du Canada et de nos alliés, et qui aide les Canadiens à développer les ressources cognitives qui leur permettront de reconnaître et de rejeter les activités de désinformation et d'influence.
    Comme l'ont souligné à maintes reprises le milieu canadien du renseignement et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, la menace de la guerre de l'information et des opérations d'influence menées depuis l'étranger — connue sous le nom plus général de « guerre cognitive » — est persistante et elle va en augmentant. Le Canada est une cible importante pour les acteurs chinois, russes et iraniens qui cherchent à manipuler nos médias, nos élus, notre société civile, nos forces armées, nos communautés ethniques et les intérêts canadiens au moyen d'opérations de désinformation.
    Lors des élections fédérales de 2021, DisinfoWatch a d'abord alerté les Canadiens d'une campagne d'influence coordonnée et alignée sur le gouvernement chinois, qui comprenait de la désinformation sur les plateformes médiatiques d'État chinoises. Le DFRLab — le laboratoire de recherche médico-légale numérique du Conseil de l'Atlantique — et des chercheurs de l'Université McGill ont ensuite publié des conclusions similaires.
    Depuis le début de 2020, nous observons que les médias d'État russes et leurs mandataires tentent de diviser notre société en faisant la promotion en sol canadien de récits qui misent sur les sentiments de peur, de colère et de confusion qui ont grandi au sein du public durant la pandémie de COVID‑19.
    Je tiens à souligner que le Kremlin n'a aucune idéologie ni aucune valeur en commun avec les principaux partis politiques canadiens. La seule idéologie de Vladimir Poutine est la corruption et le pouvoir. À ce titre, nos valeurs démocratiques représentent une menace existentielle pour son régime, et c'est pour cette raison qu'il nous prend pour cible. Vladimir Poutine ne peut rivaliser qu'avec des nations démocratiques qui sont divisées et dont les alliances de défense, comme l'OTAN, sont rompues.
    Pour y parvenir, les acteurs étatiques russes qui opèrent dans l'ombre des extrêmes politiques de gauche et de droite cherchent à diviser notre société en érodant les liens sur lesquels elle repose. Aux États-Unis, nous avons vu des acteurs étatiques exploiter les troubles civils, les problèmes environnementaux et d'autres questions politiques névralgiques. Au Canada, nous avons récemment vu les médias d'État russes exploiter les manifestations entourant la COVID en faisant la promotion de voix radicales qui cherchent à renverser ce gouvernement démocratiquement élu qui est le nôtre.
    Nos forces armées en Lettonie et en Ukraine ont également été la cible de la guerre de l'information orchestrée par les Russes. Dans le but de subvertir la confiance des russophones de Lettonie à l'égard de la mission et des troupes canadiennes de l'OTAN, les médias d'État russes ont publié en 2017 un reportage outrageusement faux à leur propos. Le reportage présentait des photos d'un ancien officier canadien et tueur condamné, Russell Williams, portant des sous-vêtements féminins, et affirmait faussement que ce dernier dirigeait une armée canadienne gay qui avait pour mission de convertir les Lettons à l'homosexualité.
    Pour rester au pouvoir, Vladimir Poutine a besoin que son peuple croie que la Russie est dans un état constant de conflit et de crise avec des ennemis qui sont tout autour d'elle, et que lui seul peut protéger son peuple contre cette menace. C'est une raison importante pour laquelle il a créé la crise actuelle aux frontières de l'Ukraine et de l'OTAN. Vladimir Poutine cherche à faire croire aux Ukrainiens, aux Canadiens et au monde occidental que l'OTAN et nos amis en Ukraine ont provoqué la crise qu'il a lui-même fabriquée.
    Il veut faire croire à tous que l'OTAN a encerclé la Russie et que des pays comme l'Ukraine, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et, oui, même le Canada, constituent une menace pour la souveraineté de son pays. Le gouvernement russe veut également nous faire croire que l'Ukraine ne vaut pas la peine d'être défendue. C'est pourquoi les médias d'État russes colportent cette fausse information selon laquelle le gouvernement ukrainien serait contrôlé par des néonazis alors qu'en réalité, il est dirigé par un gouvernement démocratiquement élu dont le président est un membre de la communauté juive de l'Ukraine.
    Un rapport de 2019 des médias d'État russes a même accusé la communauté ukraino-canadienne de contrôler notre politique étrangère. Il s'agit d'un récit de théorie du complot qui vise directement à délégitimer la voix de cette communauté et à la discriminer. Nous avons déjà vu cette tactique utilisée à l'endroit d'autres communautés minoritaires.
    La guerre cognitive, la désinformation et les opérations d'influence, ainsi que la cybernétique, constituent le champ de bataille principal de la guerre au XXIe siècle. Notre gouvernement et nos forces armées doivent être dotés des ressources nécessaires pour se défendre contre cette menace croissante qui pèse sur notre sécurité et notre démocratie. Le Canada devrait prendre des mesures immédiates en imposant des sanctions économiques aux diffuseurs d'État russes et chinois afin de limiter leur capacité de polluer notre environnement informationnel et d'en tirer profit.
    Enfin, la compréhension de la guerre cognitive par le gouvernement canadien doit aller au‑delà de celle qui se focalise principalement sur les élections et les médias sociaux. Comme beaucoup d'entre nous l'ont répété à plusieurs reprises au cours des dernières années — dont notre communauté du renseignement —, cette menace est persistante et elle va croissant. Nous devons commencer à prendre la guerre cognitive au sérieux. À cette fin, nous devrions d'entrée de jeu mettre sur pied un groupe de travail pour apprendre de nos alliés, et nous doter des capacités et des ressources nécessaires pour défendre notre démocratie contre les menaces de cette guerre.

  (1615)  

    Merci, monsieur le président. J'ai hâte de répondre à vos questions.
    Merci, monsieur Kolga.
    Sur ce, nous allons amorcer notre série de questions de six minutes, en commençant par Mme Findlay. Viendront ensuite M. Fisher, Mme Normandin et Mme Mathyssen.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Hampson, en parlant du gouvernement canadien qui a finalement fourni une aide létale à l'Ukraine, vous auriez dit que c'était un peu comme si l'on se présentait à un repas-partage avec les canapés alors que les invités sont déjà rendus au dessert. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
    Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose de plus à dire. On a prédit qu'une attaque était imminente.
     D'ailleurs, ces remarques ont été rapportées par le Globe and Mail.
     Il y a eu beaucoup de discussions dans ce pays sur la fourniture d'une aide létale, et sur le fait que cela s'éloignait de notre engagement de fournir une aide non létale et de nos efforts en ce sens. D'autres pays le font dans certains cas et depuis pas mal de temps déjà. Disons que cela arrive très tard dans la partie, alors qu'une attaque est imminente. Même si ce sont des armes légères que vous fournissez, elles doivent être mises dans un avion. Il faut qu'elles arrivent sur place. Or, comme je pense que nous le savons tous, c'est une situation difficile sur le terrain en ce moment, et...
    Selon vous, cette décision aurait dû être prise plus tôt, c'est bien cela?
    Oui, c'est ce que crois.
    Il faudrait également élargir l'éventail de ce qui a été proposé. Est‑ce bien ce que vous dites?
    Je pense que nous sommes limités au chapitre de ce que nous pouvons offrir et, assurément, de ce que nous fabriquons. Ce dont l'Ukraine a besoin, ce sont des armes antichars. Elle a également besoin de missiles sol-air. Nous avons assorti de conditions les prêts garantis que nous accordons à l'Ukraine pour que cette dernière ne puisse pas utiliser cet argent pour faire ce genre d'achats.
    Quelque chose comme notre technologie RADARSAT serait très utile à l'Ukraine, n'est‑ce pas?
    Assurément, mais encore une fois, il serait difficile de leur fournir cela maintenant.
    Comment qualifieriez-vous la place du Canada dans le système international en tant que moyenne puissance? Cette description est‑elle à votre avis encore fidèle à la réalité?
    Je n'ai jamais aimé l'expression « moyenne puissance ». Il y a presque 200 pays dans le monde et « moyenne » laisse entendre que vous arrivez quelque part autour du 100e rang dans la liste. Nous faisons partie des principales puissances. Nous sommes membres du G7. Nous sommes membres du G20.
     Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons toujours été un garant important de la paix et de la sécurité mondiales, non seulement par notre diplomatie, mais aussi par nos dépenses en matière de défense. La dernière fois que nos dépenses en matière de défense ont atteint 2 % du PIB — et je conviens que c'est une mesure grossière, mais encore une fois, elle vous montre de façon générale la sorte de contribution que nous apportons —, c'était en 1988, sous le gouvernement Mulroney. Depuis, notre engagement n'a fait que se dégrader.

  (1620)  

    Monsieur Kolga, vous parlez de guerre cognitive. C'est une chose qui préoccupe certainement beaucoup d'entre nous, cet état de cyberguerre.
     Nous voyons qu'actuellement, les Russes l'utilisent, semble‑t‑il, contre l'Ukraine. Pensez-vous qu'une invasion russe de l'Ukraine est imminente?
    Merci de cette question.
    Je pense qu'il est très difficile de dire si une invasion est imminente. Compte tenu de la quantité de troupes et de matériel qui ont été placés autour de l'Ukraine — à l'est, au sud et au nord —, il semble qu'une certaine forme d'activité est imminente.
     Pour le moment, il est difficile de dire comment cela se fera et à quoi cela ressemblera, mais nous avons assisté à des cyberattaques contre l'Ukraine ces derniers jours. Les serveurs du ministère de la Défense ont été détruits par une attaque par DDoS de grande envergure, et un certain nombre d'experts ont prédit qu'une cyberattaque se produirait avant toute action militaire. Par conséquent, je pense que nous devons tous être conscients que quelque chose pourrait se produire sous peu.
    Il ne me reste qu'une minute, alors pour l'un ou l'autre d'entre vous, comment décririez-vous la menace qui pèse sur la région arctique du Canada et notre emprise sur l'archipel arctique?
    Soyez bref.
    Pour être honnête, je ne pense pas que nous ayons une emprise. La menace là‑haut est croissante de la part de la Chine, qui construit des brise-glaces lourds équipés d'armes, et d'autres États qui voient l'Arctique non seulement comme un endroit où exploiter des ressources naturelles, mais aussi comme un espace de transit et de compétition militaire.
    Rapidement, je dirais que depuis 10 ans, le gouvernement russe s'est investi massivement dans l'Arctique. Il a construit plus de 20 nouvelles bases ou rénové 20 nouvelles bases, y compris des bases offensives pour les bombardiers à longue portée. Il a également mis au point de super-armes pour les besoins de cette région: des torpilles à grande vitesse, des torpilles à armement nucléaire qui sont conçues pour irradier nos côtes arctiques. Au printemps dernier, la Russie a revendiqué toutes les ressources du sous-sol de la mer Arctique jusqu'à la côte du Canada. Il y a assurément une menace croissante dans cette région.
    Merci, madame Findlay.
    Monsieur Fisher, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à nos témoins. Mes questions s'adressent à M. Kolga.
    Le Comité a récemment été informé de la menace d'influence et d'ingérence étrangères, un sujet sur lequel vous vous êtes beaucoup exprimé. Comment les acteurs étrangers utilisent-ils les tactiques de désinformation pour faire avancer leurs intérêts?
    Pour l'instant, je vais focaliser ma réponse sur la Russie.
    Nous savons qu'au cours des deux dernières années, pendant la pandémie, le gouvernement russe a concentré ses efforts de désinformation sur l'exploitation de la pandémie et de la COVID. En fait, l'Union européenne nous avait déjà prévenus en mars 2020 que le gouvernement russe allait agir de la sorte. Nous savions dès le début qu'il allait chercher à amplifier les effets de la COVID et à utiliser la pandémie pour nous diviser et pour éroder les liens de confiance au sein de nos sociétés.
    Plus tard cet été‑là, en août 2020, nous avons assisté à Berlin à des manifestations d'envergure contre la vaccination et le confinement, manifestations qui ont été couvertes en direct par la télévision russe et assurément promues par elle. Cela a eu pour effet de légitimer ces protestations.
    Encore une fois, il se peut que ces protestations soient légitimes. Les gens ressentent ces émotions. Ils ont peur. Il y a confusion au sujet de la COVID. Une bonne partie des gens qui protestent sont de bonne foi. Le fait est que la Russie profite de ces peurs et de ces émotions pour promouvoir chez ces gens un discours anti-gouvernement. C'est ce que nous avons vu se dessiner au cours des dernières semaines à Ottawa. Je ne crois pas que la Russie ait joué un rôle dans la mise en œuvre de ce qui s'est produit à Ottawa, mais cela alimente certainement les éléments extrémistes liés à ce mouvement. C'est l'un des moyens que les Russes utilisent pour tenter de saper notre démocratie et d'éroder la confiance des Canadiens à l'égard des médias, de leur gouvernement élu et, en fin de compte, de leurs concitoyens.

  (1625)  

    Vous avez fait référence au discours anti-masque et anti-vaccin en Allemagne, et vous avez parlé de ce qui se passe à Ottawa. Vous avez noté qu'il existe des preuves que, et je vais paraphraser, les médias d'État russes et leurs mandataires ont fait une promotion féroce de théories de conspiration sauvages, de discours et de mouvements anti-masque et anti-vaccin, et que les mouvements canadiens anti-masque et anti-vaccin se sont transformés en mouvements anti-gouvernement agressifs pendant l'élection de 2021.
    Compte tenu de ce que nous avons vu au cours des dernières semaines — et vous en avez parlé un peu en répondant à ma dernière question —, comment évaluez-vous l'évolution de cette menace?
    Dans le contexte de la COVID?
    M. Darren Fisher: Oui, dans le contexte de la COVID.
    M. Marcus Kolga: Elle a été persistante. Elle est là depuis le début. Nous avons vu la transformation de ces protestations et l'intégration des discours anti-gouvernement. Nous avons vu cela se produire dès l'automne 2020, lorsque les premières manifestations ont eu lieu au Canada. Je crois que la première s'est déroulée à Montréal. Ces discours anti-gouvernement n'ont jamais quitté ces manifestations. De toute évidence, les acteurs étatiques, les plateformes mandataires russes — dont l'une se trouve ici même au Canada, à Montréal, en fait — et les médias d'État russes ont utilisé ces discours. Ils les ont amplifiés. Ils les ont légitimés.
    Ils s'en servent pour diviser les Canadiens et faire en sorte que ces mouvements anti-masque, ces mouvements anti-confinement et les discours anti-gouvernement qu'ils colportent se durcissent. À cause de cela, notre société devient de plus en plus divisée.
    C'est incroyable. Merci beaucoup pour cette réponse.
    J'aimerais revenir quelques années en arrière. La dernière fois que j'ai siégé au comité de la défense nationale, c'était de 2016 à 2020. Je ne me souviens pas exactement du moment où cela s'est produit, mais un jour, je consultais Facebook et j'ai vu... Vous êtes un spécialiste des communications et des stratégies médiatiques, et votre présence parmi nous est tout à fait à propos, car je souhaite poser cette question à quelqu'un depuis longtemps.
    N'importe qui peut être une source médiatique aujourd'hui. Dans un bulletin d'informations fort professionnel, d'origine russe, je crois, on affirmait qu'un navire américain avait tiré sur des Russes en Méditerranée ou quelque chose du genre. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais quand j'ai regardé les partages dans le coin inférieur, j'ai vu que cette vidéo avait été partagée 25 000 fois. C'était sans contredit une vidéo de désinformation sur Facebook. Si des Américains attaquent des Russes, ou que des Russes s'en prennent à des Américains, il ne fait aucun doute que les médias traditionnels vont en parler.
    Vous souvenez-vous de cela? C'était tellement léché, tellement bien réalisé, que je peux tout à fait comprendre pourquoi c'était crédible aux yeux de la population, qui l'a partagé comme si c'était un fait.
    Rapidement, j'ai deux réponses à vous donner.
    La Russie est devenue une spécialiste des fausses informations. Dans le passé, elle a utilisé des scènes tirées de jeux vidéo dans des reportages télévisés qu'elle disait véridiques.
    L'autre chose, c'est que les médias d'État russes ne se limitent pas à Russia Today, ou RT. Ce n'est pas la seule plateforme au service du pouvoir. Il s'appuie sur les plateformes en ligne, que ce soit YouTube ou son propre site Web, et beaucoup du contenu qui y est affiché est partagé, comme vous le dites, à très grande échelle sur des plateformes comme Facebook, malheureusement, et Twitter.
    Le pouvoir se fie non seulement à la télévision, mais aussi aux médias en ligne. Le problème, c'est que les informations sur ces plateformes sont partagées à très grande échelle.
    Vous allez devoir vous arrêter là, monsieur Fisher.

[Français]

    Madame Normandin, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins. Je les invite à prendre la balle au bond quand se présenteront des questions qui les intéressent.
    D'entrée de jeu, monsieur Hampson, vous avez mentionné le manque cruel de ressources dans les Forces armées canadiennes. Si l'on se fie à ce que vous avez dit tous les deux, visiblement, il y a encore beaucoup de travail à faire sur le plan des cybermenaces et des opérations psychologiques.
    Est-ce là qu'on devrait vraiment accorder les ressources en priorité? Y a-t-il d'autres secteurs plus importants auxquels on pourrait ne pas avoir pensé?

  (1630)  

[Traduction]

    Il faut faire des choix difficiles. Comme M. Kolga vient de le dire, il y a des cyberattaques et de la cyberinfluence dans les médias sociaux au Canada. La question est de savoir qui devrait s'en occuper. Dans le cas de certains points soulevés par M. Kolga, ils relèvent du Centre de la sécurité et des télécommunications, ou CST. Ce n'est pas vraiment au ministère de la Défense d'intervenir, bien qu'il doive évaluer la situation.
    Au‑delà de l'infiltration dans les médias sociaux, les attaques ou le piratage visant notre propriété intellectuelle constituent un aspect auquel il faut prêter beaucoup plus attention. Il est important de rappeler au Comité que Huawei est l'une des plus grandes sociétés de télécommunications au monde aujourd'hui, sinon la plus grande, parce qu'elle a excellé dans ses efforts pour voler la propriété intellectuelle de Nortel, que l'on retrouve aujourd'hui dans son équipement.
    Toutefois, quand on en vient à nos forces armées, l'acquisition de nouveaux navires de combat de surface est une progression dans la bonne direction. Ces navires vont jouer un rôle extrêmement important. En même temps, ils seront très vulnérables aux missiles de croisière hypersoniques et autres armes du genre. C'est aussi vrai pour nos alliés. Nous avons absolument besoin de ces 88 nouveaux chasseurs à réaction. Nous aurions dû les acquérir il y a longtemps déjà.
    Notre problème ne se trouve pas tant dans la direction que nous prenons que dans l'extrême lenteur et l'incroyable inefficacité qui caractérisent notre progression. Chaque fois que le gouvernement change, des programmes sont annulés et des projets sont mis en veilleuse, pour ensuite faire l'objet d'une décision quatre ans plus tard. Prenons l'exemple des hélicoptères de M. Chrétien, tiens.

[Français]

    Merci, monsieur Hampson.
    Quant au rôle que le ministère de la Défense nationale doit jouer, je me demandais justement si certaines opérations étaient effectivement de son ressort. Dans le cas des opérations de propagande militaire, cependant, je ne peux pas croire qu'elles ne relèvent pas directement du ministère de la Défense nationale.
    Dans ce contexte, on comprend que les opérations psychologiques sont souvent réservées à la Force de réserve. C'est elle qui s'en occupe, plutôt que la Force régulière. Toutefois, il y a une perte d'expertise, étant donné qu'il y a un grand roulement de personnel au sein de la Force de réserve.
    Devrait-on, de façon prioritaire, s'assurer de maintenir cette expertise au sein de la Force régulière?

[Traduction]

    Je vais vous répondre très rapidement.
    Je crois qu'il est extrêmement important que nos forces soient équipées pour gérer la guerre cognitive. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, c'est le champ de bataille du XXIe siècle, et nos forces sont couramment la cible d'attaques du genre, surtout à des endroits comme la Lettonie et l'Ukraine. Nous devons nous assurer que nos forces disposent des ressources nécessaires pour se protéger.
    Pour revenir à votre question précédente sur la répartition de nos ressources, nous avons besoin d'agents de dissuasion à l'OTAN et nous devons appuyer notre mission en Lettonie en y consacrant plus de ressources, peut-être aussi travailler au sein de l'OTAN pour qu'il y ait une mission permanente dans les pays baltes pour freiner les ardeurs de Vladimir Poutine. C'est une avenue à explorer, car les agents de dissuasion représentent le type de pouvoir qui empêchera Vladimir Poutine d'agir comme il le fait actuellement en Ukraine.
    Enfin, je vous citerais l'Arctique, comme je l'ai précisé plus tôt. Vladimir Poutine procède à une mobilisation massive en Arctique. Nous devons être mieux préparés aux activités russes et à certaines activités chinoises dans cette région. Actuellement, notre manque de préparation est déplorable.

[Français]

    Nous avons parlé des opérations psychologiques. Devrait-on donner plus de formation individuelle aux réservistes et aux officiers pour que les militaires sur le terrain soient prêts quand il y a des opérations de désinformation?

  (1635)  

[Traduction]

    Oui, absolument. Ils doivent être formés. Je sais qu'une formation était donnée il y a un an et demi environ, peut-être deux ans, ce qui a malheureusement été délaissé. Je sais qu'il y avait une unité des forces armées qui s'occupait de la guerre cognitive, ce qui semble avoir été mis de côté. Nous devons rétablir cette unité et veiller à ce que toutes nos forces, tant la Force de réserve que la Force régulière, soient formées afin de disposer à tout le moins des ressources de base en matière de guerre de l'information, d'être en mesure de la reconnaître sur le plan cognitif et d'y réagir le cas échéant.
    Madame Mathyssen, je vous en prie. Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Simplement pour enchaîner là‑dessus, il y a eu beaucoup de reportages récemment dans les médias sur ce qui se passe ici, à Ottawa, et partout ailleurs au pays avec le mouvement anti-gouvernement dont vous avez parlé plus tôt et, bien sûr, l'identification de partisans au sein de nos forces armées. À quel point le leadership devrait‑il être préoccupé par ce phénomène au sein des forces armées?
    Je crois qu'il est approprié que les membres de nos forces armées aient le droit de croire et de penser ce qu'ils veulent, puis d'exprimer leur pensée, mais si ces membres et leurs collègues des forces de l'ordre ou d'autres entités prennent part à ce type de mouvements anti-gouvernement, nous devrions être davantage conscients de la situation et essayer de la contrer dans la mesure du possible.
    Monsieur Kolga, vous avez aussi parlé des acteurs. Vous avez parlé d'un média montréalais et des acteurs russes connexes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là‑dessus? Nous avons aussi constaté l'acheminement de fonds étrangers à ce mouvement. De quelle façon ces fonds circulent-ils? Savons-nous si les Russes font transiter les fonds par les États-Unis avant qu'ils nous arrivent? De quelle façon tout cela fonctionne‑t‑il?
    Je ne peux pas vraiment parler du mode de financement de ces mouvements, surtout ceux à Ottawa en ce moment. Je peux toutefois me prononcer sur la première partie de votre question, soit les plateformes de substitution.
    Il y a tout un écosystème de désinformation créé par le gouvernement russe. Nous parlons ici de RT, le média d'État, mais aussi de ces plateformes de substitution qui sont en quelque sorte... On ne peut pas dire qu'elles sont manifestement financées ou contrôlées par le média d'État ou le gouvernement russe, mais elles s'alignent indéniablement sur le Kremlin, partagent ses valeurs et participent à la promotion de son discours.
    La plateforme montréalaise que j'ai citée plus tôt a été débusquée par le Global Engagement Center du département d'État américain il y a un an et demi environ. Il s'agit de Global Research, une plateforme qui, durant la pandémie, publiait régulièrement des théories du complot extravagantes, certaines parmi les plus folles que vous puissiez imaginer, le genre de théories du complot que propose QAnon. Par exemple, une théorie veut que les grandes pharmaceutiques injectent aux Canadiens, entre autres, des vaccins contre la COVID qui débordent de graphène et de diverses substances qui permettent à ces grandes pharmaceutiques et aux principaux gouvernements occidentaux de suivre les gens à la trace.
    Certaines des théories publiées sur Global Research sont reprises dans d'autres sites Web, y compris celui du média d'État russe, en plus d'être partagées à très grande échelle à partir de Global Research. Cette plateforme donne également au gouvernement russe un moyen de diffuser son discours de façon plus acceptable, puisqu'elle lui sert d'intermédiaire. Les personnes qui pourraient être mal à l'aise de partager le discours qui figure sur des plateformes d'État peuvent être moins scrupuleuses quand cette plateforme a un vernis d'indépendance.
    Ces plateformes, pas uniquement Global Research, mais nombre d'entre elles, sont essentielles à la diffusion de ce discours, qui est partagé par énormément d'extrémistes anti-gouvernement, et nous le voyons bien, comme je l'ai dit, depuis deux ans, voire depuis plus longtemps encore. Il faut que le gouvernement canadien examine la question de plus près et travaille avec ses alliés pour veiller à ce que les Canadiens disposent des ressources cognitives nécessaires pour cerner ce type de discours et le rejeter quand ils le croisent.

  (1640)  

    Changeons un peu de registre: nous parlions de la fourniture par le Canada de matériel militaire létal. Durant des années, les spécialistes nous ont prévenus des risques de mauvaise utilisation et de détournement des petits calibres et des armes légères. Nous ne sommes pas en mesure d'en assurer le traçage. Dans de nombreuses années... Je me demande quelles seront les répercussions à long terme. Pourrions-nous approfondir un peu ce sujet?
    Je présume que cette question m'est adressée.
    Tout à fait, il y a un risque. Il y a un risque chaque fois que l'on fournit du matériel militaire à un autre État, même aux États dits puissants, car il pourrait être mal utilisé par les autorités ou se retrouver dans de mauvaises mains si l'État s'effondre.
    Je crois que l'on peut affirmer que l'Ukraine dispose d'une armée professionnelle et bien dirigée. Le Canada a investi massivement dans sa formation, tout comme d'autres pays, mais en cas d'invasion massive de l'Ukraine et de l'effondrement de l'État, j'oserais dire que les armes peuvent se retrouver dans de mauvaises mains de toutes sortes. C'est le risque que vous courez, mais si vous ne fournissez pas d'armes à l'État ukrainien, malgré ce que beaucoup de gens ont vivement conseillé afin de le rendre en quelque sorte dur à avaler pour la Russie, alors vous courez le risque d'une invasion qui semblera assez facile pour... Je ne dis pas que c'est facile, mais une Ukraine faible sera beaucoup plus facile à attaquer qu'une Ukraine forte.
    Merci.
    Merci, madame Mathyssen.
    Chers collègues, il nous reste 20 minutes et j'ai l'équivalent de 25 minutes d'interventions sur ma liste. Je vais donc prendre une mesure légèrement arbitraire et retrancher une minute à tous les intervenants.
    Sur ce, monsieur Motz, je vous en prie. Vous avez quatre minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Hampson, dans votre déclaration liminaire, vous n'avez pas brossé un portrait bien reluisant de la présence militaire canadienne, de notre capacité ou de notre force sur la scène mondiale, voire ici même, au pays.
    Selon vous, monsieur, quelles sont les principales menaces et failles militaires et que devrait faire le gouvernement en ce moment pour remédier à ces lacunes et contrer ces menaces adéquatement?
    La plus grande menace est géopolitique. J'ai essayé d'insister là‑dessus dans ma déclaration liminaire. Ce n'est pas [difficultés techniques] que la Russie pose à nos alliés de l'OTAN et, évidemment, à nos amis ukrainiens actuellement, mais c'est l'autre tyran sur la scène mondiale, c'est‑à‑dire la Chine, qui intimide ses voisins par des démonstrations de force et de sa puissance militaire. Dans le cadre de la nouvelle stratégie indo-pacifique du Canada, nous espérons diversifier nos activités commerciales dans cette région afin de tirer profit de l'accès aux espaces les plus populeux du monde, qui deviennent graduellement les plus riches. C'est dans cette région que l'on enregistre la plus grande croissance de la classe moyenne au monde. La région est au cœur de l'action, mais de plus en plus instable en raison des ambitions géostratégiques de la Chine. Les intérêts de la Chine ne sont pas...
    Je suis désolé de vous interrompre. Je veux en venir à l'essentiel de ma question. Quelles sont les lacunes des Forces armées canadiennes? Que devons-nous faire en tant que pays pour contrer ces menaces et remédier à ces lacunes?
    Notre armée doit recruter davantage afin de prendre de l'ampleur ou à tout le moins remédier au manque de personnel actuel. Nous devons acquérir de nouveaux navires, de nouveaux aéronefs, de nouvelles capacités cybernétiques comme celles citées plus tôt, et nous devons collaborer plus étroitement avec nos alliés, pas seulement en Europe, mais aussi dans la région indo-pacifique. Nous arrivons bien tard à table, si vous me permettez de reprendre la métaphore. [difficultés techniques] qui a vu quelles sont les menaces et agit pour y remédier.

  (1645)  

    Merci pour cette réponse.
    C'est plus affirmé chez M. Hampson, mais vous me donnez tous les deux l'impression que nous devons nous concentrer sur nos activités internationales, puisque la menace est mondiale, et être un meilleur partenaire pour nos alliés plutôt que de nous concentrer uniquement sur des questions nationales. Êtes-vous d'accord?
    Vous adressez-vous à M. Kolga ou à moi?
    À vous deux. Je vais commencer par vous, monsieur.
    Nous faisons appel à nos forces armées dans le cadre de toutes sortes de catastrophes et d'urgences nationales. Je suis toutefois d'avis que ce n'est pas une très bonne utilisation de nos forces armées. C’est un service de déneigement bien dispendieux à envoyer à Terre-Neuve. Nous devrions suivre l'exemple de l'Allemagne qui dispose d'un corps de volontaires, soit quelque 100 000 civils bien formés pour gérer les urgences. Nous l'avons vu à l'œuvre pendant les inondations en Allemagne. C'est quelque chose que nous devrions envisager très sérieusement au Canada afin que nos forces armées, comme l'a dit...
    Nous allons devoir nous arrêter là sur la question de M. Motz. Merci, monsieur Hampson.
    Monsieur May, je vous en prie. Vous avez quatre minutes.
    Merci, monsieur le président. Merci à nos deux témoins pour leur contribution d'aujourd'hui, qui est absolument fantastique jusqu'à maintenant.
    Mes questions vont s'adresser à M. Hampson. Vous y avez brièvement fait allusion dans votre réponse aux questions de M. Motz. Vous avez écrit sur la nécessité pour le Canada de mettre l'accent sur son engagement dans la région indo-pacifique du point de vue des affaires étrangères. Pourriez-vous parler du rôle que peut jouer la coopération militaire dans les opérations en indo-pacifique pour renforcer cet engagement?
    En toute indulgence, nous avons évidemment pris part à l'exercice RIMPAC, c'est‑à‑dire Rim of the Pacific, ces dernières années. Nous avons envoyé une frégate dans le détroit de Taïwan, de pair avec nos amis américains, entre autres, mais faire acte de présence de temps à autre pour ce que je qualifierais de « caméo naval », et, croyez-moi, l'idée n'est pas d'être particulièrement sarcastique... Nous devons avoir plus d'actifs dans le Pacifique. Bien franchement, nous devons décider avec quels pays nous souhaitons prioritairement consolider un partenariat. Sur ma liste, il y aurait le Japon, qui est une évidence, ainsi que la Corée du Sud, l'Australie et l'Indonésie. Je crois que nous pouvons commencer par accroître le nombre d'attachés militaires dans la région, puis, au fil de l'acquisition de nouveaux équipements, nous pourrions développer ces relations.
    Monsieur Hampson, quelles devraient être les priorités militaires du Canada?
    Le problème actuellement est que nous sommes une fois de plus aspirés par l'Europe et la Russie et, selon l'évolution de la situation — et je ne suis pas plus devin que d'autres à cet égard —, je pense que l'un des défis sera de développer ce que j'appellerais une « capacité conventionnelle double » pour pouvoir faire face à diverses situations d'urgence dans la région indopacifique.
    En passant, il faut commencer par renforcer notre présence navale afin de pouvoir mieux collaborer avec les Australiens et les Américains, qui pourraient, à un moment donné, nous inviter à nous joindre à l'AUKUS, mais je ne pense pas que cette invitation soit pour bientôt. Il faut accroître les moyens réels, et au niveau des dirigeants, tenir des rencontres entre ministres sur une base régulière pour savoir comment nous pouvons les aider. Au lieu de leur dire « voici ce que nous pensons qu'il faudrait faire », il faudrait leur parler pour trouver des façons plus constructives de travailler avec eux.

  (1650)  

    Qu'en est‑il de nos obligations? On a parlé aujourd'hui d'un « service de déneigement bien dispendieux ». Comment peut‑on parvenir à cet équilibre?
    À mon avis, nous devons procéder comme l'Allemagne, soit commencer à nous doter de systèmes pour gérer les catastrophes et protéger les civils, et commencer à mettre sur pied une force de volontaires semi-professionnels qui peut s'occuper des catastrophes naturelles. Ce pourrait être un excellent exercice d'édification de la nation, pour mobiliser en particulier les jeunes, à un moment où l'unité nationale est de plus en plus fragile pour des raisons que nous connaissons tous très bien. J'y vois une belle initiative qui pourrait ne pas coûter très cher.
    Je vous remercie encore, monsieur May et monsieur Hampson.
     Madame Normandin, vous avez une minute et demie.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    On voit que la Russie a commencé à retirer ses tanks. D'un point de vue militaire plus conventionnel, les gens se disent que cela ressemble à une désescalade, mais, d'un autre côté, on voit une augmentation des cyberattaques. On voit que la Douma a appelé le président Poutine à reconnaître le Donbass comme une région souveraine. La Russie entretient le discours selon lequel les russophones sont victimes d'un génocide en Ukraine.
    N'est-ce pas justement la preuve qu'une guerre hybride peut être efficace?
    J'aimerais que vous fassiez un bref commentaire à ce sujet.

[Traduction]

    Cela fait assurément partie de cette guerre hybride et cognitive. Quant à l'idée avancée par Vladimir Poutine qu'un génocide est en cours dans le Donbass, comme il l'a mentionné à la presse il y a deux jours, c'est de la désinformation.
    La Russie contrôle de facto les miliciens dans cette région, et si un génocide était en cours, ils seraient au courant. Je pense que le Canada et ses alliés doivent être conscients qu'il s'agit d'une opération sous de fausses couleurs. Nous avons été avertis par le renseignement américain également que la Russie planifie une telle opération.
    L'idée d'un génocide est l'argument qui sera invoqué pour servir de prétexte à une action russe dans le Donbass, qu'il s'agisse de reconnaître le Donbass comme une nation indépendante et ensuite d'y envoyer les forces russes à la demande du gouvernement... Il faut être conscients que la Russie est très active sur le front de l'information dans la région à l'heure actuelle, et nous devons être très prudents au sujet...
    Je vous remercie tous les deux, madame Normandin et monsieur Kolga. Je suis impressionné par le talent dont font preuve les membres du Comité et les témoins pour étirer le temps.
    Sur ce, nous allons passer à Mme Mathyssen pendant une minute et demie. Allez‑y, s'il vous plaît.
    Je vais essayer d'étirer le temps moi aussi.
    Pour reprendre le fil de ce dont parlait M. Kolga, en fin de compte, en ce qui concerne cette information, cette désinformation pour amener les forces de l'OTAN à agir ou pas, Poutine a un calendrier, et on s'est beaucoup demandé s'il allait frapper ou pas. Encore une fois, il y a ce calendrier et on peut se demander quand il y aura une détente dans la région. Ma question est donc la suivante: si on en arrive à une détente et qu'il n'y a pas cette option, comment pouvons-nous éviter de voir la situation se poursuivre jusqu'à l'hiver prochain ou plus tard encore?
    Je pense qu'il y a un calendrier pour procéder à l'invasion totale de l'Ukraine, mais il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine peut continuer à intimider l'Ukraine, peut continuer à intimider l'OTAN pendant encore un bon bout de temps, et qu'il tire profit de la situation. Le prix du pétrole atteint des sommets et n'oublions pas que l'économie de la Russie est basée sur les ressources naturelles et le pétrole. Il tire profit en ce moment même de la situation, de cette crise, qu'il a créée.
    Y aura‑t‑il une détente? Retirera‑t‑il ses troupes? Il a dit qu'il allait le faire, mais il y a une heure encore, l'OTAN a mentionné qu'il n'y avait aucune preuve en ce sens.
    Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, Vladimir Poutine a besoin de conflits constants, qu'ils soient intérieurs avec des opposants comme Alexei Navalny ou d'autres, ou extérieurs comme avec l'OTAN. À mon avis, personne au Canada ne devrait s'attendre à un dégel complet, et nous devrions nous préparer en conséquence, ce qui signifie donner à nos forces des ressources suffisantes pour agir.

  (1655)  

    Je connais très bien M. Kolga, et c'est une bonne chose, car il ne sera pas insulté que je l'interrompe.
    Sur ce, nous passons à Mme Gallant pendant quatre minutes. Allez‑y, s'il vous plaît.
    Ma question s'adresse tout d'abord à M. Hampson. L'OTAN vient d'ajouter l'espace et le cyberespace comme nouveaux domaines de la guerre. Quel sera le prochain domaine de la guerre, selon vous?
    Je pense qu'on peut affirmer que le prochain domaine de la guerre — et nous sommes déjà en plein dedans — est ce que j'appellerais la phase avant l'attaque, l'écourtement du temps d'avertissement en raison du blocage des satellites, d'activités et de capacités antisatellites — dans lesquelles la Russie et la Chine investissent massivement tous les deux —, et d'une nouvelle catégorie de ce qu'on pourrait appeler les armes de guerre hypersoniques, conventionnelles et nucléaires, balistiques et de croisière, endo-atmosphériques et exo-atmosphériques, qui vont, encore une fois, écourter le temps d'avertissement et accroître ce que j'appellerais le « brouillard de la guerre » et le risque d'erreur de jugement.
    Nous avons parlé de ce que prépare Poutine aujourd'hui, sur le terrain, il y a une heure. Cette information nous provient des satellites qui acheminent l'information en temps réel au quartier général de l'OTAN, de même qu'ici à Ottawa. Imaginez ce qui se produirait si ces satellites étaient mis hors service, ce qu'il est possible de faire. Que se passerait‑il alors? Que saurions-nous? C'est là où se trouve le plus grand risque à mon avis. Je sais que le contrôle des armements n'est pas votre mandat ici, mais il sera très important de suivre de près l'évolution des nouvelles technologies pour tenter de s'en procurer.
    Le gouvernement soutient que l'équipement de Huawei fait déjà partie de notre infrastructure des télécommunications. Dans quelle mesure les hésitations à bannir Huawei de la 5G ont-elles des répercussions sur les menaces qui planent sur le Canada?
    Premièrement, je dirais que nous n'avons pas l'air très malins aux yeux de nos partenaires du Groupe des cinq qui se demandent pourquoi, encore une fois, nous prenons tout notre temps pour prendre une décision qu'ils ont déjà prise. Et cela s'est déjà révélé très coûteux pour nos entreprises de télécommunications, même si certaines ont essentiellement fait leur choix et annulé leurs contrats avec Huawei, voyant que c'était écrit dans le ciel, mais il y a encore de l'équipement en place. C'est la porte d'entrée vers les communications, et je pense que plus tôt nous ferons la transition, plus ce sera sécuritaire pour nous.
     Monsieur Kolga, sur votre site Web, DisinfoWatch, il y a diverses manchettes. Ce sont essentiellement des manchettes que nous avons vues au Canada, mais qui ne cadrent pas avec le discours du gouvernement.
     Comme nous avons vu ces manchettes sur nos grands réseaux, je me demande comment les Russes s'y prennent pour introduire cette désinformation. Il y a également un site Web qui s'appelle Project Veritas. Je me demande s'il s'agit aussi d'une source de désinformation provenant de la Russie.
    Soyez très bref, s'il vous plaît.
    Je vous remercie de la question.
    Je ne connais pas le Project Veritas.
    Au sujet de DisinfoWatch, nous scrutons les manchettes publiées par les médias de l'État chinois, de l'État iranien et de l'État russe et de ces plateformes proxy, et nous tentons d'en analyser les arguments pour mettre en lumière la désinformation. Nous essayons d'expliquer aux Canadiens pourquoi il s'agit de désinformation, pourquoi ces arguments ont été produits et quels peuvent en être les objectifs. C'est le but de notre plateforme.

  (1700)  

    Je vous remercie, madame Gallant.
    Pendant les quatre dernières minutes, je vais poser quelques questions à M. Hampson.
    Ma première concerne Taïwan. Selon vous, le Canada devrait‑il changer sa position au sujet de Taïwan et changer, si on veut, sa politique publique à son égard?
    En ce qui concerne Taïwan, un de nos objectifs devrait être d'inclure Taïwan dans l'accord commercial du Partenariat transpacifique et d'appuyer la position de Taïwan ou le maintien de son siège dans diverses organisations internationales au sein desquelles la Chine a mentionné ne plus vouloir la voir siéger.
    Pensez-vous qu'il est dans l'intérêt du Canada de le faire, toutefois?
    Oui, tout à fait. Taïwan est un partenaire commercial important. Il est important d'envoyer un message clair à nos amis et nos alliés dans la région pour leur dire que nous sommes d’ardents défenseurs de Taïwan.
    Il existe une ambiguïté créative qui remonte à la loi de 1972 sur Taïwan. Le président Biden a parfois passé outre et irrité la Chine. Nous devons de toute évidence vivre avec cela. On ne veut pas précipiter une attaque de la Chine contre Taïwan parce qu'elle croit que Taïwan va déclarer son indépendance.
    Je comprends, mais l'ambiguïté créative pourrait avoir atteint ses limites.
    Je dois malheureusement poursuivre, car si je fais la vie dure à mes collègues pour qu'ils respectent leur temps de parole, je dois leur montrer l'exemple.
    Monsieur Kolga, nous nous sommes rencontrés la première fois dans le dossier des sanctions Magnitsky. Elles ont eu leur utilité, mais une utilité dont le gouvernement du Canada ne s'est sans doute pas assez servi. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Je vous remercie beaucoup de la question, monsieur le président.
    Oui, le Canada a été réticent à utiliser la loi de Magnitsky. Il s'agit bien entendu de la loi qui autorise le gouvernement canadien à cibler les auteurs de violations des droits de la personne et les dirigeants corrompus dans des pays comme la Russie et la Chine. Nous tirons de l'arrière par rapport à nos alliés pour ce qui est d'inscrire des noms sur notre liste de sanctions.
    Le fait est que des oligarques russes corrompus détiennent des actifs importants — et je parle d'actifs de centaines de millions si ce n'est pas de milliards de dollars — au pays. En ciblant ces actifs par des sanctions, on enverrait un message très clair à Vladimir Poutine et cela l'inciterait sans doute à revoir ses calculs au sujet de la situation en Ukraine et du conflit qu'il essaie de créer avec l'OTAN en ce moment.
    Nous devons nous servir de ces sanctions plus efficacement. Nous devons cibler Poutine et son portefeuille en frappant les oligarques corrompus qui le soutiennent. Nous devons mettre à jour cette loi pour y intégrer des mesures de reddition de comptes et de transparence afin d'en accroître l'efficacité.
    Je vous remercie tous les deux. Nous avons eu une heure de discussions fascinantes sur la nature changeante de la guerre et vous nous avez fait part de votre expertise pour aider le Comité à comprendre en quoi l'analyse de la menace évolue littéralement d'heure en heure. Votre aide a été très précieuse.
    Au nom du Comité, je tiens à vous remercier tous les deux. Les discussions ont été très éclairantes.
    Sur ce, nous allons suspendre la séance pour passer au prochain groupe de témoins. Je vous remercie encore une fois.

  (1705)  


  (1705)  

    Nous reprenons. Nous avons encore la chance d'avoir deux excellents témoins. Nous allons demander à M. Fadden de nous présenter sa déclaration liminaire de cinq minutes, puis à M. Taillon de faire de même, et nous passerons ensuite aux questions.
    Monsieur Fadden, vous avez la parole pendant cinq minutes. Allez‑y, s'il vous plaît.
     Je vous remercie, monsieur le président, et je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous.
     Je crois que le traitement des menaces [difficultés techniques] et je veux commencer ma déclaration en proposant un certain nombre d'éléments à prendre en considération qui, je l'espère, aideront votre travail dans l'analyse des menaces.
     Tout d'abord, à mon avis, un bon examen des menaces doit comporter deux parties distinctes. La première, relativement objective, porte sur l'intention, la capacité et la probabilité d'actions contre le Canada. La deuxième, subjective cette fois, concerne la façon dont un gouvernement, un ministre, un groupe ou une personne choisit de voir ces actions potentiellement dirigées contre le Canada. Par exemple, un gouvernement peut considérer que l'activité russe dans les pays baltes constitue une menace pour le Canada qui nécessite une intervention de sa part, alors qu'un autre gouvernement peut ne pas être de cet avis.
    De toute évidence, la partie subjective évolue avec le temps, notamment parce que les gouvernements changent. Toutefois, la perception des menaces est importante pour les Forces canadiennes parce qu'elles doivent être prêtes à agir efficacement à la demande du gouvernement. Bien qu'il soit important que les gouvernements aient la possibilité de réviser leurs points de vue, je suis d'avis qu'il n'y a pas de consensus national sur ces questions. Cela a des conséquences sur toutes sortes de décisions prises par les gouvernements et, en fin de compte, par les Forces canadiennes, au sujet des priorités.
     Mon deuxième point concerne la nature de la guerre actuelle et future à laquelle les gouvernements et les Forces canadiennes doivent se préparer. Il faut éviter consciemment le danger que les directives du gouvernement, la doctrine et la préparation opérationnelle soient orientées vers les menaces passées. Par exemple, il semble peu probable que le Canada et l'OTAN voient des chars russes traverser les plaines d'Europe centrale, ce qui était l'une des principales craintes pendant la guerre froide, mais c'est pourtant une possibilité réelle. Qu'est‑ce que cela signifie? Devrions-nous consciemment renforcer nos armes antichars aériennes et terrestres? La décision et le coût ne sont pas sans importance. Cela a des répercussions majeures pour la doctrine et l'approvisionnement. Je dirais que le Canada est plus susceptible de faire face à des menaces nécessitant une intervention dans le cyberespace et par des forces spéciales et limitées. Cela ne veut pas dire que des forces et une planification plus traditionnelles ne sont pas nécessaires, mais que nous devons repenser cet équilibre.
     Un troisième point est la mesure dans laquelle nous, le Canada et les Forces canadiennes, pouvons répartir nos capacités opérationnelles en procédant à un partage avec les alliés. Ce n'est pas une chose facile à faire, mais ce n'est pas impossible. Par exemple, nous dépendons souvent d'un soutien précis des États-Unis. Si nous renonçons à avoir, par exemple, une capacité de défense aérienne et que nous passons un accord avec un autre pays, quelles sont les conséquences sur l'efficacité et la préparation opérationnelle dans ce domaine?
     Ce dernier point est étroitement lié à ce que je crois être un fait accepté. Il est peu probable que le Canada affronte seul une menace extérieure de quelque importance. C'est soit par l'entremise de nos alliances établies, NORAD et l'OTAN, soit par une alliance ponctuelle que nous allons faire face à cette menace. Dans la pratique, cela signifie également que les deux éléments de menace dont j'ai parlé précédemment sont très probablement le fruit d'un consensus. La question que je me pose est de savoir dans quelle mesure le Canada peut raisonnablement définir seul les menaces qui proviennent de l'extérieur de ses frontières? Je ne pense pas qu'il soit possible de le faire de manière générale. Nous devons tenir compte des idées de nos proches alliés.
     Un autre point lié à la partie subjective d'une menace a trait au fait que les gouvernements sont généralement conscients des capacités des Forces canadiennes et qu'il est peu probable qu'ils leur demandent de faire quelque chose qu'elles ne peuvent pas faire efficacement. Ainsi, dans ces circonstances, les Forces canadiennes sont perçues comme étant prêtes sur le plan opérationnel. Il s'agit d'une situation relativement dangereuse, car elle ne tient pas compte de la partie objective des menaces dont j'ai parlé il y a un instant.
     Permettez-moi de parler pendant quelques minutes des domaines dans lesquels je pense qu'il y a des lacunes dans la préparation opérationnelle des Forces canadiennes. Le premier, et je pense que les personnes qui ont comparu avant moi l'ont mentionné, est la cybercapacité, tant offensive que défensive. J'ajouterais également qu'à mon avis, il y a matière à discussion ici quant à la partie du cyberenvironnement dont l'armée devrait s'occuper, par opposition au Centre de la sécurité des télécommunications, par opposition à d'autres organismes du gouvernement. Cela ne coûte pas très cher par rapport à d'autres secteurs de la défense, mais les chevauchements ne sont jamais utiles.
     Ensuite, il y a notre capacité dans l'Arctique. Nous n'avons pas de bases. Nous avons des communications limitées. Nous exerçons une surveillance limitée et avons probablement un entraînement loin d'être suffisant dans une zone très difficile.
     Troisièmement, je pense que nous manquons globalement d'une capacité de surveillance significative contre les menaces russes, chinoises et nord-coréennes. Cela est en grande partie lié à nos activités avec NORAD.
    Quatrièmement, je pense que nous devons avoir un certain degré d'accord à l'échelle nationale sur la nature et l'étendue des menaces. Je le mentionne parce que je ne pense pas que cela existe, et aucun gouvernement ne voudra dépenser des milliards de dollars supplémentaires pour les Forces canadiennes à moins qu'il n'y ait un certain consensus national sur les menaces auxquelles nous devons faire face. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle.

  (1710)  

    Pour conclure, je soutiens que nous devons établir des priorités. Un certain nombre de questions posées par les membres de votre comité l'ont souligné, et je ne pense pas que nous soyons parvenus à le faire. Nous ne pouvons pas effectivement dire que nous allons ignorer l'Europe ou la Chine, mais à l'heure actuelle, nous ne disposons pas d'assez de ressources pour intervenir.
    Pour conclure réellement, les FC manquent vraiment de personnel, à la fois parce qu'elles ont des problèmes de recrutement et de maintien de leurs effectifs militaires, et parce que leur plafond des effectifs est probablement trop bas. Je laisse à d'autres le soin de discuter de la question de savoir si les forces possèdent la bonne combinaison de compétences pour le genre de travail auquel nous sommes susceptibles de faire face, mais je ne suis pas convaincu que la preuve en a été faite.
    De même — et je précise que d'autres personnes peuvent faire valoir l'argument suivant mieux que moi —, les décisions et les politiques en matière de budgétisation et d'approvisionnement ont souvent un effet négatif sur l'efficacité opérationnelle, car elles rendent l'acquisition d'équipements nouveaux ou de remplacement trop lente, trop compliquée et trop coûteuse.
    Je vais m'arrêter là, monsieur le président, mais c'est avec plaisir que j'essaierai de répondre à vos questions.

  (1715)  

    Merci.
    Veuillez prendre la parole, monsieur Taillon.
    Je témoigne devant vous en ma qualité d'universitaire et de citoyen privé profondément préoccupé par l'approche adoptée à l'égard des activités du Parti communiste chinois. Selon moi, le livre publié en 1999 et intitulé La guerre hors limites est une référence importante. Je crois — et un certain nombre de mes autres collègues le croient aussi fermement — que nous évoluons dans cet environnement depuis 2000.
    Les auteurs, les colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui, qui sont tous deux colonels de l'Armée populaire de libération, ont eu l'idée d'adopter une approche multidimensionnelle dans la conduite de la guerre cinétique et non cinétique. Les auteurs ont étudié l'ensemble du spectre de la guerre non cinétique mais ciblée, afin d'englober la diplomatie, les finances, le commerce, la biochimie, la réglementation, la contrebande, la drogue, les médias et l'idéologie, entre autres choses. Cette typologie serait combinée à d'autres formes de guerre plus connues, comme la guerre nucléaire, la guerre conventionnelle, la guérilla et le terrorisme, en tant qu'éventuelle stratégie de guerre de l'APL.
    Certains membres de la communauté universitaire et du milieu du renseignement ont fait valoir que la plus grande menace pour la sécurité nationale du Canada et son bien-être économique, c'est l'omniprésence croissante de l'espionnage économique et du renseignement organisés par le Parti communiste chinois. Il ne s'agit pas d'une révélation nouvelle, car les diplomates et les dirigeants des services de renseignement canadiens, comme l'ancien ambassadeur du Canada en Chine, M. Mulroney, M. Fadden et l'actuel directeur, M. Vigneault, ont exprimé clairement et ouvertement leurs préoccupations au sujet des activités croissantes et problématiques du PCC. De plus, des spécialistes sur la Chine, comme M. Burton, ont renforcé ces craintes relatives à l'éventail des activités néfastes exercées par la Chine au Canada et chez nos alliés.
    Nos alliés américains ont également fait part de leur malaise — de manière plus agressive, d'ailleurs — face à l'étendue des activités du PCC à l'échelle nationale et internationale. En 2020, à l'Institut Hudson, le directeur du FBI Christopher Wray a affirmé que le FBI ouvrait un nouveau dossier de contre-espionnage lié à la Chine à peu près toutes les 10 heures. De plus, il a déclaré que près de la moitié des quelque 5 000 affaires de contre-espionnage du FBI qui sont actuellement en cours aux États-Unis sont liées à la Chine.
    Pour bien comprendre la menace stratégique que le PCC fait peser sur le Canada et ses alliés, il faut savoir que le président Xi considère que le PCC mène une lutte générationnelle en matière de leadership stratégique, économique et technique en vue de remplacer les États-Unis et de dominer le patrimoine mondial. Le plan du président Xi intègre une approche stratégique de l'ensemble de l'État pour permettre à la Chine de devenir non seulement un concurrent économique international, mais aussi la seule superpuissance mondiale.
    Du point de vue du renseignement, le spectre des techniques et des méthodologies employées par la bureaucratie et l'appareil de renseignement du gouvernement chinois peut être subtil, diversifié et perfectionné. Le Canada et nos [difficultés techniques] des intrusions au vol de données sur le personnel, l'organisation et ses finances en passant par les aspects plus traditionnels comme la corruption d'individus, l'utilisation du sexe, de l'ethnicité et de la cupidité dans la recherche de renseignements, d'accès ou de documents à caractère confidentiel.
    Les Chinois...
    Mme Normandin invoque le Règlement.

[Français]

    Monsieur le président, je n'aime pas interrompre les témoins, mais je vous signale qu'il n'y a plus d'interprétation.

[Traduction]

    Je pense que votre signal sonore a été interrompu pendant une seconde, mais qu'il a été rétabli par la suite.
    Veuillez poursuivre.
    Les dirigeants communistes chinois sont pleinement conscients que pour éclipser l'Occident, ils doivent réaliser des avancées spectaculaires dans tous les domaines de l'innovation et de l'application technologiques. La recherche de la propriété intellectuelle, ainsi que l'infiltration des entreprises, des universités et d'autres centres de recherche et de développement en vue de s'approprier ou de voler la recherche et le développement semblent être une méthodologie cohérente et efficace.
    Voici un exemple américain de ce que j'ai décrit précédemment. Le scientifique chinois Hongjin Tan, un résident permanent légitime des États‑Unis, a volé plus d'un milliard de dollars de secrets commerciaux à son employeur, une compagnie pétrolière établie en Oklahoma. Il a ensuite été arrêté, reconnu coupable et envoyé en prison. Certains analystes et observateurs ont affirmé que depuis 2012 et l'arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, nous avons assisté à une augmentation spectaculaire des activités de renseignement du Parti communiste chinois au sein des nations occidentales.
    Un certain nombre de personnalités du renseignement, de journalistes et d'analystes du PCC affirme que leurs activités de renseignement auraient infiltré divers ordres de gouvernement, qu'ils soient locaux, provinciaux ou fédéraux. Cela a permis aux diplomates, aux administrateurs et au personnel du renseignement du PCC d'avoir accès à ces gouvernements en vue d'influencer les politiques publiques et l'opinion publique canadiennes.
    Un certain nombre de citoyens canadiens ont courageusement signalé leurs expériences avec les influenceurs du PCC, et certains politiciens ont constaté une manipulation de la communauté sino-canadienne, comme l'a récemment fait le membre du Parti conservateur, M. Kenny Chiu. En fait, deux chercheurs de l'Université McGill et une étude menée par le Conseil atlantique auraient remarqué que des articles anonymes circulaient sur des applications et des sites Web en langue chinoise, des articles qui dénaturaient un projet de loi d'initiative parlementaire que M. Chiu avait déposé et qui auraient nui à sa campagne électorale de 2021. Cet incident, en soi, doit faire l'objet d'une enquête et d'un examen approfondi.
    Dix ans plus tôt, en 2011, CTV News a révélé qu'un député conservateur aurait flirté avec Shi Rong, une journaliste séduisante au service de Xinhua, le média d'État du PCC. Étrangement, ce reportage avait été soupçonné d'avoir des liens avec l'appareil de renseignement chinois.

  (1720)  

    Monsieur Taillon, pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?
    Fort bien. Merci.
    Cela a permis de clore l'exposé très rapidement. Je vous en remercie. Je pense que vous aurez un peu de temps pour exposer vos conclusions.
    Monsieur Doherty, vous avez la parole pendant six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos collègues de leur présence.
    En fait, messieurs Taillon et Fadden, vous m'avez privé d'une grande partie de ce que j'allais dire. Pendant un certain temps, au début des années 2000, j'ai travaillé sur un certain nombre de projets de sécurité interorganismes. Dans le cadre de mon travail, j'ai été choqué de constater combien de fois par jour des acteurs étrangers tentaient de compromettre nos systèmes, que ce soit à l'aide de cybermenaces, de perturbations économiques, etc. Dans le cadre de nos travaux, nous avons examiné les menaces potentielles, qu'elles soient cinétiques ou non, comme l'a mentionné M. Taillon, les craintes biologiques, ainsi que les menaces économiques.
    Je pense que c'est M. Fadden qui a déclaré qu'il n'y a pas de consensus général sur la menace réelle qui existe.
    Pourriez-vous nous indiquer le nombre de fois par jour où des acteurs étrangers tentent de compromettre nos systèmes?
    Je pense qu'il est assez certain que nous parlons de plusieurs millions de tentatives par jour et que cela se répète jour après jour. Parfois ils réussissent, parfois non, mais le nombre de pings, si je peux utiliser ce jargon, atteint plusieurs millions.
    Monsieur Fadden, diriez-vous que la Chine représente la plus importante menace pour la sécurité nationale du Canada?
    À moyen et à long terme, absolument. Nous devons reconnaître la Chine telle qu'elle est. C'est un adversaire stratégique.
    Je me souviens qu'il y a quelque temps, on a demandé au premier ministre s'il approuvait cette définition, et il a refusé de répondre. Ce pays n'est pas un ennemi — car nous ne sommes pas en guerre —, mais il est bien plus qu'un concurrent. Cela m'amène à dire que notre pays ne comprend pas vraiment la nature de la menace cinétique, cognitive, et tout le reste.
    La première chose que nous devons faire pour composer avec la Chine, c'est de reconnaître la nature de notre relation avec elle et de la qualifier d'adversaire stratégique.
    Je me souviens de l'un des tout premiers débats que nous avons eus à ce sujet. J'ai pris la parole à la Chambre, et j'ai déclaré que tout n'était pas rose ou rose bonbon, comme mes collègues d'en face aimeraient le croire. Chaque jour, des acteurs étrangers tentent d'exercer une influence sur notre pays ou de perturber notre bien-être en tant que nation.
    Monsieur Fadden, croyez-vous que Huawei représente une menace importante pour la sécurité nationale du Canada?
    Absolument. Je pense qu'elle joue le rôle d'agent du Parti communiste ou de l'État chinois. Comme cela a été dit plus tôt dans la journée, et comme je peux le répéter en détail si vous le souhaitez, ils ont clairement indiqué que l'acquisition d'informations, de propriété intellectuelle et de renseignements auprès des pays occidentaux faisait partie intégrante de leur approche fondamentale de la gouvernance. Huawei leur donnera la possibilité d'utiliser un certain nombre de points d'entrée dans notre système de communication traditionnel ou numérique. Qu'ils le fassent ou non, ce n'est pas vraiment... Nous ne savons pas si c'est leur plan, car je ne crois pas que nous ayons déjà prouvé leurs intentions, mais pourquoi leur donnerions-nous cette possibilité, étant donné qu'ils ont déjà indiqué clairement que cela faisait partie de leur objectif?
    Huawei fait, sans l'ombre d'un doute, fonction d'agent du Parti communiste ou de l'État chinois. Par conséquent, cela me semble être hors de tout débat raisonnable. Nous courons un risque important en autorisant cette entreprise à exercer ses activités.

  (1725)  

    Je dis toujours qu'il est insensé de faire des hypothèses, mais je vais vous demander d'émettre des hypothèses quant aux raisons pour lesquelles vous pensez que le gouvernement canadien n'est pas intervenu dans ce dossier et n'a pas banni Huawei.
    Je pense que, dans un passé récent, ils étaient très préoccupés par les deux Michael. Je crois que c'était un motif raisonnable de retarder les choses. À mon avis, ils ont finalement décidé d'élaborer une politique indochinoise. Compte tenu de cela — et je ne sais pas où en est ce travail —, ils ont probablement décidé de retarder la décision concernant Huawei jusqu'à ce que cette politique soit rendue publique.
    Je dirais que les deux dossiers sont dissociables, notamment parce que, selon moi, nous avons considérablement amoindri notre crédibilité auprès de nos alliés du Groupe des cinq et de l'OTAN en refusant de trancher cette question. Nous pourrions élaborer une politique indochinoise ou indopacifique tout en disant non à Huawei.
    C'est ce que je suppose, mais ce n'est qu'une supposition.
    Comment pouvons-nous lancer une guerre — ou une offensive plutôt qu'une guerre — sur deux fronts, ou en réalité sur plusieurs fronts, mais sur deux fronts en ce qui concerne ce dossier national et international, afin de nous assurer que nous sommes en mesure de protéger les Canadiens au pays et à l'étranger?
    Là encore, je crois que le point de départ à cet égard consiste à reconnaître la nature de la menace, mais j'estime aussi qu'il faut être réaliste. Notre pays ne sera pas en mesure de faire grand-chose par lui-même. Je pense qu'en tant que puissance moyenne, le Canada a relativement moins d'influence aujourd'hui qu'il n'en avait pendant la guerre froide.
    Je crois que nous devons être réalistes. Nos diplomates et nos militaires devraient s'efforcer, chaque jour, d'établir différentes alliances et différents regroupements de personnes pour repousser les risques dont vous avez parlé. Mais, pour commencer, nous devons reconnaître qu'une menace existe.
    Je pense que ce travail exige aussi une initiative pangouvernementale. Le CRTC et ISED ont un rôle à jouer dans la lutte contre certaines des activités dont nous parlons sur le plan de la cybernétique. Cela n'implique pas seulement l'armée ou le CST. Je ne suis pas sûr que nous utilisions tous les atouts qui existent, sans parler des atouts supplémentaires que nous pourrions vouloir utiliser pour gérer le problème.
    Je suis entièrement d'accord avec vous. Comme je l'ai mentionné, dans le cadre du travail interorganismes que j'ai effectué auparavant, nous avons participé à une approche pangouvernementale.
    Pensez-vous que l'inaction du Canada dans ce dossier a eu un effet négatif sur notre position au sein du Groupe des cinq, ou qu'elle pourrait, par exemple, priver le Canada d'un échange vital de renseignements ou le faire paraître comme une menace plus importante pour le Groupe des cinq?
    C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Je pense qu'aucun des membres du Groupe des cinq ne nous privera des renseignements opérationnels qui constituent une menace pour le Canada, mais si nous continuons sur cette voie, il est réellement possible qu'ils réduisent grandement les renseignements qu'ils nous communiquent.
    Je remercie nos deux témoins de leur présence.
    Merci, monsieur Doherty.
    Madame Lambropoulos, vous avez la parole pendant six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier nos deux témoins de s'être joints à nous aujourd'hui pour répondre à nos questions.
    Monsieur Fadden, ma question vous est destinée. Nous avons récemment observé un rapprochement entre la Chine et la Russie. Je me demande si vous pourriez nous dire ce qu'à votre avis, une relation militaire entre deux de nos plus grandes menaces pourrait signifier pour nous. En vous basant sur ce que vous avez dit un peu plus tôt au cours de votre témoignage, à quel type de guerre avec ces deux pays le Canada et ses alliés devraient-ils se préparer?
    Je pense que nous devons reconnaître que la rencontre entre la RPC et la Fédération de Russie, si je peux l'appeler ainsi, est de nature tactique. Je crois que les différences en matière de puissance et d'influence sur la planète qui existent en ce moment entre la Russie et la Chine sont telles que ces deux pays n'ont pas et n'auront pas une relation stratégique du genre de celle que nous aurions pu observer entre deux pays ayant des bases plus équilibrées. En revanche, j'estime qu'à court terme, leur capacité à créer des méfaits dans la région indopacifique et en Europe s'en trouve accrue. Je pense que leur incidence sera assez significative, en particulier, s'ils commencent à se soutenir mutuellement dans le domaine de la cybernétique.
    Pour ma part, je ne crois pas — et je fais peut-être partie d'une minorité — que la Russie envahira l'Ukraine de la même manière que les nazis ont envahi la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale. Je pense qu'ils vont plutôt continuer d'utiliser toute une série d'instruments. Il est probable que ce sera aussi le cas pour la Chine. Ils ne veulent pas s'emparer des autres pays. Ils veulent accroître leur contrôle indirect et leur influence bien au‑delà de leur état actuel.
    À mon avis, le problème, c'est que l'Occident n'a pas encore tout à fait compris ce qui est en jeu. Je veux dire, qu'est‑ce qui constitue une guerre, et qu'est‑ce qui n'en est pas une, lorsque vous pouvez utiliser des cyberattaques pour détruire l'infrastructure d'un pays, ce qui entraînerait immédiatement une déclaration de guerre, si c'était fait de manière cinétique?
    Je pense qu'à court terme, l'alliance entre la Russie et la Chine est acceptable. Elles collaboreront, mais je ne crois pas que cette relation se poursuivra à long terme.

  (1730)  

    Merci beaucoup.
    Vous avez également évoqué le fait que la meilleure stratégie pour l'avenir serait de dépendre un peu plus de nos alliés.
    J'aimerais savoir ce que le Canada devrait faire, selon vous, pour améliorer sa relation avec ses alliés. Quel est, selon vous, l'état actuel de nos relations avec nos alliés? Avec quelle rapidité nos alliés nous viendraient-ils en aide, et comment pouvons-nous améliorer la situation?
    Je ne voulais pas dire que nous devrions dépendre plus d'eux. Je pense que nous devrions dépendre davantage les uns des autres. Je pense qu'aujourd'hui, aucun pays, même les États-Unis, ne peut fonctionner seul et faire face à la Chine, à la Russie et à un certain nombre d'autres États qui causent beaucoup de difficultés.
    Le Canada pourrait, dans un premier temps, reconnaître cette nécessité et, dans un deuxième temps, payer les pots cassés. Notre pays n'a pas beaucoup investi dans le domaine militaire au cours... Il ne s'agit pas d'un commentaire partisan. Nous ne l'avons jamais fait; nous ne le faisons tout simplement pas. Nous ne l'avons pas fait depuis la Seconde Guerre mondiale, en partie, je pense, parce que nous ne percevons pas de menace.
    J'estime que nous devons commencer à contribuer davantage à l'OTAN. Nous devrions selon moi développer une vision de ce que nous allons faire dans la région indo-pacifique, et je pense que l'Australie et le Japon sont deux pays avec lesquels nous pourrions commencer à traiter beaucoup plus que nous ne l'avons fait dans le passé.
    L'une des choses qui m'ont frappé lorsque je travaillais encore et que je visitais ces régions du monde est que tout le monde était ravi de me voir, mais qu'après nos réunions officielles, nous prenions un café ou une bière, et ils me disaient: « Vous savez, nous sommes heureux que vous soyez là, mais cela fait huit ans que nous n'avons pas vu un ministre fédéral, et nous n'avons pas vu de navire de guerre depuis 1953 ». Nous devons faire preuve de constance dans le temps et tous les intervenants doivent fournir des efforts soutenus, du chef du gouvernement aux officiers subalternes responsables, au sein de l'armée, du ministère de la Défense et d'Affaires mondiales.
    Tant que nous ne le ferons pas, il sera difficile pour les autres pays de nous prendre au sérieux. Je ne dis pas que nous papillonnons, car je ne pense pas que ce soit le cas, mais nous ne sommes pas très cohérents lorsque nous décidons de faire quelque chose.
    Je pense que le Japon, qui est une puissance moyenne importante qui souhaite vivement travailler davantage avec le Canada, est un très bon exemple. Nous pourrions faire beaucoup plus.
    Nos témoins précédents ont beaucoup parlé des cybermenaces et de la façon dont la Russie a utilisé le cyberespace pour influer sur les événements dans notre propre pays, ici au Canada, ce qui a créé beaucoup de divisions entre différentes personnes au sein de notre population.
    Étant donné que notre prochaine guerre sera idéologique, comme vous l'avez mentionné dans votre réponse précédente, selon vous, que pouvons-nous faire pour nous protéger contre cette menace dans le cyberespace? Je sais que nous en avons beaucoup entendu parler dans le témoignage précédent, mais j'aimerais également entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.
    Encore une fois, la première chose que nous devons faire — je vais me répéter, et je m'en excuse — est convaincre la population canadienne, pas seulement vous et vos collègues, et pas seulement les ministres, mais les Canadiens en général, de l'existence de ce risque. Nous n'y parviendrons pas à moins que des rapports comme celui que vous produirez, je l'espère, ou des déclarations ministérielles ne commencent à en parler. Je pense qu'il sera alors beaucoup plus facile de signaler les problèmes.
    Certains pays ont, je pense, consciemment décidé de mettre en place un organisme distinct et autonome pour lutter contre la désinformation ou la mésinformation. Peut-être devrions-nous envisager cette option et donner à cet organisme un véritable mandat d'éducation du public, mais je ne pense pas qu'il y ait de solution miracle. Nous ne pouvons pas appuyer sur un bouton pour que le problème disparaisse tout à coup.
    Encore une fois, je pense que nous devons travailler avec nos alliés.
    Merci beaucoup.
    Je suis d'accord.

[Français]

    Madame Normandin, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'ai envie de pousser plus loin plusieurs questions déjà posées par mes collègues, mais j'aimerais d'abord revenir sur des éléments que Mme Lambropoulos vient de soulever, notamment la perception de la population en général.
    Les deux témoins ont parlé, entre autres, d'espionnage industriel et de propriété intellectuelle, ce qui peut sembler relever davantage du milieu civil que du milieu de la défense nationale.
    Je voudrais entendre vos commentaires sur la pertinence de bien s'assurer que la population comprend que cela peut représenter des menaces à la sécurité nationale.
    J'aimerais aussi que vous me disiez qui devrait réellement assumer le rôle en matière de protection. On peut avoir l'impression que, dans certains cas, cela relève du Service canadien du renseignement de sécurité et que, dans certains autres cas, cela relève davantage du ministère de la Défense nationale.
    Est-il possible que l'un et l'autre se renvoient la balle? Autrement dit, quand c'est le travail de tout le monde, ultimement, ce n'est le travail de personne.
    J'aimerais entendre vos commentaires à tous les deux sur cet aspect.

  (1735)  

[Traduction]

    Puis‑je donner à mon collègue l'occasion de s'exprimer?
    Oui.
    Allez‑y, monsieur Taillon.
    Je n'ai pas entendu l'interprétation. Je suis désolé.
    D'accord. Alors M. Fadden pourra répondre.

[Français]

    D'accord, je vais essayer de répondre à votre question.
    Vous posez une excellente question.
    Je pense que la sécurité nationale doit être définie d'une façon relativement large, aujourd'hui. Ce n'est pas le même contexte que dans les années 1950, où le seul risque réel était une invasion russe. On peut porter atteinte à la souveraineté d'un pays au moyen d'une ingérence militaire, mais aussi en lui faisant perdre le contrôle de son économie. Je pense que c'est effectivement ce qui se passe en ce moment. Le vol de la propriété intellectuelle au Canada est abominable. Cela se passe non seulement au Canada, mais partout en Occident.
    L'élément clé repose sur une définition relativement plus large de la sécurité nationale. Je ne parle pas d'une définition à ce point large qu'elle ne veut plus rien dire, comme ce que vous suggérez. Néanmoins, ce n'est pas la même situation que durant les années 1950 et 1960.
    Qui devrait s'occuper de la protection? C'est une excellente question. Cela relève de l'appareil gouvernemental, qui est de la responsabilité principale du premier ministre.
    Je pense qu'on ne devrait pas donner aux Forces canadiennes la responsabilité de protéger le secteur privé. C'est plutôt le Centre de la sécurité des télécommunications qui doit assumer cette responsabilité, avec l'aide du Service canadien du renseignement de sécurité. Il doit effectivement y avoir une collaboration entre les organismes. Comme je l'ai suggéré à l'un de vos collègues, je pense qu'une approche pangouvernementale est cruciale, ici. Nous n'avons pas suffisamment de ressources pour que l'un et l'autre commencent à jouer au fou; j'exagère, mais c'est une image pour appuyer mes propos.
    Essentiellement, les militaires devraient se préoccuper de ce qui se passe à l'extérieur du pays, tout en restant très bien informés de ce qui se passe ici, et il devrait revenir au CST de protéger le secteur privé, avec l'aide d'un ministère ou d'un autre organisme. À cet égard, nous devrions donner au CST un mandat beaucoup plus public et beaucoup plus clair.
    De plus, il faudrait insister sur le fait que, lorsque le secteur privé fait l'objet d'une invasion cybernétique, il faut toujours s'assurer d'en parler. L'une des difficultés que nous avons présentement, c'est que l'organisation visée ne veut jamais en parler, parce qu'elle risque de subir des conséquences financières. Il est vrai qu'on a l'obligation d'en faire rapport de temps à autre, mais lors de circonstances bien particulières. Aux États‑Unis, par contre, chaque fois qu'une invasion cybernétique a lieu, on doit en faire rapport au gouvernement fédéral. Je vous suggérerais de suivre la même règle; à mon avis, ce serait utile.
    Mis à part les aspects de la propriété intellectuelle et de l'espionnage, j'ai le goût d'entendre vos commentaires portant plus précisément sur la guerre de l'information.

[Traduction]

    Excusez-moi un instant, madame Normandin. Je veux juste vérifier quelque chose avec M. Taillon.
    Vous n'avez pas entendu l'interprétation. Est‑ce parce que vous n'étiez pas sur la chaîne anglaise, ou y a‑t‑il eu un autre problème?
    Je suis sur la chaîne anglaise.
    Entendez-vous l'interprétation?
    Malheureusement, l'horloge tourne.
    Ce n'est pas grave.
     Je vais continuer avec Mme Normandin. Je m'excuse pour ces difficultés.
    Veuillez poursuivre, madame Normandin.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je voulais donc aborder la question de la désinformation.
    Je comprends que certains pays, comme les États‑Unis et l'Allemagne, ont déjà des unités régulières affectées à cela depuis la Deuxième Guerre mondiale. Visiblement, ce n'est pas le cas ici. J'imagine qu'on s'entend pour dire que certains aspects relèvent beaucoup plus du secteur militaire.
    Pouvez-vous expliquer pourquoi nous n'avons pas suivi le rythme, ici, en ce qui concerne la désinformation?
    Je me répète un peu, mais je pense qu'une des raisons est que nous n'avons pas senti qu'il s'agissait d'une menace très forte. Si le gouvernement ou le public en général ne ressent pas une menace, le Parlement ne va pas accorder les ressources nécessaires pour lancer ce genre d'initiative.
    Je pense qu'il est important de se rappeler qu'aux États‑Unis, la National Security Agency, qui s'occupe de ces questions, est une organisation mixte, c'est-à-dire une organisation militaire et civile. Ces questions ne sont donc pas traitées uniquement d'un point de vue militaire. Je pense que la solution est vraiment de ce côté. Il faut impliquer les deux côtés de la médaille: le civil et le militaire.
    Je pense qu'au Canada, on commence petit à petit à s'en préoccuper. Du moins, on s'en préoccupe beaucoup plus qu'on ne le faisait il y a quelques années. Néanmoins, on prend toujours du retard.
    De façon générale, le problème, c'est qu'on ne sent pas la menace.
    Je vais poser ma prochaine question, même si la réponse devra peut-être attendre à mon prochain tour de parole.
    Vous avez parlé de l'importance de créer une synergie avec les alliés. Mme Lambropoulos et M. Doherty en ont également parlé.
    Or, le fait que nous ne reconnaissions pas la menace fait probablement de nous un partenaire moins sérieux. Il faut bien que nous ayons quelque chose à offrir pour obtenir quelque chose en échange.
    J'aurais aimé vous entendre préciser ce que le Canada peut faire pour avoir quelque chose à offrir, justement dans le but d'assurer un bon partenariat avec ses alliés.
    Je comprends qu'il me reste peu de temps, mais c'est la question à laquelle j'aimerais vous entendre répondre à mon prochain tour de parole, le cas échéant.

  (1740)  

[Traduction]

    C'est une question importante, mais nous n'avons pas le temps d'y répondre.
    Vous avez six minutes, madame Mathyssen.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suppose que ceci pourrait en fait être un prolongement de ce à quoi Mme Normandin voulait en venir. Lundi, nous avons entendu, au sein de ce comité, que le Canada devait se concentrer, que nous n'avions pas la capacité de nous concentrer sur l'Europe et la Chine et de défendre nos propres frontières arctiques, et que nous devions nous concentrer davantage, choisir une voie et être réellement efficaces. Plus tôt aujourd'hui, nous avons entendu que nous devions investir davantage. Nous devons tout couvrir. Nous devons être conscients de la réalité de la menace que représentent la Chine et la Russie, et de ce que le monde attend de nous. Nous venons de tenir cette discussion.
    Monsieur Fadden, vous avez dit que nous sommes très en retard et que nous n'avons jamais réellement pris conscience des menaces qui pèsent sur nous ou sur le monde, et que c'est peut-être parce que nous nous sommes si fortement appuyés sur les États-Unis. Peut-être pourriez-vous formuler des commentaires et donner votre opinion à ce sujet en fonction de ce qui nous a été dit lundi au sujet de cette concentration, nous expliquer pourquoi nous devrions ou non le faire, et nous éclairer un peu plus sur cette question.
    Je vais essayer.
    Tout d'abord, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un choix binaire. J'estime que le monde est aujourd'hui suffisamment intégré pour que nous ne puissions pas simplement dire que nous allons nous concentrer uniquement sur la région indo-pacifique ou sur l'Europe, ou que nous allons nous concentrer uniquement sur le terrorisme ou sur ceci ou sur cela. Nous devons répartir un peu notre attention et nos ressources. Je dirais que nous devons établir des priorités, ce qui ne revient pas à choisir l'un ou l'autre. Que nous le voulions ou non, nous sommes une nation occidentale et cela signifie que nous sommes liés, dans une large mesure, à l'Europe. Nous faisons beaucoup de commerce avec elle, et nos liens avec elle sont historiques. Nous ne pouvons pas ignorer l'Europe, ni la Russie, qui est notre voisine.
    D'un autre côté, si nous voulons affronter efficacement le monde d'aujourd'hui, nous devons, de concert avec nos alliés, agir vis-à-vis de la Chine. Je crois savoir que le gouvernement élabore une politique indochinoise. Je pense qu'il s'agit d'une bonne chose, mais je ne comprends pas comment nous pouvons avoir une politique indochinoise en l'absence d'une politique étrangère plus large qui tente de répondre à ces questions de priorité.
    Je pense que nous pourrions être un peu plus proactifs relativement à un certain nombre de dossiers, mais je pense aussi que nous avons besoin de plus de ressources. Je ne parle pas seulement des Forces canadiennes, mais également d'Affaires mondiales Canada, du Centre de la sécurité des télécommunications, du Service canadien du renseignement de sécurité, etc., pour montrer à nos alliés que nous prenons tous ces dossiers au sérieux. Je ne pense pas que les alliés nous ignorent. Nous apportons une contribution. Nous parlons de niveaux de contribution en ce moment, et pour un pays du G7, nous faisons moins que beaucoup de nos partenaires.
    C'est une réponse inadéquate à votre question, mais je ne peux que soutenir que nous ne pouvons pas choisir seulement l'un ou l'autre. Nous devons établir des priorités. Comme j'essayais de le suggérer à Mme Normandin, nous devons nous montrer persistants et cohérents une fois que nous avons opté pour une voie particulière. Le fait de simplement s'y intéresser de façon ponctuelle, d'essayer de régler un problème et de le laisser tomber dans l'oubli... Je tiens à souligner à nouveau qu'il ne s'agit pas d'un commentaire partisan. C'est ce que nous faisons depuis des décennies. Nous devons faire preuve de persévérance et de cohérence dans le développement de nos relations avec nos alliés, bien plus que nous ne l'avons fait par le passé.
    Je vais en fait poser la même question à M. Taillon.
    À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, nous avions un million de personnes sous les armes. Nous étions la quatrième force armée du monde en importance. Nous avons essentiellement entretenu cette impression très positive auprès de nos alliés et de nos amis jusqu'aux années 1980. Nous avons ensuite commencé à échouer, non seulement en matière de défense et d'affaires étrangères, mais nous avons aussi commencé à nous replier sur nous-mêmes, à mon humble avis. Je pense qu'il est temps. Comme l'a dit M. Fadden, nous devons être présents sur le terrain et être vus. On parle beaucoup d'envoyer plus de soldats de la paix, mais il n'y a pas tant de paix que ça à maintenir. J'ai participé à environ cinq missions de maintien de la paix et j'ai été la cible de tirs lors de trois d'entre elles. Il n'y a pas tant de paix que cela.
    L'autre aspect est que nous devons être très étroitement affiliés et liés à nos alliés les plus proches, les États-Unis, en particulier, pour des raisons économiques et commerciales évidentes. De plus, lorsque nous regardons la région du Pacifique, nous devons envisager l'AUKUS, qui a été signé. Tout récemment, les Australiens et les Japonais ont conclu un accord. Nous devons nous renforcer au sein de l'OTAN. Nous nous sommes retirés dans les années 1980. Nous voulions les dividendes de la paix, et nous avons payé le prix fort. Pour être franc, les forces armées sont dans un état lamentable.
    C'est terrible à dire. Il y a eu du changement à cause de l'Afghanistan. Nous avons heureusement obtenu des fonds grâce à cela. Ce n'est pas une façon de faire. Si vous voulez une armée, elle doit être prête à se battre à tout moment, surtout dans le monde d'aujourd'hui.
    Nous avons vu la panique au sein de l'UE et de l'OTAN causée par ce qui se passe en Ukraine, qui pose effectivement problème. S'il y a quelque chose à tirer de ceci, c'est que tout à coup, Poutine, aux yeux de son peuple, est considéré comme un véritable acteur, parce qu'absolument tout le monde au sein de l'Union européenne et de l'OTAN est allé lui faire des courbettes. Il a remporté une impressionnante victoire psychologique simplement en déployant des troupes.
    D'après ce que j'ai entendu jusqu'à aujourd'hui, ce retrait est essentiellement un redéploiement le long de la frontière. C'est quelque chose qui doit être attendu et vu pour être confirmé.

  (1745)  

    Nous allons devoir en rester là. Je m'excuse, madame Mathyssen.
    Chers collègues, nous en sommes au deuxième tour. Il nous reste environ 10 minutes sur 25 minutes de questions. Je vais devoir agir de façon un peu arbitraire et réduire le temps de parole de chacun à trois minutes et une minute.
    Madame Gallant, vous avez trois minutes.
    Monsieur le président, au moment où nos agences chargées des affaires étrangères sont saisies de la nouvelle incursion de la Russie en Ukraine, le Canada, à l'échelle nationale, est également touché par la manifestation en cours devant les édifices du Parlement. On a laissé entendre que les camionneurs avaient été influencés par la désinformation russe. Au sein d'un autre comité permanent, les manifestants ont été assimilés à des terroristes, et des mesures antiterroristes telles que le gel des comptes bancaires ont déjà été prises.
    En tant que parlementaires, comment pouvons-nous déterminer si la présence de camions de transport stationnés, de jacuzzis et de châteaux gonflables à l'intérieur et autour de l'enceinte du Parlement représente une menace pour notre sécurité nationale et justifie le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, qui n'a jamais été utilisée auparavant?
    Je peux essayer de commencer de cette façon.
    Je ne sais pas dans quelle mesure les Russes ont été impliqués dans ces difficultés. Je ne sais pas dans quelle mesure d'autres groupes, des groupes terroristes, ont pu insérer leurs points de vue dans cette affaire. Je pense qu'il faut reconnaître qu'il y a un problème de respect de la loi, qu'il s'agisse de la loi antiterroriste ou des lois relatives à l'ingérence étrangère, ou de toute autre loi, et permettre aux autorités nationales chargées de l'application de la loi de régler le problème comme elles l'entendent.
    Je ne veux pas me lancer dans un débat visant à déterminer si la Loi sur les mesures d'urgence est une bonne ou une mauvaise chose, mais il s'agissait d'un outil mis à la disposition du Parlement, du gouvernement au pouvoir, et ils ont choisi de l'utiliser. Pour ma part, et j'écoute les médias et je parle à des personnes, je ne pense pas qu'un argument convaincant ait été avancé pour prouver que cette manifestation a été dirigée par les Russes ou par des terroristes, pour utiliser un langage quelque peu exagéré. Je ne serais pas surpris que différentes personnes, par l'entremise des médias sociaux, tentent de rendre la situation pire qu'elle ne l'est réellement.
    Je dirais que ce qu'il faut faire maintenant est laisser les forces de l'ordre faire leur travail, et ce, aussi efficacement que possible. Si je comprends bien, un certain nombre de blocages à l'extérieur d'Ottawa ont été résolus. En tant que résident d'Ottawa, j'espère profondément que nous pourrons très bientôt dire la même chose de notre ville.

  (1750)  

    En quoi l'exécution de la Loi sur les mesures d'urgence, permettant de détacher du personnel militaire pour intervenir dans le cadre de l'exécution civile des lois, est-elle dans notre intérêt national?
    Je crains que vous ayez ici un avantage sur moi. Je ne savais pas que la Loi sur les mesures d'urgence permettait l'utilisation de personnel militaire. En fait, si vous avez besoin de membres du personnel militaire avec des fonctions très spécialisées, vous n'avez pas besoin d'utiliser la Loi sur les mesures d'urgence. Ils peuvent simplement être détachés auprès d'autres organisations. Je suis désolé, mais je ne peux pas donner de réponse plus détaillée.
    Merci, monsieur Gallant.
    Monsieur Spengemann, vous avez trois minutes.
    Monsieur le président, merci beaucoup.
    Monsieur Fadden, c'est un plaisir de vous revoir parmi nous.
    Monsieur Taillon, merci beaucoup de vos bons services, merci de nous faire profiter de votre expertise.
    Monsieur Fadden, je m'adresserai d'abord à vous. Je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'aimerais aborder l'idée d'une définition élargie de la sécurité.
    Nous analysons actuellement les menaces ayant une incidence sur le Canada. Il y a actuellement 12 opérations de paix de l'ONU en cours sur la planète: au Sahara occidental; en République centrafricaine; au Mali, une opération à laquelle le Canada a grandement contribué et que ce comité a examinée d'ailleurs il y a quelques années; en République démocratique du Congo; sur le Plateau du Golan; à Chypre; au Liban; dans la région d'Abyei, au Soudan; au Kosovo; au Sud-Soudan; en Inde et au Pakistan; au Moyen‑Orient, avec l'ONUST.
    Comment tenez-vous compte de ces opérations dans le contexte de ce dont nous parlons maintenant, c'est‑à‑dire de conflits véritablement probables avec ou entre de grandes puissances qui touchent très directement le Canada? Ces opérations de maintien de la paix sont très importantes, indirectement, mais elles sont importantes aussi pour défendre les valeurs que nous épousons de même que pour respecter les engagements que nous avons pris envers le système de l'ONU.
     Lorsqu'on nous demande d'augmenter le financement de l'aide au développement international, qu'il s'agisse d'aide humanitaire, d'aide au développement ou de défense, comment tenons-nous compte de nos obligations multilatérales au sein des Nations unies?
    Wow! On pourrait prendre une heure rien que pour essayer de répondre à cette question. C'est une bonne question.
    Pour commencer, j'insisterais sur le fait que la longue liste que vous avez dressée devrait être divisée entre les opérations qui sont légitimement des opérations de maintien de la paix et quelques autres, qui sont plutôt des opérations de rétablissement de la paix. Je pense qu'elles doivent être traitées quelque peu différemment. Tout dépend aussi du niveau de développement des pays concernés.
    Prenons le Congo, par exemple, c'est une opération de rétablissement de la paix. Le pays est presque en faillite. Je ne pense pas que l'ONU ait reçu suffisamment de ressources — pour l'aide au développement international, la diplomatie et les activités militaires — pour s'attaquer à ce problème. C'est un exemple, mais nous avons souvent sérieusement envisagé de nous investir davantage au Congo. Or beaucoup de gens ont dit que cela n'en valait pas la peine, au fond, parce que nous n'avions pas une assez grande force de frappe pour faire une différence.
    Je pense que nous devons être très sélectifs quand nous déterminons à quelles activités de maintien ou de rétablissement de la paix nous participerons et choisir celles auxquelles nous pouvons véritablement contribuer ou celles pour lesquelles l'ONU nous demande vraiment de l'aide.
    Je voudrais aussi préciser, si vous me le permettez, que l'aide militaire ne se résume pas nécessairement à des soldats et des caporaux armés. Un officier très haut gradé de l'ONU qui était chargé du maintien de la paix m'a dit un jour que ce dont ils ont besoin, le plus souvent, ce sont d'officiers d'état-major capables d'organiser des choses. Nous avons de très bonnes fonctions d'état-major dans ce pays, ainsi qu'un bon soutien logistique, mais en petite politique, on veut voir des soldats avec des fusils. Je pense qu'il faut nous frayer un chemin à travers tout cela et être sélectifs.
     Quel type d'allocation de ressources proposeriez-vous pour l'ensemble de ces opérations de paix de l'ONU?
    Je ne peux pas répondre à cela, sauf que je...
    Malheureusement, il pose une question qui nécessiterait une réponse d'une heure et demie, alors qu'il a déjà dépassé son temps de deux secondes. C'est fascinant.
    Madame Normandin, vous avez une minute.

[Français]

    J'ai compris que nous ne pouvons pas nous trouver sur tous les fronts en même temps et que, pour être un bon allié, il faut aussi avoir quelque chose à offrir. Nous avons parlé des missions de paix.
    À propos de ce que nous avons à offrir en matière de cybersécurité, sommes-nous une cause perdue ou pouvons-nous espérer pouvoir un jour nous mettre à niveau?
    Je suis absolument convaincu qu'il y a de l'espoir. En fait, au cours des deux, trois ou quatre dernières années, nous avons commencé à accélérer nos efforts en la matière.
    Je ne suis pas en train de vous laisser croire que nos efforts ne sont pas importants; ils le sont. Cependant, étant donné les circonstances actuelles en matière de relations internationales et la sécurité qui devient très problématique, je pense qu'il faut augmenter nos efforts.
    Je crois que, si nous le faisions, les alliés seraient ravis, et nous pourrions nous retrouver au même point qu'eux en peu de temps.

  (1755)  

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Madame Mathyssen, vous avez une minute.
    Comme nous avons très peu de temps, j'aimerais rappeler aux témoins que s'ils ont quelque chose à ajouter, ils sont fortement invités à soumettre une réponse par écrit au Comité.
    Ma question porte de nouveau sur ce que nous avons entendu lundi. Un témoin a dit qu'il fallait sept ans et un million de dollars pour fabriquer un soldat.
    Monsieur Fadden, vous avez dit que nous avions du mal à garder nos soldats, à en avoir assez ici, au sein de nos rangs, et nous le savons bien. Pourriez-vous développer votre pensée? Je sais que vous avez effleuré le sujet en réponse à Mme Normandin pendant sa courte minute de parole.
    Je constate simplement que le recrutement devient de plus en plus difficile. Ce n'est pas particulièrement difficile à comprendre, étant donné la mauvaise presse que l'armée reçoit depuis longtemps. Le maintien en poste est compliqué aussi parce que, de façon générale, quand l'économie ne va pas si mal, les gens partent.
    Une partie de la difficulté réside dans l'idée de plus en plus répandue que l'armée ne dispose pas des outils nécessaires pour faire ce qu'elle veut. Les gens ne s'enrôlent pas dans l'armée pour aller à Lower Mandible, au Manitoba — je m'excuse auprès du Manitoba —, et y rester en garnison à ne rien faire d'intéressant.
    Pour répondre à la question précédente sur le maintien ou le rétablissement de la paix par l'ONU, nous devons intervenir à l'extérieur du pays de manière à avoir un effet réel. Nous n'atteignons même pas nos maximums actuellement, dans l'armée. Si nous n'y arrivons pas, nous sommes en très mauvaise posture. Nous n'avons pas assez de personnel à l'heure actuelle, étant donné les nouvelles activités spatiales, cybernétiques et autres auxquelles nous devons faire face.
    Madame Mathyssen, nous allons devoir en rester là.
    Madame Kerry‑Lynne Findlay, vous avez trois minutes, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis heureuse de vous revoir, monsieur Fadden.
    À votre avis, devrions-nous empêcher ou restreindre les investissements chinois et l'accès à certains secteurs de notre économie, comme ceux des métaux précieux ou des terres rares ?
    Je pense qu'il faudrait énumérer ces limites et interdictions publiquement et indiquer très clairement que nous les imposons pour des raisons de sécurité nationale.
    Je ne pense pas qu'il faut avoir honte de le faire parce qu'il n'y a aucune réciprocité de la Chine sur aucun front. La possibilité qu'une entreprise canadienne investisse dans l'un de ces secteurs stratégiques en Chine est absolument nulle, alors je crois que nous devrions le faire. Encore là, je pense que nous devrions le faire de concert avec nos alliés.
    Je vous remercie.
    Monsieur Taillon, quel est votre point de vue sur l'influence et les opérations de la Chine au Canada et sur ses objectifs stratégiques dans notre pays?
    Ils cherchent des États vassaux qui peuvent leur fournir des ressources, un marché, sans problèmes. Ils n'aiment pas les relations bilatérales dans les négociations. Ils veulent écraser les individus économiquement, politiquement et, dans certains cas, socialement.
    L'autre chose qui est vraiment préoccupante, c'est qu'il devient crucial de faire de l'éducation. Je pense que M. Fadden y a fait allusion. Il faut sensibiliser le public canadien aux menaces et aux vulnérabilités cybernétiques. La Chine s'active sur tous les fronts, essentiellement de manière non cinétique.
     Comme je l'ai mentionné dans mes observations, la guerre des stupéfiants est l'un de ses grands problèmes ici. Entre janvier 2016 et mars 2021, 22 828 Canadiens sont morts des opioïdes. Cela a un coût énorme, et pas seulement en vies et en potentiel. Ce que je trouve vraiment inquiétant, c'est que si on veut détruire une nation, il faut la détruire de l'intérieur. Les États-Unis perdent plus de 100 000 personnes par an à cause des problèmes de drogue. Une grande partie des opioïdes viennent de la Chine.
    Le simple coût.... Je discutais avec des policiers de la prise en charge d'une personne décédée dans la rue, et cela nous coûte entre 20 000 et 30 000 $, parce qu'il doit y avoir intervention des policiers, de personnel médical, puis la personne est transportée à l'hôpital. Compte tenu de toutes les personnes que nous avons perdues jusqu'ici, s'il nous en coûte 30 000 $ par personne, cela représente 684 840 000 $. S'il nous en coûte moins, soit 20 000 $ par personne, cela donne 486 560 000 $.

  (1800)  

    Je m'excuse encore une fois. Nous devrons nous arrêter là.
    Madame O'Connell, les trois dernières minutes sont à vous.
    Merci. Je ne vous mets pas de pression, mais je vais essayer de poser mes questions le plus vite possible.
    Nous avons entendu parler de la coopération toute récente entre la Russie et la Chine sur certains plans. Nous savons également que la Russie et la Chine manifestent toutes deux un intérêt pour l'Arctique canadien.
    Ma question est de savoir si vous pensez qu'elles pourraient travailler ensemble en ce sens ou si cela pourrait constituer un point de friction entre les deux pays, pour avoir accès à l'Arctique. Est‑ce que cela pourrait être un enjeu dans la région?
    Monsieur Taillon, vous pouvez peut-être commencer.
    La Chine se considère comme un État proche de l'Arctique. Elle est aussi désespérément en quête de protéines. Il y a des pêcheries là‑bas. Le passage par l'Arctique réduirait le temps de navigation entre la Chine et ses marchés, idéalement l'Europe, de 8 à 10 jours peut-être. Oui, il y a un intérêt certain pour l'Arctique.
    C'est toutefois aussi une menace potentielle pour la Russie. La Russie a affirmé très clairement que sa route de la mer du Nord, qui traverse la partie nord de la Russie, est constituée d'eaux intérieures. La Russie le répète sans équivoque. Non seulement cela, mais elle appuie ses dires par la présence de bases militaires importantes là‑bas et des exercices à grande échelle, y compris une opération aéroportée. Pour avoir moi-même été parachutiste, je peux vous dire que ce peut être tout un choc de sauter à ‑30°, surtout la nuit.
    Pendant ce temps, on discute de la question de savoir si le passage du Nord-Ouest canadien est canadien. Je pense qu'il va y avoir des affrontements intéressants du côté nord de part et d'autre.
    Pensez-vous que les deux pays vont se confronter l'un l'autre ou qu'ils vont s'unir pour menacer le Canada?
    Ils risquent de se confronter. Ce ne sont pas des alliés naturels. Il suffit de nous rappeler l'incident de la rivière Ussuri. Pour l'instant, l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Nous savons à quel point cela a bien fonctionné pour nous dans certaines régions par le passé, dans l'Ouest en particulier. C'est une question problématique, et nous devrons suivre la situation de près.
    Le fait que les Russes soutiennent essentiellement les Chinois à Taïwan signifie que les Chinois seront plus qu'heureux de les soutenir dans la région du Donbass. Donc il faut observer et tirer, comme on dit.
    Merci.

  (1805)  

    Merci, madame O'Connell.
    Au nom du Comité, je tiens à remercier nos deux témoins.
    Je suis particulièrement reconnaissant, monsieur Taillon, du fait que quand vous avez participé à ces missions de paix, personne n'a su tirer sur vous avec assez de précision, de sorte que vous êtes ici pour faire profiter de votre sagesse.
    Monsieur Fadden, c'était un plaisir de vous revoir. Comme toujours, vous êtes concis, brillant, perspicace.
    Vos témoignages nous seront très utiles dans notre étude.
    La séance est levée.
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