Monsieur le Président, en tant qu'homme gai, je suis particulièrement fier d'être à la Chambre aujourd'hui pour parler du projet de loi C-66. Pour moi, la mesure législative est un élément important et nécessaire des excuses présentées par le premier ministre à la Chambre, il y a tout juste une semaine. Dans ces excuses, le premier ministre a reconnu que les gouvernements du Canada avaient mené des campagnes d'humiliation, d'intimidation, de licenciement et de persécution contre des Canadiens en raison de leur orientation sexuelle. La campagne a pris différentes formes: interrogatoires; pressions de dénoncer des collègues; licenciements de la fonction publique, du Service extérieur, de la GRC et des forces canadiennes. Il y a aussi eu des campagnes d'arrestation pour actes sexuels consensuels entre personnes du même sexe, menées par la police et ciblant les homosexuels, tout cela malgré le fait que la plupart des actes sexuels entre personnes du même sexe ont été légalisés en 1969.
Par ailleurs, en tant qu'homme gai d'un certain âge, je m'intéresse personnellement au projet de loi sur la radiation. Je dois probablement à la chance de ne pas avoir été pris dans les rafles visant à capturer les hommes gais dans des lieux publics, comme les 146 hommes qui ont été arrêtés lors de descentes dans deux bars gais à Montréal, en 1977 — des endroits et une année à Montréal que je connais bien. Plus de 300 hommes ont été arrêtés dans le cadre de descentes dans quatre bains publics à Toronto, en 1981.
Ce qui est important au sujet de ces deux événements est qu'ils ont donné lieu aux premières manifestations publiques contre ces campagnes d'arrestations. Quelque 2 000 personnes ont participé à celle de Montréal et quelque 3 000 personnes ont participé à celle de Toronto. Ces manifestations ont marqué le début de la résistance organisée de la communauté LGBTQ contre ces campagnes d'oppression, une résistance qui a ultimement mené au projet de loi présenté à la Chambre aujourd'hui.
Le projet de loi C-66 vise à réparer certaines des injustices découlant de ces campagnes, car elles ont eu de réelles répercussions sur les personnes ciblées. Il n'est toutefois pas possible de corriger tous les torts, particulièrement parce que, dans plusieurs cas, les personnes arrêtées ont été humiliées publiquement lorsque leur nom a été publié dans les médias. Cela se passait, en effet, à une époque où ils n'était pas courant, ni acceptable socialement, d'annoncer qu'on n'était pas hétérosexuel. Les personnes reconnues coupables avaient beaucoup de difficulté à conserver leur emploi et, en cas de congédiement, à en trouver un nouveau, puisque la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n'est devenue illégale, dans la plupart des juridictions, que dans les années 1990; à noter que ce changement avait déjà été fait au Québec en 1977, et au Manitoba en 1986.
Les fonctionnaires fédéraux qui avaient été congédiés ont intenté un recours collectif, et l'entente de principe à ce sujet a été conclue quelques jours à peine avant les excuses. Le règlement de ce recours collectif procurera un certain dédommagement financier aux personnes qui sont toujours en vie actuellement et qui avaient été congédiées. Cela dit, les campagnes menées contre les relations sexuelles consensuelles avec des personnes de même sexe ont conduit à des condamnations qui ont encore des répercussions aujourd'hui.
Les gens qui ont un casier judiciaire n'ont toujours pas le droit de faire du bénévolat auprès de personnes vulnérables. Ils ne peuvent donc pas servir de modèle à suivre pour les jeunes LGBTQ2, être parents d'accueil, ou faire du bénévolat auprès d'aînés atteints de démence. De plus, avoir un casier judiciaire limite grandement les possibilités de voyager à l'étranger.
Bien que je sois heureux de voir ce projet de loi progresser rapidement à la Chambre, je me dois de rappeler à mes collègues que beaucoup de gens de ma communauté attendaient ce moment depuis des décennies. Plusieurs croyaient ne jamais le voir arriver et certains ne sont effectivement plus là pour le voir, soit parce qu'il a fallu trop de temps avant qu'il arrive, soit parce que les campagnes en question ont détruit leur carrière et leur vie, ce qui les a poussés au suicide.
En 1992, le député néo-démocrate Svend Robinson a porté la question des purges ciblant les gais à l'attention du premier ministre conservateur Mulroney, qui lui a répondu que « si » de telles campagnes avaient eu lieu, elles auraient constitué une violation des droits de la personne et justifié la tenue d'une enquête. C'était il y a 25 ans, et cette intervention n'avait pas eu de suite.
Des militants de la communauté LGBTQ ont demandé officiellement pour la première fois des excuses en 1998, il y a près d'une décennie, mais le gouvernement libéral de l'époque n'avait rien fait. En 2014, la députée néo-démocrate de longue date, la première à avoir annoncé qu'elle était lesbienne, Libby Davies, a présenté une motion demandant des excuses. Aussi en 2014, le député néo-démocrate Philip Toone a présenté un projet de loi visant l'élimination des casiers judiciaires injustifiés.
Si on regarde le combat de la communauté LGBTQ2 pour l'obtention d'excuses et l'élimination de ces casiers judiciaires depuis 25 ans, il faut employer des mots comme « rapide » et « expéditif » avec parcimonie en ce qui concerne la reconnaissance, par le Parlement, des traitements injustes à l'endroit de cette communauté et la réponse adéquate à ces traitements.
Malgré tout, je considère qu'il s'agit d'excuses sincères. J'espère qu'elles ouvriront la voie non seulement à la correction des erreurs du passé, mais aussi à l'élimination de la discrimination continue à l'endroit des membres de ma communauté, notamment en ce qui concerne l'interdiction aux gais de donner du sang, la mise en oeuvre complète du projet de loi C-16 pour le traitement équitable des Canadiens transgenres et à genre variable et la prise en compte des préoccupations des Canadiens bispirituels chaque fois qu'il est question de réconciliation.
J'en profite pour répéter la position du NPD par rapport au projet de loi: nous sommes d'avis que le projet de loi devrait être adopté rapidement, car il prévoit des moyens pour régler les problèmes qui ont été soulevés depuis son dépôt.
Il est regrettable qu'on ait rédigé le projet de loi sans consulter la communauté concernée, ni les nombreux chercheurs et militants qui travaillent sur ce dossier. Je pense à Gary Kinsman et à Patrizia Gentile, auteurs d'un ouvrage sur la question intitulé The Canadian War on Queers, publié en 2010. Pour une quelconque raison, le gouvernement libéral a tenu à tenir séparées les consultations sur la réparation de celles sur les excuses officielles.
Pour ce qui est du contenu du projet de loi C-66, il y a bien sûr une omission majeure. En effet, les infractions relatives aux maisons de débauche sont exclues de la liste des infractions pouvant faire l'objet d'une demande de radiation, bien que les descentes dans les bars gais et les bains publics comptaient parmi les principaux moyens de persécution contre les hommes homosexuels. Cette omission est étrange, étant donné que, dans ses excuses officielles, le premier ministre a lui-même clairement indiqué que l'application des dispositions relatives aux maisons de débauche contre la communauté LGBTQ2 était discriminatoire, et a évoqué précisément les descentes contre les bains publics et les pièges tendus par la police. Aussi, il semble injuste que la portée des excuses du premier ministre dépasse la liste des infractions proposées dans le projet de loi.
Certains se demanderont peut-être pourquoi je m'obstine à dire qu'il faut aller de l'avant avec ce projet de loi malgré la lacune qu'il comporte. L'article 23 du projet de loi permet au Cabinet d'ajouter par décret des infractions à l'annexe. J'espère que le gouvernement libéral tiendra compte des questions qui ont été soulevées et qui ont fait l'objet d'un débat aujourd'hui dans cette enceinte, et qu'il donnera suite aux excuses présentées en ajoutant à l'annexe, après l'adoption du projet de loi, les infractions liées aux maisons de débauche. Les néo-démocrates seront là pour le rappeler aux libéraux, si ceux-ci oublient de le faire ou tardent à le faire.
Certains ont dit craindre que des infractions ajoutées plus tard puissent avoir un statut inférieur et être facilement supprimées par un futur gouvernement. J'aimerais attirer l'attention sur le témoignage de hauts fonctionnaires devant le comité de la sécurité publique lundi dernier. Ceux-ci nous ont donné l'assurance que, une fois les infractions ajoutées à l'annexe, une mesure législative serait nécessaire pour les supprimer.
Pour ce qui est de la question de s'assurer qu'il n'y ait aucun obstacle à ce que des citoyens LGBTQ2 puissent recourir au processus de radiation, les hauts fonctionnaires de Sécurité publique, de la Justice et de la Commission des libérations conditionnelles nous ont de nouveau rassurés. Tout d'abord, ils ont confirmé qu'il n'y aurait pas de frais exigés pour la présentation d'une demande de radiation. Ensuite, le haut fonctionnaire de la Commission des libérations conditionnelles a donné l'assurance que le processus de demande demeurerait simple et que des employés aideraient les citoyens à présenter leur demande, de sorte que ceux-ci n'aient pas à retenir les services d'un avocat pour ce faire.
D'autres personnes se demandent ce qui constituerait une preuve de consentement dans le cadre de condamnations qui sont souvent fort anciennes et pour lesquelles le consentement n'a pas été pris en considération. Le projet de loi précise que l'activité sexuelle doit avoir été consensuelle. Encore une fois, les fonctionnaires ont rassuré le comité de la sécurité publique en lui disant que cette question est traitée au paragraphe 7(3), qui autorise les déclarations sous serment quand des documents fournissant des éléments de preuve sur la question de consentement ne sont pas disponibles. En outre, dans l'énoncé concernant la Charte se rapportant au projet de loi C-66, qui a été déposé hier, il est indiqué très clairement que, « conformément aux articles 12 et 13, la Commission doit procéder à la radiation s’il n’y a pas de preuve que les critères applicables ne sont pas satisfaits ».
Quant aux dispositions concernant l'âge du consentement, les fonctionnaires ont signalé que les dispositions en vigueur au moment de la condamnation qui prévoyaient une exemption de proximité d'âge continueraient de s'appliquer.
Je prends la parole aujourd'hui en tant que fier membre de la communauté LGBTQ2 et député d'une enceinte qui a reconnu les campagnes de persécutions historiques menées contre ma communauté, a offert des excuses pour ces injustices et, en présentant ce projet de loi, a entamé le processus de réparation pour que les excuses soient complètes.
La communauté LGBTQ2 attend depuis des décennies cet aveu et ces excuses. Je me réjouis donc du fait que l'étude du projet de loi avance rapidement, même si les choses ont démarré très lentement.
Comme je l'ai déjà dit, j'espère, tout comme ma communauté, que les excuses présentées marqueront un tournant et ouvriront la voie non seulement à la réparation d'injustices historiques, mais aussi à l'élimination de la discrimination continue.
Les membres de la communauté LGBTQ2 qui ont été victimes de campagnes de persécution ne devraient pas avoir à attendre plus longtemps pour la radiation de ces condamnations injustes. Nous avons fait beaucoup de progrès, mais il reste encore du travail à faire.