Les projets de loi émanant des députés

Les projets de loi émanant des députés se divisent en deux catégories : les projets de loi d’intérêt public et ceux d’intérêt privé. Les projets de loi d’intérêt public portent sur des politiques publiques de compétence fédérale tandis que les projets de loi d’intérêt privé traitent de questions présentant un intérêt particulier pour des personnes ou sociétés précises et visent à conférer à leurs bénéficiaires des pouvoirs ou avantages spéciaux ou à les exclure de l’application générale d’un texte de loi. La grande majorité des projets de loi émanant des députés sont d’intérêt public. Les procédures relatives aux projets de loi d’intérêt public sont décrites dans le présent chapitre tandis que celles qui ont trait aux projets de loi d’intérêt privé sont expliquées au chapitre 23, « Les projets de loi d’intérêt privé ».

Préparation

Un projet de loi émanant d’un député est habituellement rédigé avec l’aide d’un conseiller législatif du Bureau du légiste et conseiller parlementaire, qui s’assure de la pertinence du texte compte tenu des lois existantes, des conventions en matière de rédaction, des règles constitutionnelles et des exigences quant à la forme. Pour rédiger le projet de loi, le conseiller législatif suit les instructions précises du député sur les motifs et les objectifs de la mesure proposée. Le conseiller législatif doit, conformément au Règlement, certifier que le texte se présente sous une forme correcte56. La copie certifiée du projet de loi est ensuite envoyée au député. Tous les projets de loi d’intérêt public émanant des députés doivent être certifiés de la sorte.

Limitations financières

La Loi constitutionnelle de 1867 et le Règlement exigent que les projets de loi proposant la dépense de fonds publics soient accompagnés d’une recommandation royale, qui ne peut être obtenue que par le gouvernement et présentée que par un ministre57. Comme un ministre ne peut proposer d’affaires émanant des députés, un projet de loi émanant d’un député ne devrait donc pas contenir de dispositions prévoyant l’engagement de fonds publics.

Toutefois, depuis 1994, un député peut présenter un projet de loi d’intérêt public qui contient de telles dispositions et qui pourra suivre le processus législatif, pourvu qu’une recommandation royale soit fournie par un ministre avant que le projet de loi ne franchisse la troisième lecture58. Avant 1994, la recommandation royale devait accompagner le projet de loi au moment de sa présentation.

C’est le Président qui détermine si un projet de loi nécessite une recommandation royale. Si le projet de loi n’est toujours pas accompagné d’une telle recommandation lorsque la Chambre est prête à statuer sur la motion de troisième lecture, le Président est autorisé à mettre fin aux travaux et à déclarer le projet de loi irrecevable59. Il incombe au Président d’assurer le respect des règles constitutionnelles énoncées dans le Règlement de la Chambre. Il n’y a pas, dans le Règlement, de disposition en matière de procédure financière qui permette au Président de laisser la Chambre décider. La Chambre ne peut pas recourir au consentement unanime pour passer outre à des dispositions législatives ou constitutionnelles60. Par ailleurs, la nécessité d’une recommandation royale n’est pas un critère pour déterminer si un projet de loi émanant d’un député est votable ou non votable61.

En ce qui touche à la fiscalité, un député ne peut présenter des projets de loi qui imposent des taxes. Ce pouvoir de taxation appartient uniquement au gouvernement et toute mesure législative visant à accroître les taxes doit être précédée d’une motion des voies et moyens62. Or, seul un ministre peut présenter une telle motion. Toutefois, les projets de loi émanant des députés qui visent à réduire les taxes, à réduire l’incidence d’une taxe, ou encore à imposer ou à accroître une exemption de taxe sont acceptables63. Advenant qu’un projet de loi émanant d’un député inscrit à l’ordre de priorité soit rayé du Feuilleton parce qu’il devait être précédé d’une motion des voies et moyens, le Règlement permet à son parrain, dans les cinq jours de séance suivant le retrait de la mesure législative, de signifier par écrit qu’il ajoute une nouvelle affaire à l’ordre de priorité64.

Avis

Une fois qu’un projet de loi a été rédigé et certifié par le Bureau du légiste et conseiller parlementaire, le député doit transmettre un préavis de 48 heures de son intention de le présenter et y préciser le comité (permanent, spécial ou législatif65) auquel le projet de loi sera renvoyé après la deuxième lecture. Le titre du projet de loi et le nom de son parrain sont alors publiés dans le Feuilleton des avis. Une fois le délai de préavis de 48 heures expiré, le projet de loi peut être présenté et franchir l’étape de la première lecture durant les Affaires courantes lorsque le député est prêt66.

Affaires semblables

Si le Président juge qu’un projet de loi à propos duquel un avis a été donné est substantiellement identique à une autre affaire déjà soumise par un autre député, il peut refuser l’avis le plus récent. Dans ce cas, le député qui parraine la mesure en est informé et le projet de loi lui est retourné67. Cette procédure vise à empêcher qu’un certain nombre d’affaires semblables soient inscrites dans l’ordre de priorité. Dans une décision rendue en 1989, le Président Fraser a précisé que deux affaires ou plus sont substantiellement identiques si elles ont le même but et si elles visent à atteindre ce but par les mêmes moyens68. Cette conclusion a été réitérée par le Président Milliken dans une décision rendue en novembre 200669. Ainsi, plusieurs projets de loi peuvent porter sur le même sujet, mais si leur optique est différente, la présidence pourrait juger qu’ils sont suffisamment distincts70.

Lorsque le Sénat adopte un projet de loi dont il a été saisi en premier, un message est adressé à la Chambre pour l’en informer et lui demander de l’adopter. Le Président donne lecture du message à la Chambre, et le projet de loi est inscrit au Feuilleton sous la rubrique « Première lecture des projets de loi d’intérêt public émanant du Sénat ». Aucun avis n’est nécessaire. S’il s’agit d’un projet de loi d’intérêt public émanant d’un sénateur, il est inscrit automatiquement dans l’ordre de priorité après la première lecture. Comme aucun avis n’est nécessaire, même si le projet de loi est substantiellement identique à un projet de loi émanant d’un député qui a déjà été déposé à la Chambre, il est recevable parce que les dispositions du Règlement qui habilitent le Président à refuser l’avis d’un projet de loi semblable ou identique ne s’appliquent pas71.

On s’est déjà demandé si un projet de loi émanant d’un député semblable à un projet de loi émanant du gouvernement pouvait être inscrit au Feuilleton et débattu. Selon les ouvrages faisant autorité et les décisions passées, rien n’empêche que des affaires semblables soient inscrites au Feuilleton en même temps. Toutefois, comme la Chambre ne peut prendre plus d’une décision sur une affaire donnée durant une session, la prise d’une décision sur l’un de ces projets de loi empêchera de débattre de tout autre projet de loi semblable72. L’étude de projets de loi désignés non votables, s’ils sont rayés du Feuilleton après débat, n’empêche pas l’examen d’autres projets de loi similaires ou même identiques puisque la Chambre n’a pas à se prononcer sur les affaires non votables73.

Appuyeurs

Un député qui aimerait appuyer un projet de loi déjà inscrit au Feuilleton peut en informer le Greffier de la Chambre par écrit. Son nom sera ajouté à la liste des appuyeurs dans le Feuilleton. Une fois que l’ordre portant deuxième lecture a été proposé à la Chambre, aucun autre nom ne peut toutefois être ajouté74. Au plus, 20 députés peuvent appuyer conjointement une affaire inscrite sous les Affaires émanant des députés75. Le député qui appuie les motions de présentation et de première lecture du projet de loi à la Chambre de même qu’au cours des étapes subséquentes n’a pas à être l’un des appuyeurs mentionnés dans le Feuilleton76.

Présentation et première lecture de projets de loi émanant des députés

Pour pouvoir être inscrits dans l’ordre de priorité, les projets de loi émanant des députés qui ont pris naissance à la Chambre doivent avoir été présentés et avoir franchi la première lecture. Si un député inscrit à la Liste portant examen des affaires émanant des députés est sur le point de pouvoir présenter pour débat une affaire qui est un projet de loi, il devra le faire au plus tard le jour où l’ordre de priorité est établi ou complété77. Le jour où le député choisit de présenter son projet de loi, cela se fait durant les Affaires courantes, lorsque le Président appelle la rubrique « Dépôt de projets de loi émanant des députés »78. Ayant été prévenu à l’avance par le député, le Président annonce ensuite le titre du projet de loi et la motion demandant la permission de présenter le projet de loi est automatiquement adoptée, sans débat ni amendement ni mise aux voix79. Le député est alors autorisé à donner une brève explication afin de décrire les motifs du projet de loi80. Ce dernier est ensuite adopté d’office en première lecture et son impression est ordonnée, toujours sans débat, ni amendement, ni mise aux voix81.

Le projet de loi est ensuite placé dans la liste des « Affaires émanant des députés — Affaires qui ne font pas partie de l’ordre de priorité » (cette liste peut être consultée dans la version électronique du Feuilleton ; elle ne figure pas dans sa version imprimée). Une fois sur cette liste, le projet de loi attend d’être placé à l’ordre de priorité des Affaires émanant des députés au Feuilleton.

Projets de loi d’intérêt public émanant du Sénat et parrainés par des députés

Certains projets de loi d’intérêt public présentés par des députés sont déposés en premier au Sénat et sont ensuite envoyés aux Communes après leur adoption au Sénat. Lorsque le Président appelle la rubrique « Première lecture des projets de loi d’intérêt public émanant du Sénat », sous les Affaires courantes, le député parrainant ce projet de loi à la Chambre a le droit d’expliquer brièvement les motifs de la mesure sans toutefois s’engager dans un débat82. La motion de première lecture est ensuite adoptée d’office sans débat, ni amendement, ni mise aux voix, et le projet de loi est automatiquement ajouté au bas de l’ordre de priorité83. Un député qui parraine un projet de loi d’intérêt public du Sénat ou un projet de loi d’intérêt privé d’une des deux chambres conserve son rang dans la Liste portant examen des affaires émanant des députés. Toutefois, chaque député ne peut parrainer qu’un projet de loi de ce genre au cours d’une législature84.