La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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3. Les privilèges et immunités

Les droits et immunités des députés

Les droits, privilèges et immunités des députés sont limités, en ce sens qu’ils sont déterminés d’avance et qu’ils ne peuvent être élargis, sauf aux termes d’une loi ou, dans certains cas, d’un amendement constitutionnel, et que leur application peut être examinée par les tribunaux. De plus, leurs privilèges n’existent pas « au sens absolu du terme »; ils ne s’appliquent que dans le contexte prévu, c’est-à-dire, normalement, dans l’enceinte du Parlement et dans le cadre des délibérations du Parlement. Compte tenu de la responsabilité qu’ont les tribunaux de faire respecter la Charte canadienne des droits et libertés de même que la Déclaration canadienne des droits, les députés doivent éviter de créer inutilement des situations où leurs droits parlementaires entreraient en conflit avec les droits privés et d’amener ainsi les tribunaux à être saisis de litiges concernant l’exercice du privilège parlementaire.

La liberté de parole

Le droit de loin le plus important qui soit accordé aux députés est celui de l’exercice de leur liberté de parole dans le cadre des délibérations parlementaires. On l’a décrit comme :

[…] un droit fondamental, sans lequel ils [les députés] ne pourraient remplir convenablement leurs fonctions. Cette liberté leur permet d’intervenir sans crainte dans les débats de la Chambre, de traiter des sujets qu’ils jugent pertinents et de dire tout ce qui, à leur avis, doit être dit pour sauvegarder l’intérêt du pays et combler les aspirations de leurs électeurs [108] .

Il s’est écrit beaucoup de choses sur ce sujet au cours des siècles — en Grande-Bretagne, au Canada et dans tout le Commonwealth [109] .

Dans Odgers’ Australian Senate Practice, ce privilège est décrit en des termes plus larges comme étant l’immunité de mise en accusation ou d’interrogatoire devant les tribunaux pour tout ce qui a trait aux délibérations du Parlement [110] . On y affirme également que c’est la seule immunité que possèdent les deux chambres du Parlement et leurs membres ainsi que les comités en ce qui touche la teneur des propos tenus dans le cours des délibérations [111] . Il y a deux types d’immunité. « Il y a, premièrement, l’immunité de poursuite civile ou criminelle et l’immunité d’examen judiciaire, dont bénéficient les parlementaires, les témoins et les autres personnes qui participent aux travaux du Parlement, […] et, deuxièmement, l’immunité de contestation et de mise en cause judiciaires, qui protège les délibérations parlementaires proprement dites [112] . »

L’existence légale du privilège parlementaire relatif à la liberté de parole remonte à l’adoption du Bill of Rights anglais en 1689. Même s’il visait à contrecarrer les attaques de la part de la Couronne, il interdisait également toute poursuite de la part d’une personne de l’extérieur de la Chambre contre un député pour ce qu’il pouvait avoir dit ou fait au Parlement. L’article 9 de ce texte de loi établit que « l’exercice de la liberté de parole et d’intervention dans les débats et délibérations du Parlement ne peut être contesté ou mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu’au Parlement » [113] .

Les délibérations du Parlement

Le Bill of Rights anglais ne contient aucune définition de l’expression « délibérations du Parlement » et, comme le fait remarquer May, même si les tribunaux, tant au Royaume-Uni qu’ailleurs, ont commenté cette expression, il n’est ressorti de la jurisprudence aucune orientation ou définition précise [114] . Maingot a également étudié très attentivement cette expression [115] . Dans un texte annexé au rapport de 1967 du Select Committee on Parliamentary Privilege du Royaume-Uni, le Greffier de la Chambre des communes britannique écrit à propos de cette expression :

Le mot « délibérations », dans le sens premier qu’on lui donne dans le langage parlementaire (on l’emploie couramment dès le dix-septième siècle), désigne une activité officielle, généralement en vue de prendre une décision, accomplie par la Chambre dans l’exercice de sa compétence collective. Cette définition englobe, naturellement, les autres formes que peuvent prendre les travaux de la Chambre ainsi que l’ensemble du processus parlementaire, au cœur duquel se situent les débats et par lequel la Chambre en arrive à prendre des décisions.
C’est généralement en s’exprimant verbalement qu’un député prend part à ces délibérations, mais également en posant divers actes officiellement reconnus, comme voter, donner avis d’une motion, etc., ou encore présenter une pétition ou un rapport de comité, la plupart de ces actes permettant de faire l’économie du temps de parole au cours des délibérations. Les fonctionnaires de la Chambre participent à ses délibérations principalement en donnant suite aux ordres de la Chambre, qu’ils soient généraux ou particuliers. Des étrangers peuvent également participer aux délibérations de la Chambre, par exemple en comparaissant devant l’un de ses comités, ou encore en soumettant des pétitions en faveur ou contre des projets de loi d’initiative privée.
En prenant part aux délibérations de la Chambre, les députés, les fonctionnaires et les étrangers sont protégés au même titre qu’ils le sont dans l’exercice de leur liberté de parole, en ce sens qu’ils ne peuvent être tenus, par quelque autre autorité que la Chambre elle-même, de rendre compte de leurs actes.
En insérant le mot « délibérations » dans le Bill of Rights, le Parlement a donné force de loi au contenu de déclarations antérieures des Communes concernant le privilège de la liberté de parole, par exemple dans la Protestation de 1621, où on soutenait :
[…] que, dans le traitement et l’examen de ces questions, tout député a et doit avoir de droit la liberté de parole pour soumettre, traiter, analyser, et contribuer à résoudre ces questions […] et que tout député jouit également de l’immunité de mise en accusation et d’emprisonnement et de la protection contre toute attaque (à l’exception d’un blâme de la Chambre elle-même) à propos de toute intervention, argumentation ou déclaration concernant une ou des questions touchant le Parlement ou ses travaux (1 Rushworth, 53).
Dans le rapport qu’il a présenté au cours de la session 1938-1939, le Select Committee on the Official Secrets Acts donne un aperçu de ce que recouvre ce terme.
Il désigne aussi bien le fait de poser une question que celui d’en donner avis par écrit; il englobe en réalité tout ce que dit ou fait un député dans l’exercice de ses fonctions comme membre d’un comité de l’une ou l’autre des deux chambres, de même que tout ce qui se dit ou se fait à l’une ou l’autre des deux chambres dans le cadre des travaux parlementaires [116] .

En Australie, le Commonwealth Parliament a adopté le Parliamentary Privileges Act 1987 qui définit les « délibérations du Parlement » en ces termes :

[…] tout ce qui se dit ou se fait dans le cadre des travaux d’une Chambre ou d’un comité ou en relation avec ces travaux, notamment et sans limiter la généralité de ce qui précède :
(a)
le fait de témoigner devant une Chambre ou un comité et le témoignage lui-même;
(b)
la présentation d’un document à une Chambre ou à un de ses comités;
(c)
la préparation d’un document à ces mêmes fins ou à des fins connexes;
(d)
la rédaction, la production ou la publication d’un document, y compris un rapport, par suite d’un ordre d’une Chambre ou d’un comité et le document lui-même [117] .

Au Canada, il n’y a pas de définition légale de l’expression « délibérations du Parlement ». En se fondant sur les nombreux jugements rendus par les tribunaux qui ont eu à appliquer le droit relatif au privilège parlementaire, il ressort clairement que les tribunaux ont une bonne compréhension du sens de cette expression et la considèrent comme faisant partie intégrante du droit canadien. Ils se sont toutefois montrés réticents à étendre en dehors du cadre des délibérations parlementaires la portée de l’immunité découlant de la règle de la liberté de parole. Autrement dit, bien que le rôle du député ait considérablement évolué depuis le dix-septième siècle, à l’époque où cette règle a été énoncée dans le Bill of Rights, les tribunaux ont, à quelques exceptions près, restreint l’application de cette immunité au rôle traditionnel des députés comme législateurs et participants aux débats parlementaires [118] .

L’importance de la liberté de parole

La liberté de parole permet aux députés de formuler librement toute observation à la Chambre ou en comité en jouissant d’une complète immunité de poursuite [119] . Cette liberté est essentielle à la conduite efficace des travaux de la Chambre. Elle permet aux députés de faire, à propos d’organismes ou de personnes de l’extérieur, des déclarations ou des allégations qu’ils hésiteraient peut-être à faire sans la protection du privilège. Bien qu’elle soit souvent critiquée, la liberté dont jouit le député de formuler des allégations qu’il croit sincèrement fondées, ou qui, selon lui, mériteraient à tout le moins de faire l’objet d’une enquête, est fondamentale. Tout comme les tribunaux, la Chambre des communes ne saurait mener efficacement ses travaux si les députés ne pouvaient pas s’y exprimer en toute liberté et y formuler des critiques sans devoir en rendre compte à des organismes de l’extérieur. Il n’y aurait pas de liberté de parole si tout devait être prouvé avant même d’être exprimé. En 1984, le Président Bosley a été appelé à se prononcer sur un cas de cette espèce en répondant à une question de privilège [120] . Ayant jugé qu’il n’y avait pas de prime abord matière à question de privilège, le Président a affirmé : « Les députés ont le privilège absolu d’intervenir à la Chambre ou aux comités et il serait très difficile de juger qu’une déclaration faite sous le couvert de l’immunité parlementaire constitue une violation des privilèges » [121] . Reprenant un point de vue déjà exprimé par le Président Michener, il a poursuivi en faisant remarquer qu’à moins qu’une telle conduite n’ait eu pour effet de nuire à d’autres députés ou à la Chambre, « la conduite d’un député, même si elle était répréhensible, ne pouvait pas donner lieu à une question de privilège bien qu’elle puisse être à la base d’une accusation par le biais d’une motion de fond… » [122] . Il faudrait garder à l’esprit que ce droit s’étend également aux personnes sommées de comparaître devant la Chambre ou l’un de ses comités [123] .

Les limites de la liberté de parole

Propos tenus en dehors des délibérations

Le privilège de la liberté de parole n’est pas sans bornes, et il subsiste à cet égard des zones grises. Les députés peuvent avoir la certitude que les propos qu’ils tiennent à la Chambre et à l’occasion d’autres délibérations officielles bénéficient de l’immunité, mais ils ne peuvent savoir avec assurance jusqu’où va par ailleurs leur liberté de parole et d’action en tant que parlementaires [124] . Leur privilège parlementaire de liberté de parole s’applique à ce qu’ils expriment à la Chambre et dans le cadre des autres travaux de la Chambre, mais pas nécessairement aux comptes rendus qu’en donnent les journaux ou autres sources extérieures au Parlement. Par exemple, un député qui diffuse ses propos autrement que par la voie du compte rendu officiel ne bénéficie pas forcément de son privilège parlementaire [125] .

Les députés sont donc prévenus que leurs déclarations, qui sont absolument protégées par le privilège quand elles sont faites à l’occasion des délibérations parlementaires, ne le sont pas nécessairement quand elles sont reprises dans un autre contexte, comme dans un communiqué de presse, dans un envoi postal collectif, dans un télégramme, sur un site Internet, dans une entrevue télévisée ou radiodiffusée, dans une assemblée publique ou à leur bureau de circonscription. Les députés agissent également à leurs risques quand ils communiquent, autrement que dans le cadre de délibérations parlementaires, des documents susceptibles d’être considérés comme diffamatoires. C’est ainsi que les observations que formule un député lors d’une assemblée à laquelle il participe en sa qualité de représentant élu — mais ailleurs que dans l’enceinte du Parlement — ne seraient pas protégées par ce privilège spécial, même s’il ne s’agissait que de citations de ses propres propos tirées des Débats de la Chambre des communes [126] . Il ne devrait donc pas se servir des moyens de télécommunication, y compris des nouvelles technologies comme le courrier électronique, le télécopieur et l’Internet, pour transmettre du matériel qui pourrait être considéré comme diffamatoire.

La publication de textes diffamatoires a été considérée par la plupart des tribunaux comme n’étant pas protégée par le privilège parlementaire dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le processus parlementaire [127] . Les tribunaux optent systématiquement pour une interprétation « fonctionnelle » du privilège parlementaire, en ce sens que lorsqu’ils sont appelés à examiner toute nouvelle situation dans laquelle un député peut s’être placé, ils le font selon la fonction et le but pour lesquels le privilège parlementaire avait été institué au départ, à savoir permettre aux députés de débattre sans crainte au Parlement des politiques gouvernementales. C’est ainsi que même la correspondance entre deux députés sur une politique donnée peut ne pas être considérée comme protégée par le privilège [128] .

L’exercice abusif de la liberté de parole

Le privilège de la liberté de parole étant une immunité qui confère un redoutable pouvoir à ses bénéficiaires, la présidence a à l’occasion mis les députés en garde contre son utilisation abusive. Dans une décision concernant une question de privilège [129] , le Président Fraser a exhorté les députés à faire très attention lorsqu’ils formulent des questions concernant les lignes directrices sur les conflits d’intérêts. Comme la question soulevée touchait à la nature même des droits et immunités des députés, il a longuement insisté sur l’importance de la liberté de parole et sur la nécessité pour les députés d’être prudents dans leurs propos :

Seulement deux sortes d’institutions de ce pays jouissent de ce privilège très impressionnant [celui de la liberté de parole] — le Parlement et les Assemblées législatives d’une part, les tribunaux de l’autre. Ces institutions sont protégées par le privilège absolu parce qu’il faut absolument pouvoir dire la vérité, poser n’importe quelles questions et discuter en toute liberté. Le privilège absolu permet à ceux qui assument leurs fonctions légitimes dans ces institutions très importantes de l’État de ne pas être exposés à d’éventuelles poursuites judiciaires. C’est nécessaire dans l’intérêt national : cette protection est d’ailleurs jugée nécessaire depuis des siècles dans notre régime démocratique. Il permet à notre système judiciaire et à notre système parlementaire de fonctionner en toute liberté.
Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. Les conséquences d’un abus risquent d’être terribles. Des innocents risquent d’être victimes de diffamation sans avoir aucun recours. Des réputations risquent d’être ruinées par de fausses rumeurs. Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre [130] .

Dans une décision sur un rappel au Règlement, le Président Parent a lui aussi insisté sur la nécessité pour les députés de faire preuve d’une grande prudence en utilisant leur droit de s’exprimer librement à la Chambre : « […] la liberté de parole est un élément fondamental de notre régime politique et parlementaire. Tout député a le droit de se lever à la Chambre et d’exprimer librement son opinion. Toutefois, lorsque le débat porte sur un sujet délicat, comme c’est souvent le cas, les députés doivent songer aux répercussions possibles de leurs déclarations et, par conséquent, être prudents dans le choix des mots et du ton employés » [131] .

La présidence a parfois fait valoir que même s’il est nécessaire que les députés puissent exprimer librement et directement leurs opinions, il est également important que la réputation de citoyens ne soit pas injustement attaquée. En se prononçant sur une question de privilège [132] , le Président Fraser s’est dit préoccupé de ce que le nom d’une personne qui n’était pas député ait été mentionné et a fait remarquer que certains des députés qui avaient participé à la discussion sur la question de privilège partageaient son malaise à cet égard. Il a poursuivi en disant : « Cependant, nous vivons à une époque où tout ce qui se dit dans cette enceinte est répété dans tout le pays, et c’est pourquoi j’ai signalé et je répète qu’il convient de se montrer prudent et de se rappeler qu’il ne faut pas abuser de ce grand privilège qui est le nôtre ».

Dans une décision ultérieure sur un rappel au Règlement [133] , le Président Fraser a signalé que l’utilisation d’expressions imagées ou d’insinuations à l’égard de personnes ou de leur association à d’autres personnes suscitent parfois de vives réactions qui, inévitablement, sèment la pagaille à la Chambre. Il s’est dit encouragé par les observations des députés, qui dénotent généralement une volonté de maintenir un certain décorum, dans l’intérêt de la Chambre et de l’image qu’elle projette dans le public. À propos des références à des personnes à l’extérieur de la Chambre, il s’est dit d’accord avec la suggestion que la Chambre fasse preuve de considérablement de retenue « […] lorsqu’on fait, au sujet de quelqu’un qui n’est pas à la Chambre, des observations qui seraient considérées comme diffamatoires si elles étaient faites à l’extérieur de la Chambre » [134] .

La convention du sub judice

Il existe d’autres restrictions à l’exercice du privilège de la liberté de parole, tout particulièrement la convention du sub judice [135]. Il est couramment admis que l’on devrait, dans l’intérêt de la justice et du « fair play », imposer certaines limites à la liberté qu’ont les députés de se référer, dans le cours des délibérations, à des affaires en instance devant les tribunaux. On s’entend également pour dire que ces affaires ne devraient faire l’objet ni de motions ni de questions à la Chambre. L’interprétation de cette convention, par ailleurs vaguement définie, est laissée au jugement du Président. Le terme « convention » est employé à dessein, car il n’existe aucune « règle » pour interdire aux parlementaires d’aborder une affaire en instance devant les tribunaux (c’est-à-dire dont un juge ou un tribunal d’archives est saisi). La Chambre tient à s’imposer de telles limites pour empêcher que le fait de débattre publiquement de l’affaire ne cause préjudice à l’accusé ou à une partie au procès ou à l’enquête judiciaire [136] . Bien qu’il existe une certaine jurisprudence pouvant servir de guide à la présidence, on n’a jamais pris soin de codifier cette pratique au Canada [137] .

La convention du sub judice est importante dans la conduite des travaux de la Chambre. Elle protège les droits des parties à un procès devant les tribunaux et préserve et maintient la séparation et le respect mutuel entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. La convention concilie la liberté de parole avec la nécessaire existence d’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial.

De la façon dont l’usage a évolué, c’est maintenant la présidence elle-même qui établit quelle est sa compétence relativement aux affaires en instance devant les tribunaux. En 1977, le Comité spécial sur les droits et immunités des députés a recommandé, dans son premier rapport [138] , que l’imposition de la convention soit discrétionnaire et que, si la situation n’est pas claire, la présidence favorise la poursuite du débat plutôt que d’appliquer la convention. Depuis la présentation de ce rapport, la présidence a suivi ces lignes directrices dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

L’autorité de la présidence

La liberté de parole des députés est également limitée du fait qu’aux termes du Règlement de la Chambre, la présidence a le pouvoir de maintenir l’ordre et le décorum et, au besoin, d’ordonner à un député de regagner son siège si, par exemple, il persiste, dans le cours d’un débat, à s’éloigner du sujet ou ne fait que se répéter, ou encore de désigner par son nom un député qui passe outre à l’autorité de la présidence et de lui ordonner de se retirer [139] .

L’immunité d’arrestation dans les affaires civiles

L’immunité d’arrestation en matière civile [140]  est le plus ancien privilège de la Chambre des communes; au Royaume-Uni, elle a été accordée aux députés avant même la liberté de parole [141] . Cette immunité existe du fait que la Chambre jouit d’un droit prioritaire de bénéficier de la présence et des services de ses députés, à l’abri de toute contrainte ou intimidation. Elle s’applique notamment dans le cas où un député devrait normalement faire l’objet d’une arrestation dans une affaire civile. Elle ne vaut pour prévenir l’arrestation ou l’emprisonnement que dans des affaires civiles; elle n’interfère pas avec l’administration de la justice pénale. Ce privilège ne peut être invoqué pour des incidents à caractère criminel ou de nature criminelle, par exemple dans des cas de trahison, de félonie [142] , d’atteinte à l’ordre public, d’affaires comportant des infractions criminelles aux lois fédérales, d’infractions aux lois provinciales (à caractère quasi pénal) entraînant l’application d’une procédure sommaire prévue au Code criminel [143] , ou d’infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité [144] .

Il va sans dire que, si un député est accusé d’infraction à la loi, il doit, comme tout citoyen, se soumettre au processus normal d’exécution de la loi. Agir autrement équivaudrait à mépriser le système de justice. Le député qui commet un outrage au tribunal en matière civile est protégé par le privilège parlementaire d’immunité d’arrestation, mais l’immunité d’arrestation ne protège pas le député accusé d’une affaire criminelle [145] . Si un député est arrêté pour une infraction criminelle ou est accusé d’outrage au tribunal, les autorités judiciaires devraient en aviser la Chambre si l’incident survient en cours de session. Si un député est accusé de haute trahison ou d’une infraction criminelle, le juge ou le magistrat en informe la Chambre au moyen d’une lettre adressée à la présidence [146] .

Un député jouit du privilège d’immunité d’arrestation dès qu’il devient officiellement député, c’est-à-dire à compter du moment où le directeur du scrutin fait rapport du bref de son élection. Ce privilège s’applique pendant que la Chambre siège, de même que durant les 40 jours qui précèdent ou suivent la tenue d’une session et pendant 40 jours à compter du moment de la dissolution du Parlement [147] .

L’exemption du devoir de juré

Étant donné que la Chambre des communes a un droit prioritaire à bénéficier de la présence et des services de ses députés et que les tribunaux disposent d’un important bassin de personnes qu’ils peuvent appeler à agir comme jurés, il n’est pas essentiel que les députés soient obligés d’accepter de faire partie d’un jury. C’est ce que voulait la tradition au Royaume-Uni depuis bien avant la Confédération, et c’est la pratique au Canada depuis 1867 [148] . Le devoir des députés de s’acquitter de leurs fonctions de représentants élus est dans l’intérêt supérieur de la nation et est considéré comme ayant priorité sur toute obligation d’agir comme juré. Ce principe a d’ailleurs été reconnu en droit [149] .

L’un des droits de la Chambre est d’assurer la protection de ses fonctionnaires et de veiller à ce qu’ils puissent assister à ses délibérations. Par conséquent, les fonctionnaires de la Chambre sont dispensés de faire partie d’un jury au même titre que les parlementaires. Il en va de même des personnes sommées de comparaître devant la Chambre ou l’un de ses comités [150] .

La dispense de l’obligation de comparaître comme témoin

Étant donné le droit prioritaire de la Chambre de bénéficier de la présence et des services de ses députés quand elle est en session [151] , ceux-ci sont alors exemptés de l’obligation normalement imposée à tout citoyen de se conformer à une citation à comparaître comme témoin devant un tribunal [152] . Cette exemption s’applique aux affaires entendues par les tribunaux civils, criminels et militaires [153] . Ce privilège n’étant toutefois pas censé être utilisé pour empêcher la justice de suivre son cours, il est fréquent qu’un député renonce à l’exercer, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une poursuite pénale [154] . Un député fédéral qui a reçu en cours de session une citation à comparaître devant un tribunal peut s’y rendre s’il estime que son absence risque de perturber le cours de la justice. Il demeure cependant en droit de se prévaloir de son privilège de refuser de témoigner devant un tribunal [155] . Un député peut témoigner de son propre gré et sans aucune formalité, même un jour de séance de la Chambre [156] , mais s’il accepte de le faire, il ne peut en aucune façon invoquer le privilège et il est tenu de livrer son témoignage [157] .

Avant de pouvoir signifier à un député, à son bureau parlementaire, une assignation à comparaître devant un tribunal, on doit d’abord en obtenir l’autorisation du Président. Telle est l’opinion qu’a exprimée très fermement le Président Fraser dans une décision qu’il a rendue en mai 1989 sur une question de privilège qu’avait soulevée David Kilgour (Edmonton-Strathcona) concernant les droits des députés qui comparaissent en justice comme témoins [158] . En présentant sa question de privilège, M. Kilgour affirmait qu’en mars 1989, alors que le Parlement était prorogé, une assignation à comparaître autorisée par un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique lui avait été signifiée à son bureau de l’édifice du Centre en rapport avec une action en diffamation dont le tribunal était alors saisi. Il s’en était suivi tout un échange de correspondance, dont une lettre du légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes dans laquelle celui-ci confirmait le droit du député d’être exempté de l’obligation de témoigner devant une cour de justice. Après avoir reçu une lettre de l’un des avocats indiquant que le juge ordonnait à M. Kilgour de comparaître, le député avait donné suite à cette missive en comparaissant devant la cour de Kelowna. M. Kilgour avait toutefois refusé de se soumettre à l’interrogatoire, et, juste avant que le tribunal ne l’inculpe d’outrage au tribunal, l’avocat du demandeur avait retiré l’assignation [159] .

Dans sa décision, le Président Fraser a d’abord parlé de la façon dont l’assignation avait été signifiée au député et a fait remarquer qu’étant donné qu’en l’occurrence, l’autorisation du Président n’avait été ni demandée ni obtenue, la procédure normale n’avait pas été respectée. Il a signalé aux députés qu’ils ne devraient pas, de leur propre chef, accepter qu’on leur signifie des documents dans l’enceinte du Parlement. S’ils veulent, dans un tel cas, renoncer à leur immunité parlementaire, ils ont le loisir de le faire en quittant l’enceinte du Parlement pour recevoir la signification ailleurs. Toute autre façon d’agir, a-t-il ajouté, « compromettrait nos privilèges de longue date […] qui font partie des lois canadiennes ». Il a en outre prévenu « […] ceux qui tentent de procéder irrégulièrement à la signification d’une assignation à témoigner qu’il se peut qu’ils agissent de façon à commettre un outrage à la Chambre » [160] . Concernant le privilège d’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant une cour de justice, le Président a rappelé que, d’après May et Bourinot, même si le Parlement était prorogé, le député continuait de jouir de son immunité au cours de cette période. Cependant, étant donné que M. Kilgour avait accepté de comparaître devant le tribunal, il avait, ce faisant, essentiellement renoncé à ce privilège. Sur ce point, le Président a affirmé : « Il appert qu’en renonçant à ce privilège, en comparaissant, en prêtant serment et en répondant à certaines questions, il s’est volontairement soumis à la juridiction de la cour. Une fois qu’il a renoncé à ce privilège, le député abdique la protection que celui-ci implique ». Le Président s’est dit très déconcerté du fait que l’avocat des demandeurs dans la cause en question ait mis en doute le droit de M. Kilgour « d’invoquer l’immunité parlementaire, alléguant qu’il appartenait à la cour d’en décider ». Il a ensuite précisé « […] pour mémoire, que le droit d’un député de refuser de comparaître comme témoin devant un tribunal au cours d’une session du Parlement et dans les 40 jours qui précèdent ou suivent une telle session est un droit indiscuté et inaliénable appuyé par une foule de précédents ». Il a pressé les députés « […] de refuser à l’avenir d’accepter une assignation dans l’enceinte du Parlement et de signaler au Président toute tentative en ce sens ».

De même que dans le cas de l’exemption du devoir de juré, tout fonctionnaire de la Chambre ou toute personne tenue de comparaître comme témoin devant la Chambre ou l’un de ses comités est dispensé de cette obligation si ses services sont requis par la Chambre [161] .

La protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité

Les députés ont le droit de se livrer à leurs activités parlementaires sans être dérangés. Les voies de fait, les menaces et les insultes à l’égard d’un député sur le parquet de la Chambre ou lorsqu’il se rend à la Chambre ou en revient, ou encore à cause de son attitude au cours des délibérations du Parlement, constituent une atteinte aux droits du Parlement. Toute forme d’intimidation (« un acte de violence en vue d’intimider le Parlement du Canada est un acte criminel ») envers quiconque en raison de son attitude au cours des délibérations du Parlement peut être considérée comme un outrage [162] .

Les députés, de par la nature de leur fonction et la variété des travaux qu’ils sont appelés à accomplir, entrent en contact avec un large éventail de personnes et de groupes. Ils sont donc exposés à subir toutes sortes d’influences, certaines légitimes et d’autres pas. La loi traite de certaines questions de ce genre, notamment du trafic d’influence, de l’acceptation de pots-de-vin et des tractations électorales malhonnêtes [163] . Au fil des ans, des députés ont porté à l’attention de la Chambre des cas où, selon eux, il y avait eu tentative d’obstruction, de nuisance, d’ingérence, d’intimidation ou de brutalité à leur endroit ou à l’endroit de leur personnel ou de personnes qui avaient affaire à eux ou à la Chambre. Strictement parlant, de tels actes sont considérés comme des outrages à l’autorité de la Chambre et non comme des atteintes aux privilèges [164] . Comme ces questions sont étroitement liées au droit de la Chambre de bénéficier des services de ses députés, elles sont toutefois souvent considérées comme des atteintes aux privilèges.

La présidence a régulièrement réaffirmé que la Chambre se devait de protéger contre toute intimidation, obstruction ou ingérence son droit de bénéficier des services de ses députés. Sur une question de privilège, le Président Lamoureux a signalé, en rendant sa décision, que, même s’il n’y avait pas de prime abord matière à soulever une question de privilège dans le cas dont il était saisi, il n’hésitait pas à affirmer que « […] le privilège parlementaire comprend le droit pour un député de s’acquitter de ses fonctions de représentant élu sans avoir à subir aucune menace ou tentative d’intimidation » [165] . Dans une décision portant sur une autre question de privilège, le Président Bosley a en outre fait observer que la menace ou tentative d’intimidation ne saurait être hypothétique; elle doit être réelle ou avoir été commise [166] .

Obstruction par des moyens physiques, voies de fait et brutalité

Quand un député prétend avoir été, dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, directement victime d’obstruction, d’entrave à son travail, d’ingérence ou d’intimidation, la présidence peut en déduire que de prime abord, il y a eu atteinte aux privilèges. Ce principe s’applique dans les cas d’obstruction par des moyens physiques, de voies de fait ou de brutalité.

Le 30 octobre 1989, le Président Fraser a jugé fondée de prime abord l’allégation d’atteinte aux privilèges qu’avait soulevée Herb Gray (Windsor-Ouest) à propos d’un barrage routier que la GRC avait installé sur la colline du Parlement dans le but de contenir un groupe de manifestants. Il estimait qu’en dressant un tel barrage, on avait porté atteinte aux privilèges de certains députés puisqu’on leur avait bloqué l’accès à la Chambre des communes [167] .

Le 17 février 1999, un certain nombre de questions de privilège ont été soulevées pour protester contre le fait que des membres de l’Alliance de la fonction publique du Canada avaient installé des piquets de grève à des endroits stratégiques donnant accès à la colline du Parlement et devant les entrées des édifices où travaillent normalement les parlementaires. En présentant sa question, Jim Pankiw (Saskatoon–Humboldt) a indiqué que des grévistes avaient eu recours à la violence et à l’intimidation pour l’empêcher de se rendre à son bureau. Sur ce point, le Président Parent a immédiatement statué que de prime abord, la question de privilège lui semblait fondée. M. Pankiw a proposé une motion demandant que la question de la brutalité dont il avait été victime soit renvoyée pour étude au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, motion qui a été adoptée sans débat [168] . D’autres questions de privilège, soulevées par John Reynolds (West Vancouver–Sunshine Coast), Roy Bailey (Souris–Moose Mountain) et Garry Breitkreuz (Yorkton–Melville), faisaient état des difficultés que les députés avaient eues à se rendre à leurs bureaux. Les piquets de grève, soutenaient ces députés, les avaient empêchés d’exercer leurs fonctions et de remplir promptement leurs obligations de parlementaires. Le lendemain, après avoir rappelé que le Président était le gardien des droits des députés, le Président Parent a déclaré, en rendant sa décision, que les interventions des trois députés l’avaient convaincu et qu’il estimait que leurs doléances étaient suffisamment sérieuses pour inciter la présidence à intervenir. Il en était donc arrivé à la conclusion que les incidents de la veille, qui avaient empêché les députés d’accéder à l’enceinte parlementaire, constituaient de prime abord un outrage à l’autorité de la Chambre, et il a invité M. Reynolds à présenter une motion en conséquence. Le député a alors proposé que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, et la motion a été adoptée sans débat [169] .

Autres exemples d’obstruction, d’ingérence et d’intimidation

Le tort injuste causé à la réputation d’un député peut également constituer un cas d’obstruction. En statuant sur une question de privilège [170] , le Président Fraser a déclaré : « Tout acte susceptible d’empêcher un député ou une députée de s’acquitter de ses devoirs et d’exercer ses fonctions porte atteinte à ses privilèges. Il est évident qu’en ternissant injustement la réputation d’un député, on risque de l’empêcher de faire son travail. Normalement, un député qui estime avoir été victime de diffamation a le même recours que n’importe quel autre citoyen; il peut intenter des poursuites en diffamation devant les tribunaux avec la possibilité de réclamer des dommages pour le tort qui lui a éventuellement été causé. Par contre, il ne peut pas avoir recours à de telles poursuites si la diffamation s’est produite à la Chambre » [171] .

Le 21 mars 1978, en jugeant fondée de prime abord une question de privilège, le Président Jerome a établi que la surveillance électronique d’un député en dehors de l’enceinte parlementaire « […] pourrait être considérée comme une forme de harcèlement, d’obstruction, de nuisance, ou encore d’intimidation à l’égard d’un député. Tous ces termes ont été utilisés dans les décisions antérieures de la présidence à l’appui de la position selon laquelle une telle conduite constitue un outrage à la Chambre » [172].

Le 6 mai 1985, le Président Bosley a conclu qu’il y avait de prime abord matière à question de privilège concernant une publicité parue dans un journal où l’on désignait une autre personne que le député lui-même comme étant le député en poste [173] . Il a déclaré : « Il va sans dire qu’un député doit exercer ses fonctions comme il faut et que toute tentative de semer la confusion sur l’identité d’un député risque d’empêcher ce député de remplir ses fonctions comme il se doit. Toute initiative qui empêche ou vise à empêcher un député d’exercer ses fonctions est une atteinte aux privilèges. Cette opinion est corroborée par bien des commentaires et des précédents [174]  ».

Le 6 décembre 1978, en constatant que de prime abord il y avait eu outrage à la Chambre, le Président Jerome a statué qu’en induisant délibérément un ministre en erreur, un représentant du gouvernement avait gêné un député dans l’accomplissement de ses fonctions et que, par conséquent, il avait entravé les travaux de la Chambre [175] .

Dans un autre cas, impliquant cette fois un fonctionnaire, le Président Francis a jugé fondée de prime abord une question de privilège concernant une allégation d’intimidation à l’endroit d’un employé d’un député. En rendant sa décision le 20 février 1984, le Président a déclaré : « Si un ministère ou une société de la Couronne menaçait un député de lui refuser des renseignements ou sa collaboration, on pourrait alors dire, sans aucun doute, qu’en agissant ainsi, on empêche ce député d’exercer ses fonctions et qu’il s’agit donc d’une atteinte aux privilèges du député. La même chose s’appliquerait dans le cas où on offrirait au député certains avantages à condition qu’il soumette toujours ses questions au service concerné avant de les poser à la Chambre… La présidence estime donc qu’il n’est pas nécessaire que le fait équivalant à une forme d’intimidation soit commis contre le député en sa personne pour constituer une violation des privilèges » [176] .

Tout comme on a jugé fondées de prime abord des questions de privilège se rapportant à des cas où des députés ou leur personnel avaient été intimidés, l’intimidation d’un témoin ayant comparu devant un comité a également été considérée par le Président Fraser, le 4 décembre 1992, comme constituant de prime abord un outrage à la Chambre, et celle-ci a alors renvoyé la question pour étude au Comité permanent de la gestion de la Chambre [177] . Le Comité a présenté son soixante-cinquième rapport à la Chambre le 18 février 1993, et le rapport a été adopté par la Chambre le 25 février [178] . Dans son rapport, le comité a réaffirmé les principes du privilège parlementaire et de son extension aux témoins des comités. Le rapport mentionnait ce qui suit : « La protection des témoins est un élément fondamental du privilège qui s’étend aux délibérations parlementaires et aux personnes qui y participent. Il est bien établi, au Parlement du Canada comme au Parlement britannique, que les témoins entendus en comité jouissent d’une immunité et d’une liberté de parole égales à celles des députés. Les témoins qui comparaissent devant un comité parlementaire bénéficient donc automatiquement, pour tout ce qu’ils disent devant le comité, des mêmes immunités contre les poursuites au civil ou au criminel que les parlementaires… La protection des témoins s’étend aux menaces proférées contre eux et aux tentatives d’intimidation exercées sur eux relativement à leur exposé devant quelque comité parlementaire que ce soit [179]  ».

Intimidation à l’endroit du Président de la Chambre ou de tout président de séance de la Chambre

Au même titre que l’intimidation d’un député ou d’un témoin, la Chambre prend très au sérieux tout acte ou tentative d’intimidation du Président ou de tout président de séance de la Chambre. À trois occasions, la Chambre a jugé que des critiques qui mettaient en doute l’impartialité de la présidence constituaient des tentatives d’intimidation et que, partant, elles portaient atteinte aux privilèges [180]. Le 22 décembre 1976, la Chambre a adopté une motion estimant que les propos tenus au sujet du Président Jerome et publiés dans un article de journal étaient grossièrement diffamatoires envers la présidence, et que la publication de l’article en question représentait une violation flagrante des privilèges de la Chambre [181] . Le 23 mars 1993, le Président Fraser, rappelant au passage qu’une attaque contre l’intégrité d’un dignitaire de la Chambre était une attaque contre la Chambre elle-même, a jugé fondée de prime abord une question de privilège qui avait été soulevée à propos de commentaires mettant en doute l’impartialité d’un président de séance de la Chambre [182] . Le 9 mars 1998, Peter MacKay (Pictou–Antigonish–Guysborough) a soulevé une question de privilège pour soutenir que les propos cités dans un article de journal et qui étaient attribués à certains députés constituaient une tentative d’intimidation à l’endroit de l’ensemble de la Chambre et de son Président. Le député disait craindre que ces remarques, qui avaient trait à des questions prises en délibéré par la présidence et qui donnaient à penser que des députés réclameraient la démission du Président s’il rendait sa décision dans un sens donné, ne constituent une manÅ uvre visant à influencer la décision du Président. Le Président Parent a jugé que la question de privilège était fondée de prime abord [183] .

Incidents à caractère politique ou survenus dans la circonscription d’un député

Les fois où des députés ont allégué avoir été victimes d’obstruction ou de harcèlement, non pas directement en tant que représentants élus, mais à l’occasion d’un incident à caractère politique ou survenu dans leur circonscription, la présidence a toujours jugé qu’il n’y avait pas là matière à question de privilège.

Le 15 juillet 1980, le Président Sauvé, constatant que la question de privilège qui lui était soumise concernant le travail d’un député dans sa circonscription ne paraissait pas fondée de prime abord a déclaré : « Je connais fort bien les nombreuses responsabilités et les devoirs du député et aussi le travail qu’il doit faire pour sa circonscription, mais à titre [de Président], je dois tenir compte uniquement des questions qui touchent au travail parlementaire. Autrement dit, quels que soient les devoirs d’un député envers ses électeurs, pour être valable, la question de privilège doit avoir trait à une présumée ingérence dans les fonctions parlementaires du député. Cela veut dire que, tout comme le privilège parlementaire protège les députés des conséquences de leurs actes au cours des délibérations du Parlement, de même il les protège de toute ingérence dans leurs fonctions tant que cette ingérence a trait à leur travail parlementaire » [184] .

Cette opinion a été réexprimée avec encore plus de fermeté par le Président Fraser dans une décision qu’il a rendue le 17 novembre 1987 sur une question de privilège à propos d’une affaire mettant en cause un membre du personnel d’un député, un électeur et un agent des Services correctionnels. Le Président a statué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord, et il a justifié sa décision dans les termes suivants : « […] Je suis sûr que les honorables députés comprendront que cette affaire ne rentre pas dans le cadre du concept étroit du privilège parlementaire […] En fait, j’irais même jusqu’à dire que, même s’il n’y avait pas eu participation directe de l’employé du député, mais plutôt participation directe du député lui-même, la question de privilège ne me serait pas parue justifiée à première vue » [185] .

Importance du lien avec les fonctions parlementaires

Dans certains cas où la présidence a jugé que la question de privilège n’était pas recevable de prime abord, sa décision se fondait principalement sur le fait que l’incident n’était pas directement lié aux fonctions parlementaires du député. Même si elle a souvent reconnu que le député qui soulevait la question de privilège pouvait très bien avoir des motifs légitimes de se plaindre, la présidence a régulièrement conclu que l’incident n’avait pas empêché le député d’accomplir ses devoirs parlementaires. Les exemples ci-dessous l’illustrent bien.

En 1978, le Président Jerome a établi dans deux cas différents que, puisque le député n’avait pas été directement gêné dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, il n’y avait pas lieu de considérer de prime abord que l’allégation d’atteinte au privilège était fondée. Dans le premier cas, où c’était Ron Huntington (Capilano) qui avait soulevé la question de privilège, le Président a indiqué avoir du mal à reconnaître que les difficultés que le député se plaignait d’avoir connues du fait d’avoir été poursuivi au civil constituaient un harcèlement ou une obstruction au sens étroit du terme. Il s’est par ailleurs montré peu disposé à interpréter plus largement la définition du privilège. En statuant que de prime abord, la question de privilège n’était pas fondée, le Président Jerome a signalé : « Il est évident que cette question a gêné d’une certaine manière le député dans l’accomplissement de ses devoirs parlementaires, mais je ne puis accepter que ces difficultés constituent une obstruction ou une intimidation au sens étroit auquel on peut interpréter la protection contre toute molestation, surtout dans un cas où il s’agit d’un recours normal aux tribunaux, une situation où le Parlement ne s’interposerait que pour les motifs les plus graves » [186] .

Le second cas de ce genre qu’a traité la présidence en 1978 a été soulevé par Simma Holt (Vancouver–Kingsway) le 2 novembre de cette année-là. Le Président Jerome a jugé que la question de privilège n’était pas recevable de prime abord, et il a fourni l’explication que voici : « Comme l’honorable représentante n’agissait pas à titre officiel, alors qu’elle aurait eu droit à l’immunité parlementaire — cas peu fréquent —, il serait injustifié, selon moi, de rattacher aux précédents et de considérer comme atteinte à son immunité parlementaire un acte dirigé contre sa personne, en l’occurrence » [187] . En rendant sa décision, le Président a fait remarquer que la société exige beaucoup de ses députés, mais que toutes ces exigences n’entraînent pas forcément l’exécution de fonctions strictement parlementaires. Tout député a des obligations à remplir en sa qualité de représentant des électeurs de sa circonscription. Un député ne peut revendiquer la protection du privilège qu’en ce qui a trait à l’exercice de ses fonctions parlementaires, « notamment des fonctions primordiales qu’il remplit ici à la Chambre des communes », bien que la ligne de démarcation entre les fonctions d’un député à titre de représentant et ses fonctions parlementaires soit parfois ténue. Toutefois, comme l’a fait remarquer Maingot, une agression commise contre un député en dehors de l’enceinte et qui est sans rapport avec son travail parlementaire ne constitue pas un outrage, mais la même agression commise à l’intérieur de l’enceinte du Parlement fait outrage à la Chambre, même si elle est sans rapport avec les délibérations du Parlement [188] .

Le 15 mai 1985, Douglas Frith (Sudbury) a soulevé une question de privilège en alléguant qu’il avait été gêné dans sa capacité de bien servir ses électeurs par suite de l’émission d’une directive ministérielle restreignant la divulgation de renseignements à propos d’un programme du gouvernement. En jugeant que, même si le député avait effectivement un motif de se plaindre, sa question de privilège ne lui apparaissait pas fondée de prime abord, le Président Bosley a fait remarquer que le but du privilège parlementaire était de préserver la liberté de parole à la Chambre et de protéger l’institution contre toute menace ou tentative d’obstruction ou d’intimidation [189] .

Le 1er mai 1986, le Président Bosley a de nouveau jugé qu’il n’y avait pas de prime abord matière à question de privilège dans une affaire soulevée par Sheila Copps (Hamilton-Est). Reprenant les raisons qu’il avait invoquées dans des décisions antérieures, le Président a déclaré : « Si un député est gêné ou entravé dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires par des menaces, des intimidations, des tentatives de corruption ou d’autres comportements inacceptables, c’est une violation de privilège. Si un député pouvait dire que quelque chose l’a empêché de remplir ses fonctions, qu’il a été menacé, intimidé ou indûment influencé, la présidence prendrait l’affaire en considération » [190] .

Le 9 décembre 1986, dans une décision concernant une question de privilège soulevée par Nelson Riis (Kamloops–Shuswap) où celui-ci alléguait que l’information fournie par le gouvernement lors d’une conférence de presse à propos d’un projet de loi qui n’avait pas encore été déposé à la Chambre constituait une violation de privilège, le Président Fraser a déclaré qu’en aucune façon les actions du ministre n’avaient gêné quelque député que ce soit dans l’accomplissement de ses fonctions ou l’avaient empêché de les exercer [191] .

Le 24 mars 1994, le Président Parent a rendu une décision sur une question de privilège soulevée par Jag Bhaduria (Markham–Whitchurch–Stouffville) qui avait allégué avoir été victime d’intimidation de la part de médias et avoir fait l’objet de chantage à la suite de reportages journalistiques concernant l’authenticité de ses diplômes. Jugeant que de prime abord, il n’y avait pas là matière à question de privilège, le Président s’est exprimé en ces termes : « Des menaces de chantage ou d’intimidation auprès d’un député ne doivent jamais être prises à la légère. Dans de tels cas, l’essence même de la liberté d’expression est minée ou perd toute sa signification. Sans cette garantie, aucun député ne peut remplir ses fonctions comme il se doit […] Bien que la présidence ne prenne pas à la légère les faits qui ont été soulevés, […] elle ne peut conclure qu’il a fait la preuve qu’il y a eu intimidation et que cela l’empêche de remplir ses fonctions de député » [192] .

Dans un autre cas, celui-là concernant les questions écrites inscrites au Feuilleton, John Williams (St-Albert) a soulevé une question de privilège en alléguant qu’un fonctionnaire non identifié du bureau du leader du gouvernement à la Chambre avait délibérément tenté de s’interposer dans ses fonctions de député en refusant de répondre à ses questions. En se fondant sur des citations tirées de comptes rendus journalistiques, le député soutenait que, de la part d’un fonctionnaire, « pareille arrogance ou insolence […] à l’endroit du Parlement » constituait un outrage. En rendant sa décision le 6 mai 1996, le Président Parent a fait remarquer : « […] Il est très difficile de croire aux remarques qu’aurait prétendument faites une personne non identifiée du cabinet du leader du gouvernement à la Chambre. Ainsi, je ne puis conclure que le député a été gêné dans l’exercice de ses fonctions et, en conséquence, il n’y a pas matière à soulever la question de privilège » [193] .


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