Monsieur le Président, le débat de cet après-midi sur le projet de loi C-93, qui prévoit la suspension sans frais et accélérée du casier judiciaire pour possession simple de cannabis, me donne l'occasion que j'attendais depuis longtemps de faire une déclaration claire à la Chambre des communes sur les principes qui sous-tendent mon point de vue de longue date sur la légalisation du cannabis. Il s'agit en fait de ma deuxième chance de m'exprimer à ce sujet, car j'ai également pu le faire en abordant le projet de loi d'initiative parlementaire il y a quelques semaines.
Je suis en faveur de la légalisation de la marijuana depuis que j'ai été élu pour la première fois, il y a près de 20 ans. J'ai exprimé mes opinions sur le sujet pour la première fois lors d'une conférence sur les politiques publiques en 2001, et elles ont été publiées dans Options politiques la même année. Mon point de vue à ce sujet est donc connu depuis très longtemps.
J'ai toujours formulé mes arguments en termes pratiques plutôt qu'abstraits. Toutefois, le débat d'aujourd'hui, comme celui d'il y a quelques semaines, me permet de discuter des questions de libertés civiles associées à la guerre contre les drogues indépendamment de la discussion sur la légalisation de la marijuana. Il n'est pas question de légalisation de la marijuana aujourd'hui. Les dés sont jetés; le cannabis est légal. Si ce projet de loi est rejeté ce soir, le cannabis sera toujours légal, et si le projet de loi reçoit la sanction royale d'ici la fin de la présente législature, il sera toujours légal.
Nous ne parlons pas ce soir des conséquences des produits chimiques que contiennent les drogues, si nous devions légaliser ces dernières. On peut dire aujourd'hui que cela n'a rien à voir avec le débat. Nous parlons simplement des dommages causés par le fait de transformer en crime un acte sans victime.
Je veux dire aujourd'hui, comme je l'ai dit il y a 18 ans lorsque j'ai sorti ma première publication sur le sujet, qu'il est moralement condamnable de criminaliser l'usage personnel de toute substance lorsque l'utilisation ou la mauvaise utilisation qu'on en fait ne cause aucun préjudice à qui que ce soit d'autre que l'utilisateur lui-même. Le fait d'ingérer du cannabis ou de l'alcool, par exemple, et de conduire ensuite un véhicule sur la voie publique met en danger autrui et, à ce titre, n'est pas un crime sans victime. Voilà pourquoi c'est illégal, et à juste titre. En revanche, consommer du cannabis et rester chez soi tout le week-end ne fait aucune victime. En fait, consommer de l'alcool et le cuver chez soi pendant le week-end ne fait pas non plus de victime.
Lorsque personne n'est victime d'un acte, sinon celle qui l'accomplit, il est immoral pour l'État de la pénaliser. Le principe s'appliquerait même si aucune des conditions suivantes n'était vraie.
Par exemple, ce principe s'appliquerait même s'il n'était pas vrai que certaines personnes souffrent d'un traumatisme qui les incite à faire des choix impulsifs, surtout en ce qui concerne les substances psychotropes. Quand ces personnes sont pénalisées, la loi punit en fait des gens qui ont été victimes du comportement abusif de leurs parents ou de leurs partenaires, qui ont été traumatisés par la guerre, qui sont atteints du syndrome d'alcoolisation foetale ou qui souffrent d'un simple traumatisme crânien. Le principe selon lequel les crimes sans victime ne devraient jamais être punissables s'appliquerait même s'il n'était pas vrai que certaines personnes sont nées avec des gènes comme le gène NRXN3 qui, en 2011, a été associé à des risques accrus de dépendance. En l'occurrence, la loi s'en prend aux personnes qui ont perdu à la loterie génétique.
Le principe s'appliquerait même s'il n'était pas vrai que les personnes possédant une grande influence et beaucoup de pouvoir sont bien moins susceptibles d'être poursuivies qu'un Canadien moyen ayant commis la même infraction. Un cas qui illustre bien cela est celui de Michel Trudeau, le frère du premier ministre, qui a échappé à des poursuites pour possession de marijuana il y a 21 ans grâce à l'intervention de son père qui, à l'époque, était premier ministre.
Voici ce que l'actuel premier ministre a dit à ce sujet il y a deux ans. Il a signalé que, en 1998, son père, Pierre Trudeau, « avait fait appel à ses amis dans la communauté juridique, avait retenu les services du meilleur avocat possible et était convaincu qu'il parviendrait à faire abandonner les chefs d'accusation ». Il a ajouté: « Nous avons pu le faire parce que nous disposions des ressources nécessaires. Mon père avait quelques contacts. Nous étions convaincus que mon jeune frère ne serait pas pris avec un casier judiciaire pour la vie. »
Le principe voulant que les crimes sans victime ne devraient jamais être punis tiendrait toujours même s'il n'était pas vrai que les Canadiens défavorisés, qui ont plus de risques, statistiquement, que leurs concitoyens d'être arrêtés, poursuivis et pris avec un casier judiciaire, sont beaucoup plus susceptibles de faire partie de groupes sociaux ou raciaux ayant tendance à être marginalisés d'autres façons aussi.
Deux criminologues de l'Université de Toronto ont découvert que, de 2015 à 2017, à Halifax, les Noirs étaient cinq fois plus susceptibles que les Blancs de se faire arrêter pour possession de cannabis. Les mêmes chercheurs ont découvert que, à Regina, au cours de la même période, soit de 2015 à 2017, ce qui est très récent, les Autochtones étaient neuf fois plus susceptibles que les Blancs de se faire arrêter pour cette infraction.
Akwasi Owusu-Bempah, l'un des deux criminologues, a déclaré ceci: « Nous savons que le taux de consommation de cannabis est relativement semblable entre les groupes raciaux. Ainsi, le fait que certains groupes aient été ciblés de façon disproportionnée lors de l'application de la loi sur les drogues, surtout les populations noires et autochtones, renforce la nécessité d'accorder une amnistie ou un pardon. En effet, ces groupes ont été non seulement ciblés de façon disproportionnée, mais ils ont aussi été démesurément pénalisés à cause des conséquences découlant du casier judiciaire. »
Autrement dit, au-delà du fait que la légalisation du cannabis a des répercussions différentes selon les groupes raciaux, il faut aussi réparer les torts causés par la racialisation du système pénal. Les faits indiquent qu'il s'agit bel et bien d'un racisme systémique, peu importe quel était le principal motif de chaque arrestation.
Ces exemples d'inégalités sont bel et bien réels. Par conséquent, la disposition du Code criminel qui interdisait la possession de petites quantités de marijuana, qui a heureusement été abrogée, était elle aussi fautive à tous ces points de vue.
Si l'infraction sous-jacente n'aurait jamais dû être considérée comme une infraction — ce qui n'est pas seulement mon opinion mais ce que le Parlement a décidé quand il a adopté la Loi sur le cannabis il y a un an — il va de soi que toute pénalité de longue durée, telle qu'un casier judiciaire, associée à cette activité autrefois illégale doit aussi perdre toute validité, pour les mêmes raisons. Cela vaut qu'il s'agisse d'un droit protégé par la Charte ou simplement de l'effet discriminatoire que l'application de la loi a eu sur certains groupes. Cela vaut que l'injustice en question soit interdite par la Charte ou qu'elle contrevienne simplement à la justice naturelle, un élément qui prend une importance considérable quand on parle des raisons pour lesquelles le gouvernement n'accepte pas de supprimer les casiers judiciaires dans ce cas-ci, comme il l'a fait pour les anciennes infractions concernant les activités homosexuelles entre adultes consentants, qui étaient considérées illégales à une certaine époque.
Pour être clair, le maintien du casier judiciaire pour les personnes qui ont consommé de la marijuana lorsqu'il s'agissait d'une infraction criminelle représente une injustice de longue date et elle demeure aujourd'hui une injustice à laquelle il faut remédier. Bien franchement, une disposition sur la suppression du casier judiciaire des personnes reconnues coupables de possession de moins de 30 grammes de cannabis aurait dû être incluse dans la Loi sur le cannabis, il y a un an. La raison pour laquelle cela n'a pas été le cas demeure un mystère pour moi, surtout en raison du sincère désir de défendre la liberté civile qui a dû motiver le premier ministre à partager l'histoire très personnelle de son père et de son frère. J'ai remarqué que, dans d'autres États qui ont légalisé l'utilisation non thérapeutique du cannabis, comme la Californie et le Vermont, les dispositions sur la suppression du casier judiciaire des personnes condamnées en vertu des lois abrogées font partie intégrante de la loi prévoyant l'abrogation.
Il est maintenant trop tard pour que le Canada reproduise parfaitement ce bel exemple, mais il n'est pas trop tard pour que nous corrigions cette omission. Le projet de loi C-415, inscrit au nom du député de Victoria est un outil efficace et bien conçu pour mettre fin à cette injustice persistante.
Pour beaucoup de personnes qui subissent cette injustice, le projet de loi C-93 est un moyen moins parfait et moins complet d'atteindre le même objectif. Environ 500 000 Canadiens, soit 1 à 2 % environ de la population adulte, ont un casier judiciaire pour possession de petites quantités de cannabis à des fins personnelles. Si le projet de loi C-415 avait été adopté, il aurait supprimé tous ces casiers judiciaires.
La suppression d'un casier judiciaire n'est pas tout à fait la même chose qu'un pardon ou une suspension du casier judiciaire, ce que propose le projet de loi C-93. C'est différent à plusieurs égards. D'une part, un pardon doit être demandé formellement. Toute personne peut présenter une demande de pardon. Habituellement, dans le cas d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la personne doit attendre au moins cinq ans et débourser un peu plus de 600 $. Si le projet de loi C-415 avait été adopté, la suppression des casiers judiciaires aurait été immédiate et sans frais.
Ce n'est pas exactement ce que ferait le projet de loi C-93. Son très long titre le décrit bien. Les gens n'auraient pas à payer de frais ni à respecter de délai, mais ils devraient toutefois présenter une demande. Ensuite, la Commission des libérations conditionnelles déciderait si elle accorde le pardon, en établissant si le demandeur respecte une série de conditions. C'est donc une loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis. Elle abolirait le délai de cinq ans et éliminerait les frais de 600 $. C'est tout, mais ce n'est quand même pas mauvais, alors j'appuierai le principe du projet de loi pour le renvoyer au comité ce soir.
Je veux toutefois être bien clair. Le projet de loi C-93 ne va pas assez loin parce que la suspension de casier judiciaire n'équivaut pas à une radiation. Contrairement à une radiation, la suspension du casier judiciaire n'entraîne pas la destruction permanente du dossier relatif à une condamnation dans les bases de données fédérales. Avec une radiation, la personne est considérée comme n'ayant jamais été reconnue coupable de l'infraction aux termes du droit canadien. Avec une suspension, la personne est toujours coupable de l'infraction. Elle a toujours fait l'objet d'une condamnation. C'est simplement qu'il n'est plus possible d'y avoir accès.
Il existe des distinctions considérables. Comme on le sait, les agents chargés du contrôle à la frontière des États-Unis se réservent le droit de demander aux Canadiens qui traversent la frontière s'ils ont un casier judiciaire pour consommation de marijuana. Des Canadiens sont souvent refoulés à la frontière après avoir répondu par l'affirmative. Tout le monde sait qu'on se fera arrêter sur-le-champ si on ment à un représentant des services de citoyenneté et d'immigration des États-Unis alors qu'on se trouve sur le territoire de ce pays, comme c'est le cas quand on traverse la frontière par voie terrestre, contrairement aux aéroports de Toronto ou Vancouver, où on se trouve en sol canadien. Si les casiers judiciaires étaient supprimés, il serait possible pour les gens de répondre honnêtement qu'ils n'ont pas de casier judiciaire pour cette infraction, qu'ils voyagent par voie terrestre ou par avion, ce qui n'est pas le cas s'ils ont obtenu un pardon. La distinction est importante.
Le gouvernement donne la justification suivante pour ne pas radier une condamnation liée à la possession de cannabis. Voici un passage tiré d'un communiqué publié par les libéraux le 1er mars 2019, soit le jour où le projet de loi C-93 a été présenté. Je cite:
La radiation est une mesure extraordinaire réservée aux cas où la criminalisation de l’activité en question et la loi n’auraient jamais dû exister, par exemple dans les cas où elle contrevenait à la Charte.
Je veux simplement expliquer ce qui cloche dans ce raisonnement. Les libéraux faisaient explicitement référence au fait que les actes homosexuels entre personnes consentantes avaient déjà été illégaux et que, aujourd'hui, toute loi qui interdirait ces actes serait perçue comme étant une violation de la Charte. Cette distinction relative à la Charte existe bel et bien; on pourrait de nouveau rendre illégal le cannabis sans que cela enfreigne la Charte. C'est en ce qui concerne la Charte. Cela ne dit rien sur la moralité de la loi concernée. Nous avons dit que, au Canada, il était tout à fait correct de consommer du cannabis à des fins personnelles et d'en posséder une petite quantité. C'est tout à fait correct.
Je mets au défi tous les députés ministériels de se lever aujourd'hui et d'affirmer qu'ils croient que c'était inacceptable du point de vue moral, que la loi concernée était inacceptable du point de vue moral il y a 1 an, 2 ans, 10 ans ou 50 ans, que c'était inacceptable à l'époque, mais que c'est accepté aujourd'hui, autant que c'était inacceptable du point de vue moral il y a 10, 20 ou 100 ans de se livrer à des actes homosexuels et que c'est aujourd'hui acceptable.
Il n'y a jamais rien eu de mal en ce qui concerne les actes homosexuels entre adultes consentant et il n'y a jamais rien eu de mal en ce qui concerne le cannabis. Cette distinction, qui porte sur ce qui a été inscrit dans la Charte et ce qui ne l'a pas été, est tout simplement illogique, d'autant plus que l'orientation sexuelle a failli ne pas y être inscrite.
Les gens marginalisés en raison de la pauvreté, de la maladie mentale, ou de l'appartenance à un groupe victime de discrimination raciale — et il existe différents types de discrimination raciale dans différentes parties du pays — sont plus nombreux à être poursuivis et persécutés. C'était ainsi dans le passé. Le fait que les policiers aient agi de manière raciste à certains endroits au pays à diverses époques ne rend pas ce qui est arrivé à ces personnes plus acceptable que ce qui est arrivé aux personnes condamnées pour le supposé crime d'avoir pris part à un acte homosexuel consensuel. Cette distinction n'a aucun sens.
J'étais à Washington la semaine dernière pour rencontrer des membres de la Chambre des représentants et du Sénat, qui envisagent de modifier les lois étatsuniennes sur le cannabis. Ils n'envisagent pas nécessairement d'en légaliser l'usage à des fins récréatives, comme nous l'avons fait ici, quoique certains appuient l'idée. Beaucoup veulent modifier les dispositions relatives à l'usage de marijuana à des fins médicales, ce qui la rendrait accessible aux anciens combattants qui souffrent d'un état de stress post-traumatique. Un projet de loi interdirait aux agents des services frontaliers des États-Unis de demander aux Canadiens s'ils ont déjà été reconnus coupables d'une infraction liée au cannabis. Un autre traite des lois régissant les transactions bancaires d'un État américain à l'autre en ce qui concerne les activités liées au cannabis qui sont légales aux termes d'une loi d'État.
Les Américains sont très conscients des questions de liberté civile et du fait que les lois en la matière sont appliquées inéquitablement selon la race dans leur pays. Lorsqu'il est question de se débarrasser d'un casier judiciaire, la notion de « suppression » s'impose. Il n'y a aucune raison pour le gouvernement de ne pas accepter la suppression de ces casiers.
Comme je l'ai dit, le projet de loi est bon dans une certaine mesure. Ce soir, je voterai pour et j'encourage mes collègues à faire de même. Toutefois, le projet de loi n'est pas suffisant. Il est inacceptable de maintenir en vigueur une tendance d'application de la loi aux relents de racisme systémique après avoir déclaré que le crime lui-même n'aurait jamais dû être un crime, qu'il n'a jamais été mauvais et qu'il ne l'est pas non plus aujourd'hui.
C'était acceptable pour le premier ministre — qui ne s'est jamais fait prendre — de fumer un joint lorsque c'était illégal. Il n'a tout simplement pas été pris en flagrant délit. Il a admis après le fait qu'il en avait consommé. En quelque sorte, c'est acceptable, n'est-ce pas? Je ne l'ai jamais entendu dire qu'il en avait consommé alors que c'était illégal et que c'était donc immoral à ce moment-là. Je ne l'ai jamais entendu dire que s'il avait été pris, il aurait trouvé juste d'aller en prison ou de traîner un casier judiciaire toute sa vie. Il n'a pas dit cela. Il a dit que cela n'aurait pas dû être mal et qu'il fallait donc se débarrasser de la loi. Il avait raison. Il aurait eu raison de faire en sorte que personne qui n'a pas pour père un premier ministre ou qui ne bénéficie pas du meilleur réseau de contacts au monde se retrouve avec un casier judiciaire pour le restant de ses jours.
Le projet de loi est bon, mais il est insuffisant. Je vais voter pour son adoption. Je vais encourager fortement les membres du comité à voter pour une forme quelconque d'amendement afin d'y inscrire l'élément crucial soulevé par mon collègue de Skeena—Bulkley Valley, à savoir qu'il faut s'occuper de ceux qui ont une sanction administrative mineure dans leur casier judiciaire et qui seront pris avec elle pour le reste de leur vie. C'est une excellente idée. J'espère que le gouvernement libéral fera preuve d'une certaine souplesse à cet égard. Ce serait un excellent test décisif pour déterminer si l'objet du projet de loi est d'aider les gens ou de simplement retirer un dossier au Nouveau Parti démocratique, qui avait rédigé précédemment un meilleur projet de loi sur le même sujet.