Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser à vous. Je suis professeure d'anthropologie et membre de la faculté de Berkeley depuis 20 ans, et j'ai passé les neuf années précédentes à enseigner à la faculté de Harvard.
Pendant cette période et celle qui a précédé, c'est-à-dire pendant un total de 37 ans, mes recherches ont porté sur le Honduras et ont exigé de longs séjours dans ce pays. J'ai vécu au Honduras de la fin des années 1970 au début des années 1980, à l'époque où sa dernière dictature ouvertement militaire a cédé le pouvoir aux autorités civiles, a rédigé la première version de la constitution actuelle et a amorcé une longue période de développement de la société civile et des institutions gouvernementales.
Le commerce extérieur a joué un rôle crucial dans ce processus, et pourtant, je comparais devant vous pour vous dissuader de conclure cet accord. Les événements qui se sont déroulés au Honduras au cours des cinq dernières années ont annulé les progrès qu'avaient connus la société civile et le gouvernement pendant la période précédente. Les freins et les contrepoids qui garantissaient le respect des droits de la plupart des Honduriens continuent d'être éliminés. En ce moment, il est difficile d'imaginer comment, en intensifiant le commerce extérieur, on pourrait éviter les écueils qui aggraveraient la situation du Hondurien moyen. En outre, cela vous priverait d'un important moyen d'inciter le gouvernement hondurien à renforcer la primauté du droit, à combattre l'impunité, à protéger les droits de la personne et à améliorer le niveau de vie de tous ses citoyens.
La concentration de plus en plus importante des richesses et du pouvoir politique dans les mains d'un très petit nombre de familles, qui est survenue pendant les années 1990 et une partie des années 2000, est à l'origine de l'effondrement des conditions des Honduriens. Toutefois, le coup d'État de 2009 et ses conséquences sont la cause immédiate de leur grave détérioration.
Le Congrès national du Honduras a été convoqué d'une manière allant à l'encontre de ses procédures et a autorisé, de manière rétroactive, la destitution du président José Manuel Zelaya Rosales. Ensuite, sans y être autorisé par la loi ou la constitution, le congrès a nommé son propre leader à la tête du régime de facto. Ce chef d'État a ignoré les pressions internationales et est demeuré en poste pendant le reste de l'année 2009.
Peu de temps après, le régime de facto a commencé à mettre en oeuvre des politiques comprenant l'utilisation de l'armée et de la police pour priver les citoyens de leur droit de manifester. Les droits d'assemblée et de manifestation ont été suspendus à de nombreuses reprises et, dans tous les cas, ces suspensions enfreignaient la constitution et le droit honduriens. Les manifestants ont été battus et fusillés, et certains d'entre eux sont morts en s'opposant ouvertement aux soldats ou aux policiers.
Simultanément, une vague d'assassinats, qui visaient des membres de la presse, des militants de l'opposition et des minorités opposées au régime de facto, a commencé et se poursuit encore. Aucun de ces meurtres n'a été élucidé.
Le régime de facto était toujours au pouvoir lorsque des élections ont eu lieu à l'échelle nationale, en novembre 2009. Aucun observateur international n'a surveillé ces élections. Des ONG internationales préoccupées par le maintien de la paix et la presse hondurienne ont rapporté directement que des citoyens, qui protestaient contre les élections avaient été attaqués, par la police. Par exemple, à San Pedro Sula, la deuxième ville en importance du pays et le centre du commerce, la participation électorale avait diminué par rapport aux élections précédentes. L'opposition avait recommandé de boycotter les élections, et certains faits semblent indiquer que bon nombre des électeurs qui se sont présentés aux bureaux de scrutin ont endommagé leur bulletin de vote en guise de protestation.
Les résultats initiaux du scrutin ont, plus tard, été révisés radicalement à la baisse et, compte tenu des procédures suivies par le Tribunal électoral suprême, ces résultats initiaux ou révisés n'ont inspiré aucune confiance.
Lorsque Porfirio Lobo Sosa, le candidat qui a été élu, d'après les autorités honduriennes, a commencé son mandat, sa légitimité a été sérieusement mise en doute, même si un certain nombre de gouvernements internationaux, pressés d'oublier le coup d'État, ont reconnu sa présidence. Il a passé la totalité de son mandat à prendre des ensembles de mesures visant à effacer l'infamie du coup d'État. Cependant, il n'a pas destitué toutes les personnes qui avaient été nommées pendant le régime de facto, et certaines d'entre elles sont toujours en poste aujourd'hui. Et ce qui importe encore plus dans le contexte de vos délibérations actuelles, c'est le fait que le gouvernement Lobo Sosa a continué un processus commencé sous le régime de facto, c'est-à-dire qu'il s'est servi des institutions gouvernementales honduriennes pour protéger les intérêts de riches, pour supprimer les protections de l'environnement et des droits de la personne et pour empêcher les citoyens de participer au processus décisionnel.
Bien qu'il ait nommé des gens à des postes chargés de protéger les droits de la personne, Lobo Sosa n'a jamais accordé aux titulaires de ces postes les ressources dont ils avaient besoin pour s'acquitter de leurs responsabilités.
Lobo Sosa a grandement renforcé l'administration policière, qui est maintenant militarisée, tout en entreprenant un processus inefficace d'élimination de la corruption policière. Il a déployé ses forces armées pour repousser les paysans qui s'opposaient à l'expropriation de leurs terres, et il a appuyé des mesures législatives qui établissaient de nouveaux services de police inspirés de l'armée. Ces services sont maintenant utilisés pour s'en prendre aux civils, une démarche qui n'avait pas été observée depuis la fin de la dictature militaire.
Son ministre de la Sécurité, qui continue d'exercer cette fonction sous la présidence actuelle, dirigeait une police d'enquête qui ignorait la plupart des crimes, qui bousillait les enquêtes qu'elle entreprenait et qui était régulièrement impliquée dans des crimes violents. Très récemment, cette même personne a désavoué l'institution indépendante que les Nations Unies reconnaissent comme une source fiable de statistiques sur le nombre d'homicides commis au Honduras. Elle l'a fait afin de tenter d'établir une nouvelle définition des homicides qui lui permettra de réduire le taux de criminalité déclaré par la police.
Le successeur de M. Lobo Sosa, le président Jan Orlando Hernàndez, qui appartient au même parti politique, était à la tête du congrès pendant l'administration Lobo Sosa. À l'époque, le congrès a pris des mesures qui ont affaibli la séparation des pouvoirs, déjà déséquilibrée au Honduras, et qui, en particulier, ont amoindri la Cour suprême, une institution hondurienne qui est déjà grandement susceptible de subir une influence politique, étant donné que ses membres sont nommés pour une période déterminée. MM. Hernàndez et Lobo Sosa ont collaboré afin de faire adopter une loi, qui a été jugée inconstitutionnelle à de nombreuses reprises. Pour fournir une main-d'oeuvre aux sociétés internationales, la loi permet de construire des villes modèles où les lois honduriennes ne s'appliquent pas aux personnes qui sont autorisées à y vivre.
Au cours des premiers mois de son mandat, le président Hernàndez a mis en oeuvre une réorganisation du gouvernement qui a entraîné la rétrogradation de bon nombre de fonctionnaires clés et l'abolition d'autres fonctions, y compris la fonction ministérielle qui, sous le gouvernement Lobo Sosa, s'occupait des droits de la personne. Entretemps, il a agressivement poursuivi le même programme législatif qu'il avait lancé quand il était à la tête du congrès.
Bien que des observateurs internationaux aient supervisé les élections de 2013, elles étaient également viciées. Des analyses indépendantes ont démontré que le processus de décompte des votes avait donné lieu à de nombreux résultats discutables, étant donné que, dans certains districts, on avait enregistré la participation de plus de 100 % des électeurs inscrits, et que la grande majorité de ces votes profitaient à Juan Orlando Hernàndez. Malgré cela, M. Hernàndez a accédé au pouvoir à l'aide d'une minorité de votes exprimés dans le cadre d'élections où quatre partis se sont partagés les suffrages, dont deux partis créés pour s'élever contre le statu quo.
Depuis le jour du coup d'État jusqu'à aujourd'hui, les problèmes gouvernementaux les plus frappants sont liés aux mesures qui ont été prises pour enrichir une petite élite fortunée au détriment de la majorité des Honduriens, ce qui a engendré les inégalités les plus importantes de l'Amérique latine.
Bien que la presse internationale ait attribué le coup d'État à la crainte que le président Zelaya ait l'intention de rester au pouvoir, ce sont ses mesures économiques qui ont amené l'élite à s'opposer à ses politiques, notamment la hausse du salaire minimum qui a réduit marginalement les recettes que touchaient les entreprises honduriennes en vendant leurs marchandises à l'étranger.
Les intérêts économiques qui ont motivé le coup d'État transparaissent dans le programme législatif qui a été entrepris le jour même du coup d'État, à savoir l'adoption de lois qui autorisaient la signature d'un éventail de contrats gouvernementaux qui bénéficiaient à l'élite. Au cours du régime de facto, d'autres lois ont été adoptées dans le but de démanteler les protections environnementales, de modifier la façon dont les contrats étaient adjugés et d'affranchir en général le développement économique de la surveillance gouvernementale.
En somme, depuis le non-respect de la primauté du droit en juin 2009, le Honduras a vu ses institutions gouvernementales et civiles régresser considérablement par rapport aux progrès qui avaient été réalisés à cet égard au cours des 20 années qui ont précédé cette période. De plus, ce recul se poursuit. Le processus est conçu pour accroître de manière transparente le pouvoir de l'élite richissime. Il désavantage donc la majorité des Honduriens. Certains changements, comme la restriction des droits et la militarisation des services de police civils, ont été justifiés par la présence au Honduras de cartels de la drogue, mais ils créent un écran de fumée qui camoufle d'autres mesures, comme la loi qui permet au congrès d'enquêter sur n'importe quel fonctionnaire et de démettre n'importe lequel d'entre eux de ses fonctions. Ces mesures engendrent l'impunité et concentrent le pouvoir dans les mains du congrès.
Dans un tel environnement, il est difficile d'imaginer comment on pourrait empêcher qu'un accord de libre-échange serve d'outil de concentration de la richesse et contribue au déclin continu du statut de la majorité des Honduriens. Nous espérons que cet accord permettra au gouvernement du Canada d'exercer des pressions sur le gouvernement du Honduras afin qu'il rétablisse les droits des citoyens, freine les abus de la police et de l'armée et protège le bien commun.
Merci.