propose que le projet de loi C‑354, Loi modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (spécificité culturelle du Québec et francophonie), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, le projet de loi C‑354 du Bloc québécois implique une modification de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour que le Conseil consulte le gouvernement du Québec au sujet de la spécificité culturelle du Québec et les gouvernements des autres provinces au sujet des marchés francophones qui s'y trouvent avant d'exécuter sa mission et d'exercer ses pouvoirs en lien avec les aspects du système canadien de radiodiffusion qui concerne ces sujets.
Le projet de loi C‑354 vise donc à protéger la spécificité culturelle du Québec et la francophonie dans le cadre de l'application de la nouvelle Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Il implique la mise en place de consultations du gouvernement du Québec et des gouvernements des provinces avant de réglementer sur des aspects touchant la spécificité culturelle du Québec.
Ce projet de loi répond à une demande formelle du gouvernement du Québec lors des débats entourant le projet de loi C‑11 voulant que soit créé un mécanisme de consultation obligatoire et officielle du gouvernement du Québec. Le Québec veut avoir son mot à dire avant toute intervention du CRTC susceptible de toucher des entreprises offrant des services au Québec et d'avoir un impact sur le marché québécois. La motion adoptée à l'Assemblée nationale du Québec à ce sujet précise d'ailleurs que le Québec entend utiliser tous les outils à sa disposition afin de protéger sa langue, sa culture et son identité.
Le projet de loi C‑354 répond aussi de manière constructive à la décision inquiétante du fédéral, l'an dernier, de mettre fin à la tradition d'alternance entre francophones et anglophones à la présidence du CRTC. Ce projet de loi concorde aussi avec la reconnaissance par la Chambre des communes que les Québécois forment une nation. Les Québécoises et les Québécois forment un peuple distinct, une nation avec une identité qui lui est propre et qui repose sur son histoire, et notamment sur notre culture et notre langue. Pour une nation, il est normal et même essentiel de gérer sa culture. L'accès à la langue et à la culture publique commune du Québec permet aux nouveaux arrivants de participer et d'enrichir la société québécoise, comme de bénéficier des mêmes droits et des mêmes devoirs que tous les citoyens du Québec.
L'idée d'être souverain dans la gestion des télécommunications ne date pas d'hier. En 1929, le premier ministre québécois Louis‑Alexandre Taschereau faisait voter la loi relative à la radiodiffusion en cette province. Cependant, au lieu de travailler de concert en collaboration avec Québec, Ottawa a répliqué à l'idée de Taschereau en 1932 en créant la Commission canadienne de la radiodiffusion, l'ancêtre du CRTC actuel sous la Loi canadienne sur la radiodiffusion. L'idée d'être souverain dans la gestion des communications est demeurée vivante, malgré l'ingérence fédérale.
En 1968, le premier ministre Daniel Johnson déclarait ce qui suit:
L'attribution des ondes ne peut et ne doit pas être l'apanage du gouvernement fédéral. Le Québec ne peut tolérer plus longtemps d'être tenu à l'écart d'un domaine où son intérêt vital est aussi évident.
Entre 1990 et 1992, le ministre québécois des Communications de l'époque, le libéral Lawrence Cannon, préparait un projet de propositions québécoises dans lequel on pouvait lire ceci:
Le Québec doit pouvoir déterminer les règles de fonctionnement des systèmes de radio et de télévision, contrôler les plans de développements des réseaux de télécommunications, la tarification des services de même que la réglementation des nouveaux services de télécommunications. [...] Le Québec ne peut laisser à d'autres le contrôle de la programmation des médias électroniques sur son territoire. [...] Pour y arriver, le Québec doit avoir pleine juridiction et avoir recours à un seul organisme de réglementation.
Ce même Lawrence Cannon est devenu en 2006 ministre au sein du Cabinet conservateur sous le premier ministre Stephen Harper.
Le 9 avril 2008, les ministres libéraux Christine Saint‑Pierre et Benoît Pelletier ont transmis une lettre aux conservateurs d'Ottawa — Josée Verner et Rona Ambrose, à ce moment — afin de conclure des ententes de rapatriement dans le secteur de la culture, de la radiodiffusion et des télécommunications.
En voici le contenu:
La présente vise à vous faire part de la volonté du Québec d'entreprendre, dans les meilleurs délais, des discussions relatives à la conclusion d'une entente Canada-Québec concernant le secteur des communications […] et d'une entente Canada-Québec relative à la culture.
Considérant que le Québec, seul État francophone en Amérique, dispose d'une culture spécifique, nous sommes d'avis que la conclusion d'une telle entente administrative assurerait une meilleure prise en compte de la particularité du contenu québécois en radiodiffusion et télécommunications et constituerait une reconnaissance de l'importance de protéger et de promouvoir cette spécificité culturelle.
Le Bloc québécois est convaincu que les télécommunications et la radiodiffusion sont d'une importance capitale pour la vitalité de la culture québécoise. C'est une évidence. C'est pourquoi nous sommes de l'avis que, ultimement, il faut que ces secteurs soient régulés par Québec. Cela devrait être sous un conseil québécois de la radiodiffusion et des télécommunications, un CQTR. C'est la seule manière qui nous permettrait d'avoir le plein contrôle, d'être maîtres des décisions qui concernent notre langue et notre culture.
Le Québec doit disposer des leviers nécessaires afin de favoriser une offre québécoise diversifiée dans les marchés télévisuels et les plateformes numériques, qui sont de plus en plus prédateurs. Comme le démontre la dramatique crise des médias au Québec, des petits journaux régionaux jusqu'à la restructuration du Groupe TVA, il est impératif de maintenir une diversité francophone des sources d'information et de la pluralité des voix, peu importe la taille du groupe médiatique.
De plus, la stratégie de déploiement de l'Internet doit être mieux coordonnée en fonction des intérêts du Québec, notamment pour assurer le droit d'accès à une connexion Internet sûre, abordable et de qualité. Le développement culturel du Québec passe par la capacité d'en déterminer les modalités de transmission en radiodiffusion, soit la télévision, la radio et les nouveaux médias. Face à une décision que le gouvernement du Québec jugerait contraire à l'intérêt public, c'est à l'Assemblée nationale du Québec d'en demander la révision.
La fermeture de la station radiophonique CKAC en 2005 illustre la paralysie du gouvernement du Québec d'influer sur des décisions qui l'affectent directement dans sa tâche de développer, promouvoir et distribuer sa culture. Malgré une motion unanime de l'Assemblée nationale, votée le 10 mars 2005, qui demandait le maintien de la station CKAC, le CRTC est demeuré muet et a permis la fermeture de cette station de radio historique.
Par ailleurs, cet enjeu n'est même pas partisan au Québec. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l'ère de Taschereau ont toujours défendu l'indépendance que devrait avoir Québec dans la gestion de ses télécommunications. C'est pourquoi il est particulièrement frustrant de se heurter à des refus ou à de l'ignorance pure. Les nombreux silences de la part d'Ottawa montrent un mépris, sinon une indifférence du gouvernement fédéral envers la culture québécoise et les institutions politiques du Québec.
Cela étant dit, ce n'est pas par les tribunaux que nous obtiendrons notre droit de développer notre culture. La Cour suprême du Canada a jugé à de nombreuses reprises que les télécommunications et la radiodiffusion relevaient du gouvernement fédéral. Cependant, le pouvoir de déléguer ce pouvoir administratif repose sur la volonté des parlementaires de la Chambre des communes. Ce type d'entente existe déjà. La Gendarmerie royale du Canada a délégué ses pouvoirs à la Sûreté du Québec pour la protection du territoire québécois. La gestion du transport lourd interprovincial et l'attribution de permis de pêche en eau douce sont assurées par la Sûreté du Québec. Il suffit d'un peu de volonté politique pour signer une entente administrative qui changerait le destin de la culture québécoise.
S'il le souhaite, le gouvernement fédéral pourrait changer aujourd'hui la Loi sur la radiodiffusion et sa loi sur les télécommunications afin d'y intégrer une telle entente administrative. Les projets pilotes de l'assurance-emploi sont intégrés de cette manière à la loi fédérale portant le même nom.
La présentation du projet de loi C‑354 est une modeste tentative de faire respecter minimalement les droits des Québécois quant à leur culture et à la gestion de leurs télécommunications. C'est la moindre des choses.
Dans un monde idéal, le gouvernement du Québec mettrait en place une loi créant le Conseil québécois de la radiodiffusion et des télécommunications. En parallèle, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications pourrait déléguer la gestion des licences québécoises au CQTR, qui réglementerait les entreprises de télécommunications et de radiodiffusion présentes au Québec. De cette façon, l'injustice qui persiste depuis une centaine d'années serait réparée.
Le déclin vécu par la langue et la culture française est indéniable. Il est maintenant essentiel de poser les gestes qui s'imposent pour les protéger.
Nous invitons donc les députés de tous les partis qui ont à cœur la culture québécoise et la francophonie à voter en faveur de notre projet de loi.