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ENVI Rapport du Comité

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EXAMEN QUINQUENNAL DE LA LOI
CANADIENNE SUR LA PROTECTION
DE L’ENVIRONNEMENT, 1999 :
COMBLER LES LACUNES

PROLOGUE : L’HISTOIRE D’O3, UNE LEÇON DE PRUDENCE

Text Box: Il fallait donc trouver un nouveau produit chimique pour remplacer l’ammoniac. Les chlorofluorocarbones convenaient très bien, étant donné que sur le plan chimique, ils avaient de fortes propriétés non réactives. Il était possible de les mettre dans un réfrigérateur et de les comprimer et, lors de leur expansion, ils vidaient le réfrigérateur de sa chaleur. Tout le monde pensait que c’était formidable.

À cette époque, personne n’aurait cru que ces produits chimiques pouvaient avoir un impact sur la couche d’ozone stratosphérique. Et comment auraient-ils pu prévoir une telle chose? Qu’est-ce qui aurait amené qui que ce soit à penser cela? On n’avait aucune notion sur la détérioration de la couche d’ozone. C’est une question qu’on n’avait même pas étudiée. Il y avait un problème, la réfrigération. Il y a eu une percée énorme. En se servant du fréon plutôt que de l’ammoniac, on a sauvé des milliers de vies.

M. Joe Schwarcz
directeur, Bureau des sciences et de la société, Université McGill)
Témoignages, 21 juin 2006

Le témoignage ci‑dessus concernant l’histoire des CFC et de l’ozone stratosphérique permet de souligner un certain nombre d’arguments au sujet de la gestion des produits chimiques. Le premier est que les produits chimiques sont très utiles. La réfrigération est l’une des plus grandes inventions sur le plan de la santé publique. Elle est issue de la connaissance des effets de la compression et de l’expansion des gaz. On employait autrefois de l’ammoniac, mais ce gaz est très toxique et il a été à l’origine de beaucoup de décès.

Les chimistes et ingénieurs ont donc cherché une autre solution et ils se sont tournés vers les CFC. Il est à peine besoin de rappeler qu’ils étaient animés des meilleures intentions du monde. Ces produits ont réglé le problème de la toxicité de l’ammoniac, mais, à l’insu des scientifiques, ils ont causé un autre problème : la détérioration de la couche d’ozone de la stratosphère. Aucune base cognitive n’aurait, à l’époque, permis aux chimistes de prévoir la réaction entre les CFC et la couche d’ozone dans la couche supérieure de l’atmosphère. À mesure que l’on a mieux su connaître et surveiller la chimie atmosphérique, on s’est aperçu que la couche d’ozone se détériorait. Le monde a alors réagi en produisant l’un des traités internationaux les plus réussis : le Protocole de Montréal.

Si l’histoire s’arrêtait là, nous pourrions nous fier à nos moyens de résoudre les problèmes à mesure qu’ils surviennent. Mais ce n’est pas le cas.

En 1995, Paul Crutzen remportait le Prix Nobel de chimie. Le passage qui suit est extrait de son discours.

Text Box: <sup>[Traduction]</sup> Cela suscite la pensée cauchemardesque que, si l’industrie chimique avait produit des composés organobromés au lieu des CFC, ou encore si la chimie du chlore s’était développée comme celle du brome, nous aurions, sans nous y être préparés, dû faire face à une détérioration catastrophique de la couche d’ozone, partout et en toutes saisons au cours des années 1970, probablement avant que les spécialistes de l’atmosphère aient acquis le savoir nécessaire pour circonscrire le problème et trouver des moyens de la mesurer correctement. Je rappelle que personne, avant 1974, n’avait songé aux conséquences atmosphériques de la diffusion de Cl ou de Br, et il est clair que l’humanité a eu beaucoup de chance que l’activation du Cl ne puisse se faire que dans certaines conditions précises. Cela montre bien que nous devrions toujours être sur nos gardes et nous soucier des conséquences de la diffusion de nouveaux produits dans l’environnement.

Paul Crutzen
My Life With O3, NOx And Other YZOx S
discours Nobel, 8 décembre 1995

Pour ce qui est de l’ozone stratosphérique, les êtres humains ont eu de la chance. Si l’on avait retenu la solution des composés organobromés au lieu des composés à base de chlore, des radiations ultraviolettes auraient probablement enveloppé le globe tout au long des années 1970. On n’aurait pas eu le temps d’acquérir le savoir nécessaire pour trouver une solution au problème.

Voilà donc une leçon de prudence. Nous devons reconnaître qu’il y aura toujours une part de risque et qu’il peut être nécessaire de prendre des décisions en sachant qu’il y aura probablement toujours un élément d’inconnu. Cela dit, et bien que les risques ne soient pas nécessairement clairs, les enjeux peuvent être très importants.

La leçon à tirer ici est que notre système de gestion des risques associés aux produits chimiques est à la mesure du savoir sur lequel il s’appuie. Nous devons toujours être conscients du fait que notre savoir n’est peut‑être pas complet et tenter de combler les lacunes en agissant avec la prudence qui s’impose.

INTRODUCTION

DÉLIMITATION DE L’ÉTUDE

C’est le 25 avril 2006 que le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes (le Comité) a été chargé d’examiner les dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, 1999 (la LCPE 1999). Il a entrepris cet examen le 10 mai de la même année.

La LCPE 1999 est une loi complexe aux nombreuses dispositions qui sont en vigueur depuis seulement six ans. Le Comité a donc commencé par organiser trois réunions pour circonscrire son travail. Les thèmes et questions qu’il a décidé d’examiner sont énumérés à l’annexe du rapport. De nombreux aspects n’ont donc pas été examinés en détail, notamment les parties 6 à 9 de la Loi (et les huit rubriques de la partie 7).[1] Bien que le Comité ait circonscrit le champ de son étude, il n’a pas été interdit aux témoins d’aborder d’autres questions de temps à autre, mais leurs interventions ne sont pas toutes analysées ici[2].

Il était clair, d’après ce bref exercice de délimitation, que la Partie 5 de la Loi (Substances toxiques) était, ainsi qu’un fonctionnaire l’a qualifiée, « un volet crucial de la Loi ».[3] Elle contient les dispositions de la Loi qui énoncent le mode d’évaluation de la toxicité d’une substance et les pouvoirs de réglementation applicables à sa gestion. Il était également manifeste que cette Partie de la Loi était aussi l’objet des préoccupations les plus importantes de l’ensemble des parties intéressées.

Le Comité a donc passé le plus clair de son temps à examiner la Partie 5 et son mode d’application. D’autres questions ont également beaucoup retenu son attention, en particulier des aspects de la Partie 1 (Application administrative), de la Partie 2 (Participation du public), de la Partie 3 (Collecte de l’information et établissement d’objectifs, de directives et de codes de pratique), de la Partie 4 (Prévention de la pollution) et, dans une certaine mesure, de la Partie 10 (Contrôle d’application) et de la Partie 11 (Dispositions diverses).

PROCÉDURE

L’étude s’est déroulée, dans toute la mesure du possible, sous la forme d’une table ronde, autour de laquelle diverses parties intéressées aux points de vue différents ont été invitées à discuter de certaines questions. Les thèmes abordés ont été affichés sur le site Web du Comité pour que ceux qui désiraient intervenir en personne ou adresser des mémoires puissent le faire et s’y préparer, quoique les dates effectives n’aient pas pu être déterminées longtemps à l’avance. Cette méthode a généralement bien fonctionné, car l’interaction des idées a permis de rapidement circonscrire les problèmes et de trouver des terrains d’entente et des solutions.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

RÉVISER OU NE PAS RÉVISER LA LOI?

Un groupe environnemental à qui l’on demandait si la LCPE 1999 était un succès a répondu que « [s]elon nous, selon les asthmatiques, selon les personnes en difficulté d’apprentissage, selon les victimes du cancer, la réponse est non ».[4] Le même groupe a fait remarquer que, selon ses estimations, les émissions de produits polluants augmentent et qu’elles sont globalement pires, par site, que celles que produisent les États-Unis, notamment dans la région des Grands Lacs.

Si tel est le cas (pour plus de détails, voir l’analyse de la surveillance et de la reddition des comptes), la question devient la suivante dans le cadre de cette révision : quelle en est la cause, et la LCPE 1999 ou son application y sont‑elles pour quelque chose? La réponse définitive n’est pas simple, mais il ne semble pas que la LCPE 1999 soit en cause.

Les intervenants ont convenu que la Loi est très détaillée, mais prévoit de nombreux pouvoirs utiles qu’il reste à explorer. Comme l’un des témoins l’a résumé, « je n’ai rien, en soi, à reprocher à la Loi. Cela me rappelle l’anecdote de l’enfant qui a appris les bonnes manières, mais qui ne les applique pas[5] ».

À quelques rares exceptions près, les témoins étaient généralement d’accord avec l’esprit de cette déclaration. La LCPE a fait l’objet d’une révision en profondeur après un examen long et détaillée de la version de 1988. Cela a donné une loi cinq fois plus longue que l’originale, énonçant notamment des pouvoirs dont le gouvernement fédéral n’avait jamais joui auparavant et dont certains étaient aussi, selon les ministères de l’Environnement et de la Santé, uniques au monde. Elle incorporait de nombreux concepts relativement nouveaux, comme le développement durable et le principe de précaution, qui n’avaient pas encore été appliqués à la gestion des produits chimiques.

Compte tenu de ces éléments et du peu de temps écoulé depuis l’entrée en vigueur de la Loi, on ne saurait se surprendre de la déclaration d’un fonctionnaire selon qui « le fait est que nous sommes encore en train d’apprendre[6] ». D’autres ont formulé les opinions suivantes :

La Loi n’est pas en application intégrale. Certaines parties ou certains aspects doivent encore en être interprétés. Et même ceux qui ont été interprétés et mis en application n’ont pas encore été mis à l’essai. Il y a peut-être un ou deux exemples, ou bien les résultats ne sont pas encore clairs. Par conséquent, on a de la difficulté à déterminer ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas bien, à déterminer si elle comporte des lacunes au niveau de la structure législative ou plutôt au niveau de son application[7].

Le Comité est donc convaincu qu’une autre révision en profondeur de la LCPE serait non seulement inutile, mais probablement improductive. En ajoutant une autre série de courbes d’apprentissage à celles qu’il faut encore terminer, on pèserait sur les ressources de toutes les parties intéressées et l’on risquerait de retarder les progrès dans l’amélioration de la protection de l’environnement et de la santé. Comme l’a déclaré un témoin, « il y a un prix à payer, même pour des changements judicieux[8] ».

Le manque de fonds a été signalé comme étant une lacune importante dans l’application de la LCPE. La LCPE 1999 impose au gouvernement quelques obligations, dont celle de catégoriser les substances de la Liste intérieure et celle d’évaluer dans un délai maximal de 90 jours les substances nouvelles, après quoi elles sont systématiquement sur le marché. Ces deux obligations semblent avoir exigé des ressources considérables, en laissant peu pour explorer des applications originales et utiles d’autres pouvoirs prévus par la LCPE 1999, un fait auquel ont fait allusion, à quelques reprises, des témoins et des fonctionnaires.

Cela ne signifie cependant pas qu’il n’est pas possible d’améliorer la Loi. Notre rapport vise surtout à améliorer le savoir et le mode d’application, mais nous recommandons également diverses modifications importantes.

PORTE‑DRAPEAU OU FILET DE SÉCURITÉ?

La LCPE 1999 est considérée par certains comme « l’un des principaux outils dont s’est doté le gouvernement du Canada pour réaliser le développement durable et prévenir la pollution[9] », tandis que d’autres estiment qu’elle est « l’épine dorsale de la législation canadienne sur l’environnement[10] ».

Compte tenu des nombreuses autorités qui ont rarement, sinon jamais été employés, le Comité ne sait pas exactement ce que le gouvernement définit comme le rôle qui revient à la LCPE 1999. Ainsi, la LCPE 1999 confère au gouvernement le pouvoir de prendre des règlements pour contrôler les produits contenant des substances toxiques (jamais employées), de prendre des arrêtés d’urgence concernant des substances potentiellement dangereuses (jamais employées), d’exiger de l’industrie des plans de prévention de la pollution (sept avis exigeant des plans), de procéder à la quasi-élimination des substances toxiques persistantes et bioaccumulables (une seule, pas encore en vente, a été inscrite sur la liste de quasi-élimination) et demander des renseignements sur des substances dont le ministre soupçonne qu’elles sont ou pourraient devenir toxiques (emploi limité).

On peut donc penser que, s’il est vrai qu’il ne s’agit pas seulement de l’un de ses principaux instruments, le gouvernement a dégagé les fonds nécessaires pour explorer plus largement les pouvoirs que la LCPE 1999 lui confère. D’autres ont également fait remarquer sans détour qu’il y a lieu de circonscrire le rôle de la LCPE 1999 :

[…] autant que nous le sachions, il n’y aurait pas de perception commune du rôle qu’est appelée à jouer la LCPE. Certaines personnes la considèrent comme un filet de sécurité. Cette expression a été souvent utilisée. D’autres personnes la voient comme une loi qui sert de fondement à d’autres lois fédérales, provinciales ou territoriales ou comme une loi d’ensemble pour le pays[11].

Le Comité est d’avis que la LCPE 1999 n’est pas simplement l’un des principaux instruments du gouvernement du Canada pour prévenir la pollution, mais qu’elle est son instrument primordial et qu’elle doit être appliquée et communiquée en tant que telle.

Cela ne veut pas dire qu’elle doit éclipser les autres textes législatifs. Il existe de nombreuses autres lois importantes, par exemple la très récente Loi sur les produits antiparasitaires (promulguée le 28 juin 2006) et la Loi sur les drogues et aliments, qui jouent aussi un rôle important en matière de prévention de la pollution, parallèlement à d’autres textes de moindre importance, comme la Loi sur les produits dangereux.

Toutes ces lois constituent une sorte de filet de sécurité législatif de compétence fédérale qui protège la population et l’environnement contre la pollution de produits, ainsi que contre les émissions et effluents. Mais la LCPE 1999 devrait, à tout le moins, fixer la barre à laquelle les autres lois doivent se mesurer, et, dans certains cas, elle pourrait assumer plus efficacement le rôle que ces lois jouent actuellement. Toutes les lacunes du filet de sécurité doivent être comblées.

LES OBJECTIFS DE LA LCPE 1999

Le Ministère a souligné trois objectifs de la Loi :

·        Contribuer à un développement durable en prévenant la pollution;

·        Promouvoir l’action coordonnée dans l’ensemble du Canada pour atteindre la meilleure qualité environnementale favorable à la santé de tous les Canadiens;

·        Gérer les risques que présentent les substances nocives; éliminer pratiquement tous les rejets des produits chimiques les plus dangereux.[12]

Puisque, selon certains témoins, les émissions de polluants augmentent au lieu de diminuer, qu’il n’y a qu’un seul accord d’équivalence provincial[13] et que les dispositions de quasi‑élimination ne sont pas encore appliquées, un examen même superficiel donnerait à penser que au moins certains des objectifs fondamentaux de la Loi ne sont tout simplement pas encore réalisés. Le reste de notre rapport concerne les questions précises qui ont été soulevées et analysées, et la façon dont la LCPE 1999 et son application peuvent être améliorées pour que ces objectifs soient réalisés.

LE SAVOIR

Quel que soit le rôle attribué à la LCPE 1999, il est clair que, sur le fond, la Loi a trait au savoir, notamment :

·        à sa qualité et sa nature,

·        aux décisions à prendre en sachant qu’il est et sera peut‑être toujours incomplet,

·        au partage des connaissances,

·        à leur amélioration,

·        au processus qui permet d’en suivre l’évolution et d’en rendre compte.

SURVEILLANCE ET REDDITION DES COMPTES

Le gouvernement n’a pas le monopole du savoir, mais il doit être une source exhaustive à laquelle il soit possible de se fier. Il existe dans le domaine public beaucoup d’information de mauvaise qualité ou incomplète, qui peut être mal interprétée. Dans le contexte des substances toxiques, cela peut signifier que les gens vivent dans un état de crainte inutile et peut donner lieu à de l’exploitation et à du « charlatanisme ». Mais, plus généralement, la surveillance et la reddition des comptes sont indispensables au processus décisionnel.

Comment peut-on toutefois prendre des décisions, savoir si la Loi est efficace et déterminer quels types de dispositions il faudrait y ajouter si l’on n’a pas d’information ou d’information assez fiable pour savoir si l’état de l’environnement s’améliore, s’il ne s’améliore pas et quelles mesures il serait essentiel de prendre[14]?

État de la reddition des comptes sur l’environnement

La LCPE 1999 elle‑même donne le mandat suivant au ministre de l’Environnement :

[…] diffuser — notamment par l’intermédiaire d’un bureau central d’information ou par publication — ou prendre les mesures en vue de diffuser l’information sur la prévention de la pollution et l’information pertinente sur tous les aspects de la qualité de l’environnement, et faire rapport périodiquement sur l’état de l’environnement canadien.

Le Comité a été atterré d’apprendre que, peut‑être en raison d’autres priorités, le gouvernement a pour ainsi dire abandonné la surveillance, la reddition des comptes et la communication détaillées de l’information sur la pollution et la santé environnementale et humaine. En 1991 et en 1996, le gouvernement a produit un grand nombre de publications sur l’état de l’environnement au Canada. Depuis, ces rapports sont de plus en plus régionaux et ponctuels, et d’autres projets valables, comme celles du Système canadien d’information pour l’environnement, sont apparemment moribonds. Des fonctionnaires ont admis que la production de rapports représente une importante charge de travail :

Très franchement, le ministère recueille beaucoup de données mais ne réussit pas bien à les diffuser et à les expliquer[15].

Ces nombreux rapports étaient utiles, et toutes les parties intéressées ont invité le gouvernement à faire un meilleur travail en matière de reddition des comptes sur l’état de l’environnement au Canada. Les objectifs des rapports de 1991 et de 1996 étaient de fournir des données actuelles, exactes et accessibles, associées à des facteurs socioéconomiques, d’améliorer le processus décisionnel et d’appuyer les progrès en direction de la durabilité. Ils devraient être rétablis avec l’aide de la technologie actuelle, qui permet d’avoir accès aux données et de les analyser.

Recommandation 1

Sur l’état de l’environnement, le gouvernement devrait publier tous les deux ans un rapport sous forme électronique et sous forme imprimée, afin de fournir des données actuelles, exactes et accessibles, associées à des facteurs socioéconomiques, d’améliorer le processus décisionnel et d’appuyer les progrès en direction de la durabilité.

La communication d’un savoir complexe n’est pas tâche aisée et, comme certains l’ont rappelé, il s’agit d’une sous‑discipline virtuelle d’une science exigeant une formation spécialisée. Il convient d’assumer ce rôle avec grande précaution, notamment lorsqu’il s’agit de communiquer des connaissances sur les effets des produits chimiques sur la santé humaine. Ce point de vue a été souligné dans les témoignages :

Lorsqu’on met en œuvre la LCPE, je crois important de faire comprendre au public en quoi cela consiste. Il faut longuement réfléchir pour savoir quel vocabulaire utiliser pour rejoindre le public. Il faut lui faire comprendre que des mesures sont prises. Cela présente néanmoins des risques. Nous ne vivons pas dans un monde où nous pouvons éviter tous les risques. Il y a un certain niveau de risque à accepter, car cela fait partie de notre style de vie. Il s’agit de comparer les risques avec les avantages[16].

La qualité de la reddition de comptes et des évaluations dépendra de la quantité, de la qualité et de la nature des renseignements recueillis. À l’heure actuelle, le savoir relatif à la toxicité des produits chimiques et le contact des Canadiens avec ces produits est très lacunaire. Ainsi, les évaluations concernant l’exposition sont limitées à cause de l’absence d’études de surveillance biologique ainsi que du caractère incomplet et de la difficulté d’analyse de l’Inventaire national des rejets de polluants. La qualité des évaluations de l’impact des rejets de substances toxiques et de l’exposition à ceux-ci sur la santé humaine est l’environnement est limitée à cause du manque de renseignements sur les effets des mélanges complexes de produits chimiques et les effets chroniques à long terme.

Une fois ces lacunes comblées, les Canadiens pourront mieux comprendre les risques que présentent les produits chimiques, et cela aidera à réduire l’incertitude et à élargir notre base de connaissances sur le processus d’évaluation des risques.

COLLECTE D’INFORMATION SUR LES SUBSTANCES

L’évaluation des risques, l’innocuité et le fardeau de la preuve

L’expression « fardeau de la preuve » est un peu trompeuse. Par exemple, selon la recommandation d’un témoin, « le fardeau de démontrer la sécurité des produits devrait incomber à ceux qui désirent mettre de nouveaux produits chimiques sur le marché ou remettre sur le marché des produits interdits[17] ».

En première analyse, cette recommandation pourrait donner lieu à des interprétations assez perverses. Premièrement, il est impossible de garantir  la sécurité absolue — en fait, faire la preuve du contraire — et, deuxièmement, le fait de confier au secteur privé le soin de faire la preuve de la sécurité reviendrait un peu à charger le loup de la bergerie. Ce n’est pas, bien entendu, ce dont il était question. Il y a plusieurs façons d’interpréter la notion de « fardeau de la preuve » qui répartissent le fardeau (aussi appelé charge ou responsabilité) du processus d’évaluation différemment entre les autorités et l’industrie.

Concernant les nouvelles substances ou les nouveaux usages visés par la LCPE 1999, les ministres exigent actuellement de l’industrie de fournir des données comme le stipule le Règlement. Ils doivent ensuite évaluer les données pour déterminer si telle substance est toxique ou capable de le devenir selon la Loi. Il incombe à l’industrie de fournir les données et aux autorités de déterminer si la substance est toxique ou capable de le devenir.

Comme le terme « toxique » est défini[18] dans la Loi par une évaluation complète des risques, autant en termes de danger que d’exposition, les ministres ont essentiellement pour tâche de déterminer un niveau de risque inacceptable. Selon les termes de la Loi, ils doivent déterminer si la substance est, ou peut être, nocive ou dangereuse pour la santé humaine ou l’environnement.

Les décisions se fondent donc sur l’ampleur et la nature de l’information nécessaire et sur la hauteur de la barre subjective que le gouvernement a fixée pour définir le risque acceptable.

Il a été recommandé de demander à l’industrie de faire la preuve de l’innocuité des substances. En fait, il s’agit là, dans une certaine mesure, de l’inverse de ce qui se passe actuellement. Les ministres auraient alors à décider si l’industrie a démontré suffisamment que les risques sont acceptables. Dans un cas comme dans l’autre, les ministres auraient à établir un niveau de risque acceptable.

Le programme REACH[19] (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals), qui a été récemment approuvé par l’Union européenne (mais qui n’est pas encore en vigueur), a été cité comme exemple d’un « renversement du fardeau de la preuve ». Il obligerait l’industrie à tester les substances, à évaluer les risques qu’elles présentent et à élaborer une stratégie pour les gérer. Il « est fondé sur le principe que le secteur doit produire, importer ou utiliser des substances, ou les mettre sur le marché de façon responsable et avec la prudence nécessaire pour éviter, dans des conditions raisonnablement prévisibles, les effets néfastes sur la santé humaine et l'environnement. »[20]

En effet, Il faudra présenter un dossier renfermant les renseignements, les évaluations et les stratégies de gestion des risques requis aux autorités pour obtenir l’enregistrement d’une substance. Celles-ci pourraient jouer un rôle plus important concernant les substances préoccupantes. Certains ont aussi suggéré qu’à cause de REACH, il faudra augmenter les contrôles d’application.

Au Canada, les modifications apportées à la Loi sur les produits antiparasitaires (LPA) en juin 2006 ont trait au fardeau de la persuasion :

Lors des évaluations :

a) il incombe au demandeur de convaincre le ministre que la valeur du produit et les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont acceptables […]

Pour l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), cela veut dire que le demandeur doit fournir les renseignements requis et faire la preuve que la valeur du pesticide et les risques qu’il présente sont acceptables[21].

Il a été proposé d’appliquer cette notion à la LCPE 1999. La façon dont l’ARLA applique cette notion s’approche de ce que prévoit la LCPE 1999 pour les nouvelles substances. Ainsi, le rôle des ministres, selon la LCPE 1999, serait toujours d’évaluer les renseignements fournis par l’industrie et d’établir un niveau de risque qui est acceptable. Ajouter l’idée du fardeau de la persuasion de la LPA ne ferait que clarifier ce qui se fait essentiellement déjà.

Toutefois, pour les substances actuelles, le gouvernement était tenu jusqu’à maintenant d’identifier toutes celles jugées préoccupantes parmi les 23 000 inscrites dans la liste intérieure (LIS). Il devait donc recueillir et analyser les données pour en démontrer la toxicité, ce qu’il faisait en établissant la liste des substances d’intérêt prioritaire (LSIP) et en examinant les décisions internationales. Établir la LSIP a toutefois été un travail très long et très onéreux.

Le gouvernement était aussi tenu de catégoriser, dans un délai de sept ans, les substances de la LIS selon leur action potentielle sur l’homme et selon qu’elles sont persistantes (P), bioaccumulables (B) et intrinsèquement toxiques (iT) (collectivement, PBiT), travail qu’il a terminé en septembre 2006. Quelque 4 000 substances ont été jugées d’intérêt prioritaire.

En conséquence, il a publié en décembre 2006 une liste de 200 substances d’intérêt hautement prioritaire à inscrire à l’annexe 1 de la Loi, à moins que l’industrie ne fournisse plus d’information (voir la partie sur les échéances ci-après). L’information demandée, du moins en ce qui concerne le premier lot de substances chimiques, porte sur les volumes et les usages, et non sur la toxicité. L’évaluation de l’information additionnelle, si elle fournie, déterminera la réponse du gouvernement. Les substances pourraient être inscrites à l’annexe 1 ou sur la liste des substances d’intérêt prioritaire, ou encore être soustraites à toute autre mesure (par. 77(2)).

Sur ces 200 substances d’intérêt hautement prioritaire, l’industrie devra donc fournir de l’information pour persuader le gouvernement qu’elles ne présentent aucun danger ou qu’elles doivent faire l’objet d’une étude plus poussée, sans quoi elles seront inscrites à l’annexe 1 et, dans le cas des PBiT, elles feront l’objet d’une quasi-élimination.

Le principe selon lequel l’industrie devrait être tenue de persuader le gouvernement de l’innocuité d’une substance, actuelle ou nouvelle (en fait, du risque acceptable qu’elle présente), est bon et devrait être inscrit dans la Loi. Cela ne changera sans doute pas grand-chose pour les substances nouvelles, si ce n’est de mettre l’accent sur l’innocuité et de tracer le chemin à suivre pour les autres substances de la LIS. Cela inciterait en particulier le gouvernement à exiger de l’industrie de l’information sur les substances actuelles. Les demandes d’information ne devraient pas se limiter aux quantités et aux usages, mais porter si nécessaire sur des essais de toxicité additionnels.

L’évaluation des substances nouvelles diffère de celle des substances actuelles. La meilleure façon d’’appliquer ce principe à l’évaluation des substances aux termes de la LCPE 1999, est de l’inscrire dans la partie 5, en prévoyant une certaine latitude de mise en œuvre.

Recommandation 2

Le gouvernement devrait modifier la partie 5 de la LCPE 1999 pour y énoncer un principe directeur de contrôle des substances toxiques selon lequel il incombe à l’industrie de faire la preuve, à la satisfaction du  ministre, que les risques associés à une substance nouvelle ou actuelle sont acceptables.

L’information relative à la Liste intérieure des substances

Parmi les 23 000 substances actuelles, on en a dénombré environ 4 000 qui sont jugées prioritaires, en raison de leur caractère persistant ou bioaccumulable et intrinsèquement toxique, ou parce qu’ils représentent un risque en raison de l’importance de la mise en contact avec les êtres humains. À l’origine, on avait circonscrit 200 substances PBiT et à contact important prioritaires. Par ailleurs, environ 3 800 ont été considérées comme préoccupantes, dont 150 ne sont essentiellement plus dans le commerce, et elles seront traitées comme des substances nouvelles.

Il peut cependant y avoir de nombreuses autres substances à caractère persistant, bioaccumulable ou intrinsèquement toxique qui pourraient être préoccupantes parmi les 19 000 autres produits chimiques. Ces derniers ne sauraient être considérés comme « sûrs » parce qu’ils n’ont pas été inscrits dans la liste intérieure des substances, et le gouvernement ne peut pas non plus renoncer à obtenir de l’information à leur sujet.

Quand nous parlons de renverser le fardeau de la preuve, il est important que l’on finisse par obtenir des données sur ces substances pour montrer qu’elles sont réellement sûres car certaines d’entre elles sont transportées dans des contenants portant une tête de mort. Il se trouve simplement qu’elles ne correspondent pas aux critères précis de la catégorisation.

Il importe de rester sceptique à l’égard de toutes les substances tant qu’on n’a pas de preuves suffisantes qu’elles sont sûres[22].

L’évaluation des autres substances de la LIS devra se faire selon un ordre de priorité. Alors que la persistance demeure un aspect important, il importe aussi de reconnaître que certaines substances sont présentes en concentrations potentiellement néfastes, non pas parce qu’elles se décomposent lentement dans l’environnement, mais parce qu’il y en a un apport constant dans l’environnement.

Il convient de préciser dans la LCPE que certains polluants découlent de substances en usage continuel, comme les produits chimiques en grand volume utilisés dans les produits d’hygiène personnelle et les produits pharmaceutiques. Ces substances sont continuellement réintroduites de l’environnement et, par conséquent, leur approvisionnement est continuellement renouvelé. Donc, la persistance est virtuelle et la notion de persistance doit être revue dans la Loi[23].

Recommandation 3

Dans l’évaluation des produits chimiques de la LIS et de tous ceux en instance d’évaluation environnementale, Environnement Canada devrait reconnaître que la persistance de ces produits peut tenir au fait qu’il y en a un apport constant dans l’environnement.

Le gouvernement doit, par nécessité, classer les résultats de la LIS par ordre de priorité en vue de leur évaluation ultérieure, mais il ne doit pas s’abstenir de demander d’autres renseignements sur les produits chimiques non identifiés dans le classement. Pour donner un sens au principe d’une plus grande responsabilisation de l’industrie, le gouvernement doit avoir plus de latitude pour recueillir les données dons il a besoin.

La mise à jour des données

L’un des principaux problèmes que soulevait le classement de la liste intérieure des substances était que la procédure dépendait de données vieilles de 20 ans sur la fabrication, l’importation et l’usage de substances. Le manque de données était tel que beaucoup de substances ont été classées comme incertaines ou n’ont pas été classées du tout[24].

Recommandation 4

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour veiller à ce que les données relatives à la fabrication, l’importation et l’usage de substances soient mises à jour tous les ans.

Avis de demande de renseignements

Pour accroître la qualité et la quantité d’information sur les propriétés toxiques éventuelles de substances, le gouvernement devrait être plus largement loisible d’exiger des renseignements. À l’heure actuelle, compte tenu de l’article 72, le ministre ne peut demander de renseignements en vertu de l’article 71 que s’il a des raisons de croire qu’une substance est toxique ou susceptible de le devenir. On ne sait donc pas avec certitude si l’article 71 peut servir à demander des renseignements sur toutes les substances inquiétantes. L’article 46 peut également être invoqué pour obtenir des renseignements sur les substances inscrites dans la Liste des substances d’intérêt prioritaire, ou qui ne sont pas jugées toxiques en raison des faibles taux d’exposition actuels.

Recommandation 5

Le gouvernement devrait modifier les articles 72 et 46 de la LCPE 1999 pour pouvoir obtenir de l’information sur toute substance inquiétante et prendre des décisions fondées sur le plus grand nombre de données possible.

Le partage d’information

La collecte d’information est un travail énorme. Beaucoup d’autres pays passent par les mêmes étapes. L’Union européenne, notamment, est sur le point de mettre en œuvre le programme REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals), qui permettra d’enregistrer plus de 30 000 substances. Ce programme est peut‑être fastidieux, comme certains l’estiment, notamment dans le secteur des produits chimiques, mais il permettra sans aucun doute de produire beaucoup de données sur les substances actuelles.

Le Canada doit faire de son mieux pour obtenir le plus grand nombre de ces données possible. Selon certains témoins, on peut déjà se servir de certaines dispositions de la LCPE 1999 (art. 316) et de REACH (ce qu’on appelle « l’article du Canada »)[25] pour négocier l’accès à des renseignements confidentiels. Ces possibilités doivent être exploitées vigoureusement. Par ailleurs, les entreprises qui doivent communiquer à REACH des données sur les substances importées au Canada doivent être tenues de les communiquer au Canada.

Recommandation 6

Si le programme REACH entre en vigueur, le gouvernement devrait immédiatement entamer des négociations pour obtenir une entente lui donnant accès aux données d’essais confidentiels produits en vertu de ce programme. Par ailleurs, il devrait modifier la LCPE 1999 pour exiger que les renseignements fournis à REACH sur les substances importées au Canada soient communiqués aux autorités canadiennes.

Les décisions d’autres juridictions

La Loi permet actuellement au ministre (art. 75) de collaborer avec d’autres juridictions (au Canada et dans le cadre de l’OCDE) et lui fait obligation d’examiner les décisions d’autres pays de l’OCDE, mais seulement si elle interdit ou limite considérablement l’usage d’une substance.

Le Comité a découvert que l’Australie peut accepter les décisions positives d’autres pays. Cela pourrait être un moyen valable d’accélérer les procédures et d’économiser des ressources. Mais, si le gouvernement adopte cette démarche, il devra le faire avec prudence. Les données d’évaluation des risques associés à une substance (toxicité intrinsèque) doivent être valables pour n’importe quel pays, mais les degrés d’exposition peuvent varier considérablement. L’évaluation globale des risques ne doit donc pas être acceptée telle quelle. La LCPE 1999 pourrait autoriser les ministres à accepter les évaluations d’un pays de l’OCDE, qu’elle soit positive ou négative.

Recommandation 7

Le gouvernement devrait entrer en pourparlers avec les autres pays de l’OCDE pour échanger de l’information sur toute substance préoccupante et, le cas échéant, modifier la LCPE 1999 à cette fin.

La qualité de l’information et les évaluations

Si l’on veut que les évaluations soient solides, il faut que l’information soit de grande qualité et que le résultat de l’évaluation puisse résister à l’examen. Il est primordial de recourir aux ouvrages examinés par des pairs pour obtenir de l’information et d’exiger que les entreprises qui fournissent des données emploient les meilleures méthodes de laboratoire reconnues. C’est ce qui se passe en général, mais la qualité pourrait être mieux garantie si le gouvernement avait le pouvoir de demander à des tiers de vérifier les données qu’il demande, notamment en vertu des articles 46 et 71.

Recommandation 8

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour pouvoir demander à des tiers de vérifier les données fournies par des personnes identifiées en vertu de l’article 46 ou de l’article 71 de la Loi.

La qualité de l’évaluation est peut‑être plus difficile à quantifier. Certains se sont plaints du fait que la procédure applicable aux nouvelles substances était trop fermée et n’était pas assujettie à un examen suffisant de la part de personnes extérieures aux ministères. Des consultations antérieures avaient, semble‑t‑il, permis de circonscrire le besoin de remettre aux déclarants un rapport provisoire complet sur l’évaluation d’une nouvelle substance ou d’un nouvel usage[26].

Les ministères ont répondu en déclarant que les évaluations font l’objet d’un examen par les pairs, mais on ne sait pas très bien comment cela se passe. De plus, des résumés des évaluations des substances nouvelles sont remis aux déclarants. Le Comité estime que la qualité des évaluations pourrait être améliorée si les déclarants (pour ce qui est des nouvelles substances) et les parties intéressées (pour ce qui est des substances actuelles) étaient informés du contenu du rapport provisoire complet et pouvaient faire connaître leur point de vue sur l’évaluation. La Gazette du Canada est l’instrument minimal pour assurer la transparence, mais elle n’est pas connue de tous. Des ébauches d’évaluation complète des substances actuelles devraient être publiées électroniquement sur le site web de la LCPE 1999, et des ébauches d’évaluation complète des substances nouvelles devraient être remises aux déclarants pour fin de commentaires. Si ce travail s’avère fastidieux, il y aurait peut-être lieu de retarder l’approbation des substances nouvelles.

Recommandation 9

Le gouvernement devrait remettre les rapports provisoires complets d’évaluation des substances nouvelles aux déclarants et publier électroniquement les rapports provisoires complets d’évaluation des substances existantes aux parties intéressées afin de leur donner la possibilité de faire connaître leur point de vue.

L’information commerciale confidentielle

Le Comité a longuement discuté de l’équilibre entre la publication de l’information relative à la toxicité d’une substance et la protection de l’information commerciale confidentielle. À l’heure actuelle, selon les témoins, le principal moyen par lequel il est possible d’obtenir de l’information est le recours à la Loi sur l’accès à l’information. C’est une méthode assez fastidieuse quand il s’agit de la santé humaine et de la toxicité éventuelle de substances.

Certains ont fait remarquer que la récente Approche stratégique de la gestion internationale des produits chimiques (ASGIPC), produite dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement, comprend une déclaration (la Déclaration de Dubaï), qui prévoit que, « en mettant à disposition les informations, les informations sur les produits chimiques qui ont trait à la santé et à la sécurité des êtres humains et à l’environnement ne devraient pas être considérées comme confidentielles[27] ».

C’est peut‑être effectivement le cas, mais la phrase qui précède dans ce même paragraphe de la Déclaration de Dubaï rappelle qu’il doit y avoir un équilibre, de sorte que le paragraphe reste ouvert à l’interprétation :

Nous veillerons à ce que, lorsque les informations sont mises à disposition, les informations et connaissances commerciales et industrielles confidentielles soient protégées conformément aux lois et réglementations nationales ou, en l’absence de ces lois et réglementations, conformément aux dispositions internationales[28].

Par ailleurs, le paragraphe 21 de la Déclaration prévoit que les pays signataires devraient faciliter l’accès du public à l’information utile. Le fait de permettre aux intéressés de recourir à la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir des renseignements ne peut pas vraiment être considéré comme un moyen de faciliter l’accès à l’information. Tout renseignement accessible ayant trait à la santé et la sécurité humaines et à l’environnement devrait pouvoir être consulté immédiatement dans le registre prévu par la LCPE 1999.

La LCPE 1999 ne définit pas clairement ce qu’est l’information commerciale confidentielle. Toutefois, la Loi sur les produits antiparasitaires la définit et fait nettement la distinction entre celle-ci et les résultats d’essais confidentiels, et, dans les deux cas, c’est la Loi sur l’accès à l’information qui sert d’étalon de mesure de la confidentialité.

Le traitement de l’accès aux résultats d’essais confidentiels, en vertu de la LPA, est un peu compliqué. Les gens peuvent avoir accès à ces résultats et en obtenir une copie si un règlement le permet, même si celui-ci n’est pas encore promulgué. Le ministre est tenu d’accorder aussi un droit séparé d’inspecter des résultats électroniques d’essais confidentiels.

Le droit d’inspecter des résultats d’essais confidentiels est accordé à une personne pourvu que celle-ci ne l’utilise pas ou ne permet pas à quiconque de l’utiliser pour enregistrer un produit antiparasitaire (par. 43(2)). Par ailleurs, la LPA précise aussi que rien dans la Loi n’empêche le ministre de refuser de communiquer de l’information ou des résultats d’essais en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (LAI).

En vertu de la LCPE 1999, le ministre est tenu de ne pas communiquer de l’information fournie par une personne qui demande que cette information demeure confidentielle. Par ailleurs, la LCPE 1999 confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de communiquer une partie de cette information dans certaines circonstances, ou lorsque l’article 20 de la LAI n’interdit pas de la communiquer.

C’est l’article 20 de la LAI qui régit en fin de compte l’accès à l’information confidentielle dans la LPA et la LCPE 1999. Toutefois, en général, la LPA accorde l’accès à certaines exceptions près, alors que la LCPE 1999 refuse l’accès à certaines exceptions près. Le Comité est d’avis que l’accès aux résultats d’essais sur la santé humaine et l’environnement est important, et qu’il faudrait modifier la LCPE 1999 pour offrir le même accès que la LPA.

Recommandation 10

Le gouvernement devrait faciliter l’accès du public à l’information utile en modifiant la LCPE 1999 pour rendre obligatoire la communication de données d’essais comme le prévoit la Loi sur les produits antiparasitaires.

Améliorer l’Inventaire national des rejets de polluants

L’Inventaire national des rejets de polluants est une source d’information importante concernant les émissions de substances toxiques dans l’environnement. Il est cependant très difficile à interpréter dans le temps et dans l’espace (notamment à l’échelle internationale).

Des groupes comme PollutionWatch ont essayé d’en analyser les données et ont publié leurs résultats. Selon l’une des analyses qui intéressaient le Comité, individuellement, les installations de l’INRP ont émis, en moyenne, 93 % plus de polluants atmosphériques, connus comme étant cancérogènes ou soupçonnés de l’être, que les installations du TRI dans le bassin des Grands Lacs en 2002[29].

Malheureusement, si ces efforts d’analyse incitent le gouvernement à réagir, elles ne peuvent être considérées comme une description exacte des émissions au Canada.

[…] l’analyse statistique des données de l’INRP est particulièrement difficile. L’analyse des séries chronologiques pour obtenir des résultats utiles est particulièrement problématique. Malheureusement, l’INRP ne nous donne pas une estimation exhaustive des rejets de polluants au pays[30].

Il incombe au gouvernement de produire un rapport permettant de remonter à la source des données de l’INRP et en analysant précisément ses limites. Le dernier rapport annuel publié en 2004 portait sur les données de 2002. Il traite, dans une certaine mesure, des limites de l’INRP et ne renferme qu’une analyse restreinte des données.

Les données de l’INRP sont essentielles pour comprendre la situation de l’exposition des Canadiens aux substances toxiques, et il conviendrait des les analyser objectivement, en profondeur, à partir de résultats publiés chaque année. Une telle analyse critique permettrait de renforcer l’INRP et la capacité de l’analyser. À cet égard, la collaboration entre Statistique Canada et Environnement Canada est essentielle, et le gouvernement devrait la soutenir financièrement.

Recommandation 11

Le gouvernement du Canada devrait offrir une aide financière suffisante pour permettre à Environnement Canada et Statistique Canada de collaborer dans le but de :

·        Produire et publier un rapport annuel contenant une analyse critique des résultats des données de l’INRP et circonscrivant, si possible, des tendances.

·        Améliorer continuellement la qualité des données de l’INRP afin de mieux informer les Canadiens et de consolider les politiques de prévention de la pollution.

Rappelons que les changements que l’on prévoit d’apporter au Toxic Releases Inventory américain ont été critiqués parce qu’ils diminueraient les exigences redditionnelles.[31] Si ces changements se concrétisent, et l’un d’eux a récemment été annoncé, le Canada ne devrait pas emboîter le pas.

La biosurveillance

Les lacunes en matière d’information ne sont nulle part plus évidentes que dans les quantités et les tendances de la charge corporelle des produits chimiques synthétiques. Les études de biosurveillance, dans le cadre desquelles on prend des échantillons de sang pour déterminer les niveaux de produits chimiques synthétiques et en surveiller l’évolution, sont particulièrement importantes pour orienter les politiques et surveiller les résultats de la prévention de la pollution.

Il ne fait aucun doute que l’absence de programmes au Canada comme le programme de surveillance biologique systématique, qui existe dans de nombreux autres pays, restreint notre capacité à obtenir des résultats concrets[32].

Faute de ce genre de surveillance et de reddition des comptes, d’autres groupes se sont chargés de la tâche, ce qu’ils estiment eux‑mêmes inacceptable :

Il est quand même étonnant que les États-Unis et divers pays européens aient fait subir des tests à des centaines de citoyens mais qu’au Canada, il incombe à un organisme de charité et non pas au gouvernement fédéral de faire ce travail[33].

Le Comité a appris, au cours de ses délibérations, que Santé Canada a l’intention de procéder à une étude de biosurveillance unique sur 5 000 Canadiens. Ce projet est un pas dans la bonne direction, mais des études de ce genre devraient être systématiques pour mesurer la charge corporelle chez les Canadiens.

Le fait de savoir qu’il y a des produits chimiques dans le corps des Canadiens, comme on le découvrira inévitablement, ne signifie pas qu’il s’agit d’un risque grave pour la santé, mais, si l’on ne suit pas l’évolution de la charge corporelle, il devient presque impossible de prendre des décisions éclairées. Et c’est suffisamment important pour que cela soit inscrit dans la LCPE 1999.

Recommandation 12

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour obliger les ministres à entreprendre une étude permanente de biosurveillance représentative de la population canadienne, dont les populations vulnérables.

Les résultats de ces mesures, comme l’a laissé entendre M. Schwarz, doivent être interprétés et communiqués au public avec circonspection. Le Comité apprécie le fait que PollutionWatch ait réalisé des études et que l’organisme reconnaisse leur caractère limité et non scientifique, mais il s’inquiète également du fait que la population a l’impression que sa santé est absolument et négativement affectée par la présence de produits chimiques.

Cette inquiétude risque d’avoir des effets plus importants que les produits chimiques proprement dits, puisqu’elle peut être exploitée, par exemple pour vendre des techniques de purification de charlatans. Il ne s’agit pas de nier l’importance du fait que les produits chimiques sont bien là et qu’il faut régler (et surveiller) cette question.

Le Comité et bien des témoins ont été heureux de constater que le gouvernement actuel a créé un site Web[34] consacré aux substances chimiques. C’est un début, mais le site doit être plus exhaustif, et il faut faire un effort concerté pour fournir des données objectives et neutres qui permettront aux intéressés d’avoir plus confiance en leur fiabilité.

Les composés chimiques complexes

Comme des témoins l’ont fait remarquer, il existe des dizaines de milliers de produits chimiques en circulation. Et il est toujours possible qu’ils interagissent pour produire des effets qu’ils n’auraient pas produits isolément. Par contre, il est impossible d’analyser toutes les combinaisons de produits chimiques. Notre souci est que les mélanges de produits chimiques aux effets semblables puissent avoir des effets combinés. Il est alors possible de tenir compte de ces produits chimiques en fonction de leurs effets semblables éventuels. C’est ce qu’on essaie de faire en ce moment, mais d’autres lois prévoient explicitement ce genre d’analyses. C’est le cas, par exemple, de la Loi sur les produits antiparasitaires pour l’évaluation de ces produits :

[…] le ministre […] prend […] en considération […] les effets cumulatifs du produit antiparasitaire et d’autres produits antiparasitaires ayant un mécanisme de toxicité commun (…) (alinéa 7(7)b)(i)).

Il ne sera jamais possible de tenir compte de toutes les combinaisons de produits chimiques et, comme l’ont fait remarquer des témoins, il est souvent difficile de circonscrire les mécanismes de toxicité communs (l’éthanol, par exemple, est très semblable au méthanol, mais beaucoup moins toxique). Il faudrait cependant en faire plus pour déterminer le risque que certains mélanges fassent du tort à l’environnement et à la santé humaine. La LCPE 1999 prévoit déjà que le ministre doit procéder à des recherches sur les substances hormonoperturbantes (quoique les effets de cette contrainte se soient révélés obscurs dans le cadre de notre examen) et elle devrait aussi l’obliger de faire la même chose pour les mélanges de produits chimiques.

Recommandation 13

Le gouvernement devrait :

·        modifier la LCPE 1999 pour contraindre les ministres à faire des recherches sur les effets des mélanges complexes de produits chimiques sur la santé humaine et l’environnement;

·        invoquer les articles 42 et 71 pour exiger que l’industrie fournisse des renseignements sur les effets des mélanges complexes de produits chimiques;

·        exiger, dans le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles, de l’information sur les effets cumulatifs des substances ayant en commun le même mécanisme de toxicité, lorsqu’ils y a lieu de croire que de tels effets peuvent se produire chez l’homme et dans l’environnement.

Il ne s’agit pas seulement du cancer : résultats subcliniques

Jusqu’ici, la procédure d’évaluation des risques visait surtout à circonscrire des niveaux de substances causant des effets facilement identifiables, comme le cancer. Ces effets sont évidemment une source de préoccupation pour les Canadiens et ils doivent le rester. Mais, comme le Comité l’a appris, l’incidence du cancer n’est pas le premier souci que doit susciter la mise en contact avec des produits chimiques. En fait, c’est une priorité secondaire dans la liste des risques pour la santé publique en matière de cancer. Divers témoins ont adressé cette remarque au Comité.

D’autres effets sont également difficiles à évaluer et risquent d’être plus insidieux. On nous a dit que les effets du mercure sur le QI depuis l’exposition in utero pourrait transformer suffisamment la répartition du QI dans la population pour faire augmenter le nombre d’enfants handicapés et diminuer le nombre des enfants doués, ce qui représente un coût social substantiel[35].

Compte tenu du risque d’effets subcliniques répandus sur le développement, les études de neurotoxicité pour le développement devraient être primordiales dans l’évaluation des risques associés aux substances. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a élaboré à titre provisoire des tests normalisés de neurotoxicité pour le développement, et les États-Unis ont publié en 1998 l’EPA Neurotoxicity Risk Assessment Guideline. Rien dans le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles de la LCPE 1999 ne prévoit explicitement l’obligation de procéder à ces tests. Le Comité est d’avis que ces tests devraient faire partie des exigences applicables systématiquement aux déclarants de nouvelles substances, et que les substances actuelles devraient être examinées de plus près à cet égard.

Recommandation 14

Le gouvernement devrait ajouter les tests de neurotoxicité développementale aux exigences énoncées dans le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles et les appliquer aux substances préoccupantes actuelles.

Toxicité chronique

Des intervenants ont aussi souligné le manque d’information sur les effets chroniques d’une exposition à long terme à des produits chimiques. Les dispositions actuelles relatives aux essais du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles n’exigent pas que les études portent sur les effets chroniques d’une substance. Dans certains cas, des expériences à doses répétées sur des mammifères sont exigées, mais leur durée minimale n’est que de 28 jours. Les nouvelles exigences de REACH pourraient imposer des durées maximales de 90 jours dans certains cas.

La Ligne directrice 452 de l'OCDE, Études de toxicité chronique, exige des essais de 12 mois. Le Comité estime qu’il faudrait soumettre toutes les substances, actuelles ou nouvelles, jugées persistantes ou produites en grand volume et donc présentes de façon persistante dans l’environnement, à des études de toxicité chronique telles que définies dans la ligne directrice 452.

Recommandation 15

Le gouvernement devrait obliger les producteurs de substances nouvelles et actuelles jugées persistantes ou produites en grand volume à soumettre ces dernières à des études de toxicité chronique telles que définies dans la ligne directrice 452 de l’OCDE et à présenter les résultats aux ministres dans le cadre de l’évaluation des risques.

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

L’un des principes fondamentaux de la Loi est le principe de précaution. Il en est question dans le préambule, mais surtout dans la section des fonctions administratives, qui dispose que le gouvernement a l’obligation de l’appliquer. Il est défini dans la Loi comme dans la Déclaration de Rio :

En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.

La définition de Rio a si souvent servi qu’il est trop facile de la répéter sans réfléchir, quoiqu’elle soit essentielle à la Loi.

Le principe de précaution ne peut s’entendre comme exigeant la certitude qu’il n’existe aucun tort possible. Cependant, la question croise alors le débat sur le fardeau de la preuve : le gouvernement doit‑il assumer la responsabilité de prouver les torts éventuels ou est‑ce le secteur privé qui doit prouver l’innocuité des substances? La deuxième proposition est irréalisable, mais il ne devrait pas non plus être nécessaire que le gouvernement fasse la preuve avec certitude qu’il n’existe aucun tort possible.

Une reformulation du principe de précaution pourrait faciliter l’interprétation de son sens dans le contexte de la LCPE 1999. L’interprétation d’Horace Krever, de la Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada, a été versée au dossier, et le Comité estime qu’elle peut être un guide utile :

Si on a des preuves raisonnables d’une menace imminente à la santé publique, il ne faut pas attendre d’avoir des preuves strictes de l’existence d’un rapport de cause à effet avant de prendre les mesures nécessaires pour contrer ce danger.

Le gouvernement a publié un document intitulé Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risqué. L’un des principes directeurs qui animent ce document est que « les mesures de précaution devraient être proportionnelles à la gravité possible du risque que l’on veut gérer et au niveau de protection choisi par la société. Il y a [donc] besoin implicite d’identifier, dans la mesure du possible, à la fois le niveau de tolérance de la société pour le risque et les mesures d’atténuation des risques possibles ».

Comment un gouvernement décide‑t‑il du seuil de tolérance d’une société? Les gens, en général, ne sont pas portés à réfléchir aux risques, quels qu’ils soient, de façon exhaustive et éclairée, et ce malgré les titres à la une des journaux. Il est presque certain qu’ils ne votent pas en fonction du fait qu’un certain parti serait plus prudent qu’un autre. Le gouvernement n’a donc guère de raisons de s’intéresser beaucoup à la perception du risque dans la population.

Par conséquent, il y a place, ici, pour une certaine mesure de leadership de la part du gouvernement.

En Europe, les gouvernements appliquent manifestement le principe de précaution plus rigoureusement qu’au Canada, comme ils l’ont prouvé dans la décision relative aux phthalates et éthers diphényliques polybromés (ignifuges). Aux États-Unis, ce principe n’est pas coulé dans les lois, mais le gouvernement a également pris des mesures concernant certaines substances bien avant le Canada.

Toute évaluation du risque doit être fondée en science, mais les décisions finales sont essentiellement une question d’éthique[36]. De combien de preuves de nuisance le gouvernement a‑t‑il besoin pour prendre des mesures préventives? Ces décisions ne sont pas faciles à prendre et elles dépendent, dans une large mesure, du savoir actuel du gouvernement et de sa volonté politique. L’exemple de l’ozone stratosphérique devrait à lui seul inciter à considérer le processus décisionnel avec le plus grand sérieux et la plus grande prudence.

Le principe de précaution : une obligation?

Le principe de précaution sera toujours affaire de volonté politique, mais beaucoup de témoins ont proposé de l’inscrire plus largement dans la Loi en y augmentant le nombre de mesures obligatoires à prendre en vertu de ses dispositions.

C’est précisément parce que les diverses étapes prévues dans la Loi n’énoncent pas de mesures adaptées, en ce qui concerne les substances les plus dangereuses, à l’égard desquelles les mesures préventives doivent être plus spécifiques. Cela suppose non pas qu’on parle de « prudence » à chacune de ces étapes, mais qu’on insiste sur le caractère obligatoire de ce principe à diverses étapes. C’est l’adaptation du pouvoir discrétionnaire, comme je l’ai dit plus tôt, qui permettrait le mieux de veiller à rendre obligatoire la prise de mesures préventives dans l’ensemble de la loi.[37]

Les paragraphes qui suivent résument certaines de ces propositions.

Améliorer les échéances

Divers intervenants estiment que l’un des moyens par lesquels le gouvernement pourrait appliquer plus largement le principe de précaution est d’insérer des échéances obligatoires là où il y a actuellement pouvoir discrétionnaire. Les témoins n’ont cessé de rappeler que la seule raison pour laquelle la Liste intérieure des substances (LIS) a été dressée est qu’une échéance obligatoire y était associée. Puisque c’est l’un des seuls succès sans équivoque de la LCPE 1999, on peut penser que des échéances précises peuvent inciter à l’action.

En soi, la procédure de classement pourrait être considérée comme un acte de précaution, mais c’est ce qui se passe par la suite qui déterminera si c’est le cas ou non. De même, si des échéances obligatoires étaient associées à chaque étape discrétionnaire de la Loi, elles seraient presque certainement respectées, mais, à défaut de volonté politique et, dans tous les cas, à défaut de ressources, le processus décisionnel en souffrirait très probablement et s’écarterait peut‑être du principe de précaution. Des fonctionnaires l’ont bien exprimé :

Ce que j’essaie de dire, essentiellement, c’est que si l’on me donne un délai de six semaines, de six mois ou de six ans, nous allons faire ce que nous avons à faire dans ce délai. C’est notre travail. Ce qui augmente à mesure que le temps alloué diminue, c’est le degré de variabilité ou d’incertitude qui entoure une évaluation. Si nous avons plus de temps, nous avons la capacité de faire plus de recherches scientifiques et de parvenir à une plus grande certitude. Avec moins de temps, si l’information n’est pas disponible, il y a plus d’incertitude dans nos évaluations[38].

Les échéances les plus importantes semblent avoir trait aux substances retenues pour un examen plus approfondi dans le cadre du classement de la (LIS). Certains recommandent que toutes les substances PBiT soient inscrites dans l’annexe 1, à moins que le secteur privé ne fasse la preuve de leur innocuité. D’autres proposent de hiérarchiser les 500 principales substances PiT et BiT toxiques pour l’environnement et les 100 principales substances toxiques pour la santé humaine et d’appliquer un délai de deux ans pour examiner ces substances et un délai de cinq ans pour dresser un plan de gestion[39].

Les résultats du classement de la LIS et les intentions du gouvernement à cet égard ont été communiqués la semaine précédant la fin des délibérations du Comité. La principale mesure proposée consiste à identifier 200 substances parmi celles jugées hautement prioritaires (PBiT et en concentrations élevées) et à enclencher un processus pour en faire l’évaluation préalable conformément à la LCPE 1999.

Quant aux échéances des évaluations, le gouvernement publie à tous les trois mois un avis demandant de l’information sur 15 des 2 000 substances. L’industrie a six mois pour fournir cette information, sans quoi les substances sont inscrites à l’annexe 1. Si l’information est fournie, les ministres ont six mois pour l’évaluer, puis tiennent des consultations publiques d’une durée de deux mois sur les résultats de l’évaluation préalable et la décision qu’ils proposent conformément au par. 77(2), à savoir :

·        ne rien faire,

·        l’inscrire sur la liste prioritaire (LSIP); ou,

·        recommander son inscription sur la liste de l’annexe 1 et, si nécessaire, la réalisation de sa quasi-élimination.

Les ministres ont six autres mois pour publier leur recommandation finale et proposer une stratégie de gestion du risque.

L’échéance d’une évaluation préalable est donc fixée à quelque 20 mois allant de la date de la demande d’information à celle de la publication d’une recommandation et d’une proposition de stratégie de gestion du risque, s’il y a lieu d’intervenir. Toutefois, il reste la possibilité de ne rien faire ou d’inscrire la substance sur la LSIP. Le processus d’évaluation des substances de la LSIP est essentiellement continu, les échéances n’étant fixée qu’une fois l’évaluation terminée.

Il faudra plus de trois ans[40] pour finir de publier les avis pour les 200 substances, et une autre année et demie (maximum) pour publier le dernier plan de gestion du risque. Il reste 3800 substances classées prioritaires dans la LIS et d’autres qui pourraient être préoccupantes mais qui n’ont pas satisfait aux critères du classement. Le partage d’information entre juridictions sera essentiel pour évaluer toutes ces substances (voir ci-dessus la partie Le partage d’information).

Certaines échéances sont raisonnables dans ce scénario, mais, en fin de compte, la question de savoir si la procédure de classement et d’examen aura été suffisamment prudente dépendra, comme nous l’avons expliqué, de la façon dont les décisions finales sont prises. Il reste, par exemple, la solution de ne pas intervenir (par. 77(2) a)) tant que les entreprises produisent des données.

D’autres procédures prévues par la Loi prennent effectivement beaucoup de temps, et c’est ce qu’a rappelé le rapport publié en 2002 par le commissaire à l’environnement et au développement durable. Entre le moment où le trichlorure d’éthylène a été inscrit dans la Liste des substances d’intérêt prioritaire et celui où son plan de gestion a été publié, il s’est écoulé plus de treize ans.

Le gouvernement a affirmé qu’il peut réaliser les évaluations préalables en 20 mois. Dans d’autres circonstances, il faudrait sans doute plus de temps, mais deux ans devraient suffire.

Si le gouvernement décidait d’employer la Liste des substances d’intérêt prioritaire (LSIP), le Comité est d’avis que le délai devrait être de trois ans entre la date de la décision d’employer la LSIP et celle de la publication et du début de la mise en œuvre du plan de gestion du risque, quoiqu’il puisse y avoir des exceptions si les résultats sont contestés devant une commission de révision. Si l’on ajoute un délai de deux ans pour l’évaluation préalable, cela voudrait dire qu’après l’évaluation d’une substance de la LSIP, il s’écoulerait cinq ans entre le début de l’évaluation préalable et celui de la mise en œuvre du plan de gestion du risque.

Recommandation 16

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 comme suit :

·        Dans le cas d’une évaluation préalable établissant qu’une substance est toxique, fixer à deux ans le délai compris entre le début de l’évaluation préalable et celui d’un plan de mise en œuvre.

·        Dans le cas d’une évaluation préalable établissant la nécessité d’effectuer une évaluation complète de la Liste des substances d’intérêt prioritaire, fixer à cinq ans le délai compris entre le début de l’évaluation préalable et celui du plan de mise en œuvre.

Tenir compte des populations vulnérables

L’un des moyens d’intégrer le principe de précaution à la Loi est de rendre obligation la prise en considération des populations vulnérables dans l’évaluation des risques. De nombreux témoins ont souligné l’importance de tenir compte de ces populations, notamment des enfants. L’évaluation des risques tient d’ores et déjà compte des populations vulnérables, mais on ne sait pas très bien comment cette information est, en fait, employée. Cela devrait être explicitée dans la Loi, en raison notamment des préoccupations relatives aux effets subcliniques de la toxicité sur le développement.

Certains témoins hésitaient à entériner ce point de vue.

Si des sous-groupes vulnérables sont explicitement mentionnés dans la Loi, il faudra vraisemblablement faire preuve d’une plus grande prudence parce que les données sont souvent insuffisantes. Je préfère personnellement combler les lacunes des données pour réduire l’incertitude du processus de décision plutôt que de prévoir dans la loi une plus grande incertitude aux avantages inconnus. Nous avons besoin de décisions fondées sur les meilleures connaissances disponibles[41].

Pour éviter de recourir à un facteur de sécurité supplémentaire, on a besoin d’une meilleure information, notamment au sujet de la neurotoxicité pour le développement. Le Comité a déjà formulé des recommandations à ce sujet. Il vaut mieux combler les lacunes, mais ce n’est pas toujours possible. Le Comité se rend compte qu’il existe des points de vue divergents, mais il estime qu’un surcroît de précaution, surtout lorsqu’il s’agit de produits qui seront employés à la maison ou à l’école, est justifié.

Il est important d’appliquer la LCPE 1999 pour mieux protéger les enfants, mais elle ne peut avoir qu’un effet limité, compte tenu, notamment, du large éventail de facteurs importants qui les concernent en matière de santé publique. Interrogé directement sur les moyens de protéger les enfants, un témoin a déclaré que la lutte contre la pauvreté chez les enfants est la première mesure qu’il y aurait lieu de prendre[42].

L’incitation à tenir compte des enfants vient surtout des États-Unis, notamment de la Food Quality Protection Act. La Loi américaine prévoit l’obligation, dans certains cas, d’ajouter un facteur de sécurité dix fois supérieur pour les enfants.

La Loi sur les produits antiparasitaires prévoit ce genre de disposition au paragraphe 7(7) :

(7) Lorsqu’il évalue les risques sanitaires et environnementaux d’un produit antiparasitaire et détermine s’ils sont acceptables, le ministre : […]

(ii) applique des marges de sécurité appropriées pour prendre notamment en compte l’utilisation de données d’expérimentation sur les animaux et les différentes sensibilités aux produits antiparasitaires des principaux sous-groupes identifiables, notamment les femmes enceintes, les nourrissons, les enfants, les femmes et les personnes âgées,

(iii) dans le cas d’un effet de seuil[43], et si le produit est destiné à une utilisation dans les maisons ou les écoles ou autour de celles-ci, applique une marge de sécurité supérieure de dix fois à celle qui serait autrement applicable en vertu du sous-alinéa (ii) relativement à cet effet de seuil pour tenir compte de la toxicité prénatale et postnatale potentielle et du degré de complétude des données d’exposition et de toxicité relatives aux nourrissons et aux enfants, à moins que, sur la base de données scientifiques fiables, il ait jugé qu’une marge de sécurité différente conviendrait mieux.

Si ces mesures sont déjà en place, il n’y a aucune raison de ne pas intégrer ce vocabulaire à la LCPE 1999, et, si ce n’est pas le cas, il faut modifier la LCPE 1999 en conséquence.

Recommandation 17

Il y aurait lieu de modifier le préambule de la LCPE 1999 pour prendre acte de la nécessité de protéger les plus vulnérables dans notre société, notamment les enfants, et de modifier la Partie 5 pour inclure des dispositions semblables à celles de la Loi sur les produits antiparasitaires prévoyant de tenir compte des groupes vulnérables dans l’évaluation des risques, y compris un facteur de sécurité dix fois supérieur pour les enfants, le cas échéant.

Tenir compte des écosystèmes vulnérables

Plusieurs témoins, oralement et par écrit, ont recommandé de modifier la LCPE 1999 pour protéger des zones environnementales d’importance nationale ou internationale contre la menace de substances toxiques. La région le plus souvent citée a été celle des Grands Lacs. Certains ont proposé de créer une nouvelle disposition dans la Loi pour protéger cette région[44].

Il n’y a pas de doute que la région des Grands Lacs est d’une importance nationale et internationale et qu’elle est le lieu de diffusion de nombreux produits chimiques. Elle a effectivement besoin d’une protection spéciale et de réhabilitation.

Divers accords nationaux et internationaux, dont l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs (AQEGL) et l’Accord Canada‑Ontario, sont mis en œuvre pour protéger et nettoyer la région. Les deux ententes sont en suspens, car l’AQEGL est en cours de révision. Le Comité espère que les gouvernements du Canada et des États-Unis renouvelleront vigoureusement leurs efforts pour protéger les Grands Lacs et qu’ils donneront suite à la recommandation de la Commission mixte internationale, à savoir que les deux gouvernements fédéraux devraient remplacer l’AQEGL par un document plus bref et plus axé sur l’action et qu’ils devraient agir rapidement.

Conformément à la perspective générale adoptée par le Comité à l’égard de la révision de la LCPE 1999, à savoir qu’il y a lieu d’éviter une refonte en profondeur, nous ne recommandons pas d’ajouter une nouvelle disposition à la Loi au sujet des Grands Lacs. Par ailleurs, la LCPE 1999 comporte déjà des dispositions telles que les règlements soient « applicables à une ou plusieurs parties du Canada afin de protéger l’environnement ou la diversité biologique de celui-ci ou la santé humaine » (par. 330(3.1)). Le Comité recommande que le gouvernement examine toutes ses options en vertu de cette disposition pour mieux protéger la région des Grands Lacs et  tout autre écosystème vulnérable du Canada.

Par ailleurs, comme dans le cas de la protection des groupes vulnérables, il faudrait ajouter au préambule un paragraphe énonçant la nécessité de protéger les écosystèmes vulnérables, notamment celui de la région des Grands Lacs.

Recommandation 18

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour ajouter au préambule un paragraphe énonçant la nécessité de protéger les écosystèmes vulnérables. Il devrait également envisager toutes les options en vertu du paragraphe 330 (3.1) pour créer un règlement d’application géographique limitée pour protéger les Grands Lacs et tout autre écosystème vulnérable du Canada.

LES PRODUITS DE CONSOMMATION

La gestion des produits de consommation est un enjeu très important, puisque le contact avec des produits chimiques se produit souvent en raison de la diffusion de ces produits à la maison. De multiples questions ont été soulevées au sujet des produits de consommation au cours des débats du Comité, et il semblerait, d’après les témoignages, qu’il s’agisse d’un domaine qui risque le plus de passer entre les mailles du filet de sécurité législatif.

Divers produits chimiques commercialisés ont été approuvés comme étant propres à la consommation humaine en vertu de la Loi des drogues et aliments, mais ils n’ont fait l’objet d’aucune évaluation environnementale. Certains produits de consommation, par exemple les thermomètres au mercure, sont toujours sur le marché, alors que, à première vue, ils devraient en être retirés. De même, certains produits de consommation continuent d’être largement commercialisés, alors qu’il existe des substituts à peine plus coûteux. Des suggestions ont été faites pour corriger les lacunes concernant l’exposition aux substances toxiques contenues dans les produits de consommation.

LA LISTE DES SUBSTANCES COMMERCIALISÉES

La Liste intérieures des substances (LIS) répertorie toutes les substances fabriquées ou vendues au Canada entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1986. Ces substances ont été classées conformément à la LCPE 1999 et celles jugées préoccupantes feront en outre l’objet d’une évaluation préalable. Toutes les autres substances sont réputées nouvelles et doivent faire l’objet d’une évaluation en vertu du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (RRSN).

Toutefois, les substances contenues dans les produits approuvés pour la consommation humaine en vertu de la Loi sur les aliments et drogues (LAD) et commercialisés entre le 1er janvier 1987 et le 13 septembre 2001, mêmes s’il s’agit techniquement de substances nouvelles en vertu de la LCPE 1999, ne seront pas assujetties au RRSN tant que la façon de les évaluer ne sera pas arrêtée. Cette liste de substances n’a pas de fondement juridique, mais elle porte le nom de Liste des substances commercialisées (LSC)[45].

La réglementation des nouvelles substances assujetties à la LAD semble satisfaisante aux yeux des parties intéressées. Par contre, la gestion de la LSC est une question qui a suscité un certain intérêt au cours des débats du Comité. Des membres du secteur privé aimeraient que ces substances soient traitées comme des substances actuelles, c’est‑à‑dire qu’elles soient inscrites dans la LIS et assujetties à un classement semblable à ce qui se fait pour les substances inscrites dans la LIS.

Un groupe de Santé Canada, le Groupe de travail sur l’évaluation environnementale (GTEE), sera chargé de fournir des conseils stratégiques généraux sur les questions d’ordre stratégique, technique, opérationnel et réglementaire à Santé Canada et à Environnement Canada dans le cadre de la révision, de la hiérarchisation et de la gestion des substances inscrites dans la LSC[46]. Des consultations avec le secteur privé sont également en cours à l’initiative de Santé Canada au sujet de la façon dont il faudrait structurer et hiérarchiser la LSC.

Ce qu’il convient de faire de la LSC est une question complexe, et des consultations sont en cours au sujet, notamment, du mode d’évaluation de l’impact environnemental des substances contenues dans les produits approuvés en vertu de la LAD. Compte tenu des préoccupations croissantes à l’égard des effets des produits pharmaceutiques et vétérinaires sur l’environnement, le Comité ne peut que proposer instamment de conclure le processus en cours aussi rapidement que possible.

Le Comité estime ne pas être en position de recommander des modifications à la LCPE 1999 permettant d’inscrire ces substances dans la LIS, mais le classement dans la LIS est une réussite et pourrait servir de modèle pour la LSC. Par contre, la hiérarchisation de la LSC ne devrait pas prendre la même forme que celle de la LIS, qui concernait les substances PBiT. Beaucoup des substances inscrites dans la LSC sont conçues pour être biologiquement actives et leur présence pourrait s’avérer persistante en raison de leur diffusion constante dans l’environnement (voir la Recommandation 3).

Recommandation 19

Le gouvernement devrait envisager de modifier la LCPE 1999 de sorte que les substances de la Liste de substances commercialisées soient hiérarchisées de la même façon que le sont celles de la Liste intérieure, tout en tenant compte de la persistance de certaines de ces substances qui est due à leur émission constante dans l’environnement.

LA LOI SUR LES PRODUITS DANGEREUX ET LA LOI CANADIENNE SUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT 1999

La LCPE 1999 donne au gouvernement le pouvoir de réglementer les produits contenant des substances, mais ces pouvoirs sont rarement, sinon jamais, employés.

Certains produits de consommation peuvent être réglementés en vertu de la Loi sur les produits dangereux : c’est le cas, par exemple, des bijoux contenant du plomb commercialisés pour l’usage des enfants. Le Comité a entendu beaucoup de témoignages intenses et très critiques sur les produits de consommation contenant du plomb, au point que le ministère a rédigé une longue réponse pour tenter de dresser la liste des efforts en cours pour contrôler le plomb et pour clarifier certaines des questions soulevées.

Quelles que soient les mesures prises par le ministère pour réglementer les produits de consommation contenant du plomb, la procédure est incontestablement lente. La raison en est presque certainement en partie le caractère fastidieux et obsolète de la Loi sur les produits dangereux.

Je dirais que c’est un peu des deux. La Loi sur les produits dangereux date de 37 ans, elle est répressive et vise les produits individuellement, ce qui rend son application très lourde et très lente. J’illustre souvent mes propos là‑dessus en donnant l’exemple du plomb.

Comme vous le savez, nous avons décelé, ces quinze dernières années, et particulièrement au cours des dix dernières années, le fait que ce sont de plus en plus des produits qui nous exposent à des matières dangereuses à l’intérieur, où nous passons la plus grande partie de notre temps. La Loi sur les produits dangereux n’a pas la structure, la résilience ou la capacité d’empêcher que ces problèmes ne se posent. Elle réagit après coup et, jusqu’à maintenant, en tout état de cause, uniquement dans des situations où les dangers sont extrêmement graves, et les risques bien établis pour un petit nombre de substances[47].

Il ne semble y avoir aucune justification, sinon historique, que la Loi sur les produits dangereux soit employée en lieu et place de la LCPE 1999 pour gérer les produits contenant des substances toxiques. Le ministère est peut‑être en train de commencer à s’intéresser à la LCPE 1999, comme le donne à penser son intention de régler la question de l’éther diphénylique polybromé (ignifuge). Cette procédure devrait être accélérée. Les pouvoirs conférés en vertu de la LCPE 1999 semblent plus souples et ont des chances d’être beaucoup plus efficaces pour gérer les produits de consommation contenant des substances toxiques.

La LCPE s’attaque à toute la gamme des produits chimiques dans le commerce et elle a la capacité, une capacité qui va augmenter, de viser davantage les problèmes de toxicité chronique et un plus grand nombre de risques sur la santé.

Le concept d’utilisation des matériaux est plus efficace que l’approche axée sur les produits individuellement. Pour moi, il est plus logique de l’intégrer à la LCPE qu’à une loi axée sur les produits comme la Loi sur les produits dangereux, mais les deux doivent être complémentaires.[48]

Recommandation 20

Le gouvernement devrait entreprendre immédiatement

·        de réglementer les produits contenant des substances toxiques en se servant de la LCPE 1999 comme principal instrument législatif; et

·        de réviser la Loi sur les produits dangereux pour mieux l’harmoniser avec la LCPE 1999.

LA MISE EN ŒUVRE

Comme nous l’avons dit, la LCPE 1999 est encore jeune et elle n’est pas encore intégralement mise en œuvre. Le ministère et les parties intéressées sont encore en train de s’initier à son mode de fonctionnement. Nous avons déjà parlé ici de la mise en œuvre de la LCPE 1999, mais il faut encore en aborder certains aspects importants.

LA QUASIÉLIMINATION

La notion de quasi‑élimination est issue de l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, et, depuis 1997, le Canada l’a concrétisée en vertu de cet accord par le biais de la Stratégie Canada–États‑Unis pour l’élimination virtuelle des substances toxiques rémanentes des Grands Lacs.

Comme l’indique l’accord, la quasi-élimination doit reposer sur la philosophie du rejet nul[49]. Telle que mise en œuvre selon la Stratégie binationale, la quasi‑élimination a principalement trait à l’urgence de réduire la diffusion des substances toxiques les plus persistantes et bioaccumulables par des moyens cumulatifs et réalisables jusqu’à ce qu’elles ne soient plus un problème à toutes fins pratiques et toxicologiques. Aucun échéancier n’a été fixé.

Les dispositions de la LCPE 1999 relatives à la quasi‑élimination ne sont pas encore appliquées. Une substance, l’hexachlorobutadiène, a été ajoutée à la Liste de quasi‑élimination, mais ce produit n’a jamais été fabriqué au Canada et il n’y est plus importé. Il peut y avoir de petites émissions, éventuellement nombreuses, de cette substance en raison de la production de certains composés chlorés. Il est à peu près impossible de fixer des limites d’émission et, en dehors de l’interdiction pure et simple pour que le produit ne puisse plus être réintroduit dans le commerce, le seul autre moyen était d’adopter les règlements sur les solvants de dégraissage et le nettoyage à sec en vertu de la LCPE 1999, lesquels ont d’autres visées importantes[50].

Compte tenu du fait que la quasi‑élimination des substances toxiques les plus persistantes et bioaccumulables est un objectif fondamental de la Loi, cette disposition ne peut être considérée que comme un échec patent. Après douze années d’étude et de consultations depuis son inscription dans la Liste des substances d’intérêt prioritaire, l’hexachlorobutadiène a été ajoutée à la Liste de quasi‑élimination (LQÉ), mais cela n’a presque pas eu d’effet concret.

Le problème de la disposition relatif à la quasi‑élimination est en partie attribuable au fait que le ministre doit établir une limite de dosage (LDD) avant que la substance puisse être ajoutée à la liste. La LDD s’entend de « la concentration la plus faible d’une substance qui peut être mesurée avec exactitude au moyen de méthodes d’analyse et d’échantillonnage précises mais courantes ». Selon les témoignages, et d’après plusieurs commentaires publiés dans la Gazette du Canada au sujet de l’inscription de l’hexachlorobutadiène sur la LQÉ, l’établissement de la LDD a été problématique, pour dire le moins.

La LCPE oblige à établir ce que l’on appelle des limites de dosage pour les substances assujetties à la quasi-élimination. Cette obligation est applicable même lorsque nous estimons que ce ne devrait pas être nécessaire, par exemple lorsque ces substances ne sont présentes que comme contaminants à l’état de trace dans un produit. Il est, à notre sens, injustifié que le gouvernement, l’industrie et les groupes écologistes consacrent des ressources à faire des calculs et à examiner les questions entourant les limites de dosage dans ces cas-là. Ces limites ne devraient être établies que dans les situations où elles sont nécessaires[51].

Comme la quasi‑élimination est vraiment une procédure urgente de réduction cumulative de certaines des substances les plus préoccupantes, il est complètement improductif de devoir se crêper le chignon au sujet d’une limite de quantification avant d’agir. Cette exigence devrait être éliminée.

Recommandation 21

Il conviendrait de modifier la LCPE 1999 pour y supprimer l’exigence d’établir un niveau de quantification avant d’ajouter une substance à la Liste de quasi‑élimination.

Comme il a été difficile d’exercer les pouvoirs de quasi-élimination de la LCPE 1999, les ministères ont eu recours au règlement d’interdiction pour gérer les substances les plus préoccupantes. Ainsi, l’hexachlorobutadiène a été assujetti au règlement d’interdiction en février 2005, près de deux ans avant son inscription sur la LQÉ.

Le règlement d’interdiction de 2005 interdit de fabriquer, d'utiliser ou de vendre une substance inscrite à l’annexe 1 du règlement, mais accorde, selon un système de permis, aux personnes qui l’utilisent déjà, un délai de trois ans avant de se conformer à l’interdiction. Il ressort clairement du résumé de l'étude d'impact de la réglementation portant sur le règlement d’interdiction que l’interdiction pourrait être une méthode pour atteindre l’objectif de la quasi-élimination :

L'interdiction de fabrication, d'utilisation, de vente, de mise en vente ou d'importation de cette substance œuvrera pour l'atteinte de l'objectif de la quasi-élimination[52].

Les témoignages se contredisent quelque peu concernant le lien entre l’interdiction et la quasi-élimination. La quasi-élimination doit être vue comme le sort ultime des substances PBiT, alors qu’il devrait être clair que l’interdiction peut être un moyen d’y parvenir.

Recommandation 22

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour préciser que le règlement d’interdiction est un moyen d’atteindre l’objectif de la quasi-élimination.

Comme le but de la quasi‑élimination est de se débarrasser des substances PBiT, si l’une d’elles est identifiée, elle devrait être systématiquement ajoutée à la LQÉ, et des mesures réalistes et réalisables devraient être prises immédiatement pour en réduire les émissions.

Le processus de quasi‑élimination devrait passer par l’application continue de mesures de plus en plus strictes pour réduire les émissions. En un certain sens, cela peut ne pas avoir de fin, quoiqu’on puisse penser que, à une certaine limite de réduction, on pourra interrompre ces mesures et considérer que la quasi‑élimination a été obtenue. Cette échéance ne doit cependant pas être fixée à l’avance, mais elle peut l’être dans le cadre de la procédure après inscription dans la liste et mise en œuvre des premières mesures.

PASSER À L’ACTION

Le Comité a beaucoup entendu parler du sel de voirie, et il y a manifestement lieu d’en tirer des leçons, comme l’a déjà admis le ministère de l’Environnement. On ne sait pas combien de généralisations on peut tirer de ce cas, mais il semblerait qu’il y en ait au moins quelques‑unes, dont celle‑ci : il faut entamer la gestion des risques aussitôt que possible tout en poursuivant la procédure d’évaluation.

Le sel de voirie a été ajouté à la deuxième Liste des substances d’intérêt prioritaire (LSIP2), publiée en 1995. En décembre 2001, les ministres ont fait connaître leur intention d’ajouter le sel de voirie à l’annexe 1, mais le Cabinet a refusé de donner suite à la demande. On ne sait pas pourquoi le sel de voirie a été inscrit dans la LSIP2, surtout que le dernier classement de la LIS (qui n’était pas encore assujettie à la Loi) a permis de circonscrire 200 PBiT susceptibles d’être une plus grande source d’inquiétude. À ce stade, il va quasiment de soi qu’un excédent de sel de voirie endommage la végétation qui pousse à proximité des routes, et qu’il serait bon d’en réduire l’usage tout en maintenant la sécurité des routes.

Peut‑être s’est‑on servi de la procédure d’évaluation des risques pour inciter le secteur privé à passer à l’action? Voilà un usage légitime de ce genre de pouvoirs :

J’aimerais tout simplement signaler que nous n’aurions jamais obtenu ces résultats sans le processus d’enquête à l’échelon fédéral sur l’impact de l’utilisation du sel de voirie. La raison est fort simple: nous savons que des mesures sont prises lorsqu’il y a de fortes possibilités qu’un règlement soit adopté par tout ordre de gouvernement. C’est un grand facteur de motivation. Alors c’est un rôle approprié, et nous savons tous que la protection de l’environnement est une responsabilité partagée par les deux ordres de gouvernement[53].

Malheureusement, le bâton, dans ce cas, n’était pas accompagné d’une carotte. Une conférence de presse annonçant l’inscription imminente dans la liste semble avoir eu lieu sans qu’on avertisse le secteur privé, ce qui a tendu les relations entre les parties intéressées et le gouvernement. Mais, en fin de compte, la procédure de gestion des risques s’est déroulée très harmonieusement.

Il est vrai que le secteur privé n’aurait peut‑être pas été disposé à discuter à moins d’une menace de réglementation, mais d’autres mesures positives de gestion des risques prises en même temps que l’évaluation des risques auraient pu accélérer considérablement l’obtention de résultats positifs pour l’environnement.

Selon la substance et le contexte, la menace de réglementation est parfois aussi efficace que la réglementation elle-même. Il faut utiliser la technique du bâton et de la carotte pour favoriser l’adoption plus rapide de mesures de protection de l’environnement. Il faudrait envisager le recours à des primes au rendement environnemental qui pourraient entraîner des résultats positifs à plus grande portée et plus rapidement[54].

Le Comité est heureux de voir que les renseignements demandés au secteur privé sur les 200 substances inscrites dans la LIS serviront à circonscrire les pratiques optimales de gestion des risques. Par ailleurs, des discussions avec les parties intéressées seront entamées au sujet des modes de gestion des risques au moment où l’on dressera liste des substances proposées. Ce mode de fonctionnement devrait s’élargir ultérieurement, notamment si l’on recourt de nouveau à la procédure relativement longue de la Liste des substances d’intérêt prioritaire.

L’autre recommandation que je formulerais, c’est de lancer les discussions sur la gestion du risque dès le début de l’évaluation. Vous pourriez être surpris de constater qu’il y a déjà un vaste consensus sur ce qui doit être fait maintenant dans le contexte de la gestion de l’environnement, de la substance dans l’environnement ou dans le contexte dans lequel on l’utilise. Ces ressources qu’on dépense à se battre pourraient donc être utilisées pour accélérer véritablement la prise de mesures pour l’environnement. Je ne crois pas qu’on ait besoin de modifier la Loi pour lancer un processus à deux voies, dans lequel on commence les discussions sur la gestion du risque en même temps que l’évaluation des risques[55].

Recommandation 23

Environnement Canada devrait inviter les parties intéressées à circonscrire et appliquer les meilleures pratiques de gestion des risques dès le début de l’évaluation des risques.

LA PRÉVENTION DE LA POLLUTION

La prévention de la pollution est la raison d’être de la LCPE 1999, et pourtant elle ne semble pas susciter les efforts qu’il faudrait pour la mettre en œuvre. Fondamentalement, on ne semble pas avoir une idée claire de ce que cela veut dire : selon beaucoup de témoins, il est possible, en vertu de la Loi, de définir n’importe quelle mesure de réduction de la pollution comme mesure de prévention de la pollution, y compris les contrôles au point de rejet.

La Loi elle‑même définit cette notion comme étant « le recours à des procédés, des pratiques, du matériel, des produits, des substances ou des formes d’énergie afin d’éviter ou de limiter la création de polluants et de déchets et de réduire les risques qu’ils présentent pour l’environnement ou la santé ». La réduction de la création de polluants est donc au cœur même de la Loi, et on peut penser qu’il ne s’agit pas de solutions au point de rejet.

La prévention de la pollution, considérée comme l’évitement de la création de pollution, est manifestement la solution préférée. Comme on peut le lire sur le site Web du plan de prévention de la pollution, « les comptables parlent de contrôle des pertes; les ingénieurs, d’efficience; les administrateurs, de gestion de la qualité totale; mais pour la majorité d’entre nous, la prévention de la pollution est simplement une question de bon sens[56] ».

La LCPE 1999 donne au ministre le pouvoir d’exiger que des personnes ou des catégories de personnes dressent et mettre en œuvre un plan de prévention de la pollution. Cela semble une évidence, mais tout nouveau pouvoir législatif comme celui‑là doit être concrétisé, et c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. On n’a ordonné que sept plans jusqu’ici, le plus ancien remontant à 2003, et rien ne permet de savoir si les responsables de ces plans sont en train de réaliser leurs objectifs. Certains témoins se sont plaints de la difficulté à mesurer le succès des plans de prévention de la pollution et à les concrétiser :

Un bon nombre de ces plans — et je citerai par exemple les fonderies de métaux communs qui sont les sources les plus importantes d’émissions de métaux toxiques […] Les plans de prévention de la pollution prévoient des limites qui ne sont que des « facteurs à prendre en considération ». Elles ne sont pas légalement exécutoires[57].

 Voilà un domaine où le Bureau du vérificateur général pourrait intervenir :

Je peux vous dire que certaines organisations affirment que le contrôle de la pollution, le contrôle « au bout du tuyau », est une forme de prévention de la pollution, mais à mon avis c’est jouer sur les mots car tout le principe de la prévention de la pollution est de ne pas produire la substance polluante en premier lieu, et c’est à cela que nous nous attacherions dans une vérification: déterminer si les plans de prévention de la pollution, qui sont l’un des instruments de la LCPE, ont réellement ce résultat.[58]

Les plans de prévention de la pollution peuvent tenir compte d’autres plans en vertu d’autres lois, y compris des lois externes. Gordon Lloyd, de l’Association canadienne des fabricants de produits chimiques, a proposé que des programmes de responsabilisation volontaire, comme ceux que son organisation a adoptés, doivent également pouvoir être reconnus comme des plans de prévention de la pollution. Le Comité rend grâce aux efforts des entreprises membres de cette association, mais on ne sait toujours pas si les plans de prévention de la pollution fonctionnent effectivement. En attendant, des éléments des plans de responsabilisation pourraient certainement être intégrés aux plans de prévention de la pollution mais le Comité ne peut recommander qu’ils soient intégralement reconnus comme tels.

Recommandation 24

Environnement Canada devrait prévoir dans les plans de prévention de la pollution un mécanisme officiel de mesure du rendement permettant de mesurer leurs résultats.

Recommandation 25

Le commissaire à l’environnement et au développement durable devrait, dans sa prochaine vérification de la gestion des substances toxiques, déterminer si les plans de prévention de la pollution réduisent effectivement la création de pollution.

Le principe de substitution

Le Comité a beaucoup entendu parler du principe de substitution. Il s’agit, dans le cadre de la stratégie de gestion des risques, de remplacer une substance par des produits plus sûrs. C’est, logiquement, un bon moyen de prévenir la pollution. À quelques réserves près, le Comité estime que ce principe devrait être plus nettement souligné dans la LCPE 1999.

Il y a cependant des limites à l’application de ce principe. Il est inutile de remplacer une substance jugée toxique qui a fait l’objet d’une rigoureuse évaluation des risques par une substance qui est peut‑être plus sûre, mais qui n’a pas fait l’objet d’un examen de ce genre. Il peut toujours y avoir des conséquences inattendues à la substitution et il convient donc d’en examiner intégralement les retombées.

Nous espérons que si on remplace un produit chimique par un autre, que le dernier sera plus sécuritaire que l’autre. C’est toujours notre intention, naturellement, mais il n’est pas toujours facile d’avoir cette assurance. Vous ne pouvez pas toujours prévoir. Et l’un des points que j’essaie d’établir c’est qu’on ne devrait jamais suggérer qu’on a des connaissances qui n’existent pas vraiment. Il y a trop de choses qu’on ne sait pas lorsqu’il s’agit des règlements et des remplacements[59].

La substitution doit être examinée sérieusement et elle ne doit pas être automatique. Dans la Position commune de l’Union européenne sur REACH, on peut lire ce qui suit :

Dans l’optique du remplacement à terme des substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances et technologies appropriées, toutes les demandes d’autorisation devraient être accompagnées d’une analyse des solutions de remplacement examinant les risques qu’elles comportent, ainsi que leur faisabilité technique et économique[60].

Cela ne semble pas trop demander ni n’ouvrir la voie à un abus systématique du principe. En fait, comme on l’a dit au Comité, la Chemical Industries Association du Royaume-Uni, la Confederation of British Industry et Greenpeace ont également adopté une position commune, à savoir « que les substances qui nécessitent une autorisation dans le cadre du projet REACH... devraient être remplacées par des substances moins dangereuses où et quand c’est possible[61] ».

En fait, la position commune réelle de ces groupes était la suivante :

[Traduction] Nous partageons le point de vue selon lequel la substitution, dans le cadre de la procédure applicable, de substances très inquiétantes s’il existe une solution de rechange acceptable peut déclencher l’innovation au profit de l’industrie, de la santé humaine et de l’environnement. Cependant, pour être efficace, la substitution doit faire l’objet d’un engagement de la part de tous les intervenants de la chaîne d’approvisionnement et non pas seulement des fabricants[62].

Le principe de substitution doit donc être appliqué avec circonspection, mais, en l’état actuel des choses, la LCPE 1999 n’en parle pas. Les plans de prévention de la pollution eux‑mêmes ne peuvent envisager de solutions de rechange qu’à titre de facteurs à envisager dans l’élaboration du plan.

Recommandation 26

Le gouvernement devrait modifier la LCPE 1999 pour y insérer des instructions précises visant l’intensification des efforts actuels axés sur le remplacement de substances toxiques par des substances ou des technologies acceptables dans le cadre de mesures de prévention de la pollution, de gestion et d’évaluation des risques et de quasi-élimination, compte tenu des risques et de la faisabilité technique et économique de la substitution.

ACCROÎTRE LES RESSOURCES

L’amélioration de la mise en œuvre exigera probablement un supplément de ressources. En fait, un fonctionnaire à qui l’on demandait pourquoi il n’existait pas de plan stratégique interministériel a déclaré que les ressources étaient déjà un problème :

Santé Canada et Environnement Canada sont très occupés à satisfaire aux exigences juridiques contenues dans la loi.

Santé Canada a des ressources limitées et nous nous concentrons sur les besoins immédiats. Si vous travaillez dans le programme des nouvelles substances et que vous avez 800 avis, ces avis doivent être traités dans un délai clairement établi. Si vous ne respectez pas ce délai, alors, par défaut, la mise sur le marché de ces substances est permise. Lorsque vous êtes constamment en train d’essayer de répondre aux besoins immédiats, vous ne vous arrêtez pas pour réfléchir à des questions d’ordre stratégique. J’espère que c’est clair[63].

Si de nouvelles échéances doivent être respectées et que l’examen de la LIS doit être complété, les pouvoirs non utilisés que confère la LCPE 1999 doivent être employés, et il faut également recueillir et analyser plus de données et prévoir, presque certainement, plus de ressources. Comme le Comité recommande déjà tout cela, il doit également recommander de prévoir un supplément de ressources. Il espère cependant que certaines des ressources employées aux étapes d’apprentissage de la mise en œuvre de la LCPE 1999 pourront être plus utilement employées à obtenir de meilleurs résultats pour l’environnement.

Recommandation 27

Le gouvernement devrait attribuer suffisamment de ressources financières pour accroître le financement des activités de base des ministères de la Santé et de l’Environnement, afin que la LCPE 1999 puisse être mise en œuvre plus efficacement.

LA PARTICIPATION DE LA POPULATION

La question de la participation de la population à l’application de la LCPE comporte deux volets : l’amélioration de la consultation et l’élimination des obstacles pour les citoyens qui entament des actions en protection de l’environnement.

Consultation

La consultation des parties intéressées est manifestement un élément central de la mise en œuvre de la Loi. Mais elle est aussi une entrave à l’action et elle se déroule mal dans certains cas.

L’observation faite au sujet de la consultation des intervenants par le ministère est juste. On peut bien en arriver à croire que les procédés ainsi établis — qui ne sont pas prévus dans la LCPE et qui relèvent d’une décision touchant la mise en œuvre — peuvent parfois prendre un aspect circulaire et s’assimiler au nivellement par le bas[64].

Il est difficile de recommander des mesures sur ce qui pourrait être considéré comme un problème culturel au ministère. Environnement Canada devrait cependant prendre des mesures pour circonscrire plus précisément la procédure de consultation, traiter les intervenants avec respect, limiter les délais de consultation et être disposé à prendre des décisions favorables à l’environnement et à la santé humaine, même en l’absence d’un large consensus.

Les actions en protection de l’environnement

Selon le rapport d’évaluation formative de la Loi, l’un des résultats escomptés de la LCPE 1999 était le suivant : « Les Canadiens peuvent demander l’ouverture d’une enquête relative à une infraction présumée, recouvrer des dommages-intérêts, présenter des revendications personnelles et procéder à des poursuites à titre de citoyens. » L’action en protection de l’environnement (art. 22) n’est cependant toujours pas employée. Les auteurs du rapport d’évaluation concluent que « très peu de demandes d’enquêtes ou d’actions en protection de l’environnement ont été formulées par le public. Les obstacles à une participation accrue du public n’ont pas fait l’objet d’un examen formel ».

Certains témoins ont fait remarquer que les exigences applicables aux actions en protection de l’environnement sont trop onéreuses. D’autres estimaient qu’on pourrait, à titre de solution, ajouter une disposition de partage des dépens semblable à l’article 62 du Règlement de pêche (dispositions générales) afférent à la Loi sur les pêches, aux termes duquel la moitié du produit d’une amende revient à la personne qui a entamé l’action contre le contrevenant.

Le Comité n’est pas en position de faire une recommandation dans ce sens, mais il invite instamment le ministère de l’Environnement à examiner officiellement les obstacles à l’emploi plus généralisé de l’article 62 et à envisager, dans le cadre de cet examen, de prévoir un partage des dépens.

Recommandation 28

Le gouvernement devrait envisager l’adoption d’une disposition sur le partage des dépens, semblable à celle prévue dans la Loi sur les pêches, ainsi que d’autres compensations financières pour les intervenants afin de supprimer les obstacles financiers à la participation du public. Il devrait également modifier le paragraphe 22(2) de la LCPE 1999 de sorte qu’il soit possible d’intenter une action en protection de l’environnement devant un tribunal dans les cas où une infraction nuit ou risque grandement de nuire à l’environnement, à la vie humaine, animale ou végétale ou à la santé.

AMÉLIORER LA COORDINATION

La coordination de la mise en œuvre de la LCPE 1999 est à la fois une question ministérielle interne, interministérielle et interjuridictionnelle.

La coordination interministérielle

Certains exemples de problèmes intra et interministériels ont été soulignés :

Je vous donne un exemple. Le mercure dans un thermomètre par la LCPE, mais on s’en remet aux responsables des matériels médicaux, qui estiment que le mercure dans les thermomètres ne pose pas de problème. Donc, les thermomètres au mercure sont toujours en vente au Canada[65].

Les ministères concernés par le débat sur les substances toxiques à l’époque étaient presque en guerre les uns contre les autres au sujet de la quasi-élimination, de ce qu’elle signifiait et, en particulier, de la façon de l’appliquer aux substances d’origine naturelle. Ces dissensions empêchaient à peu près tout progrès[66].

Le problème est en partie attribuable à l’absence de plan stratégique commun. Le manque de ressources en serait la cause selon certains témoins (voir la note 56). Mais un plan de ce genre pourrait faciliter les opérations et accroître l’efficacité des activités ministérielles, notamment à l’égard des produits de consommation, comme nous l’avons vu.

Les accords d’équivalence

L’un des objectifs déclarés de la LCPE 1999 est de promouvoir une action coordonnée à l’échelle du Canada. Le fait qu’un seul accord d’équivalence ait été signé et qu’il relève de la LCPE 1988 est une preuve suffisante que cet objectif ne s’est pas concrétisé.

Les dispositions de la Loi concernant les accords d’équivalence prévoient que, sur décision du Cabinet, un règlement pris en vertu de la LCPE 1999 sera déclaré inapplicable à une province, un territoire ou une région sous administration autochtone qui s’est doté de lois aux dispositions équivalentes.

Le Comité a entendu dire que l’un des principaux obstacles à l’usage de ce genre d’accords est le fait que les autres lois en question doivent avoir des dispositions équivalentes, ce que certains interprètent comme signifiant que les cadres de réglementation doivent être semblables. Les provinces se servent de systèmes de permis non prévus dans la LCPE 1999.

Certains proposent donc de modifier les dispositions relatives à l’équivalence pour parler de lois dont les dispositions ont un effet équivalent. Le Comité comprend bien et il est d’accord avec l’intention d’accroître la coordination à l’échelle du Canada, mais il s’inquiète de la formulation « effet équivalent », qui est peut‑être trop générale, et du fait qu’il serait difficile de veiller à ce que les accords aient effectivement un effet équivalent.

Le Comité estime donc qu’il faut rendre la LCPE 1999 plus ouverte aux dispositions d’équivalence en précisant que les systèmes de permis provinciaux peuvent être considérés comme des équivalents, et que ces accords doivent prévoir des mécanismes convenus pour le suivi de leurs effets.

Recommandation 29

Le gouvernement devrait modifier l’article 10 de la LCPE 1999 pour préciser que les systèmes de permis provinciaux peuvent être considérés comme des équivalents et que les accords d’équivalence doivent comporter des dispositions permettant de vérifier que leurs effets sont équivalents.

Conseil canadien des ministres de l’Environnement et normes pancanadiennes

Le CCME est composé des ministres de l’Environnement des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Les 14 ministres se réunissent généralement une fois par année pour discuter des priorités nationales dans le domaine de l’environnement et pour déterminer les travaux à accomplir sous l’égide du CCME. Les gouvernements membres occupent la présidence du CCME à tour de rôle, selon une rotation annuelle.

Puisque l’environnement est un domaine de compétence partagée au Canada, le CCME s’attache à promouvoir une coopération efficace entre les gouvernements et des démarches coordonnées à l’égard des questions intergouvernementales telles que la pollution atmosphérique et les produits chimiques toxiques. Les membres du CCME établissent ensemble des normes, des stratégies et des objectifs environnementaux cohérents à l’échelle nationale, de manière à assurer un niveau élevé de qualité de l’environnement partout au pays. Les ministres conservent les pouvoirs et compétences qui leur sont propres sous l’égide du CCME, mais leur collaboration au sein de ce forum les aide à remplir leur mandat respectif[67].

Le CCME est chargé de fixer les normes nationales non exécutoires connues sous le nom de normes pancanadiennes. Pour ce qui est du mercure, par exemple, le CCME a fixé des normes pancanadiennes pour les émissions de mercure émanant de fonderies de métal commun et d’incinérateurs de déchets, ainsi que de centrales thermiques alimentées au charbon, de lampes contenant du mercure et de déchets d’amalgames dentaires.

Les résultats ont fait l’objet de commentaires partagés. Un fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

Au départ, on visait six substances différentes et on avait élaboré environ 14 normes pancanadiennes. D’après ce qu’on rapporte, elles ont toutes été mises en œuvre. On commence donc tout juste à recueillir de l’information, mais je pense qu’on peut affirmer que bon nombre d’entre elles sont un succès. La plupart d’entre elles ont entraîné des changements aux processus de délivrance des permis et aux outils pour leur mise en œuvre, ce qui a permis, dans certains cas, l’atteinte des normes.[68]

Mais d’autres témoins ne voyaient pas les choses aussi positivement :

La dynamique fédérale-provinciale émane en partie du CCME, le Conseil canadien des ministres de l’Environnement. Il ne nous a pas particulièrement donné de gains environnementaux mais a probablement amélioré la coopération fédérale-provinciale[69].

D’autres parties intéressées ont également critiqué le CCME et les normes pancanadiennes. Les commentaires d’un certain témoin étaient particulièrement inquiétants s’ils se révèlent exacts. Selon un intervenant, les normes pancanadiennes servent non pas à réduire la pollution, puisqu’elles ne sont pas exécutoires, mais à justifier l’augmentation de la pollution dans certaines zones peu polluées[70].

Les normes pancanadiennes semblent poser certains problèmes, mais la collaboration entre les administrations est indispensable, et il est difficile d’imaginer un système radicalement différent pour l’obtenir. Il s’agit d’éviter une fuite en avant, et c’est ce qui semble bien se produire : le gouvernement fédéral devrait faire preuve de leadership au CCME afin de l’empêcher.

Dans les recommandations qui précèdent, nous avons invité le gouvernement à examiner plus largement les solutions que lui ouvre le paragraphe 330(3.1) pour adopter un règlement d’application géographique limitée. Ce genre de règlement pourrait passer outre à un consensus national et éviter par conséquent le risque de fuite en avant, tout en étant relativement plus facile à exécuter.

CONFORMITÉ ET EXÉCUTION DE LA LOI

La conformité et l’exécution de la loi sont deux questions qui n’ont pas été beaucoup abordées au cours des débats. Certaines des statistiques fournies par le gouvernement sont cependant surprenantes :

·        Une ordonnance de conformité a été rendue entre 1998 et 2003‑2004, comparativement à une centaine au cours de l’exercice 2004‑2005.

·        Malgré 38 règlements différents (19 depuis 1998), on n’a enregistré que 34 condamnations depuis 1998.

Une partie de la réponse du ministère de l’Environnement a été que ces statistiques traduisent une ferme volonté de respecter la Loi. Cela est peut‑être vrai, mais il n’existe aucune analyse solide de la conformité aux dispositions de la LCPE 1999 et de leur exécution. Le rapport d’évaluation formative de la Loi se lit comme suit :

Il est impossible de déterminer si les résultats prévus portant sur la partie 10 de la Loi seront obtenus puisque des systèmes de mesure et de déclaration des résultats servant à documenter les progrès obtenus, au regard des résultats prévus, étaient toujours en cours d’élaboration au moment de l’évaluation. Il faudra mettre sur pied de tels systèmes pour apprécier la probabilité de progrès dans l’obtention des résultats prévus […]

Par « résultats prévus », on n’entend probablement pas que des quotas seraient fixés aux mesures d’exécution de la Loi et aux poursuites. Mais le Comité s’attendrait certainement à ce que le ministère adopte un mécanisme permettant d’établir la valeur de son programme d’exécution de la loi dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi.

Recommandation 30

Le ministère de l’Environnement devrait créer un système permettant de mesurer et d’évaluer le rôle et la mise en œuvre des dispositions de la LCPE 1999 relatives à l’exécution de la loi.

L’EMPLOI DU TERME « TOXIQUE »

Il ne fait pas de doute que, dans l’analyse mot à mot, le Comité a consacré plus de temps à discuter du terme « toxique » que de tout autre terme de la Loi. L’emploi de cet adjectif est manifestement problématique pour le secteur privé. Ce problème est considérablement exacerbé par le fait que l’annexe 1 ne s’inscrit pas dans un contexte.

L’annexe 1 est la Liste des substances toxiques, telles qu’elles sont définies dans la Loi. Lorsqu’une substance est inscrite dans la liste, le gouvernement a le pouvoir d’employer un certain nombre des « instruments » de la LCPE, notamment de prendre un règlement. Les substances sont ajoutées à la liste en fonction d’un ou plus, de trois critères. Une substance est considérée comme toxique si elle entre ou peut entrer dans l’environnement en quantités ou concentrations telles qu’elles :

(a)         ont ou peuvent avoir un effet nocif immédiat ou à long terme sur l’environnement ou sa diversité biologique;

(b)         constituent ou peuvent constituer un danger pour l’environnement dont dépend la vie;

(c)         constituent ou peuvent constituer un danger pour la vie ou pour la santé humaine au Canada.

Par conséquent, la définition du terme « toxique » dans la Loi englobe à la fois le risque qu’une substance représente (en raison de sa toxicité intrinsèque) et son contact avec les êtres humains et l’environnement. Cela est conforme à l’idée que « c’est la dose qui fait le poison », à laquelle on an renvoyé le Comité à de nombreuses occasions. C’est peut‑être moins conforme à l’idée que se fait la population générale d’une substance « toxique », à savoir qu’elle est un poison même à faible dose.

Une substance peut donc être inscrite à l’annexe 1 en raison du fait qu’elle a des effets délétères lorsqu’elle est très concentrée dans certains contextes et malgré le fait qu’elle peut être couramment employée de façon sûre et utile dans d’autres circonstances. Les représentants du secteur privé n’ont cessé de rappeler que c’est la raison pour laquelle leurs produits sont injustement stigmatisés.

Les exemples du sel de voirie et de l’ammoniac dans le milieu aquatique ont été repris systématiquement. Le sel de voirie a été ajouté à l’annexe 1, car répond, selon son évaluation, aux alinéas a) ou b). L’ammoniac présent dans le milieu aquatique a été ajouté à l’annexe 1, car, selon son évaluation, il répond à l’alinéa a). Autre exemple : le dioxyde de carbone a été ajouté comme gaz à effet de serre, car son évaluation a permis de conclure qu’il répond à l’alinéa b). L’ammoniac gazeux a été ajouté comme précurseur des matières à granulométrie fine par suite du fait que les particules fines répondaient à l’alinéa c).

La principale objection du secteur privé à l’usage du terme « toxique » est que cela donne aux substances énumérées dans l’annexe 1 une connotation telle qu’elles sont perçues comme quelque chose qu’il faut éviter à tout prix. Les gens voient le mot « toxique » et pensent « danger grave », alors qu’ils confondent ainsi les genres, puisqu’ils peuvent, en fait, arroser leurs frites de cette substance. En fait, d’autres entreprises et gouvernements étrangers semblent également avoir besoin qu’on leur explique le sens du terme « toxique » dans la LCPE 1999.

Mais le Comité n’a été saisi que de peu d’exemple de torts effectifs. Dans le cas le plus grave, un contrat de chlorure de potassium a, semble‑t‑il, été compromis parce que ce produit est un composant du sel de voirie. L’acheteur japonais a découvert qu’on avait l’intention d’inscrire cette substance dans la liste et a eu peur que ses propres acheteurs ne puissent l’employer dans leurs fermes. L’usage d’une substance toxique pourrait, par exemple, interdire l’étiquetage d’un produit comme produit organique. Il y a aussi le cas de la B.C. Buildings Corporation Cleaning Management, qui estime qu’aucun produit ne doit comprendre de substances inscrites à l’annexe 1.

C’est effectivement un problème, mais il ne semble pas avoir créé beaucoup d’effets négatifs sur les entreprises. Ses répercussions les plus sensibles se sont peut‑être fait sentir sur la mise en œuvre de la LCPE 1999, puisqu’il constitue un obstacle aux négociations et à l’action.

Beaucoup de représentants du secteur privé ont proposé de supprimer le terme « toxique » et de le remplacer par « substances à gérer ». Cela présente un certain intérêt, notamment dans sa simplicité, mais cela comporte certains inconvénients.

Le pouvoir constitutionnel conféré à la LCPE a été confirmé étroitement par la Cour suprême dans R. c. Hydro-Québec, où elle a statué qu’il s’agissait d’un exercice valable du pouvoir fédéral en matière de droit pénal[71]. L’élimination du terme « toxique » susciterait presque certainement des litiges et, quoique cela soit improbable, risquerait de compromettre l’équilibre du tribunal concernant la question de la constitutionnalité.

Le gouvernement a tenté à deux reprises[72] d’éliminer le terme « toxique » dans l’ensemble ou certaines des parties de la Loi : il faut donc penser que les avocats du ministère de la Justice qui ont conseillé le gouvernement ne s’inquiètent guère de la question du pouvoir constitutionnel. Mais on ne peut en être sûr, car ces conseils sont généralement confidentiels.

L’autre problème est que l’élimination du terme « toxique » pourrait inciter la société à moins se préoccuper de contrôler ces substances.

Le sens du terme « toxique » ne devrait pas être si difficile à expliquer. Comme on l’a répété au Comité, « c’est la dose qui fait le poison ». Le problème réel est probablement le manque de contexte de l’annexe 1.

Comment « l’ammoniac dans le milieu aquatique » est devenu « l’ammoniac dans l’eau » est réellement incompréhensible. Le principal problème associé à l’ammoniac en milieu aquatique est, selon l’évaluation des risques, le déversement d’ammoniac en provenance des installations municipales de traitement des eaux usées. Le dioxyde de carbone peut être très nocif à des doses élevées, mais il ne l’est généralement pas, excepté qu’il est toxique pour l’environnement en tant que gaz à effet de serre.

L’Association canadienne des fabricants de produits chimiques a proposé un compromis :

Si le comité devait juger que le retrait du mot « toxique » et son remplacement par le libellé que nous avons recommandé sont inacceptables, il pourrait tout de même reprendre, dans son rapport, un thème sur lequel presque tout le monde s’est entendu, à savoir que le gouvernement devrait fournir davantage d’informations contextuelles quand il décrète qu’une substance est toxique et qu’il l’inscrit à l’annexe 1[73].

Recommandation 31

Le gouvernement devrait modifier l’annexe 1 pour y insérer les renseignements suivants concernant chaque substance inscrite :

·        la disposition de l’article 64 qui a déclenché l’inscription;

·        un bref résumé des raisons pour lesquelles la substance est toxique aux doses observées;

·        si possible, l’instrument d’évaluation des risques applicable à la substance.

CONCLUSION

Il y aura toujours des risques associés à l’usage de produits chimiques, comme c’est le cas d’à peu près tout dans la vie. En général, la gestion des produits chimiques au Canada, du moins du point de vue des lois et pouvoirs applicables, est valable et conforme aux normes en vigueur dans les autres États de l’OCDE. D’autres États peuvent cependant se montrer plus prudents, mais cela traduit peut‑être seulement leur perception du seuil de tolérance de leurs sociétés à l’égard du risque.

Une plus grande prudence est une affaire de volonté politique. Certaines de nos recommandations font de la LCPE 1999 une loi intrinsèquement plus prudente sans y ajouter d’obligations injustifiées ou onéreuses Nous avons notamment prévu de tenir compte des populations et des écosystèmes vulnérables et de raccourcir les délais associés à la LSIP.

Par ailleurs, un système de double réponse aux substances préoccupantes permettra de garantir que des mesures seront prises plus rapidement. Il convient de prendre des mesures de gestion des risques raisonnables et réalisables avant le terme d’une évaluation des risques, qui est toujours une procédure très longue. Cela comprend des mesures préalables immédiates pour la quasi‑élimination des substances jugées persistantes, bioaccumulables et intrinsèquement toxiques.

L’objectif ultime est cependant de consolider le savoir sur lequel la Loi s’appuie, et le Comité a formulé de nombreuses recommandations à cet égard, car, comme nous l’avons dit dans le prologue, la valeur de notre système de gestion des produits chimiques est à la mesure du savoir qui le fonde.


[1]       Partie 6 : Substances biotechnologiques animées

Partie 7 : Contrôle de la pollution et gestion des déchets

Partie 8 : Questions d’ordre environnemental en matière d’urgences

Partie 9 : Opérations gouvernementales, territoire domanial et terres autochtones

[2]       Des représentations ont été exclues, certaines parce qu’elles débordaient du cadre de l’étude, d’autres parce qu’elles reprenaient un point de vue déjà exposé. Les témoignages cités ont été choisis parce qu’ils reflètent fidèlement les délibérations et étayent les recommandations jugées nécessaires par le Comité.

[3]     Cécile Cléroux, sous‑ministre adjointe, Direction générale de l’intendance environnementale, ministère de l’Environnement, Témoignages, 15 mai 2006.

[4]       Kapil Khatter, directeur, Santé et environnement, Pollution Watch, Témoignages, 10 mai 2006.

[5]       Bruce Lourie, président, Fondation Ivey (Toronto), Témoignages, 5 juin 2006.

[6]       John Moffet, directeur général intérimaire, Systèmes et priorités, ministère de l’Environnement. Témoignages, 15 mai 2006.

[7]       Justyna Laurie-Lean, vice‑présidente, Association minière du Canada, Témoignages, 17 mai 2006.

[8]       Ibid.

[9]       Gouvernement du Canada, « Enjeux ciblés par la LCPE (1999) ». Voir le site http://www.ec.gc.ca/RegistreLCPE/gene_info/focus.cfm (consulté le 15 janvier).

[10]     Kapil Khatter, directeur, Santé et Environnement, Pollution Watch, Témoignages, 10 mai 2006.

[11]     Justyna Laurie-Lean, vice‑présidente, Association minière du Canada, Témoignages, 17 mai 2006.

[12]     Gouvernement du Canada, « Loi canadienne sur la protection de l’environnement 1999 : Qu’est-ce que c’est, à quoi sert-elle, comment elle fonctionne », mai 2006, présentation au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes, italiques dans l’original.

[13]     Les accords d’équivalence ont pour but d’éviter les doubles emplois et d’accroître la collaboration fédérale-provinciale en permettant d’abolir un règlement fédéral dans une province où un règlement équivalent existe. L’Entente sur l'équivalence des règlements fédéraux et albertains en vue du contrôle des substances toxiques en Alberta a été signée en 1994 en application de la version  précédente de la LCPE.

[14]     Justyna Laurie-Lean, vice‑présidente, Association minière du Canada, Témoignages, 17 mai 2006.

[15]     John Moffet, Témoignages, 12 juin 2006

[16]     Joe Schwarcz, directeur, Bureau des sciences et de la société, Université McGill, Témoignages, 12 décembre 2006.

[17]     Présentation de Pollution Watch, Recommandations générales aux fins de l’examen de la LCPE, 12 décembre 2006.

[18]     Art. 64 : […] est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à :

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaines.

[19]    Règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006
concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques
http://eur-lex.europa.eu/JOHtml.do?uri=OJ:L:2006:396:SOM:FR:HTML, consulté le 28 février 2006.

[20]     Ibid, paragraphe 16.

[21]     Wayne Gratton, Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, Communication personnelle, 1er mars 2007.

[22]     Kapil Khatter, directeur, Santé et Environnement, PollutionWatch, 21 septembre 2006.

[23]     Gail Krantzberg, Université McMaster, à titre personnel, Témoignages, 12 décembre 2006.

[24]     Richard Denison, scientifique principal, Bureau de Washington (D.C.), Défense environnementale, 19 octobre 2006.

[25]     Gordon Lloyd, vice‑président, Questions techniques, Association canadienne des fabricants de produits chimiques, Témoignages, 19 octobre 2006.

[26]     Judith McKay, avocate générale, DuPont Canada, 17 octobre 2006.

[27]     Déclaration de Dubaï sur la gestion internationale des produits chimiques, paragraphe 22.

[28]     Ibid.

[29]     Défense environnementale, Partenaires dans la pollution : La pollution des Grands Lacs en provenance du Canada et des États-Unis — Évaluation d’un problème qui se poursuit.

[30]     Robert Smith, directeur, Comptes et statistique de l’environnement, Statistique Canada, Témoignages, 12 juin 2006.

[31]     Voir, par exemple, « AG Back Publics Right to Know, Oppose EPA Effort to Weekend Toxic Reportions », communiqué de presse, New York State Office of the Attorney General, 13 janvier 2006. Voir le site http://www.oag.state.ny.us/press/2006/jan/jan13a_06.html.

[32]     John Offet, Témoignages, 12 juin 2006.

[33]     Mr. Rick Smith, directeur exécutif, Défense environnementale, PollutionWatch), 12 juin 2006.

[35]     Gail Krantzberg, professeure et directrice, Dofasco Centre for Engineering an Public Policy, Université McMaster, Témoignages, 21 juin 2006.

[36]     Pour paraphraser Gail Krantzberg, Université McMaster, à titre personnel, Témoignages, 12 décembre 2006.

[37]     Hugh Benevides, conseiller juridique, Association canadienne du droit de l’environnement, Témoignages, 5 juin 2006.

[38]     Paul Glover, directeur général, Programme de la sécurité des milieux, ministère de la Santé, Témoignages, 17 octobre 2006.

[39]     Pollution Watch, « La réforme de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement », mémoire au Comité, juin 2006.

[40]     15 substances en trois mois, 60 par an, 180 en trois ans.

[41]     Roger Keene, Compagnie pétrolière impériale Litée, Témoignages, 6 novembre 2006.

[42]     Kathleen Cooper, recherchiste, Association canadienne du droit de l’environnement, Témoignages, 6 novembre 2006.

[43]     Effet produit au‑delà d’une certaine dose minimale généralement acceptée (seuil). Les substances limites sont, par exemple, les produits chimiques causant le cancer, mais n’endommageant pas l’ADN (carcinogènes non génotoxiques) et ceux qui ne causent pas le cancer ou au sujet desquels on n’a pas suffisamment d’information sur le potentiel cancérigène (parfois appelés « non carcinogènes »). (Cadre décisionnel de Santé Canada pour la détermination, l’évaluation et la gestion des risques pour la santé, 1er août 2000 août 2000.)

[44]     PollutionWatch, « La réforme de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement », mémoire au comité d’examen de la LCPE 1999, juin 2006.

[45]     Ces substances ont au nombre de 900 environ; certaines sont mal définies et d’autres sont aussi inscrites sur la LIS.

[46]     Santé Canada, « Groupe de travail sur l’évaluation environnementale ». Voir le site
http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/contaminants/person/impact/consultation/GTEE-gtee/index_f.html, consulté le 17 janvier 2006.

[47]     Kathleen Cooper, recherchiste principale, Association canadienne du droit de l’environnement, PollutionWatch, Témoignages, 11 décembre.

[48]     Ibid.

[49]     Dans son sixième rapport biennal, la Commission mixte internationale définit le rejet nul comme suit :

L’expression “rejet nul” signifie simplement l’arrêt de tous les apports, quelles que soient la source ou la voie d’entrée anthropique, de sorte qu’aucune libération de substances toxiques rémanentes dans l’environnement ne résulte des activités humaines. Il s’agit donc, pour empêcher complètement ces rejets, de mettre un terme à la fabrication, à l’utilisation, au transport et à l’élimination de ces substances; elles ne doivent tout simplement plus être disponibles. Le rejet nul ne veut donc pas dire le rejet de quantités non décelables. Il ne s’agit pas davantage de recourir aux meilleures techniques de lutte offertes, aux meilleures pratiques de gestion ou aux moyens analogues de traitement qui entraîneraient le rejet d’une certaine quantité de produits résiduels.

[50]     Gouvernement du Canada, Liste de quasi‑élimination, Gazette du Canada, Partie II, vol. 140, no 25, 13 décembre 2006.

[51]     Gordon Lloyd, vice‑président, Questions techniques, Association canadienne des fabricants de produits chimiques, Témoignages, 17 mai 2006.

[52]     Gazette du Canada, partie II, Décret d'inscription d'une substance toxique à l'annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), DORS/2005-40, 15 février 2005

[53]     Hugh Benevides, Témoignages, 26 septembre 2006.

[54]     Michael Teeter, consultant, Institut canadien du sel, Témoignages, 12 décembre 2006.

[55]     Michael Teeter, directeur, Hillwatch Inc., à titre personnel, Témoignages, 17 octobre 2006.

[56]     Bureau national de la prévention de la pollution, Les rouages de la prévention de la pollution. Voir le site http://www.ec.gc.ca/nopp/docs/fact/fr/p2NB.cfm, consulté le 17 janvier 2006.

[57]     Anna Tilman, présidente, Save the Oak Ridges Moraine Coalition, Témoignages, 12 décembre 2006.

[58]     John Reed, directeur, Bureau du Commissaire à l’environnement et au développement durable, 19 juin 2006.

[59]     Joe Schwarcz, directeur, Bureau des sciences et de la société, Université McGill, Témoignages, 21 juin 2006.

[60]     Conseil de l’union européenne, Dossier interinstitutionnel : 2003/0256 (COD) 2003/0257 (COD), Proposition de règlement concernant […] (REACH), 12 juin 2006.

[61]     Beverly Thorpe, directrice internationale, Clean Production Action, Témoignages, 19 octobre 2006.

[62]     UK Stakeholders Forum, CBI, CIA, Greenpeace, position commune concernant l’autorisation de substances très inquiétantes au sein de REACH, 25 janvier 2005.

[63]     Paul Glover, Témoignages, 12 juin 2006.

[64]     John Moffet, Témoignages, 5 juin 2006.

[65]     Kapil Khatter, Témoignages, 11 décembre 2006.

[66]     John Reed, directeur principal, Commissariat à l’environnement et au développement durable, Témoignages, 19 juin 2006.

[67]     Les deux paragraphes qui précèdent sont tirés du site Web du CCME : http://www.ccme.ca/about/index.html, consulté le 18 janvier 2006.

[68]     Cynthia Wright, sous‑ministre adjointe déléguée, Direction générale de l’intendance environnementale, ministère de l’Environnement, Témoignages, 4 décembre 2006.

[69]     Derek Stack, directeur exécutif, membre du RCE, délégué des ONGE, Union Saint‑Laurent, Témoignages, 10 mai 2006.

[70]     Delores Broten, conseillère principale en matière de politiques, Reach for Unbleached Foundation, Témoignages, 4 décembre 2006.

[71]     Dans l’affaire R. c. Hydro-Québec de 1997, on alléguait que la LCPE 1988 était ultra vires, c’est-à-dire qu’elle dépassait la compétence du Parlement du Canada parce que deux de ses dispositions ne rentraient dans les attributions d’aucun chef de compétence fédérale, telle que celle-ci est définie dans la Loi constitutionnelle de 1867. Dans une décision majoritaire (cinq voix contre quatre), la Cour a confirmé la constitutionnalité de la loi qui permet l’utilisation légitime du pouvoir fédéral en matière de droit pénal.

[72]     Projet de loi C‑43 de la 38e Législature, 1re session, et projet de loi C‑30 de la 39e Législature, 1re session.

[73]     Gordon Lloyd, 12 décembre 2006.