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AFGH Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan


NUMÉRO 005 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 14 avril 2010

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Bonne après-midi, chers collègues.
    Ceci est la cinquième réunion du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Nous sommes le mercredi 14 avril 2010.
    Je rappelle à tout le monde que la réunion d'aujourd'hui est télédiffusée, comme vous pouvez le voir, alors je vous demanderais de régler vos téléphones cellulaires ou vos BlackBerry en conséquence.
    Nous poursuivons notre étude sur le transfert des détenus afghans. Notre premier témoin aujourd'hui est M. Ahmadshah Malgarai, conseiller auprès de l'ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan.
    Monsieur Malgarai, vous êtes accompagné d'un ami aujourd'hui. En résumé, c'est vous qui ferez l'exposé. Comme vous le savez, nous écouterons d'abord votre déclaration préliminaire, puis il y aura quelques séries de questions, si ça vous convient.
    Monsieur Hawn.
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Nous avons fait savoir, parce que nous n'avons pas donné d'avis de 48 heures pour une motion, que nous voulions demander le consentement unanime pour cette motion. Les raisons en sont évidentes, comme vous le verrez.
    Ça ne prendra que quelques minutes.
    Voici la motion:
Que le comité se penche sans tarder sur les préparatifs et les plans pour le retrait des Forces canadiennes de l'Afghanistan en 2011 et sur les efforts et les plans pangouvernementaux pour l'Afghanistan après 2011 étant donné que le chef de l'opposition officiel de Sa Majesté a interrogé le premier ministre à la Chambre des communes le 30 mars 2010 sur « les plans de son gouvernement en ce qui a trait à la mission canadienne en Afghanistan après 2011 » et que le premier ministre a invité les partis d'opposition à lui « faire part de leurs idées sur l'avenir de cette mission »; que la pertinence et l'importance de ces plans, du point de vue stratégique, nécessitent clairement notre attention immédiate compte tenu de leurs conséquences, et que, étant donné que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire mène sa propre enquête, l'enquête que poursuit le comité sur les prisonniers talibans constitue un exercice politique qui nuit au moral de nos troupes et à la mission canadienne.
    Monsieur Hawn, j'aimerais savoir si vous demandez...
    Je demande le consentement unanime afin que cette motion soit examinée aujourd'hui. Je crois que je connais la réponse.
    Il n'y a pas consentement unanime.
    Je m'en doutais un peu, monsieur le président, mais...
    Je vous remercie.
    Est-ce que ça concerne le même rappel au Règlement?
    Non, c'est un autre rappel au Règlement.
    Un autre?
    Oui.

[Français]

    Monsieur le président, je voudrais simplement attirer votre attention sur ce qui suit.
    La motion qu'on avait déposée, à l'époque, insistait beaucoup sur le fait qu'on devait informer le plus possible les Canadiens et les Québécois des enjeux reliés à la mission en Afghanistan. Or je ne suis pas certain qu'on va disposer de l'infrastructure nécessaire pour accueillir tous les médias chaque fois qu'on va se réunir dans ce local.
     Je veux savoir si on peut nous garantir que, pour chaque réunion tenue dans cette salle, une invitation sera envoyée aux médias et qu'on ne nous servira plus l'argument à savoir qu'il est impossible de les y accueillir compte tenu des réunions de caucus ou autres réunions ayant eu lieu pendant l'avant-midi. Pour moi, c'est important. Je pense d'ailleurs que si nous tenions nos réunions dans une des salles de l'édifice du Centre munies d'équipement de télédiffusion, ça nous aiderait énormément.

[Traduction]

    Merci, monsieur Bachand. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse d'un rappel au Règlement, mais je crois que nous pourrions certainement examiner cette question la prochaine fois que nous discuterons des travaux du comité. Je suis ouvert à cette idée.
    Monsieur Harris.
    Monsieur le président, j'aimerais dire rapidement que je suis d'accord avec M. Bachand. Et quand nous en discuterons, nous pourrions peut-être envisager d'écrire une lettre au Président, ou à quiconque est responsable de cette question, pour suggérer que certaines des salles de réunion des comités soient améliorées pour qu'elles comprennent toutes des installations de télédiffusion.
    Merci, monsieur Harris.
    Nous allons maintenant écouter notre témoin. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire.
     Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité.
    Je m'appelle Ahmadshah Malgarai, mais certaines personnes me connaissent sous le nom de Pacha, mon nom de code dans les Forces canadiennes. Je suis accompagné aujourd'hui de mon conseiller juridique, M. Amir Attaran.
    J'ai été à l'emploi des Forces canadiennes en Afghanistan en tant que civil de juin 2007 à juin 2008. Pendant cette période, j'ai travaillé comme conseiller culturel et linguistique. Je suis né en Afghanistan, comme l'indique mon accent, mais je suis Canadien. Je suis arrivé au Canada en tant que réfugié et j'ai étudié à l'Université Carleton. J'habite à Ottawa depuis.
    En Afghanistan, j'ai travaillé dans le périmètre de sécurité de l'aérodrome de Kandahar, qu'on appelle aussi KAF, et à l'extérieur du camp, dans le dangereux district de Panjwai. J'ai aussi été appelé à me joindre à une douzaine de patrouilles. J'ai fait partie de patrouilles qui ont été exposées à des coups de feu et aux détonations d'engins explosifs improvisés. J'ai risqué ma vie pour les soldats canadiens et pour le peuple afghan. J'ai reçu de nombreuses recommandations des militaires canadiens et du gouvernement afghan pour mon travail.
    Vu mon expérience personnelle, je sais ce qu'on peut dire et ce qu'on ne doit pas dire pour des raisons de sécurité opérationnelle. Rien de ce que je vais dire aujourd'hui n'est une menace à la sécurité du Canada ou de l'Afghanistan, ni ne compromet la sécurité des soldats avec qui je suis fier d'avoir travaillé. Je suis ici aujourd'hui par solidarité envers les soldats canadiens et le peuple afghan.
    J'avais la cote de niveau secret et j'ai travaillé avec plusieurs unités militaires qui s'occupaient des détenus ou qui les interrogeaient. J'ai traduit le contenu d'un grand nombre de documents et de réunions concernant les détenus pour le MAECI, pour la police militaire et pour le Centre de renseignement de toutes sources, qu'on appelle le CRTS. J'ai aussi fourni des services de traduction et des conseils culturels à des Canadiens de haut niveau, comme le commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, le brigadier-général Guy Laroche, un homme pour qui j'éprouve un grand respect, ainsi que des ministres et des députés en visite en Afghanistan.
    J'ai appris en Afghanistan que le Canada transférait souvent des hommes innocents à la Direction nationale de la sécurité, et le faisait parfois alors que leur sécurité et leur vie étaient menacées par la DNS. J'aimerais vous relater certaines situations concernant des détenus. Je ne pourrai pas toujours vous donner des dates et des détails très précis, je m'en excuse, mais les Forces canadiennes ont pris mes notes lorsque j'ai quitté l'Afghanistan.
    Aux alentours de juin ou de juillet 2007, les Forces canadiennes ont fait un raid dans des bâtiments à Hazraji Baba, au nord de la ville de Kandahar. Durant la semaine en question, un soldat canadien a tiré, par derrière, une balle dans la tête d'un Afghan de 17 ans qui n'était pas armé. Le fait de tirer par derrière sur un Afghan qui n'était pas armé enfreint les règles d'engagement. Les Forces canadiennes pensaient que l'homme avait un pistolet, mais l'arme en question a été examinée à la base de Bagram et ce n'était pas son arme. En tout cas, après avoir tué cet homme par erreur, les soldats canadiens ont paniqué. Ils ont ratissé le quartier et ils ont arrêté des gens sans raison. Ils ont arrêté une dizaine d'hommes, de 10 à 90 ans. Ils ont tous été amenés à la base de Kandahar, où je les ai interrogés moi-même avec l'unité des interrogateurs tactiques de l'armée.
    Aucun des prisonniers n'était un taliban. Leur seul tort était d'avoir été chez eux lorsque les Forces canadiennes avaient tué leur voisin. Mais le Canada a transféré tous ces hommes innocents à la DNS. J'ignore ce qui leur est arrivé.

  (1535)  

    Je vais vous raconter une autre histoire. En juillet 2007 environ, un détenu qui avait été blessé pendant les combats se trouvait à KAF et devait être transféré à la Direction nationale de la sécurité. Vu ses besoins sur le plan médical, il y a eu une réunion entre deux conseillers en politiques du MAECI, John Davison et Ed Jager, la police militaire, et un colonel de la DNS qui s'appelait Yassin. J'étais là pour servir d'interprète.
    Il y a eu un désaccord pendant leur discussion. Le colonel Yassin disait que la DNS n'accepterait pas un prisonnier malade. Les Canadiens ont insisté, et alors le colonel Yassin a pris son arme, l'a placée sur la table, et a dit: « Prenez mon fusil et tirez-lui une balle. Vous pourrez me donner le corps, et je vais justifier ce qui s'est passé pour vous. » J'ai traduit ce que le colonel de la DNS avait proposé de faire, de tuer le prisonnier.
    Le gouvernement canadien dit que les prisonniers ne sont jamais transférés à la DNS s'il y a un risque qu'ils soient maltraités, mais c'est un mensonge. Ce prisonnier a été confié à un colonel de la DNS qui avait proposé de le tuer sous les yeux de la police militaire et des gens du MAECI.
    Lorsque le colonel Yassin a fait cette menace de mort, Ed Jager a tout de suite dit: « Je vais faire comme si vous n'aviez pas dit ça et que je ne l'avais pas entendu. » Le fait de prétendre de n'avoir rien entendu ne protégeait pas cet homme, mais c'est ce que le MAECI et la police militaire ont fait. Je n'ai jamais su ce que la DNS avait fait à cet homme.
    À l'automne 2007, les Forces canadiennes ont détenu deux beaux-frères qui s'appelaient Abdul Ghafar et Atta Mohamad Azckzai. L'un d'eux était marchand de voitures et l'autre, mécanicien. Ce n'était pas des combattants.
    Après qu'on ait emmené M. Ghafar et M. Azckzai à KAF, j'ai reçu un appel d'un garde à la barrière canadienne, qui était contrôlée par l'équipe de l'aérodrome canadien à Kandahar, et qu'on appelait ECP3. La mère de M. Ghafar, une brave femme, qui était âgée, avait demandé à me voir. J'ai été la rencontrer à la barrière. Elle avait apporté un sac de médicaments pour son fils qui, disait-elle, avait récemment reçu des soins au Pakistan pour une maladie du rein. Elle a demandé au garde d'apporter les médicaments à son fils. Elle lui a demandé à genoux, en le suppliant et en lui agrippant les pieds, mais le garde a refusé. J'ai dit à mes supérieurs que de refuser la demande de cette vieille femme démontrait beaucoup d'indélicatesse dans la culture afghane. En tout cas, sans ses médicaments, M. Ghafar est tombé malade. Les médecins à Kandahar l'ont opéré et lui ont enlevé un rein. Et alors le Canada était prêt à le transférer.
    Mais comme je vous l'ai dit tantôt, la DNS à Kandahar ne voulait pas de prisonniers malades. Ils ne voulaient pas de M. Ghafar. Alors, le Canada l'a transféré à la DNS de Kaboul à la place. Je ne sais pas ce qu'il lui est arrivé.
    M. Atta Mohamad Azckzai a aussi été transféré, mais ça ne s'est pas passé aussi facilement. Lorsque Ed Jager lui a lu l'accord concernant les prisonniers et qu'il a compris qu'il serait transféré à la DNS, M. Azckzai s'est mis en colère. Il a demandé pourquoi on le transférait. M. Jager n'a pas répondu. Mais le colonel Yassin a objecté que M. Jager disait au prisonnier quels étaient ses droits. M. Azckzai a protesté, en disant qu'il avait des enfants, qu'il n'avait pas d'argent pour des pots-de-vin qui l'aideraient à sortir de prison. Finalement, il s'est couché sur le sol et il a dit aux soldats: « S'il vous plaît, tirez-moi une balle dans la tête, au lieu de me transférer à la DNS. » C'est pour dire combien il avait peur de la DNS. Le colonel Yassin a répondu. Il nous a dit: « Quand Azckzai sera dans mon bureau, il va parler. » Il menaçait clairement d'infliger des mauvais traitements à ce prisonnier gênant.
    Je vais vous parler d'un dernier cas. Pendant l'été 2007, je travaillais avec les Forces canadiennes au village de Kalantar, dans le district de Dand, dans la région de Kandahar. Une femme qui semblait réellement désespérée m'a abordé. Son mari avait été arrêté quelques jours plus tôt et il avait été transféré à la DNS, et maintenant la DNS demandait de l'argent pour le libérer. C'est normal pour la DNS de demander des rançons pour des prisonniers. Si la rançon n'est pas payée, la DNS menace la famille. Les Afghans savent que ce genre de chose se produit. Malheureusement, cette femme était trop pauvre. Elle ne pouvait pas donner d'argent à la DNS pour acheter la liberté de son mari. Pire encore, comme son mari était en prison et ne travaillait pas, elle n'avait pas d'argent pour acheter de la nourriture pour ses quatre enfants.

  (1540)  

    Quand j'ai vu les enfants, ils avaient l'air malade parce que leur mère avait dû les nourrir avec de l'herbe et des feuilles pendant quatre jours. Quand notre patrouille a quitté le village, je ne sais pas ce que la famille est devenue.
    Je sais que j'ai dépassé le temps qui m'est accordé, mais j'aimerais encore aborder une question: pourquoi les responsables canadiens ont-ils passé sous silence les mauvais traitements infligés par la DNS ou, comme M. Jager, ont-ils fait semblant de ne pas les voir?
    Lorsqu'il a témoigné, le brigadier-général Thompson a dit que la DNS était « un partenaire très valable » et que le Canada « avait agi à partir des renseignements qu'il avait reçus de la DNS ». C'est faux, malheureusement. J'ai vu des membres des services de renseignement canadiens envoyer à la DNS les détenus qui ne leur disaient pas ce qu'ils voulaient entendre. Si l'interrogateur pensait qu'un détenu mentait, il l'envoyait à la DNS pour d'autres interrogatoires, à la mode afghane. Autrement dit: mauvais traitements et torture.
    Monsieur Malgarai, combien de temps vous faut-il encore, car vous avez déjà pris deux minutes de plus.
    Seulement quelques minutes, monsieur le président.
    Essayez de résumer, et vous direz le reste en répondant aux questions.
    Lorsque le brigadier-général Thompson a dit que la DNS était notre partenaire en matière de renseignement, il avait raison. Mais cela signifie que les militaires laissaient la DNS s'occuper des mauvais traitements et de la torture.
    Je m'en suis plaint auprès du commandant du CRTS, et j'en ai subi les conséquences pendant que je négociais l'abandon de deux commandants talibans. Un membre des Forces canadiennes, je crois, a dévoilé mon nom et mon identité réels aux talibans. Peu de temps après, les talibans ont envoyé des menaces, des lettres à ma famille parce que j'étais un traître qui aidait les Forces canadiennes. Les membres de ma famille ont dû quitter l'Afghanistan et trouver asile dans un autre pays, par crainte pour leur propre vie.
    Je vais m'arrêter là. Ce que je vous ai raconté montre comment le transfert des détenus à la DNS n'a fait qu'accroître l'appui de la population aux talibans. Le CRTS pensait que la DNS était un bon partenaire pour le renseignement, et le gouvernement canadien devait être d'accord. En tout cas, quand je me suis plaint auprès du représentant officiel du gouvernement du Canada à Kandahar, Elissa Golberg, ça n'a rien changé.
    Aujourd'hui, les talibans sont plus forts, et les soldats canadiens sont plus en danger qu'avant. Ça montre bien l'ineptie des accords de transfert de détenus négociés par le gouvernement canadien. Ces accords ont nui à des Afghans innocents et à des soldats canadiens.
    Merci de m'avoir écouté, monsieur le président.

  (1545)  

    Merci, monsieur.
    Nous allons commencer la première série de questions.
    Monsieur Rae.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Malgarai, quand vous avez vu les incidents que vous nous avez décrits, saviez-vous, de par votre formation ou votre expérience, dans quelle mesure ils étaient licites ou non en vertu de la Convention de Genève ou d'autres accords en droit international humanitaire? Aviez-vous une idée de ce qui est licite et de ce qui ne l'est pas?
    Tout être humain sait ce qui est bien et ce qui est mal. Mais quand on travaille pour les militaires... ils disent souvent: « n'embêtez pas vos supérieurs car ils peuvent vous détruire ». Quand un homme en uniforme fait quelque chose, il ne faut pas critiquer sinon vous aurez des ennuis.
    Nous avons reçu un entraînement de base pendant trois semaines, mais il n'y avait rien sur le droit humanitaire... ce qui est bien, ce qui est mal, ce qu'on a le droit de faire et ce qu'on n'a pas le droit de faire.
    Compte tenu de la chaîne de commandement, auriez-vous pu vous adresser à un autre supérieur pour lui signaler ce que vous aviez vu et qui vous paraissait inacceptable? Était-ce une possibilité?
    Je me suis adressé à tous les responsables de ma chaînes de commandement, le CRTS, les interrogateurs du service de sécurité et de contre-espionnage qui étaient responsables — ils étaient au courant. Ils étaient tous au courant.
    Mais vous les avez prévenus.
    J'ai raconté à tout le monde ce qui se passait.
    Et comme vous n'aviez pas le droit de conserver vos propres notes, vous n'avez aucun écrit à nous montrer?
    Ça aurait constitué une infraction à la sécurité. Par conséquent, toutes les notes prises pendant une réunion étaient déchiquetées ensuite.
    Dans ce cas, quand vous aviez une plainte à formuler, comment faisiez-vous? Si vous en parliez pendant une réunion, par exemple, et que vous signaliez qu'il y avait un problème, est-ce que quelqu'un prenait des notes, et celles-ci étaient-elles conservées ou détruites?
    Si j'avais une plainte à formuler, il fallait que je m'adresse à ma chaîne de commandement, c'est-à-dire à mon supérieur, qui en prenait note dans un calepin. Ensuite, le supérieur allait dans sa salle informatique, où nous n'avions pas le droit de pénétrer, et je ne sais pas ce qu'il faisait de cette information. Mais je maintiens que j'ai informé tous mes supérieurs qu'il y avait un problème avec le transfert des détenus.
    À tête reposée, pourriez-vous essayer de vous souvenir des noms de tous ceux que vous avez informés et qui ont pris des notes, et faire parvenir ces informations au comité? Je ne vous demande pas de me répondre tout de suite, simplement de nous faire parvenir ces informations.
    Oui.
    M. Bob Rae: Merci.
    Le président: Monsieur Dosanjh.
    J'aimerais vous poser une question, monsieur Malgarai. Vous dites avoir informé Elissa Golberg, la représentante du Canada à Kandahar, que des militaires canadiens du renseignement voulaient faire transférer des détenus à la DNS pour qu'ils y subissent des interrogatoires musclés. Les ministres du cabinet ont-ils reçu les mêmes informations que vous ou qu'Elissa?
    Je n'arrive pas à croire que le ministre de la Défense, Peter McKay, prétende qu'il ne savait pas. Je n'arrive pas à le croire.
    Pourquoi?
    Parce qu'ils savaient tous que des détenus étaient transférés... Par exemple, lorsqu'ils transféraient les détenus, Ed Jager était un représentant du gouvernement. Il était là lorsque le détenu a posé sa tête sur le sol en le suppliant de lui tirer une balle dans la tête plutôt que de le transférer là-bas.
    Si M. Peter McKay prétend qu'il ne savait pas, j'aimerais bien lui poser la question à la Chambre des communes, pendant la période des questions. J'aimerais bien qu'il soit assis en face de moi, qu'il me regarde droit dans les yeux et qu'il me dise qu'il ne savait rien.
    À propos de l'incident que vous avez décrit, lorsque le soldat a tiré sur un homme sans arme, savez-vous ce qu'on a fait du corps? A-t-il été enterré immédiatement?
    Quand le soldat a tué cet homme, ça a été la panique, comme je l'ai dit dans mon témoignage. Ils sont allés réquisitionner tous les hommes du village, et le matin, ils ont remis le corps à une femme. Cette femme a voulu l'amener à KAF pour protester, pour faire relâcher les détenus, mais le gouvernement et les militaires avaient négocié un accord avec Assadullah Khalid, l'ex-gouverneur de Kandahar, pour qu'il envoie ses sbires et son armée afin de mater les gens et de les empêcher de manifester.

  (1550)  

    Vous avez dit que nous envoyions des détenus à la DNS pour qu'ils subissent des interrogatoires musclés. À votre connaissance, combien de fois cela s'est-il produit? Grosso modo?
    Quand je travaillais pour le CRTS, avant d'être détaché auprès du commandant, le problème était que certains interprètes ne parlaient pas pachtou. C'est un gros problème à Kandahar. Peut-être que certains détenus ont été transférés parce qu'il n'y avait pas d'interprète disponible en pachtou. Par conséquent, quand il y avait un problème particulier, ils me demandaient d'intervenir et de traduire les documents. J'ai traduit beaucoup de documents relatifs à des transferts de détenus à la DNS.
    Et vous saviez donc que des détenus étaient transférés conformément à ces...
    Oui, et j'y participais aussi, puisque j'étais celui qui les laissait passer à la grille.
    Merci.
    Monsieur Wilfert, vous avez à peu près 30 secondes.
    Je constate qu'il y a un certain nombre de lettres très élogieuses de vos supérieurs, sur votre travail en Afghanistan. Je suppose qu'on peut en conclure qu'ils avaient toute confiance en vous et dans les notes d'information que vous leur avez soumises.
    Oui.
    Vous n'étiez pas le seul interprète. Vous aviez d'autres collègues qui faisaient le même genre de travail.
    Ont-ils constaté le même genre d'incidents que vous et les ont-ils signalés à leurs supérieurs? En parliez-vous entre vous?
    Lorsque nous étions sur le terrain, nous n'avions pas le droit, pour des raisons opérationnelles et de sécurité, de nous parler ou de nous poser des questions. Si un interprète travaillait pour le groupement tactique et qu'il avait un problème, il s'adressait à sa chaîne de commandement, parce que dans l'armée, c'est l'action qui prime, mais l'armée est la plus grosse bureaucratie qui existe. On doit donc s'adresser à sa chaîne de commandement. Si, par exemple, vous travaillez pour des CIOF et pour le groupement tactique, ils vont vous répondre que c'est à une autre chaîne de commandement que vous devez vous adresser.
    Votre chaîne de commandement a-t-elle mis en doute vos rapports?
    Merci, monsieur Wilfert. Votre temps est écoulé.
    Je vais donner la parole à M. Bachand, pour sept minutes.

[Français]

    C'est bien.

[Traduction]

    Merci.
    Vous allez avoir besoin des écouteurs pour l'interprétation.

[Français]

    Tout d'abord, monsieur, permettez que je vous appelle Pacha, parce que je trouve que c'est un beau nom.
     Je voudrais vous féliciter de votre courage. Je vous avoue que, depuis le témoignage de Richard Colvin, je n'ai pas entendu de témoignage si percutant. J'insiste sur ce que mon collègue libéral, M. Wilfert, a souligné. Il a dit que vos lettres de recommandation étaient irréprochables. On les a, ici, sur la table, tout le monde les a eues. À peu près tout le monde que vous avez côtoyé, y compris le général Ménard — qui occupe un poste stratégique —, l'armée américaine, des recherchistes, bref, tout le monde concède que vous avez été d'une très grande utilité. J'espère donc que personne, ici ou ailleurs, ne va remettre en question ce que vous avez dit. Je crois ce que vous avez dit. Si vous n'aviez pas ces lettres, on pourrait toujours se demander ce que vous avez fait et si ce que vous disiez est vrai, mais vous étiez au coeur de l'action et vous avez donc été témoin de tout ce que vous avez dit.
    De plus, votre témoignage, selon moi, contredit complètement le témoignage du général Hillier. Ce dernier nous a dit, à la table des témoins, que les prisonniers qui étaient capturés avaient été capturés après des combats extrêmement dangereux et violents, avec des échanges de tirs. Il a affirmé que la plupart d'entre eux, seulement ceux qui étaient arrêtés, avaient des résidus d'explosifs sur les mains. Pour lui, c'était suffisant pour dire qu'il s'agissait de terroristes. Il nous a aussi dit que tous ceux qui étaient agriculteurs et tous ceux qui étaient innocents, des gens ordinaires, étaient relâchés immédiatement. Iriez-vous jusqu'à dire que le général Hillier n'a pas dit la vérité devant nous?

  (1555)  

[Traduction]

    Tout d'abord, je vous remercie de vos bonnes paroles.
    En effet, le général Hillier n'a pas dit la vérité quand il a comparu devant le comité. Quand un taliban est détenu et qu'il est transféré à la prison de la DNS, la DNS sait tout sur lui car elle va lui réclamer un pot-de-vin. Un commandant taliban dangereux peut donc acheter sa libération de la prison de la DNS. Des commandants talibans connus ont été libérés de la prison de la DNS parce qu'ils avaient payé un pot-de-vin.
    Je vous ai raconté l'histoire de Hazraji Baba, quand une dizaine d'hommes ont été arrêtés. Ils avaient entre 10 et 90 ans. Avec tout le respect que je lui dois, j'aimerais bien demander au général Hillier de m'expliquer comment un homme de 90 ans... Il avait 90 ans. Il ne pouvait même pas marcher sans aide. Ses mains étaient liées. Il avait les fers au pied. Ses yeux étaient bandés. Quand il ne marchait pas assez vite, on le poussait. Il est tombé à maintes reprises, et son corps était couvert de blessures.
    Pourrait-il m'expliquer comment cet homme de 90 ans, qui ne pouvait même pas marcher, qui avait besoin d'aide pour se relever quand il tombait, aurait pu être un combattant?
    Vous avez dit qu'il y avait aussi des enfants?
    Ces hommes avaient de 10 à 90 ans. Ils ont tous été transférés à la DNS, même celui de 90 ans.
    Est-ce qu'on a vérifié, par un test, qu'ils avaient des traces d'explosifs sur les mains?
    Un test pour les explosifs: c'est d'un ridicule consommé.
    L'Afghanistan, comme vous le savez, est en guerre depuis 40 ans. Tous les sols sont contaminés.
    À Kandahar... ou en Afghanistan.
    Partout. Tous les sols sont contaminés.
    Les agriculteurs utilisent des engrais, et les engrais servent à la fabrication de dispositifs explosifs. Les agriculteurs manipulent ces engrais à mains nues.
    Quand j'étais à Kandahar, ils faisaient ces tests d'explosifs, mais je n'étais pas d'accord avec eux. Je leur disais qu'ils ne pouvaient retenir ce genre de preuves contre les gens. Quand ils me demandaient pourquoi, je me baissais pour essuyer le sol avec mes mains et ensuite je leur demandais de me faire passer le test. À chaque fois, le résultat était positif. Je leur demandais alors: « est-ce que ça signifie que je vais être transféré à la DNS?
    Ça venait du sol de la piste d'atterrissage de Kandahar. Comme le résultat était positif, j'aurais du moi aussi être transféré à la DNS.
    Ce test est le plus stupide que j'ai jamais vu, et même pire que ça, et je ne suis pas du tout d'accord avec ça.

[Français]

    Est-il exact que, selon vous, les autorités canadiennes auraient transmis volontairement des informations aux talibans, ce qui aurait mis votre famille en danger? Est-ce la raison pour laquelle vous avez demandé le statut de réfugié au Canada?

[Traduction]

    Quand j'étais en Afghanistan, on m'a confié une mission parce que deux commandants talibans essayaient de rendre les armes avec 40 combattants. Ils se moquaient du gouvernement afghan. Tout ce qu'ils voulaient c'était obtenir une garantie de l'AFIAS, de la section canadienne; le commandement de Kandahar était entre leurs mains. Ils voulaient obtenir une garantie. Alors ces deux commandants... On m'a confié la mission, et puis ils m'ont donné des informations. Une de ces informations était qu'ils savaient que le service de renseignements iranien avait piraté des ordinateurs canadiens...

[Français]

    Monsieur Ahmadshah Malgarai, je vais devoir vous interrompre parce qu'il ne me reste que 30 secondes. Je voudrais savoir si votre famille a été menacée et, le cas échéant, si vous en avez fait part aux autorités canadiennes.

[Traduction]

    Oui, les informations ont été divulguées. J'ai reçu des menaces... des lettres de menace de mort des Talibans. J'ai écrit à Peter MacKay et au général Natynczyk. Ils m'ont répondu et ils ont refusé de m'aider à reloger ma famille. Voilà. Ma famille est sérieusement en danger.

  (1600)  

    Merci beaucoup, monsieur Malgarai.
    Allons maintenant à M. Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Malgarai, vous avez fait des allégations assez sérieuses. Vos opinions sont plutôt tranchées, et je respecte ça.
    Vous dites que votre service a duré de juin 2007 à juin 2008. Avez-vous servi de façon continue, comme traducteur, ou y a-t-il eu une interruption en cours de route ou...?
    De façon continue.
    D'accord. Étiez-vous avec le général Laroche pendant tout ce temps?
    Comme je l'ai au début, j'étais dans la CI, la contre-ingérence, qui faisait partie du CRTS, puis j'ai été en service avec le général, et aussi avec d'autres équipes. D'après les lettres de recommandations, vous pouvez constater que j'ai travaillé avec plusieurs autres groupes, en raison du manque d'interprètes de langue afghane. Dès qu'on avait besoin de moi, on faisait appel à mes services.
    D'accord. Merci.
    Maintenant, j'aimerais revenir sur deux ou trois éléments des histoires que vous nous avez racontées.
    Dans la première, vous avez dit qu'il avait un pistolet. Il a reçu une balle dans la tête, mais le pistolet n'était pas le sien. Avait-il un pistolet? Vous avez dit qu'il en avait un.
    Il n'avait pas de pistolet.
    Le soldat canadien croyait qu'il était armé?
    Une voix: Il croyait qu'il était armé.
    M. Laurie Hawn: Je croyais que vous aviez dit qu'il avait un pistolet. Quoi qu'il en soit, il croyait qu'il était armé.
    Vous avez aussi dit, je crois — ou du moins vous l'avez laissé entendre — que tous les gens transférés étaient innocents. Est-ce bien ce que vous vouliez dire?
    Tous ou la plupart d'entre eux, oui.
    Était-ce 90 p. 100, 50 p. 100?
    Il y avait quelques combattants, mais ils ne l'ont jamais nié.
    Je vais passer à un autre point.
    Vous avez parlé du colonel du NDS qui avait des comportements inappropriés, ainsi de suite, et cet homme a disparu. Détenez-vous quelque indice que ce soit à propos de ce qui est vraiment arrivé à cet homme, mis à part votre opinion et vos pressentiments?
    Vous n'êtes pas autorisé à parler, monsieur Attaran.
    Quel genre d'indice aimeriez-vous avoir, monsieur?
    Eh bien, je vous le demande. Vous avez dit que cet homme avait été enlevé, et vous avez laissé entendre qu'il avait été tué ou maltraité par le NDS ou quelque chose comme ça.
    En avez-vous la preuve, à l'exception de votre opinion du NDS?
    Bien, quand le détenu à quitté l'aérodrome de Kandahar, nous n'avions aucun pouvoir sur ce qui se passait, et nous n'avions aucun contact avec lui. C'était le travail du MAECI.
    Donc vous n'avez aucune idée de ce qui est vraiment arrivé à cet homme.
    Bien, j'ai entendu ce que les gens disaient.
    Vous n'avez aucune idée de ce qui est vraiment arrivé à cet homme. Il n'y a aucune preuve précise.
    Il n'y a aucune preuve précise.
    Merci.
    La troisième histoire portait sur M. Rafeil, qui a subi une chirurgie à l'aérodrome de Kandahar et est parti par la suite.
    Avez-vous des indices sur ce qui a pu arriver à M. Rafeil?
    J'ai dit lors de mon témoignage que je ne sais pas ce qui lui est arrivé.
    Merci.
    Mais il a été transféré.
    Oui, c'est bien, mais vous n'avez aucune preuve de ce qui est réellement arrivé à cet homme?
    Eh bien, nous n'avions aucune preuve jusqu'à ce que nous trouvions les chaînes et les fouets. Vous pouvez vous reporter au témoignage de la CEPPM.
    On compare ici des pommes avec des oranges.
    Même de janvier à août...
    Veuillez répondre à ma question. Avez-vous une idée — des preuves tangibles — de ce qui est arrivé à M. Rafeil?
    Qui?
    M. Rafeil, votre troisième exemple. Celui qui a été opéré à KAF. Il avait un mauvais...
    Vous parlez de Ghafar.
    Désolé, c'était M. Ghafar.
    Avez-vous des preuves concrètes de ce qui lui est réellement arrivé?
    Il a été transféré. La DNS ne l'aurait pas accepté, alors il a été transféré à Kaboul.
    C'est tout ce que vous savez.
    C'est tout ce que je sais. Il a été transféré.

  (1605)  

    Bien. Merci.
    Je suis quelque peu préoccupé par la situation de la femme désespérée dont vous avez parlé. Elle devait manger de l'herbe. C'est évidemment terrible.
    J'ai lu pas mal de choses sur l'Afghanistan et le peuple afghan. Or, l'une des caractéristiques des Afghans — et des musulmans en général, je crois —, c'est qu'ils sont très accueillants, vous savez, avec les trois tasses de thé et toutes ces traditions. Ça me surprend qu'une personne dans cette situation dans un village afghan ne reçoive pas d'aide de ses voisins.
    Eh bien, dans le village, les gens et leurs voisins, les Afghans, ont aussi leur honneur. Ils ne veulent pas montrer ce qui se passe et ce qu'ils vivent aux autres personnes pour ne pas devoir connaître la honte. La prochaine fois, ils diront: « D'accord, je t'ai aidé lorsque tu avais besoin de moi », et toutes ces choses. Par conséquent, les gens n'apportent pas leur aide.
    Aussi, dans ce village, la plupart des gens étaient pauvres. À Kandahar, ils sont pauvres. Ils n'ont même pas d'eau potable. Dans ce village — Kalantar —, les gens n'avaient même pas d'eau potable.
    J'y suis allé. Je comprends.
    Alors est-ce que tout le monde dans le village mangeait de l'herbe?
    Non. Cette femme, elle m'a dit: « Je n'ai pas d'argent pour payer la libération mon mari, pour sa liberté, et je n'ai même pas d'argent pour acheter de la nourriture, pour acheter de la nourriture pour mes enfants. »
    Non, je comprends. Je suis simplement un peu surpris, d'après ce que j'ai lu sur les Afghans, qu'ils ne prennent pas soin les uns les autres.
    Vous avez parlé de votre chaîne de commandement. En quoi consistait-elle précisément?
    Mon supérieur immédiat était un capitaine de la CI. Au-dessus de lui se trouvait le CRTS, puis le général, donc le dernier échelon de ma chaîne de commandement était le commandant Laroche.
    D'accord, et à quel niveau de cette chaîne de commandement vous adressiez-vous directement?
    Je parlais directement au CRTS.
    Vous auriez pu parler directement au général Laroche, je présume, puisque vous entreteniez de bonnes relations avec lui.
    J'entretenais de bonnes relations avec lui, mais la décision de transférer ou non des détenus et de les interroger relevait du CRTS, et non pas de l'EM. Il avait le dernier mot. En cas de problème, il aurait autorisé la libération ou le transfert, mais si un cas s'avérait controversé...
    Mais voilà, il ne faut pas faire comme si Ottawa n'était pas au courant, parce que tous les renseignements sur les détenus étaient immédiatement partagés avec Ottawa. Alors quelqu'un à Ottawa sait ce qui se passe.
    Pouvez-vous me dire d'où vous tenez cette information?
    Oui. Je le sais parce que lorsque je travaillais pour le MWT — le mobile warfare team — on faisait de l'écoute électronique. L'un de mes collègues a remis un rapport sur le fait qu'on avait intercepté les conversations téléphoniques d'un citoyen canadien. Après deux ou trois minutes, nous avons reçu un appel d'Ottawa nous disant: « C'est un citoyen canadien, vous ne pouvez pas faire ça. » En moins de deux ou trois minutes, on nous a informés qu'il s'agissait d'un citoyen canadien et qu'on ne pouvait pas pirater son ordinateur ou écouter ses conversations téléphoniques.
    Avez-vous une idée de qui, à Ottawa, était à l 'autre bout de la ligne?
    Eh bien, vous devriez demander au ministre de la Défense ou...
    C'est à vous que je pose cette question. Avez-vous une idée de la personne qui était à l'autre bout du fil?
    Il s'agissait de représentants du gouvernement, comme vous.
    Il y avait un député à l'autre bout du fil?
    Vous le saviez probablement.
    Je ne sais pas combien de députés ici reçoivent des appels directement de l'Afghanistan, mais ce nombre est probablement très faible, sinon nul.
    Merci, monsieur Hawn. Nous reviendrons à vous lors de la deuxième série de questions.
    Passons à M. Dewar.
    Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie également nos invités.
    Si vous me permettez, j'agirai comme d'autres l'ont déjà fait, et je vous appellerai M. Pacha.
    Je vais vous lire un document datant d'octobre 2007. Il s'agit essentiellement des commentaires d'un enquêteur canadien sur des détenus. Ça dit:
Tous les détenus ont été capturés sur la propriété de [nom], dont il a été confirmé qu'il s'agissait d'un commandant taliban. De plus, [nom] a été déclaré positif au test de détection des résidus d'explosifs, et une grande quantité d'explosifs, d'IED, d'armes et de munitions ont aussi été trouvés sur sa propriété. Les entrevues nous ont donné à croire que tous les détenus mentaient et qu'ils en savaient beaucoup plus qu'ils ne le disaient sur les activités des talibans dans leur région. Par conséquent, nous recommandons le transfert de [noms] à la Direction nationale de la sécurité (DNS), afin qu'ils subissent d'autres interrogatoires. J'autorise la divulgation de ce rapport à la DNS: CO CRTS.
    Je veux simplement vous montrer ce document, si vous me permettez, et vous demander si vous le reconnaissez. Je vous en ai lu la fin, le dernier paragraphe. Je crois que ce document compte trois pages.
    Monsieur Dewar, pouvez-vous fournir ce document aux autres membres du comité afin que nous puissions voir ce que vous lui avez remis?
    Si je peux poser ma question et répondre à cela...
    Soyez bref, mais cessez de lire des documents qu'aucun d'entre nous n'a vus.
    Le paragraphe que j'ai lu figurera dans le compte rendu. Je peux le distribuer.
    C'est un réel désavantage pour le comité...
    Oui, je peux le distribuer, et le paragraphe que j'ai lu figurera aussi dans le compte rendu.
    Puis-je vous demander si vous reconnaissez ce document?
    Oui, je le reconnais. Puis-je vous demander si le document en entier peut figurer dans le compte?

  (1610)  

    Si vous me permettez, monsieur le président, j'aimerais tout d'abord poser quelques questions sur le document.
    Une voix: Mais nous l'avons pas vu.
    M. Paul Dewar: Si vous pouvez arrêter le chronomètre pour une seconde, monsieur le président.
    D'accord, alors je poursuivrai avec mes questions. Si je peux continuer avec mes questions, nous pourrons ensuite revenir au statut du document.
    Vous reconnaissez ce document?
    Oui, c'est un document de transfert des détenus. Ces documents sont remis à la DNS lors des transferts.
    Comment interprétez-vous le dernier paragraphe, celui que j'ai lu pour le compte rendu et que je partage avec les membres du comité, où il est indiqué — j'ai laissé de côté les noms — que ces gens seraient transférés à la DNS pour subir d'autres interrogatoires?
    Que signifie le fait qu'il soient transférés pour subir d'autres interrogatoires?
    J'ai probablement traduit plus de 40 ou 50 de ces documents et il s'agit en fait de documents de transfert de détenus qui sont remis à la DNS au moment du transfert.
    Quand je traduisais ce document, je demandais toujours aux interrogateurs tactiques: « Vous dites que ces détenus doivent être transférés à la DNS pour subir un interrogatoire plus poussé. Est-ce que je dois traduire qu'il s'agit d'un transfert pour fins d'interrogatoire ou pour fins de torture? » Cela les faisait rire. 
    Pourquoi dites-vous cela?
    Eux et moi, nous étions toujours à blaguer ensemble parce que nous travaillions dans le même local. Je leur demandais comment je devais traduire, parce qu'ils sous-traitaient la torture.
    Donc, votre expérience vous portait à croire que, quand un document indiquait un transfert à la DNS, on cherchait à utiliser la DNS pour...
    Ils essayaient de sous-traiter la torture à la DNS.
    Vous avez dit que vous auriez traduit plus de 40 de ces ententes?
    Oui.
    Et vous les traduisiez de quelle langue à quelle langue?
    Je les traduisais de l'anglais au pachtou. Avant le transfert des détenus, une copie du texte anglais et de la traduction en pachtou était remise à la DNS.
    Donc, le document que vous traduisiez était destiné à la DNS?
    Et la version anglaise également, oui.
    Les deux documents étaient-ils conservés dans les dossiers des Forces canadiennes ou bien...
    Sans aucun doute, parce que si la DNS l'avait, ils devaient en avoir copie dans leurs dossiers également.
    Vous affirmez qu'en vertu de l'arrangement dont il est question ici — je note la date d'octobre 2007 —, six de ces personnes qui ont été interrogées par les Forces canadiennes ont ensuite été remises à la DNS.
    Vous affirmez que ce qu'on lit à la fin — à savoir que l'interrogatoire était terminé mais qu'on croyait que les détenus cachaient la vérité et qu'ils en savaient plus long qu'ils ne voulaient l'admettre — signifie qu'on va les remettre à la DNS pour qu'elle en tire davantage d'informations grâce à ses méthodes particulières?
    Ce n'est pas difficile à comprendre quand on lit bien. Disons qu'on voulait en obtenir des renseignements. S'ils cachaient la vérité, on les retenait plus longtemps et on les interrogeait jusqu'à ce qu'ils répondent de façon satisfaisante. S'il n'était pas possible d'en tirer quelque chose par les moyens normaux, il fallait les envoyer à un sous-traitant en torture. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Nous l'avons fait avec Maher Arar. Nous l'avons fait torturer par des tiers. Alors, comment douter qu'on ait fait la même chose avec les Afghans?
    Il était bien entendu, alors, que la remise des prisonniers à la DNS était faite dans ce but?
    Personne, aucun membre en uniforme des forces armées canadiennes et ayant un rôle à jouer à quelque niveau que ce soit dans le transfert des détenus n'ignorait ce qui se passait et ce que la DNS faisait aux détenus qui lui étaient remis.
    Donc, quand on transférait les détenus à la DNS, on savait, d'après vous, ce qui arriverait ensuite. Et cela se passait à la fin d'octobre?
    Oui.
    Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des menaces proférées à l'endroit de votre famille.
    Très rapidement. Vous avez environ 10 secondes.
    Quand ces menaces contre votre famille ont-elles été proférées? Était-ce pendant votre séjour en Afghanistan ou au moment de votre départ?
    Quand j'étais à Kandahar, j'ai eu vent de ces menaces par les gens de l'endroit. Ils me disaient de faire attention parce qu'ils posaient des questions à mon sujet. L'information a été coulée. Une autre fois, à Panjwai, un homme d'un certain âge du nom d'Abdul Barikhaka qui travaillait à la cuisine m'a abordé en me disant: « Ou tu démissionnes ou tu t'en vas ». Le jour suivant, il était mort, tué d'une balle dans la tête.

  (1615)  

    Qui?
    Abdul Barikhaka.
    Merci.
    Monsieur Malgarai, je ne sais pas s'il s'agit bien d'un document en bonne et due forme. Est-ce que vous l'avez traduit?
    Ça se pourrait. J'ai traduit des documents semblables à celui-ci.
    Mais avez-vous traduit ce document-ci?
    Je ne peux pas affirmer avec certitude si je l'ai traduit ou non.
    Monsieur Hawn.
    Non, excusez-moi...
     Mon client aimerait que ce document figure dans le compte rendu du comité.
    Monsieur Hawn.
    Merci beaucoup.
    Vous venez de faire une déclaration très générale selon laquelle tous ceux qui portaient l'uniforme des Forces canadiennes qui connaissent ou qui avaient un rôle à jouer à l'égard des détenus savaient que les détenus étaient transférés pour être torturés.
    M. Ahmadshah Malgarai: Oui
    M. Laurie Hawn: Comment savez-vous que le général Hillier était au courant?
    Vous avez parlé du grand respect que vous inspire le général Laroche et indiqué à quel point vous vous entendiez bien avec lui. Traitez-vous maintenant le général Laroche de menteur?
    Non.
    Le général Laroche a dit qu'il n'était pas au courant... qu'il n'avait pas connaissance que des Canadiens auraient été transférés pour être soumis à la torture. Vous venez à l'instant de le traiter de menteur. Est-ce que vous traitez le général Laroche de menteur?
    Le général Laroche n'a jamais affirmé quoi que ce soit qui ait été consigné.
    Le général Laroche a affirmé...
    C'était le général Thompson.
    Est-ce que vous traitez le général Thompson de menteur? Est-ce que vous traitez le général Fraser de menteur?
    Il n'a pas dit la vérité.
    Est-ce que vous traitez le général Gauthier de menteur?
    Une voix: Hillier.
    M. Laurie Hawn: J'y arrivais.
    Est-ce que vous traitez le général Hillier de menteur?
    Je ne traite personne de menteur...
    C'est ce que vous venez de faire.
    ... dans la chaîne de commandement. Ce que je disais, c'est que vous essayez de protéger le gouvernement...
    Non, désolé...
    [Note de la rédaction: inaudible]... jouer comme un enfant...
    Monsieur Malgarai et monsieur Hawn, un instant s'il vous plaît. Il faudra dès maintenant adresser ces commentaires à la présidence. Et j'aimerais que les deux côtés baissent un peu le ton.
    Ainsi donc, vous traitez de menteur tous les généraux qui sont venus témoigner devant le comité parce qu'ils ont affirmé ne pas avoir eu directement connaissance de...
    Ce qu'on m'a demandé au sujet de ce que le général Hillier a dit, je dis que ce n'est pas vrai. Ce qu'il a dit n'est pas vrai.
    Vous avez également affirmé que toute personne portant l'uniforme des Forces canadiennes, à tous les niveaux...
    Je n'ai pas dit à tous les niveaux; j'ai dit que tous les services qui avaient un rôle à jouer, quel qu'il soit...
    Monsieur Malgarai, laissons à M. Hawn le temps de terminer sa phrase puis il vous laissera le temps de répondre.
    Merci, monsieur le président.
    Vous avez dit « à tous les niveaux », ce qui comprend le général Hillier, le général Natynczyk et tous leurs subalternes. C'est exactement ce que vous avez dit. 
    Parlons un peu de ces lettres de recommandations que vous aviez en main. Avez-vous fait part de vos préoccupations à l'adjudant Menard, l'auteur d'une de ces lettres de recommandation?
    Une voix: Est-ce qu'il peut réagir, monsieur le président?
    Allez-y, monsieur Malgarai.
    Vous avez dit précédemment que tout le monde, à tous les niveaux...
    Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je sais que vous faites de la politique. Vous avez le tour de jouer avec les mots. Mais ne faites pas injure à mon intelligence.
    Laissez-moi répondre. Ce que j'ai dit figure au compte rendu. Et il ne manque pas de personnes dans cette salle pour entendre ce que nous disons. Alors inutile d'inventer des affirmations à votre gré.
    Nous vérifierons dans le compte rendu.
    J'ai dit que tout service, à quelque niveau que ce soit, qui avait un rôle à jouer dans le transfert des détenus savait ce que la DNS faisait aux détenus. Voilà ce que j'ai dit. Et je le répète. Et je continuerai de le dire.
    Merci. Nous vérifierons dans le compte rendu, parce que vous avez dit que...
    Avez-vous fait part de vos préoccupations à l'adjudant Menard?
    Oui.
    Avez-vous fait part de vos préoccupations au lieutenant Garon?
    Le capitaine Garon ne travaillait pas au CRTS.
    Vous avez bien une lettre de recommandation rédigée par lui, non?
    J'ai travaillé avec lui. Il donnait de la formation à l'armée nationale afghane.
    Lui avez-vous fait part de vos préoccupations?
    À quel sujet?
    Au sujet des détenus.
    Comme je l'ai dit, il y a une chaîne de commandement chez les militaires. Si quelqu'un vous répond que ce dont vous lui parlez ne relève pas de sa chaîne de commandement, il est inutile de perdre son temps à chercher à s'adresser à une personne qui ne peut rien faire ou qui ne peut être d'aucune aide. Je parlais à ceux qui avaient la possibilité d'intervenir.
    Merci.
    Donc, vous avez parlé de la chaîne de commandement. Vous avez également affirmé que tous ceux qui faisaient partie de la chaîne de commandement étaient au courant. Si vous vous adressez à une personne donnée de la chaîne de commandement, comment pouvez-vous savoir que cette personne était au courant? Comment pouvez-vous savoir ça?
    Quand vous vous adressez à une personne comme Menard... C'était mon patron. Il faisait partie de ma chaîne de commandement. Lui était rattaché au major Desjardins. Le patron du major Desjardins était le capitaine de corvette Weinhoff. Le commandant de Weinhoff était quelqu'un d'autre. Voilà comment la chaîne de commandement...
    N'ayez crainte, je connais la notion de chaîne de commandement. Comment pouvez-vous savoir ce que quelqu'un disait à un palier supérieur de la chaîne de commandement?
    Pourriez-vous s'il vous plaît laisser le témoin finir de répondre?
    Non, vous n'avez pas droit de parole, monsieur Attaran.
    Je suis son conseiller et je ne vous permettrai pas de l'interrompre au milieu d'une réponse.
    Vous n'êtes pas autorisé à vous adresser au comité.
    Je pose une question directe. Comment pouvez-vous savoir ce qu'une personne de la chaîne de commandement disait à une autre personne de la même chaîne de commandement? Comment pouvez-vous le savoir?
    Mon travail consistait à informer mon supérieur et le sien, à informer son propre supérieur.
    Comment pouvez-vous savoir ce qu'il disait à son niveau dans la chaîne de commandement? Vous n'en savez rien.

  (1620)  

    Je m'intéressais à ce qui me préoccupait et à ce que je disais à mon supérieur.
    Vous n'en savez rien.
    Avez-vous déjà parlé au ministre MacKay?
    Pas à ce sujet, mais je l'ai effectivement rencontré plus de deux fois.
    D'accord. Lui avez-vous fait part de vos préoccupations?
    Il ne faisait pas partie de ma chaîne de commandement.
    Comment pouvez-vous dire si le ministre de la défense nationale est au courant ou non? Comment pouvez-vous affirmer catégoriquement que le ministre est au courant?
    Il a nié savoir quoi que ce soit. Tout ce que je demande, c'est qu'il vienne s'asseoir devant moi, qu'il me regarde dans les yeux et qu'il me dise qu'il n'était pas au courant. C'est tout ce que je demande.
    Merci, monsieur Hawn. Nous y reviendrons.
    Monsieur Dosanjh.
    Je vais partager mon temps de parole avec mon collègue, M. Rae.
    Pour plus de facilité, je vous appellerai Pacha.
    Vous avez dit avoir traduit ce document, vous avez lu les noms qui y figurent. Vous savez que ce document est daté d'octobre 2007.
    On a découvert en novembre 2007 que des gens auraient été battus à coups de câbles électriques dans les locaux de la DNS. Connaissez-vous le nom de la personne qui était effectivement le détenu qui a fait état de cet élément de preuve?
    Je ne peux pas dire avec certitude que j'ai traduit ces documents, mais j'ai traduit plus de 40 documents semblables à celui-ci.
    Je ne connais pas le nom de la personne qui a été trouvée électrocutée. Il pourrait très bien s'agir de l'un de ces types, parce que vous me dites que c'était le 30 octobre 2007. Il pourrait s'agir de l'une de ces personnes, mais je ne connais pas son nom.
    Merci.
    Le président: Monsieur Rae.
    Monsieur Malgarai, j'aimerais revenir une fois de plus sur l'incident évoqué plus tôt, mettant en cause la mort d'une personne abattue d'une balle derrière la tête et l'arrestation d'un groupe de personnes âgées de 10 à 90 ans. Où cet incident s'est-il passé exactement?
    C'est dans un secteur qu'on appelle Hazraji Baba. C'est le secteur où se trouve le cimetière du roi, Mohammed Zahir Shah. Il était originaire de cet endroit. Ses ancêtres sont enterrés là. C'est un secteur très bien connu. Cette propriété se trouvait à Hazraji Baba.
    Vous vous souvenez de l'endroit. C'est très clair dans votre esprit. Avez-vous vu le soldat tirer une balle dans la tête du jeune de 17 ans?
    Je n'étais pas sur place quand ils ont fait la descente.
    Vous n'étiez pas là.
    J'ai rencontré ces détenus quand ils me les ont amenés à la base aérienne. J'ai traduit moi-même l'interrogatoire.
    Il est important que tout soit bien clair. Il s'agit d'une allégation très sérieuse. Je veux que vous compreniez qu'il s'agit d'une allégation très sérieuse. Il est très important pour nous de bien comprendre ce que vous savez et ce que vous pensez, parce que ce sont parfois deux choses différentes.
    Que savez-vous? Étiez-vous dans ce secteur quand la personne a été abattue?
    Non.
    Étiez-vous présent quand les personnes ont été arrêtées?
    Non.
    Vous n'étiez pas présent quand vous dites qu'ils ont essayé d'effacer toute trace de ce qui s'était passé, qu'ils ont arrêté tout le monde et puis qu'ils sont revenus. Je veux m'assurer que nous comprenons correctement ce que vous savez.
    J'ai été autorisé à voir le compte rendu de renseignements, et j'ai aussi pris part à l'interrogatoire. Deux des personnes amenées à la base aérienne de Kandahar étaient les frères de la personne qui a été tuée. Pendant l'interrogatoire, l'un deux n'a pas répondu. Tout ce qu'il a dit c'est: « Vous avez tué mon frère. »
    Le frère a dit que, quand ils lui ont tiré une balle derrière la tête... parce qu'il était couché sur le toit. Il a descendu l'escalier. Son frère a dit qu'il était couché dans la chambre. Il l'a empoigné et mis sa tête sur ses genoux. Les soldats étaient en haut. Et puis, il a entendu quelque chose tomber à côté de lui. C'était un pistolet.
    Je suis certain qu'ils ont fait un test d'ADN et qu'ils ont aussi relevé les empreintes digitales. Le résultat a été négatif. Il n'y avait aucune empreinte. Il n'y avait pas de chambre... Ce pistolet ne contenait aucune balle, et aucun coup de feu n'avait été tiré avec cette arme.
    J'aimerais simplement souligner qu'il s'agit là d'une allégation extrêmement sérieuse, parce que ce que vous dites — et je ne veux pas vous faire dire des choses que vous n'avez pas dites —, c'est essentiellement que, tout d'abord, quelqu'un a été abattu par balle, mais n'aurait pas dû l'être, ce qui, à vrai dire, se produit parfois sur le champ de bataille; et deuxièmement, vous dites qu'on s'est efforcé d'effacer toute trace de ce qui s'était passé. Est-ce bien ce que vous dites? Je cherche à comprendre.
    Quand la personne chargée du rapport, il s'agissait du caporal-chef Ricco...
    L'hon. Bob Rae: Le caporal-chef...?
    M. Ahmadshah Malgarai: Ricco. C'est lui qui a rédigé le rapport sur cet incident. Il a parlé à l'adjudant Menard et au capitaine Garon, à la tête de la chaîne de commandement, et il leur a dit qu'après l'interrogatoire — parce qu'il a fait lui-même tout l'interrogatoire. Il a dit: « Écoutez, il s'agit d'un meurtre, et nous essayons d'en effacer les traces. » Il m'a montré des photos de la personne détenue, le jeune homme qui a été abattu d'une balle derrière de la tête. Il prenait des photos sous différents angles. Et il a dit: « Il s'agit d'un meurtre et ils essaient de le dissimuler. » Ces paroles sortaient de la bouche d'un membre du personnel militaire en uniforme.

  (1625)  

    Et vous l'avez entendu utiliser ces mots.
    Oui.
    Merci, monsieur Rae. Merci, monsieur Malgarai.
    Nous allons terminer cette partie de la réunion à 16 h 30 et inviter notre prochain témoin à se joindre à nous, alors il nous reste trois minutes.
    Monsieur Hawn, selon l'ordre établi, nous retournons aux députés ministériels.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Malgarai, si votre expérience a été aussi mauvaise ou si vous avez été aussi bouleversé par la façon de faire des Forces canadiennes, comment avez-vous pu continuer à travailler pour cette organisation?
    Eh bien, monsieur, je suis un être humain et j'essaie d'aider mon peuple. Si j'avais démissionné...
    C'est une bonne réponse.
    Vous avez affirmé avoir été puni pour avoir dit des choses que vous auriez dû garder pour vous ou pour avoir poser les questions que vous n'auriez pas dû poser? Est-ce bien ce que vous avez dit?
    J'ai fait part de mes préoccupations à de nombreuses reprises. Oui, j'ai été puni.
    Et vous dites que vous avez été puni pour cela d'une manière ou d'une autre? Si c'est le cas et que vous avez fait part de vos préoccupations en suivant la chaîne de commandement, comme vous l'avez dit, alors comment avez-vous réussi à obtenir une lettre de recommandation de la part de l'adjudant Menard, qui était votre supérieur dans la chaîne de commandement?
    Au moment où j'ai été puni, M. Menard était déjà parti, parce qu'il était de la ROTO 3, et les lettres que vous voyez ont été rédigées pendant la ROTO 4. C'est donc six mois plus tard.
    Avez-vous approuvé la nomination d'Elissa Golberg au titre de représentante du Canada à Kandahar?
    Si vous faites allusion à mes paroles qui ont été rapportées dans le journal, je dis qu'elle est un fardeau plutôt qu'un atout. Non.
    Vous n'avez pas approuvé sa nomination?
    Non.
    Pouvez-vous me dire si vous avez intenté ou si vous êtes sur le point d'intenter une action en justice contre le gouvernement du Canada?
    M. Amir Attaran: Je suis son avocat et...
    Monsieur Attaran, ce n'est pas à vous de répondre, d'accord?
    Je ne réponds pas.
    Nous allons alors supposer que vous n'avez pas nié avoir intenté ou être sur le point d'intenter une action en justice.
    Vous pouvez consulter le greffe de la cour si vous le voulez.
    Nous savons comment cela fonctionne, monsieur Attaran, merci beaucoup. Veuillez ne pas intervenir.
    D'accord. J'espère que vous connaissez l'alphabet pour pouvoir consulter le greffe.
    Merci beaucoup, monsieur Attaran. Je vous demande de bien vouloir vous taire.
    Monsieur le président, je n'ai pas d'autre question, mais je crains qu'une partie du témoignage présenté aujourd'hui ait enfreint les règles de sécurité opérationnelle, et nous allons demander à quelqu'un d'y jeter un coup d'oeil. Je demanderais que la transcription de la séance d'aujourd'hui soit transmise aussi bien à...
    Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]
    M. Laurie Hawn: C'est valable... Je ne connais pas la réponse. Compte tenu de mon expérience militaire, j'ai quelques doutes. Et je ne cherche pas à discréditer qui que ce soit; je crains simplement qu'une partie de l'information communiquée dans le cadre des discussions d'aujourd'hui ait dépassé les limites de la sécurité opérationnelle.
    Merci beaucoup, monsieur Hawn.
    Cette séance est télévisée, donc elle est publique, et je suis certain que toutes les personnes qui se préoccupent de cette question y ont accès.
    Merci beaucoup, monsieur Malgarai, d'être venu comparaître aujourd'hui.
    Nous allons suspendre la séance très brièvement parce que nous avons déjà un peu empiété sur le temps de notre prochain témoin, alors je demanderais à M. Malgarai de quitter la salle le plus rapidement possible.
    J'inviterais Mme Olexiuk à prendre place, s'il vous plaît...

    


    

  (1630)  

    Bon après-midi. Je vous souhaite la bienvenue à la deuxième heure de notre séance, au cours de laquelle nous poursuivrons notre étude du transfert des détenus afghans. Nous recevons comme témoin Mme Eileen Olexiuk, ancienne conseillère principale en politiques au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
    Madame Olexiuk, je crois comprendre que vous avez une courte déclaration préliminaire à présenter, et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.
    Alors merci et bienvenue. Nous avons hâte d'entendre vos commentaires.
    Je crains que mon intervention ne soit pas très pertinente pour vous parce que j'ai quitté l'Afghanistan en août 2005. J'ai été là-bas de septembre 2002 à août 2005. J'ai été la première diplomate canadienne affectée à temps plein à la question de l'Afghanistan, et j'étais seule la première année. Il n'y avait aucun moyen de communiquer avec Ottawa à ce moment-là; je me rendais donc à Islamabad pour déposer mes rapports par l'intermédiaire du Haut-commissariat du Canada. Ensuite, comme vous le savez, l'ambassade a ouvert ses portes en août 2003, et le premier ambassadeur résident est entré en poste. J'étais conseillère en politiques, administratrice générale de la mission et responsable en l'absence de l'ambassadeur. Nous étions une très petite équipe de quatre personnes: l'ambassadeur, le gestionnaire de programme de l'ACDI, le fonctionnaire consulaire et moi.
    J'ai beaucoup voyagé, surtout la première année. Aucune restriction en matière de déplacements ne m'était imposée. Il m'arrivait même de me demander si les gens savaient que j'étais là parce que j'allais où je voulais, quand je le voulais. On m'avait dit avant de partir que je devais recueillir les opinions de « monsieur tout le monde », ce qui voulait dire que je devais m'éloigner de certains cercles officiels et voyager dans l'ensemble du pays.
    Ma responsabilité principale, et le thème sur lequel je devais faire rapport à Ottawa, c'était la réforme du secteur de la sécurité. Cela comprenait l'armée, la police, le système de justice, l'action antidrogue, la démilitarisation, les équipes provinciales de reconstruction, etc. Je devais aussi rendre compte de la situation concernant l'évolution politique, la constitution, les élections, la formation des partis politiques et, bien sûr, les droits de la personne. Les points de référence sur lesquels je m'appuyais pour rédiger mes rapports étaient l'Accord de Bonn, les décisions de la Loya Jirga, les décrets présidentiels et le point de vue de la société civile à Kaboul et dans les provinces.
    J'étais aussi chargée de liaison politique auprès de notre attaché militaire et des agents de liaison de la GRC qui se trouvaient à Islamabad mais qui étaient aussi affectés au dossier de l'Afghanistan.
    Un autre aspect du travail consistait à organiser tous les programmes des visites, notamment à prendre des notes et à rédiger des rapports sur les visites du ministre de la Défense, du ministre des Affaires étrangères, des hauts fonctionnaires, du premier ministre et de la gouverneure générale, à deux reprises.
    Pour vous donner une idée de mon expérience, j'ai déjà travaillé pour l'ACDI: en Asie du Sud-Est, au Bangladesh, en Colombie, en Équateur et au Pakistan. Dans le domaine des affaires étrangères, j'ai travaillé sur différents dossiers: la transition économique et démocratique en Russie, l'aide fournie par le Canada pour cette période de transition; la Bosnie; la reconstruction de l'ex-Yougoslavie; et les Balkans. C'est avant que j'aille en Afghanistan.
    Ce que j'ai appris, et l'Afghanistan vient certainement le confirmer, c'est que dans ces États fragiles, comme on les appelle, ou États en déroute, et dans les pays en transition et qui se relèvent d'un conflit, la diplomatie n'est pas monnaie courante, comme vous pouvez l'imaginer. La plupart du temps, les principes de la primauté du droit n'existent pas. En fait, je ne me souviens pas d'avoir constaté qu'ils existaient dans ces pays en transition de la façon dont nous les décrivons. Ils ont recours à la violence pour régler leurs différends, et bien sûr la corruption s'installe très rapidement. Les droits de la personne sont sérieusement négligés.
    Depuis que je suis revenue, j'ai reçu de nombreuses demandes pour participer à des émissions et pour accorder des entrevues; je me suis laissé convaincre il y a quelques semaines, et j'ai accordé une entrevue sur les ondes de CBC. J'imagine que c'est la raison pour laquelle vous m'avez invitée. Je tiens à préciser que j'ai accepté d'accorder cette entrevue radiophonique pour la seule et unique raison que je voulais soutenir d'une certaine façon Richard Colvin, parce que je n'ai vu personne le défendre vraiment. En fait, j'ai l'impression qu'il a été plutôt calomnié.

  (1635)  

    Au cours de cette entrevue, je n'ai fait mention ni des partis au pouvoir, ni des partis politiques et je n'ai cité aucun nom. J'ai été d'ailleurs tout à fait étonnée — dans ma grande naïveté à communiquer avec les médias — de constater, au téléjournal du soir, que cette entrevue ait soulevé autant de passion et soit autant politisée.
    Bienvenue dans notre univers.
    Veuillez continuer.
    Je tiens à vous assurer qu'au cours de toute ma carrière j'ai servi les intérêts du Canada, de la population canadienne à la fois en tant que professionnelle impartiale et personne intègre dans certains des points chauds les plus dangereux de la planète.
    J'aimerais faire référence aux rapports annuels sur les droits de l'homme parce que je crois que certains d'entre vous ont peut-être entre les mains ceux qui visent la période de 2002 à 2004 ou 2005.
    Ceux d'entre nous qui allons sur le terrain et qui avons la responsabilité de rédiger des rapports sur les droits de l'homme prenons cette tâche très au sérieux. Et c'est mon cas, plus particulièrement parce que je crois que s'ils sont faits consciencieusement, ces rapports permettront de bien décrire la condition humaine par rapport à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il est important que ceux qui les reçoivent et ceux qui sont appelés à travailler sur le terrain les étudient attentivement parce que ces rapports touchent tous les aspects de la situation.
    Il est également important de tenir compte de nos interlocuteurs habituels ainsi que des diverses perceptions du pouvoir et des éléments éminences grises de la société civile du pays. Mais cela prend du temps et souvent nous n'en avons pas beaucoup à consacrer à cette tâche dans un pays qui se relève d'un conflit comme l'Afghanistan. Il nous faut prendre des décisions très rapides simplement pour assurer la survie des gens. Trop souvent nous sommes tentés de concocter des solutions rapides au lieu de s'attaquer aux causes profondes, sans vraiment comprendre les subtilités et les complexités de cultures si différentes de la nôtre. Dans toute ma carrière, je ne me suis jamais trouvé dans un endroit aussi complexe que l'Afghanistan.
    Compte tenu des restrictions actuelles imposées à la liberté de mouvement des civils, ce doit être de plus en plus difficile pour nos collègues sur le terrain de suivre l'évolution de la situation et de s'ajuster aux divers intervenants en cause.
    Nous ne faisons que commencer à nous faire une idée de ce qui se passe en Afghanistan. Je suis convaincue que nous pouvons utiliser tous ces renseignements pour les interventions que nous ferons après 2011.
    Merci.
    Merci beaucoup, madame Olexiuk.
    Passons maintenant à la première ronde de questions.
    Monsieur Wilfert.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Olexiuk, merci beaucoup de votre témoignage et merci beaucoup de votre contribution au service du Canada et des Canadiens. Votre CV est des plus impressionnant.
    Pendant la période où vous étiez là-bas, quelle était la politique en vigueur concernant le transfert des détenus? Étaient-ils transférés aux États-Unis ou confiés aux autorités afghanes?
    À ce moment-là, je n'ai pas eu connaissance que nous avions transféré des détenus. Nous n'avions pas une présence militaire importante là-bas. Nos activités étaient menées dans le contexte de la Force internationale d'assistance à la sécurité, mais je n'ai aucunement participé à...
    Alors, pendant votre séjour là-bas, lorsque des soldats canadiens capturaient des présumés combattants talibans, que faisaient-ils avec eux?
    Je suis désolée, je ne sais pas.
    Bien.
    Vous avez dit que, pendant votre séjour, vous aviez rédigé trois rapports. Je comprends vos commentaires au sujet des médias, mais on a cité un passage où vous disiez que les actes de torture étaient courants. Alors, si vous ne savez pas ce qui est arrivé, ou si nous n'avons pas transféré de prisonniers ou demandé à quelqu'un de le faire, comment pouvons-nous savoir s'il y a effectivement eu torture?
    Chaque année, dans le contexte des rapports sur les droits de l'homme, j'ai signalé qu'il était de notoriété publique que la torture était monnaie courante. Cette situation a été signalée dans les rapports de la Commission afghane indépendante des droits de l'homme ainsi que dans divers rapports des Nations Unies produits par l'un de ses experts, Sharif Basyouni. De plus, Louise Arbour en a fait état lorsqu'elle était en Afghanistan. Ses propos ont été relayés dans la presse et dans des rapports que vous pouvez lire en ligne.

  (1640)  

    Alors, ce que vous dites, c'est que de tels actes n'étaient pas nécessairement le lot exclusif des prisonniers; la torture ou le recours à la violence physique par les Afghans était des pratiques relativement courantes.
    En effet, selon les personnes avec lesquelles je me suis entretenue, le recours à la violence physique était assez courant.
    Bien.
    Vous avez transmis ces rapports à Ottawa. À qui étaient-ils destinés?
    Ces rapports ont été remis à la Direction des droits de la personne, aux Affaires étrangères. Ce sont d'ailleurs les responsables de cette direction qui avaient demandé ces rapports et qui m'avaient communiqué les lignes directrices à suivre à cet égard, notamment ce qu'ils souhaitaient y retrouver, les aspects à couvrir. Puis, les rapports ont été acheminés à ce que nous appelons le secteur bilatéral, le secteur géographique, avec une copie à toute une gamme d'autres services.
    Par votre entremise, monsieur le président, quelle rétroaction ou quels commentaires avez-vous obtenus du secteur au sujet de ces rapports?
    Je n'ai obtenu aucun commentaire du secteur. En fait oui, un seul commentaire, ce qui était très bien. Peut-être même que j'en ai eu deux. En fait, un jeune homme au cours de la première année m'a dit « Merci beaucoup. Maintenant, je comprends ce qu'est l'Afghanistan. » Et puis, peut-être un petit peu plus tard, notre directeur général m'a remerciée pour l'exhaustivité du rapport, les détails, tout en me mentionnant qu'on en tiendrait compte.
    Diriez-vous que vous avez fait état de certaines préoccupations précises sur lesquelles vous vouliez attirer l'attention ou que vous avez simplement présenté un portrait général?
    Mes commentaires étaient d'ordre général et si vous aviez consulté les rapports, vous auriez constaté que je mettais en évidence certaines suggestions. Je crois que je les avais inscrits sous une rubrique intitulée « idées/suggestions » pour mettre fin à certaines pratiques. C'étaient des points que j'estimais importants.
    On ne nous permet pas de voir grand-chose, alors, personnellement, je n'ai rien vu de ces rapports.
    Je les ai vus en ligne. Je pourrais vous donner l'adresse du site Web. Les documents sont censurés mais pas trop.
    Nous sommes trop occupés à lire des textes censurés.
    Madame Olexiuk, je vous remercie beaucoup.
    En quelle année avez-vous joint les rangs du service extérieur?
    Laissez-moi réfléchir. Tout d'abord, j'ai travaillé à l'ACDI, puis j'ai été affectée en Colombie en tant que domestique. On m'avait chargée du programme d'aide à la Colombie et à l'Équateur et, pendant ce temps, un concours a été lancé pour un poste au service extérieur. D'ailleurs, on ne tient pas très souvent ce genre de concours ouvert aux personnes de différents groupes et niveaux. J'ai réussi le concours, alors lorsque j'ai quitté la Colombie en 1982, j'ai accepté de me joindre au service extérieur. Cependant, pour des raisons familiales personnelles, en réalité, je ne suis entrée en poste qu'en 1989.
    Bien, je comprends.
    Êtes-vous retournée en Afghanistan depuis que vous avez quitté en 2005?
    Non.
    À la lecture des rapports et à la lumière de l'histoire et des ouvrages portant sur cette période, on constate que la situation était bien différente en 2002 et 2005. À cette époque, vous disposiez d'une plus grande liberté de mouvement, d'une plus grande latitude pour vous déplacer seule en tant qu'agent indépendant. Est-ce que cette description vous semble assez juste?
    Oui. Les restrictions ont commencé à se faire sentir lorsque nous avons ouvert l'ambassade. La première année, il n'y avait aucune restriction, mais on a commencé à sentir plus de resserrement avec l'ouverture de l'ambassade et l'arrivée de l'ambassadeur.
    En ce qui a trait au genre de renseignements que vous fournissiez au gouvernement et à l'ambassadeur, plus précisément à M. Alexander, je présume que vous discutiez avec lui de cette question de sécurité générale et de ce qui se passait relativement aux prisonniers. Avez-vous effectivement visité des prisons et avez-vous eu l'occasion de constater personnellement ces faits ?
    Effectivement.
    Pouvez-vous nous dépeindre la situation à ce moment-là?
    Eh bien, les salles étaient surpeuplées... Je me souviens d'une salle en particulier, où il y avait des lits superposés sur deux ou trois niveaux et des personnes assises par terre qui mangeaient. Comme vous le savez, pour manger, les Afghans installent une toile cirée sur le plancher. Là-bas, ils devaient manger chacun leur tour parce qu'il n'y avait pas suffisamment de place. Cela vous permet de comprendre à quel point les salles étaient surpeuplées. Ce que j'ai vu à certains endroits pourrait être qualifié de conditions « médiévales » et...

  (1645)  

    C'est ainsi que vous décririez la situation?
    Simplement pour confirmer le point de vue de Bryon, la période au cours de laquelle vous étiez là-bas, soit de 2002 à 2005, nos troupes n'étaient pas très nombreuses pour capturer un grand nombre de prisonniers. Avez-vous participé à des discussions avec l'ambassadeur ou avec d'autres personnes au sujet de la négociation du nouvel accord avec le gouvernement de l'Afghanistan sur la question du transfert des détenus?
    Non.
    Non. Vous n'avez pas participé à cette discussion.
    Non, pas à Kaboul.
    Bien, je vous remercie.
    Merci, monsieur Rae.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Est-ce que vous m'entendez?

[Traduction]

    Oui, ça va.

[Français]

    Merci beaucoup...

[Traduction]

    Veuillez m'excuser. Je suis à la retraite depuis trop longtemps. Je ne me rappelle plus comment ça fonctionne.

[Français]

    Tout d'abord, je veux vous remercier de votre témoignage. Malgré le fait que vous n'ayez pas dit, au début, ce que vous avez dit à la fin, sur votre volonté d'être non partisane, de défendre votre pays et d'être objective, je trouve que c'est édifiant. Plusieurs jeunes seraient heureux de vous entendre.
     Vous pouvez nous aider, car vous avez beaucoup d'expérience et de connaissances. On peut lire, dans un des articles qui a été rédigé après votre entrevue, que dans chacun des rapports que vous avez préparés, vous faisiez état de risques que les détenus afghans soient torturés par les autorités afghanes. Il est écrit qu'il était connu qu'il s'agissait de la façon employée pour obtenir de l'information. Confirmez-vous cela?

[Traduction]

    Vous voulez dire que j'ai dit cela? Oui. Cependant, c'est cité un peu hors contexte.
    C'est comme je l'ai dit plus tôt. C'était un fait bien connu. Ce que je veux dire, c'est que les gens en parlaient. Et cela a été repris dans de nombreux rapports ici, par écrit, comme vous pouvez le constater. Je ne suis pas la seule à le dire.

[Français]

    C'est peut-être pour ça que vous avez dit avoir voulu intervenir pour appuyer M. Colvin. Vous avez dit ça.

[Traduction]

    Oui, j'imagine que c'est vrai.

[Français]

    On vous fait dire aussi que quand Paul Martin a accepté que les troupes canadiennes soient mutées à Kandahar, en 2005, vous avez cru bon de faire une mise en garde. Vous avez prévenu le gouvernement que l'accord qu'il s'apprêtait à signer sur le transfert des prisonniers n'offrait pas...
    Ça ne marche pas. C'est en français, je vous ai compris, mais...
    Est-ce que ça va, maintenant?
     Vous avez donc prévenu le gouvernement que l'accord qu'il s'apprêtait à signer sur le transfert des prisonniers n'offrait pas une protection suffisante.

[Traduction]

    Encore là, c'est un peu pris hors contexte. J'ai dit que j'avais eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à l'accord lorsque j'étais à Ottawa. Mais je ne peux pas dire que je m'adressais directement à Paul Martin ou à quelqu'un de ce niveau. C'était dans le cadre d'une réunion. En fait, on ne me demandait pas de commenter cet accord, étant donné qu'il y a des spécialistes en droit de la personne et en droit international pour le faire. J'étais seulement une invitée à cette réunion. À ce moment-là, j'ai dit de façon tout à fait officieuse que nous ne pouvons procéder ainsi. Nous ne pouvons transférer les prisonniers simplement comme ça, sans... Nous devons nous assurer de pouvoir communiquer avec eux ou quelque chose dans ce genre. Nous devons réunir tous les renseignements possibles sur eux. Nous devons savoir qui ils sont parce qu'il y a probablement, je ne sais pas, un million de Mohammed ou de Ahmed en Afghanistan. Il faut vraiment être précis et il faut s'assurer de suivre leur situation. Voilà, ce que j'ai dit.

[Français]

    Vous avez donc été surprise de ne pas trouver, dans l'accord, d'assurances relativement à ce que vous venez de dire. Vous avez été surprise.

  (1650)  

[Traduction]

    Oui. En fait, il s'agissait d'une ébauche de l'accord comme vous pouvez l'imaginer. Mais lorsque j'ai pu consulter le vrai, en ligne, je crois que c'est en novembre que j'ai pris connaissance des deux, j'ai noté que celui-ci ne contenait pas ce droit d'accès.

[Français]

    Pensez-vous que le risque de torture était grand, pour ne pas dire avéré? Est-ce que, dès le départ, ça a eu une influence sur la façon dont l'homme de la rue jugeait les alliés et le Canada?

[Traduction]

    Je ne suis pas certaine du sens de la question. Je suis désolée, mais vous avez demandé, ce que l'homme de la rue...?

[Français]

    Vous avez dit plus tôt qu'on vous demandait de faire rapport sur ce que pensait l'homme de la rue. Que pensait l'homme de la rue du fait que les gens faits prisonniers par le Canada risquaient d'être torturés?

[Traduction]

    Bien.
    Laissez-moi vous dire quelque chose. Ces gens sont habitués à ce genre de comportement et je ne suis pas sûre qu'ils ont pensé que notre comportement en particulier était plus dur. Ils avaient déjà eu la présence des Américains. Ils venaient tout juste de sortir de l'emprise du régime des talibans. Ils avaient traversé une guerre civile. Alors, lorsque je dis que la violence et même la torture ont été presque un mode de vie pour eux pendant si longtemps, je ne crois pas qu'ils avaient une si piètre opinion de notre comportement.

[Français]

    Autrement dit, le Canada ne signifiait pas pour eux quelque chose qui différait des talibans. C'est ce que vous dites?

[Traduction]

    Non, je ne peux dire cela. Évidemment, cela voulait dire quelque chose de différent. Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que le fait que des personnes détenues aient été torturées par les autorités afghanes ne les aurait pas surpris. Je suis sûre qu'ils n'auraient pas compris que nous ayons des ententes pas plus qu'ils auraient compris en quoi consistent des accords de transfert. Je ne crois pas.
    Merci beaucoup. Le temps est écoulé sur ce point.
    Nous passons la parole aux représentants du gouvernement et à M. Obhrai.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Mme Olexiuk, je suis d'accord avec ce que vous dites. En tant que secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, je dois constamment traiter avec des bureaucrates et je peux me porter garant de ce que vous venez de déclarer aujourd'hui, c'est-à-dire qu'ils font ce qu'il y a de mieux pour le Canada de façon non partisane. Je tiens donc à vous remercier au nom du Canada et de mes collègues.
    La question ici est très importante, madame Olexiuk. Le Canada s'est rendu en Afghanistan, et il est très important de souligner que, pendant le temps que vous avez passé là-bas, vous avez publié bon nombre de rapports. Vous avez soulevé un certain nombre de questions concernant les droits de la personne alors que l'intervention du gouvernement n'en était qu'à ses tous débuts. Bien entendu, vous dites, et je vous crois, que vous avez agi de façon non partisane. À l'époque, ce sont mes collègues d'en face qui formaient le gouvernement au pouvoir, dont un des plus hauts placés au sein de ce caucus est assis juste devant moi. D'aucuns seraient bien intéressés de connaître ce qu'il savait. Aujourd'hui, il est venu à la Chambre des communes pour parler de la CPI, du Code criminel, et du fait que le gouvernement était au courant.
    Ma question pour vous, compte tenu des rapports que vous avez publiés, est, mais qu'avez-vous dit aux grands dirigeants du gouvernement, selon vous? En avez-vous discuté de quelque façon que ce soit? C'est une accusation importante qu'il a faite. Il a porté cette accusation sans toutefois admettre qu'il devrait faire face aux mêmes accusations avec ce que vous venez de dire, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas tenu compte de vos rapports concernant les violations des droits de la personne.
    Vous pouvez peut-être nous dire si vous avez eu des discussions avec les ministres des Affaires étrangères à cette époque — MM. Pettigrew et Bill Graham? Jusqu'où se sont rendues ces discussions, et dans quelle mesure le gouvernement libéral et les membres de l'opposition ici présents étaient-ils au courant des problèmes de violation dont vous avez fait mention? Que savaient-ils à ce sujet? Nous le saurons tôt ou tard. Nous voudrions que vous nous disiez dans quelle mesure, selon vous, le gouvernement de l'époque connaissait les problèmes de violations des droits de la personne.

  (1655)  

    Merci, monsieur Obhrai.
    Madame Olexiuk.
    J'ai rapporté la situation à mon ministère. Je n'ai pas eu affaire aux gens du milieu politique, si je puis les appeler ainsi. Je n'ai pas fait rapport aux ministres. Pour avoir réponse à votre question, il vous faudrait demander à quelqu'un du ministère pour savoir de quelle façon l'information s'est rendue jusqu'en haut, parce que je n'ai rien à voir là-dedans.
    Donc, ce que vous me dites, c'est que malgré tous les rapports que vous avez rédigés et malgré le fait que le ministre s'est rendu sur place, vous n'avez jamais eu la moindre discussion ou le moindre échange avec l'un ou l'autre des dirigeants du gouvernement. J'entends ici le ministre des Affaires étrangères. Vous n'avez jamais... Vous ne leur avez jamais exprimé de vive voix vos préoccupations.
    Non, jamais.
    Jamais. Ça a donc suivi toute la chaîne de commandement, comme vous l'avez dit. Et selon vous, le gouvernement ignorait totalement vos préoccupations.
    Eh bien, j'avais le sentiment de ne recevoir aucune rétroaction, mais je parle de façon générale.
    Ça me fait penser à l'entente dont vous avez parlée, qui est intervenue plus tard, en 2005, et que vous n'avez jamais vue... Votre premier rapport officiel a été fait en 2002 et 2003. Déjà, dans ce rapport, vous disiez très clairement — et je tiens à ce que ce soit clair. Vous avez soulevé des préoccupations concernant des problèmes relatifs aux droits de la personne dont le gouvernement connaissait l'existence. Néanmoins, il n'en est pas question dans l'entente de 2005 que vous avez vue en ligne, est-ce exact?
    Oui.
    Il n'y a rien.
    Les ententes...
    Ce qui veut donc dire que le gouvernement, même s'il savait que les droits de la personne avaient été violés, n'a pris aucune mesure à l'égard des détenus. Je voudrais que ce soit clair, monsieur le président.
    Des voix: [Note de la rédaction: inaudible]
    M. Deepak Obhrai: Vous avez eu l'occasion de faire valoir votre opinion; laissez-moi exprimer la mienne.
    Je veux que ce soit très clair. Il sera dit au compte rendu que le gouvernement savait que les droits de la personne des détenus n'étaient pas respectés. Et selon notre témoin d'aujourd'hui, celle-ci affirme que le gouvernement n'a pris aucune mesure pour que mon collègue d'en face, qui était alors un des hauts placés du cabinet, qui devrait aussi faire face à des accusations, comme vous l'avez si bien dit...
    J'essaie de comprendre pour amener cette chose... Je comprends.
    Vous avez fait un excellent travail en venant nous dire comment c'était à l'époque. Vous avez dressé un très bon portrait de ce qu'était la situation durant cette période, d'autant plus que, jusqu'à maintenant, aucun ministre des Affaires étrangères du gouvernement libéral, ni qui que ce soit d'autre du parti, n'a eu le courage de venir ici et de nous parler des violations aux droits de la personne des détenus alors que le parti était au pouvoir. Vous êtes la première personne à venir témoigner en ce sens, et je tiens à ce que ce détail soit très bien noté, monsieur le président.
    Ceci étant dit, j'aimerais savoir, selon vous, quels étaient les désavantages des ententes de 2005, c'est-à-dire les ententes de transfert?
    Ce n'est qu'une simple opinion, parce que j'en savais probablement un peu plus à propos de l'Afghanistan que certains de mes collègues réunis autour de la table. Je pense que nous aurions dû avoir un certain droit d'accès à nos détenus que nous avons transférés, et que nous aurions dû connaître très précisément l'identité de ces personnes.
    Pour que les choses soient claires, en 2007, lorsque le présent gouvernement est arrivé avec une entente, il avait prévu ce droit d'accès dont vous parlez.
    J'aimerais vous remercier une fois de plus au nom de tous, pour avoir fait du bon travail pour le Canada.
    Merci.
    Merci, monsieur Obhrai.
    Nous passerons maintenant à M. Harris.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous, madame Olexiuk, pour votre présence ici aujourd'hui.
    J'ai été impressionné par votre approche et votre expérience en Bosnie et dans d'autres régions difficiles, et aussi par votre incroyable dévouement pour les intérêts du Canada.
    J'aimerais en apprendre davantage sur les intérêts du Canada, en tant que diplomate servant les intérêts du pays à l'étranger de façon non partisane. Vous avez parlé des conditions médiévales des prisons là-bas. Vous avez également parlé du fait que la situation en Afghanistan était bien connue parmi vous et, je présume, parmi tous les autres corps diplomatiques et les divers organismes visés. Je suppose que vous n'avez pas été surprise de voir que les rapports de M. Colvin ressemblaient aux vôtres en plusieurs points quand venait le temps de décrire la situation. Tout d'abord, est-ce vrai?

  (1700)  

    Eh bien, ce n'est pas tout à fait exact en ce sens que ses rapports semblaient refléter ses observations directes, alors que les miens ne faisaient que refléter diverses opinions et reprendre des rapports publiés.
    Mais ce n'est pas tout à fait faux, que... Vous avez rédigé les rapports de 2002, 2003 et 2004.
    Oui, ces rapports sont de moi. Ils ont été publiés en janvier de l'année suivante.
    Et ces rapports étaient cohérents en ce sens qu'ils faisaient état du non-respect de la primauté du droit pour ce qui est du traitement des détenus?
    Oui.
    Donc, c'était un fait bien connu.
    Oui.
    Je serais curieux de savoir ce que vous pensez des intérêts du Canada. Vous savez ce dont je parle ici. Nous voudrions savoir ce qui se passerait si le Canada, qui a ses propres obligations en vertu du droit international, faisait des prisonniers en situation de combat pour ensuite les remettre aux mains de personnes représentant un risque réel de torture. Il s'agit de toute évidence d'un problème relatif aux droits de la personne, mais parlons des intérêts du Canada. Dans quel intérêt le Canada éviterait-il une telle situation?
    Vous voulez dire en les transférant à d'autres? Je parle probablement à travers mon chapeau, ici...
    Donnez-nous votre opinion en tant que diplomate chevronnée. Quels sont les problèmes pour les intérêts du Canada, en tant que pays, de transférer des personnes alors qu'il existe un risque réel de torture?
    Aux yeux du monde, nous avions une image de fiers défenseurs des droits de la personne la majeure partie de ma carrière. Je crois que le public canadien était fier de cela. Je pense que cette image aurait pu être ternie si le public avait appris que l'on transférait des détenus dans des installations où la torture était pratique courante.
    Merci. Je sais que nous passons d'une époque à l'autre, mais peut-on dire que la première fois que vous êtes allée là-bas, la participation canadienne se limitait à un petit groupe affecté à Kaboul? Il s'agissait de l'équipe administrative. Est-ce exact?
    Il s'agissait de l'ambassade.
    Je ne parle pas de l'ambassade, mais de la participation des Forces canadiennes.
    Les Forces canadiennes faisaient partie de la FIAS. Elles sont arrivées en août. Les équipes étaient prêtes en mars ou avril 2003. J'ai beaucoup participé à ce déploiement, puisque j'étais la seule Canadienne sur place. Les troupes ont commencé à arriver en juin 2003 jusqu'en août. Je pense que c'est à ce moment que nous avons pris le commandement de la brigade multinationale.
    C'est seulement après cela que nous avons commencé à faire des prisonniers, alors? Vous ne savez pas.
    Honnêtement, je ne sais pas.
    Très bien. Passons maintenant au moment où nous savons que la première entente, l'entente de transfert, a été signée, c'est-à-dire en décembre 2005. Vous n'étiez plus là-bas à ce moment-là, mais vous saviez depuis un certain temps déjà que les négociations et les discussions allaient bon train. Elles s'étaient déjà entamées avant que vous quittiez, évidemment, puisque vous en aviez vu les ébauches.
    J'ai vu les ébauches à Ottawa.
    Vous ne les avez pas vues pendant que vous étiez là-bas?
    Non, je les ai vues à Ottawa, peut-être en novembre ou quelque chose comme ça.
    D'accord. Vous avez dit que vous étiez dans la salle, mais que vous n'étiez pas la personne responsable d'approuver ces documents ou ces négociations. Vous avez parlé de certaines personnes, mais pouvez-vous nous donner leurs titres? Qui faisait le travail à Ottawa?
    Ce ne sont pas eux qui négociaient. De ce que je me souviens, le document est arrivé du ministère de la Défense nationale pour que nous le commentions. Les personnes les mieux placées pour commenter étaient bien entendu les représentants de la Division des droits de la personne et de la Division des affaires juridiques, le service juridique. Il a été envoyé au service où je travaillais alors, le GTSR, le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction, qui venait tout juste d'être mis sur pied.

  (1705)  

    Donc, la Division des affaires juridiques et la Division des droits de la personne ont toutes deux eu un droit de regard. L'ont-elles approuvé? Avez-vous dit que vous en avez vu une ébauche à un certain moment?
    J'ai vu l'ébauche, et j'ai dit, « Je ne pense pas que nous devrions céder ces personnes aux mains de la NDS ». J'étais d'avis qu'il nous fallait garder autant d'informations que possible sur eux, et les identifier autant que possible.
    Si je comprends bien, vous étiez déjà d'avis que la NDS pouvait poser problème?
    Oui.
    Pourquoi?
    Eh bien, à cause de sa réputation.
    Quelle a été la réaction des autres quand vous avez dit que de céder les détenus aux mains de la NDS n'était pas une bonne idée et que nous devrions les surveiller ou les suivre?
    J'estime que nous aurions dû avoir un certain droit de visite. Vous savez, je ne suis pas avocate ni experte en droit de la personne. C'est uniquement mon instinct qui parlait en tant que gentille vieille dame, mais j'estimais que nous devrions pouvoir nous rendre sur place pour voir ce qui advenait de nos détenus.
    Mais cette gentille vieille dame avait à coeur la réputation du Canada.
    Oui, mais je m'inquiétais également du sort de ces gens. On voit des choses si terribles en Afghanistan que je me disais « n'allons pas là, ne commençons pas ce genre de chose ».
    Ce sont donc votre initiative et vos propres sentiments qui vous ont incité à agir de la sorte. Saviez-vous à ce moment que d'autres pays négociaient des ententes de transfert assorties de véritables mécanismes de surveillance?
    Je ne le savais pas.
    Merci, monsieur Harris.
    Monsieur Dechert, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Olexiuk, merci de comparaître ici aujourd'hui et de nous relater vos expériences. Vous avez parlé il y a quelques minutes — et également dans vos rapports de 2002 et de 2003 sur les droits de la personne — qu'il y avait de vives préoccupations à l'égard de la violation des droits de la personne en Afghanistan. Je crois que vous avez dit tout à l'heure, en réponse à une question posée par M. Harris, que vous n'étiez pas en faveur du transfert des détenus à la DNS. Vous nous avez également dit que de très nombreuses personnes savaient que ces genres de mauvais traitements étaient chose courante en Afghanistan.
    Si ce que vous dites est vrai, pourquoi pensez-vous que le Canada aurait conclu une entente en 2005 en vue du transfert des détenus à la DNS? N'aviez-vous pas clairement établi ces choses dans votre rapport?
    J'imagine que je pourrais vous poser la même question. Je suis désolée, je ne connais vraiment pas la réponse à cette question.
    Mais vous aviez travaillé sur place. Vous avez présenté ces rapports en 2002, 2003 et 2004 en insistant chaque fois sur la question de violation des droits humains, mais le gouvernement de l'époque a tout de même conclu une entente de transfert avec la DNS en 2005.
    Pourquoi pensez-vous que l'entente a été rédigée ainsi et qui aurait pris cette décision?
    Je vous prie de m'excuser, je ne le sais pas.
    D'accord, laissez-moi vous poser une question. Certains ont laissé entendre que le général Hillier avait signé l'entente de transfert en 2005. Compte tenu de votre expérience, croyez-vous que le général Hillier ait pu mener seul ce projet ou aurait-il demandé l'avis de hauts fonctionnaires du gouvernement et peut-être même de ministres de la Couronne?
    Comme je l'ai dit, je sais qu'on a cherché à connaître l'avis du ministère pour lequel je travaillais, à savoir le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. On nous a demandé d'examiner le document et de formuler des commentaires. Je ne peux pas vous dire jusqu'à quels échelons cette question s'est rendue.
    À votre avis, le ministre aurait-il été au courant que cette entente allait être signée ou encore que la décision avait été prise de transférer les prisonniers à la DNS?
    Veuillez m'excuser, je ne le sais pas.
    Ces choses vous apparaissent-elles sensées dans une situation comme celle-ci, étant donné que tous ou presque savaient que les droits de la personne n'étaient pas respectés en Afghanistan? Ne croyez-vous pas que quelqu'un aurait informé le ministre que ce genre de chose survenait à la DNS et qu'il serait peut-être important d'en tenir compte au moment de négocier une entente? Cela vous paraît-il logique?
    Tout d'abord, ce n'est pas une entente. Ce document n'a pas force de loi, c'est un arrangement. Si je me souviens bien — les choses ont peut-être changé depuis que j'ai cessé d'exercer ces fonctions —, le ministre était toujours parfaitement au courant des protocoles d'entente qui étaient signés. Ceux-ci n'ont pas tout à fait force de loi, mais ils sont de caractère plus officiel qu'un arrangement. Une entente s'apparente davantage à un traité, selon moi. Les spécialistes du droit international pourront me corriger à ce sujet.

  (1710)  

    Vous avez dit tout à l'heure que la juge Arbour était au courant de la violation des droits de la personne en Afghanistan...
    Oui, tout à fait.
    ... et qu'elle avait elle-même soulevé cette question. De toute évidence, les hautes sphères du gouvernement et les hauts fonctionnaires au Canada auraient été au courant des mauvais traitements infligés aux prisonniers en Afghanistan. Ces choses faisaient partie des pratiques culturelles, du style de gouvernance local à l'époque. Par conséquent, ne pensez-vous pas qu'une personne très haut placée au gouvernement aurait du moins été au courant qu'il y avait là un risque?
    Vous avez rédigé ces rapports, qui ont été transmis aux hauts fonctionnaires du MAECI. Ne pensez-vous pas que l'un ou l'autre de ces rapports se serait rendu jusqu'au ministre ou jusqu'à son personnel?
    Vous savez, je ne sais pas ce qui est advenu des rapports après que je les ai envoyés. Je regrette de le mentionner aussi abruptement, mais je n'ai pas reçu beaucoup de commentaires. Vous devrez vous renseigner auprès de quelqu'un d'autre au sujet de la filière de commandement.
    Année après année, vous avez déposé ces rapports qui sonnaient l'alarme sur des abus possibles en Afghanistan. D'une année à l'autre, y a-t-il quelqu'un au Canada qui a accusé réception de ces rapports et qui pensait que le Canada devrait présenter des commentaires au gouvernement afghan ou à la DNS au sujet de ces rapports?
    Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai reçu, pendant la première année, le commentaire suivant: « Merci beaucoup, Eileen, cela a été très utile. »
    Qui a formulé ce commentaire?
    C'était un jeune homme qui en était à sa première ou sa deuxième année aux Affaires étrangères.
    Vous avez donc reçu de l'information des Affaires étrangères.
    Il s'appelait Luc, je pense. Un peu plus tard, une autre personne m'a adressé le commentaire suivant: « Merci, cela est très instructif et utile pour comprendre ».
    Il est évident que des gens à Ottawa, au ministère des Affaires étrangères, lisaient vos rapports et en accusaient réception, à tout le moins, s'ils ne prenaient pas des mesures à cet égard.
    Certaines personnes, je suppose.
    Vous avez mentionné que des membres du ministère des Affaires étrangères avaient participé, sans aucun doute, à la négociation de l'entente avec la DNS et avaient consulté, dans une certaine mesure, le document.
    Oui. Je ne suis pas certaine de l'étendue des négociations, mais le document était dans notre ministère pour...
    Quelqu'un au sein de votre ministère a-t-il soulevé des préoccupations au sujet de l'absence de suivi des prisonniers après leur transfert? Comprenez-vous cela?
    Pour être franche, je ne sais pas.
    Vous ne savez pas si cela a eu lieu. Pensez-vous qu'il aurait été raisonnable que quelqu'un au MAECI soulève ces préoccupations à l'époque?
    Je pense que cela aurait été raisonnable, mais nous ne l'avons tout simplement pas fait...
    Nous savons maintenant qu'au même moment, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas avaient conclu des ententes semblables. Il y avait, dans leurs ententes, une procédure de suivi avec les prisonniers après leur transfert à la DNS pour voir ce qu'il advenait d'eux.
    Pourquoi pensez-vous que de telles ententes existaient entre ces pays et non avec le Canada?
    Je ne sais pas. Je n'étais même pas au courant de ces ententes, alors je vous prie de m'excuser.
    Il semble que quelqu'un n'exécutait pas ses tâches de façon adéquate.
    Merci, monsieur Dechert. J'apprécie vos commentaires.
    Notre temps est presque écoulé.
    Madame Olexiuk, puis-je vous poser une question afin d'obtenir un peu plus d'éclaircissement? Vous avez parlé d'une réunion, et je ne suis pas certain si cette réunion a eu lieu en Afghanistan ou après votre retour au Canada. Vous étiez presque surprise d'avoir été invitée à cette réunion. Vous ne vous attendiez pas d'être en mesure d'y participer, mais vous y étiez.
    Vous souvenez-vous d'avoir livré ce témoignage ici aujourd'hui?
    Oui.
    Quelle était cette réunion? A-t-elle eu lieu en Afghanistan?
    Non, c'était une réunion aux Affaires étrangères, ici à Ottawa. J'ai quitté l'Afghanistan en août, et cette réunion a probablement eu lieu en novembre ou en octobre 2005. Je ne suis pas tout à fait certaine. C'était à l'automne.
    Lors de cette réunion, vous avez exprimé certaines de vos inquiétudes. Qui d'autre a assisté à cette réunion?
    Mon Dieu, je ne me souviens pas.
    Pourtant, des membres de votre ministère y ont assisté. C'est là où je veux en venir.
    Oui. Je sais que mon directeur général y était. Je suis vraiment désolée, je n'arrive pas à me rappeler des gens présents autour de la table.
    Je n'étais pas certain si la réunion avait eu lieu pendant votre affectation en Afghanistan ou après votre retour ici.

  (1715)  

    Non, j'étais ici.
    En tout cas, merci beaucoup de votre témoignage aujourd'hui.
    Même si les cloches ne sonnent pas encore, elles commenceront à se faire entendre à 17 h 15. Si M. Dosanjh ou quelqu'un d'autre désire continuer de parler jusqu'au tintement des cloches, nous vous accorderons un peu plus de temps.
    J'aimerais simplement poursuivre cette discussion pour m'aider à comprendre. Avez-vous vu l'ébauche de l'entente initiale sur le transfert des prisonniers lorsque vous étiez à Kaboul ou à Ottawa?
    Je l'ai vu lorsque j'étais à Ottawa.
    D'accord, et cette ébauche venait de la DNS.
    Je pense que oui. Je suis désolée. J'ai supposé que c'était le cas. Cela ne ressemblait pas à une entente définitive...
    Je suis sûr que nous pourrons l'obtenir.
    Étiez-vous au courant que des débats ou des discussions animées pouvaient avoir lieu entre différentes personnes ou différents ministères au sujet de cette question? Étiez-vous au fait ou avez-vous entendu parler de rumeurs concernant des arguments qui auraient été formulés sur le type d'entente qu'il faudrait ou ne faudrait pas signer?
    Je suis désolée, monsieur Rae. Je n'étais pas au courant de cela.
    D'accord, c'est correct. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Comme vous pouvez le constater, les cloches sonnent maintenant. Je tiens à rappeler au comité que nous accueillerons, lors de notre prochaine réunion, trois anciens ambassadeurs du Canada en Afghanistan. Ils seront avec nous mercredi prochain.
    Madame Olexiuk, merci de votre participation aujourd'hui et merci de votre témoignage. Nous apprécions votre présence.
    La séance est levée.
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