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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 040 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 1er février 2011

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Français]

    Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. C'est aujourd'hui le 1er février 2011 et nous en sommes à notre 40e séance de la 40e législature.

[Traduction]

    Aujourd'hui, conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous étudions la situation des réfugiés nord-coréens en Chine.
    Nous accueillons un témoin. Trois personnes sont à la table, dont deux témoigneront jeudi. Bien qu'ils soient à la table, ils ne témoigneront pas, et nous ne pourrons pas leur poser des questions. La personne qui témoigne aujourd'hui est Mme Hye Sook Kim, qui témoigne à titre personnel.
    Je crois comprendre que Mme Kim a l'intention de nous faire un exposé de 15 minutes sur les camps de prisonniers politiques en Corée du Nord pour ensuite faire un exposé de 15 minutes sur l'apatridie en Chine et les rapatriements forcés.
    Je rappelle aux députés et à notre témoin que nous n'avons qu'une heure, alors si le témoignage prend plus de temps que prévu, il nous restera moins de temps pour les questions. Il s'agit d'un rappel amical à tous.
    Cela dit, je souhaite la bienvenue à Mme Kim, et l'invite à prendre la parole.
Mme Hye Sook Kim (à titre personnel) [Traduction de l'interprétation]:
    Bon après-midi. Je m'appelle Kim Hye Sook.
    Je porte des verres fumés, parce qu'il y a toujours des membres de ma famille dans un camp de prisonniers en Corée du Nord. Pour cette raison, je ne peux pas révéler entièrement mon identité au public, c'est pourquoi je porte des verres fumés. Je vous demande donc d'être compréhensif.
    Ma famille a été emprisonnée en octobre 1970 au camp de travail numéro 18. Mon grand-père, mon père, ma mère, mon frère cadet et ma soeur cadette ont tous été emprisonnés en même temps. À l'époque, je vivais avec ma grand-mère maternelle, alors je n'ai pas été emprisonnée avec le reste de ma famille. Mais les autorités chargées de la région de ma grand-mère maternelle continuaient de me harceler. Ils ont tenté de m'envoyer là où ma famille était. Alors à la fin de février 1975, j'ai retrouvé ma famille au camp de prisonniers politiques. J'avais 13 ans. Je ne comprenais pas du tout ce qui se passait. J'ai tout simplement été forcée d'aller à ce camp de prisonniers.
    Je ne peux vraiment pas décrire la façon dont je me suis sentie. J'étais vraiment attristée de devoir me retrouver là.
    Ma tante paternelle m'a menée à la barrière du camp de travail numéro 18, et les gardes qui étaient là se sont assurés que personne du camp ne puisse rencontrer ma tante là. J'ai attendu à la station des gardes pendant trois ou quatre heures, et ma mère, que je n'avais pas vue depuis cinq ans, est venue me voir de l'intérieur du camp. Je ne l'ai pas reconnue. Sa santé s'était détériorée au point où je ne pouvais plus la reconnaître. C'était à la fin de février, mais ses chaussures étaient en lambeaux. Je n'ai pas su quoi dire à ma mère, et je l'ai simplement tenue par la main.
    On m'a menée à l'intérieur du camp de prisonniers avec ma mère. On avait ce qu'on appelait des maisons, mais on ne pouvait vraiment pas les appeler ainsi. Il s'agissait simplement de petites huttes dans lesquelles habiteraient peut-être des bêtes sauvages. J'ai vu que mon frère et ma soeur étaient là. Et j'avais d'autres frères et soeurs cadets qui sont nés au camp.
    Ma grand-mère m'a accueillie en me menant à la table à manger, sur laquelle on pouvait trouver de la nourriture qui ne conviendrait même pas à des animaux. Nous mangions différentes sortes d'herbes et du maïs mélangés dans une potée. Je ne pouvais vraiment pas l'avaler. J'avais mal à la gorge en avalant. Je ne pouvais rien avaler au début, mais j'ai vu que mes soeurs et frères cadets mangeaient comme s'il s'agissait d'un festin. Ils regardaient mon bol, alors je leur en ai simplement donné le contenu.
    J'ai demandé à ma grand-mère où mon père était, parce qu'il n'était pas là. On m'a dit qu'il était allé travailler un soir et qu'il n'était jamais revenu. J'ai demandé à ma mère ce qui était arrivé à mon père et où il était. On m'a dit qu'en 1974, le 7 décembre, les gardes de sécurité ont pris mon père, et ma mère a travaillé à sa place à la ferme pour soutenir ses cinq enfants et sa belle-mère.
    Ce fut une période très difficile pour ma mère. Cette année-là, comme je venais d'arriver, en 1975, ma mère est tombée en bas d'une falaise alors qu'elle cueillait des légumes dans les montagnes; elle est décédée. Alors ma grand-mère, mes quatre frères et soeurs cadets et moi-même nous sommes déplacés vers la mine et avons commencé à travailler à la section minière du camp pour pouvoir survivre et à tout le moins avoir quelque chose à manger. J'avais la responsabilité de protéger ma famille là-bas.
    Dans cette section, nous recevions, chaque mois, sept kilogrammes de maïs. Si nous le faisions sécher à la maison, le poids était réduit à 4 ou 4,5 kilogrammes. Voilà la quantité de nourriture à manger pour six personnes pendant un mois. Partout où nous allions, si nous voyions de la verdure au sol, nous la cueillions et la gardions pour la manger plus tard. Nous avons passé 13 ans dans le secteur minier, à travailler et à manger ainsi.
    En 13 ans, en raison de toute la poussière que j'ai respirée à l'intérieur des mines, j'ai développé une maladie pulmonaire, et c'est vraiment difficile pour moi de respirer. Mais en fait, j'ai eu beaucoup de chance, parce que la plupart des jeunes hommes ne vivaient pas vraiment plus de 40 ans en raison de toute la poussière de mines qu'ils avaient respirée.
    Nous avons vraiment eu de la chance de pouvoir au moins manger cette potée faite de toute verdure que nous pouvions trouver autour de nous.

  (1315)  

    Nous avons été témoins de nombreuses exécutions publiques, par fusillade ou pendaison. Nous étions toujours au bord du danger, et nous avions toujours à voir ces atrocités dans les camps de prisonniers. Une fois, nous avons vu qu'il y avait une exécution publique par fusillade au camp numéro 14. Quelqu'un du camp numéro 18 avait traversé la rivière vers le camp numéro 14 et avait volé du maïs parce qu'il n'avait rien à manger, mais tous ceux qui se faisaient prendre étaient fusillés à mort par les gardiens de prison.
    On nous considérait comme des gens « déplacés », mais tout le monde vivait dans la douleur et la souffrance pendant cette période. Pendant mes 28 années là-bas, à tous les jours, je me disais que je voulais mourir et en finir. Tous les gardiens de sécurité et tous les gens qui nous surveillaient nous traitaient de façon inhumaine; nous étions reconnus comme prisonniers et comme peuple déplacé dans les camps de prisonniers. Parfois, ils nous appelaient et nous disaient de nous agenouiller et d'ouvrir la bouche, puis ils crachaient dans nos bouches et nous disaient d'avaler. Si nous avalions rapidement, tout allait bien, mais si nous nous étouffions, on nous battait. Vraiment, à ces moments-là, je ne voulais plus vivre.
    Je vous ai dit que nous cueillions de la verdure toutes les fois que nous le pouvions, mais parfois on nous donnait du sel, ce qui rehaussait un peu le goût de la potée, mais la plupart du temps, nous n'avions pas de sel pour nous aider à avaler le tout. Tous les mois, une personne pouvait obtenir environ 600 grammes de sel, mais ce n'était pas garanti non plus. Pendant environ cinq ou six mois, nous avons reçu de 700 à 800 grammes de pâte de haricots environ, mais ce n'était vraiment pas suffisant pour faire de la soupe. Il s'agissait d'un événement tellement rare, qu'aussitôt que nous la recevions, nous la mangions telle quelle. Et même avec ces aliments à l'occasion, nos corps ont beaucoup souffert. Même aujourd'hui, comparativement au porc et au boeuf, nous aimons toujours la pâte de haricots parce qu'il s'agissait d'un aliment tellement rare dans les camps de prisonniers.
    Ma mère est décédée dans le camp, et un de mes frères cadets est également décédé dans un accident de mine. Tout le monde a souffert pendant ces années-là. Pendant tout ce temps, je me disais que je devais me sortir de là, mais mon père et ma mère ne m'ont rien laissé, et je devais m'occuper de quatre frères et soeurs cadets et de ma grand-mère au camp. J'allais donc travailler et tolérer la souffrance.
    Nous devions travailler huit heures par jour dans les mines, mais nous finissions normalement par en travailler de 12 à 16. Lorsque notre quart commençait, nous allions dans les mines où c'était très poussiéreux, et après notre quart, très tard, évidemment — nous allions dans les montagnes pour trouver de la verdure à manger, que nous rapportions aux mines. La cueillette était littéralement un autre quart, et au total, il s'agissait d'environ 16 à 18 heures de travail, puis nous dormions le temps que nous le pouvions dans la hutte.
    En raison de la poussière, nous étions tous très sales après le quart à la mine, mais nous n'avions pas assez de savon pour nous laver, et l'eau était rationnée; nous avions chacun trois très petits seaux d'eau pour nous laver. Si on utilisait davantage d'eau, on nous battait. Nous travaillions à la mine, mais nous ne pouvions pas avoir d'eau. C'était impossible de se laver sans savon, alors les mineurs ont beaucoup souffert. J'ai moi-même souffert à regarder les autres et par ma propre expérience.

  (1320)  

    Il y a eu particulièrement beaucoup d'exécutions publiques en 1994 lorsque Kim Il-sung est décédé et que Kim Jong-il a pris le pouvoir. Il a essayé de remplacer les collaborateurs de son père par les siens, et il y a eu de nombreuses exécutions secrètes et publiques à cette époque, quand Kim Jong-il essayait d'asseoir son pouvoir en Corée du Nord. Toute désobéissance menait à une exécution.
    Le sommet a été atteint en 1996. Il y avait de nombreux corps le long des routes. Au début, j'avais peur, mais ensuite, j'avais vu tant de cadavres que je n'avais plus peur du tout.
    Les gens n'avaient pas le temps ni l'énergie de s'occuper des cadavres dans les rues, alors c'est une équipe spéciale qui s'en occupait et les transportait ailleurs.
    Les gens qui avaient travaillé pour Kim Il-sung ont également été envoyés dans les camps de prisonniers et ils étaient parfois victimes d'accidents eux aussi.
    Lorsque je fais des exposés sur la situation en Corée du Nord — et j'en fais partout dans le monde —, je repense toujours à cela et je me dis que je dois parler de ce qui se passe en Corée du Nord pour que les gens comprennent très bien la situation là-bas. J'ai même commencé à faire des dessins de la vie dans les camps de concentration.
    Au Japon, j'ai rencontré une personne qui a été chef pour Kim Jong-il et je lui ai montré mes dessins sur la vie en Corée du Nord. En les regardant, il a reconnu une des personnes que j'avais dessinées. Il occupait auparavant un poste au gouvernement central et ce chef de Kim Jong-il avait pris une photo d'une personne qui s'est retrouvée dans des camps de prisonniers et qui y est morte.
    D'autres personnes que j'ai rencontrées après être sortie de la Corée du Nord ont reconnu des gens dans mes dessins des camps de prisonniers. Ces dessins peuvent aider à comprendre l'étendue des camps de prisonniers en Corée du Nord et à transmettre le message que ces camps doivent être démantelés.
    Pendant mes 28 années dans les camps de prisonniers, j'ai beaucoup souffert, et je crois parfois rêver lorsque je pense que j'ai été libérée et que je me trouve maintenant au Canada. Parfois, je ne peux pas vraiment croire que je suis en train de vivre ici.
    Jusqu'à la fin des années 1990, j'ai travaillé dans les mines. Nous avons beaucoup souffert jusqu'à cette époque. Je suis devenue une prisonnière modèle. Lorsque vous devenez un prisonnier modèle, vous obtenez la permission de vous marier, et c'est ce que j'ai fait. Mon mariage a été inscrit dans les registres du camp, et j'ai donné naissance à un fils et une fille. En 2001, à l'anniversaire de Kim Jong-il, j'ai été libérée du camp de prisonniers. Jusqu'à ma libération, nous élevions des chiens et des cochons que nous donnions toujours aux dirigeants du camp afin qu'ils laissent ma famille tranquille. Le 16 février 2001, ma famille et mes frères et soeurs plus jeunes ont tous été libérés du camp.
    J'ai voulu fuir cette société qui m'avait causé tant de souffrances.

  (1325)  

    Lorsque vous êtes libéré, on vous indique où se trouve votre parenté. Alors je suis allée à la maison de mon oncle, la maison du frère de mon père, et j'ai finalement découvert pourquoi ma famille avait été envoyée dans un camp de prisonniers. Mon oncle nous a dit que s'il avait vécu avec ma grand-mère à la place de mon père, c'est sa famille qui aurait été envoyée au camp de prisonniers. C'était parce que mon grand-père avait apparemment disparu pendant la Guerre de Corée. Les Coréens du Nord pensaient qu'il était parti en Corée du Sud. Donc, on nous a tous envoyés au camp de prisonniers. C'est après ma libération que je l'ai appris.
    Comme je l'ai dit, j'avais un fils et une fille, et je suis allée vivre à P'ungsan, chez la soeur de ma mère. Mais on ne peut pas vraiment vivre trop longtemps avec sa parenté, alors j'ai essayé d'obtenir mon indépendance. J'ai trouvé un petit logement pour ma famille et j'ai commencé à faire un peu de colportage pour gagner ma vie. Je colportais du tissu et des biens manufacturés entre différentes villes de la région.
    J'allais parfois faire du colportage dans une autre ville. En 2003, pendant que j'étais partie, mes enfants ont été emportés par une inondation qui a frappé la ville où ma famille vivait. Je les ai cherchés partout. J'ai traversé la Corée du Nord pour voir si mes enfants étaient vivants ailleurs au pays. Je ne les ai pas retrouvés. Pendant ces recherches, je me suis blessée à la jambe, alors je ne pouvais plus me déplacer. J'ai rencontré un passeur qui m'a dit que si j'allais en Chine, j'y trouverais de la nourriture et du travail.
    Peut-être devrais-je parler de ma défection lors d'une autre séance.
    Elle aimerait prendre une pause, parce qu'à partir de maintenant elle va raconter sa vie comme réfugiée en Chine. Alors peut-être pourriez-vous poser des questions maintenant.
    Procédons comme prévu, Mme Kim peut nous parler de son expérience en Chine.
    Bien. Merci.
Mme Hye Sook Kim [Traduction de l'interprétation]:
    Le 13 août 2005, j'ai suivi une femme pour me rendre en Chine. Nous sommes passées par Musan et nous avons offert des pots-de-vin aux gardes-frontières. La passeuse et les gardes coopéraient. Les gardes m'ont dit qu'ils m'enverraient chez des gens d'origine coréenne en Chine. Je suis certaine qu'ils recevaient de l'argent de ces Chinois, et les gardes de sécurité, bien sûr, sont ensuite retournés en Corée du Nord.
    J'ai complètement changé de vêtements une fois arrivée en Chine. On m'a fait monter dans une auto pour m'amener quelque part. Je suis arrivée à un restaurant entre Zhongping et Houdidong. Lorsque je suis entrée dans le restaurant, j'ai vu deux jeunes femmes, l'une de 27 ans et l'autre de 24 ans. Elles venaient aussi de quitter la Corée du Nord pour la Chine le même soir que moi.
    Le lendemain, des Chinois d'origine han sont venus acheter des transfuges, et ils ont immédiatement acheté les deux jeunes femmes. Le Chinois qui m'accompagnait m'avait demandé de dire que j'avais 37 ans, mais les Hans qui sont venus pour m'acheter ont dit que j'avais l'air d'avoir plus de 50 ans et qu'ils n'étaient pas intéressés à m'acheter. Le lendemain, d'autres sont venus pour acheter des transfuges nord-coréens, mais ils ne voulaient pas m'acheter.
    Les Coréens ont commencé à me faire travailler dans le restaurant. J'avais peur de me faire attraper par la police chinoise, alors j'ai essayé d'adopter l'accent et la prononciation chinois. Je faisais du très bon travail dans ce restaurant chinois, et ils m'appréciaient, je crois.
    Ils voulaient élever des porcs avec les restes de nourriture. À cette époque, les porcs d'élevage coûtaient entre 15 000 et 18 000 unités de monnaie nord-coréenne, et il y avait une grande différence avec le prix en Chine. Il était plus économique d'obtenir des porcs en Corée du Nord qu'en Chine, alors ils m'ont renvoyée en Corée du Nord pour aller en chercher afin qu'ils puissent les élever au restaurant. Les propriétaires du restaurant ont parlé avec les gardes-frontières et ils m'ont renvoyée en Corée du Nord afin d'aller acheter 10 porcs au marché pour les ramener en Chine.
    Ils m'ont ensuite renvoyée une autre fois pour acheter cinq autres porcs. J'allais revenir en Chine lorsqu'ils m'ont demandé de retourner chercher cinq autres porcs. Mais il n'y avait plus de porcs au marché alors j'ai dû attendre en Corée du Nord. C'est là que la police nord-coréenne m'a attrapée. Je n'avais rien qui pouvait prouver mon identité puisqu'on m'avait pris tous mes papiers à mon arrivée en Chine, alors je ne pouvais pas prouver qui j'étais.
    Ils m'ont emmenée dans l'un de leurs bureaux, et j'ai été détenue et sous enquête pendant une semaine. Après une semaine, on m'a envoyée au département de la sécurité de Musan. Lorsque je suis arrivée là-bas, j'ai vu qu'il y avait d'autres transfuges, deux autres personnes amenées au centre de détention avec moi. L'une avait 24 ans et l'autre 53.
    Les gardes savaient que j'avais été dans une autre région pendant une semaine et nous ont demandé si nous avions de l'argent. Ils ont essayé de prendre l'argent que nous avions. Parfois, on cachait de l'argent dans l'utérus d'une femme et ils le prenaient de force. En Corée du Nord, la seule façon de survivre est d'avoir de l'argent. J'avais environ 10 billets chinois, et lorsqu'on les roule très serré, ils ont à peu près le diamètre d'un doigt. En les enroulant dans du plastique, il est possible de les avaler si vous arrivez à supprimer les haut-le-coeur. J'ai avalé cet argent. J'ai avalé quatre paquets d'argent chinois et j'en ai également inséré quatre dans mon vagin parce que je voulais survivre.

  (1330)  

    Au centre de détention, on nous a dit de nous lever et nous accroupir à répétition pour faire tomber l'argent que nous aurions pu avoir sur nous. Moi, j'ai été épargnée, car j'ai passé environ une semaine au centre de détention avant d'arriver au ministère de la sécurité. Les agents de sécurité ont toutefois trouvé de l'argent sur les femmes qui ont été emmenées avec moi au ministère de la sécurité de Musan, les femmes de 53 ans et de 24 ans.
    Ce jour-là, la femme de 24 ans était menstruée. Dans les pays avancés, les femmes disposent de serviettes sanitaires jetables, mais en Corée du Nord, on se sert de chiffons parce que c'est tout ce qu'on a. Les gardes cherchaient de l'argent, bien sûr, et quand ils ont fouillé cette femme, je l'ai vue souffrir quand ils ont tenté de retirer l'argent de son utérus.
    Quand on a avalé de l'argent, il est douloureux de manger. Certains refusaient donc de manger. Les gardes les battaient pour les forcer à manger malgré les efforts qu'ils faisaient pour ne rien avaler afin de ne pas perdre l'argent qu'ils avaient ingéré.
    Pendant que j'étais au centre de détention, j'ai dû faire des selles à quatre reprises. Au centre de détention, la toilette est derrière une cloison qui ne cache que cette partie du corps, pas la tête. Quand on évacuait de l'argent avec ses selles, les gardes pouvaient le saisir. Évidemment, l'argent garde l'odeur des excréments. Mais si on réussit à cacher l'argent, on le ravale pour pouvoir le garder.
    Le 3 novembre, j'ai été envoyée au centre provincial de détention. J'avais encore l'argent que j'avais réussi à cacher sur moi, soit environ 47 000 wons nord-coréens. Les autorités du centre provincial de détention ont pris la moitié de mon argent et j'ai pu garder l'autre moitié pour m'acheter à manger pendant mon séjour là-bas.
    J'ai passé trois mois au centre provincial de détention avant d'être renvoyée au camp numéro 18.
    J'avais déjà été mise en liberté, mais j'ai quand même été renvoyée à ce camp. J'y suis retournée le 25 janvier de l'année suivante. J'avais été libérée en 2002, mais j'y ai été renvoyée en 2008. Entre-temps, les choses avaient changé un peu au camp de prisonniers. Il y avait davantage de bâtisses. Mes frères et mes soeurs m'ont envoyé de la nourriture pendant que j'étais dans ce camp. Je n'ai pas pu les voir, mais j'ai reçu la nourriture qu'ils m'envoyaient. Mes frères et mes soeurs m'ont ainsi aidée pendant les 20 jours que j'ai passés dans ce camp.
    La situation s'était détériorée dans le camp par rapport à 2002. J'y ai revu une dame que j'avais connue là dans le passé. Elle avait autour de 43 ans; son mari était mort dans un accident minier au camp de prisonniers. Par suite du décès de son mari, elle a dû aller travailler dans les mines. Elle obtenait une ration de riz pour elle-même et pour son fils de 16 ans avec qui elle vivait. Un jour qu'elle était au travail, son fils affamé a mangé tout le riz. À son retour, la femme en colère a frappé son fils avec une hache et il en est mort. Elle a ensuite vendu la chair du corps de son fils en la faisant passer pour du porc.

  (1335)  

    J'ignorais alors qu'elle avait tué son fils, je l'ai appris plus tard quand j'ai reçu un colis de sa part, et que j'ai vu les globes oculaires encore attachés à la chair et que les responsables du camp m'ont dit ce qui s'était passé. Étant donné que cette femme était une meurtrière, elle a été envoyée ailleurs, j'ignore où.
    Il y a eu d'autres incidents semblables au camp. Quand la fille de neuf ans d'une agricultrice de 38 ans s'est mise à faire une forte fièvre, sa mère a décidé de la tuer pour la manger pour ensuite se suicider. Elle a fait bouillir sa fille dans de l'eau et s'est mise à manger sa chair avec le peu de sel qu'elle avait. Voyant de la fumée s'échappant de la cheminée, les gardes sont allés voir ce qui se passait. Je suis presque certaine que cette femme a été exécutée.
    C'est là le genre de souffrance dont j'ai été témoin dans ce camp. J'ai été envoyée dans une autre région après six mois environ. J'étais toujours blessée à la jambe; on m'a donc envoyée travailler dans une des cafétérias où j'ai fait de l'entretien et diverses autres choses.
    L'une de mes tâches consistait à faire le ménage du restaurant. Je me suis rendu compte que tôt le matin et tard le soir, quand je faisais l'entretien du restaurant, personne ne me surveillait. J'avais encore de l'argent caché en moi. Le 2 mars, j'ai décidé de m'enfuir malgré le froid et malgré le fait que je n'avais que des chaussettes, pas de chaussures. Mes chaussettes ont gelé et mes pieds aussi.
    J'ai couru le long des routes que je reconnaissais et dont des gens m'avait parlé dans les camps de prisonniers. J'ai trouvé quelqu'un qui m'a ramenée en Chine et, une fois en Chine, j'ai été vendue comme je l'avais été la première fois à un Chinois d'origine coréenne.
    Cette fois-ci, j'ai été vendue à un Chinois han, mais je ne voulais pas rester en Chine de crainte d'être prise de nouveau. Des passeurs m'ont demandé si je voulais aller en Corée du Sud. Cela m'est apparu comme une bonne idée et j'ai commencé à planifier mon voyage vers la Corée du Sud.
    Je suis d'abord allée au Laos pour planifier ma fuite vers la Corée du Sud. Nous étions un groupe de six à bord d'un bateau quand des soldats laotiens se sont mis à tirer sur nous. Moi et mes compagnons à bord du bateau avons mis en commun notre argent pour le donner aux soldats pour qu'ils nous laissent passer.
    À bord de ce bateau, j'avais comme compagne une femme de 43 ans et qui avait été rapatriée sept fois en Corée du Nord. C'était l'hiver quand nous avons quitté la Corée du Nord, mais cet été-là a été très chaud au Laos. La femme a mis sa main dans l'eau qui semblait si chaude, mais un crocodile l'a mordue et ne voulait plus la lâcher. Les autres à bord du bateau, craignant qu'elle ne fasse chavirer le bateau, ont décidé de la sacrifier. Environ cinq heures plus tard, nous avons atteint la Thaïlande, où nous avons pu nous enfuir.
    Mon fils et ma fille que j'ai perdus dans les inondations sont constamment dans mes pensées. Je sais que je ne dispose que de peu de temps, mais j'aimerais vous lire une lettre que j'ai écrite à mon fils et à ma fille qui ont été emportés par les eaux.
Il n'y a pas un seul instant où je ne pense pas à vous. Je suis certaine que vous aussi, vous pensez à votre mère et que là où vous êtes, vous me cherchez probablement. Je souffre depuis que je vous ai perdus. Je vous ai cherchés dans tout le pays, mais je n'ai eu aucune nouvelle. J'ai donc quitté la Corée du Nord. Je suis si triste, mon fils, ma fille, je suis désolée de n'avoir pu vous trouver.

J'ai quitté la Corée du Nord et ces souffrances, mais je regrette tant de n'avoir jamais pu vous donner un bol de riz chaud pendant que nous vivions ensemble. Chaque jour, je pense à vous et je pleure. Où que vous soyez, j'espère qu'un jour, nous serons réunis.
    Merci beaucoup.

  (1345)  

    Merci beaucoup.
    Un député de chaque parti posera une question. Si les membres du comité le permettent, je crois que nous devrons dépasser un peu 14 heures pour accommoder tout le monde, même si chacun n'a que cinq minutes pour sa question. Je présume que tout le monde est d'accord.
    Je cède la parole à M. Silva.
    Merci, monsieur le président.
    Permettez-moi d'abord de vous offrir mes condoléances pour la perte de vos proches et ma solidarité envers vous et le grand peuple de la Corée du Nord qui doit supporter la très dure réalité de la vie sous une dictature militaire centralisée.
    Vous nous avez fait un récit déchirant de votre incroyable histoire. Nous avons ressenti votre angoisse et votre douleur. C'est l'un des témoignages les plus incroyables et les plus tragiques que notre comité a entendus.
    Nous vous remercions de votre témoignage, car les Canadiens et les parlementaires en savent très peu sur la situation en Corée du Nord. Cette dictature centralisée est complètement fermée au reste du monde. Nous comptons donc sur des gens comme vous qui ont été témoins des événements horribles qui y ont cours. Le fait que vous témoigniez ici, au Parlement, vous permet d'attirer l'attention sur les atrocités commises en Corée du Nord. Tous les Canadiens vous sont reconnaissants de leur transmettre ces informations.
    Je suis certain que, à l'issue de la présente réunion, nous conclurons tous que votre témoignage a été la partie la plus importante de la séance d'aujourd'hui. Je suis heureux que vous ayez pu poursuivre votre récit jusqu'à la fin. C'est une histoire si effarante, nous ne savons trop par quelle question commencer.
    Vous avez longuement décrit votre expérience en prison. Vous avez bien décrit la vie quotidienne dans les camps de prisonniers, et c'est révoltant. Dites-moi, dans les camps de prisonniers, sépare-t-on les enfants des femmes et des hommes? Les prisonniers politiques sont-ils traités différemment des autres? Tous les prisonniers sont-ils logés ensemble dans un même camp, sans distinction aucune? Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails? Je suis désolé de devoir vous faire revivre ces souffrances, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus? Les Canadiens veulent en savoir davantage, car nous en savons si peu sur cette société fermée.
Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    Le camp numéro 18 était dirigé par le ministère de la Sûreté, alors que le camp numéro 14 était celui du ministère de la Sécurité. Au camp numéro 18, les familles n'étaient pas séparées. Elles pouvaient rester ensemble. Des hauts fonctionnaires du gouvernement vivaient aussi dans le camp. Il y avait un dortoir pour les personnes seules aussi.
    Dans ce camp, j'ai vécu avec mes parents, avec ma famille. Il y avait des écoles et des garderies où j'ai pu laisser mon enfant quand je suis devenue mère. Il y avait des écoles pour les enfants des prisonniers et des écoles distinctes pour les enfants des fonctionnaires.
    Au camp numéro 18, les familles n'étaient pas séparées.
    Avez-vous constaté que les prisonniers politiques étaient traités différemment des autres ou est-ce que tous les prisonniers étaient traités aussi durement et cruellement?
Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    Tout le camp numéro 18 se trouve dans une région minière. Alors toutes les personnes, même si elles ont fait des études supérieures par le passé, travaillent dans les mines. Tout le monde travaille dans les mines. Toutes les personnes développent donc des maladies pulmonaires, et si cette maladie devient grave, on vous sort des mines pour vous envoyer travailler sur les chantiers de construction, peut-être à construire ou réparer les maisons des dirigeants.
    Personne n'est respecté dans sa dignité, personne.
    Si vous travaillez dans les mines, vous obtenez un peu plus de rations, et ceux qui ne travaillent pas dans les mines reçoivent environ la moitié de ce que ceux qui travaillent dans les mines reçoivent.
    Au sujet des gardes de sécurité et des mécanismes de sécurité, moi, j'ai passé 20 ans dans cette prison sans savoir ce que j'avais fait de mal pour m'y retrouver. Mais si vous ne faites que demander pourquoi vous êtes là, cela est considéré comme une infraction aux règlements et comme de la désobéissance. Vous serez battu, et dans les cas les plus graves, vous serez fusillé. Alors vous ne pouvez même pas demander pourquoi vous êtes là, et c'est la même chose pour tout le monde. Tout le monde est victime de passages à tabac et de punitions sans aucune raison.
    Parfois il y avait de très jeunes prisonnières qui arrivaient dans les camps, et les dirigeants et les fonctionnaires bien sûr les harcelaient et les abusaient sexuellement. Si cela venait à être su, la jeune femme se faisait envoyer dans un camp de travail encore plus difficile au sein de la prison. Encore une fois, les prisonniers du camps ne disposaient d'aucune liberté, nous devions obéir aux ordres des dirigeants.

  (1350)  

    Merci.
    Madame Deschamps, s'il vous plaît.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vais m'adresser à vous, en français, madame Sook Kim.
    Dans un premier temps, laissez-moi saluer le courage dont vous avez dû faire preuve au fil de ces années de souffrance et de grande douleur. À entendre votre témoignage, c'est difficile pour moi de m'imaginer comment cela a pu être difficile pour vous mais, dans mon coeur de mère, je vous rejoins beaucoup.
    Ici, assise auprès de nous, députés du Parlement canadien, quelles sont vos attentes envers nous? Du fait que vous ayez accepté de nous livrer vos commentaires, qu'attendez-vous du gouvernement canadien? Croyez-vous que celui-ci peut engager la Corée du Nord dans une démarche sur toute la question des droits humains?

[Traduction]

Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    J'ai plus de 50 ans maintenant, et je n'ai jamais entendu parler de droits de la personne en Corée du Nord, jamais. Personne en Corée du Nord ne sait ce que sont les droits de la personne.
    Quand nous sommes arrivés en Corée du Sud, j'ai suivi le cursus scolaire et je me suis intégrée dans la société coréenne. Bien sûr, j'ai essayé de cacher le fait que j'avais été dans un camp pour prisonniers politiques.
    Récemment, il y a eu une attaque de la Corée du Nord sur un navire de guerre sud-coréen et une île sud-coréenne. Je vois maintenant qu'il est nécessaire que les Coréens du Sud sachent mieux ce qui se passe en fait en Corée du Nord. Je pense que les pays du monde devraient aussi savoir quelles véritables atrocités se déroulent en Corée du Nord, alors que le pays essaie d'instaurer la troisième génération de son régime.
    Comme je l'ai dit, j'ai encore de la parenté dans les camps de prisonniers là-bas et je ne peux pas révéler ma véritable identité en public. Mais j'espère, en disant aux gens quelle est la situation en Corée du Nord, comment le gouvernement nord-coréen traite son propre peuple comme des ennemis, comment il le punit de façon si horrible... Je pense qu'il est de mon devoir de raconter au plus grand nombre de personnes possible ce que fait véritablement la Corée du Nord à son peuple.
    Je comparais devant le Parlement du Canada et le gouvernement du Canada parce que j'aimerais vraiment dire que le riz et l'aide que vous envoyez en Corée du Nord ne parviennent jamais à la population de toute façon. Toute la nourriture pour les animaux que vous envoyez, eh bien, elle va aux gens. La nourriture pour les animaux, pour les vaches, va à la population de la Corée du Nord.
    Quand je travaillais dans un restaurant de la Corée du Sud, en voyant tous les déchets rejetés par le restaurant, je me disais que si ces déchets étaient envoyés en Corée du Nord, eux parviendraient à la population de la Corée du Nord. En hiver, il fait terriblement froid en Corée du Nord et il n'y a absolument rien à manger. Je suis sûre qu'il y a encore plus de corps partout en Corée du Nord qu'à l'époque où j'y étais.
    J'espère seulement que mon témoignage ici peut aider les gens de la Corée du Nord, que j'aurai fait une petite différence.
    Une fois de plus, laissez-moi vous dire que quand vous envoyez de la nourriture pour le bétail, pour les chevaux et les poulets en Corée du Nord, c'est aux gens qu'elle va. Il faut avoir quelque chose dans le ventre pour survivre, alors je pense que l'aide alimentaire est sans doute la plus importante, mais il ne faut pas oublier quel type de nourriture reçoivent en fait les Nord-Coréens.

  (1355)  

[Français]

    Il reste trente secondes.
    Je vais céder la parole à quelqu'un d'autre.

[Traduction]

    Monsieur Marston, à vous, s'il vous plaît.
     Merci, monsieur le président.
    Je voudrais tout d'abord remercier M. Lee, président du Council for Human Rights in North Korea et représentant de la communauté coréenne dans son ensemble, plus particulièrement de celle de la région de Toronto, qui a facilité la présence des témoins ici aujourd'hui. Je pense qu'il est important d'entendre ces récits de vive voix, et nous sympathisons avec Mme Kim.
    L'une des choses qui m'ont frappé dans votre témoignage, et cela paraîtra peut-être curieux, c'est qu'en Corée du Nord, vous ne savez même pas ce que sont les droits de la personne. Cela doit vous donner le sentiment d'être terriblement isolés sur cette terre.
    Je voudrais aborder des choses que le Canada a déjà faites et dont vous n'avez peut-être même pas conscience. Avez-vous entendu parler de l'examen périodique universel de l'ONU sur le bilan national en matière des droits de la personne? Je vous laisserai répondre quand j'aurai fini.
    Dans l'examen de la Chine, le Canada a recommandé que la Chine prenne des mesures immédiates pour mettre en oeuvre les recommandations du comité de novembre 2008 contre la torture, particulièrement en ce qui concerne le renvoi dans leur pays des Coréens du Nord. L'examen périodique universel recommande l'application d'une obligation au titre de la Loi des Nations Unies sur les droits de la personne, soit la fin du recours à la détention arbitraire, des camps de travail et des punitions collectives; la coopération avec le Conseil des droits de l'homme de l'ONU; et l'accueil de la requête du rapporteur spécial qui souhaite se rendre en Corée du Nord, pour faire le point sur la situation et en faire rapport.
    Dans votre témoignage, vous avez parlé des exécutions. Je recommande que tout le monde voie le film The Crossing, qui montre comment les gens sont traités en Chine et en Corée du Nord, ce qui se passe quand ils fuient la Corée du Nord pour aller en Chine. Il y a une scène d'exécution particulièrement poignante. L'une des choses qu'a recommandées le Canada a été la cessation des exécutions publiques, de la torture et des punitions cruelles ou humiliantes. Dans votre témoignage, vous avez évoqué certaines de ces atrocités.
    Si je vous dis cela aujourd'hui, c'est parce que l'effort que vous faites en comparaissant devant un comité comme le nôtre aide à renforcer des convictions que nous avons déjà au Canada. Nous avons conscience de bien des choses qui ont lieu en Corée du Nord, même si nous n'en n'avons pas une expérience vécue comme vous et votre famille.
    Je voulais le souligner. Je suis sûr d'avoir utilisé une bonne part de mon temps à cet effet, mais j'estime important de montrer que le travail que vous effectuez équilibre le travail de l'ONU dans le cadre des examens périodiques universels. Notre comité a d'ailleurs examiné l'examen périodique universel du Canada lui-même en matière de droits de la personne.
    Je voudrais vous assurer que le Canada ne perd pas des yeux la situation sur le terrain là-bas. Si vous avez d'autres commentaires, je serais heureux de les entendre, mais sinon, je n'ai pas de question particulière pour vous.

  (1400)  

    Si je comprends bien, c'est M. Devolin qui va poser les questions.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous, madame Kim, d'avoir accepté d'être présente aujourd'hui.
    J'ai entendu ce type de témoignage à quelques reprises par le passé, de la bouche de réfugiés nord-coréens, et je reste toujours sans voix au récit des expériences que vous avez vécues. Je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui et de nous aider à sensibiliser le Canada et les Canadiens à la question.
    À l'écoute de votre témoignage, il y a une chose qui m'a particulièrement renversé, c'est qu'après les terribles expériences que vous avez vécues en Corée du Nord, quand vous êtes parvenue à vous échapper et à aller en Chine, vous avez fini par être renvoyée en Corée du Nord. C'est incroyable. Nous n'avons pas beaucoup d'influence, au Canada, sur le gouvernement de la Corée du Nord; mais nous avons des relations bien établies avec le gouvernement de la Chine. Nous sommes nombreux à penser que la Chine devrait traiter différemment et mieux les réfugiés de la Corée du Nord. Quand des Nord-Coréens s'échappent pour aller en Chine, ils devraient pouvoir se présenter devant les autorités chinoises comme des réfugiés. On ne devrait jamais les contraindre à retourner en Corée du Nord.
    Quand vous vous êtes échappée de la Corée du Nord pour aller en Chine, avez-vous même envisagé de vous présenter aux autorités chinoises et de dire que vous étiez réfugiée, dans l'espoir qu'on vous aiderait?
    En Chine, il y a beaucoup de policiers qui essaient de vous attraper, et à l'époque où j'étais là-bas, je ne parlais pas un mot de chinois. Quand vous voyez passer une voiture de police, en Chine... Il y a beaucoup de policiers qui vont de maison en maison à la recherche de transfuges nord-coréens. On encourage les gens à dénoncer les transfuges à la police, ils reçoivent 5 000 yuans pour une dénonciation, alors on ne peut pas vraiment se tourner vers la police pour avoir de l'aide. On se cache et on a peur, quand on voit une voiture de police passer. On vit dissimulé.
    On voit la police en Chine qui insulte les transfuges; quand les policiers nous attrapent, ils nous disent que nous leur causons trop de travail et que nous ne valons rien. Leur travail est d'attraper un autre transfuge et de le renvoyer en Corée du Nord. Ça leur rapporte de l'argent aussi, si bien que jamais ils n'aideraient des transfuges nord-coréens. Ils préfèrent nous capturer et nous renvoyer.
    Je pense que M. Hiebert avait une question.
    Merci de votre témoignage, qui était particulièrement bouleversant, je dois le dire.
    Pouvez-nous aider à nous faire une idée du nombre de personnes détenues dans un camp de concentration comme le numéro 18 ou du nombre total, si vous en avez une approximation? Combien de personnes vivent dans ces conditions, en Corée du Nord?
Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    En 2002, j'ai été relâchée et je suis allée en Chine, puis j'ai été renvoyée, comme je vous l'ai dit. J'ai aussi été au bureau de district, pendant un certain temps, et j'ai essayé de calculer le chiffre à un moment donné. À la fin d'août 2002, il y avait environ 20 000 personnes gérées dans cette zone, si on exclut les administrateurs et les membres de leur famille, il y avait environ 33 000 personnes, donc cela fait de 17 000 à 18 000 détenus environ dans les camps à l'époque.
    Juste dans le camp où vous étiez?

  (1405)  

Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    Je ne sais pas ce qui se passe dans les autres camps, je connais seulement le camp où j'étais. Ce sont les chiffres pour le camp numéro 18, où mes frères et soeurs se trouvent toujours. Il y avait entre 17 000 et 18 000 personnes dans le camp numéro 18.
    On pouvait voir le camp 14 de l'autre côté de la rivière, mais on ne savait pas combien de gens s'y trouvaient. C'était dans une région différente, aussi.
    Avez-vous une idée quelconque du nombre de camps de concentration comme celui-ci qui existent en Corée du Nord?
Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    Après avoir été relâchée, j'ai circulé et j'ai vu que le 14 et le 20 étaient sous la responsabilité du ministère de la Sécurité, et il y avait le 15 à Yodok et le 20 à Hoeryong.
    Les camps 17, 18, 19, 21 et 22 étaient dans une région qui relevait du ministère de la Sûreté.
    C'est tout ce que je sais.
    Dans votre récit, vous avez évoqué brièvement votre passage de la Chine au Laos. Comment êtes-vous parvenue là-bas?
Mme Hye Sook Kim (Traduction de l'interprétation):
    Le 4 mars, j'ai quitté Yanji, en Chine. Je ne connais pas vraiment le chinois; il y avait quelqu'un qui n'avait qu'une seule jambe et que nous avons suivi jusqu'à Tianjin. Il y avait beaucoup de transfuges, environ 6, qui se sont joints à nous à Tianjin, puis on nous a amené à Shandong. Là, quatre autres transfuges se sont joints au groupe. Grâce à des appels téléphoniques, tout le monde s'est réunit en groupe. On était 10 en tout.
    Après Shandong et Guanyun, il y avait un bus qui nous attendait. il y avait un groupe de six personnes qui attendaient notre arrivée depuis une semaine. En tout, c'était donc 16 personnes qui sont montées dans un camion réfrigéré, un peu comme les camions conduits par les soldats chinois. On nous a emmenés à la frontière où nous nous sommes cachés dans l'herbe haute jusqu'à la tombée de la nuit. Nous avons attendu environ deux heures. Les gardes frontaliers chinois nous ont dit qu'il fallait suivre un sentier précis et c'était la frontière entre la Chine et le Laos.
    Nous sommes montés à huit dans un bateau, un de ces bateaux en bois, et nous avons traversé la rivière. Il y avait des Laotiens sur l'autre rive. Nous avons suivi un petit sentier pendant peut-être deux ou trois heures pour entrer au Laos. Nous sommes descendus d'une montagne en suivant le sentier. Cela nous a pris deux ou trois heures.
    C'était une zone un peu désertique que nous avons traversée. Il nous a fallu environ une heure pour la traversée. Il y avait un gros rocher et nous nous sommes tous cachés à l'ombre du rocher. Il y avait un bateau. Tout le monde est monté dans ce bateau. Il y avait des bateaux à moteur hors bord et, environ cinq heures et demie plus tard, nous sommes arrivés en Thaïlande. On nous a juste déposés en Thaïlande. Les bateaux sont repartis à toute vitesse; les gens nous ont dit que s'ils étaient pris, ils seraient emprisonnés eux aussi.
    Une fois en Thaïlande, il y avait un courtier coréen, une femme, qui nous attendait. Elle nous a recommandé de partir chacun de notre côté en Thaïlande, après notre arrivée. Elle nous a dit que si nous disions « Korea » tout court, nous finirions à l'ambassade de la Corée du Nord; il fallait donc dire « San Korea », ce qui veut dire Corée du Sud.
    Nous ne parlions pas thaïlandais non plus, donc nous avons respecté ces indications. J'ai été envoyée en voiture vers une zone différente. J'ai dit aux gens que je voulais monter dans un avion à destination de la Corée du Sud. On nous a dit de payer 500 yuans par personne. Nous sommes arrivés à Bangkok, puis nous sommes allés dans une zone spéciale, un centre, où nous avons pu demander à être envoyés en Corée du Sud. Il y avait environ 280 personnes dans ce centre, qui attendaient d'être envoyées vers la Corée du Sud.
    Dans le bateau, le bateau à moteur hors bord que nous avons pris pour nous rendre en Thaïlande, je vous ai dit que le voyage avait pris environ cinq heures et demie, et c'est sur ce bateau qu'une personne a été happée par le crocodile.

  (1410)  

    Le temps dont nous disposions aujourd'hui est écoulé, si bien que je vais maintenant conclure en remerciant notre témoin, ainsi que les deux témoins qui reviendront jeudi, et les membres du comité qui étaient présents pour le témoignage et qui nous ont permis de dépasser un peu le temps prévu.
    La séance est levée.
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