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CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 045 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 30 avril 2015

[Enregistrement électronique]

  (0845)  

[Traduction]

     Mesdames et messieurs, bonjour. Bienvenue à cette séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Nous sommes le jeudi 30 avril 2015. Nous étudions le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence.
    Deux témoins comparaissent devant nous ce matin: Laila Fakhri et Richard Kurland, notre témoin favori, qui est avocat et analyste de politiques.
    Madame Fakhri, vous avez un maximum de huit minutes pour présenter votre témoignage. Merci de vous être déplacée.
     Mesdames et messieurs, bonjour. Je suis très heureuse d'être ici et d'avoir l'occasion de participer à cette discussion sur le projet de loi S-7, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares.
    Étant immigrante et travaillant avec des victimes de violence conjugale, j'ai constaté que certaines pratiques culturelles archaïques, comme les mariages forcés et les mariages d'enfants, empêchent les femmes d'exercer leurs droits, parce que ces pratiques sont en général associées à une violence et une oppression accrues.
    J'appuie le projet de loi à bien des égards, parce que je crois en l'égalité des droits de tous les hommes et de toutes les femmes dans l'exercice des activités politiques, économiques, culturelles, personnelles et sociales. Je tiens cependant à dire que, même si ce projet de loi contient plusieurs dispositions avantageuses, il comporte aussi de nombreuses failles. Je suis contre les pratiques culturelles barbares qui empêchent les femmes d'exercer leur droit à l'égalité.
    Nous avons besoin d'une politique aussi claire que le projet de loi S-7pour mettre fin à ces vieilles pratiques barbares au Canada et à l'étranger, parce que nous vivons au XXIe siècle et que les choses ont évolué, en particulier nos structures sociales.
    Nous devons élaborer une stratégie pour mettre un terme à toutes les formes de violence sexiste. Heureusement, au Canada, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les immigrants et les immigrantes ont le droit et la liberté de mettre en pratique librement leurs croyances religieuses. Malheureusement, certains immigrants continuent d'appliquer dans le domaine matrimonial une idéologie qui ne correspond pas nécessairement aux valeurs canadiennes et qui empiète peut-être même sur les droits et libertés des femmes. Sous prétexte d’une prétendue liberté, ces pratiques culturelles s'exercent aux dépens de la vraie liberté, du bien-être et du bonheur des femmes et des jeunes filles qui les subissent. Une liberté qui permet à des individus de se livrer à des pratiques culturelles traditionnelles qui oppriment autrui n'a rien à voir avec la liberté: c'est de la tyrannie.
    Il est moralement impératif d'appuyer le projet de loi S-7, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, afin de protéger les femmes qui ont grandi dans la société occidentale. Ces femmes risquent de se retrouver en conflit permanent avec leur famille, qui préférerait les soumettre aux pratiques traditionnelles. Elles risquent de subir d'énormes pressions pour céder aux souhaits de leur famille ou de leur communauté. Si elles vivent dans une famille rigoureusement orthodoxe, elles lui résistent au péril de leur vie. On a vu cette situation poussée à l'extrême deux fois au Canada: dans le cas des quatre femmes de la famille Shafia à Kingston, en Ontario, en 2009, et dans le cas de Masira Fazli à Ajax, en Ontario, en 2013. C'est sans parler de toutes les autres femmes qui ont été victimes de violence conjugale et qui continuent de l'être.
    Permettez-moi de citer quelques grands facteurs qui rendent les femmes immigrantes particulièrement vulnérables à la violence conjugale.
    D’abord, il y a la résidence permanente conditionnelle. Pour conserver la résidence permanente, la personne immigrante doit maintenir une relation conjugale avec celui qui la parraine et doit vivre sous le même toit, pendant deux ans. Le projet de loi ne corrige pas cette lacune. Si la femme immigrante ne remplit pas ces deux conditions, elle risque de perdre sa résidence permanente et de se faire déporter. Dans la plupart des cas, les victimes ne connaissent pas leurs droits et ne sont pas au courant des normes culturelles qui prévalent au Canada. En désespoir de cause, elles acceptent une relation abusive pour remplir cette condition.
    Ensuite, les femmes immigrantes dépendent financièrement de leur agresseur ou de leur conjoint. Je dois cependant souligner que le premier facteur est celui que l'on considère le plus complexe et c'est peut-être le plus susceptible d'accroître le risque de violence conjugale pour les femmes immigrantes. Même si j'appuie le projet de loi à bien des égards, j'insiste pour dire qu'il y a là une grave lacune.
    J'aimerais vous faire les recommandations suivantes pour remédier à ces carences. Premièrement, les personnes qui s'inscrivent au programme de parrainage devraient être obligées d'étudier une brochure sur les droits et libertés fondamentaux, en particulier les droits des femmes, et réussir un examen à leur sujet avant de pouvoir entrer au Canada.

  (0850)  

    Deuxièmement, les femmes immigrantes qui ne sont pas autonomes financièrement risquent de dépendre dangereusement de leur conjoint. Chez les femmes, ce type de dépendance financière a des conséquences comme la perte d'estime de soi, l'isolement et des problèmes de santé psychologique, mentale et sociale. On devrait obliger les femmes qui arrivent au Canada à suivre des cours de langue.
    En adoptant le projet de loi S-7, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, le gouvernement est tenu de créer de nouveaux programmes et services. Il faut aller plus loin. Si, en tant que Canadiens, nous croyons que notre pays est le chef de file mondial en matière de promotion et de protection des femmes, des droits des femmes et de l'égalité des sexes, que devons-nous faire pour traduire ces principes en action?
    La polygamie, les mariages forcés et les meurtres d'honneur sont des pratiques odieuses et barbares. Il est temps d'y mettre un terme. Ces pratiques ne font qu'ajouter à la violence conjugale.
    Loin d'être amorale, l'élimination de la violence sexiste est une démarche éthique. Pour faire disparaître ce fléau, le gouvernement canadien doit développer sérieusement ses programmes et services et sensibiliser les travailleurs de première ligne — policiers, médecins, thérapeutes et agents d'établissement — ainsi que le personnel judiciaire et l'ensemble de la population.
    Les femmes du Canada et du monde entier méritent de vivre sans crainte de violence et de mauvais traitement. Je demande à notre gouvernement de protéger les femmes contre les conséquences désastreuses des pratiques culturelles barbares dont elles sont victimes sur le sol canadien. Si le gouvernement est prêt à accepter des immigrants dans notre pays, il doit être prêt à leur enseigner les pratiques, les valeurs et les croyances qui sont culturellement acceptables ici, et à leur expliquer le droit canadien.
    Encore une fois, permettez-moi de vous exprimer à tous ma gratitude pour votre courage et votre appui. Ensemble, nous pourrons changer les choses.
    Merci.
    Merci de votre témoignage, madame Fakhri. Certains de mes collègues voudront sans doute vous poser des questions, tout à l'heure.
    Monsieur Kurland, nous sommes heureux de vous revoir.
    Je suis encore une fois très honoré de comparaître devant votre comité.
    Aujourd'hui, je souhaite vous parler d'un rapport de renseignements produit par la section chargée du renseignement sur les migrations, Division d'opérations et analyse du renseignement, Direction des opérations relatives à l’exécution de la loi et au renseignement de l’Agence canadienne des services frontaliers. Ce rapport contient des indicateurs de renseignement. Mon objectif, dans l'optique d'un système d'analyse factuelle, est de présenter au comité un rapport de renseignement qui justifie entièrement les orientations du projet de loi.
    Je n'ai que trois phrases à vous lire. Elles sont importantes. Ce rapport de renseignement de l'ACSF destiné à Immigration Canada, un de nos partenaires en application de la loi, fait état d'une tendance inquiétante. Je cite:
    Une autre tendance inquiétante est celle du mut'a — mot arabe désignant la joie et l'épanouissement du plaisir et du consentement, dans le contexte du mariage, et l'observance du contrat de mariage selon l'Islam —, qui consiste à acheter des femmes et à leur faire épouser de riches musulmans du Moyen-Orient et d'Afrique, le mariage étant conclu à des fins sexuelles pour une brève période et suivi d'un rapide divorce. Un article qualifie cette pratique de « tourisme sexuel musulman ». Elle a cours dans le sud de l'Inde, parce qu'elle y coûte trois fois moins cher que dans le pays des « maris ».
    Le rapport visait à mettre en garde nos ambassades du monde entier contre une forme de mariage frauduleux. Voilà quel était le but des services d'immigration.
    Quand j'ai lu ce document — qui a été obtenu légalement — je me suis dit que le comité étudiant le projet de loi devait être mis au courant de faits qui en justifient les orientations. Je suis sûr que l'ACSF serait heureuse d'éclairer votre lanterne à ce sujet; cependant, à mon avis, il n'y a rien de mal à ce qu'un projet de loi, en tant qu'expression des valeurs canadiennes, signale au monde ce que l'on ne tolère pas au Canada.
    Voilà qui conclut mes observations.

  (0855)  

    Merci.
    Monsieur Menegakis.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins qui comparaissent devant nous aujourd'hui.
    Ce projet de loi est très important pour notre gouvernement. À la suite du dernier examen, nous avons passé presqu'une année complète à chercher de quelle façon le système d'immigration du Canada pourrait mieux protéger les femmes et, madame Fakhri, je suis heureux de vous dire que la question de la résidence permanente conditionnelle a occupé une place considérable dans nos discussions. Il y avait aussi dans le rapport une recommandation importante voulant que l'on instruise les personnes immigrantes au sujet de leurs droits avant leur arrivée sur notre territoire, parce qu’en réalité, elles ne sont pas obligées de rester avec un conjoint violent. Il y a une multitude de ressources à leur disposition; cependant, nous avons découvert grâce à cette étude qu'elles ne les connaissaient pas. On recommande d'informer les gens au sujet de leurs droits avant leur arrivée pour qu'une fois ici, ils ne se sentent pas prisonniers de leur relation conjugale.
    En décembre de cette année, Antonio Guterres, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a fait adopter une initiative. Il a publié un communiqué soulignant 16 jours d'action contre la violence sexuelle et la violence faite aux enfants. Ces 16 jours d'action ont culminé par la célébration de la Journée internationale des droits de la personne, le 10 décembre. Cette année, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés s'est donné pour thème la protection des droits et la préservation de l'enfance ainsi que de la lutte commune contre le mariage des enfants. M. Guterres a pressé les gouvernements d'agir en disant, je cite:
    Nous devons intervenir auprès des gouvernements pour que le mariage des enfants soit interdit par la loi et pour que les lois adoptées soient véritablement appliquées.
    Je suis très heureux et très fier que notre gouvernement donne l'exemple à cet égard, car c'est une démarche que nous avons entreprise bien avant que M. Guterres ne lance son récent appel.
    Je me demande ce que vous en pensez. En particulier, est-ce que vous savez ce que font les autres gouvernements pour lutter contre ce problème, partout dans le monde? Car ce phénomène ne touche pas seulement le Canada; il touche d'autres gouvernements aussi.
    Peut-être pourriez-vous commencer, monsieur Kurland.
    L'action des gouvernements partout dans le monde, est un sujet trop vaste pour moi, malheureusement.
    Chaque pays exprime ses valeurs dans son régime de droit. Chaque système judiciaire national prévoit les peines correspondant aux actes prohibés. C'est là que l'on passe aux choses sérieuses, si j’ose dire. Dans les sociétés occidentales, l'une des règles fondamentales de l'organisation sociale, c'est que tout est permis, sauf ce qui est interdit. À cause de cette pierre angulaire de l'organisation sociale, certains pays ont du mal à régler le problème qui nous intéresse, et je ne parle pas des théocraties.
    Alors, quelle limite certains pays occidentaux ont-ils fixée? Depuis 20 ans, dans les sociétés européennes occidentales, la question de savoir comment on peut débusquer, coincer et punir les auteurs de ces pratiques est devenue une patate chaude. On peut faire mieux, mais l’important n'est pas tant la peine, la sanction que prévoit le projet de loi canadien. L'important est d'envoyer un signal aux autres pays, notamment ceux d’Europe de l'Ouest, qui se débattent avec ce problème, mais qui refusent de regarder les choses en face, et je pense ici à la France.
    Maintenant que le Canada décide d’engager le fer sur le terrain des valeurs, et ce, face au monde entier selon moi, pour affirmer ce qui sera toléré et ce qui ne le sera pas, je crois que notre pays sera considéré comme un modèle par les autres, notamment ceux d'Europe de l'Ouest, de la même façon que les pays d'Europe de l'Ouest et d'Asie le considèrent comme un modèle pour ce qui est du régime et du droit de l'immigration. Voilà la prochaine étape.

  (0900)  

    Madame Fakhri, j'aimerais aborder le titre du projet de loi, parce que certains membres de l’opposition s'objectent à l'inclusion du mot « culturelles » dans ce titre. Le titre, comme vous le savez, est Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. Nous soutenons que le mot « culturelles » ne renvoie pas à une culture en particulier. D'ailleurs, nous avons constaté que certaines dispositions du projet de loi touchent un éventail de communautés différentes.
    Nous voulons signaler clairement que nous ne tolérerons pas ici, au Canada, des pratiques culturelles qui sont barbares. On ne peut pas élever des enfants chez nous pour les forcer ensuite à retourner dans le pays de leurs parents, parce qu'on les a promis en mariage à quelqu'un. Ils arrivent là-bas à l'âge de 14 ans et, surprise, ils se retrouvent tout à coup mariés. Nous soutenons qu'il s'agit de pratiques barbares. Ces pratiques s'observent dans quelques communautés culturelles, pas une en particulier, mais plusieurs. Nous voulons que cela soit aussi évident dans le titre du projet de loi.
    Croyez-vous que ces pratiques, qui ont des racines culturelles, sont effectivement barbares et qu’on doit les criminaliser?
    Pour moi, en tant qu'immigrante issue d'une communauté culturelle — je viens d'Afghanistan — qui fréquente beaucoup de personnes immigrantes, il est clair que ces pratiques ont encore cours. Nous devons communiquer un message sans équivoque. Même si le titre peut sembler un peu brutal, nous avons besoin d'un titre clair affirmant qu’il existe une « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares », afin de signaler clairement aux gens quelles sont les réalités d’aujourd’hui. Voilà les principes du Canada, voilà les valeurs du Canada en ce qui concerne les droits des femmes et leur égalité.

  (0905)  

    Nous devons continuer. Notre temps est limité. Je le regrette.
    Madame Blanchette-Lamothe, c'est à vous.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je voudrais remercier les témoins de leur participation aujourd'hui à l'étude du projet de loi S-7.
    Je veux commencer en disant que la controverse autour de ce projet de loi ne porte pas sur la question de savoir s'il existe ou non des pratiques barbares envers les femmes. Je vous assure que tout le monde autour de cette table est d'accord pour dire qu'il y a des pratiques barbares et inacceptables envers les femmes ici, au Canada, et probablement dans tous les pays. Bien sûr, il y a certaines pratiques qu'on trouve plus fréquemment dans d'autres pays. Le débat autour du titre n'a pas trait au fait qu'il y a ou non des pratiques barbares.
    Il est certain que nous devons lutter contre ces pratiques. Nous sommes tous et toutes d'accord là-dessus. La violence faite aux femmes, quelle que soit la forme qu'elle prend, est complètement inacceptable. Nous devons faire tout en notre pouvoir pour l'arrêter et pour atteindre l'égalité des sexes, comme vous l'avez dit.
    Il est important de recadrer un peu l'opinion des gens de ce comité par rapport à la violence faite aux femmes. Là où nous ne sommes pas d'accord, c'est sur la façon la plus efficace de lutter contre ce genre de violence faite aux femmes. C'est sur cela que porte le débat par rapport à ce projet de loi.
    Madame Fakri, vous avez expliqué un peu plus tôt certains éléments de vulnérabilité des femmes. Ces éléments font en sorte qu'on peut plus facilement retrouver dans leur entourage certains types de violence, comme le mariage forcé. Vous avez souligné à plusieurs reprises la dépendance financière. Cela semble être un élément important pour vous. Or il n'y a rien dans le projet de loi S-7 qui traite de ce problème.
    Récemment, le comité a fait une étude sur la vulnérabilité des femmes dans notre système d'immigration. C'est un élément qui est ressorti, mais depuis la publication du rapport, il n'y a toujours rien concernant cet élément.
    Comme vous travaillez en première ligne avec les femmes, quelles mesures concrètes proposeriez-vous pour améliorer l'égalité liée à l'indépendance financière entre les hommes et les femmes nouveaux arrivants?

[Traduction]

    Comme nous le savons, la question de la violence conjugale est très compliquée, et nous sommes tous conscients que ce n'est pas seulement un problème culturel. Elle a cours dans toutes les cultures, dans toutes les sociétés, et ainsi de suite.
    Dans mon travail auprès des victimes de violence conjugale, j'ai vu des femmes arriver ici, des femmes qui avaient été parrainées et qui étaient au Canada depuis un an ou deux, et qui ne savaient toujours pas comment prendre un autobus ou composer le 911. Leurs maris ne sont pas sur l'aide sociale et ils ont des moyens. Elles ne vont pas à l'école — on leur interdit d'aller à l'école — et elles n'ont personne sur qui elles peuvent compter.
    Une sur cent pourrait avoir de la chance et trouver quelqu'un — une voisine ou une inconnue — qui donnera un coup de téléphone à sa place et qui lui permettra de demander de l'aide.
    Je crois que, dans toute démarche de parrainage où une femme vivant à l'étranger est parrainée par son mari ou son conjoint, il y a une période d'attente de deux ou trois ans avant que l’on règle son dossier et qu’on la laisse entrer au Canada. Si on donnait à cette femme une brochure rédigée dans sa langue et qu'on lui disait de l'étudier, en l'avertissant qu'on l'interrogera à ce sujet lors de l'entrevue, elle arriverait au Canada informé, elle saurait quel pays elle choisit et quels sont ses droits dans ce pays. Je crois que cela change les choses, quand on sait qu’il existe des services.
    J'ai entendu tant de femmes dire qu'elles ne savaient pas qu'il existait des services et que, si elles l'avaient su, elles auraient quitté leur conjoint bien avant. Mais elles arrivent ici, elles entrent au Canada, et elles restent sous la domination de leur conjoint.

  (0910)  

    C'est pareil du côté financier. Le fait que ces femmes dépendent de leur agresseur, qu'elles dépendent financièrement de la personne qui les a parrainées, c’est un grave problème. Ces femmes n'ont jamais eu accès à de l'argent, n'ont jamais eu de compte en banque. Nous devons les prendre par la main pour leur montrer comment ouvrir un compte en banque. Elles n'ont jamais eu leur propre compte en banque.
    Voici les mesures qu'il faut prendre pour éliminer certains facteurs de violence conjugale, notamment en travaillant avec les agents d'établissement. Pendant au moins deux ans, ceux-ci devraient faire un suivi obligatoire des nouveaux arrivants et rencontrer les femmes régulièrement sans leur mari. Nous devons trouver le moyen de renseigner toutes les femmes et tous les enfants qui sont victimes de ces situations. Les femmes arrivent dans un pays inconnu. Elles n’y connaissent personne. Elles n'ont personne vers qui se tourner. La seule personne qu'elles connaissent, dans certains cas, c'est celle qui les a parrainées.

[Français]

     C'est très intéressant. Merci beaucoup.

[Traduction]

    J'espère que l'on tiendra compte de tout cela au moment d'adopter le projet de loi.

[Français]

    C'est une chose que nous voudrions voir.
    Nous sommes un peu déçus de débattre d'un projet de loi comme le projet de loi S-7 alors que, selon nous et comme vous l'avez mentionné, il y a des mesures très concrètes qui pourraient aider les femmes vulnérables. Ces mesures se trouvent dans le dernier rapport ou dans le rapport complémentaire soumis par le NPD sur la vulnérabilité des femmes.
    Très brièvement, parce que je ne dispose que de très peu de temps, seriez-vous d'accord pour dire que l'un des problèmes qui caractérisent les mariages forcés et la violence envers les femmes en général, c'est celui du silence? Nous devons trouver des façons d'encourager les femmes à dénoncer ces situations. Si elles ne le font pas, nous ne pouvons pas par la suite punir les coupables. La première étape est de s'assurer qu'elles ont tous les moyens pour dénoncer ce genre de violence tel que le mariage forcé.

[Traduction]

    C'est certainement une question très importante, mais nous devons trouver moyen de lui donner le courage d'appeler à l'aide. Elle a peut-être peur de se faire déporter. Elle subit peut-être des pressions de la part de sa famille. Elle ne sait peut-être pas comment s'exprimer, où s'adresser, quel numéro composer ou comment obtenir de l'aide.
    C'est facile à dire, qu'elle devrait demander de l'aide, mais ce n'est pas facile à faire quand on est à sa place, parce qu'elle arrive dans un nouveau pays, un pays dont elle ignore la langue, où elle ne sait pas quels sont ses droits, où elle n'a même pas l'argent voulu pour prendre un autobus jusqu'au prochain arrêt ou pour appeler un taxi; voilà les obstacles qu’elle doit surmonter.
    Merci.
    Allez-y, monsieur McCallum.
    Merci, monsieur le président.
    Je salue les témoins.
    Monsieur Kurland, votre témoignage au sujet de la mut'a m’a frappé. Cependant, comme nous sommes essentiellement d'accord sur le fond du projet de loi, j'aimerais me concentrer sur des questions plus techniques, afin d'améliorer le texte qui est devant nous.
    La première question est la possibilité d'être déporté pour cause de polygamie. L'un des témoins qui vous ont précédé a déclaré que les tribunaux n'ont pas établi une définition claire de la polygamie. Je crois que cela représente un risque, parce que, quand on dit aux gens qu'on les déporte au motif qu'ils ont commis une infraction, mais qu'on ne définit pas cette infraction, on est sûr de s'attirer des ennuis.
    Voici ce que j'aimerais savoir. Aux fins de ce projet de loi en particulier, plutôt que d'une manière générale, pourrait-on avoir une définition de la polygamie comme motif de déportation, ce qui apporterait plus de clarté au projet de loi? Cela pourrait avoir des inconvénients, mais je me demandais si vous aviez une opinion à cet égard.

  (0915)  

    Oui monsieur, tout à fait.
    Comme vous avez une opinion sur presque tout, je ne suis pas surpris.
    Par rapport à cette question, j'ai justement abordé les points que vous soulevez au cours des derniers jours. D'abord, la possibilité de mise en application, à l'intérieur et à l'extérieur du Canada. Je crois que le premier objectif pourrait bien être d'empêcher les indésirables de traverser la frontière canadienne. Comme je m’attendais à votre question — cela arrive — j'ai devant moi la Gazette du Canada, partie II, volume 149, numéro 8, datée du 1er avril 2015. Il s'agit d'un règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette modification autorise la délivrance d'une autorisation de voyage électronique. L'intérêt de cette disposition est d'amener le voyageur qui veut venir au Canada à communiquer ses renseignements personnels par Internet. Si l'on constatait qu’il a plus d'une épouse, son dossier ferait automatiquement l'objet d'un examen approfondi et l'AVE pourrait ne pas être délivrée.
    Mais voilà où le bât blesse. Jusqu'à nouvel ordre, notre politique étrangère autorise l'admission temporaire de personnes qui sont officiellement polygames, à condition qu'elles promettent de ne pas pratiquer la polygamie pendant leur séjour au Canada. Eh bien, j'espère que votre question générera littéralement des centaines de millions de dollars de recettes pour le Trésor canadien, parce que, comme mesure corrective, je propose de compléter le régime d'AVE par une disposition permettant de traiter le voyageur étranger de la même façon que l'on traite quelqu'un qui s’est rendu coupable d’ivresse au volant. Pour la somme de 400 $, on délivrerait un permis de résidence spécial libérant temporairement le voyageur polygame de son interdiction de séjour. Cela permettrait à ces gens — les millions sinon les centaines de millions de personnes qui pratiquent la polygamie — d'entrer au Canada et d'y séjourner temporairement sans contrevenir à nos règles sur l'immigration, et cela nous permettrait à nous de toucher 400 $ par tête.
    Je crains que cela ne soit communiqué une fois au Canada. Comment expulser du Canada les gens qui contreviendraient à une loi qui, il faut l'admettre, aura un effet rétroactif? Je me pose beaucoup de questions à ce sujet. C'est un talon d'Achille, dans la mesure où l’on ne précise pas de date de péremption. À partir de quand ces dispositions vont-elles s'appliquer, et seront-elles rétroactives ou non?
    D’accord, je pense que vous avez implicitement proposé une définition: si vous êtes marié à plus d’une personne. Mais la définition est parfois plus large. Je me demande si nous sommes opposés à cette pratique en raison d’un principe supérieur. Ce serait correct si vous nous payez 400 $. C’est un autre problème.
    Mais je ne veux pas manquer de temps. J’ai une autre question, qui concerne la provocation comme moyen de défense, et je pense que ça envoie peut-être un mauvais message. J’ai deux suggestions à soumettre à vos commentaires. Premièrement, on pourrait supprimer la provocation comme moyen de défense. Je pense que ça dépasse le champ d’application du projet de loi. Deuxièmement, si on ne peut pas faire ça, dans ce cas, à l’heure actuelle, certains crimes mineurs comme le vol ou le méfait sont inclus, mais, au lieu de ça, on pourrait dresser une liste de crimes plus graves et violents qui tomberaient sous le coup du projet de loi au lieu de couvrir large comme c’est le cas maintenant.

  (0920)  

    Je préfère la clarté à la généralité quand il s’agit de l’efficacité de notre système juridique. J’ajouterais une liste précise des activités connues.
    L'hon. John McCallum: Oui.
    Merci.
    Monsieur Kurland, vous êtes avocat criminaliste. Je ne sais pas si vous avez le projet de loi sous les yeux. Je lis l’article 8 et je ne suis pas sûr de très bien le comprendre, mais peut-être que vous pouvez m’aider. Le projet de loi interdit d’emmener une personne à l’étranger dans l’intention de la marier contre son gré si elle a moins de 18 ans. Mais la nouvelle disposition relative à une personne mariée contre son gré au Canada ne semble pas prévoir de limite d’âge.
    Pourquoi y a-t-il une limite d’âge dans le cas d’une personne contrainte à se marier à l’étranger? Voilà une première question.
    La deuxième est la suivante. Est-ce que ça veut dire que, si la personne a 18 ans ou plus, les personnes qui l’ont emmenée à l’étranger pour l’y marier de force ne sont plus coupables d’une infraction?
    Je pense que les rédacteurs ont tenu compte des autres éléments du droit canadien: le mariage au Canada relève des lois provinciales. Ces lois prévoient des limites d’âge. Ce ne serait donc pas nécessairement une bonne idée de prévoir un âge minimal à l’échelle fédérale. Ça pourrait être considéré comme une ingérence dans les compétences provinciales.
    Il ne serait pas nécessaire, pour exécuter l’intention du Parlement telle qu’elle s’exprime dans le projet de loi, de prévoir un âge minimal quand cet âge est déjà indiqué clairement dans les lois provinciales.
    Cette réponse est satisfaisante.
    Monsieur Leung, vous avez la parole.
    Merci au témoin.
    Monsieur Kurland, j’aimerais simplement vous rappeler que le projet de loi S-7, à l’article 2 de la partie 1, où est proposé le nouveau paragraphe 41.1(1), précise ce qu’est la polygamie et que, dans le nouveau paragraphe 41.1(2), il en donne une interprétation, mais nous y reviendrons.
    Ma question porte sur la formation dont ont besoin les travailleurs de première ligne et sur l’exécution des dispositions du projet de loi par ces mêmes personnes. Nous avons des agents d’immigration à l’étranger, nous avons les employés des Services frontaliers du Canada aux bureaux d’entrée et nous avons, sur notre territoire, nos propres agents d’immigration ainsi que des policiers municipaux, provinciaux et fédéraux (GRC). Compte tenu de la formation des agents d’application de la loi, le projet de loi prévoit-il les moyens d’appliquer ses dispositions relatives à ces questions, comme le mariage forcé ou le mariage d’enfants? Comment le projet de loi le permet-il, ou, pour poser la question dans l’autre sens, comment peut-on faire mieux? J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.
    L’élément vital du programme d’immigration du Canada est précisément cette question: peut-on faire mieux? En fait, grâce à des gens dévoués d’un bout à l’autre du pays, du point de vue stratégique, et à des intervenants externes, l’expérience alimente le système et nous faisons effectivement mieux. Nous avons fait des progrès depuis 20 ans, et, aujourd’hui, le Canada est doté du meilleur programme qu’il ait jamais eu. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Ce projet de loi nous offre plus de moyens de recueillir de l’information. Nous allons nous tourner vers les intervenants externes, les groupes qui se soucient de la violence faite aux femmes dans ce pays. Dans le cas des intervenants externes sur la côte du Pacifique, où les collectivités sont directement touchées par cette pratique, le système permettra de recueillir des renseignements et de les communiquer aux agents d’application de la loi, comme, entre autres, l’Agence des services frontaliers du Canada. Et, quand les preuves seront là, les sanctions s’abattront.
    Ce qui est bien, dans ce cas, c’est qu’il ne semble pas nécessaire de prévoir de ressources supplémentaires pour passer à l’action. C’est simplement un autre scénario bien circonscrit qui permet aux agents d’application de la loi d’intervenir quand les éléments seront réunis. Du point de vue de l’application de la loi, nous avons circonscrit une pratique. On n’a pas besoin de ressources supplémentaires. Ça touchera principalement les femmes de tout le pays, et de façon très positive.

  (0925)  

    Donc, il est correct de dire que ça concerne tous nos travailleurs de première ligne qui ont affaire à ce problème et que ça aide à…
    Oui, avec un atout important en plus, dont on a parlé tout à l’heure. Il faut accélérer les choses du côté de la collecte d’information. On a besoin de plus de ressources pour permettre aux femmes qui, semble-t-il, vivent dans des foyers où la burqa leur est imposée et dont elles ne peuvent pas partir. Elles sont mises à l’abri, couvertes. Ça ne va pas. Il faudra peut-être déplacer des pions sur le plateau de l’établissement pour pouvoir tenir compte du scénario qu’on vient de mettre au jour.
    Je m’adresse à vous, madame Fakhri. Vous avez dit que l’un des meilleurs instruments est de fournir des renseignements, du counseling et, je dirais, une sorte de surveillance maternelle aux femmes délivrées d’un mariage forcé, etc.
    Comment s’y prendre quand on a affaire à un type de famille culturelle où les liens sont très étroits. Vous avez dit que, quand une épouse est amenée ici, il n’y a aucun moyen d’y avoir accès. Il n’est pas possible de lui fournir de l’information, surtout si elle vient d’une culture étrangère, qu’elle est illettrée et qu’elle n’a pas le droit de sortir de chez elle. Que suggérez-vous?
    Comme vous le dites, c’est vraiment très compliqué. Il faut trouver un moyen d’entrer en contact ou de le rendre obligatoire comme les cours de langue sont obligatoires. Les cours de langue seraient un bon moyen pour les travailleurs qui s’occupent de l’établissement des immigrants d’avoir accès à ces populations.
    D’autre part, si ces gens arrivent au Canada en sachant un peu où ils mettent les pieds et en quoi leur vie va changer par rapport aux us et coutumes de leur pays d’origine, je crois que ça compterait. Comme je l’ai dit, on devrait leur distribuer un petit guide dans leur propre langue. Pendant qu’ils attendent que la procédure d’immigration se conclue, ce serait le bon moment pour qu’ils étudient et examinent ça. Des questions devraient leur être posées à ce sujet au moment de l’entrevue. Par exemple: « si vous avez un problème comme celui-là au Canada, que feriez-vous? » La femme en question pourrait bien s’en souvenir plus tard: « Oh, avant de venir au Canada, on m’a dit que ces services sont disponibles. Je peux les appeler. » Savoir, c’est pouvoir. Une fois que vous savez…
    Comme vous l’avez dit, il s’agit peut-être de trouver le moyen d’entrer en contact. Je crois que c’est par le biais des travailleurs qui s’occupent de l’établissement des immigrants. Si ce travailleur est une femme, ça comptera, de même que les rencontres régulières. Ça devrait faire partie de l’entente de parrainage quand une personne est amenée au pays, ce sont des exigences, et elles doivent être respectées.
    Je vous remercie.
    Madame Mathyssen.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à nos témoins d’être ici. Nous apprécions le fait que vous ayez pris le temps de venir nous voir. Nous voulons évidemment que notre rapport soit précis et utile et qu’il nous permette de nous orienter dans ce projet de loi.
    J’ai deux ou trois questions. Elles découlent de votre témoignage et de ce que nous ont dit d’autres témoins.
    Par exemple, la semaine dernière, un jeune avocat nous a parlé des mariages polygames. À la question de savoir combien il y en a au Canada, la réponse a été anecdotique. On ne semble pas le savoir vraiment. Mais, s’il y a effectivement ce genre de relations au Canada et s’il y a menace d’expulsion, le répondant ou le mari pourrait simplement divorcer de sa deuxième femme. Ça la mettrait, je pense, dans une situation très précaire. On se demande ce qui arrivera à ces femmes et à leurs enfants.
    Compte tenu de ce genre de conséquences, avez-vous connaissance des craintes de femmes qui pourraient être expulsées, pour elles-mêmes et pour leurs enfants? Deuxièmement, ont-elles des craintes sur le plan financier? Se demandent-elles, par exemple, où elles vont aller et craignent-elles d’être marginalisées par rapport à leurs familles ou simplement reniées par elles?

  (0930)  

    En effet. Beaucoup de femmes m’ont dit qu’elles craignaient d’être expulsées. Je dirais que, culturellement parlant, elles ne veulent pas qu’un membre de leur famille aille en prison. Elles seraient séparées de leur communauté, pas seulement de leur famille, mais de toute leur communauté, et tout ça.
    On peut aussi voir une autre catégorie de femmes. Une femme informée se conduit différemment. Une femme qui connaît ses droits, qui est un peu occidentalisée, dira: « Ça m’est égal, c’est mon droit, j’ai besoin de faire valoir mon droit. » Celle qui n’est pas informée, elle, tremblera comme une feuille en disant: « Qu’est-ce que je vais faire? Il a menacé de me faire expulser. Il va me renvoyer dans l’autre pays. » On peut voir combien la peur vient effectivement de l’ignorance. Cette femme-là ne sait pas qu’elle a des droits.
    Vous avez parlé de la menace brandie par le répondant, qui donne à penser que la non-conformité à la réglementation ou tout écart de conduite de la part de la conjointe parrainée pourrait mener à son expulsion. Vous avez parlé de résidence permanente conditionnelle. Souhaiteriez-vous que ça ne fasse plus partie des pratiques au Canada?
    Si on peut trouver une meilleure solution pour faciliter la vie des femmes, ce serait mieux.
    En termes de services, vous avez dit que nous n’avons pas assez de services et qu’il en faut plus pour les femmes. Pensez-vous notamment à du logement sûr et abordable?
    Ce sont des exemples que je n’ai pas mentionnés pour gagner du temps. Quand une femme quitte un conjoint violent, elle passe par des difficultés énormes pour pouvoir rester longtemps dans un refuge. Les refuges ne peuvent les recevoir que durant six à huit semaines, et, pour la plupart, c’est encore plus court. Il y a une très longue liste d’attente pour les logements. Même si nous essayons d’obtenir un logement prioritaire, c’est impossible.
    Dans certains cas, la femme passe par des difficultés telles qu’elle se dira qu’il vaut mieux rester dans la relation abusive. L’argent qu’elle reçoit des services sociaux ne suffit même pas à couvrir les frais d’un logement à une chambre à coucher. Le plus souvent, elle partage un logement ou loue un sous-sol, et bien souvent, elle n’a pas accès à du crédit. Personne ne veut lui louer de logement parce qu’elle est mère monoparentale et parce qu’elle n’a pas de revenu.
    Le logement est un énorme problème pour les femmes qui fuient une relation abusive.

  (0935)  

    Je vous remercie.
    Monsieur Shory.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
    Monsieur Kurland, quand vous avez parlé de mariage mut'a, vous m’avez rappelé ma faculté de droit en Inde. Je me souviens d’un de nos cours obligatoires, qui portait sur la loi sur le mariage hindouiste, et l’autre portait sur le droit musulman.
    À l’époque, nous étions jeunes et nous avions tendance à rire un peu en étudiant ce mariage mut'a. Pour dire la vérité, nous pensions que ce n’était pas vrai. Comment peut-on se marier avec quelqu’un pour quatre heures, trois heures, trois jours ou deux jours? Nous pensions que, après ça, les gens étaient automatiquement divorcés. Aucune responsabilité, rien de ce genre.
    Je suis très impressionné que l’ASFC ait ainsi approfondi l’étude de toutes les lois et qu’elle ait découvert ce terme.
    J’ai deux ou trois questions. D’abord, du point de vue de l’immigration, c’est-à-dire du risque d’abus, est-il possible que ce droit mut'a soit invoqué? Ensuite, très rapidement, car le président ne me laissera pas dépasser mon temps de parole, selon votre perspective d’avocat, j’aimerais que vous nous parliez de l’application de la loi et de l’utilisation des engagements à ne pas troubler l’ordre public contre les personnes qui facilitent un mariage forcé ou un mariage de mineur.
    L’engagement à ne pas troubler l’ordre public est un moyen qui s’ajoute à un arsenal permettant de protéger les Canadiens et les résidents permanents. Je ne sais pas au juste pourquoi on ne l’a pas utilisé auparavant.
    Quant à l’effet du mariage mut'a, il serait très malheureux de constater que des Canadiens et des résidents permanents s’adonnent à cette pratique à l’étranger. Ce rapport est expurgé en gros blocs, et j’en laisserai un exemplaire ici aujourd’hui. Il pourrait être intéressant de chercher à savoir si les parties caviardées portent effectivement sur les liens entre cette pratique et des Canadiens ou des résidents permanents, et c’est pourquoi elle fait partie des usages à surveiller parmi les mariages de commodité, qui est une catégorie de l’immigration au Canada.
    Concernant l’application de la loi et l’expulsion des conjointes se trouvant dans des situations conjugales difficiles, la première question qu’il faut se poser est de savoir comment elles se sont retrouvées là. Si la femme risque d’être renvoyée du Canada, probablement à cause de fausses déclarations, le mari est tout aussi fautif.
    Concernant l’information et la technologie, oui, en effet, le problème est la relation de pouvoir. Une des deux personnes est informée, l’autre non. C’est facile à régler. Il suffit que le parrainage comporte l’obligation de donner accès à quelque chose qui s’appelle un ordinateur portable. Et je dois dire avec fierté qu’il y a un modèle en l’occurrence à Vancouver, dont la municipalité a offert un accès gratuit au Wi-Fi aux résidents de la ville. Avec un ordinateur portable et l’accès gratuit au Wi-Fi, un travailleur s’occupant de l’établissement d’immigrants ou un groupe de parrainage peut expliquer à une personne comment accéder à Internet — et le problème de l’information est réglé.
    Est-ce que j’ai un peu de temps?
    Non, je suis désolé.
    À vous, monsieur Eglinski.
    Merci, monsieur le président. Merci également aux témoins d’être venus.
    Monsieur Kurland, j’ai aimé votre intervention. C’était bref et à propos.
    J’ai travaillé dans la police pendant un certain nombre d’années, et il est arrivé, dans des affaires concernant des immigrants, et même parfois des Canadiens, qu’on utilise le moyen de défense de la provocation. Beaucoup de gens ayant commis un meurtre ont essayé d’obtenir un verdict d’homicide parce que, à moins qu’ils aient utilisé une arme, il n’y a pas de limite à la peine.
    Ils font valoir que le comportement de la victime les a incités à perdre le contrôle d’eux-mêmes et à tuer. À l’heure actuelle, tout comportement de la victime, y compris les insultes ou d’autres formes de comportement offensant, peut servir de moyen de défense, mais la modification limiterait ce moyen de défense pour qu’il ne soit pas possible d’invoquer le comportement de la victime, qu’il soit perçu comme insultant ou autre chose par l’accusé. Seul un comportement qui équivaudrait à une infraction criminelle grave pourrait être considéré comme une provocation.
    Pourriez-vous nous donner votre avis sur cette importante disposition? Pensez-vous qu’il soit juste que des problèmes renvoyant à une question d’honneur soient considérés et jugés par le biais du moyen de défense de la provocation? Merci, monsieur.

  (0940)  

    Oh la la, pas de frou-frou, droit au but. Voilà qui aborde directement un problème concret. Je vais donc en revenir à un point de vue plus global. Pourquoi les autres pays n’adoptent-ils pas cette perspective? Le Canada est le modèle. Je crois que vous avez mis le doigt dessus, très franchement, sans détour. Ou, pour le dire autrement, oui, c’est la bonne décision législative, qui permettra de priver d’un moyen de défense possible des gens qui devraient être incarcérés pendant longtemps pour leurs actes.
    Juste pour donner suite, je me souviens d’un cas, il y a une vingtaine d’années, où un homme d’origine étrangère — le couple était d’origine étrangère — était totalement et complètement convaincu d’être dans son droit, et je suis bon juge des caractères.
    Maintenant, pouvez-vous me dire comment on aborde ce genre de personne? Il n’avait pas d’excuse. Il n’y a pas d’excuse. Il n’y a pas de bonne provocation, mais il était ignorant, ou peut-être faut-il inverser le scénario et dire que c’est elle qui était ignorante.
    C’est seulement une observation.
    Eh bien, c’est pour ça qu’on a des jurys.
    Il serait insultant de placer cet état d’esprit dans la catégorie des personnes qui ne comprennent pas la nature et le sens de leurs actes.
    Puisque nous parlons de faculté de droit et de l’époque des cours de droit pénal, comment traitez-vous les idées qui animent une personne qui va commettre un acte terrible? Cette question renvoie aux objectifs fondamentaux de notre système de justice pénale en termes de résultats. Ce projet de loi vise un certain résultat de la façon qui convient. Dommage qu’on n’y ait pas pensé il y a 20 ans, quand vous avez eu à traiter votre affaire.
    En effet, ça aurait été beaucoup plus facile.
    Madame Fakhri, la semaine dernière, un témoin comme vous, M. Tahir Gora, PDG et directeur général du Canadian Thinkers' Forum, a déclaré que de nombreuses personnes critiquent l'intitulé du projet de loi, le qualifiant de tendancieux, mais que son groupe aime appeler un chat un chat et considère que la violence faite aux femmes est un acte véritablement barbare et qu'il faut s'y attaquer vigoureusement, car le mariage forcé, la polygamie et le crime d'honneur sont des réalités vécues quotidiennement dans le monde sous couvert de pratiques culturelles.
    J'aimerais connaître votre position quant au caractère adéquat des termes utilisés dans ce projet de loi.
    Seulement le titre?
    Ce qui concerne « les pratiques barbares ».
    Je crois que c'est une question qu'il faut résoudre et qu'on lance ainsi un signal clair.
    Le message est bon, alors?
    Je suis d'accord, oui.
    Que c'est un bon message clair...
    Merci.
    Je crois que le temps est écoulé.
    Je tiens à remercier Mme Fakhri et M. Kurland.
    Madame Fakhri, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir faire votre exposé. Ça nous a été très utile.
    Monsieur Kurland, vos exposés ne sont jamais ennuyants. Je les apprécie toujours.
    Je vous remercie beaucoup tous les deux.
    La séance est suspendue.

  (0940)  


  (0945)  

    Bien, nous allons reprendre la séance. J'aimerais vous présenter nos trois témoins dans cette deuxième partie de notre réunion. Ces trois personnes vont nous aider à étudier le projet de loi, ce matin.
    Mme Kamal Dhillon est l'auteure du livre, intitulé Black and Blue Sari. Mme Madeline Lamboley est doctorante en criminologie. Finalement, M. J. Michael Spratt est avocat au criminel pour le cabinet Abergel Goldstein and Partners.
    Bonjour, mesdames et monsieur.
    Nous allons commencer par vous, monsieur Spratt.

  (0950)  

    Chaque témoin a huit minutes pour faire son exposé.
    Je vais essayer d'utiliser tout le temps disponible.
    Merci de m'avoir invité à prendre la parole au sujet de cet important texte de loi pénale. Comme on vous l'a dit, j'exerce le droit pénal à Ottawa et je suis associé au sein du cabinet d'avocats Abergel Goldstein and Partners. J'ai déjà siégé au conseil d'administration de la Criminal Lawyers' Association. Je siège actuellement au comité législatif de cette organisation, et je suis vice-président de la Defence Counsel Association of Ottawa.
    J'ai représenté des personnes accusées de meurtre, j'ai pris part au processus d'engagement de ne pas troubler l'ordre public et j'ai plaidé dans des affaires où la provocation a été invoquée. J'ai l'habitude de comparaître devant le Comité de la justice et je suis heureux de témoigner devant vous aujourd'hui, bien que ce soit un peu étrange, étant donné qu'il s'agit d'un projet de loi qui concerne essentiellement le droit pénal.
    C'est un projet de loi qui, à mon avis, s'inscrit dans la tendance des autres projets de loi présentés par ce gouvernement, c'est-à-dire — selon moi — qu'il est conçu pour occulter des changements législatifs majeurs et pour limiter le débat. Dans ce contexte, je pense qu'il est important de détailler les conséquences de ce projet de loi sur notre droit pénal. En particulier, je veux parler de la provocation et des engagements de ne pas troubler l'ordre public.
    Actuellement, la provocation est régie par l'article 232 du Code criminel et prévoit la défense de provocation, qui, dans certains cas, réduit l'accusation de meurtre à homicide involontaire coupable. Il est essentiel de vraiment bien comprendre ce que veut dire le terme « provocation ».
    Lors de son témoignage, le ministre a passé des commentaires dans lesquels, à l'occasion, il comparait la provocation au meurtre prémédité. Du point de vue juridique, c'est complètement erroné. Pour qu'il y ait provocation, il faut qu'il y ait eu une action injuste ou une insulte qui suffirait à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser et qui ferait en sorte que cette personne agisse sous l'impulsion du moment, avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.
    La provocation reflète des circonstances atténuantes. Autrement dit, il s'agit d'une reconnaissance de la fragilité humaine. On reconnaît qu'un meurtre, même intentionnel, pourrait être atténué par la perte complète de sa maîtrise de soi et serait moins odieux qu'un meurtre intentionnel commis par une personne ayant des intentions rationnelles.
    Mais il y a des limites à la provocation. Le ministre nous a dit que les mesures contenues dans le projet de loi S-7 modifieraient le Code criminel de sorte que la conduite légale d'une victime ne puisse pas être considérée, d'un point de vue juridique, comme de la provocation. C'est déjà le cas. Le Code criminel prévoit clairement qu'on ne peut pas, d'un point de vue juridique, être provoqué par une personne qui fait quelque chose que la loi lui permet de faire ou que l'accusé l'a incitée à faire.
    Comme je l'ai dit, la provocation exige qu'un acte injuste ait été commis ou qu'une insulte ait été proférée qui suffirait à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Or, les crimes d'honneur, ce qui est censé justifier les modifications apportées à la notion de provocation dans ce projet de loi, ne répondent pas à ces critères. Nos tribunaux ont maintes et maintes fois rejeté la religion et l'honneur comme bases de définition de la provocation.
    La provocation, après tout, concerne le critère de la personne ordinaire. La Cour suprême a clairement affirmé dans l'arrêt Tran que la personne raisonnable, la personne ordinaire, souscrit aux normes de comportement contemporaines, y compris à des valeurs fondamentales comme la recherche de l'égalité. L'arrêt Tran, 2010 CSC 58, a en fait confirmé la déclaration de culpabilité pour meurtre qui avait fait l'objet d'un appel, où l'accusé prétendait avoir été provoqué par la vue de son épouse ayant des relations sexuelles avec un autre homme. Ce qui est clair comme de l'eau de roche, c'est que le fait que la défense de provocation finisse par être présentée ou non devant un jury dépend de l'apparence de vraisemblance de cette défense, aspect que les tribunaux étudient attentivement.
    Le ministre Alexander vous a dit que toute personne accusée de meurtre peut invoquer la provocation pour tenter de réduire la peine encourue à celle associée à l'homicide involontaire. Une telle affirmation est trompeuse et simplement fausse. La défense doit avoir un caractère vraisemblable pour être soumise à un jury.
    Le gouvernement soutient que les changements proposés dans le projet de loi S-7 sont nécessaires. Il a tout simplement tort. Le ministre s'est servi de l'affaire Shafia pour justifier ces modifications à la disposition relative à la provocation. Bien entendu, on connaît très bien les faits de cette affaire et on sait aussi très bien que la provocation n'a pas été soulevée dans l'affaire Shafia et que M. Shafia a été reconnu coupable de quatre chefs d'accusation de meurtre au premier degré.
    Qu'est-ce que nos tribunaux ont à dire au sujet de la provocation basée sur l'honneur? Eh bien, examinons le cas dont le ministre ne vous a pas parlé: la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Humaid, en 2006. Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré et dénoncé les crimes d'honneur dans des termes que même un spécialiste en immigration devrait être en mesure de comprendre.
    La cour a affirmé que même si on présumait que les croyances religieuses et culturelles d'un accusé sont contraires aux valeurs fondamentales canadiennes, comme l'égalité des hommes et des femmes, cela ne saurait satisfaire au critère de la personne ordinaire dans le cadre de l'enquête sur la provocation. La Cour d'appel est allée encore plus loin en qualifiant ces types de motifs non de provocation mais de mobile.
    Le témoignage que vous avez entendu fait état de trois défenses de provocation basées sur des critères culturels qui n'ont pas fonctionné. Le ministre vous a dit que cette défense a été invoquée dans plusieurs cas de crimes dits d'honneur au Canada. J'espère qu'il n'essaie pas ainsi d'insinuer que l'application de cette défense est chose courante. Ce serait là une fausseté irresponsable. On parle de trois occurrences à peu près.

  (0955)  

    Ce projet de loi fait plus que limiter l'application de la provocation aux crimes d'honneur. Si c'était là l'intention de ce texte de loi, il aurait sans doute fallu le rédiger en employant des termes plus précis.
    La Cour suprême vient juste de faire connaître sa décision dans l'affaire Nur: elle rejette les peines minimales obligatoires. Les motifs exprimés par le ministre renvoyaient à la volonté de cibler ainsi des situations factuelles précises, et le tribunal conclut que leur application est trop générale. Ce pourrait être la même chose ici, car le projet de loi S-7 s'applique à beaucoup plus de situations que la simple provocation basée sur l'honneur. Il interdit également l'application de la provocation à un éventail d'autres cas qui ont toujours été soumis à un jury jusqu'à présent. Les insultes racistes, les discours haineux, les erreurs de fait, toutes ces situations seront limitées du point de vue de la capacité de présenter une défense de provocation.
    On peut imaginer diverses situations où, dans ces circonstances, la provocation pourrait être soumise au jury — ne pas dire au jury d'accepter cette défense, mais de laisser ce dernier en juger.
    Imaginez le père d'une jeune fille qui s'est suicidée à cause de la cyberintimidation, qui a été victime d'agression sexuelle et de harcèlement en ligne. Imaginez ce père devant la tombe de sa fille au moment où l'ami du délinquant le défie en lui disant les choses les plus abjectes que personne n'oserait dire dans pareil lieu, des choses inhumaines, et crache sur la tombe de sa fille. En vertu du projet de loi, si le père avait une réaction violente, il ne serait pas en mesure d'invoquer la provocation, même s'il agissait sous l'impulsion du moment dans un accès de colère.
    Même si on associait un tel comportement avec des infractions comme la corruption des moeurs, le fait de rendre disponible du matériel sexuellement explicite, la corruption d'enfants, des actes indécents, l'exposition de ses organes génitaux devant une personne de moins de 16 ans, la violence contre des membres du clergé, le fait de troubler des offices religieux ou de funérailles, l'enregistrement et la distribution de renseignements, l'omission de remplir l'obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence, l'administration d'une substance délétère, des menaces de mort contre des animaux, l'incitation à la haine ou la promotion de celle-ci, le vol, la fraude et les méfaits, ce projet de loi ferait totalement obstacle à l'application de la défense de provocation.
    Cela témoigne peut-être du refus du gouvernement de lire la jurisprudence ou de son incapacité à comprendre que la vie peut être compliquée. Ce projet de loi va tout simplement trop loin et est trop vaste quant à la provocation.
    Maintenant, pendant le peu de temps qu'il me reste, j'aimerais parler des engagements de ne pas troubler l'ordre public. Ces engagements existent déjà. On pourrait faire valoir que l'article 810 traite déjà de ce que contient le projet de loi.
    Même s'il n'est pas nuisible d'ajouter un article au Code criminel pour cibler plus précisément ce que vise le projet de loi — et c'est là une préoccupation dont il faut décider avec soin, car plus le Code criminel grossit, plus il est difficile de le comprendre, et nous sommes censés savoir ce qu'il y a dans ce projet de loi —, il faut examiner attentivement ce qu'il va vraiment entraîner.
    Le gouvernement propose qu'une fillette de 14 ans prenne l'initiative de déposer une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public contre sa famille. C'est ridicule. Je suppose qu'un organisme extérieur tel que la Société d'aide à l'enfance pourrait intervenir et déposer la demande au nom de l'enfant, mais cette option existe déjà. L'organisme a déjà la compétence de retirer l'enfant de son milieu. Il peut déjà s'adresser à la police.
    Peu importe le mécanisme en place pour le dépôt d'une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public, la question n'est pas réglée pour autant dès le dépôt de cette demande. Ce qui lance le processus, c'est le fait de se rendre devant le tribunal et de prêter serment sur les documents justifiant la demande d'engagement. L'accusé est convoqué. L'engagement n'est pas imposé automatiquement. Nous avons encore une chose appelée le respect de l'État de droit, dans ce pays.
    Ensuite, une audience est fixée afin que l'affaire soit instruite par nos tribunaux sous-financés...
    Nous devons aller de l'avant, monsieur Spratt. Désolé, mais nous avons des délais à respecter.
    Je serai heureux de répondre aux questions à ce sujet, parce que c'est un enjeu important.
    Je suis certain que des questions vous seront adressées.
    Madame Dhillon, vous avez huit minutes à votre disposition.
    Je vous remercie de m'avoir invitée de nouveau.
    Je suis convaincue que le projet de loi S-7 sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares est un bon départ.
    C'est un grand honneur pour moi d'être ici. Comme vous le savez, je m'appelle Kamal Dhillon et je prends la parole à titre de témoin d'actes de violence. Je suis devenue la défenderesse des femmes qui, comme moi, ont fait l'objet de violence familiale.
    La dernière fois que j'étais devant vous, je vous ai fait part de mon histoire. Par la suite, j'ai écrit un livre, intitulé Black and Blue Sari, qui relate les 12 années et demie de mon mariage à un homme qui m'a agressée, torturée et menacée violemment et régulièrement.
    Dans le livre, je décris les événements éprouvants qui se sont déroulés dès le jour où j'ai épousé un homme apparemment chaleureux et charmant jusqu'au jour où notre mariage a pris fin. Sans entrer dans les détails, je vais vous en raconter quelques-uns.
    J'ai été brutalement violée par lui le soir de notre lune de miel. À partir de cette nuit-là, j'ai fait l'objet de mauvais traitements émotionnels, physiques, sexuels et financiers plusieurs fois par semaine. Il a même tenté de me tuer à plusieurs reprises. En raison de ces sévices corporels et de sa rage, je vis constamment avec la douleur. J'ai une mâchoire artificielle. J'ai subi 10 interventions chirurgicales à la mâchoire et d'autres sont à venir.
    Je porte des séquelles à vie en dépit du fait que mon époux soit décédé d'une mort violente il y a quelques années. Je suis toujours hantée par le souvenir de ces horribles sévices. Je suis une mère monoparentale de quatre enfants adultes en plus d'être la grand-mère de deux petits-enfants.
    L'une des raisons pour lesquelles je partage publiquement mon récit, c'est pour mettre un terme à cette épidémie bien cachée derrière des portes closes. On dit qu'un parcours de mille milles débute avec le premier pas. Il vaut la peine de remarquer que cette maxime s'applique autant aux longs trajets qu'aux courtes distances. Je suis pas mal certaine qu'on parle ici d'objectifs, de tâches, de projets et autres démarches. Je crois qu'on renvoie à tout ce qui exige d'une personne de faire le premier pas.
    Je félicite le gouvernement de faire les premiers pas pour abolir la violence faite aux femmes et aux filles, mais il faut admettre qu'il reste beaucoup de mesures à prendre pour ce qui risque d'être un parcours sans fin vers le respect et l'estime de soi. Pourtant, faire un pas, aussi petit soit-il, est tout de même mieux que de rester sur place.
    Je vous remercie de faire votre part à cet égard. Même si j'en ai envie, je ne critiquerai pas le gouvernement pour son inaction. En fait, je vous félicite de prendre des initiatives. Ça vaut certainement la peine d'y consacrer du temps. Je me joins à vous pour signifier une juste indignation face à quelques-unes des pratiques culturelles barbares que notre société a laissé percoler dans notre culture. Laisser faire, c'est approuver. Détester au plus haut point des pratiques que d'autres cultures admettent est une chose, intervenir face aux injustices en est une autre. La violence basée sur l'honneur n'a rien d'honorable, et les crimes d'honneur sont vraiment des meurtres.
    Je vais faire mon possible pour faire changer les choses pour les victimes de violence conjugale, même si c'est pour une seule à la fois. Si nous travaillons de concert, nous pouvons apporter des changements. Comme vous pouvez l'imaginer, il est très difficile de mesurer la véritable portée de la violence à l'égard des femmes, puisque la plupart des incidents de violence familiale et d'agression sexuelle ne sont pas rapportés.
    Quelqu'un comme moi qui a grandi dans ce pays n'a pas le droit de parler de ses sévices. C'était une question de fierté pour la famille. Pour plein de femmes qui immigrent dans ce pays, la langue est une barrière importante. Elles ont peur d'être déportées si elles parlent. En fait, elles ne savent même pas que des ressources sont disponibles. Les membres de la plupart des communautés ethniques sont très soudés et ils exercent beaucoup de pression sur l'épouse pour qu'elle reste avec son époux.

  (1000)  

    Malheureusement, quand une famille élargie partage un même logement, un grand nombre de ces immigrantes se font aussi maltraiter par d'autres membres de la famille. Dans la culture d'Asie du Sud, les immigrantes sont élevées dans la croyance qu'elles n'ont aucun droit. On va jusqu'à leur faire croire qu'elles pourraient même perdre la garde de leurs enfants. Dans notre culture, le mariage est considéré comme étant permanent, et nous devons nous soumettre à notre mari, quelles que soient les circonstances.
    Un autre signe de la violence conjugale est l'isolement, qui empêche la femme de sortir de chez elle et d'obtenir l'aide dont elle a désespérément besoin. La violence conjugale peut créer un sentiment de honte et d'embarras qui fait que les relations abusives restent cachées. Aucune victime ne veut admettre qu'elle se fait maltraiter. La violence que subissent les femmes nuit non seulement aux victimes, mais à leurs enfants ainsi qu'aux membres de leur famille, à leurs amis, à leur employeur et à leurs collègues. La maltraitance a également des retombées financières, sociales, psychologiques et elle nuit à la santé. De plus, le processus à suivre pour traduire les agresseurs en justice coûte cher.
    La maltraitance est un problème lié aux droits de la personne. Je suis une survivante qui a subi une violence extrême et de la torture aux mains de mon mari et de membres de sa famille élargie, et j'ai choisi de briser mon silence, d'en dévoiler le secret et de le divulguer pour vous décrire ce qu'est réellement la violence familiale et à quel point elle est grave. J'espère aussi que mon témoignage vous troublera tellement, vous enragera tellement que vous m'aiderez à apporter des changements positifs afin d'éliminer la violence familiale.
    Je voudrais voir un plus grand nombre d'hommes et de femmes s'unir pour lutter contre ces sévices. Si nous ne faisons rien pour contrer cela, j'ai bien peur que cette violence ne s'accroisse. J'ai bien l'impression que de nombreuses femmes maltraitées ont abandonné tout espoir pour leur avenir. Mon expérience de femme maltraitée m'a convaincue que nous devons prendre des mesures initiales en établissant des plans pour les femmes. Nous devons leur donner un peu d'espoir.
    Mais j'ai une question à vous poser. Comment protéger les jeunes filles et les victimes de plus de 16 ans, et qu'entendons-nous par tolérance zéro? Parlons-nous de probation ou d'une période de détention? Et comment traiterons-nous les récidivistes?
    Je vais conclure en vous remerciant de m'avoir invitée. Ensemble, nous pouvons transformer cette situation en positif. Je vous remercie du fond du coeur d'avoir pris cette initiative.

  (1005)  

    Merci de nous avoir fait cette présentation, madame Dhillon.
    Madame Lamboley, vous avez la parole pour huit minutes au plus. Merci d'être venue.

[Français]

     Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, bonjour.
     Je m'appelle Madeline Lamboley et je suis doctorante en criminologie à l'Université de Montréal. J'ai récemment déposé ma thèse de doctorat sur le mariage forcé de femmes immigrantes au Québec.
     Aujourd'hui, j'aimerais faire part de mon point de vue sur la criminalisation du mariage forcé. Je vous remercie de cette initiative.
    J'ai fait ma thèse de doctorat à partir d'une approche qualitative qui s'est construite autour d'entretiens de type « récit de vie » effectués auprès de 11 femmes âgées entre 18 et 50 ans, vivant, ayant vécu ou ayant été menacées d'un mariage forcé au Québec. J'ai complété cela avec 17 entrevues de type « récit d'expérience » menées auprès d'informateurs clés provenant des milieux de pratique de la police, de la justice, et du milieu social et communautaire.
    Durant la préparation de cette thèse de doctorat, je me suis demandé si la criminalisation spécifique du mariage forcé serait une solution.
    Il ressort de l'analyse de mes données que, malgré la grande vulnérabilité des victimes d'un mariage forcé vivant au Canada, pour le moment, la criminalisation spécifique de cette forme d'union conjugale ne paraît pas pouvoir être envisagée comme une solution.
    Pourquoi est-ce ainsi? Quatre raisons sont ressorties.
     Il faut comprendre avant d'agir. Plusieurs informateurs clés s'entendent pour dire qu'avant de criminaliser le mariage forcé, il est essentiel d'en comprendre tous les tenants et aboutissants et, en premier lieu, de s'entendre sur une définition commune afin de faire la même lecture de la problématique. Or, ce n'est pas encore le cas.
    Par ailleurs, il n'y a pour ainsi dire aucune donnée quantitative sur le sujet; on ne connaît pas son ampleur réelle. Les mariages forcés existent au Québec et au Canada, mais dans quelle proportion? C'est à cette question qu'il faudrait répondre avant d'entamer une quelconque démarche en vue de légiférer ou de prendre quelque autre mesure. Par ailleurs, il existe d'autres voies qui permettent de criminaliser les comportements néfastes qui découlent des mariages forcés.
    En effet, même si cela donnerait certainement plus de pouvoir d'action aux autorités, le Canada ne paraît pas prêt à prendre une telle mesure. D'ailleurs, est-elle nécessaire? L'État ne possède-t-il pas déjà toutes les ressources juridiques pour intervenir? Le Canada n'est en effet pas démuni pour faire face à cette problématique dans la mesure où il est possible d'intervenir judiciairement pour criminaliser les actions répréhensibles qui marquent grand nombre de situations de mariage forcé (menaces, agression, agression sexuelle, enlèvement, séquestration, mariage feint, extorsion, intimidation, voies de fait, meurtre, tentative de meurtre, et autres) sans toutefois leur être spécifique.
    Il reste une panoplie de situations plus insidieuses, déjà bien documentées, qui marquent la réalité des mariages forcés: exploitation, servitude domestique, voire même, dans certains cas extrêmes, esclavage. Ces situations sont beaucoup plus difficiles à faire valoir légalement, ou même socialement. Il faut renforcer les mesures législatives déjà en place.
    Je me suis demandé si, dans un contexte migratoire et en l'absence d'un instrument international de protection spécifique pour les victimes de mariage forcé, il serait pertinent d'envisager l'application du Protocole relatif à la traite des personnes. Le protocole a été ratifié par un grand nombre d'États, dont le Canada. Il prévoit de mettre en oeuvre des mesures en vue d'assurer la sécurité physique des personnes et d'examiner la possibilité de prendre des mesures législatives grâce auxquelles les victimes pourraient rester au pays de manière temporaire ou permanente. À défaut de sanction spécifique, le protocole serait une avenue possible de solution à explorer.
    Si la criminalisation spécifique du mariage forcé n'est pas envisageable ou souhaitable, pourrait-il être envisageable ou souhaitable, par exemple, que la condition forcée du mariage s'ajoute au contexte conjugal pour former un facteur aggravant des violences encourues qui pourrait comprendre la notion d'exploitation?
    On a des doutes quant à l'effet dissuasif d'une loi criminelle. Plusieurs auteurs, dont Mme Rude-Antoine et M. Neyrand, dont je partage l'avis, se sont questionnés sur la faisabilité d'une interdiction du mariage forcé. Les textes juridiques sont nombreux. Pour autant, on n'est pas convaincu de voir dans cette action législative une efficacité et une adéquation avec la réalité sociale de ces mariages forcés qu'elle prétend combattre.
    La difficulté du principe de cette démarche de pénalisation s'avère double. Il s'agit, en effet, d'une part de pouvoir identifier le moment du passage de la suggestion, que propose un mariage arrangé, à l'imposition que réalise un mariage forcé; et, d'autre part, d'éviter que la pénalisation, en stigmatisant les parents, les familles et leur culture d'origine, n'incite encore plus de jeunes filles à donner leur consentement malgré elles.
    Qui est visé par la criminalisation? Ce sont les parents, le mari, la belle-famille, la famille élargie et la communauté.

  (1010)  

     Depuis que certains pays européens ont criminalisé cela, combien de cas ont été mis en accusation ou abouti à une peine? C'est tout le défi que représente l'application d'une loi interdisant une pratique préjudiciable.
    La loi n'est pas inutile, mais l'éradication des mariages forcés exige davantage que l'approche judiciaire. De plus, ce serait peut-être un fardeau supplémentaire pour la victime. De surcroît, plusieurs personnes interviewées, tant des informateurs clés que j'ai rencontrés que des femmes, doutent de l'effet dissuasif d'une disposition criminelle spécifique pour les mariages forcés. Par ce moyen, la société canadienne affirmerait son désaccord face à une telle pratique, mais pourrait-elle dans la foulée assurer la protection des femmes qui en sont victimes? Bon nombre s'entendent plutôt pour dire que l'on stigmatiserait ainsi encore un peu plus les victimes dont le lot de vulnérabilité pèse déjà assez lourd.
    Le projet de loi S-7 dénote une prise de conscience de la part du gouvernement, que je salue pour cela. Toutefois, il manque de nuances et il pourrait avoir l'effet inverse de celui recherché et isoler un peu plus les victimes de mariage forcé, voire exacerber la violence dont elles font l'objet. Ce projet de loi ne s'appuie pas, selon moi, sur une bonne compréhension des enjeux complexes des violences faites aux femmes et aux enfants dans un contexte d'honneur.
    Si l'avenue de la criminalisation n'est pas ouverte à ce stade des connaissances, quelles sont les solutions possibles pouvant être mises en place ou simplement utilisées par le Canada et le Québec afin de venir en aide aux victimes?
    Le projet de loi prévoit que l'âge légal du mariage soit élevé à 16 ans, mais pourquoi ne pas l'élever plutôt à 18 ans, à l'âge de la majorité? Aussi, le mariage doit être célébré civilement. En France par exemple, le mariage doit être célébré civilement par l'autorité compétente avant d'être célébré religieusement. Ce serait peut-être une avenue à envisager. Il y a un problème lié aux célébrants, c'est-à-dire qu'un père ou une mère, en signant un formulaire, peut devenir célébrant. Cela pose beaucoup de difficulté.
    Il faut éduquer, former les milieux de pratique et sensibiliser plus largement la population. Il faut certainement offrir des services de soutien et mettre en place un plan d'action national favorisant le travail de concertation entre les institutions et les organismes communautaires. Il faut qu'il y ait un protocole de lutte contre les mariages forcés. On pourrait aussi mettre en place une cellule de recueil d'informations préoccupantes comme ce qu'a fait la France; avoir une politique...

  (1015)  

[Traduction]

    Je suis désolé de devoir vous interrompre, madame.
    Nous avons beaucoup dépassé le temps accordé.
    M. Shory a une question à poser.
    Merci, monsieur le président.
    Un grand merci aux témoins.
    Monsieur le président, je voudrais présenter une brève observation au sujet de ce que M. Spratt a dit lorsqu'il a mentionné la provocation.
    Bien entendu nous savons tous, monsieur le président, que la provocation est un moyen juridique de défense au Canada. D'un autre côté, le moyen de défense dont nous parlons dans le cas d'un crime d'honneur a été invoqué au moins trois fois au Canada. Les comportements provocateurs allégués dans ces causes étaient l'infidélité réelle ou perçue par le mari ainsi que l'autre comportement de la victime que l'agresseur avait perçu comme lui manquant de respect et le défiant, lui ou les membres de sa famille ou la culture de sa famille.
    Ces allégations ont été rejetées — et M. Spratt le sait aussi — parce que les preuves présentées ne suffisaient pas. Bien entendu, l'amendement qu'apporterait ce projet de loi moderniserait ce moyen de défense pour qu'il ne s'applique que si le comportement provocateur allégué s'avère objectivement grave, autrement dit s'il s'agit d'un délit criminel entraînant une peine maximale de cinq ans. Évidemment, cette réforme limiterait ce moyen de défense pour qu'il ne puisse plus excuser un meurtre commis pour un comportement provocateur légitime.
    On a beaucoup discuté du fait que ce moyen de défense a été rejeté parce qu'il avait été présenté dans le cadre d'un crime d'honneur commis ici au Canada. Bien que ce soit le cas jusqu'à présent, rien n'empêchera un tribunal de l'accepter à l'avenir. Le common law l'accepte peut-être, mais dans notre société actuelle, l'épouse d'un homme ne constitue pas un bien personnel. Nous devons reconnaître l'esprit de notre époque. Bien entendu, j'ai aussi entendu affirmer que nous disposons déjà de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. J'ai aussi entendu dire que nous n'avons pas besoin de ce projet de loi parce qu'il n'est pas absolument nécessaire. Mais dans le contexte de l'immigration potentielle — mariages forcés ou mariages précoces visant uniquement à permettre à quelqu'un d'immigrer — je crois que ces situations relèvent de la Loi sur l'immigration.
    Madame Dhillon, je reviens à vous parce que mon temps est très limité.
    Je suis convaincu que ce projet de loi transmet un message très clair aux personnes qui viennent dans notre pays, leur indiquant que les pratiques culturelles violentes et causant des torts ne sont pas acceptées au Canada. Elles sont incompatibles avec les valeurs canadiennes, et nous ne les tolérerons pas. Vous avez aussi entendu des témoins citer des critiques qui affirment que ce projet de loi n'est pas nécessaire, comme s'ils affirmaient que notre gouvernement crée un problème qui n'existe pas vraiment. Je ne suis pas d'accord avec eux.
    Qu'en pensez-vous? Pensez-vous que ce projet de loi n'est pas nécessaire?
    Je pense qu'il est nécessaire. C'est un bon début.
    Je voudrais qu'on applique des peines plus sévères. Je voudrais qu'on indique de façon retentissante aux agresseurs que pour nous, la « tolérance zéro » signifie bel et bien tolérance zéro. Je voudrais réellement voir qu'on aide mieux les victimes de plus de 18 ans. Une fois qu'elles sortent de l'école secondaire, que leur arrive-t-il?
    La semaine dernière, nous avons entendu un témoin, M. Tahir Gora. Il représentait le Canadian Thinkers' Forum, et je vais vous citer ce qu'il nous a dit:
    Les critiques s’en sont pris au titre du projet de loi, le qualifiant de tendancieux.

    Toutefois, notre groupe croit qu’il faut appeler un chat un chat. La violence envers les femmes est un acte de barbarie absolue. On doit s’y attaquer énergiquement. Des mariages forcés, des actes de polygamie et des crimes d’honneur se produisent tous les jours dans le monde entier, sous prétexte de pratiques culturelles. De telles pratiques culturelles ne devraient-elles pas être condamnées? Appeler un chat un chat ne devrait pas être un enjeu politique dans un pays comme le Canada, où les droits de la personne garantissent des droits égaux aux hommes et aux femmes.
    Êtes-vous d'accord avec lui, voudriez-vous faire un commentaire à ce propos?
    Non, je suis d'accord avec lui. Il a tout à fait raison.

  (1020)  

    La polygamie est une insulte aux valeurs canadiennes. J'ai été heureux d'entendre dire qu'elle est illégale depuis 1890, mais nous savons tous qu'en réalité, il s'agit encore d'une pratique honteuse dans un pays comme le Canada. De quelle façon ce projet de loi protégera-t-il les valeurs canadiennes et indiquera-t-il à ces collectivités que les Canadiens n'acceptent pas ces pratiques?
    Je crois que nous devons éduquer les gens. Je crois que bien des gens ne savent rien de ce nouveau projet de loi. Il faut donc mieux sensibiliser et éduquer les gens. Il faut que nous allions dans les écoles montrer aux étudiants quels sont leurs droits. Ils sont encore mineurs, ils n'ont que 16 ans, il faut les éduquer.
    Je crois que je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la connaissance qu'ont les gens de ce projet de loi. En fait la semaine dernière, je discutais avec un agent de police et, dans le cadre de ma responsabilité de député au Parlement, j'ai commencé à parler de ce problème de mariages forcés et précoces. Ensuite, j'ai mentionné notre examen du projet de loi S-7, mais il n'en avait pas entendu parler. Vous avez tout à fait raison à ce propos.
    Que devrions-nous faire pour que le public, et particulièrement les personnes qui risquent de subir ces sévices, prenne connaissance de ce projet de loi et de ce qu'ils peuvent faire pour l'appuyer?
    Je crois que nous devrions faire plus de sensibilisation. Je ne sais pas exactement comment le promouvoir et le faire connaître, mais il faut que des organismes et des intervenants en parlent pour mettre les gens au courant.
    Personnellement, je me rends dans les écoles et je parle des méfaits de l'intimidation et de la violence dans les cours d'école. Je sensibilise les gens. Je me souviens que dans une école, un étudiant m'a dit: « Madame Dhillon, si vous nous aviez dit ces choses il y a un an, j'aurais pu sauver deux de mes amis qui se sont fait tirer dessus ».
    Quand vous allez dans les écoles parler des mariages forcés et précoces, pensez-vous qu'une fois que ce projet de loi sera adopté et deviendra une loi du pays, il vous sera plus facile de faire comprendre aux étudiantes que c'est maintenant une loi et qu'elles peuvent désormais agir, qu'elles ne sont plus obligées de se rendre dans un pays étranger pour ramener un immigrant et peut-être devoir s'installer avec lui ailleurs?
    Je pourrais bien le faire, mais j'ai une question pour vous: s'il s'agit d'un mariage forcé, on ne leur dit probablement pas qu'elles s'en vont pour se marier. Une fois qu'elles se trouvent dans le pays étranger, disons en Inde, y a-t-il une loi qui les protège là-bas?
    Votre période de questions est expirée, monsieur Shory. Je suis désolé.
    Madame Blanchette-Lamothe.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins de participer à notre réunion d'aujourd'hui. Madame Dhillon, j'espère que vous entendez bien l'interprétation simultanée.
    Vous avez parlé un peu plus tôt de l'importance d'envoyer un message fort. Tous les gens autour de cette table s'entendent pour dire que la violence contre les femmes quelle qu'elle soit, y compris les mariages forcés, est inacceptable. Le débat porte plutôt sur la meilleure façon de combattre ce type de violence. Vous avez parlé de l'importance d'envoyer un message fort. Dans le dernier budget, qui a été présenté la semaine dernière, le seul montant d'argent destiné à promouvoir quelque message que ce soit était destiné à la promotion du budget des conservateurs et non pas à lutter contre la violence faite aux femmes.
    Vous dites avoir vécu pendant 14 ans dans une situation d'abus. Pendant ces années, vous aviez des droits en tant que femme. Qu'est-ce qui vous a vraiment aidé à briser le silence? Est-ce à cause d'un nouveau projet de loi? Qu'est-ce qui contribué à briser ce silence?

[Traduction]

     Je crois que ce qui m'a aidée à briser ce silence, c'est d'avoir quatre enfants, deux filles et deux garçons. Je ne voulais pas que ce cycle ne se reproduise. Je n'étais au courant d'aucun projet de loi et je ne savais pas que j'avais des droits, parce que j'étais enfermée et que j'avais peur. Mais quand je me suis retrouvée à la maison de refuge, j'ai appris que j'avais des droits, par exemple celui d'obtenir une ordonnance interdictive contre mon mari. Il a fallu que je fasse le saut pour apprendre que j'avais des droits, mais avant cela je ne le savais pas.

[Français]

    Pouvez-vous nommer une mesure concrète du projet de loi S-7 qui vous aurait aidée?

  (1025)  

[Traduction]

    Je ne connais pas le projet de loi en profondeur, mais de savoir que les victimes ont certains droits... Je crois que dans la situation abominable où je me trouvais, le plus petit espoir aurait été monumental pour moi.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Vous dites qu'il ne s'agit pas nécessairement du projet de loi S-7 en soi, mais du fait d'envoyer un message clair et solide comme quoi les femmes ont des droits. Je suis entièrement d'accord. Je répète néanmoins que ce projet de loi n'est pas nécessairement la meilleure solution, à mon avis, et que les femmes ont déjà des droits.
    Madame Lamboley, vous étiez en train d'énumérer des pistes de solution quand vous avez été interrompue. J'aimerais que vous terminiez votre propos.
    Je poursuis donc mon énumération, qui va comme suit: mettre en oeuvre un plan d'action national qui favorisera véritablement le travail de concertation entre les institutions et les organismes communautaires, ce qui est crucial dans une telle situation; adopter un protocole de lutte contre les mariages forcés — beaucoup d'initiatives sont prises à gauche et à droite, mais il faudrait vraiment concentrer celles-ci et adopter une approche holistique qui vise à la fois la prévention, la protection des victimes et la pénalisation des agresseurs —; adopter une politique claire quant au partage de renseignements confidentiels liés à la protection de la jeunesse — dans bien des cas, cela pose problème alors qu'il pourrait être crucial de partager ces renseignements —; emprunter une voie civile au moyen de mesures de protection contre le mariage forcé. Le Royaume-Uni l'a fait. Dans un premier temps, ce serait probablement judicieux. J'ai rencontré des femmes et certains informateurs-clés, et quelle que soit la voie d'intervention retenue, nous sommes convaincus qu'il faut rechercher une meilleure solution pour faire cesser les violences vécues, sans risquer de produire une victimisation secondaire toute aussi dommageable pour les victimes.
    Il faut avant tout que les changements législatifs soient accompagnés de mesures de protection des victimes et que davantage de financement soit fourni aux organismes qui tentent de régler ces problèmes et qui viennent en aide aux victimes de tels abus. Le volet communautaire est aussi très important. Ce sont ces personnes qui travaillent en première ligne auprès des victimes.
    Vous avez mentionné à plusieurs reprises la victimisation et de la stigmatisation des victimes.
     Pourriez-vous nous en parler un peu plus?
     En quoi le projet de loi que nous étudions maintenant pourrait-il aggraver la victimisation ou la stigmatisation des victimes?
    Déjà dans le titre, on utilise les mots « pratiques culturelles barbares ». Or il faut savoir que ce genre de pratiques n'existe pas uniquement dans les communautés culturelles. D'autres femmes au Canada en font l'objet. Il faut éviter de les stigmatiser davantage. Comme l'a dit Mme Dhillon, ces femmes ne connaissent parfois ni le français ni l'anglais. Elles ne connaissent pas non plus leurs droits.
    Dans le cadre de ma thèse, j'ai rencontré une femme qui ne connaissait même pas le numéro 911. Avant toute chose, il faut faire connaître leurs droits aux femmes, dans leur langue d'origine, de façon à s'assurer qu'elles comprennent bien ce à quoi elles ont droit. Il faut aussi leur fournir de l'information de base comme le numéro 911 et les informer de leurs droits en matière d'immigration. Certaines pensent qu'elles peuvent être déportées simplement du fait que leur mari le désire, ce qui n'est pas le cas.
    Bref, il s'agit vraiment de leur fournir de l'information de base sur leurs droits, dans leur langue maternelle.
    Vous avez suggéré d'étudier la possibilité de faire du mariage forcé un facteur aggravant plutôt que de le criminaliser tel que c'est écrit dans le projet de loi S-7.
    Pouvez-vous me parler un peu plus de cette suggestion?
    Nous pensons qu'il y a déjà beaucoup de choses dans le Code criminel. Je pense notamment aux mutilations génitales féminines, c'est dans le Code criminel. À quelle occasion cet article a-t-il été utilisé? Il a été utilisé une fois et les poursuites ont été abandonnées.
    Criminaliser le mariage forcé enverrait effectivement un message clair. Toutefois, est-ce que cela empêcherait les mariages forcés? Est-ce que cela les éradiquerait? Je n'en suis vraiment pas certaine. Il y a aussi un article concernant la traite des personnes. Combien de fois cet article a-t-il été utilisé? Si le but est d'envoyer un message à la population, il y a peut-être d'autres moyens de le faire que la criminalisation.
    De plus, dans les questions de mariages forcés, il y a surtout un problème de preuve. Dans une certaine mesure, c'est la parole de l'un contre celle de l'autre. Il faut savoir que la particularité de cette forme de violence, c'est que l'agresseur n'est pas seulement le mari ou la famille, mais bien le mari, la famille, la belle-famille, la communauté et la famille élargie. Dans le cas de Banaz Mahmod qui a été tuée au Royaume-Uni, cinquante personnes ont pris part à son assassinat.

  (1030)  

[Traduction]

     Nous allons devoir aller de l'avant. Je suis désolé, madame Lamboley, notre temps est limité.
    À vous, monsieur McCallum.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins.
    Monsieur Spratt, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, bien que les conservateurs s'efforcent de rendre le crime d'honneur encore plus illégal qu'il ne l'est déjà, ils n'y réussissent pas parce que ce crime est déjà aussi illégal qu'il puisse l'être. En ce qui concerne le moyen de défense qu'est la provocation, vous me semblez dire qu'il ne s'appliquera plus à des actes qui devraient peut-être valoir, comme lorsqu'une personne juive subit les pires invectives antisémitiques ou qu'on l'appliquera là où il ne devrait peut-être pas l'être, comme un vol ou un méfait.
    Mais en plus de vous demander de me corriger si je vous ai mal interprété, je voudrais que vous répondiez à la question suivante: voyez-vous un avantage à apporter une bonne modification de la défense de provocation, parce que je pense qu'il est vrai que cette défense a généralement été invoquée avec succès dans le cas du meurtre d'un époux. Le crime d'honneur repose justement sur cela, alors y a-t-il un changement ou une amélioration que nous pourrions y apporter, ou devrions-nous laisser ce moyen de défense tel quel?
    Voyez, je crois que nous devrions distinguer la façon dont nos tribunaux ont toujours appliqué la provocation de celle dont on l'applique à l'heure actuelle sous la direction de la Cour suprême et de la Cour d'appel. Les tribunaux n'accepteraient plus ces choses: le meurtre d'une épouse infidèle, celui d'une personne que l'on perçoit avoir fait des avances homosexuelles ou le meurtre dans un contexte d'honneur. Il n'y a rien de réel dans ces circonstances, et ce moyen de défense a été rejeté dans les trois causes où on l'avait invoqué.
    Si nous voulons examiner cet article sur la provocation, nous devrions peut-être faire ce que certains critiques ont dit: appeler un chat un chat et rédiger la loi exactement comme nous voulons l'appliquer. Je regardais certaines observations faites à la Chambre le 23 mars quand le gouvernement a souligné que d'autres compétences du common law ont entièrement éliminé et aboli la provocation. Ce n'est pas vrai du tout. Si vous allez voir dans les lois du R.-U., vous verrez qu'on a en fait aboli la provocation, mais qu'on l'a remplacée par un article intitulé loss of control, ou perte de maîtrise. Cet article prévoit s'appliquer à des mots et à des observations, mais ces insultes doivent être graves, et elles sont prévues dans la loi. Mais ce qu'ils font en réalité dans cette loi, c'est ce que nous devrions faire ici si nous voulons que ce projet de loi s'applique au crime d'honneur.
    Cette loi exige qu'on ne tienne pas compte d'actes perpétrés ou prononcés puis considérés comme de l'infidélité sexuelle. Les législateurs ont en fait décrit dans cette loi des faits bien précis, bien définis qu'ils veulent aborder sans toutefois limiter l'application de la provocation de façon à exclure à l'avenir certaines applications de la provocation qui seraient rares et inhabituelles mais peut-être justifiables.
    Pensez-vous que l'on pourrait amender le projet de loi de façon similaire pour que cet article sur la provocation soit plus utile, ou pensez-vous qu'il faudrait tout simplement l'éliminer? Quel est votre point de vue à ce propos?
     Je pense qu'il faut le modifier. C'est très clair dans les tribunaux, et la loi est claire là-dessus. Si le gouvernement désire que sa loi soit claire et ciblée, comme la Cour suprême affirme que les lois devraient l'être, alors il faut rédiger les lois en conséquence. Je ne pense pas que je m'opposerais à une disposition libellée de la façon suivante: « en dépit de ce qui précède, on n'invoquera pas et l'on ne tiendra pas compte de la provocation si le juge décide que le motif du meurtre découle d'une question d'honneur, de culture ou d'infidélité ». Un libellé précis de ce genre ne m'insulterait pas, moi l'avocat parce que déjà...

  (1035)  

    Nous l'avons déjà.
    ... les juges la rejettent.
    Pourquoi le faire si nous l'avons déjà?
    Je suppose que nous pourrions le faire pour transmettre un message, mais ce projet de loi ne prévoit pas de financement. Nous pourrions envoyer un message plus efficace avec un financement adéquat et si nous avions plus de ressources à offrir. Nous pourrions le faire très simplement en offrant une représentation juridique payée par l'État à toute personne qui veut obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public contre un membre de sa famille, ou en augmentant le nombre de juges ou de tribunaux pour que ces personnes obtiennent ces engagements plus rapidement. Il serait bien plus efficace de faire des choses de ce genre que d'ajouter des articles inutiles à un code pénal déjà surchargé.
    Merci.
    Merci.
    Monsieur Eglinski.
    Je tiens à remercier tous les témoins...
    La cloche sonne, donc nous allons nous absenter pendant 30 minutes. Je pense que nous pourrions permettre deux autres questions.
    Consentez-vous à l'unanimité à ce que nous poursuivions pendant quelques minutes?
    Des voix: Non.
    Nous n'avons pas de consensus.
     Mesdames et messieurs les témoins, la cloche sonne — on dirait une vieille chanson — mais nous devons aller voter. Au nom du comité, je vous remercie d'être venus nous aider et nous présenter votre interprétation de ce qu'est ce projet de loi et de ce qu'il devrait être. Je vous remercie beaucoup au nom du comité.
    La séance est levée.
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