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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 038 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 9 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

  (0930)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Nous en sommes à la séance numéro 38 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne et, conformément à l'ordre du jour, la séance est télévisée. Conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014, nous étudions le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Nous accueillons plusieurs témoins ce matin.
    Nous accueillons Tim Lambrinos et Rudi Czekalla, de Adult Entertainment Association of Canada, Mme Grant, de Mothers Against Trafficking Humans, Amy Lebovitch et Valerie Scott, des Sex Professionals of Canada et aussi le chef Joliffe, de la York Regional Police.
    Enfin, Mme Ekberg, de l'Université of Glasgow School of Law, comparaîtra du Danemark par vidéoconférence.
    Voilà notre premier groupe de témoins.
    Les témoins comparaîtront dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés. Chaque organisation disposera de 10 minutes pour faire un exposé, puis nous passerons aux questions.
    Premièrement, nous entendrons donc les représentants de l'Adult Entertainment Association of Canada. La parole est à vous.

[Français]

    Je m'exprimerai uniquement en anglais, car le sujet est très complexe. Je m'en excuse.

[Traduction]

    Quant à l'étude sur cédérom que nous avons donné au greffier aujourd'hui, je fournirai aussi une copie papier à M. Pagé après la réunion.
    Notre association de divertissement pour adultes est une organisation d'intervenants qui a été conçue pour répondre aux besoins de l'industrie de la danse exotique, c'est-à-dire les danseuses exotiques et les boîtes de striptease. L'organisation est basée en Ontario. Elle est un modèle d'autoréglementation. Certains des propriétaires d'Ottawa sont ici aujourd'hui. L'organisation a été conçue pour faciliter l'autoréglementation. Les danseuses peuvent appeler un numéro sans frais pour faire part en toute confidentialité des problèmes auxquels elles sont confrontées.
    La décision Bedford ne s'applique pas aux boîtes. Nous ne souhaitions pas nous lancer dans ce domaine. La proposition que nous soumettons au comité aujourd'hui constitue une réaction à la décision de la Cour suprême — adoptée par neuf contre zéro.
    Monsieur le président, l'autre jour, avec tout le respect que je lui dois, j'ai entendu le ministre de la Justice déclarer que le ministère de la Justice considère que ce projet de loi résistera à un examen juridique. La question que je pose aux membres du comité est la suivante. S'agit-il des mêmes personnes qui ont dit que la dernière mesure législative résisterait à un examen juridique? Elles devraient être congédiées. Dans n'importe quelle autre entreprise, elles le seraient. C'est complètement injustifié.
    L'étude que nous vous fournissons donnera aux tribunaux l'occasion de voir un modèle qui fonctionne, qui répond aux besoins en matière de santé et de sécurité et qui tient compte de plusieurs autres facteurs.
    Cette étude, qui a été préparée indépendamment par M. Czekalla, souligne les cinq principales raisons pour lesquelles il s'agirait d'une solution tout indiquée. Les boîtes de divertissement pour adultes pourraient se charger de fournir ces services en tant qu'un autre volet des divertissements qu'elles offrent. L'étude souligne qu'il y aurait cinq importants avantages à faire cela. L'étude a été menée sur cinq mois.
    Le premier avantage serait le zonage. Il ne serait pas nécessaire d'avoir un quartier chaud. Il ne serait pas nécessaire d'apporter de changements aux plans de zonage officiels. Par définition, les boîtes de divertissement pour adultes détenant un permis ont comme objectif de fournir des services conçus pour aiguiser les appétits ou les penchants érotiques et sexuels. La définition comprend le mot « sexuels » et le mot « services ». Cela ne changerait pas. Il s'agit d'entités bien connues. Ces boîtes ont un excellent bilan sur le plan de la protection des femmes. Elles collaborent déjà avec les policiers. Nous formons une association tout à fait valide qui collabore avec les gouvernements, mais il faudra un certain temps pour mettre en place un nouveau système. Voilà la réalité. Quelques avocats ne suffiront pas pour trouver une solution. Il faudra que beaucoup de personnes contribuent à l'élaboration d'un système, et cela fera partie de mes recommandations.
    Le critère juridique. Nous nous engageons sur une pente glissante. Il est tout à fait injustifié pour n'importe quel ministre de prévoir des mesures malgré le fait que... Quand il présente délibérément une mesure en sachant fort bien qu'elle fera l'objet de contestations judiciaires, en réalité, on pourrait presque dire qu'il affiche une intention malveillante. Si jamais la mesure entraîne des répercussions négatives, le ministre devrait être tenu responsable au moyen d'une poursuite civile ou même d'accusations criminelles. C'est vrai.
    Quant à la Charte — et je vous la montre comme accessoire —, il s'agit de la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 7 de la Charte garantit le droit à la protection et à la sécurité à toutes les personnes au Canada — à toutes les personnes — pas seulement à 31 000 personnes qui ont décidé de s'exprimer en ligne. La Charte garantit ce droit à toutes les personnes au Canada.
    M. Czekalla va vous parler de l'étude, de notre proposition de nous charger de la prestation des services accrus.
    J'aimerais faire trois recommandations.
    Premièrement, il faudrait que le projet de loi fasse l'objet d'un examen juridique externe. Morris, Manning seraient d'excellents choix. Theresa Simone aussi a une excellente réputation.
    Deuxièmement, il est impossible... Il faudrait améliorer le dialogue. Il faudrait constituer un groupe de travail et demander à la cour de reporter sa décision au-delà du 13 décembre. Troisièmement, quand cela sera fait, nous demandons que notre étude soit envoyée à la cour comme exemple de modèle, et de lui demander: « Est-ce cela que vous aviez en tête? Est-ce bien à ce genre de système que vous faisiez allusion? » En réalité, la décision a été rendue par neuf voix contre zéro.
    J'aimerais faire deux dernières remarques avant de céder la parole à M. Czekalla.
    Me reste-t-il du temps?

  (0935)  

    Il vous reste environ six minutes.
    J'aimerais inviter tous les membres du comité, y compris vous, monsieur le président. M. Dechert a déjà dit qu'il ne pourrait pas venir, mais je crois qu'il serait important pour les membres du comité de comprendre en quoi consiste l'industrie du divertissement pour adultes. Il existe diverses ambiances.
    Les médias ne seront pas admis dans les deux boîtes que nous visiterons ce soir. Il s'agira strictement de travail. Je vous invite donc tous à vous rendre à Barefax, au 27, rue York, à 20 heures, et à NuDen, au 1560, rue Triole, à 21 heures pour visiter les installations.
    La dernière chose que j'aimerais souligner — j'en ai parlé tout à l'heure —, monsieur le président, c'est la lacune sur le plan de la publicité. Voici une revue destinée au public qui aborde cette question.
    La définition juridique de la prévention de la vente de services sexuels comporte des lacunes. Aucun de ces endroits ne fait de publicité pour des activités sexuelles. Le projet de loi ne définit aucunement en quoi consiste une activité sexuelle. Theresa Simone a créé une définition. Les boîtes parlent de massage buccal, de services complets et de services grecs, comme je l'ai souligné. Ce sont tous des codes. Monsieur le président, savez-vous à quoi correspond un service complet?
    Il faudrait que je m'informe...
    Je vais vous éclairer. Cela veut dire des relations sexuelles. Cela comprend tout. Tous ces codes signifient quelque chose aussi.
    Je cède maintenant la parole à M. Czekalla.
    Bonjour. Merci de me permettre de vous parler aujourd'hui du projet de loi C-36.
    Je m'appelle Rudi Czekalla Martínez, et je suis le directeur de Municipal Policy Consultants, à Toronto, en Ontario. Depuis près de 15 ans, je participe à l'élaboration des politiques publiques dans le domaine du divertissement pour adultes tant à titre de régulateur qu'à titre de consultant.
    Je suis également l'auteur de l'« Étude sur les services de divertissements adultes », auquel M. Lambrinos a fait référence.
    D'après mon expérience, je peux vous dire que même si le gouvernement fédéral établit le cadre réglementaire pour la prostitution au pays, en fait, ce sont les municipalités qui influent le plus sur la manière dont la prostitution est gérée. Cela s'explique par le fait que, peu importe ce que fait le gouvernement fédéral, la prostitution finit toujours par continuer d'exister. Elle peut transformer son modus operandi pour accommoder les lois, mais elle ne disparaît jamais. Les municipalités comprennent ceci très bien, et elles ont donc pris un certain nombre de mesures.
    Depuis plus de 10 ans, les autorités municipales de Vancouver, de Calgary et d'Edmonton octroient des permis pour les services d'escorte. Tout comme les entreprises elles-mêmes, qui mettent sur pied leurs activités en s'assurant de ne pas techniquement contrevenir aux lois, ces municipalités rédigent soigneusement leurs règlements en veillant à ne pas directement contredire les lois pénales, tout en réglementant indirectement les activités de prostitution.
    Par conséquent, on voit bien que les ordres de gouvernement ne collaborent pas efficacement ensemble en vue de trouver une solution réaliste, pratique, équilibrée et, bien sûr, valide sur le plan constitutionnel.
    Le modèle proposé dans le projet de loi C-36 ne fait rien pour régler ce problème. Mis à part le fait de régler les problèmes qui ont été soulevés par la Cour suprême, il ne fait rien pour aider les provinces et, ultimement, les administrations municipales à s'attaquer aux vrais problèmes, à savoir la sécurité des prostituées, leur marginalisation sur le plan social et la privation de leurs droits sur le plan financier. Voilà des problèmes créés par la loi actuellement en vigueur de même que ce projet de loi.
    Mon étude dégage 103 conclusions importantes et formule neuf principales recommandations, notamment 37 mesures précises à prendre. Dans le peu de temps dont je dispose, j'aimerais vous faire un résumé des recommandations de l'étude et de l'approche à adopter pour les mettre en oeuvre.
    D'abord et avant tout, un modèle efficace doit fixer des objectifs fondés sur des résultats, contre lesquels il est possible de mesurer l'efficacité de l'approche. Bien sûr, cela veut dire qu'il faut développer des outils de mesure appropriés et fiables. Cela veut aussi dire qu'il faut que des données pertinentes et cohérentes soient disponibles en temps opportun.
    En Suède, un des objectifs que le gouvernement s'est fixé, c'est de réduire les actes de violence commis contre les prostituées. Comme plusieurs études indépendantes l'ont souligné, le gouvernement a prétendu qu'il atteignait son objectif parce qu'il y avait moins de prostituées de rue. Cela a ensuite été interprété comme voulant dire qu'il y avait moins de prostitution en général, et donc aussi moins de violence.
    Le gouvernement suédois ne s'est jamais doté d'outils de mesure pertinents et fiables. Il a tout simplement fait des suppositions gratuites. En fait, ce qui arrive en Suède, c'est que les lois ont seulement servi à pousser la prostitution dans la clandestinité et n'ont pas réduit les activités d'aucune façon significative. En faisant cela, le gouvernement a aussi fait de la prostitution une activité plus dangereuse, comme des groupes de discussion des travailleuses du sexe l'ont révélé.
    Ici au Canada, les services de police — en allant de la GRC jusqu'aux services de police locaux — ne consignent pas le genre de données qui permettent de bien mesurer ce qui devrait être mesuré. Par conséquent, la centralisation de la collecte de données par les forces de l'ordre constitue l'une des principales recommandations de l'étude.
    Une autre recommandation clé de l'étude met l'accent sur la nécessité d'adopter une approche visant la réduction des méfaits. Nous savons que le fait de criminaliser la prostitution — que ce soit de façon explicite, comme c'est le cas aux États-Unis, ou de façon implicite, comme c'est le cas au Canada et comme cela continuerait de l'être aux termes de ce projet de loi — ne fonctionne tout simplement pas. Par conséquent, nous devons mettre l'accent sur la réduction des méfaits à l'endroit des particuliers, des groupes et de la société en général. La seule façon de faire cela serait de rectifier les lois et les normes institutionnalisées qui pénalisent systématiquement les travailleuses du sexe. La traite de personnes, l'exploitation sexuelle, la violence physique et psychologique, la marginalisation sur le plan social et la privation des droits sur le plan financier sont des problèmes auxquels il faut s'attaquer en ayant recours à un ensemble équilibré de dispositions réglementaires et de mesures de soutien.
    Une taxe d'accise sur les services contribuerait grandement à payer pour des programmes de ce genre.
    Enfin, l'étude établit le bien-fondé de faire en sorte que tous les ordres de gouvernement collaborent explicitement à l'élaboration d'une stratégie pour accomplir ce que je viens de décrire. Pour chaque problème et chaque sous-problème, il y aura presque toujours un ordre de gouvernement qui serait tout indiqué pour diriger les efforts tandis que les autres ordres pourraient jouer des rôles de soutien. Le gouvernement devra élaborer un plan de mise en oeuvre qui soit fondé sur des objectifs précis et qui puisse être validé par des outils de mesure pertinents. Sinon, toute tentative pour réduire les risques liés à la prostitution ne deviendra qu'une autre tentative ambiguë et inefficace, qui s'ajoutera aux nombreuses autres tentatives semblables pour régler le problème.
    Je suis d'accord avec M. Lambrinos pour dire que le comité devrait envisager de recommander au Parlement de pouvoir prolonger ses travaux dans ce dossier et de demander à la Cour suprême de prolonger le délai accordé pour faire ce travail.
    Merci.

  (0940)  

    Je remercie les témoins de l'Adult Entertainment Association.
    Notre prochain témoin représente Mothers Against Trafficking Humans. La parole est à vous, Madame Grant.
    Merci de m'accueillir ici aujourd'hui. C'est un privilège pour moi d'être parmi vous.
    Je m'appelle Glendene Grant. Je suis une épouse, une mère, une grand-mère et la fondatrice de M.A.T.H. ou Mothers Against Trafficking Humans, c'est-à-dire mères contre la traite de personnes. Je n'ai pas d'étude ou de données à vous fournir. J'ai une histoire vécue à vous raconter.
    J'ai lancé M.A.T.H. le 18 avril 2010 dans le cadre de mes efforts pour sensibiliser autant de personnes que possible à la traite de personnes après que ma fille Jessie Foster a été portée disparue.
    On a rapidement constaté qu'elle était victime de ce crime. Jessie est connue à l'échelle internationale comme une femme ayant été portée disparue, dont la vie est en danger et qui est une victime de la traite de personnes. Elle est la victime la plus connue de la traite de personnes au Canada. Pour certains d'entre nous, elle est l'incarnation même des victimes de ce crime. Par conséquent, mes raisons de participer à la lutte contre la prostitution et la traite de personnes sont très personnelles. Je vais vous raconter un peu de ce qui est arrivé à Jessie.
    Jessie avait 17 ans lorsqu'elle a rencontré un homme à Calgary qui est devenu son ami. Ils sont demeurés amis même après qu'elle a obtenu son diplôme d'études secondaires, qu'elle a trouvé un emploi et a obtenu son propre appartement. À mon avis, cette personne la préparait. C'est ce qu'on appelle un recruteur et un proxénète. Son frère est un proxénète connu. Nous ne le savions pas au début, mais quand nous l'avons appris plus tard, tout est devenu clair. Il a amené Jessie en « voyage » à deux reprises. J'utilise toujours les guillemets pour le mot « voyage » parce que ce n'était pas un voyage que vous voudriez faire.
    Ils l'ont amenée en Floride. Ils l'ont amenée à Manhattan et à Atlantic City, mais au lieu de la ramener à la maison à la fin du deuxième voyage, ils l'ont amenée à Las Vegas. Cela s'est produit après que, la veille du départ, il lui avait été suggéré de se prostituer parce qu'il ne leur restait plus assez d'argent pour payer le trajet de retour.
    Elle a donc dévalé l'escalier pour m'appeler. Elle était un peu vexée à ce moment-là, mais elle m'a dit qu'il était simplement un pauvre type et qu'elle allait remonter à sa chambre.
    Le matin suivant, Jessie m'a téléphoné, me disant qu'ils allaient à Las Vegas. Elle n'a pas parlé de ce qui était arrivé la veille. Elle parlait comme si rien ne s'était produit. J'avais peur. Je ne savais pas ce qui se passait. Tout ce que je savais, c'était que ce n'était pas une situation normale.
    Quand elle est arrivée à Las Vegas, elle m'a téléphoné pour dire qu'elle allait y rester jusqu'à son 21e anniversaire, qui allait avoir lieu deux semaines plus tard. Vingt-et-un ans est l'âge légal à Las Vegas, alors tout est devenu clair une fois qu'elle a été portée disparue.
    Il n'a pas fallu longtemps à Jessie pour modifier son histoire. Après l'histoire de l'anniversaire, il y a eu celle d'un accident. Ensuite, il lui fallait s'occuper d'une demande d'indemnité. Par la suite, elle a dit qu'elle avait rencontré quelqu'un, était tombée en amour, puis qu'ils avaient emménagé ensemble et s'étaient fiancés. Tout cela s'est produit très rapidement. Elle vivait déjà avec cet homme en juin, alors qu'elle était seulement arrivée là-bas en mai.
    Lorsque Jessie a été portée disparue, nous avons eu recours aux services d'un enquêteur privé. Elle avait été battue, hospitalisée avec une fracture à la mâchoire, forcée à travailler dans une agence d'escorte et arrêtée pour sollicitation.
    Quand je parle de Jessie, je parle de ma fille, l'étudiante au tableau d'honneur. Elle aimait les sports, la musique et la danse. Elle avait des tonnes d'amis depuis la maternelle et ne s'était jamais attiré des ennuis de sa vie — ni à l'école, ni avec ses amis, ni avec ses parents, ni avec qui que ce soit d'autre.
    Elle a été arrêtée pour la première fois en juin. Elle était arrivée là-bas en mai. Elle a été arrêtée de nouveau en septembre. Elle a été portée disparue en mars, soit dix mois après avoir été amenée là-bas. Dès que nous avons embauché l'enquêteur privé, tout a été mis au grand jour.
     À l'époque, son proxénète — ou devrais-je dire, son fiancé — faisait toujours affaire avec une agence de cautionnement. Cette agence avait payé la caution de Jessie à deux reprises, en plus de payer celles de toutes les autres filles qui travaillaient pour lui. Je le sais parce que, en fait, j'ai parlé avec le chasseur de primes qui travaillait pour lui. Ce type m'a téléphoné pour savoir où trouver Jessie. Elle devait se présenter devant le tribunal après avoir été libérée sous caution. Je lui ai dit de la trouver, parce qu'elle avait été portée disparue, et qu'ensuite je serais heureuse de la voir aller en prison. Peu importe ce que...
    Il a été très touché par son histoire. Une fois qu'il avait terminé le cas sur lequel il travaillait, puisqu'il n'avait pas d'autre contrat, il a offert de nous aider à trouver Jessie gratuitement. Lui non plus n'a pas pu la trouver.
    Jessie est la deuxième de mes quatre filles. Elle a un beau-père — mon mari, Jim — et moi. Nous sommes ensemble depuis près de 30 ans, mais hier, nous avons célébré notre premier anniversaire de mariage. Nous avons tout simplement décidé de nous marier. Je me suis sentie terrible de le faire en l'absence de Jessie, mais nous avons fait beaucoup de choses sans Jessie au cours des huit dernières années. Deux de ses soeurs sont devenues des mamans. La vie continue. Nous avons fait de notre mieux pour vivre malgré sa disparition.
    Deux de ses soeurs étaient des adolescentes au moment où Jessie a été portée disparue. Sa soeur ainée avait 23 ans, alors elles avaient à peine l'âge adulte. Le problème, c'est qu'elles ont dû continuer de vivre sans leur soeur et de tout faire pour apprendre à vivre malgré ce qui lui est arrivée. D'une certaine manière, elles ont suivi mon exemple. J'ai dit que tout ce que nous ferions serait pour Jessie, et que nous le ferions avec Jessie dans notre coeur.
    Certains d'entre nous nous en sommes remis. D'autres pas. Son père ne s'en est pas remis. Il ne travaille plus. Sa santé s'est détériorée. Il fait beaucoup de surpoids et, c'est triste à dire, mais cela l'a détruit à l'intérieur. C'est sa fille, et il est incapable de s'en remettre.

  (0945)  

    Je suis très reconnaissante d'avoir un mari qui m'est d'un grand soutien. Le père de Jessie a une épouse qui lui est aussi d'un grand soutien, mais parfois, cela ne suffit pas. Jim me soutient jusqu'au bout.
    Voici pourquoi j'ai foi dans le projet de loi C-36. La principale raison est qu'il n'y a pas d'autre solution. Nous ne pouvons faire en sorte que la prostitution et tout ce qui y est relié devienne une occupation légale au Canada. Nous devons avoir des lois qui permettent d'en faire plus pour mettre fin à cela. Il n'y a pas de moyen sûr d'avoir des bordels licites et des prostituées de rue licites avec des « gardes du corps », ou des proxénètes, comme je les appelle. Nous savons que ce sont des proxénètes. Il faut leur faire savoir que cela ne sera plus jamais toléré au Canada. Nous ne pouvons courir le risque de voir de plus en plus de personnes entraînées de force dans le commerce du sexe. Pourtant si la prostitution devenait un emploi licite, il n'y aurait jamais suffisamment de personnes pour combler les « postes » qui finiraient par être disponibles dans l'ensemble du pays.
    Nous ne devons vraiment pas leur permettre de piéger d'autres victimes comme ma fille Jessie l'a été ou d'autres familles comme la nôtre. Je vis ce cauchemar depuis huit ans. Même huit jours ou huit heures sont vraiment difficiles à endurer. Quand Jessie venait tout juste d'être portée disparue, nous pensions tous qu'elle serait trouvée le lendemain, puis à la fin de la semaine. La première année s'est écoulée et rien n'avait changé. Nous aurions du mal à vivre sans le soutien de certains partisans de notre cause. Heureusement que ces personnes peuvent prendre une journée de congé ou partir en vacances pour avoir un petit répit. Je ne peux pas le faire. Chaque jour, je me réveille, et je pense à Jessie, à ce qui lui est probablement arrivé; et ensuite, je pense à ce que je pourrais faire pour éviter que cela arrive de nouveau.
    À mon avis, un autre facteur important, c'est que nous devons mettre fin à la demande, parce que c'est ce qui perpétue ces activités. Si nous ne tenons pas les proxénètes et les clients responsables, nous n'y mettrons jamais fin. Il y a des gens qui veulent payer pour avoir des rapports sexuels et il y a des personnes très cruelles qui forcent des victimes à les servir.
    Il faut beaucoup d'argent pour permettre aux personnes de quitter le commerce du sexe. Une aide financière est nécessaire, sinon elles ne réussiront pas à le faire. Beaucoup de personnes m'ont dit qu'elles sont dans le commerce du sexe parce qu'elles n'ont aucun moyen de s'en sortir. Elles ne veulent pas continuer, mais elles n'ont ni les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants ni de leur payer des études quelconques. Aucune de ces personnes ne reçoit du counseling pour les traumatismes qu'elles ont subis au fil des ans. On m'a dit que c'est littéralement une situation sans issue. Ces personnes veulent s'en sortir, mais lorsqu'elles essaient de le faire, elles échouent et se retrouvent encore dans le commerce du sexe. Je trouve cela absolument horrible. Ces hommes, ces femmes et ces enfants ont besoin d'un moyen de reprendre le contrôle de leur vie. Ils ont besoin de réapprendre à être heureux et à mener une vie saine — et pour ceux qui ont des enfants, à le faire aussi pour leurs enfants. Il faut du temps et de l'argent et ce n'est pas facile. Ces personnes veulent mener une vie dont elles peuvent être fiers.
    Tout récemment, j'ai parlé avec une femme qui m'a envoyé un message sur Facebook, et elle m'a demandé pourquoi j'appuyais ce projet de loi. Elle n'a pas d'opinion à ce sujet, mais elle croit que tout le monde en a une. Nous nous sommes entretenues pendant assez longtemps. Elle m'a dit qu'elle ne dirait jamais à ses filles ce qu'elle fait pour gagner sa vie. J'ai immédiatement compris qu'il ne s'agissait pas d'un travail, d'une carrière, qu'elle faisait par choix. Si vous voulez que vos enfants fassent les bons choix dans la vie, il faut leur dire la vérité. Ils doivent savoir ce qui se passe dans leur propre vie et dans leur famille. Autrement, vous savez, ils n'auront pas de repères. Ils doivent savoir ce que fait leur mère pour gagner sa vie, et ils doivent être fiers d'elle.
    MATH m'a beaucoup aidée. Je parle un peu partout dans le cadre d'événements de toutes sortes. Dans certains cas, j'organise simplement des exposés de mon propre chef, pour MATH. Quand je fais un exposé dans la région desservie par Échec au crime de Kamloops, je suis accompagnée de Marc Price. Il est le chef de cette organisation. Nous parlons dans les écoles. Nous allons partout où nous le pouvons. Nous avons été dans une école de Boston Bar, en Colombie-Britannique — c'est une toute petite école où les élèves vont de la maternelle à la 12e année — parce qu'une jeune fille y avait été portée disparue. Elle est revenue après deux semaines. Tout le monde s'est dit: « Dieu merci, elle est revenue. Elle va bien. » Or, les gens ont commencé à se rendre compte qu'elle n'allait pas bien. Ils nous ont donc invités à leur école pour expliquer aux élèves ce qui se passe dans le monde.
    Dans mon cas, c'est devenu une croisade personnelle. C'est ma façon de m'en sortir. C'est aussi ma façon de continuer de faire vivre Jessie. Je n'ai aucune preuve que Jessie n'est pas en vie, qu'elle est morte. Je continue donc de présumer qu'elle est en vie. J'espère que nous la trouverons un jour. Quand nous la trouverons, elle verra que nous avons déployé beaucoup d'efforts en son nom et que les choses ont changé.
    Je ne peux pas me contenter de me croiser les bras. Quand Jessie a été portée disparue, seule une distinction très subtile existait entre une personne portée disparue et une victime de la traite de personnes. Tout le monde pensait que je m'accrochais à un faible espoir, que j'avais besoin de trouver une excuse, une façon d'expliquer ce qui était arrivé à ma fille et où elle était allée. Plus de huit ans plus tard, huit ans et demi plus tard en fait, les lois changent. Tous les jours, nous entendons parler de membres d'organisations qui sont arrêtés et accusés de ce crime. Quand Jessie a été portée disparue, il ne s'agissait même pas d'un crime connu. À l'époque, on me disait que cela n'arrivait pas en Amérique du Nord, que cela n'arrivait pas au Canada. Maintenant, nous savons que cela arrive.
    Nous devons donc apporter des changements. Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer au nom de Jessie.

  (0950)  

    D'accord, je vous remercie de votre exposé.
    Notre prochain témoin représente les Sex Professionals of Canada.
    La parole est à vous.
    Je ne me leurre pas de l'illusion que beaucoup d'entre vous ici tiennent à réellement entendre ce que j'ai à dire, à réellement m'écouter.
    Dans notre mouvement, les travailleuses du sexe ont d'excellentes relations. Nous savons quoi faire pour mieux nous protéger et quoi faire pour mettre en place des conditions de travail plus optimales.
    Je participe à l'organisation communautaire des travailleuses du sexe depuis 11 ans maintenant. Depuis les 17 ans que je travaille comme travailleuse du sexe, j'ai travaillé dans la rue et pour des agences, et maintenant je suis une travailleuse indépendante.
    En tant que demanderesse dans l'affaire récente qui a fait l'objet d'une décision de la Cour suprême, et qui a aussi fait l'objet de beaucoup de discussions dans les médias grand public, le nom Lebovitch, c'est-à-dire mon nom, a certainement perdu son caractère anonyme. Je ne veux pas avoir perdu ma vie privée et subi les préjudices que j'ai été obligée de subir en vain. Je ne veux pas que mes collègues perdent les droits qu'elles viennent d'acquérir grâce à cette décision.
    D'après mes connaissances et mon expérience, et aussi d'après celles des personnes avec lesquelles j'ai travaillé au fil des ans, je peux vous dire qu'il est clair qu'il existe un fossé entre le projet de loi C-36 et tous les éléments de preuve de même que tous les renseignements que nous avons fournis au gouvernement concernant les politiques qui devraient être adoptées. Le gouvernement n'a absolument pas tenu compte de nos priorités et de nos préoccupations.
    Je ne suis pas ici aujourd'hui pour vous dire quels amendements apporter au projet de loi. Il n'y a rien à faire pour le sauver. Il ne s'agit pas d'une croisade morale à gagner. Il s'agit d'une lutte pour faire reconnaître notre droit à la dignité et nos droits de la personne. Nous ne cessons de proposer un modèle efficace qui tient compte des réalités et des préoccupations très pratiques des travailleuses du sexe, c'est-à-dire le modèle de la Nouvelle-Zélande, où la prostitution a été décriminalisée.
    À mon avis, pendant le temps qu'il me reste, la chose la plus utile à faire serait de vous aider à comprendre et à imaginer la situation dans laquelle mes collègues finiront par se trouver sous la tyrannie du projet de loi C-36.
    Il est tard. Je suis vraiment stressée. Les policiers n'arrêtent pas de me harceler et de me dire de changer d'endroit. Je dois faire plus d'argent pour acheter les choses qu'il me faut.
    Où travaillent les autres ce soir? Les clients sont tellement paranos; ils n'arrêtent pas la voiture plus d'une minute avant de repartir. C'est énervant quand ces types veulent que je monte dans leur voiture quand nous avons parlé pendant seulement cinq secondes. J'ai entendu que certaines des autres travaillent dans le parc industriel. De plus en plus de clients se rendent là-bas. Est-ce que l'autobus va jusque-là? Est-ce que je pourrais même en attraper un à cette heure-ci?
    Oh, je vois D. Il me donne la chair de poule, mais je sais que c'est un bon ami.
    Je viens d'arriver au motel et de placer mon annonce sur Backpage. Maudit, ça m'a coûté cher; les prix de Backpage ont vraiment augmenté. Deux autres sites viennent d'être fermés. Je pouvais placer des annonces gratuitement sur un de ces sites. J'ai entendu qu'on va aussi fermer Backpage. Comment vais-je faire pour trouver des clients à ce moment-là?
    Les types ne me donnent pas leurs renseignements, alors je ne peux pas les évaluer. Un gars m'a appelé à partir d'un numéro bloqué. Je ne pouvais même pas vérifier si son nom est sur la liste des clients mal intentionnés. Le dernier type qui est venu ne voulait même pas me payer au début, il était si parano. J'ai dû le sucer pour le convaincre que je n'étais pas une police. Ensuite il a essayé de partir sans me payer.
    Une de mes amies vient d'être jetée à la porte du motel. Est-ce que les policiers sont à l'extérieur, en train de surveiller qui entre et qui sort? Les clients marchandent pour essayer de faire baisser mes prix. Peut-être que je devrais les baisser. Comment vais-je faire pour payer mon loyer?
    Comme le démontrent ces exemples très réalistes que je viens de donner, en tant que travailleuses du sexe, nos vies seront beaucoup plus précaires et nous serons beaucoup plus angoissées si ce projet de loi est adopté.
    Nous continuerons de travailler, mais dans des conditions beaucoup plus dangereuses. Nous vivrons constamment dans la crainte et la méfiance. Nous nous trouverons encore dans un contexte où notre métier est criminalisé. Nous perdrons le droit de négocier nos prix, de négocier notre sécurité et le droit d'exiger un certain niveau de confort quand nous fournissons certains services. Nous ne pourrons toujours pas signaler des cas d'agressions et de harcèlement. Nous ne bénéficierons toujours pas de droits du travail, parce que, aux termes de ce projet de loi, nous ne sommes que des victimes sans voix qui ont besoin d'être secourues.

  (0955)  

    Nous pouvons faire mieux que cela pour les travailleurs du sexe. Comme je l'ai indiqué plus tôt, le gouvernement dispose de preuves et d'exemples de politique montrant qu'il existe une meilleure avenue. Je vous implore de centraliser les voix et les préoccupations de mes collègues de l'industrie du sexe.
    Nous ne pouvons nous permettre d'attendre encore plus de six ans pour une autre contestation devant la Cour suprême. Des vies sont en jeu.
    Pardonnez-moi, je suis très allergique aux lumières fluorescentes. On m'avait dit qu'il y aurait un éclairage halogène ici, mais ce n'est pas le cas. Je vais donc faire de mon mieux.
Avec ce projet de loi, vous allez tellement nous confiner à la clandestinité, nous faire travailler dans des conditions si difficiles et obliger tellement plus de gens à travailler dans des conditions dangereuses que la violence ne peut qu'augmenter. Cela ne fait aucun doute. Ce n'est pas une théorie ou un hypothèse.Nous allons commencer à nous faire tuer, c'est indubitable.
    Voilà ce qu'à déclaré Cathy, qui a témoigné le 22 octobre 1985 devant un comité parlementaire saisi du projet de loi C-49, aussi appelé loi sur la communication. J'ai également comparu lors de cette séance. Nous vous avions dit alors ce qu'il se passerait. Vous nous avez remerciées, et vous avez adopté le projet de loi quand même.
    Le 20 décembre 2013, la Cour suprême a invalidé le tiers des dispositions sur la communication et un dixième des dispositions sur le proxénétisme et les maisons de débauche, et ce, non seulement parce que les anciennes dispositions compromettaient notre santé et notre sécurité, mais également parce qu'il a été prouvé qu'elles causent un tort immense. Pourquoi alors le gouvernement actuel non seulement rétablirait les anciennes dispositions, mais irait encore plus loin en prévoyant de nouveaux articles qui rendent notre métier encore plus dangereux que sous l'ancien régime?
    Le projet de loi C-36 n'a pas de lien rationnel avec le raisonnement de la Cour suprême dans l'affaire Canada c. Bedford. Les lois qui régissent l'industrie du sexe sont importantes, pas seulement de manière évidente pour ce qu'elles interdisent, mais aussi en raison des conditions qu'elles créent et de leur influence sur la manière dont les travailleurs du sexe sont perçus. Quand il s'agit d'un autre groupe que celui des travailleurs du sexe, les gens comprennent intuitivement qu'il existe un rapport direct entre ce que dit une loi sur un groupe de gens et la manière dont les membres de ce groupe sont traités par les autres.
    Quand la Russie a adopté des lois pour écraser le mouvement des droits des gais en juin 2013, personne n'a été surpris d'apprendre que les cas de violence envers les gais étaient en augmentation et que ceux qui protestaient contre ces lois — et pas ceux qui s'en prenaient aux gais — étaient emprisonnés. Quand l'Ouganda a adopté une loi condamnant à la prison à perpétuité ceux qui commettent des actes homosexuels, et que le Nigéria a interdit les unions entre personnes de même sexe et a commencé à arrêter ceux qui étaient soupçonnés d'être gais, nous n'avons pas été choqués d'apprendre que des gens étaient passés à tabac, torturés et assassinés.
    Nous savons que la criminalisation accrue de l'homosexualité a pour effet de faire augmenter la violence envers les homosexuels. Il me semble tout aussi évident que la criminalisation des travailleurs du sexe fera augmenter la violence à l'endroit de ces derniers. C'est une des raisons pour lesquelles la décriminalisation est si importante à nos yeux. Les lois ne sont pas que le miroir de la société; elles façonnent les attitudes et la manière dont on mène les activités. Les lois visant la pureté sociale sont particulièrement problématiques. Pensez à la prohibition de l'alcool aux États-Unis dans les années 1920. Les gens n'ont pas réagi en disant « D'accord, je suppose que je ne prendrai plus jamais de verre de vin », mais en trouvant des moyens de contourner la loi. La prohibition a permis au crime organisé de s'enrichir, a tenu la police occupée, a ajouté des risques là où il n'y en avait pas auparavant et a criminalisé les actions d'une grande partie de la population. Les lois ont façonné la manière dont les gens menaient leurs activités, mais n'ont pas réussi à atteindre le but déclaré. Bien entendu, c'est l'effet qu'aura le projet de loi C-36.
    Nos clients se sont fait traiter de tous les noms dernièrement: pervers, pathétiques, prédateurs. Mais pensez de qui il s'agit vraiment. Ce ne sont pas les Robert Pickton ou les Gary Ridgway de ce monde. Ils n'arrivent pas de Mars en navette à la tombée du jour. Ce sont des hommes qui, pour toutes sortes de raisons, achètent nos services, et je mets l'accent sur « nos services ». Ce n'est pas nous qu'ils achètent. Nos clients sont vos pères, vos frères, vos oncles et, oui, vos collègues.

  (1000)  

    La perspective de les faire parader devant les médias et les tribunaux pour se repaître de leur honte et de leur humiliation est irrésistible pour ceux pour qui cherchent à persuader la société en pointant certaines personnes du doigt. Mais ce sont des lois vengeresses, qui n'ont pas leur place dans une société juste.
    Quand vous dites à la société que nous sommes des criminelles et que vous adoptez des lois pour nous faire disparaître, les prédateurs en profitent. Nous connaissons tous les Robert Pickton et les Gary Ridgway de ce monde. Gary Ridgway, l'assassin de Green River, a déclaré ce qui suit:
... je déteste la plupart des prostituées et je ne voulais pas les payer pour des services sexuels. J'ai donc choisi des prostituées comme victimes parce que je voulais aisément partir avec elles sans attirer l'attention. Je savais que leur disparition ne serait pas signalée immédiatement et ne le serait peut-être jamais.
    Ridgway a été déclaré coupable du meurtre de 49 de mes collègues, mais par la suite, il a confessé en avoir tué près du double. Adopter de mauvaises lois, c'est comme nous servir sur un plateau d'argent aux prédateurs sexuels.
    La plupart des gens ne sont pas satisfaits du projet de loi C-36, qu'ils soient pour ou contre. SPOC vous conseillerait de le rejeter intégralement. Après tout, comme le ministre de la justice Peter MacKay l'a indiqué dans sa déclaration du 20 décembre 2013:
Plusieurs autres dispositions du Code criminel demeurent en vigueur pour protéger les personnes qui se livrent à la prostitution et d’autres personnes vulnérables et pour contrer les conséquences négatives de la prostitution sur les collectivités.
    Sur ce point, et sur ce point seulement, nous sommes d'accord avec le ministre MacKay. Une pléthore de dispositions du Code criminel portent expressément sur l'extorsion, la coercition, le proxénétisme, l'agression, la séquestration et la traite de personnes, et environ 14 lois protègent les mineurs de l'exploitation.
    SPOC est d'avis qu'il faut laisser les dispositions invalidées par la Cour suprême...

  (1005)  

    Madame Scott, pourriez-vous conclure votre propos? Vous avez de beaucoup dépassé votre temps.
    Une phrase...?
    Le président: Oui.
    Mme Valerie Scott: SPOC est d'avis qu'il faut laisser les dispositions invalidées par la Cour suprême expirer et considère que le travail de nature sexuelle entre des adultes consentants devrait être régi par le droit du travail.
    Merci.
    Merci beaucoup d'avoir présenté l'exposé de Sex Professionnals of Canada.
    Nous entendrons maintenant la York Regional Police, dont le chef est ici avec nous.
    Chef, vous avez la parole.
    Permettez-moi de commencer en remerciant chaque membre du comité permanent de nous donner l'occasion de comparaître aujourd'hui au sujet du projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
    Nous apprécions que le gouvernement s'efforce d'abolir la prostitution et les activités connexes en adoptant une approche axée sur les victimes. Je suis accompagné aujourd'hui par un détective de notre escouade de la moralité qui est considéré comme un des grands experts du sauvetage de jeunes femmes et d'enfants victimes d'exploitation sexuelle et de traite aux fins de prostitution. Depuis six ans, il mène des enquêtes sur la traite de personnes au pays. En raison de la nature de ses fonctions d'enquêteur, il comparaîtra à huis clos aujourd'hui. Si vous lui posez des questions, son expérience et ses observations permettront de comprendre ce qui se passe sur le terrain du point de vue d'un enquêteur.
    À titre de chef de la York Regional Police, une organisation qui veille au maintien de l'ordre dans une communauté diversifiée comptant plus de 1,1 million de personnes, je suis fier de dire que nous sommes reconnus comme étant un chef de file de la lutte et de la prévention en matière de traite de personnes au pays, traduisant les auteurs devant la justice, et protégeant et rescapant des femmes, des enfants et des personnes marginalisées de toutes les couches de la société qui sont exploitées sexuellement. Ces quatre dernières années, la York Regional Police a sauvé plus de 100 victimes de la traite et de la prostitution, dont la plupart sont âgées de moins de 21 ans. Dernièrement, notre escouade de la moralité a déposé 12 chefs d'accusation de traite de personnes et plus de 80 accusations de proxénétisme au cours des cinq premiers mois de l'année.
    Dans bien des cas, on obligeait les femmes et les enfants à offrir des services sexuels en recourant à la violence, la menace de violence, la coercition et la tromperie. Nous considérons ces femmes et ces enfants comme des victimes de crime, et nous sommes déterminés à faire enquête sur tous les incidents relatifs à l'exploitation sexuelle et à la traite de personnes et à aider ces victimes.
    Notre expérience nous incite à croire que la prostitution est une forme d'exploitation dégradante et intrinsèquement dangereuse pour celles qui se livrent au commerce du sexe. Nous sommes ravis d'avoir l'occasion de donner notre avis sur un projet de loi aussi important. Nous avons demandé au gouvernement d'élaborer un modèle propre au Canada, lequel accorde aux agents de police les outils d'application nécessaires, est dur envers les proxénètes et les clients, fournit du soutien aux victimes d'exploitation et ne légalise pas une industrie dangereuse de par sa nature même.
    Nous considérons que le projet de loi C-36 atteint la plupart de ces objectifs. Nous appuyons notamment l'approche que le gouvernement propose pour abolir la prostitution, poursuivre en justice ceux qui exploitent d'autres personnes, fournir du soutien aux victimes et réduire les effets néfastes sur les communautés.
    Nous appuyons également les peines sévères qu'on propose d'infliger à ceux qui exploiteraient les femmes et les enfants marginalisés. En l'absence d'une nouvelle loi sur la prostitution, notre capacité de protéger les victimes et les personnes vulnérables, particulièrement les femmes et les enfants, serait amoindrie.
    J'aimerais souligner le lien entre la prostitution et la traite de personnes. Ce sont presque toujours des victimes de la traite de personnes qui font l'objet d'exploitation sexuelle. Même s'il existe des lois à cet égard, la traite de personnes est difficile à déceler jusqu'à ce qu'on acquière la confiance et la coopération des victimes. C'est pour cette raison que les enquêtes sur la traite de personnes et la prostitution sont souvent menées ensemble.
    Dans le cadre d'une initiative menée en 2014, la York Regional Police a arrêté 10 hommes pour traite de personnes en raison de l'exploitation sexuelle d'un certain nombre de femmes et de filles, dont 40 % étaient âgées de moins de 18 ans. Même si initialement, nous n'avions pas de motifs pour déposer des accusations de traite de personnes, nous avons pu nous servir des infractions relatives à la prostitution pour séparer ces hommes de leurs victimes. Nous avons ainsi pu gagner la confiance de ces dernières et les convaincre de faire des déclarations complètes qui nous ont permis de déposer des accusations de traite de personnes. Nous avons aussi pu mettre les victimes en rapport avec des organismes d'aide.

  (1010)  

    Vous voyez, sans les outils du Code criminel, nous ne pourrions pas sauver les victimes potentielles et les éloigner de ceux qui les exploitent. Il faut bien du temps et des tentatives pour gagner leur confiance afin de les aider à échapper à leurs abuseurs, comme c'est le cas pour la violence conjugale.
    Confinées dans des maisons de débauche ou sous l'emprise de proxénètes, les victimes ont souvent peur de demander l'aide des agents. Il importe de disposer des outils qui permettent de les séparer de ceux qui les exploitent, comme les infractions relatives à l'avantage matériel obtenu grâce aux services sexuels et au proxénétisme.
    Généralement, dans le cadre des enquêtes sur la prostitution, la police canadienne considère les prostituées comme des victimes et des personnes vulnérables. La York Regional Police a assurément adopté une approche axée sur les victimes. Il importe de souligner que nous ne cherchons pas à criminaliser les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe. Au cours des cinq dernières années, la York Regional Police n'a pas déposé la moindre accusation contre une femme se livrant au commerce du sexe.
    D'après notre expérience, un grand nombre de prostituées commencent à se prostituer contre leur gré, la plupart le faisant au milieu de l'adolescence. Comme au cours de l'initiative dont j'ai parlé et qu'elle a entreprise en 2014 , la York Regional Police a trouvé, pendant une initiative de deux semaines menée en 2013, 31 jeunes travailleuses du sexe inconnues jusqu'alors de la police. Près de 30 % d'entre elles étaient âgées de moins de 18 ans et elles avaient en moyenne 14,8 ans quand elles sont entrées dans le métier. Les enquêteurs ont pu aider toutes les jeunes filles de moins de 18 ans à rentrer à la maison afin de passer Noël en sécurité. Mais si elles ne reçoivent pas une aide et un soutien constants, nous craignons que la plupart de ces jeunes filles et jeunes femmes ne retournent à la prostitution à brève échéance.
    Il sera essentiel de fournir un financement adéquat aux services de soutien. Une fois les victimes extraites de l'industrie du sexe, elles ont besoin de stratégies pour s'en sortir. Elles ont notamment besoin de programmes et de financement afin de les aider non seulement à combler leurs besoins à court terme au chapitre du logement et du transport, mais aussi à régler leurs problèmes sous-jacents de toxicomanie et de maladie mentale, ainsi que le traumatisme découlant de l'exploitation ou de la violence sexuelle.
    Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons remarqué que bien des travailleuses du sexe quittent le métier sans le sou et aux prises avec d'importants problèmes personnels, comme des dépendances. Nos enquêteurs nous ont avisés que des victimes ont remis des milliers de dollars à leurs proxénètes simplement pour fuir complètement démunies.
    Nous félicitons le gouvernement d'affecter 20 millions de dollars, car c'est un premier pas important, et nous espérons qu'il entreprendra une analyse afin de déterminer les sommes additionnelles qu'il faudrait investir, à la lumière des commentaires formulés par les divers intéressés.
    Nous espérons qu'une fois mis en oeuvre, le projet de loi C-36 et le financement connexe continueront de fournir aux organismes d'exécution de la loi des moyens d'intervention pour éloigner les victimes des dangers immédiats et de les diriger vers des organismes qui offrent des services et du soutien.
    La York Regional Police appuie les modifications législatives que comprend le projet de loi C-36 pour réduire la victimisation en vue d'abolir un commerce qui, de par sa nature même, est néfaste et constitue une forme d'exploitation.
    Nous sommes impatients de continuer de participer dans le cadre de la mise en oeuvre du projet de loi C-36.
    Merci.

  (1015)  

    Merci, chef Jolliffe, de cet exposé.
    Nous allons maintenant entendre le dernier témoin de ce groupe, qui comparaît par vidéoconférence.
    Mme Ekberg — j'espère avoir prononcé correctement son nom — est professeure de droit.
    Vous avez la parole.
    Bonjour. Je vous souhaite un bon après-midi depuis Copenhague.
    En fait, je ne suis pas encore professeure de droit. Je suis une avocate canadienne qui s'occupe de questions relatives à la prostitution et à la traite de personnes depuis la fin des années 1980 dans un certain nombre de pays.
    J'aimerais d'abord remercier le comité de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui et particulièrement de s'être efforcé de me permettre de témoigner par vidéoconférence depuis Copenhague.
    Je traiterai aujourd'hui de certains aspects du projet de loi C-36, ce qui ne signifie pas que j'approuve pleinement ou pas les aspects que je n'aborde pas.
    Comme le comité le sait peut-être, j'ai été conseillère spéciale auprès du gouvernement de Suède pendant six ans, et j'ai été chargée de l'élaboration et de la mise en oeuvre de questions et d'interventions juridiques et stratégiques en ce qui concerne la prostitution et la traite de personnes, dans le cadre de ce qu'on appelle souvent « l'approche suédoise ».
    Cette approche, qui est profondément imprégnée des principes d'égalité des sexes et des droits de la personnes, a, comme vous le savez fort bien, inspiré d'autres pays de Scandinavie, de l'Union européenne et d'ailleurs, où les communautés s'efforcent de modifier la culture voulant que la prostitution soit inévitable afin de faire comprendre que personne dans la société ne devrait être exploité à cause de la prostitution.
    N'hésitez pas à m'interroger sur l'approche suédoise au cours de la période de question. J'aurais grand plaisir à traiter de certains des points soulevés précédemment au cours de la séance.
    Permettez-moi de passer directement au projet de loi C-36. Je veux tout d'abord traiter du préambule.
    Tout d'abord, je dirai que je suis enchantée de voir que pour la première fois au Canada, le gouvernement agit pour s'attaquer de façon exhaustive aux racines de la prostitution: ceux qui créent la demande, ces hommes achètent des services de prostitution. Je suis aussi satisfaite qu'il cible ceux qui profitent financièrement et matériellement de l'exploitation des personnes, principalement des femmes, qui s'adonnent à la prostitution.
    Pour assurer l'application efficace d'un cadre juridique exhaustif visant à prévenir et à éliminer la prostitution, il est essentiel, comme nous l'avons fait très clairement en Suède, d'énoncer les valeurs et les principes sur lesquels s'appuient ces lois, comme le gouvernement a tenté de le faire, du moins en partie, dans le préambule du projet de loi. Ce dernier n'indique toutefois pas que la prostitution est une violation sexospécifique. Or, la majorité des victimes sont des femmes et la majorité des acteurs — les acheteurs, les proxénètes et les trafiquants — sont des hommes. Nous savons également que les femmes et les filles autochtones du Canada sont fortement représentées dans le domaine de la prostitution intérieure et extérieure.
    Je recommande d'ajouter au préambule un paragraphe mentionnant les obligations en matière de droits de la personne internationaux que le Canada doit respecter en vertu de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, par exemple, et de l'article 9.5 de la Convention de Palerme, qui oblige les pays à criminaliser ou à décourager la demande aux fins de prostitution.
    La communication aux fins de prostitution pour la prestation de services sexuels me trouble profondément, tout comme elle trouble tous ceux qui répondent à l'invitation pour se prononcer sur ce projet de loi. Je trouve fort troublant que le gouvernement ait pris une décision, malgré l'abondance de preuves fournies par celles qui ont survécu à la prostitution et à la traite de personnes, des universitaires et des chercheurs communautaires, des organisation de lutte contre la violence envers les femmes, les organismes d'exécution de la loi, les témoins d'aujourd'hui et quelques provinces, sur les nombreux effets néfastes des sanctions criminelles ou administratives sur les personnes exploitées aux fins de prostitution. C'est non seulement discriminatoire, mais c'est également contraire aux obligations en matière de droits de la personne que le Canada s'est engagé à respecter.
    Je crois qu'au lieu de s'exposer à des accusations criminelles et à des démêlés potentiels avec le système de justice pénale, les victimes de la prostitution, à l'instar de toute autre victime, devraient pouvoir se prévaloir de tous les droits et toutes les mesures de protection prévus dans les déclarations des droits des victimes fédérale et provinciales, qui devraient être inclus dans projet de loi C-36.

  (1020)  

    Peu importe les mesures adoptées, aucun système juridique ne devrait permettre d'appréhender, de sanctionner, de poursuivre et d'emprisonner les victimes de la prostitution, un crime qu'elles subissent. J'exhorte le gouvernement à y réfléchir et à retirer cette infraction du projet de loi C-36.
    Si le gouvernement veut toujours éliminer la prostitution dans les endroits publics où il y a des enfants, la meilleure façon d'y arriver n'est pas de cibler les victimes, mais ceux qui créent la demande pour les acheteurs. En Suède, il s'agit d'une mesure efficace pour décourager les hommes à acheter des services sexuels. C'est encourageant de voir que le gouvernement propose une loi ou une infraction qui criminalise les acheteurs.
    Je vais faire un certain nombre de commentaires sur cette infraction en particulier. Je vous présenterai le reste de mes arguments par écrit.
    Tout d'abord, je rejette les études selon lesquelles les hommes qui achètent les services des femmes et des hommes prostitués sont inoffensifs et tiennent à garantir la sécurité et la protection des victimes. Les nombreuses études menées dans les universités et dans les collectivités, ainsi que les commentaires directs des acheteurs sur les sites Internet situés au Canada indiquent très clairement...
    Dans ma recherche, j'ai examiné de près de grands sites Internet aux Pays-Bas, dont hookers.nl, où des hommes publient des commentaires horribles sur les prostituées dont ils achètent les services. Dans mes entrevues au Liban, les acheteurs parlaient des avantages qui découlent du contrôle des femmes par la prostitution. Il en va de même dans tous les pays où des hommes achètent des services sexuels.
    Il convient d'élargir la portée de la loi et de criminaliser les tentatives. Sinon, il sera impossible d'intervenir avant qu'une infraction soit commise. Il faut renforcer les peines très faibles prévues pour ces crimes, afin d'en refléter la gravité. La violation de ces dispositions devrait entraîner un casier judiciaire qui ne peut pas être annulé, même si le contrevenant suit ce qu'on appelle des cours de rééducation. Comme en Norvège, la loi devrait permettre de poursuivre un Canadien qui tente d'acheter des services sexuels à l'étranger.
    Pour prévenir les infractions en matière de prostitution, une stratégie politique efficace doit empêcher les personnes, les groupes ou les personnes morales de recruter ou d'héberger des prostituées ou d'obtenir des avantages matériels issus de la prostitution d'autres personnes. La communauté internationale a reconnu très tôt le lien étroit entre les bordels légaux et les autres activités, légales ou illégales, liées à la prostitution dans un pays. Les proxénètes et les trafiquants amènent les prostituées dans les marchés où des hommes vont acheter des services sexuels. Nos 16 ans de travail pratique en Suède et la recherche universitaire le confirment. Dans des évaluations et des procès récents, il a été conclu que les systèmes de l'Allemagne et des Pays-Bas attirent ceux qui facilitent la prostitution et qui vendent les services des prostituées. Au lieu d'abroger les dispositions sur la prostitution comme la Cour suprême l'a proposé, nous devons les modifier, les renforcer, etc.
    C'est intéressant que je témoigne durant la même séance que les représentants de l'Adult Entertainment Association, parce que nous devons songer aux clubs de danseuses nues, aux salons de massage, aux services d'escorte et ainsi de suite, qui relèvent des systèmes de permis municipaux et non du fédéral. Cet aspect du système juridique canadien est étroitement lié dans la pratique aux mesures dont nous parlons aujourd'hui. Ces commerces influencent directement l'étendue et la portée des activités de prostitution et de traite de la personne qui viennent de l'extérieur et qui se déroulent au Canada. Ils causent des victimes au pays et à l'étranger.

  (1025)  

    L'inverse fonctionne également. Si on applique les dispositions criminelles avec vigueur contre tous les contrevenants et les acheteurs, les trafiquants et les proxénètes ne vont pas s'établir au pays ou dans la collectivité. Les pays européens qui ont légalisé ou décriminalisé la prostitution le reconnaissent aussi.
    Je ne parlerai pas pour l'instant de la disposition sur la publicité. Je l'approuve en général, mais elle soulève des problèmes en ce qui a trait aux champs de compétences, comme je l'explique dans mon mémoire.
    Lorsque j'ai témoigné devant un autre comité parlementaire au Canada en 2007, j'ai suggéré que le gouvernement nomme un rapporteur national indépendant sur la traite de personnes qui aurait le mandat de mener des enquêtes. Ce rapporteur devrait surveiller et analyser l'état et l'ampleur de la prostitution et de la traite, mais aussi examiner toutes les mesures législatives et politiques conformes à la Charte et aux droits de la personne reconnus à l'échelle internationale.
    En terminant, je dirai qu'une société démocratique qui vise l'égalité des sexes et le traitement équitable pour tous, peu importe les antécédents, doit permettre de vivre sans violence et exploitation. Il faut lutter contre la prostitution, qu'elle ait lieu à l'intérieur, dans les rues ou ailleurs.
    J'exhorte le comité et le gouvernement à résister à la promotion tapageuse et à la normalisation des arguments sur le libre choix ou la prostitution comme travail légitime qui donne du pouvoir. Dans le débat public au Canada, des organisations et des personnes militent pour des politiques qui bafouent les normes et les droits de la personne mis de l'avant par la communauté internationale, parce que leurs intérêts sont menacés.
    Souvent, ces organisations, ces groupes et ces personnes en faveur des violations liées à la prostitution au Canada veulent accroître l'exploitation des victimes de façon directe ou indirecte. Au Canada et dans d'autres pays, il s'agit en général de groupes d'hommes qui veulent faciliter l'accès aux femmes et aux jeunes hommes prostitués pour poursuivre leur exploitation. De tels groupes existent au Canada. Nos preuves montrent que c'est exactement ce qu'ils tentent de faire.
    Les gens qui tirent des avantages financiers ou matériels de l'exploitation des prostituées, recrutées par la ruse, sont bien sûr en faveur des violations. Aux Pays-Bas, des associations commerciales veulent étendre leurs empires et faire plus de profits.
    Je pense que le Canada aurait dû reconnaître il y a longtemps le lien étroit entre la prostitution et la traite de personnes. Il s'agit de formes graves de violence et de violations systémiques des droits de la personne.
    Il est temps d'agir de façon responsable, éthique et affirmée pour criminaliser ceux qui exploitent les prostituées. Il ne faut pas imposer de sanctions criminelles ou administratives aux victimes d'exploitation dans l'industrie de la prostitution.
    Merci.
    Merci beaucoup de votre exposé.
    Nous allons passer aux questions et réponses.
    Madame Boivin, du Nouveau Parti démocratique.

  (1030)  

[Français]

     Merci, monsieur le président. Je vais essayer de formuler des phrases précises et concises.
    Je remercie tous les témoins d'être présents parmi nous ce matin. C'est toujours intéressant d'entendre une variété d'opinions sur un sujet aussi complexe.

[Traduction]

    Votre témoignage est très intéressant, madame Ekberg.

[Français]

    En français, il y a une expression qui dit « les oreilles ont dû vous siller ». Si vous saviez le nombre de courriels que j'ai reçus par rapport à votre témoignage. Il y en avait certains qui y étaient favorables et d'autres qui l'étaient moins. Heureusement, je me garde l'esprit très ouvert. Ça ressemble beaucoup à d'autres témoignages que nous avons entendus, mais j'en prends bonne note.

[Traduction]

    Madame Grant, je suis désolée pour votre fille. Le pire, c'est sans doute de ne pas savoir exactement ce qui s'est passé. Hier, j'expliquais qu'on ne saura peut-être jamais ce qui est arrivé à Shannon et Maisy de Maniwaki. Je suis sûre que c'est infernal pour les parents. Je ne peux pas m'imaginer ce que vous ressentez, mais nous comprenons votre calvaire. Merci de nous avoir raconté votre histoire.
    Cela dit, ma première question s'adresse au chef Jolliffe.
    Avez-vous bien dit que vous n'avez pas accusé des travailleurs du sexe au criminel depuis des années?
    C'est exact. Nous n'avons pas accusé un travailleur du sexe depuis cinq ans.
    C'est excellent.
    Pourriez-vous expliquer la différence entre le Code criminel actuel et le projet de loi C-36 du gouvernement? Quelle nouvelle disposition va vous aider à faire votre travail ou vous donner de nouveaux pouvoirs? Vous ne pouviez pas criminaliser les clients et les trafiquants auparavant? Que devons-nous comprendre exactement dans votre témoignage?
    Nous cherchons toujours de nouveaux outils pour aider les victimes. Nous profitons de tout ce que le gouvernement peut mettre en oeuvre pour faciliter notre travail. Les forces de l'ordre sont parfois aux prises avec d'énormes contraintes financières.
    Des dispositions supplémentaires dans le C-36 portent sur la marchandisation des services sexuels par les proxénètes...
    Ne pouviez-vous pas les arrêter déjà?
    Lorsque la Cour suprême a rendu sa dernière décision, nous avons commencé à concentrer nos efforts sur les proxénètes.
    J'essaie de comprendre. Vous n'arrêtez pas les prostituées depuis cinq ans et vous parlez de la décision Bedford de décembre 2013 qui vous aide à vous concentrer sur les proxénètes. Quelle était votre cible auparavant?
    C'est un travail complexe qui nous demande d'apprendre à connaître le milieu pour établir si, au fond, les gens sont exploités. Nous avons besoin de beaucoup de temps et d'outils pour y arriver.
    Par exemple, la disposition sur les avantages matériels est importante pour nous. Celle sur la publicité nous aide aussi à départager les diverses parties impliquées, lorsque nous suivons une piste.
    Pouvez-vous m'expliquer comment ce projet de loi va vous aider à faire votre travail? Ce n'est pas un piège. Je veux simplement savoir de quel élément vous parlez, concernant la nouvelle disposition sur la publicité. Parlez-vous du renvoi au projet de loi C-13 qui vous permettra d'obtenir un mandat de surveillance? Quel outil vous aide exactement, selon votre interprétation du projet de loi?
    Dans la version actuelle du Code criminel, bien des dispositions permettent de réagir à la prostitution et à la traite de personnes au cours de nos enquêtes. Si une agression se produit, nous nous chargeons de l'affaire. Certains éléments du projet de loi...

  (1035)  

    Lesquels? C'est ce que je veux savoir.
    Je parle des dispositions sur la marchandisation des activités sexuelles, la présomption d'avantages financiers, le proxénétisme et la publicité. Nous pouvons examiner chacune de ces questions et établir si elles sont liées à d'autres activités.
    Ne pouviez-vous pas le faire déjà?
    C'était possible, mais nous avons maintenant plus de pouvoirs pour mener nos enquêtes.
    À quels pouvoirs faites-vous référence?
    Ces dispositions constituent simplement des outils supplémentaires pour accomplir notre travail.
    D'accord, c'est votre réponse.
    Je pense que Mme Lebovitch de Sex Professionals of Canada nous a parlé du modèle nordique. Nous en avons beaucoup discuté. D'autres groupes nous ont parlé un peu du modèle néo-zélandais, mais en quoi consiste-t-il au juste?
    Le modèle néo-zélandais soutient les droits des travailleurs du sexe, en vertu de la réglementation sur le travail et la santé. Il permet aux travailleurs du sexe de travailler ensemble et il leur donne les mêmes droits qu'aux autres travailleurs.
    Condamne-t-il les agressions sexuelles commises contre les personnes non consentantes? Y a-t-il d'autres lois qui portent là-dessus?
    Non. Contrairement à ce que certains affirment, la traite de personnes et la prostitution sont des questions distinctes. On m'a dit que la Nouvelle-Zélande est un chef de file, pour ce qui est de lutter contre la traite.
    Mais vous conviendrez sans doute que la prostitution fait parfois partie de la traite de personnes.
    Je ne suis pas sûre de comprendre la question.
    Ce que je veux dire, c'est que la prostitution n'est pas une activité violente. Parfois, certains actes...
    La prostitution fait parfois partie de la traite de personnes. Il faut admettre qu'il s'agit d'activités différentes, mais qui peuvent se recouper.
    Oui.
    Je veux poser une dernière question brève à l'Adult Entertainment Association. Comment définissez-vous les services sexuels? J'essaie encore de comprendre comment le projet de loi la définit. Personne n'a pu me répondre avec précision. Le ministre en était incapable. Quel est votre point de vue? Cette définition comprend-elle votre entreprise?
    Non.
    Notre définition des services sexuels vient de l'avocate Theresa Simone et diffère de la définition de Bill Clinton. Pour employer les termes que je connais, il s'agit de sexe réel ou simulé, de sexe oral, de masturbation, du fait d'uriner et de déféquer et de torture dans le contexte d'activités sexuelles. C'est une définition longue et très détaillée.
    Madame Boivin, la définition légale est ambiguë. La publicité a toujours représenté dans une zone grise et ne mentionne pas ces activités en particulier. Elle utilise des codes et, parfois, des acronymes. La loi ne fournit même pas de définition. Il s'agit d'une zone grise. C'est peut-être la définition de Bill Clinton qui s'applique. Il faut définir exactement quels sont les services sexuels.
    Merci beaucoup de ces questions et réponses.
     M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être ici aujourd'hui.
    Avant de commencer, je tiens à remercier Mme Grant de sa présence ici aujourd'hui. Vous êtes dans une position difficile, et j'espère que votre fille reviendra à la maison.
    Pour avoir aidé la police durant un certain temps et pour connaître un proche parent, je ne souhaite à personne dans la salle de vivre une situation aussi terrible.
    J'ai notamment participé à l'enquête sur Angela Jardine, une des victimes de Willie Pickton. Ses parents vivent toujours dans ma ville natale de Sparwood, en Colombie-Britannique. Ils sont toujours affligés, mais ils savent ce qui lui est arrivé. C'est tout un défi à relever.
    Monsieur le chef Jolliffe, je veux vous poser quelques questions sur la procédure policière et revenir aux questions posées par ma collègue, Mme Boivin.
    Dans le code actuel, le paragraphe 213(1) sur les infractions liées à la prostitution définit les endroits publics et donne nombre d'outils à la police pour appréhender les prostituées dans la rue.
    La police a bien sûr un pouvoir discrétionnaire, qu'elle utilise la plupart du temps. Dans votre témoignage, vous avez dit que vous n'avez accusé personne depuis cinq ans en vertu de l'article 213. Je dirais que vos agents ont employé abondamment leur pouvoir discrétionnaire. Du point de vue du travail de la police, quel est votre pouvoir discrétionnaire, et comment l'appliquez-vous?

  (1040)  

    Merci.
    Les policiers peuvent à leur gré porter des accusations. Ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu, mais nous pouvons décider, en fonction de divers facteurs, de procéder à l'arrestation et à la mise en accusation d'une personne. Dans ce cas particulier, nous utilisons les pouvoirs prévus au Code criminel pour nous faire une idée de ce qui se passe et trouver les personnes qui font ce commerce afin de savoir ce qui se passe, de déterminer si elles sont à l'aise avec ce qu'elles font, si elles le font de leur propre gré, etc. Cela nous amène à voir ce qui importe le plus. Cela nous mène aux proxénètes. Cela nous amène à porter des accusations de traite de personnes, ce qui est nettement plus important pour nous.
    Compte tenu de ce processus, nous choisissons d'utiliser notre pouvoir discrétionnaire pour gagner la confiance des travailleurs et travailleuses, de sorte qu'ils se sentent à l'aise de se confier à nous, de nous parler et de nous faire part de ce qui se passe vraiment dans leurs vies. Nous pouvons alors les tirer de la situation ou, du moins, les aiguiller vers les fournisseurs de services ou de traitement.
    Nous pourrions peut-être suivre le même cheminement en ce qui concerne les services disponibles, non seulement pour les personnes avec lesquelles vous traitez, mais pour la police. Compte tenu de leur pouvoir discrétionnaire, les policiers utilisent beaucoup de services qui leur sont offerts, et ce, non seulement pour les personnes qui relèvent de l'article 213, mais pour d'autres personnes.
    Pourriez-vous nous parler de certains des services qui sont offerts à la police?
    Je peux vous dire que nous ne pouvons agir seuls et que, par conséquent, nous nous sommes associés avec de nombreuses agences de services sociaux qui nous aident et vers lesquelles nous aiguillons les gens. Certains de ces partenaires sont venus témoigner devant vous, et nous accordons une grande valeur à leur capacité de nous aider et de nous éduquer sur ce qui se passe au sein de l'industrie de sorte que nous puissions offrir notre soutien aux personnes que nous considérons comme étant victimisées.
    J'aimerais maintenant que nous abordions les choses d'un angle différent. Nous avons entendu des témoins nous demander: « Pourquoi ne pas laisser tomber les dispositions législatives, le 20 décembre? Nous passerions alors à autre chose. » Pourriez-vous nous faire part de la façon de voir de la police, concernant l'option de laisser tomber les dispositions législatives le 20 décembre, plutôt que d'adopter le projet de loi C-36? Du point de vue de la police, si on laissait tomber ces dispositions législatives plutôt que d'adopter le projet de loi C-36, qu'est-ce que la police pourrait faire, et qu'est-ce qu'elle ne pourrait pas faire?
    Nous perdrions les dispositions sur le proxénétisme et sur la communication. Nous avons besoin de ces outils pour savoir ce qui se passe dans cette industrie. Comme je l'ai dit, nous cherchons toujours à savoir si les personnes sont victimisées. Sans ces outils, nous ne pouvons pas intercéder, ni poser des questions, ni aider les personnes qui ont désespérément besoin d'aide.

  (1045)  

    Vous avez aussi mentionné dans votre témoignage les outils qui relèvent du Code criminel du Canada et qui aident la police dans ses enquêtes. Vous avez aussi parlé du temps qu'il faut pour énoncer les motifs et établir la preuve, de manière à pouvoir porter des accusations de traite de personnes, et vous avez dit que vous utilisez parfois les outils du Code criminel, comme les articles 213, 212 et 210 pour faire avancer l'enquête.
    J'ai une question en deux volets que j'adresse à M. Jolliffe par votre intermédiaire, monsieur le président. Combien de temps faut-il en moyenne, d'après vous, pour boucler une enquête menant à des accusations de traite de personnes, du début jusqu'au dépôt d'accusations? Quels autres outils utilisez-vous pour y arriver?
    Il est important que les gens comprennent que cela ne se fait pas du jour au lendemain.
    Non, vous avez tout à fait raison. Identifier une personne que nous pensons exploitée peut parfois prendre des semaines et, même, des mois. Nous pouvons consacrer des jours, des semaines ou des mois à déterminer ce que fait une personne et à gagner sa confiance — ce qui est très important pour qu'une personne se sente à l'aise de nous dire ce qui se passe en réalité dans sa vie. Sept membres de notre personnel travaille précisément à cela, et chaque jour de la semaine, ils sont au coeur de la collectivité et cherchent à entraver la traite de personnes.
    Comme je l'ai dit, au cours des quatre dernières années, nous avons sorti de ce milieu 100 jeunes dont nous ne connaissions pas l'existence avant de consacrer de l'énergie et des ressources à trouver ce qui se passe vraiment.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Notre intervenant suivant est M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Chef Jolliffe, j'aimerais revenir sur certaines choses qui vous ont déjà été demandées et sur certaines de vos réponses.
    Entre autres, vous avez dit qu'au cours des cinq dernières années, votre service ne s'était pas prévalu du pouvoir prévu à l'article 213 de porter des accusations contre des travailleurs ou travailleuses du sexe. Cependant, quand M. Wilkes vous a demandé ce qui se produirait si le projet de loi C-36 n'était pas adopté le 20 décembre, vous vous êtes dit préoccupé par la perte des dispositions touchant la communication. Vous avez dit ne pas utiliser les dispositions sur la communication, mais vous vous inquiétez de les perdre.
    Pouvez-vous m'expliquer cela?
    C'est l'outil qui nous ouvre la porte. Cet article du code nous donne le pouvoir de nous interposer dans un processus et de déterminer où cela nous mènera. Dans la plupart des cas, nous aboutissons sur une route bien plus longue, en ce sens que nous pouvons en arriver à constater que la personne n'agit pas de son propre gré. Cela nous ouvre la porte et nous permet d'enquêter sur une situation beaucoup plus vaste.
    Est-ce que cela signifie que vous utilisez l'article 213 dans le but d'arrêter une personne qui se prostitue pour ensuite chercher à la tirer de sa situation en la menaçant d'une accusation en vertu de l'article 213, sans jamais le faire en réalité? Est-ce là ce que vous faites avec un outil que vous n'utilisez jamais en réalité?

  (1050)  

    Comme je l'ai dit, nous n'avons jamais accusé une prostituée en vertu de cet article du code. Nous nous en servons comme un outil qui nous met sur la voie de choses plus importantes.
    L'infraction relevant de l'article 213 du code est passible d'une amende maximale de 5 000 $ et d'un emprisonnement maximal de six mois. Est-ce juste?
    C'est une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, comme le prévoit le projet de loi C-36.
    Puisque c'est une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, elle est passible d'une amende maximale de 5 000 $ et d'un emprisonnement maximal de six mois. C'est bien cela?
    Vous hochez la tête, mais l'enregistrement ne peut capter cela. C'est oui?
    Oui.
    D'accord.
    Donc, prenons la personne qui pose sa candidature à un poste. Sur le formulaire, on demande « Avez-vous déjà été trouvé coupable d'une infraction criminelle pour laquelle vous n'avez pas obtenu de pardon? » ou, selon la nouvelle terminologie, « de suspension du casier ». Si cette personne a été accusée — je comprends que vous ne l'avez pas fait en cinq ans — et trouvée coupable en vertu de l'article 213, elle n'a pas le droit de répondre « non » à cette question, n'est-ce pas?
    Non.
    Merci.
    Madame Ekberg, je vous remercie de votre témoignage.
    Je m'intéresse à vos commentaires sur les dispositions touchant la communication. J'espère ne pas me tromper en paraphrasant ce que vous avez dit. Si j'ai bien compris, vous voyez comme une mauvaise politique les dispositions touchant la communication, lesquelles sont maintenues malgré le succès d'une contestation.
    Si vous parlez de l'infraction dont le but est d'interdire la communication, en ce qui concerne les personnes qui sont exploitées à des fins sexuelles, en effet, si elle est maintenue, c'est de la mauvaise politique. Mais elle aurait aussi des effets graves et directs sur les victimes, de toute évidence.
    Je vous remercie. Je comprends que vous disiez qu'il s'agit de mauvaise politique, et c'est exactement là où je voulais en venir.
    Avez-vous une opinion sur la constitutionnalité de cela?
    Je suis désolée. Je n'ai pas compris.
    Avez-vous une opinion sur la constitutionnalité du maintien des dispositions relatives à la communication publique dans le projet de loi C-36?
    Pour ce qui est des dispositions visant la communication de services sexuels, à la façon dont elles sont exprimées dans le projet de loi, je dirais qu'elles sont inconstitutionnelles parce qu'elles ciblent les victimes de ce qui est premièrement une violation des droits de la personne et aussi un crime.
    Je pense qu'elles seraient particulièrement inconstitutionnelles en vertu de l'article 15, en raison de la discrimination fondée sur le sexe — donc, l'égalité fondée sur le sexe —, mais aussi en vertu d'autres dispositions que la cour a énoncées dans une certaine mesure dans l'arrêt.
    Merci.
    Vous avez dit que, dans le préambule, on ne mentionne aucunement la position unique de vulnérabilité des Premières Nations. J'aimerais vous entendre en dire un peu plus à ce sujet.
    S'il y avait mention de cela dans le préambule, comment l'effet du projet de loi C-36 en serait-il changé, de même que la façon dont il serait interprété et appliqué par les tribunaux, une fois adopté?
    En Suède, premièrement, il était énormément important pour nous, quand nous avons précisé la démarche suédoise pour ensuite la mettre en place, de la fonder solidement sur des principes. Nous nous sommes penchés sur l'égalité des sexes, sur les droits internationaux de la personne et sur des politiques antidiscriminatoires et non discriminatoires. Tout cela est inscrit — notre régime juridique étant différent en Suède, dans les travaux, et cela sous-tend les lois que nous adoptons, quand il s'agit de la criminalisation des acheteurs.
    Dans ce projet de loi en particulier, le gouvernement a énoncé certains principes qui expliquent l'orientation choisie. Ce qui manque, c'est une mention générale des droits internationaux de la personne et des obligations qui s'ensuivent, notamment, l'attention qu'il faut porter en particulier à la discrimination que subissent les peuples autochtones au Canada et ailleurs.
    D'après moi, il faudrait mentionner en particulier la CEDAW, soit la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et les instruments internationaux généraux qui disent que la prostitution est un affront à la dignité et à la valeur de la personne, et je pense que le Canada devrait faire un pas de plus et mentionner la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Ce n'est pas obligatoire, mais il s'agit d'un engagement visant la prise en compte de la répression et de la discrimination dont les peuples autochtones souffrent particulièrement au Canada, surtout les femmes et les filles. Oui, il faudrait les inclure.

  (1055)  

    Merci.
    Tandis que nous parlons d'obligations internationales, je présume que vous savez que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une résolution demandant aux pays, y compris le Canada, d'inclure certaines choses concernant la prostitution. L'une des choses que le Conseil de l'Europe demande au Canada de faire, c'est de déployer des efforts particuliers sur le plan de la recherche et de la collecte de données.
    Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que le budget de recherche du ministère de la Justice a été réduit parce qu'il ne répond pas aux objectifs du gouvernement, et il n'en est pas question dans le projet de loi. Il n'en est pas question dans l'affectation de 20 millions de dollars.
    Quelle est votre opinion à ce sujet?
    Je répète en passant que je suis une citoyenne canadienne et que j'ai vécu au Canada de nombreuses années. Je suis donc bien au fait du système.
    Je pense que, pour adopter une démarche globale dans le but de prévenir et d'enrayer la prostitution, il faut diverses choses, dont la formation des policiers, la recherche, l'évaluation des effets de toutes les dispositions et non seulement de celles dont nous discutons en ce moment, d'autres politiques, l'évaluation de tout ce qui sera en place à la fin du processus et ainsi de suite.
    J'ai travaillé auprès des personnes qui prennent des décisions au gouvernement, et je ne crois pas que l'insuffisance de fonds en soit plus la raison au Canada qu'en Suède. Je pense plutôt que c'est une question d'égalité dans la distribution des fonds. Il faut que les décideurs en fassent une priorité politique, comme cela s'est fait en Suède, où le gouvernement a pris la décision d'intégrer le travail fondé sur l'égalité des sexes dans les stratégies en matière d'égalité entre les sexes, lesquelles ont été acceptées par les parlementaires de tous les partis.
    Il y a bien entendu les mesures qu'il faut aussi...
    Madame Ekberg, je vous remercie beaucoup. Je vous remercie des questions et des réponses.
    Notre intervenant suivant est M. Dechert, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos invités.
    Madame Grant, tout comme mes collègues, je souhaite sincèrement que votre fille revienne bientôt à la maison, saine et sauve, et je vous remercie de nous avoir raconté votre histoire.
    Je vais commencer par M. Lambrinos. Premièrement, je vous remercie de votre proposition de nous faire faire une visite des lieux à la fin de la journée. Je déplore de ne pouvoir me joindre à vous ce soir.
    Vous m'avez présenté certains de vos membres — les propriétaires, je pense, de certains des clubs que vous nous invitez à visiter. Ce sont les messieurs qui sont assis ici, dans la pièce. Voulez-vous les présenter aux membres du comité?
    Oui. M. Doug Pettit est propriétaire du NuDen. Earl Bentivoglio est du Barefax, et Rémi est un gérant du Barefax, dans la basse ville d'Ottawa.
    Très bien. Bienvenue à vous tous.
    D'après ce que je comprends, monsieur Lambrinos, ce qui préoccupe les membres de l'Adult Entertainment Industry Association, c'est la définition de « services sexuels » dans le projet de loi C-36. Vous craignez que les activités qui ont lieu dans les clubs de vos membres relèvent de cette définition. Est-ce bien cela? C'est ce qui vous préoccupe?
    Non. Ce n'est pas ça.
    D'accord. Mais est-ce une des préoccupations?
    Non, et je comprends que Mme Boivin ait posé la question précédemment. Ces activités sont interdites dans les clubs de divertissement pour adultes. Il ne s'en déroule pas et, en ce qui concerne...
    Donc, rien de ce que le Canadien moyen verrait comme un service sexuel ne se produit dans aucun des clubs que vos membres exploitent?
    Je ne dis pas que cela ne s'est jamais produit. Je ne dis pas cela, monsieur, pas du tout, mais c'est une activité interdite. Cela ne s'y produit ni plus souvent, ni moins souvent qu'ailleurs.
    Le but de cette définition est de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Je vais vous le dire, monsieur Dechert: c'est pourquoi ce n'est pas que l'éducation, ou le rapport que nous avons, mais ce sont les installations comme telles. Si vous veniez sur place, vous verriez que l'endroit réservé aux danses privées est d'accès ouvert. Ce n'est pas derrière une porte close comme dans un salon de massage.
    Monsieur Dechert, il n'y a qu'une chose. Le problème, c'est que les salons de massage font de la publicité et se servent de toutes sortes de codes, et les choses se passent derrière des portes closes. Elles sont derrière... Les capacités sont très limitées, sur le plan du langage, etc.

  (1100)  

    Et aucun de ces salons de massage ne fait partie de votre association, n'est-ce pas? Aucun de ces salons de massage n'est membre de votre association?
    Non. Aucun.
    Vous ne les représentez pas?
    Non, monsieur.
    Je comprends. Vous ne craignez donc pas que le projet de loi C-36 entraîne des répercussions sur vos membres. Vous avez dit plus tôt que les lois invalidées dans la décision Bedford ne vous touchaient en aucun cas.
    Non, et j'aimerais souligner, monsieur Dechert, qu'en ce qui concerne les lois invalidées, aucune accusation n'a été portée contre un club de divertissement pour adultes autorisé au cours des cinq dernières années, et nous savons donc que nous faisons un bon travail.
    Donc en vertu de l'ancienne loi, en vertu de la nouvelle loi, il n'y a aucun problème. Vos propriétaires devraient être en mesure de mener leurs activités de la façon habituelle.
    Toutefois, j'aimerais souligner... Vous avez raison en ce qui concerne la publicité, car nous devons également être proactifs.
    Ces endroits où l'on s'engage activement dans des actes sexuels — même le chef de police de York vous le confirmera — et où l'on en fait la publicité avec des acronymes entraînent des répercussions négatives sur nos artistes, car elles se rendent compte que les clients peuvent se rendre là-bas et obtenir plus pour leur argent, alors qu'une danse érotique n'est pas une relation sexuelle. Cela crée une certaine pression, et ces endroits nuisent donc à notre industrie.
    Vous craignez donc que les salons de massages érotiques et leur publicité empiètent sur les activités légales de vos membres?
    C'est exact. Ce genre d'endroits, monsieur Dechert, ne peuvent pas survivre seulement grâce au bouche-à-oreille, et ils s'en tirent avec cette ambiguïté.
    Ce que j'essaie de faire valoir, c'est qu'on a peut-être de bonnes intentions. Toutefois, vous ne définissez même pas l'expression « activité sexuelle », et le chef n'a aucun outil à sa disposition. Comme un grand nombre de députés l'ont souligné, ils ont maintenant toutes ces choses. Il y a des pages et des pages de...
    Il s'agit seulement des salons de massages érotiques, n'est-ce pas? Aucun de vos clients...?
    Non, ils ne font pas de publicité ici.
    M. Bob Dechert: D'accord. C'est bien.
    M. Tim Lambrinos: Le document les qualifie de « divertissement pour adultes », mais à mon avis, il ne s'agit pas de divertissement. Comment cela pourrait-il l'être? Personne ne regarde de spectacle...
    D'accord.
    Craignez-vous que les dispositions sur la publicité entraînent des répercussions négatives sur les activités de vos clients?
    Votre collègue a déjà souligné, monsieur Dechert, que d'une certaine façon, les clubs de divertissement pour adultes autorisés sont liés à la publicité, et ils ne le sont pas.
    Et bien, certaines femmes qui ont comparu devant le comité cette semaine soutiennent qu'elles ont été victimes de la traite des personnes et qu'on les a forcées à travailler dans des clubs de danseuses — je ne sais pas s'il s'agissait de membres de votre association, mais dans certains endroits au Canada — et qu'il y avait un lien entre les deux. Mais c'était seulement les témoignages de...
    J'aimerais répondre à cela.
    Il s'agit seulement des témoignages de ces danseuses.
    Mais a-t-on porté des accusations contre qui que ce soit dans ces cas? J'entends également des preuves anecdotiques. A-t-on accusé quelqu'un? Ce sont des déclarations extravagantes, des allégations à l'emporte-pièce.
    Oui, bien sûr.
    Je ne connais pas la réponse à cette question. Je vous dis simplement que c'est ce que nous avons entendu.
    D'accord. Je me méfierai de ces déclarations.
    Permettez-moi de vous poser une dernière question. J'ai peu de temps, et j'aimerais ensuite m'adresser à Mme Scott et à Mme Lebovitch.
    Vous avez mentionné les mots...
    Et bien, permettez-moi de vous demander si vous êtes avocat.
    Non, monsieur.
    D'accord, vous n'êtes pas avocat. Toutefois, vous avez mentionné les mots « intention de nuire » et « responsable ».
    Oui, monsieur.
    Vous êtes-vous renseigné sur ces mots? Avez-vous une formation en droit?
    Monsieur, je n'avais pas l'intention de formuler un avis juridique.
    D'accord. C'est bien. Nous allons donc nous arrêter ici.
    Si je peux ajouter quelque chose, toutefois...
    Non, c'est bien. Je voulais seulement savoir si vous les aviez étudiés dans le cadre d'une formation en droit et votre réponse...
    Non, mais j'aimerais répondre. Cela s'appelle la primauté du droit.
    Je suis désolé, mais le temps est écoulé, et je veux m'adresser à Mme Scott.
    Oui, monsieur.
    Madame Scott, vous avez mentionné dans votre exposé qu'à votre avis, le Parlement devrait simplement laisser les lois expirer...
    Oui.
    ... qu'il devrait laisser tomber les lois qui ont été invalidées par la Cour suprême, et qu'on appliquerait tout simplement les lois sur l'emploi et le travail. Est-ce exact?
    Oui. Je crois que la Cour suprême a invalidé, et pour une très bonne raison — 25 000 pages de raisons, en fait...
    D'accord.
    Je suis sûr que vous connaissez la décision Bedford, ainsi que les déclarations et les commentaires formulés par la juge en chef McLachlin dans sa décision.
    J'aimerais vous lire un passage. Elle a dit:
Cette limitation témoigne d'un choix de politique générale du législateur. Il est loisible à ce dernier de limiter les modalités et les lieux d'exercice de la prostitution à condition qu'il le fasse sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées.
    À quoi fait-elle référence, en ce qui concerne...?
    À quoi fait référence la juge en chef McLachlin?
    Oui, à quoi fait-elle référence? J'aimerais que vous vous concentriez sur les mots « limiter les modalités et les lieux d'exercice de la prostitution ». Selon vous, nous pouvons tout simplement la laisser tomber, mais la juge affirme que le Parlement a le droit de « limiter les modalités et les lieux d'exercice de la prostitution ». À votre avis, à quoi fait-elle référence dans cette phrase?

  (1105)  

    À mon avis...?
    À votre avis, à quoi la juge en chef McLachlin fait-elle référence?
    Elle a précisé « s'il choisit de le faire » — et manifestement, vous choisissez de le faire. Il n'est pas nécessaire que vous le fassiez. Mais je crois qu'il est extrêmement important de rejeter la totalité du projet de loi, et si vous tenez à le faire, il faut adopter une approche différente.
    D'accord. Je prends note de votre argument.
    Faites participer les travailleurs du sexe à la discussion, mais cette fois, faites-le réellement. On ne les a pas consultés.
    Mais à votre avis, quel est le rôle du Parlement lorsqu'il s'agit de réglementer et de limiter les modalités et les lieux d'exercice de la prostitution? Elle a dit que le Parlement en avait le droit. Êtes-vous d'accord avec elle?
    Suis-je d'accord avec la déclaration?
    Oui. Êtes-vous d'accord avec la déclaration de la juge en chef selon laquelle le Parlement a le droit de limiter la prostitution?
    Oui, il a ce droit.
    À votre avis, a-t-elle raison?
    Je conviens qu'il a ce droit...
    M. Bob Dechert: D'accord. Permettez-moi donc de vous poser une autre question.
    Mme Valerie Scott: ... mais il doit l'exercer de façon à ne pas tous nous mettre en danger de mort encore une fois.
    Je comprends, et c'est là, et nous l'avons lu.
    Toutefois, j'aimerais maintenant savoir quelle compétence fédérale le gouvernement devrait utiliser, selon vous, pour se conformer à la déclaration de la juge en chef selon laquelle le Parlement a le droit d'imposer de telles limites.
    Vous avez parlé des lois du travail et de l'emploi; d'autres ont mentionné un règlement de zonage. Toutefois, aucun de ces éléments ne relève du gouvernement fédéral du Canada.
    Mme Valerie Scott: C'est exact.
    M. Bob Dechert: Dans ce cas, pourquoi la juge en chef McLachlin a-t-elle dit que le Parlement avait le droit d'imposer des limites?
    Eh bien, il le fait déjà. De nombreuses lois écrites concernent l'industrie du sexe et l'exploitation de ses travailleurs.
    Par exemple, comme je l'ai dit au début de mon exposé, nous avons seulement contesté un dixième des lois qui visent la pratique consistant à vivre des profits de la prostitution. Il y a une liste assez longue, en fait c'est presque un catalogue, d'autres infractions.
    Ces lois n'ont pas été invalidées, et ce n'est donc pas ce dont elle parlait.
    Je vous demande pardon? C'est ce dont je parle.
    Ce ne sont pas les lois qu'elle a invalidées, et elle ne parlait donc pas de cela.
    D'accord. Merci, monsieur le président.
    Votre temps est écoulé. Merci beaucoup. Je vous remercie des questions et des réponses.
    Le prochain intervenant est M. Jacob, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d'être parmi nous ce matin.
    Tout comme mes collègues, j'ai beaucoup d'empathie pour vous, madame Grant, par rapport à votre situation.
    Ma première question s'adresse à M. Jolliffe.
    Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé de toxicomanie. À l'heure actuelle, les services de santé mentale et d'aide aux toxicomanes offerts aux prostituées et aux femmes vulnérables sont-ils suffisants dans votre région et partout dans la province et au pays?

[Traduction]

    Je dirais qu'ils ne sont pas tout à fait suffisants et qu'il est nécessaire de faire en sorte que ces personnes puissent profiter davantage des services liés aux problèmes de dépendance et de santé mentale dont elles ont besoin. Dans notre industrie, nous le constatons chaque jour.

[Français]

    Merci, monsieur Jolliffe.
    Vous avez également parlé des 20 millions de dollars que le gouvernement s'apprête à investir sur cinq ans. Ce gouvernement démontre-t-il qu'il est sérieux en investissant 20 millions de dollars sur cinq ans, et ce, d'un bout à l'autre du Canada?

[Traduction]

    J'adopte le point de vue positif qu'il s'agit au moins d'un début. Honnêtement, je ne suis pas certain que c'est suffisant. C'est pourquoi j'ai dit dans mon exposé que c'est un bon début. Je crois que lorsqu'on aura mené d'autres évaluations sur les utilisations possibles, nous aurons une meilleure idée de ce qui représenterait une somme plus appropriée.

[Français]

    Merci, monsieur Joliffe.
    Ma deuxième question s'adresse à Mme Scott et à Mme Lebovitch.
    Ce que je retiens de vos interventions, c'est que le projet de loi C-36 est très imparfait puisqu'il ne répond pas aux exigences du jugement de la Cour suprême dans l'arrêt Bedford et qu'il n'améliorera pas la sécurité des femmes.
    Ma première question est la suivante. Dans quelle mesure le logement abordable et la réduction de la pauvreté peuvent-ils aider les travailleuses du sexe à quitter éventuellement la prostitution?

  (1110)  

[Traduction]

    Elle a de la difficulté à vous entendre. La question concernait la façon dont les mesures contre la pauvreté et le manque de logements abordables permettront aux travailleurs du sexe de quitter cette industrie.
    Je crois qu'on devrait s'attaquer aux problèmes liés à la pauvreté et au manque de logements abordables pour tous les habitants du pays. Ce sont des problèmes qui accablent de nombreux Canadiens.
    J'aimerais seulement préciser que les modèles mis en oeuvre en Nouvelle-Zélande prévoient des lignes directrices en matière de santé et de sécurité au travail et des dispositions contre l'exploitation. Ces éléments font partie du modèle de la Nouvelle-Zélande en ce qui concerne les jeunes et le travail dans l'industrie du sexe et la délivrance de permis aux entreprises, mais pas la délivrance de permis aux particuliers, c'est-à-dire les travailleurs du sexe. Je voulais seulement préciser cela.
    Mais je crois que la pauvreté et le manque de logements abordables sont des enjeux auxquels nous devons tous nous attaquer pour le bien-être de tous les Canadiens.
    Je suis d'accord. Je ne crois pas que l'on devrait cibler un groupe en particulier. Je crois que le Canada pourrait faire beaucoup mieux à cet égard, à mon avis.

[Français]

    D'accord.
    Vous avez parlé du modèle de la Nouvelle-Zélande. Quelles seraient les répercussions concrètes du projet de loi C-36 sur votre vie de tous les jours?

[Traduction]

    Il parle des répercussions du projet de loi C-36 sur la vie des travailleurs du sexe. J'en ai parlé un peu dans mon exposé, car lorsque vous ciblez les clients des travailleurs de la rue, vous nous mettez en danger. Nous le constatons à Vancouver et partout où on l'a fait. C'est une façon de nous éloigner encore plus de nos collectivités et des services dont nous avons besoin.
    Comme je l'ai mentionné, les clients sont paranoïaques à l'égard de la police et ils se rendent dans des endroits isolés, et nous devons donc nous rendre dans ces endroits, n'est-ce pas?
    En ce qui concerne les travailleurs d'intérieur... très inquiets au sujet de la publicité. Aux États-Unis, nous constatons que des sites ferment. Nous ne sommes pas en mesure de faire de la publicité. Encore une fois, les clients des travailleurs d'intérieur sont ciblés.
    En Suède, on obtient des renseignements sur les clients en se rendant où les travailleurs du sexe mènent leurs activités dans leur logement ou dans des hôtels, et on surveille ces hôtels et les clients lorsqu'ils arrivent. Nous craignons donc cela.
    Comme dans tous les autres secteurs d'activité, nous allons où sont nos clients. Si vous nous forcez à nous rendre dans des endroits sombres et dans des zones industrielles, comme cela s'est produit à Vancouver — le type d'endroits où Robert Pickton a commis ses assassinats — nous serons à nouveau exposées à ces dangers en raison du projet de loi. Je peux le prévoir.
    Je suis également assez âgée pour connaître les répercussions de ce type de criminalisation. Avant la décision Hutt, rendue en 1978, la pègre contrôlait pratiquement toutes les maisons de prostitution, à moins que vous viviez à Halifax, car Ada McCallum, une tenancière de maison close bien connue, gérait plusieurs maisons de prostitution satellites à Halifax et à Dartmouth. Travailler pour Ada était acceptable.
    Toutefois, à Toronto, à Montréal et à Vancouver, les propriétaires de maisons de prostitution étaient surtout de gros gars musclés qui pouvaient soudoyer la police, et la publicité devait se faire de bouche à oreille.
    Nous devons donc nous rendre où sont les clients et nous finissons par travailler dans l'une de ces maisons de prostitution clandestines.

  (1115)  

    Je vous remercie de vos questions et je remercie les témoins de leurs réponses.
    Le prochain intervenant est M. Goguen, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier tous les témoins de leur exposé. Vous avez offert une grande variété de témoignages, et ils nous seront utiles au cours de nos délibérations.
    Évidemment, madame Grant, comme d'autres députés l'ont dit, nous vous souhaitons la meilleure des chances pour retrouver votre chère fille.
    J'aimerais poser mes questions à Mme Ekberg. Votre témoignage était très attendu, car vous êtes l'auteure du modèle nordique. Comme vous le savez, le projet de loi C-36 a emprunté plusieurs éléments au modèle nordique, surtout ceux qui criminalisent les proxénètes et les clients.
    Je présume qu'en tant qu'auteure de ce modèle, vous avez suivi les résultats qu'il a obtenus dans l'industrie de la prostitution en Suède?
    Je suis désolée, mais je n'ai pas entendu la dernière partie de votre question. Vous présumez que...?
    J'ai dit que je présumais que vous aviez suivi les résultats obtenus par le modèle nordique après sa mise en oeuvre en Suède.
    C'est exact.
    En 2008, une enquête spéciale, présidée par la chancelière de la justice, a été menée pour examiner ses effets.
    Étant donné que nous avons très peu de temps, puis-je vous poser quelques questions pointues? J'aimerais me concentrer sur deux ou trois choses. Je sais que vous avez étudié le sujet.
    Après sa mise en oeuvre, quel effet le modèle nordique a-t-il eu sur la prostitution? Les activités liées à ce domaine ont-elles augmenté ou diminué? Celles liées à la traite de personnes ont-elles augmenté ou diminué? Quels résultats ce modèle a-t-il obtenus et sur quels éléments fondez-vous vos affirmations?
    L'enquête consistait en une étude comparative entre la Suède, la Norvège et le Danemark. À l'époque, la Norvège n'avait pas adopté les dispositions qui criminalisent les acheteurs, ni l'approche plus globale adoptée par la Suède. Au Danemark, l'approche adoptée consiste à ne pas mettre en oeuvre la loi, mais elle est toujours dans les livres, et il s'agit donc d'un modèle de tolérance.
    Ce qu'on a conclu au sujet de toutes les questions que vous m'avez posées, c'est que le nombre de particuliers dans le domaine de la prostitution a diminué de façon spectaculaire, surtout comparativement aux pays qui n'ont pas adopté notre approche. Plus précisément, le pays qui avait le plus grand nombre de victimes était le Danemark, en pourcentage de sa population, car le pays a... Si je regarde par la fenêtre, ici, je vois des boîtes de nuit et en réalité, au Danemark, il y a une industrie de la prostitution très rentable, ce qui n'est pas le cas en Suède.
    La rapporteuse nationale sur la traite des personnes, un poste créé en 1998, a conclu il y a longtemps — et l'enquête spéciale a confirmé ses conclusions — que l'adoption d'une loi et sa mise en oeuvre énergique contre les acheteurs de services sexuels, les proxénètes et les trafiquants rend un pays moins attirant sur ce plan.
    Les services de police allemands et néerlandais en doutaient, mais récemment, c'est-à-dire ces deux dernières années, ils ont demandé aux services de police de la Suède comment ils parvenaient à restreindre la participation du crime organisé, alors qu'en Allemagne et aux Pays-Bas, la situation est catastrophique, à mon avis. Lundi dernier, la cour d'appel de la province d'Utrecht a confirmé une décision visant à fermer tout le district de la prostitution de la province d'Utrecht et ses 143 maisons de prostitution en raison de la participation du crime organisé. Donc pendant que nous observons une diminution dans notre pays, les autres pays observent une augmentation chez eux. Cette affirmation se fonde sur des faits, et non sur des arguments creux.
    En résumé, sa mise en oeuvre a grandement diminué les niveaux de prostitution et de traite des personnes; c'est la réponse concise. Est-ce exact?
    C'est exact. Mais j'aimerais également ajouter qu'après 16 ans d'efforts, nous n'avons toujours pas réussi, évidemment, à éliminer entièrement la prostitution et la traite des personnes. De plus, j'aimerais ajouter...
    Je suis désolée...?
    Très bien.
    Qu'en est-il du problème de violence? Il y avait toujours la question de la violence. Certains témoins nous ont dit que cibler les clients enfoncera davantage les prostituées dans la clandestinité et rendra leur travail plus dangereux.
    La mise en oeuvre du modèle nordique s'est-elle traduite par une hausse du nombre de prostituées qui sont victimes de violence? Avez-vous fait des constatations, que ce soit positif ou négatif, pour ce qui est de la violence?
    Permettez-moi de parler de la clandestinité et de la violence. Tout d'abord, la « clandestinité » n'est pas un endroit. La prostitution ne peut entrer dans la clandestinité. Pour que les clients soient en contact avec les personnes auprès desquelles ils veulent acheter des services sexuels, il faut qu'il y ait une communication.
    Cela peut se faire sous forme d'annonces, par exemple en ligne ou dans les journaux, comme l'a indiqué l'Adult Entertainment Association of Canada. Il existe différentes façons de communiquer. Au même titre que les clients, les policiers peuvent communiquer avec les hommes et les femmes qui se prostituent, et les policiers suédois ont passé bon nombre des dernières années à mener des enquêtes en ligne sur les sites Web sur lesquels on annonce la vente et l'achat des services.
    Et la violence...?
    L'enquête spéciale portait également sur la violence. Toutefois, en discutant avec des femmes qui se sont déjà prostituées en Suède et qui ne sont pas liées à l'industrie de la prostitution, elles vous diront que l'industrie de la prostitution comme telle est un milieu très violent, et qu'il n'y a pas de lien entre le plus petit nombre d'hommes et l'accroissement de la violence, car les hommes qui sont violents... La prostitution est en soi une pratique violente — l'utilisation des femmes, la violence sexuelle —, mais rien ne garantit que les gens qui cessent d'acheter des services sont moins violents que ceux qui font partie de l'industrie.
    Dans le cadre de l'enquête spéciale, on a consulté des femmes et des hommes qui se sont déjà prostitués, qui ont clairement refusé... Je serais ravie de vous donner un exemplaire du document si vous voulez le lire.

  (1120)  

    Merci beaucoup. Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    C'est maintenant au tour de Mme Péclet, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leurs interventions. Je vais procéder rapidement parce que, comme vous le savez, nous n'avons pas beaucoup de temps.
    Ma première question va s'adresser à Mme Ekberg.
     Je pense qu'il est important de mentionner que le modèle nordique devrait plutôt s'appeler le modèle suédois. On sait que la Finlande, le Danemark et plusieurs autres pays du Nord de l'Europe n'ont pas exactement le même modèle que celui qu'a adopté la Suède.
    La Suède a adopté un modèle qui criminalise la personne qui se procure le service. Cependant, il est important de savoir que toute sa législation a été accompagnée de mesures sociales extrêmement importantes. Un tel modèle ne peut pas fonctionner si les autorités n'ont pas les ressources nécessaires pour aider, comme on le prétend, les victimes à se sortir de cette situation.
    J'aimerais vous entendre sur deux aspects. D'abord, on a ici un projet de loi qui ne respecte pas le modèle nordique, comme on l'appelle, puisqu'il criminalise encore les femmes. C'est ce dont vous avez parlé dans votre préambule. De plus, le projet de loi n'est pas accompagné de mesures sociales, comme l'a fait la Suède lorsqu'elle a adopté sa loi en 1999.
     Peut-on vraiment appliquer tous les chiffres qu'on entend ici au projet de loi C-36? J'ai des doutes à cet égard.

[Traduction]

    Il est vrai que le modèle de la Suède est plus complet que celui d'autres pays, et c'est surtout parce que nous avons commencé à nous pencher sur la question 10 ans avant les deux autres pays scandinaves qui l'ont fait. Cependant, en examinant d'autres pays européens qui envisagent maintenant d'adopter un modèle similaire qui, en fait, n'est pas un modèle de criminalisation parce que les femmes ne sont pas criminalisées, ce qui est essentiel pour nous, mais les auteurs des actes le sont, et...
    Si l'on prend le projet de loi qui est maintenant devant le Sénat en France, où il y a beaucoup plus de problèmes sociaux et de difficultés financières et économiques qu'au Canada, on a tout de même décidé d'adopter des mesures législatives très similaires aux nôtres comprenant des mesures sociales, etc.
    Je pense que le modèle peut s'appliquer partout. Cependant, comme je l'ai dit à l'un de vos collègues, il est nécessaire que l'application d'un tel modèle soit une priorité politique, qui devrait inclure, comme vous l'avez signalé à juste titre, des mesures qui font en sorte que les victimes ont accès à des programmes de sortie viables, mais également que ce sont des programmes à long terme.

  (1125)  

    Puis-je seulement vous poser une petite question avant de passer à un autre témoin? Appuieriez-vous le projet de loi intégralement s'il criminalisait encore les femmes?
    Comme je vous l'ai déjà dit, je n'appuie pas le projet de loi intégralement, car je désapprouve profondément la criminalisation des victimes de la prostitution. Je crois que c'est inconstitutionnel et que cela va à l'encontre de l'égalité des sexes ou des droits de la personne. Toutefois, je soutiens un projet de loi amendé qui s'accompagnerait de mesures d'accès à des services, à du financement, etc.
    De plus, je veux seulement dire qu'il faut commencer quelque part et apporter des changements au fur et à mesure.
    D'accord. Merci beaucoup.

[Français]

    Avant de poser ma prochaine question, je vais lire une citation tirée de la présentation du ministre. La question va s'adresser à M. Lambrinos.

[Traduction]

    Le ministre a clairement dit ceci:
    Le projet de loi C-36 vise également à continuer de dénoncer et d'interdire l’exploitation des personnes se livrant à la prostitution par une tierce partie, ce que l’on appelle communément le proxénétisme. Cela comprend l’institutionnalisation de la prostitution par l’intermédiaire d’entreprises commerciales — les bars de danseuses, les salons de massage et les agences d’escortes — dans lesquelles la prostitution a souvent lieu. Toutes ces entreprises tirent profit de la demande créée par les acheteurs.
    Que répondez-vous à cela?
    C'est la préoccupation que j'essayais de soulever en répondant à la question de M. Dechert. Je ne sais pas quelles données le ministre essaie de citer, mais c'est faux.
    À l'heure actuelle, les boîtes de divertissement pour adultes détenant un permis, les danseuses qui y travaillent, ne devraient pas faire partie de la même catégorie. La raison — et c'est sur le plan de la demande —, c'est que 75 % des clients qui vont dans un lieu détenant un permis, et je vous invite, madame Péclet, à venir y faire un tour ce soir, ne paient pas pour une danse privée.
    Ils vont sur les lieux pour trois raisons. Premièrement, ils veulent socialiser. Il y règne une ambiance de fête. Le côté social est très important pour les danseuses. Deuxièmement, ils veulent tout simplement relaxer. Troisièmement, ils veulent regarder quelque chose. Seulement 25 % d'entre eux paieront pour une danse privée.
    Nous savons que le nombre de relations sexuelles ou d'actes sexuels au cours d'une danse privée est faible, en raison de nombre d'accusations. De plus, à l'heure actuelle, les danseuses sont des étudiantes. Un nombre de plus en plus important d'étudiantes travaillent dans ce milieu et font de l'argent en faisant des danses contacts et n'ont pas à se prostituer ni à avoir de relations sexuelles, etc. Nous savons qu'il n'y a pas de demande. Nous savons que nous faisons bien notre travail, que nous faisons du très bon travail. De plus, nous collaborons, en fait, pour informer les employés sur les situations où le sexe est interdit. Nous savons donc que c'est une bonne occasion.
    Il est injuste que le ministre ait mis les boîtes de divertissement pour adultes détenant un permis dans cette catégorie, qu'il ait mis les femmes qui y travaillent dans la même catégorie. Dans les journaux... et il y a un peu de méconnaissance. Dans les journaux, on parle de « divertissement pour adultes », et les boîtes de divertissement pour adultes sont des bars de danseuses.
    Les salons de massage... Il n'y a rien de plus qu'une zone grise. Nous savons ce qu'est un massage. Quelle partie du corps est massée? Nous savons...
    Je vous remercie des questions et des réponses. Je crois que vous avez fait connaître votre point de vue. Merci beaucoup à tous.
    Le dernier député qui posera des questions est M. Dechert, du Parti conservateur, qui dispose de deux minutes.
    Merci, monsieur le président. Je serai bref.
    Madame Lebovitch, je suis ravi de vous revoir. Nous nous sommes rencontrés plus tôt cette année. Je vous remercie de votre présence.
    Je suis en train d'examiner les paragraphes 11 et 12 de la décision de la juge en chef McLachlin dans l'affaire Bedford. Elle y décrit votre situation, votre expérience.

  (1130)  

    Je ne l'ai pas avec moi.
    Elle a dit que vous avez déjà travaillé comme escorte, dans une agence d'escorte. Vous avez travaillé dans la rue et dans votre demeure.
    Au paragraphe 12, elle dit ceci: « à l'heure actuelle, Mme Lebovitch se prostitue essentiellement chez elle, de manière autonome ». Elle dit que vous craignez entre autres d'être accusée et déclarée coupable de tenir une maison de débauche selon les lois déclarées inconstitutionnelles et de perdre votre demeure en conséquence. Le projet de loi C-36 prévoit une exception. Vous n'avez pas à craindre de perdre votre demeure.
    Ensuite, la juge dit que vous craignez que votre conjoint ne soit accusé de proxénétisme et évidemment considéré comme un criminel. Le projet de loi C-36 prévoit une exemption pour les partenaires et les gens qui demeurent dans le lieu, et cette question y est donc traitée.
    Enfin, la juge en chef dit que vous craignez d'être beaucoup plus en danger si vous allez dans la rue. Toutefois, si vous pouvez mener vos activités chez vous, où vous pouvez bien évaluer vos clients, alors vous serez plus en sécurité. Je pense que dans cette mesure, le projet de loi C-36...
    Non, sur ce dernier point, non.
    Il tient compte, du moins, des points précisés dans les paragraphes 11 et 12 de la décision de la juge en chef McLachlin.
    Je ne peux pas faire une évaluation préalable de mes clients.
    Elle parle pourtant des aspects qui vous préoccupaient. Y a-t-il quelque chose dont elle n'a pas parlé dans sa description?
    Veuillez poser votre question.
    Je ne comprends pas vraiment...
    J'essaie simplement de faire valoir qu'à mon avis, le projet de loi C-36 tient compte de ces questions, des éléments qui vous préoccupent dont traite la juge en chef McLachlin.
    Pourriez-vous me laisser parler un instant?
    Oui.
    Est-ce que vous posez une question ou bien vous faites une déclaration?
    Madame Lebovitch, j'essaie d'expliquer, pour que l'ensemble des gens comprenne, qu'en lisant la décision de la juge en chef, il me semble qu'elle a indiqué vos préoccupations. Le gouvernement les a lues et en a tenu compte dans la préparation du projet de loi C-36.
    Non, vous ne l'avez pas fait.
    D'accord.
    D'accord.
    Vous ne l'avez pas fait, car je ne peux pas évaluer préalablement mes clients. Vous les criminalisez. Les policiers vont... Comment croyez-vous que les policiers trouveront les clients? Ils iront aux endroits où je travaille.
    Merci beaucoup.
    Je remercie nos témoins de leur présence à notre première réunion d'aujourd'hui portant sur le projet de loi C-36. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir comparaître et de nous avoir donné votre point de vue.
    Nous allons maintenant poursuivre la séance à huis clos pendant une demi-heure.
    Je remercie nos amis de l'Adult Entertainement Association de leur invitation, mais je ne crois pas que se sera la cohue ce soir, pour notre part en tout cas, mais on ne sait jamais.
    Cela dit, nous suspendons la séance un moment et nous poursuivrons à huis clos.
    Je vous remercie de votre présence.
    [Conformément à une motion adoptée par le comité, les délibérations suivantes sont désormais publiques.]

  (1135)  

    Comme vous le voyez, Thai Truong, de la York Regional Police, est ici avec nous. Il est détective dans l'escouade des drogues et de la moralité.
    Je vous accorderai quelques minutes pour faire un exposé, puis nous vous poserons des questions.
    Je tiens à remercier le président et le comité de me permettre de témoigner aujourd'hui. Je suis agent de police depuis 13 ans. Depuis neuf ans, je m'occupe du crime organisé, et je supervise depuis six ans l'unité de la moralité, qui s'attaque principalement à l'exploitation des femmes et des filles et, essentiellement, à toutes les affaires de traite de personnes dans la région d'York.
    Chaque jour, des Canadiennes sont victimes d'exploitation sexuelle. Elles viennent de tous les horizons. Certaines sont plus vulnérables que d'autres, mais j'ai vu des victimes venant de toutes les couches de la société. Elles ont comme caractéristique commune l'âge auquel elles ont commencé à vendre leur corps. Au cours de deux opérations menées récemment par la York Regional Police, nous avons constaté que l'âge moyen pour commencer à se prostituer est de 15 ans.
    Une fois sous l'emprise d'un proxénète, il est presque impossible pour une victime de s'échapper. Les proxénètes sont abusifs et manipulateurs. Ils exercent leur emprise en recourant à la violence, parfois à la drogue, et aux formes les plus dures de coercition. Ils tissent une toile de mensonges autour de leurs victimes, au point où ces dernières cessent de croire qu'elles peuvent se fier ou faire appel à qui que ce soit. La famille, les amis, les responsables d'exécution de la loi et tous ceux qui cherchent à les aider deviennent des ennemis auxquels elles ne peuvent faire confiance ou qui ne peuvent comprendre leur oppression. C'est un piège psychologique absolu dont on ne peut s'échapper.
    Les femmes choisissent rarement de se livrer à la prostitution. C'est un acte désespéré de personnes victimes de proxénètes, de dépendance ou de maladie mentale, et parfois d'une puissante combinaison des trois.
    Je ne parle pas de travailleuses du sexe indépendantes qui affirment que c'est leur profession. Ce n'est pas de ces femmes dont je parle. Je ne parle par des survivantes qui ont eu la chance de sortir de l'industrie du sexe. Je parle des femmes et des filles qui ne peuvent se faire entendre, celles qu'on ne voit pas en public et qu'on n'entend pas. Ce sont elles que notre service de police cherche à trouver, car elles sont totalement isolées et ont vraiment besoin d'aide.
    Si nous sommes assez chanceux pour trouver ces femmes et ces filles, elles nient habituellement qu'elles ont besoin d'aide, même si elles arborent des ecchymoses et des blessures évidentes. C'est d'elles dont je parle. Je ne parle pas d'un autre point de vue. Je parle des victimes que nous trouvons quotidiennement et qui n'entrent pas dans ces catégories. Voilà les filles dont je parle. Ce sont celles que nous sommes mandatés pour sauver.
    Je vais vous donner un exemple typique de victime de la traite de personnes. Tout d'abord, quand on en voit une, si on est assez chanceux pour s'apercevoir qu'il s'agit d'une victime de la traite de personnes, elle ne demandera pas qu'on l'aide ou qu'on la sauve. Dans le cas d'infractions criminelles normales — j'emploierai ce terme librement —, si je travaille dans une station d'essence et qu'un voleur pointe un fusil sur ma tempe, je vais appeler la police. Même si le voleur me dit de ne pas appeler la police sinon il va me tuer, je vais, de façon générale, être terrifié, mais je vais appeler la police, car j'ai besoin d'aide et il faut que je signale l'incident.
    Mais les victimes de la traite de personnes n'appelleront pas la police. En fait, si nous intervenons, elles nieront tout. Voilà les filles dont je parle, celles qui sont complètement isolées et prises au piège.
    Il s'agit indubitablement d'un sujet complexe. On a bien des idées sur ce que les nouvelles lois du Canada devraient comprendre. Certains préconisent la légalisation totale de la prostitution, faisant valoir qu'il s'agit du plus vieux métier du monde et qu'il est inutile de chercher à le régir.
    Selon moi, une société qui autorise l'achat ou la vente du corps humain est malade. Les répercussions que cela pourrait avoir sur l'avenir de nos jeunes et de la société sont inimaginables.
    D'autres affirment que si on sensibilise les gens à la prostitution et à ses ravages, propose des stratégies pour aider les prostituées à abandonner le métier et criminalise l'achat, et non la vente, de services sexuels, les prostituées quitteront volontairement leurs proxénètes si on leur offre des options. Mais cela ne fonctionnera pas pour les femmes et les filles que nous cherchons à aider.
    Un grand nombre de ces femmes, qui ont commencé à se prostituer à cause de la dépendance, de l'abus et la violence, ne triompheront pas de ce type de victimisation. Les proxénètes ne s'en iront pas; les prostituées ne peuvent donc pas choisir de partir. Je ne parle pas des victimes dont vous avez entendu parler, celles qui sont en faveur de la légalisation et les travailleuses du sexe indépendantes. Ce n'est pas d'elles dont je parle. Je parle de celles dont vous n'avez pas entendu parler, celles dont nous nous occupons et celles qui ont besoin de notre aide, mais qui ne nous le disent pas. Elles sont prises au piège.

  (1140)  

    Il y a bien des choses dont les femmes prises aux piège de l'exploitation sexuelle ont besoin de notre part. Elles ont besoin de programmes pour quitter la prostitution, de conseillers, d'aide professionnelle et d'une empathie, d'un soutien et d'un respects constants, comme le projet de loi le prévoit en bonne partie. Mais avant tout, elles ont besoin d'être rescapées. Les meilleures intentions ne guériront pas les ecchymoses laissées par les proxénètes. Nous devons les séparer de ceux qui abusent d'elles et rompre leur isolement. Or, on ne peut le faire que si la police a le pouvoir d'intervenir. Ici encore, je parle des victimes muettes, celles qui sont prises au piège.
    Au cours de la dernière année, j'ai parlé de la question avec de nombreux groupes communautaires. Il y a toujours un parent inquiet ou désemparé qui vient me parler de sa fille ou d'un membre de sa famille. À la fin de la conversation, ils me demandent toujours de quels outils j'ai besoin pour sauver ces filles. J'ai simplement besoin de temps. J'ai besoin de l'outil et du droit légaux pour éloigner une jeune fille de son proxénète et entamer une conversation sérieuse avec cette jeune personne vulnérable. Il ne s'agit pas de l'arrêter, de déposer des accusations à son endroit ou de la jeter en prison. Mais il me serai difficile de le faire en vertu du projet de loi C-36. Certains des outils posent problème. Les proxénètes se feront passer pour des gardes du corps personnels et continueront d'exploiter les femmes et les filles sous le nez des agents de police.
    Pour le bien des personnes prises au piège dans cette vie, je demande au comité de tenir compte de ce fait dans le cadre de l'examen du projet de loi C-36. Ici encore, je parle des victimes qui ne peuvent se faire entendre.
    Ce projet de loi prévoit d'excellentes mesures. Mais je demande au comité de considérer certains aspects. Je témoigne au nom de notre organisation et de son chef. Je suis ici en première ligne pour vous dire exactement ce à quoi nous sommes confrontés quotidiennement et pour répondre à vos questions.

  (1145)  

    Merci, détective.
    Nous tenterons d'accorder cinq minutes à chaque parti. La première intervenante est Mme Boivin.
    Merci beaucoup de votre témoignage et du travail que vous accomplissez chaque jour. À cet égard, je suis pas mal certaine que tout le monde s'entend pour dire qu'il ne doit pas y avoir de traite de personnes ou d'exploitation des femmes, des filles, des garçons, des hommes ou de tout être humain, quel qu'il soit.
    J'essaie de comprendre votre travail tel qu'il est actuellement. J'ignore si vous avez entendu la question que j'ai posée à votre chef, mais je tente de savoir ce que vous voyez dans le projet de loi C-36 qui donne les outils qui faciliteront votre travail. Comme vous l'avez indiqué, les gens pourraient se déguiser en gardes du corps. Je ne suis pas certain que l'adoption du projet de loi C-36 rendra subitement votre travail plus facile.
    Que voyez-vous que je ne vois pas nécessairement dans le projet de loi C-36 — en m'indiquant peut-être de quoi il s'agit — qui n'existe pas encore? Compte tenu des dispositions existantes du Code criminel sur le trafic de personnes, l'exploitation sexuelle de mineures et d'autres activités, quels sont les outils que le projet de loi C-36 comprend et que vous n'avez pas encore?
    Tout d'abord, le président et le comité sauront qu'il s'agit d'un sujet brûlant, car il existe une myriade de points de vue différents. Ici encore, quand je parle, je le fais directement au nom de celles qui sont prises au piège. De mon point de vue, je considère que la prostitution est indissociable de la trafic de personnes. Chaque affaire de trafic de personnes était un cas d'exploitation sexuelle commerciale de femmes et de filles, à l'exception d'une seule. Une affaire était similaire, mais elle concernait le travail. La York Regional Police est, de tous les services de police, celui qui s'attaque certainement le plus énergiquement aux cas de traite de personnes.
    En ce qui concerne le projet de loi C-36, dans les dispositions qui ont été invalidées, celles sur le fait de vivre des produits de la prostitution sont celles que nous utilisions. C'est un outil très important, car il criminalise tous ceux qui entourent la victime. Quand nous entrons en contact avec une victime de la traite de personnes, particulièrement dans des chambres d'hôtel, on peut voir qu'elle a un coquard et les yeux tuméfiés; je vais d'ailleurs vous donner un exemple réel. Je peux entrer en contact avec la victime, savoir qu'elle travaille dans l'industrie du sexe et lui dire que je suis agent de police. C'est ce que je suis. Écoute, je veux t'aider. Parlons de certaines stratégies et de ce que nous pouvons faire pour t'aider. Je ne suis pas ici pour te criminaliser. Je m'inquiète de ton bien-être. Ton oeil me préoccupe.
    Mais votre chef a affirmé que c'est pas mal de cette manière que vous procédiez depuis cinq ans. Vous ne criminalisiez pas les...
    Nous ne...

  (1150)  

    Vous pourriez le faire à un moment donné. Vous avez indiqué qu'il est difficile de les pousser à agir; mais quels nouveaux outils...
    Je vais m'expliquer. Disons que sous l'ancien régime, la victime disait « Laissez-moi tranquille, monsieur l'agent. Vous me harcelez. Je me prostitue de mon propre chef. Personne ne m'exploite. J'ai un oeil au beurre noir parce que je suis tombée. » Mais avant d'aller lui parler, je savais peut-être qu'elle est une travailleuse du sexe, que c'est comme cela qu'elle travaille et que ceux qui gravitent autour d'elle l'exploitent. Elle peut m'envoyer promener, mais sous l'ancien régime, quand le proxénète arrive et que je peux établir les preuves qu'il vit des produits de la prostitution, je peux la séparer de lui. Il ne peut m'envoyer paître en affirmant qu'il est son garde du corps, que tout ce qu'ils font est légal, qu'elle travaille de son propre gré et qu'elle n'est pas obligée de me parler.
    En vertu du nouveau régime, il y aura quelques problèmes, car les proxénètes se feront passer pour des gardes du corps et elles nous fileront entre les doigts. Sous l'ancien régime, je pouvais leur répondre que je ne partirais pas, que le proxénète devait m'accompagner, car il était en état d'arrestation parce qu'il vit du produit de la prostitution. Je pouvais ainsi les séparer. Je pouvais ensuite dire à la victime que je ne voulais absolument pas la criminaliser, mais que j'avais besoin de temps pour lui parler.
    L'outil dont nous disposions était le temps, car on ne peut essayer d'aider une fille en 10 minutes. Il faut certainement une ou deux heures pour s'asseoir, expliquer la situation et offrir des ressources. Si elle les accepte, c'est formidable. Nous avons magnifiquement réussi à l'extirper du milieu et à lui faire accepter notre aide.
    J'essaie de vous comprendre ici. Je suis désolée, je ne suis peut-être pas rapide ou peut-être qu'il se perd quelque chose lors de la traduction, mais vous me dites que l'ancien régime fonctionnait mieux que le nouveau parce que les proxénètes pourront adopter divers déguisements?
    Ce que je dis, c'est qu'honnêtement, du point de vue opérationnel, l'ancien régime fonctionnait bien pour ce qui est de cette accusation, car il nous permettait de sortir les filles du milieu. Quand elles choisissaient de partir, elles ne pouvaient pas le faire parce qu'elles devaient nous écouter. Comme le chef l'a souligné, nous n'avons jamais déposé d'accusation contre une fille pour avoir fait de la communication aux fins de prostitution. Nous nous servions de ces motifs pour la garder. Sans cet outil, elle pourrait partir sans que nous puissions la retenir.
    Je peux vous dire que nous avons connu beaucoup de succès avec les filles que nous avons rencontrées. Nous leur parlons, nous traitons avec elles et nous continuons de le faire aujourd'hui dans le cadre de leur processus de rétablissement. Elles nous en remercient, car toutes les stratégies d'abandon de la prostitution sont là pour elles.
    Dans un monde idéal, elles pourraient simplement quitter le métier, mais elles ne le peuvent pas. Le proxénète les exploite.
    Merci de ces explications, détective.
    Nous entendrons maintenant M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci.
    Merci, détective. Nous avons un certain lien commun, car j'ai été agent d'infiltration pendant trois ans. Je comprends donc fort bien le contexte dans lequel vous travaillez et les frustrations que vous éprouvez. Je ne me suis jamais occupé de traite de personnes; j'étais dans le domaine des stupéfiants. Cela dit, il existe des similarités, comme vous en conviendrez probablement.
    Pour ce qui est des outils dont dispose la police, nous nous servons du Code criminel de temps en temps, non pas comme un marteau, mais comme un outil. Les agents de police s'en servent plus souvent qu'autrement parce qu'il leur permet d'exercer l'effet de levier nécessaire de temps à autre. Vous avez indiqué que quand vous entrez en contact avec une victime de la traite de personnes ou de la prostitution dans une chambre d'hôtel, vous parlez aux personnes, surtout à la fille, et que vous pouvez vous prévaloir du paragraphe 213(1) pour l'éloigner du proxénète ou au moins lui parler. Est-ce exact?
    C'est effectivement un des outils que nous utilisions. Nous tirions également parti des dispositions sur les maisons de débauche.
    Exact.
    Comme vous le savez, maintenant que des dispositions ont été invalidées dans l'affaire Bedford c. Procureur général du Canada, nous proposons maintenant le paragraphe 213(1.1), qui stipule qu'est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans le but d’offrir ou de rendre des services sexuels moyennant rétribution, communique avec quiconque dans un endroit public ou situé à la vue du public s’il est raisonnable de s’attendre à ce que des personnes âgées de moins de 18 ans se trouvent à cet endroit ou à côté de cet endroit.
    Ainsi, en vertu de la nouvelle loi, si vous rencontrez une personne que vous considérez comme une victime de traite de personnes et de prostitution... car vous avez indiqué qu'à l'exception d'une seule, vous n'en avez jamais rencontré une. Je veux que vous me décriviez une conversation normale que vous auriez avec une victime afin de l'aider à s'en sortir, puis me donner de l'information sur les personnes auxquelles vous faites appel pour les aider. Vous recourez à des organismes qui aident ces femmes en leur fournissant de l'information et en leur donnant la possibilité d'abandonner la prostitution si elles le souhaitent. Vous dites que dans la plupart des cas, elles n'ont pas le choix, mais ces organismes leur fourniraient de l'information.
    Pouvez-vous m'expliquer comment se déroule une enquête?
    C'est très difficile, et j'essaierai de le faire en termes génériques.
    Le sauvetage proactif des victimes de la traite de personnes s'enseigne au Collège canadien de police. Il n'existe pas de règles établies, car chaque victime a besoin de ressources différentes qui lui sont propres. Les enquêteurs avec lesquels je travaille et moi-même tentons d'établir des rapports avec la fille, car sinon, elle ne nous dira rien.
    Si nous avons un rapport...

  (1155)  

    Comment établissez-vous ce rapport?
    Nous parlons avec elle. Nous lui faisons savoir exactement ce que nous faisons. Il court toutes sortes d'idées fausses à ce sujet; nous lui expliquons donc exactement ce que nous faisons. Si elle écoute, alors nous avons déjà accompli un excellent progrès. Nous essayons de lui soutirer des renseignements afin d'évaluer ce que nous devrions dire.
    Pour certaines, il suffit de dire que nous les aiderons à trouver un emploi. Parfois, elles ont de la difficulté à obtenir leur relevé de notes du secondaire, et nous leur disons que nous pouvons les aider. Nous les accompagnons et nous faisons appel aux organismes et aux gens sur lesquels nous pouvons compter. Nous n'allons pas simplement leur remettre le document. C'est toute une approche. Nous allons travailler avec elles, obtenir le relevé de notes et procéder à partir de là, étape par étape. Nous leur expliquons que c'est de cette manière qu'elles pourront s'en sortir.
    Si elles dénoncent l'agresseur, le trafiquant ou le proxénète, c'est encore mieux. C'est quelque chose que nous nous efforçons d'obtenir, mais l'objectif premier consiste à aider ces filles.
    Expliquez-moi la différence entre l'article 213 tel qu'il est actuellement et ce dont il aurait l'air après la mise en oeuvre du projet de loi quand il s'agit de parler avec la personne concernée comme vous le faites actuellement. Vous n'avez jamais déposé d'accusation contre quiconque au cours des cinq dernières années. La procédure est la même. Il s'agit d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
    Il me semble que vous utiliserez le même outil qu'aujourd'hui. Il n'y a pas de différence.
    La différence vient de l'exception permettant aux proxénètes de se faire passer pour un garde du corps. Ils peuvent maintenant prétendre qu'ils sont des gardes du corps qui assurent la sécurité. Ils peuvent avoir une influence considérable. Quand nous sommes là-bas et tentons d'avoir une conversation seul à seul avec la fille, la seule présence de l'agresseur peut susciter une grande crainte chez elle. Il nous faut éloigner le proxénète de là.
    J'essaie de comprendre. D'un agent d'infiltration à un autre, je sais ce que je ferais. Je le collerais au mur et lui dirais de foutre le camp immédiatement sinon il aura de gros ennuis.
    Je le comprends, oui.
    Normalement, c'est un langage qu'ils comprennent très bien, car ce ne serait pas dit ainsi.
    D'accord. Merci beaucoup.
    Je vous remercie de ces questions et de ces réponses, messieurs Wilks et Truong.
    Enfin, la parole est à vous, monsieur Casey.
    Merci.
    Détective, vous nous avez indiqué que vous n'êtes pas ici pour réclamer le droit d'arrêter ou d'inculper des travailleuses du sexe. Vous voulez avoir le droit d'intervenir, c'est-à-dire, selon moi, le droit de détenir une personne.
    Or, vous savez pertinemment que la Charte des droits et libertés vous impose certaines obligations ou confère certains droits à la personne que vous voulez détenir.
    Vous avez également indiqué que l'ancien régime criminalisant le fait de vivre du produit de la prostitution vous aidait dans votre travail. Vous savez sans doute que ce régime a été déclaré contraire à la Charte des droits et libertés.
    Il semble que ce que vous nous demandez, et qui vous serait fort utile, soit contraire à la loi suprême du pays. Selon moi, vous nous demandez soit de conseiller d'invoquer la clause nonobstant, soit de modifier la Charte. C'est la seule manière que je vois qui nous permettrait donc d'accéder à votre demande.
    C'est un sujet brûlant à tous les égards. Peu importe le point de vue qu'on adopte, il y aura des considérations ou des observations d'autres points de vue.
    Mon point de vue vient des victimes dont nous nous occupons. En pensant à ces victimes, je me demande comment nous pouvons aider celles qui ne s'en iront pas, mais qui en sont capables? Comment réussir à les aider, puisque ces victimes n'ont pas ce droit? Cet argument... et je comprends certainement que la disposition ait été invalidée par la Cour suprême. Je respecte ce que cette dernière a dit au sujet de l'indépendance des travailleuses du sexe, mais cela ne s'applique pas nécessairement aux filles qui sont condamnées à un esclavage quotidien. Cela ne s'applique pas à elles.
    Je demanderais au comité de considérer ce facteur. J'ignore quelle est la réponse. Je n'en ai pas la moindre idée, pour être honnête avec vous. J'ai parlé à d'autres enquêteurs du pays que je respecte, et nous ne savons tout simplement pas quelle est la bonne réponse parce qu'il y a énormément de points de vue différents.
    Mais selon nous, à titre d'agents de police et de responsables de l'exécution de la loi, quand nous intervenons, si la fille a la chance d'avoir un père ou une mère qui prend la peine de nous appeler, nous avons besoin des outils pour aider cette fille, à qui ont a fait subir un lavage de cerveau et qu'on a manipulée, pour qu'elle ne puisse pas nous dire « Vous me harcelez, allez-vous-en. Tout ce que je fais est légal et je m'en vais. » Tout ce dont nous avons besoin, c'est du temps avec elle.
    Je tiens à apporter un éclaircissement. Je sais que c'est un sujet brûlant. J'ai eu une partie des témoignages qui ont été faits plus tôt aujourd'hui et j'ai manqué la dernière moitié, mais je sais qu'il règne une certaine confusion au sujet des casiers judiciaires et des infractions punissables par procédure sommaire. Puis-je simplement apporter des éclaircissements à ce sujet?
    Si j'ai un épais casier judiciaire, que je suis accusé seulement en vertu de l'article 213 et que je suis déclaré coupable, cela ne figurera pas à mon casier judiciaire.
    Par contre, si je suis accusé pour une infraction punissable par procédure sommaire, ainsi que pour une infraction relative à la drogue ou d'une violation quelconque, il s'agit d'infractions mixtes exigeant la prise d'empreintes digitales. Alors si je suis condamné pour une infraction prévue à l'article 213, cela figurera à mon casier judiciaire parce qu'il y a des empreintes digitales correspondantes à cette infraction.
    Est-ce que ces explications clarifient les choses?

  (1200)  

    Si vous avez été condamné en vertu de l'article 213 et que, lorsque vous remplissez un formulaire pour postuler un emploi, on demande, comme c'est souvent le cas, si vous avez déjà été reconnu coupable d'un acte criminel pour lequel vous n'avez pas bénéficié d'un pardon, que répondez-vous?
    Si je veux répondre la vérité à cette question, je dirai oui. Mais si on me demande si j'ai un casier judiciaire, alors la réponse est non.
    Merci.
    Merci, monsieur.
    C'était tout le temps dont nous disposions. Il est juste après midi.
    Nous tenons à vous remercier d'avoir comparu aujourd'hui.
    Puis-je poser une question sur le processus relatif au témoignage du détective Truong? Je sais qu'il comparaît à huis clos parce qu'il ne voulait pas dévoiler son visage, puisqu'il travaille comme agent d'infiltration.
    Mais serait-il possible de faire figurer au compte rendu son témoignage, que je considère très important, ainsi que les questions et les réponses?
    Le comité peut décider s'il souhaite rendre cette information publique, avec son autorisation, bien entendu.
    Votre visage ne sera pas rendu public. Votre nom l'est déjà.
    Je n'ai aucune inquiétude, monsieur le président.
    Monsieur le président, si je puis me permettre, en ce qui concerne le témoignage public, c'est de M. Truong et pas tant de moi que je me préoccupe. J'ai dit que je parlais « d'un agent d'infiltration à un autre ». J'ignore s'il faut impérativement indiquer que le détective est un agent d'infiltration ou plutôt un agent de police.
    Peut-être que cette phrase peut être...
    C'est la seule chose que me préoccupe, car je pense...
    C'est la raison pour laquelle il témoigne à huis clos...
    Sinon, il pourrait identifier...
    Nous garderons l'information entre nous, alors.
    Demandons au détective si quelque chose le préoccupe.
    Si je peux répondre, monsieur le président, c'est de l'information bien connue. Si on cherche mon nom sur Google, tout est dévoilé. Tout ce qui me préoccupe, c'est mon visage. Vous pouvez publier tout ce que vous voulez et je l'apprécie. Merci beaucoup.
    Nous rendrons donc votre témoignage public. J'ai besoin d'une motion à cette fin.
    Je propose la motion.
    (La motion est adoptée.)
    Merci beaucoup.
    Nous levons la séance et reprendrons nos travaux à 13 heures.
    La séance est levée.
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