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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 041 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

  (0930)  

[Traduction]

    Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Il s'agit de la 41e séance et elle est télévisée. À l'ordre du jour, conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014, nous étudions le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Nous avons différents témoins aujourd'hui, et je suis ravi de leur présence. Je vais vous les présenter. Chaque organisme disposera de 10 minutes pour faire son exposé, et nous passerons aux questions par la suite.
    Nous accueillons Mme Jay et Mme Lee, de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution; Mme Brock et M. Brock, de Hope for the Sold; Mme Smith-Tague et Mme Kerner, du Vancouver Rape Relief and Women's Shelter; Mme Big Canoe, des Aboriginal Legal Services of Toronto; et Mme Pond, de u-r home, qui comparaît par vidéoconférence à partir de Boston, au Massachusetts.
    Cela dit, je cède la parole aux représentantes de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé. Allez-y.
    Merci et bonjour. Nous sommes ravies d'avoir la possibilité de donner le point de vue des femmes asiatiques dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36. Nous vous avons également fourni un mémoire.
    L'objectif de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution est de changer les comportements sociaux à l'égard des femmes, plus particulièrement de celles d'origine asiatique. Nous travaillons à faire progresser l'égalité des sexes et à donner la possibilité aux femmes asiatiques de participer de façon importante à la société civile et de jouer un rôle de premier plan. À notre avis, la prostitution est une forme de violence masculine contre les femmes qui nuit à l'égalité des femmes et qui favorise la violence raciste. Nous croyons également que la prostitution peut être éradiquée.
    Nous formons un groupe féministe et bénévole. Nos membres font des activités de prévention de la prostitution dans les écoles et fournissent des services de parrainage juridique aux femmes qui participent au programme des aides familiaux résidants. Nous faisons du travail de première ligne dans des centres féministes de lutte contre la violence. Nous fournissons de l'aide concrète aux femmes battues et violées, y compris aux prostituées.
    Nous avons agi en tant qu'intervenantes dans l'affaire Bedford. Nous avons fourni une analyse raciale critique pour contribuer à l'examen de la Cour suprême.
    Je veux tout d'abord dire que nous saluons l'objectif énoncé dans le préambule du projet de loi, c'est-à-dire de protéger la dignité et l'égalité des femmes. Cela correspond au principe selon lequel toutes les lois canadiennes doivent être interprétées dans le contexte de la Charte des droits et libertés. Le préambule met en évidence la nature systémique de la prostitution et les conséquences de l'inégalité des femmes fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur et le sexe.
    Nous comprenons également que le projet de loi fait ressortir le danger inhérent à la prostitution ainsi que l'exploitation profonde des femmes par les proxénètes, les tenanciers de maisons de prostitution, les annonceurs et les clients, plus particulièrement ses répercussions sur les femmes asiatiques et d'autres femmes racialisées. Nous recommandons que cet élément du préambule soit renforcé en y mentionnant les effets disproportionnés qu'a la prostitution sur les femmes racialisées.
    Nous appuyons la disposition qui criminalise la publicité de services sexuels en raison du rôle que joue la publicité dans la normalisation et le renforcement des stéréotypes racistes et sexistes. Par exemple, nous avons rassemblé des annonces en ligne sur une période de 24 heures à partir de la section des services pour adulte de Craigslist à Vancouver. Nous avons constaté que pour 67 % des femmes des 1 472 annonces que nous avions rassemblées, une description ou une photo indiquait qu'il s'agissait de femmes asiatiques.
    Seulement 30 % de la population de la région métropolitaine de Vancouver est d'origine asiatique. On peut raisonnablement présumer que les femmes asiatiques représentent environ 15 % de la population, mais elles sont surreprésentées dans la publicité. Dans les annonces, on indique que les femmes asiatiques offrent une expérience de petite amie. On les présente comme des écolières japonaises, de très jeunes poupées chinoises, des canons asiatiques, et il y a des photos.
    Les proxénètes, les souteneurs, les tenanciers de maisons de prostitution, les annonceurs et d'autres personnes qui participent à la vente et à la commercialisation des prostituées répondent à ces demandes profondément racistes. Il est dans leur intérêt commercial de continuer à normaliser les stéréotypes dans la société canadienne afin d'élargir le marché pour leur produit.
    Nous subissons des conséquences néfastes lorsque nos attributs, qu'ils soient réels ou imaginés, sont sexualisés et traités comme des marchandises pour la promotion de services sexuels. Ces stéréotypes déshumanisent et sexualisent les femmes asiatiques et, que nous soyons prostituées ou non, ils bloquent notre accès à la Charte des droits.
    D'après notre expérience, il y a des liens entre la prostitution et la violence conjugale, le viol et l'inceste. Le plus souvent, ces actes de violence sexistes sont commis par des hommes dans des endroits privés, comme à la maison, où l'intimité est utilisée pour emprisonner les femmes, renforcer le pouvoir de l'attaquant et cacher de la vue du public les gestes de violence qui sont commis. La prostitution ayant lieu dans des lieux fermés ne protège pas davantage les femmes de la violence masculine en général. Toutefois, les lieux fermés, comme les salons de massage asiatiques, accroissent la sécurité des hommes. Ils protègent les proxénètes, les tenanciers de maisons de prostitution, les souteneurs et les clients de la surveillance et ils cachent la violence à laquelle ils ont recours pour contrôler les femmes, qui est inhérente à la prostitution.
    Nous appuyons l'approche législative adaptée qu'offre le projet de loi. Elle cible les hommes qui sont la source des torts liés à la prostitution.

  (0935)  

    Nous savons également que le projet de loi fait une distinction en ce qui concerne les personnes qui dépendent du revenu d'une femme et qui ne se soucient pas de la façon dont elle le gagne, ce qui inclut les enfants à charge, les coiffeuses et d'autres fournisseurs de service. Ces personnes sont très différentes des parasites qui contribuent à l'entrée et au maintien des femmes dans la prostitution, comme les gardes du corps, les petits amis souteneurs, les tenanciers de maisons de prostitution et les annonceurs de prostitution.
    Nous pensons également qu'il est important que le projet de loi empêche les hommes d'utiliser un permis de mariage ou une famille ou une autre relation pour échapper à une responsabilité pénale visant la violence et l'exploitation dont ils sont les auteurs.
    Nous demandons un amendement visant à retirer les dispositions qui criminalisent la communication dans des endroits publics, car il va à l'encontre de l'objectif d'égalité.
    Nous convenons qu'il est nuisible pour les enfants et les adultes de voir un acte flagrant de racisme et d'exploitation sexuelle, surtout dans une situation où l'on a l'impression de ne pas être en mesure d'intervenir de manière efficace. Toutefois, il est probablement plus dommageable pour les enfants et les adultes de voir ou de savoir qu'une personne exploitée sera ensuite punie par le gouvernement. Nous préférerions qu'elle reçoive la protection de la loi et de la Charte.
    Arrêter et accuser les clients et les proxénètes — et non les femmes — est un moyen efficace de réparer les torts causés par la communication dans un endroit public.
    Je vais maintenant céder la parole à Mme Alice Lee, qui fait également partie de notre groupe. Elle vous parlera de la traite des personnes.
    Je vous remercie de nous avoir invitées à comparaître devant vous pour présenter notre exposé.
    J'ai été choisie pour participer au programme de leadership pour les visiteurs internationaux du département d'État américain afin d'échanger avec le FBI, des représentants de l'État et des ONG des connaissances sur la traite des personnes et la prostitution.
    Nous faisons l'éloge du projet de loi C-36, car on y reconnaît le lien étroit entre la traite des personnes et la prostitution. La traite des personnes fait partie intégrante de l'expérience des femmes asiatiques de la prostitution, indépendamment de leur pays d'origine.
    Les liens indissociables entre la traite des personnes et la prostitution sont logiques étant donné que nous avons adopté le Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, de même que la CEDAW. Le projet de loi témoigne du leadership du Canada à l'échelle nationale et internationale par son engagement en faveur de la dignité et de l'égalité. À notre avis, il est clair que le Canada rejette l'affirmation déshumanisante selon laquelle les femmes racialisées choisissent librement de se prostituer et que d'une manière ou d'une autre, la prostitution ne nous cause pas de tort.
    Nous accueillons avec satisfaction le leadership que le projet de loi offre en permettant aux policiers d'agir avec efficacité concernant le crime organisé et la traite des personnes et la traite des personnes dans la prostitution.
    Nous savons surtout qu'à l'heure actuelle, nos dispositions législatives sur la traite des personnes ne s'appliquent qu'aux trafiquants et non aux clients. Le projet de loi criminalise un homme qui achète sciemment les services sexuels d'une femme victime de traite de personnes. De plus, il contribue à empêcher que le crime organisé se transforme en milieu d'affaires légitimes.
    Les gens qui exploitent des femmes asiatiques pour la prostitution utilisent différents moyens pour exercer une domination sur elle. Nous savons que les proxénètes confisquent des documents d'immigration ou des passeports. On sait qu'ils encouragent et forcent des femmes à dépasser la durée autorisée de séjour, et elles se retrouvent avec un statut d'immigrant illégal. Ils sont également reconnus pour menacer de déportation ou d'arrestation les femmes qui ne sont pas régularisées.
    En retirant possiblement la criminalisation automatique des prostituées, le projet de loi C-36 améliore le sort des femmes qui se trouvent dans une situation d'exploitation. Toutefois, les mesures actuelles en matière d'immigration sont contraires à l'esprit du projet de loi qui vise à protéger les femmes contre l'exploitation. Le projet de loi ne modifie pas l'équilibre du pouvoir créé par les dispositions actuelles en matière d'immigration. Il nous faut apporter des changements pour permettre aux femmes qui n'ont pas déjà le statut de résident permanent, la citoyenneté ou un moyen non punitif d'être régularisées de réussir à sortir du milieu de la prostitution.
    De récents cas d'abus et d'exploitation par des employeurs au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires illustrent la vulnérabilité que cause la pauvreté et font ressortir le manque d'un statut d'immigrant sûr. C'est également un exemple de déséquilibre flagrant de pouvoir en faveur de l'employeur.
    Nous recommandons d'accorder aux femmes qui se trouvent dans une situation d'exploitation le statut d'immigrant reçu dès leur entrée au Canada, indépendamment de la façon dont elles arrivent ici. Grâce à cette mesure, elles risqueront moins d'être recrutées ou coincées dans le milieu de la prostitution et elles auront plus de chances de sortir du commerce du sexe.
    Pour conclure, le projet de loi C-36 établit un nouveau paradigme juridique progressif. Toutefois, il faut qu'une approche canadienne de la prostitution soit beaucoup plus rigoureuse afin de créer de manière efficace des conditions qui entraîneront l'abolition de la prostitution. Le droit pénal est limité en ce sens que des mesures ne sont prises contre les actes de violence et d'exploitation qu'une fois qu'ils ont été commis.
    L'Asian Women Coalition Ending Prostitution demande au gouvernement fédéral de mettre en place des mesures d'aide sociale complètes. Elles serviront aux femmes qui tentent de sortir du milieu de la prostitution et elles empêcheront d'autres femmes d'y entrer en premier lieu. Ce sont les options viables dont nous avons besoin pour contrer les inégalités systémiques inhérentes à la prostitution et exercer nos droits en vertu de la Charte.

  (0940)  

    Je remercie beaucoup les représentantes de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution pour leur exposé.
    C'est maintenant au tour des représentants de Hope for the Sold.
    La parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Disposons-nous de 10 minutes?
    Je vous ferai signe; ne vous en faites pas.
    D'accord.
    Je remercie les honorables membres du comité de nous accueillir aujourd'hui. Je m'appelle Jared Brock et je suis écrivain et cinéaste. Pour être honnête, la dernière fois que je me suis fait aussi beau, c'était pour le dernier mariage auquel je suis allé. Je remercie donc ma femme.
    Je vous présente ma femme, Michelle. Nous gérons ensemble un organisme de bienfaisance, Hope for the Sold. Notre mission est de lutter contre l'exploitation sexuelle un mot à la fois. Nous le faisons au moyen de l'écriture, de présentations et de films. Nous ne sommes pas des avocats, ni des politiciens, ni des professeurs. Nous sommes des citoyens engagés qui aiment poser un tas de questions.
    Il y a environ quatre ans, des gens de partout au Canada ont commencé à poser une question à laquelle nous n'avions pas de réponse: la prostitution devrait-elle être légale?
    Nous voulions nous concentrer sur le trafic sexuel et traiter la prostitution comme un dossier séparé, mais au fur et à mesure que nous rencontrions des gens, des survivants, des travailleurs de première ligne complètement épuisés et des parents de victimes qui nous racontaient leur vécu, nous avons commencé à nous demander ce que cela donnerait de travailler en aval et de mettre des systèmes en place pour empêcher l'exploitation sexuelle en premier lieu.
    En commençant à examiner la question sous l'angle de la prévention, nous avons constaté que nous ne pouvions plus ignorer la question de la légalisation et le fait qu'à bien des égards, il existe un lien entre le trafic sexuel et la prostitution.
    Nous avons fait un documentaire sur le sujet qui s'intitule Red Light Green Light. Nous sommes allés dans 10 pays pour savoir quelles mesures ont prises différents pays à l'égard de la prostitution.
    Nous nous sommes entretenus avec un grand nombre de victimes, de chefs d'unités de lutte contre le trafic, à Stockholm, à Amsterdam et à Bern, ainsi que des chercheurs, des préposés à l'assistance postpénale, etc. En tout, nous avons mené plus de 50 entrevues. En gros, nous aimerions attirer votre attention aujourd'hui sur certaines des choses que nous avons apprises durant notre voyage et vous parler de certaines personnes que nous avons rencontrées.
    Nous avons rencontré un détective qui enquête sur les incidents liés au trafic dans des maisons de prostitution légales au Nevada. Il nous a expliqué que dans cet État, il y a une culture de la prostitution qui est nourrie par l'explosion de la demande de services sexuels contre rétribution. En raison de cette demande, les proxénètes ont commencé à recruter des adolescentes dans des centres commerciaux, en les attirant par la ruse et en leur promettant de l'argent.
    Nous avons rencontré une préposée à l'assistance postpénale qui nous a dit que l'un des plus grands problèmes auxquels elle est confrontée, c'est que des garçons de 12e année exploitent des filles de 9e année derrière les portes des toilettes des écoles secondaires.

  (0945)  

    Nous avons rencontré Juliana, qui a été victime de traite à partir du Brésil et qu'on a forcée à travailler dans un sauna, en Suisse, où la prostitution est légale. Même s'il s'agit d'une maison de prostitution légale, les conditions dans le sauna sont horribles et cachées des policiers par une façade légale. Lorsque nous lui avons demandé si on l'avait déjà forcée à avoir des relations sexuelles sans condom, elle a fondu en larme et a fait signe que oui. Elle nous a dit qu'elle avait encore beaucoup de problèmes gynécologiques, tandis que son trafiquant s'en est tiré avec une amende.
    Aux Pays-Bas, nous avons rencontré une fille qui s'appelle Eline. Son mari-trafiquant l'a forcée à former d'autres filles et à le protéger lorsque les policiers s'en mêlaient. Comme l'a dit le chef de l'unité de lutte contre la traite des personnes d'Amsterdam, « si l'on peut forcer une personne à se prostituer, alors on peut aussi la forcer à raconter une bonne histoire aux policiers s'ils viennent faire une enquête ».
    Dans certains régimes juridiques, les travailleuses du sexe ont des boutons d'alarme dans leur chambre et enseignent aux autres comment échapper aux clients violents. Ils ne sont pas tous violents, mais il n'est pas injustifié de dire que la violence est inhérente à la prostitution. Il y a trois raisons. Elle s'appuie sur l'anonymat et la vulnérabilité et elle sert à réaliser les fantasmes d'une des deux parties. Que la prostitution soit légale ou non, qu'elle se passe dans la rue ou à l'intérieur, ces trois aspects y sont liés. La décriminalisation de l'achat de services sexuels donne aux gens l'illusion que les femmes ont plus de pouvoir, alors qu'en fait, elle donne plus de droits aux hommes.
    Nous avons pu avoir un entretien avec un client qui avait dépensé plus de 300 000 $ pour de la pornographie et des services sexuels de prostituées. Lorsque nous lui avons demandé quelles seraient les répercussions de la légalisation, il a dit que le nombre d'hommes comme lui augmenterait.
    Nous savons que certaines personnes, des adultes instruits qui ont d'autres options, choisissent l'industrie du sexe. Ces gens pourraient avoir un peu plus de ressources pour bien choisir leurs clients ou négocier des pratiques sexuelles sécuritaires et embaucher des gardes du corps. Toutefois, étant donné que l'industrie cible exagérément les plus vulnérables, il serait insensé de croire que la majorité des personnes dans ce milieu ont ce type de pouvoir de négociation, même dans un contexte complètement décriminalisé.
    Dans bon nombre de pays que nous avons visités, la demande pour l'achat de services sexuels a entraîné le développement d'un marché illégal du sexe parallèle au marché légal, et l'exploitation des plus vulnérables n'a pas cessé. Puisqu'au départ, bon nombre des femmes ciblées par Robert Pickton faisaient partie des personnes les plus vulnérables, la décriminalisation de l'achat de services sexuels ne leur aurait pas donné le pouvoir de négociations pour se défendre contre lui.
    Il est essentiel de continuer à prendre des mesures pour réduire les préjudices, mais notre gouvernement devra investir de plus en plus de ressources à cet égard jusqu'à ce qu'il étudie sérieusement les raisons pour lesquelles elles sont nécessaires en premier lieu.
    La question que nous devons nous poser est la suivante: quels sont les effets à long terme du fait qu'il soit facilement possible pour des gens d'avoir une relation sexuelle contre rétribution, et quelle en est l'envergure?
    Je pense que cela se résume à ceci. Jusqu'à maintenant, le débat a été défini du point de vue des droits, c'est-à-dire le droit de vendre son corps. Nous ne sommes pas particulièrement contre cela, mais je pense qu'il nous faut recadrer le débat sur la question des droits proportionnels.
    Par exemple, mon droit de tuer est limité par le droit à la vie que tout le monde a. Mon droit d'acheter des services sexuels est limité par le droit de quiconque de ne pas être exploité. Bien des choses vont à l'encontre de la loi et pour lesquelles aucun tort n'a à être causé, mais en tant que membres de la société, nous avons décidé qu'il s'agissait de comportements risqués. La conduite en état d'ébriété est un excellent exemple. Plus souvent que nous le voudrions, les choses tournent mal et des personnes en souffrent. Même si la plupart des gens qui conduisent en état d'ébriété rentrent à la maison sains et saufs, notre société a déterminé qu'il s'agit d'un comportement tout simplement trop risqué. C'est inacceptable en raison des risques que cela pose pour les autres.
    Par conséquent, nous pensons que l'objectif du projet de loi C-36 est bon: faire diminuer la demande de services sexuels contre rétribution. Cela dit, nous croyons que l'article 286.1 concernant la vente de services sexuels à proximité d'enfants est trop ambigu. Un amendement ou des précisions pourraient rendre le projet de loi conforme à son excellent préambule, qui tient compte du fait que les personnes qui se livrent à la prostitution sont vulnérables et ne devraient pas être traitées comme des criminelles, peu importe à quel endroit leurs activités se déroulent.
    À notre avis, il est tout à fait normal que le Canada décriminalise la vente de services sexuels, car les personnes touchées sont majoritairement victimes des circonstances. Nous ne criminalisons pas les victimes de viol ou de violence familiale. La prostitution est une activité fondamentalement violente et devrait être traitée de la même façon.
    Selon nous, la mesure législative qui est essentielle est la réduction de la demande de services sexuels contre rétribution. Si personne n'achète des services sexuels, personne n'est victime de trafic sexuel. Évidemment, il y aura toujours des gens qui voudront faire ce type d'achat, mais si nous visons un taux de 80 %, nous pouvons prévenir l'exploitation de dizaines de milliers de personnes de notre vivant. Platon a dit que « l'excès de liberté ne peut tourner qu'en un excès de servitude ». Permettre aux gens d'acheter des services sexuels se traduira par l'esclavage d'autres personnes. Ce n'est pas le type de liberté que notre nation devrait viser.

  (0950)  

    À divers moments dans l'affaire Bedford, et au cours des derniers jours de délibérations de votre comité, il a été question de l'âge moyen qu'ont les filles lorsqu'elles commencent à se prostituer. Certains disent qu'elles ont 14 ans, d'autres, 18 ans.
    Lorsque M. Lowman a dit devant votre comité qu'il était ridicule d'affirmer que l'âge moyen est de 14 ans, je me suis souvenue d'une chose qu'a dite un homme que nous avions interviewé. Il a dit que même en y allant d'une estimation prudente et en établissant l'âge moyen à 18 ans, cela veut dire qu'environ la moitié de ces personnes sont entrées dans le milieu lorsqu'elles étaient mineures, ce qui est considéré nécessairement comme de la traite des personnes.
    M. Lowman voudrait bien faire croire au comité que la grande majorité des femmes qui sont dans le commerce du sexe ne sont pas victimes de la traite des personnes, mais vraisemblablement, il ne comprend pas tout à fait les nuances du mot « choix », et il est peu probable que sa définition de la traite des personnes soit la même que celle qui est généralement reconnue dans le monde. Pouvons-nous vraiment croire que durant toute leur expérience, la grande majorité des femmes qui sont dans le commerce du sexe n'ont pas du tout été victimes de menaces, d'utilisation de la force, de coercition, d'enlèvement, de fraude, d'abus de pouvoir, qu'elles n'ont pas été déçues et n'ont pas été en situation de vulnérabilité? En toute honnêteté, je trouve que c'est très difficile à croire.
    Ce que notre voyage nous a appris notamment, c'est que les lois ont des effets normatifs. Nous avons interviewé un enquêteur de police en Suède qui était dans la vingtaine lorsque la loi sur l'achat de services sexuels est entrée en vigueur. Il se souvient du débat national que cela avait soulevé, même parmi ses amis, pour déterminer si payer pour avoir des relations sexuelles est un droit.
    Je crois qu'il est également important que nous parlions de l'affaire Bedford. Mme Bedford est un exemple qui illustre bien pourquoi notre nation devrait criminaliser l'achat de services sexuels pour empêcher la traite des personnes.
    On en parle rarement dans les médias, mais Mme Bedford est entrée dans le milieu de la prostitution à l'âge de 16 ans — ce qui correspond à de la traite des personnes — pour payer sa drogue et celle de son petit ami de 37 ans, un narcotrafiquant. Pendant 14 ans, Mme Bedford s'est prostituée dans des lieux fermés et à l'extérieur. De son propre aveu, elle a été violée et a été victime de viols collectifs à trop de reprises pour pouvoir en parler. Mme Bedford est un exemple typique de la vulnérabilité dont les trafiquants profitent lorsque des hommes sont prêts à payer pour avoir des relations sexuelles. Bon nombre de victimes ont un vécu similaire: placement en famille d'accueil, pédophilie, violence physique, foyers pour enfants, etc. Aujourd'hui, Mme Bedford ne se livre plus à la prostitution et différentes sources nous indiquent qu'elle prévoit devenir maquerelle si nous décriminalisons complètement... et tirera donc profit de la vente des services sexuels d'autres personnes.
    Prenons un moment pour bien comprendre la situation. Nous avons ici une ancienne victime de la traite des personnes qui est possiblement devenue une maquerelle et qui détermine la politique nationale. Mme Bedford dit qu'elle a le droit de vendre son corps. Encore une fois, nous ne sommes pas contre cela; nous croyons simplement que toutes les autres personnes ont le droit de ne pas être victimes de la traite des personnes.
    La décriminalisation complète aurait-elle sauvé Mme Bedford? Est-ce qu'une hausse de la demande dans le marché l'aurait maintenue en sécurité? Qu'en est-il des milliers de femmes qui sont dans la même situation qu'elle?
    Eh bien, évidemment, nous ne pouvons pas examiner les aspects complexes de chaque facette de la question en 10 minutes.
    Nous incitons tous les membres du comité à regarder Red Light Green Light à un moment donné cet été. N'hésitez surtout pas à communiquer avec nous par le site Web de notre organisme: hopeforthesold.com. Nous vous le fournirons gratuitement, avec peut-être un peu de maïs soufflé.
    Voici la grande question que notre nation doit se poser: que faisons-nous? La prostitution est-elle vraiment la meilleure option que nous puissions offrir aux femmes et aux enfants les plus vulnérables de notre société?
    Si l'objectif de notre nation est de faciliter l'achat de services sexuels, alors jetons tout de suite le projet de loi C-36 par-dessus bord. En revanche, s'il s'agit plutôt de créer un pays où règne l'égalité des sexes, de forger une nation qui appuie les droits proportionnels, une nation qui empêche le trafic sexuel, alors le projet de loi C-36 est une excellente première mesure.
    La Cour suprême a demandé principalement qu'on protège la sécurité personnelle des prostituées. Allons un peu plus loin et protégeons la sécurité personnelle de chaque personne au Canada, pour les générations qui suivront.
    Personnellement, Michelle et moi voulons élever nos filles dans une société où elles ne risquent pas d'être victimes de la traite des personnes, et nous aimerions élever nos garçons dans une société où ils ne s'imaginent pas qu'ils ont le droit d'acheter le corps d'une autre personne.
    Merci de votre attention. J'ai dépassé de 39 secondes le temps qui nous était accordé.
    C'est vrai.
    Des voix: Oh, oh!
    Le président: Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
    Nous entendrons maintenant les représentantes du Vancouver Rape Relief and Women's Shelter.
    La parole est à vous.
    Bonjour. Je vais commencer, et je céderai ensuite la parole à ma collègue, Hilla.
    Bonjour. Je m'appelle Keira Smith-Tague, et je suis une travailleuse de première ligne qui aide les victimes de violence au Vancouver Rape Relief and Women's Shelter, le plus vieux centre d'aide aux victimes de viol du Canada. Depuis son ouverture en 1973, nous avons répondu à plus de 40 000 femmes qui ont utilisé notre ligne d'écoute téléphonique 24 heures sur 24 pour nous demander de les aider à échapper à toutes les formes de violence masculine contre les femmes, y compris la prostitution. Notre maison de transition offre chaque année un refuge sûr à plus de 120 femmes et à leurs enfants qui y viennent pour fuir la violence masculine.
    Notre centre est un collectif de femmes dont l'âge et la classe sociale varient et bon nombre d'entre elles sont des femmes de couleur et des Autochtones. Depuis toujours, il compte des femmes qui se sont sorties de l'industrie du sexe. Notre autorité et nos connaissances en matière de prostitution comme forme de violence envers les femmes sont basées sur notre travail de première ligne avec des prostituées d'hier ou d'aujourd'hui, qui fait avancer la cause. Nous considérons que la prostitution est une forme de violence masculine envers les femmes, comme le viol, l'inceste, la violence conjugale et le harcèlement sexuel. Nous travaillons beaucoup en faveur d'amendements au projet de loi C-36 du gouvernement fédéral.
    Nous savons, grâce aux membres de notre groupe et aux femmes qui font appel à nos services que l'industrie du sexe illustre et renforce à la fois l'inégalité des femmes dans la société. Un grand nombre des intentions déclarées dans le préambule du projet de loi C-36 correspondent à nos analyses. Cela nous encourage et nous amène à soutenir ses intentions. Nous approuvons la reconnaissance de l'incidence disproportionnée de la prostitution sur les femmes et les enfants, car cela est conforme à nos connaissances de première ligne de la nature sexiste et à caractère sexospécifique de cette industrie. On l'a déjà dit à quelques reprises, mais je veux le répéter. Les hommes représentent presque la totalité des acheteurs de services sexuels, et les femmes et les enfants, presque la totalité des personnes qui sont vendues. Ce fait à lui seul montre le net déséquilibre des pouvoirs entre les hommes et les femmes dans cette industrie.
    Au cours des audiences, on a fait valoir qu'il est absurde de croire que la normalisation de cette pratique par sa décriminalisation ou sa légalisation complète accroît l'inégalité des femmes. Dès leur naissance, les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes. Nous vivons dans une société où les hommes ont plus de pouvoir que les femmes sur les plans social, économique et politique. Les hommes utilisent massivement ce pouvoir contre nous, en plus bien souvent de leur force physique ou de la menace d'y recourir. Le droit qu'ils ont de nous acheter le reflète parfaitement.
    Avant de parler de la violence et de l'exploitation, qui constituent une réalité alarmante de la prostitution, je tenais à préciser que l'industrie est fondamentalement sexiste et misogyne et que pour cette raison, elle ne devrait pas être tolérée ou légalisée. Tant dans le cadre de l'affaire Bedford que de votre processus, on fait valoir que la demande de services sexuels fait partie des droits des hommes, et on les défend au détriment des droits des femmes à l'égalité au Canada. C'est la vie des femmes qui est en jeu, non pas celle des clients et des proxénètes, et nous nous attendons à ce que tous les partis politiques soient responsables et qu'ils défendent l'égalité des femmes avant tout.
    Puisqu'elle a été soulevée au cours des derniers jours, je voulais parler un peu de la question du consentement. L'idée même que le rapport entre les prostituées et les hommes qui achètent leurs services est une transaction entre deux adultes consentants ne peut pas s'appliquer à la prostitution. Le Code criminel du Canada énonce explicitement que le consentement n'est pas obtenu lorsqu'il y a « des menaces d'emploi de la force ou [...] la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne » ou lorsque « l'accusé l'incite à l'activité par abus de confiance ou de pouvoir ».
    Le consentement ne peut pas être acheté. L'acte même d'échanger de l'argent ou quelque chose de matériel en retour de services sexuels montre que les hommes usent de contrainte pour acheter des femmes.
    Nous savons, en raison des expériences de vie des femmes qui nous appellent et qui vivent dans notre maison de transition, que la source des préjudices dans la prostitution, ce sont les hommes qui achètent et vendent des femmes, et nous appuyons donc l'idée de tenir ces hommes responsables de leurs actes et de les criminaliser. Nous trouvons encourageant que le gouvernement tienne compte du pouvoir qu'ont les annonceurs de l'industrie du sexe, et qu'il appuie leur criminalisation pour leurs comportements abusifs également.
    Nous savons que la croissance de la traite des personnes est nourrie par la demande locale, ce qui fait augmenter la traite des femmes et des filles à la fois au pays et à l'échelle internationale. Nous convenons donc qu'il importe de dénoncer et d'interdire l'achat de services sexuels parce qu'il crée une demande de prostitution. La criminalisation directe de l'achat de services sexuels en tout lieu est positive. Elle envoie le message clair aux hommes qu'il n'est pas acceptable d'acheter des femmes au Canada, et elle est conforme à l'intention du gouvernement de réduire la demande. Nous trouvons qu'il convient de situer la nouvelle loi dans les crimes contre la personne prévus dans le Code criminel, parallèlement aux autres formes de violence et de trafic.

  (0955)  

    Nous saluons l'intention du gouvernement fédéral, qui souhaite encourager les personnes qui se livrent à la prostitution à signaler les cas de violence et à abandonner cette pratique, parce que nous savons que les problèmes comme la pauvreté, le racisme, les agressions sexuelles durant l'enfance et la toxicomanie affectent extraordinairement les femmes dans la prostitution à la fois avant d'y entrer et par après. Nous savons aussi que la plupart des femmes qui entrent dans la prostitution y arrivent à l'enfance et à l'adolescence.
    Ce projet de loi contient des dispositions qui nous inquiètent énormément et qui ne nous semblent pas conformes à ce que l'intention déclarée du gouvernement dans le préambule était censée réaliser. La disposition voulant que les femmes qui communiquent avec quiconque dans un endroit public aux fins de la prostitution s'il est raisonnable de s'attendre à ce que des personnes âgées de moins de 18 ans se trouvent à cet endroit soient coupables d'une infraction n'est pas conforme à l'idée que la prostitution est une pratique qui cible, exploite et contraint extraordinairement les femmes vulnérables. Continuer de les criminaliser est donc contraire à l'objectif de les protéger.
    Nous sommes désappointés de cette disposition particulière, qui ciblera les plus marginalisées, c'est-à-dire les femmes forcées de se prostituer dans l'espace public, qui sont principalement autochtones et très pauvres, et nous croyons qu'une loi qui criminalise les prostituées sera un dangereux pas en arrière au lieu de les protéger mieux de la violence masculine. Si la loi a pour intention de protéger les personnes exploitées, alors l'endroit où elles sont exploitées ne devrait pas déterminer si elles s'exposent à des sanctions pénales.
    Puisque le VRRWS a fait valoir qu'il faut du financement public pour amoindrir l'appauvrissement des femmes et les aider à quitter la prostitution, nous sommes heureux que le projet de loi C-36 soit accompagné d'une initiative de dépenses de certains fonds fédéraux. Mais nous craignons que 20 millions de dollars ne suffisent pas à fournir aux femmes d'autres solutions que la prostitution. Pour que les femmes aient d'autres options que la prostitution pour joindre les deux bouts, il faut verser du financement et prêter attention aux conditions de vie actuelles des Canadiennes. En Colombie-Britannique et ailleurs au pays, les femmes ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs besoins. Les femmes et les enfants que nous aidons et le nombre de femmes qui nous appellent chaque jour et chaque soir pour trouver refuge chez nous.
    Les femmes ont besoin d'un revenu de subsistance garanti, d'options de logement adéquates, abordables et sûres et de services de garderie abordables; il faut créer également plus de lits de désintoxication et de centres de traitement uniquement pour les femmes, s'ajoutant au financement déjà attribué aux services de sortie pour celles qui sont déjà dans la prostitution. De plus, nous recommandons que le financement soit versé aux groupes de femmes qui offrent déjà des services de première ligne, et non aux services policiers.
    Si le projet de loi C-36 est adopté, il pourrait établir un précédent au Canada en indiquant que l'achat et la vente des femmes et des filles par les hommes ne seront pas tolérés, et nous espérons que le gouvernement entendra et écoutera les voix des organisations féminines et des survivantes. Le VRRWS réclame fermement que la loi criminalise les proxénètes, les clients et les profiteurs pour leur violence envers les femmes, mais nous ne pouvons absolument pas être en faveur de la moindre criminalisation des femmes dans ce projet de loi. C'est pourquoi nous demandons au comité de la justice de modifier cet aspect du projet de loi. Tant que les hommes vont considérer les femmes comme des marchandises qui peuvent être achetées ou vendues, et que les femmes risqueront d'être pénalisées parce qu'elles se font exploiter, elles ne pourront pas participer pleinement à titre de membres égales de la société.

  (1000)  

    Pendant les audiences et ailleurs, on a exprimé l'idée que la criminalisation des hommes — les clients, les acheteurs — pourrait compromettre encore plus la sécurité des femmes. Françoise, d'après ce que vous avez publié sur Twitter hier soir, j'ai peur que vous soyez de cet avis. Ceux qui avancent cette idée réclament une approche de réduction des méfaits au moyen de la décriminalisation complète ou de la légalisation de la prostitution. Je mets « réduction des méfaits » entre guillemets, parce que ces méthodes ne réduiront pas du tout les méfaits, bien au contraire.
    On a dit que les femmes seront en sécurité si elles peuvent travailler à l'intérieur. Mes collègues de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution ont parlé des hommes qui attaquent des femmes derrière des portes closes, en privé. Les hommes exercent leur contrôle sur les femmes en privé, loin des regards, et il est donc faux de présenter la prostitution à l'intérieur comme une mesure de sécurité. Cela protège les souteneurs et les clients, pas les femmes. On nous a dit qu'en criminalisant les clients, l'« évaluation » — entre guillemets, encore une fois — se fera à la sauvette. Les femmes ne pourront pas se servir de leur intuition pour déterminer si un client est dangereux ou non.
    Nous rejetons l'idée de la privatisation de la sécurité des femmes et nous ne croyons pas que cela fonctionne dans la réalité. Nous savons d'après notre travail de première ligne qu'il est impossible de savoir qui est dangereux. On ne peut pas détecter un violeur, un pédophile ou un batteur de femme en se fiant sur son apparence ou ses manières.
    Une défenseure des « travailleuses du sexe » — encore entre guillemets — nous a dit hier, pour nous rassurer, que les clients des prostituées sont des hommes ordinaires qui viennent de tous les milieux et qu'il ne faut pas en avoir peur. Voilà qui n'a rien de rassurant. Le violeur et le batteur de femme, le père qui viole sa fille et le patron qui harcèle son employée sont tous des hommes ordinaires qui viennent de tous les milieux. Ce sont souvent des professionnels instruits, comme quelqu'un l'a dit hier. Comme ma collègue l'a dit, les méfaits de la prostitution viennent des hommes. Il est donc illogique que, pour réduire les méfaits, nous donnions à ces mêmes hommes l'accès aux corps des femmes et l'emprise sur ceux-ci contre de l'argent.
    Il en va de la prostitution comme du viol, de la violence conjugale, du harcèlement sexuel et de l'inceste: nous avons besoin de lois dissuasives qui vont tenir les hommes responsables de leurs attaques sexistes contre les femmes. Comme dans les autres cas de violence des hommes à l'endroit des femmes, nous nous attendons à ce que l'État canadien protège les femmes contre la violence des hommes.

  (1005)  

    Merci au Vancouver Rape Relief and Women's Shelter pour sa présentation.
    Notre prochaine intervenante représente l'organisme Aboriginal Legal Services of Toronto.
    Vous avez la parole.
    Bonjour. L'organisme Aboriginal Legal Services of Toronto remercie les membres du comité de l'avoir invité à faire une présentation sur ce projet de loi.
    ALST, l'acronyme que nous utilisons, est une agence qui offre des services juridiques multiples à la communauté autochtone de Toronto. Nos clients sont des Autochtones ou des familles qui ont des intérêts autochtones. Notre principe directeur est que les Autochtones doivent être traités équitablement par le système de justice du Canada, avoir accès à des ressources juridiques et autres au sein du système de justice, et comprendre le système et les options qui s'offrent à eux. Le nom de notre organisme en langue anishinaabemowin est Gaa kina gwii waabamaa debwewin, c'est-à-dire « tous ceux qui recherchent la vérité ».
    La Cour suprême du Canada nous a accordé le statut d'intervenant dans 15 affaires portant sur des problèmes systémiques touchant les peuples autochtones. Pour ce qui est de ce projet de loi, le rôle le plus notable d'ALST a été dans l'affaire R. c. Bedford, dans laquelle j'ai agi comme conseillère juridique.
    ALST s'oppose à ce projet de loi en raison de l'extrême surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, ainsi que de l'impact global de ce projet de loi sur les travailleurs et travailleuses du sexe autochtones, leur famille et les communautés.
    Nous nous rallions à un certain nombre d'arguments avancés par POWER et Pivot dans leurs mémoires et par Lowman dans le document Tripping Point. Étant donné que nous nous rallions à ces points de vue et que mon temps est limité, je vais me concentrer sur deux éléments ce matin. Nous ne croyons pas que le projet de loi C-36 est conforme aux principes énoncés dans l'arrêt Gladue, ni qu'il est conforme à la Charte et à la jurisprudence.
    Certains semblent croire que deux points de vue opposés et incompatibles ont été présentés au comité: d'une part, celui des travailleurs et travailleuses du sexe voulant que leur travail est légitime et leur donne du pouvoir et qu'ils le font de plein gré; d'autre part, celui qui veut que les travailleurs et travailleuses du sexe sont vulnérables, pauvres et toxicomanes et survivent de peine et de misère. D'après notre expérience de première ligne — pas seulement dans le système de justice du Canada, mais aussi dans la prestation de services juridiques aux communautés autochtones —, nous pouvons affirmer que ces deux points de vue peuvent être vrais.
    Il peuvent être tous les deux vrais parce que les gens vivent des expériences différentes. Comme ma collègue et co-conseillère dans l'affaire Bedford, Emily Hill, me l'a fait remarquer, le comité devrait surtout se préoccuper des effets du projet de loi sur le second groupe, qui comprend, de l'avis général, un nombre disproportionné d'Autochtones.
    ALST aimerait insister sur le fait que le gouvernement peut faire tout ce qu'il prévoit faire pour aider ceux et celles qui le souhaitent à sortir de la prostitution sans pour autant criminaliser les travailleurs et travailleuses du sexe. Ceux-ci ne devraient pas être criminalisés ou exposés à des dangers parce que la loi ne tient pas compte de leur vie, de leur liberté ou de leur sécurité.
    Notre principale inquiétude quant à l'adoption de ce projet de loi a deux volets. Le premier concerne la surreprésentation des Autochtones et les principes de l'arrêt Gladue, et le deuxième concerne le droit des travailleurs et travailleuses du sexe à la sécurité.
    Avant de commencer nos discussions sur ces deux points, nous tenons à préciser que les lois et les politiques ne sont pas insignifiantes. Les médias et certains témoins ont affirmé que ce ne sont pas les lois qui violent ou blessent certaines personnes. Cela étant, il ne faut pas traiter les lois et les politiques comme des choses insignifiantes. Historiquement, les lois canadiennes ont servi d'outils d'oppression ayant pour but l'assimilation des peuples autochtones. Les tentatives légales et politiques d'élimination des peuples autochtones par l'État ne sont pas négligeables. On peut dire que la façon dont les Autochtones sont traités dans les lois et les politiques ont nui aux déterminants de la santé et créé une foule de problèmes pour les Autochtones.
    Voici un extrait du rapport de la commission Oppal, intitulé Forsaken:
L'impact de ces politiques colonialistes ne se dément pas; en effet, les autochtones continuent d'être surreprésentés dans presque tous les indicateurs de souffrance sociale et physique au Canada.
    Les lois ne sont pas insignifiantes; elles visent des objectifs précis et elles ont des effets sur nous, tant positifs que négatifs.
    Passons au premier volet. Je parlais de la surreprésentation des Autochtones. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi va criminaliser les travailleurs et travailleuses du sexe au moyen de la disposition sur la communication. Tous les témoins semblent convenir du nombre disproportionné de femmes autochtones qui se livrent à la prostitution de rue ou à la prostitution dite « de survie ». L'extrême surreprésentation des femmes autochtones dans le système pénal et les dégâts causés par leur incarcération ou leur institutionnalisation s'applique également à leur famille et leur communauté. Les statistiques montrent que trois détenues sous responsabilité fédérale sur cinq sont autochtones.

  (1010)  

    Nous savons aussi que bon nombre de ces femmes autochtones ont commis de petites infractions qui s'accumulent avec le temps de sorte que, lorsqu'elles reviennent dans le système, elles reçoivent des peines de plus en plus graves. C'est connu. Bien des rapports sur les Autochtones en parlent.
    Un élément dont on ne tient pas compte, puisque le préambule et bon nombre de présentations mettent l'accent sur les femmes seulement, c'est qu'il y a énormément d'hommes autochtones et de personnes transgenres chez les travailleurs du sexe. Il est important de comprendre que les femmes et les hommes autochtones sont surreprésentés dans la population carcérale. Leurs peines d'emprisonnement sont plus longues et durent habituellement jusqu'à la fin du mandat de détention, c'est-à-dire jusqu'à la fin de leur peine d'emprisonnement. Ils font l'objet de plus de discrimination pendant leur incarcération et ils sont plus susceptibles d'être incarcérés dans des établissements à sécurité élevée parce qu'ils sont Autochtones.
    Ce sont les mêmes facteurs qui font que les services d'application de la loi et les policiers font du zèle dans certains quartiers où il y a des Autochtones. Ce sont les mêmes facteurs qui causent la discrimination dont parlent le rapport Oppal et d'autres, comme celui de la commission d'enquête sur le traitement des Autochtones dans le système judiciaire au Manitoba.
    Service correctionnel Canada n'atteint pas les objectifs législatifs. Un nombre disproportionné de travailleurs et travailleuses du sexe qui se livrent à la prostitution de rue, y compris à la prostitution de survie, sont des Autochtones et seront criminalisés. Ceux qui se livrent à la prostitution de survie sont les plus vulnérables et les plus marginalisés des travailleurs et travailleuses du sexe, et ce sont ceux qui sont Autochtones qui subissent le plus de violence, sur le plan tant de la fréquence que de la gravité.
    Nous avons présenté des mémoires au Sénat sur quelques projets de loi récents, comme le projet de loi omnibus, le C-10, et, plus récemment, le projet de loi C-394. Notre principale inquiétude est que l'adoption de ce projet de loi-ci fera reculer les principes établis à l'alinéa 718.2e) du Code criminel, dont sont issus les principes énoncés dans l'arrêt Gladue. Le recours de plus en plus fréquent aux peines minimales obligatoires nous préoccupe tout particulièrement, puisque cela signifie que les juges ont de moins en moins la possibilité d'imposer des peines appropriées et adaptées à la gravité de l'infraction.
    Pour celles qui sont détenues dans le système carcéral, c'est-à-dire trois femmes autochtones sur cinq qui sont des détenues sous responsabilité fédérale... je vais reformuler cela. Trois détenues sous responsabilité fédérale sur cinq sont autochtones. La situation des femmes qui sont détenues dans le système carcéral est pire à leur sortie qu'à leur entrée. Nous le savons. Leur situation est rarement meilleure et souvent bien pire: elles se retrouvent membres de gangs et ont des problèmes de toxicomanie qu'elles n'avaient pas avant, et sont remises en liberté sans programme approprié. Dans l'arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a déclaré:
Il est évident que des pratiques innovatrices dans la détermination de la peine ne peuvent à elles seules faire disparaître les causes de la criminalité autochtone et le problème plus large de l’aliénation des autochtones par rapport au système de justice pénale.
    Lundi, le ministre MacKay a répondu à une question d'un membre du comité sur ce sujet. Il a dit que le projet de loi est conforme aux principes de l'arrêt Gladue, et que toutes les lois doivent être conformes. Nous ne sommes pas de son avis. Le projet de loi ne tient pas compte de l'impact démesuré qu'il aura sur la surreprésentation des Autochtones si la disposition sur la communication, qui criminalisera les travailleurs et travailleuses du sexe, continue d'y figurer.
    D'après ce que nous savons, les peines d'emprisonnement graduelles ne dissuadent pas les délinquants autochtones, y compris ceux qui travaillent dans l'industrie du sexe. Le projet de loi dans sa forme actuelle, et la loi telle qu'elle était avant que l'affaire Bedford ne la remette en question, ne font rien pour dissuader les vendeurs de services sexuels. On peut présumer que la criminalisation d'un certain segment de l'industrie va causer ce qui s'est passé à Vancouver, dans le quartier Downtown Eastside, où beaucoup de prostituées, surtout des Autochtones, ont été forcées de travailler dans les coins les plus sombres. C'est ce qu'avancent POWER et Pivot dans leurs mémoires, et nous sommes du même avis qu'eux.
    Dans l'affaire Bedford, notre intervention consistait à examiner la constitutionnalité de l'article 213 du Code criminel. Nous étions d'avis que la disposition sur la communication violait les articles 2 et 7 de la Charte, et que ces violations n'étaient pas couvertes par la protection accordée par l'article 1 de la Charte. Nous croyons également que l'État a une incidence énorme sur la privation des travailleurs et travailleuses du sexe de leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, et que les lois adoptées par le gouvernement — qui ne sont pas insignifiantes, comme on l'a dit — limitent les possibilités déjà peu nombreuses de ceux qui se livrent à la prostitution de survie.
    Une des choses que nous avons apprises de l'affaire Bedford, et nous en avons entendu parler, est la disproportion totale. C'est là-dessus que je vais me concentrer étant donné que mon temps est limité. On parle dans l'arrêt Bedford de la disproportion totale entre la gravité de l'infraction et les objectifs visés par la législation.

  (1015)  

    L'objectif était de protéger les quartiers des méfaits causés par la prostitution de rue. C'est ce que l'affaire Bedford a permis d'établir. La cour a dit qu'elle devait mettre en balance les méfaits auxquels s'exposent les quartiers et ceux auxquels s'exposent les travailleurs et travailleuses du sexe.
    Nous étions alors d'avis que les inconvénients et les malaises vécus par les habitants des quartiers n'atteignaient pas la gravité de la violence, des agressions sexuelles, voire même des risques de décès auxquels s'exposent les prostituées. Franchement, nous ne voyons pas de différence entre ce que propose le projet de loi et les dispositions de la loi qui ont été invalidées pour ce qui est de la disproportion totale.
    Jouer sur les mots pour dire que c'est une question de sécurité et non de nuisance ne suffit pas. Ce n'est pas là-dessus que les tribunaux se fondent pour déterminer la constitutionnalité des droits garantis par la Charte: ils tiennent toujours compte de la sécurité de la personne à risque.
    En terminant, je cite la juge en chef McLaughlin au paragraphe 121 de l'arrêt Bedford:
L’analyse de la disproportion totale au regard de l’art. 7 de la Charte ne tient pas compte des avantages de la loi pour la société. Elle met en balance l’effet préjudiciable sur l’intéressé avec l’objet de la loi, et non avec l’avantage que la société peut retirer de la loi.
    Nous sommes d'avis que la portée n'a pas été réduite tant que cela. Le comité devrait se demander si l'objet de la loi a véritablement changé, ou si on ne fait que jouer sur les mots.
    Merci beaucoup à Aboriginal Legal Services of Toronto pour cette présentation.
    Maintenant, la parole est à la représentante de u-r home, qui se trouve à Boston et qui fera son témoignage par vidéoconférence.
    Vous avez la parole, madame Pond.
    Bonjour. Je remercie les membres du comité de me permettre de parler du projet de loi C-36, qui aura une incidence sur les personnes qui se livrent à la prostitution, leurs enfants et les générations à venir.
    Je parle au nom du conseil d'administration de u-r home et à titre d'agente de la GRC à la retraite. u-r home est une organisation communautaire d'affiliation religieuse enregistrée en Ontario comme organisme à but non lucratif.
    u-r home a été fondée pour répondre au manque de logements sûrs pour les personnes qui choisissent de se sortir d'une situation d'exploitation. L'importance d'avoir un endroit sûr où vivre a été soulignée par des policiers, des agences communautaires, des intervenants en service social de première ligne, des survivants de l'exploitation sexuelle et des travailleurs et travailleuses du sexe comme un élément clé pouvant les aider à se sortir de leur situation d'exploitation.
    L'objectif de u-r home est de créer des refuges sûrs et d'offrir des services de soutien pour les victimes de la traite des personnes, y compris l'exploitation sexuelle, le travail forcé et le mariage forcé. Nous bâtissons des relations de mentorat et d'appui avec des femmes victimes de traite des personnes et de prostitution forcée dans leur cheminement de rétablissement, afin de les aider à comprendre leur dignité intrinsèque et leur valeur en tant que membres de la société. Nous croyons que tous les Canadiens ont le droit de vivre dans la dignité, l'égalité et le respect et d'être à l'abri de l'oppression. Nous ne souscrivons pas à l'idée que la prostitution est une solution acceptable pour les femmes, les enfants et les hommes qui sont amenés dans cette voie par le racisme, la pauvreté, l'absence de débouchés, les mauvais traitements subis pendant l'enfance ou les inégalités.
    Nous considérons la prostitution comme une forme d'exploitation sexuelle et travaillons à son abolition. Dans la majorité des cas, la prostitution et la traite des personnes vont de pair, entraînant l'exploitation sexuelle forcée. Le projet Safekeeping, un rapport de la GRC, établit que la majorité des proxénètes emploient des méthodes de contrôle qui font d'eux des coupables de traite des personnes au sens du Code criminel.
    La prostitution n'est pas un crime sans victimes. Elle consume les personnes les plus vulnérables et marginalisées de notre société. Nous sommes conscients que les femmes, surtout les Autochtones, sont surreprésentées dans le monde de la prostitution. Nous croyons que les prostituées sont traitées par les clients et les proxénètes comme de la marchandise de peu de valeur et que le cycle de la violence est inhérent à la prostitution.
    u-r home félicite le gouvernement pour son excellent travail dans l'élaboration du projet de loi C-36 pour appuyer les personnes prostituées. Le gouvernement adopte une approche proactive en évitant de criminaliser les prostituées, qui sont des victimes de la violence des clients et des proxénètes. Toutefois, il ne va pas jusqu'à les décriminaliser totalement. Je ne connais aucune disposition du Code criminel qui criminalise la victime. J'invite tous les membres du comité, pendant leur étude du projet de loi C-36, à amender ou à supprimer la disposition qui criminalise les victimes de la prostitution.
    En ce qui a trait à l'achat de services sexuels, la nouvelle infraction empêcherait tout achat ou toute tentative d'achat de services sexuels. Dans un article intitulé Mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles, ONU Femmes encourage les rédacteurs de lois sur le trafic sexuel à inclure des peines au criminel pour l'achat de services sexuels afin de réduire la demande pour la vente de femmes et de filles à des fins sexuelles, et à faire en sorte que ces peines soient assez sévères pour dissuader les récidivistes. Nous croyons que le même raisonnement s'applique à la rédaction de nos lois sur la prostitution.
    La prostitution repose sur le principe économique de l'offre et de la demande. S'il n'y a pas de demande de la part des hommes pour des services sexuels, la prostitution ne sera pas une industrie florissante. Une étude portant sur les adultes canadiens qui achètent des services sexuels explique que les acheteurs tentent consciemment de dissimuler leurs achats de services sexuels et ressentent une certaine inquiétude ou anxiété à l'idée d'être exposés comme acheteurs de tels services. Cette étude indique en outre que les acheteurs ont déjà eu peur de se faire arrêter pour avoir communiqué en public dans le but d'acheter des services sexuels.
    Les policiers et les organismes de première ligne constatent que des filles de plus en plus jeunes sont forcées de se prostituer. Pourquoi? Parce que les clients exigent des filles jeunes. Ils veulent avoir des relations sexuelles avec de jeunes vierges, et les proxénètes répondent donc à la demande en recrutant de jeunes filles vulnérables, souvent dans des foyers de groupe. Nous appuyons le message clair voulant qu'il sera inacceptable au Canada d'acheter le corps d'un autre être humain pour sa propre gratification sexuelle. Si le projet de loi est adopté, l'achat de services sexuels deviendra illégal pour la première fois dans l'histoire du Canada.

  (1020)  

    La recherche du profit, la cupidité et la soif de pouvoir, voilà ce qui motive les proxénètes, ceux qui font la traite des personnes, le crime organisé, les gangs et les entreprises qui obligent des femmes, des hommes et des jeunes gens à se prostituer et prennent part à ce genre d'activités criminelles. Des travaux de recherche montrent que la prostitution d'une seule femme peut représenter un profit quotidien supérieur à 1 000 $ et un revenu annuel de 280 000 $, libre d’impôts. Le trafiquant de drogue qui vend un kilogramme de cocaïne en tire un bénéfice une seule fois, mais le proxénète, lui, vend les services d'une prostituée durant sept ans en moyenne, ce qui peut se traduire par des millions de dollars de profit.
    Sévir contre l'achat de services sexuels n'est qu'un moyen parmi d'autres de décourager l'exploitation. Saisir, retenir et confisquer les produits de la criminalité — de quiconque en profite — est un autre outil efficace que les policiers peuvent utiliser pour réduire l'exploitation sexuelle de personnes vulnérables. La confiscation des biens et des richesses obtenues illégalement prive de leurs revenus ceux qui profitent de ces activités.
    Selon nous, la publicité visant la vente de services sexuels, que ce soit en ligne ou dans les médias imprimés, qui montre des images de femmes dans des positions sexuelles et dégradantes renforce la représentation de la femme en tant qu’objet sexuel. On dit que les femmes qui grandissent dans une culture où la représentation de la femme en tant qu’objet sexuel est très répandue se considèrent généralement elles-mêmes comme des objets de désir pour les autres. Cette représentation intériorisée est liée à des problèmes de santé mentale, à des épisodes de dépression majeure, à la surveillance constante de son corps, à des troubles alimentaires, à la honte de son corps ainsi qu'à des problèmes d’estime de soi et de satisfaction dans la vie, de fonctionnement cognitif et moteur et de dysfonction sexuelle. Une étude de Hatton en 2011 a conclu que les représentations sexualisées des femmes sont reconnues pour légitimer ou exacerber la violence contre les femmes et les filles de même que le harcèlement sexuel et les comportements misogynes chez les hommes et les garçons.
    Dans le projet de loi, le gouvernement propose un cadre juridique relativement aux infractions se rattachant à l'offre, à la prestation ou à l'obtention de services sexuels moyennant rétribution, cadre qui fait fond sur sa vision des prostitués comme étant des victimes, des personnes vulnérables ayant besoin de soutien et de soins. À notre avis, il est inconséquent d'établir de nouvelles dispositions législatives en vertu desquelles les prostitués sont considérés comme des victimes dans certaines situations, mais pas toutes.
    Nous nous opposons aux infractions décrites dans les modifications proposées à l'article 213, car elles auront pour effet de criminaliser les personnes marginalisées les plus vulnérables de la société, celles qui se livrent à la prostitution de rue et dont la majorité sont des femmes. Celles-ci, qui sont pauvres, souvent sans abri et toxicomanes, qui ont de graves problèmes de santé et qui souffrent de stress post-traumatique, ont besoin de soutien et de soins. Elles n'ont pas besoin d'être victimisées de nouveau. Nous ne croyons pas que l’application de ces infractions diminuera la violence inhérente à la prostitution, mais qu'elle forcera plutôt les prostitués de rue à faire des choix qui risquent de compromettre leur sécurité.
    Des rapports de recherche et des déclarations de prostituées soutiennent les constatations selon lesquelles ces femmes subissent de nombreuses formes de violence. Cette violence est infligée par les consommateurs et les gens qui exploitent ces prostituées pour en tirer profit, et non par les forces de l'ordre. La police de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, a affirmé avoir affaire au moins une fois par mois, sinon plus, à une fille de l'industrie du sexe qui est victime de violence. Il est essentiel que la loi impute la responsabilité de la violence inhérente à la prostitution et de l'exploitation de victimes vulnérables aux bonnes personnes, c'est-à-dire les proxénètes et ceux qui achètent des services sexuels.
    Continuer à pénaliser les personnes vulnérables en les exposant à des condamnations au criminel ne fait qu'ériger de nouveaux obstacles qui les empêchent d'abandonner la prostitution. Les déclarations de culpabilité privent déjà ces jeunes femmes de perspectives d'emploi et de la possibilité de faire des études collégiales, car de nombreux programmes d'enseignement coopératif exigent une vérification de sûreté effectuée par la police. À notre avis, les gens qui se prostituent ne le font pas par choix. Il n'y a pas d'intention criminelle.
    Je sais que les 20 millions de dollars ne font pas partie du projet de loi C-36, mais j'aimerais formuler quelques observations au sujet du financement proposé.
    Nous reconnaissons l'importance d'une campagne de sensibilisation de la population et de mesures de formation des policiers quant à l'application des nouvelles dispositions législatives, mais ces initiatives devraient faire l'objet d'un financement distinct. Il est impératif de former les agents de police afin d'assurer une application uniforme de la loi au pays, ce qui n'est pas le cas actuellement. En effet, certains services de police voient les prostitués comme des victimes qu'il faut sauver de leurs clients et de leurs souteneurs, et ils fondent leurs interventions en conséquence. D'autres services de police traitent les prostitués comme des criminels. La loi est donc appliquée très inéquitablement.
    Nous sommes favorables à cet investissement de 20 millions de dollars d'argent frais. Toutefois, à l'instar d'autres intervenants, nous exhortons le gouvernement à prévoir un financement durable à long terme pour l'élaboration de stratégies et de programmes efficaces pour aider les gens à se sortir de la prostitution.

  (1025)  

    Les survivants ont déclaré et ont montré que quitter le milieu de la prostitution est un processus difficile. Bon nombre d’obstacles sociaux constituant des facteurs pouvant mener à la prostitution, comme la pauvreté, le logement, les problèmes de santé, le manque de perspectives d'avenir, la violence, la toxicomanie et la nécessité de survivre, peuvent entraver l'abandon de la prostitution. Pour beaucoup de gens, quitter ce monde ne se fait pas d'un seul coup; ils en sortent et y retournent à quelques reprises avant de réussir à surmonter les obstacles qui les maintiennent dans la prostitution.
    Il est essentiel que les survivants et les prostitués participent à l'élaboration des stratégies et des programmes d'abandon de la prostitution. Un grand nombre de survivants ont souligné l'importance de tisser des liens avec quelques travailleurs de confiance. D'où la nécessité de fournir les ressources et les fonds voulus pour que les organisations qui offrent du soutien et des services aux victimes d'exploitation sexuelle puissent garder leurs employés.
    Que vous amendiez ou non le projet de loi C-36 conformément à ce qui a été suggéré, notre organisation appuierait la mesure législative dans sa forme actuelle. Nous continuerions à prôner la décriminalisation complète des personnes qui se prostituent.
    Permettez-moi de conclure en citant les propos de mon amie Beatrice Wallace Littlechief, qui a commencé à se prostituer alors qu'elle était enfant et qui a quitté le milieu de la prostitution des années plus tard, transformée à jamais:
À 14 ans, j'ai été forcée de vendre mon corps à un homme blanc d'âge moyen qui m'a dit, me voyant pleurer, qu'il irait doucement, puis qui a eu une relation sexuelle avec moi. Je craignais pour ma vie si je n'allais pas jusqu'au bout. J'étais seule et apeurée et j'aurais souhaité que quelqu'un soit là pour m'aider. Cet homme se disait que c'était acceptable de faire ce qu'il m'a fait; aux yeux de la société en général, c'était moi qui étais à blâmer.

La rue a fini par m'endurcir et la mort m'a épargnée. Je repense à cette époque, que je compare à aujourd'hui. L'entrée en vigueur du projet de loi C-36 me remplit de joie et d'espoir à l'idée qu'il puisse éviter à tant de jeunes filles, en particulier des Autochtones comme moi, de servir d'esclaves sexuelles. Vulnérables, les victimes sont laissées à elles-mêmes face aux maquereaux et au diable qui rôde, prêt à les attraper pour les manger toutes crues. Grâce au projet de loi, des mesures de protection et des stratégies pour se sortir de la prostitution seront en place pour aider les jeunes filles et les femmes prises au piège.

Ceux qui s'imaginent que la prostitution est un métier qu'on exerce par choix se leurrent. Si votre enfant de 14 ans vous disait qu'il s'est déniché un emploi comme prostitué, vous ne sauteriez pas de joie.

Je remercie personnellement le gouvernement de prendre des mesures et de considérer que les gens qui ont connu le même sort que moi sont des êtres humains, à l'égal des autres, qui méritent protection. J'ai quitté la prostitution depuis longtemps, mais j'en porte encore les cicatrices et elles ne disparaîtront jamais, mais je vois que, enfin, il y a de l'espoir.
    Merci.

  (1030)  

    Merci beaucoup pour votre exposé.
    Nous amorçons maintenant nos séries de questions et réponses. La première personne à poser des questions est Mme Boivin, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous et à toutes d'être ici parmi nous ce matin.
    Je tiens à rappeler que le titre du projet de loi C-36 est le suivant: Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    C'est le rôle du comité de s'assurer qu'à la suite de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Bedford, le projet de loi C-36 ne reviendra pas ultérieurement devant la cour et que tout le travail qu'on accomplit actuellement ne sera pas à refaire. Malgré tout, le ministre croit que ce projet de loi retournera devant la cour, ce qui me déçoit considérablement. Cela voudrait dire que, pendant des années, il y aura beaucoup d'insécurité, de questionnements et de divisions.
    En tant qu'avocate, j'essaie de mettre en avant les dispositions les plus claires possible et les plus représentatives de ce que l'on cherche à faire. Mon expression préférée est la suivante:

[Traduction]

    Il faut joindre le geste à la parole.

[Français]

    Je soulèverais quelques petites questions à la cantonade. Je demanderais à tout le monde d'y répondre assez rapidement.
    Croyez-vous que les cas de prostitution où la femme est le client sont aussi un acte de violence?

[Traduction]

    Je m'adresse à tout le monde. Peut-être que les gens pourraient répondre dans l'ordre où ils ont témoigné.
    D'accord. Une représentante de l'Asian Women Coalition voudrait-elle répondre?
    Pourriez-vous répéter votre question, madame Boivin?
    Pratiquement tous ceux qui appuient le projet de loi disent que la prostitution est un acte de violence à l'endroit des femmes. Qu'en est-il quand le client est une femme? Car cela existe. Encore hier soir, j'ai reçu de nombreux courriels d'hommes qui se prostituent. Pensez-vous que la prostitution est un acte de violence quand le prostitué est un homme?
    Je n'admets aucun comportement d'exploitation, que ce soit à l'égard d'une femme ou d'un homme.
    Je suis d'accord. Il s'agit là aussi de chosification d'un être humain et, bien souvent, de l'exploitation d'une personne dans une position de vulnérabilité.
    Bien entendu, il est question d'exploitation par des éléments criminels, mais on ne retrouve pas le même phénomène social que dans le cas de la violence contre les femmes. On ne voit pas des femmes utiliser leur pouvoir politique, économique et social pour assujettir des hommes. Sinon, je crois que c'est vrai.
    Évidemment, notre point de vue diffère de celui de nos collègues. Je dirais simplement que l'égalité fonctionne dans les deux sens. Toutefois, les situations ne sont pas toujours les mêmes pour les hommes que pour les femmes.
    Il est vrai que ce n'est pas aussi fréquent.
    Madame Pond.
    En effet, les femmes peuvent être exploitées et elles peuvent exploiter autrui dans ces situations.

[Français]

     C'est cohérent. Je voulais simplement m'assurer qu'il y avait une suite logique à tout ça.

[Traduction]

    Madame Pond, je suis heureuse que vous ayez mentionné la nécessité de former les policiers. Notre comité a entendu beaucoup d'histoires, des histoires déchirantes de jeunes gens entraînés dans la prostitution par des organisations criminelles liées à des gangs, ce qui se rapproche de la traite des personnes, une infraction qui figure déjà dans le Code criminel.
    Je n'ai pu m'empêcher de penser à quel point ces gens se sentent désespérés. Même la police est un peu désespérée.
    Beaucoup de témoins ont fait le rapprochement avec la violence conjugale. Lorsque vous avez parlé de formation, je me suis rappelé qu'il fut un temps où il ne se passait rien, sur le plan pénal, en matière de violence conjugale. Aujourd'hui, de plus en plus de cas sont signalés et nous luttons contre le problème. Pour ce faire, nous n'avons pas créé de nouvelle infraction, car il en existait déjà. Il s'agissait de fournir les outils nécessaires, la formation, l'information pour faire comprendre que la violence conjugale est inacceptable.
    Avant, la police arrivait chez les gens et disait: « Oh, c'est une affaire conjugale. Ça ne concerne que les deux époux. » Et elle s'en allait. Eh bien, nous avons éliminé ce comportement. Les tribunaux ont modifié leur comportement, leur approche des témoins dans ces situations-là. On a ajouté un article au Code criminel, mais comme facteur aggravant. Si une personne frappe son conjoint, il s'agit d'un facteur aggravant relativement à l'infraction d'agression.
    Je suis donc très contente que vous ayez souligné l'importance de former les policiers et de les outiller pour s'attaquer à ce que beaucoup de gens décrivent comme le coeur du problème, soit la traite des personnes et l'exploitation.
    J'en arrive à ma question au sujet de l'arrêt Bedford. La juge McLachlin est d'avis que la prostitution est une activité très dangereuse. Je serais surprise que qui que ce soit dise le contraire. C'est une activité très dangereuse. Même si la personne qui s'y livre y consent d'une certaine manière, cela demeure dangereux. C'est à cet aspect que la cour s'est intéressée.
    Madame Big Canoe, vous avez insisté sur l'importance d'avoir une loi qui tient compte des arguments du tribunal dans l'affaire Bedford.
    Je réfléchis énormément à la question et je me demande si nous aurions pu mieux définir la notion d'exploitation, pour la rendre acceptable dans le contexte de l'arrêt Bedford, en plus de criminaliser l'achat de services sexuels fournis par une personne victime de traite. Croyez-vous que cela aurait...

  (1035)  

    La question s'adresse à Mme Big Canoe, je crois.
    Monsieur le président, je dirai à la députée qui a posé la question qu'il n'existe pas de réponse simple. Je vais toutefois essayer d'être aussi concise que possible. Je veux faire valoir deux choses.
    Vous avez dit que nous avions déjà des dispositions législatives régissant la traite des personnes. C'est vrai, mais si vous consultez les données de Statistique Canada, vous serez à même de constater le nombre de condamnations et de poursuites, ce qui dénote un problème d'application de la loi. Comment expliquer que la législation en vigueur ne permette pas d'intenter efficacement des poursuites contre les auteurs de ce crime?
    En réponse à votre question, je vous en pose une autre: qu'accomplira ce projet de loi? Si on espère atteindre le même objectif que la loi actuelle, quel effet le projet de loi aura-t-il?
    Quant à la notion d'exploitation dans le contexte de l'affaire Bedford et des éléments abordés dans la décision, je ne suis pas certaine qu'il suffise simplement de mieux la définir ou d'établir plus de paramètres. Je pense...
    Vous savez, on a expliqué qu'il fallait...

[Français]

    Je vais le dire en français, car ce sera plus facile pour moi.
    Il faut faire la distinction entre la personne qui exploite et la personne qui protège. C'est ce que j'ai compris de l'affaire Bedford. C'est ce que la cour nous dit. Il doit donc y avoir des cas où on peut protéger quelqu'un.
    N'y aurait-il pas eu moyen de préciser l'article 212 du Code criminel où la question du proxénète est abordée? Cela aurait mieux répondu au jugement de la cour.

[Traduction]

    Je suis désolé, madame Big Canoe, mais le temps dont disposait la députée est écoulé. Quelqu'un d'autre vous posera probablement la même question.
    D'accord.
    La prochaine intervenante est Mme Smith, du Parti conservateur.
    Merci infiniment. Comme je sais que le temps nous est compté, je vais tâcher d'être brève et claire.
    Jay... Pardonnez-moi, mais je ne vous connaissais pas sous le nom de Jared. Préférez-vous que je vous appelle Jared ou Jay?
    [Note de la rédaction: inaudible]
    Jay et Michelle, je vous remercie pour tout ce que vous faites à l'échelle du Canada. Je remercie également tous les témoins de nous avoir expliqué leurs convictions de manière approfondie.
    Jay et Michelle, vous avez beaucoup parlé de la situation ailleurs dans le monde. Je me souviens de l'époque, il y a de cela quelques années, où vous avez décidé de tourner votre film et de découvrir la vérité sur le sujet. Vous venez de terminer une tournée du Canada.
    Pourriez-vous expliquer brièvement au comité ce que vous avez découvert à propos de la traite des personnes au Canada? Car il y a des gens qui croient que ce phénomène n'existe pas dans notre pays.

  (1040)  

    Oui. Nous venons de finir une tournée qui a nous amenés dans 80 villes canadiennes. Nous avons parcouru 37 000 kilomètres en sept mois, tous les deux en voiture. Cela nous a permis de tester la solidité de notre mariage. Nous célébrons notre sixième anniversaire dans 3 jours. C'est excitant. C'est bien.
    Monsieur Brock...
    Oui, merci.
    Nous avons pris part à beaucoup d'événements, et il arrivait souvent que des filles en pleurs viennent nous voir après pour nous remercier d'aider les gens à comprendre que ce n'est pas leur faute. Des hommes venaient nous remercier d'aborder la question de la dépendance sexuelle. Nous avons rencontré des victimes de traite des personnes un peu partout au Canada, dans des villes de 2 000 habitants et dans des grandes villes comme Vancouver, Montréal et Toronto. C'est fou.
    Merci, Jay. Ayant visionné le film, je sais que vous auriez tant de choses encore à raconter. Vous pouvez peut-être nous en dire plus.
    Soit dit en passant, la vraie épreuve pour tester la solidité de votre mariage, ce n'est pas de traverser le pays ensemble. C'est de vivre dans cette roulotte en plein bois. Voilà la véritable épreuve.
    Deborah, quel plaisir de s'entretenir avec vous aujourd'hui. Nos conversations au fil des ans ont été si fructueuses. Je voudrais vous poser une question, vous qui avez été agente de la GRC. Vous avez travaillé dans la rue. Pourquoi donc la police affirme-t-elle qu'elle doit être en mesure de procéder à des arrestations dans l'intérêt des victimes? Car c'est ce qui se reflète dans le projet de loi...
    De nombreux policiers estiment probablement que c'est un outil dont ils ont toujours eu besoin. Je crois qu'il leur faut comprendre le changement qui s'opère.
    C'est un peu comme lorsque j'étais agente de police et que la Charte est entrée en vigueur. J'avais l'impression qu'il serait très difficile d'arrêter des criminels dans la rue. Il faut simplement comprendre la nécessité de créer une relation avec les victimes pour être en mesure de faire la distinction entre elles et les proxénètes, entre elles et les clients qui achètent des services sexuels. Les policiers doivent établir cette relation et comprendre qu'ils sont là pour aider les victimes et non pour les arrêter ou porter des accusations contre elles. Ils sont là pour les sortir d'une situation d'exploitation.
    Merci beaucoup.
    Keira et Hilla, vous accomplissez un travail extraordinaire depuis toutes ces années. J'ai adoré collaborer avec vous à plein d'égards. Vous êtes dans le concret, sur le terrain.
    Quel est le message le plus important que vous aimeriez transmettre au comité aujourd'hui, vous qui interagissez tous les jours avec des victimes de traite des personnes? Une de vous deux peut répondre.
    Je vais simplement répéter ce que j'ai dit. Je crois qu'il faut lancer aux hommes ce message on ne peut plus limpide: il est inacceptable d'acheter une femme, point à la ligne. J'estime par ailleurs qu'il faut éviter de criminaliser les femmes. C'est le message que je formulais tout à l'heure. Le Comité de la justice a la responsabilité de tenir compte du consensus dégagé parmi la presque totalité des témoins au sujet de la décriminalisation des femmes et de la suppression de cette disposition.
    Merci.
    Alice et Suzanne, que dire? Vous êtes fantastiques.
    Je me dois de vous poser une question parce qu'à Vancouver, en Colombie-Britannique, voire partout au pays, les femmes de couleur, les femmes asiatiques et les femmes autochtones sont surreprésentées parmi les prostituées et les victimes de traite des personnes. Vous avez mentionné des mesures qui permettraient de protéger ces femmes dès qu'elles débarquent de l'avion. Vous avez expliqué que certaines femmes sont envoyées dans un bordel dès qu'elles descendent de l'avion.
    Pourriez-vous revenir là-dessus? Vous avez abordé la question dans votre exposé. Pourriez-vous répéter vos propos pour la gouverne du comité?
    Oui. Que ce soit dans l'affaire Bedford ou dans le cadre du présent débat, on n'a pas reconnu la forte proportion de femmes asiatiques dans les maisons de débauche, les salons de massage et les bordels illégaux, les maisons et les appartements. C'est le cas au Canada comme ailleurs. Songeons à des pays comme la Thaïlande, le Cambodge, et cetera.
    Ces femmes ont des besoins particuliers. Celles qui n'ont pas les connaissances linguistiques requises ou le statut d'immigrante se retrouvent dans une position d'autant plus vulnérable.
    Quelles sont les deux mesures à prendre dès qu'une femme débarque de l'avion pour éviter qu'elle fasse l'objet de traite ou soit forcée à se prostituer?

  (1045)  

    Je pense qu'il faut lui accorder le statut de résidente permanente, ce qui contribuerait grandement à la rendre moins vulnérable à la traite des personnes et à la prostitution, et lui donner un soutien concret.
    Merci.
    Me reste-t-il une minute?
    Il vous reste plus d'une minute.
    Très bien. Je me dépêche tellement que cela me tue.
    J'ai réfléchi à un aspect de la question. Personne n'a jamais fait d'analyse pour remonter la piste de l'argent. N'importe lequel des témoins peut répondre. La prostitution et la traite des personnes sont des activités lucratives, que ce soit pour les criminels qui vendent les services sexuels d'autrui ou ceux qui font la publicité ou encore les gens qui aident les travailleuses du sexe.
    Quelqu'un voudrait-il parler au comité de l'argent qu'il y a à faire à maintenir en état d'asservissement les prostituées, au moyen de la traite des personnes?
    Mon autre question porte sur l'apparence juvénile des prostituées. Des gens ont affirmé au comité qu'aucun jeune n'était mêlé à ces activités. Quelqu'un voudrait-il répondre à ces deux questions?
    Il est évident que des jeunes filles sont impliquées là-dedans. Nous le tenons non seulement des femmes qui utilisent notre service de ligne d'écoute téléphonique offert 24 heures sur 24, mais aussi de nos propres membres, des femmes qui ont travaillé dans l'industrie du sexe, dans des bars de danseuses et comme prostituées, et qui ont abandonné le milieu. La majorité des femmes qui communiquent avec nous ont commencé à se prostituer très jeunes, à 7 ou 12 ans dans les cas extrêmes. Des femmes, y compris les demanderesses dans l'affaire Bedford, ont donc révélé avoir commencé à se prostituer à un très jeune âge. C'est incontestable.
    Quelqu'un d'autre?
    Suzanne.
    Oui, je voudrais attirer l'attention sur un rapport de la GRC sur la traite des personnes. Je n'ai pas les chiffres précis, mais il existe des études sur l'argent qui découle de la traite des personnes à des fins de prostitution. Or, comme il s'agit d'une activité illicite, il est difficile de déterminer exactement les montants en cause. Les chiffres les plus précis viennent probablement de la police et on peut avoir une idée de l'argent et des revenus en jeu en examinant les régimes où la prostitution a été légalisée.
    La GRC s'est penchée sur la traite des personnes au Canada et a constaté que cette activité de même que la prostitution prolifèrent dans les villes où la population asiatique est assez grande pour que le crime organisé soit présent. Les salons de massage font partie d'un réseau pancanadien qui est manifestement contrôlé par le crime organisé, et celui-ci n'agit pas pour le plaisir, mais pour le profit.
    Votre temps est écoulé, madame Smith.
    Je vous remercie beaucoup. Merci pour vos questions et vos réponses.
    Le prochain intervenant est M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Après avoir entendu les déclarations préliminaires, je me suis fait la réflexion que nous avions affaire à un autre groupe de témoins qui s'entendent tous pour dire que le projet de loi C-36 pose problème dans la mesure où les prostitués ou les travailleurs du sexe continueront à s'exposer à des accusations au criminel.
    J'en suis moins certain depuis que je vous ai entendu répondre, madame Pond, à la question de Mme Smith. Je commence donc avec vous.
    La question de Mme Smith renvoyait au témoignage d'agents de police devant le comité. Ils ont justifié le maintien de la possibilité de porter des accusations criminelles contre les victimes en le décrivant comme un outil leur permettant de détenir les victimes et de leur parler, même s'ils ne déposent aucune accusation. Ai-je raison de penser que vous estimez que l'article 213 ne devrait pas figurer dans le projet de loi C-36 et qu'il faudrait éliminer la possibilité de porter des accusations contre les personnes impliquées dans le commerce du sexe?
    Cet article ne devrait pas se trouver dans le projet de loi C-36.
    À mon avis, les policiers peuvent disposer d'autres outils. Les femmes, les jeunes qui sont criminalisés...
    La police doit pouvoir les traiter comme des témoins. Elle peut s'entretenir avec eux en tant que témoins. Nul besoin de les arrêter si aucune accusation ne sera portée. La police doit comprendre qu'elle a besoin d'autres outils.

  (1050)  

    Il y a donc unanimité.
    Madame Big Canoe, tous les témoins ont manifesté leur opposition à l'article 213, qui permet aux policiers de continuer de porter des accusations et en vertu duquel les communications liées au commerce du sexe demeurent une infraction. Tout le monde ici s'entend pour dire qu'il s'agit d'une mauvaise politique. Vous êtes la seule à avoir parlé de la constitutionnalité de cet article, ce qui, comme vous l'avez mentionné, était à la base de votre poursuite devant la Cour suprême du Canada.
    Sachant que vous avez fait valoir devant la Cour suprême du Canada que l'ancienne disposition était inconstitutionnelle, tous les avocats qui ont témoigné devant le comité, à l'exception de ceux qui travaillent pour le ministère de la Justice et du ministre, ainsi que de l'avocate de l'Alliance évangélique qui était en désaccord avec son client, estiment que la modification apportée aux objectifs permettra de sauver la nouvelle disposition.
    Si j'ai bien compris, vous avez déclaré dans votre déclaration préliminaire que vous étiez en désaccord avec cette position, c'est-à-dire que, d'après vous, la modification apportée aux objectifs ne rendra pas la nouvelle disposition valable sur le plan constitutionnel. Est-ce exact?
    Monsieur le président, si je peux me permettre de répondre à la question du député, en effet, je suis d'accord avec votre interprétation. Je ne crois pas que la disposition, dans sa forme actuelle, soit acceptable du point de vue constitutionnel. En réalité, elle a le même effet que la disposition précédente.
    Les gens vont se fier au préambule ou dire ce qu'ils pensent. Toutefois, quand on analyse la question en cour... Cela pourrait avoir lieu à de nombreux niveaux, mais si cette question se rend jusqu'à la Cour suprême, celle-ci devra appliquer les principes de justice fondamentale et constitutionnelle, aux termes desquels elle devra soupeser les risques et les préjudices par rapport aux objectifs. Ces derniers sont formulés en des termes tellement généraux que, à mon avis, la contestation réussira pour ces motifs.
    Lundi, le ministre MacKay a dit que les gens la contesteront simplement parce qu'ils tiennent à le faire. Intenter des poursuites judiciaires n'est pas une chose qu'on entreprend à la légère. On le fait en se fondant sur les droits de la personne et la constitutionnalité. Bien franchement, il est assez facile de prendre la décision de contester une disposition législative qui n'est pas constitutionnelle et qui a pour effet de miner ces droits et de mettre en balance la vie, la liberté, la mort de certaines personnes et les préjudices qu'elles subissent. C'est ce que nous avons fait pendant des mois au cours de l'affaire Bedford.
    Je pense qu'il est juste de dire qu'un certain nombre d'alliés contesteront à nouveau la mesure législative si le projet de loi est adopté tel quel, de la même façon que nous avons contesté la loi au départ. La loi doit être acceptable du point de vue constitutionnel. Il faudrait être convaincu que la mesure aura gain de cause. Dans le cas présent, j'estime que la mesure législative prête fortement à contestation et qu'il se pourrait bien qu'on juge qu'elle enfreint la Constitution.
    Je tiens à vous remercier d'avoir parlé des principes de l'arrêt Gladue. Pendant toute la semaine, j'ai essayé d'aborder le sujet auprès des témoins. Maintenant que nous avons une experte devant nous, je veux vous poser des questions à ce sujet.
    Vous avez dit très clairement que, selon vous, le projet de loi C-36 contrevient à la décision qu'a rendue la Cour suprême dans l'arrêt Gladue. Est-il possible de sauver le projet de loi? Pourriez-vous proposer des amendements qui le rendraient conforme à l'arrêt, ou est-il entaché d'un vice fondamental?
    Monsieur le président, si je peux me permettre de répondre à la question du député, je dirai clairement que certaines parties du projet de loi sont fondamentalement viciées, et ce, à cause des peines minimales obligatoires et des chefs d'accusation qui existent à l'heure actuelle. En effet, il y a des éléments comme l'exploitation sexuelle qui ne sont pas définis aussi clairement qu'ils le pourraient.
    Par exemple, les Autochtones et les groupes qui ne subissent pas nécessairement d'exploitation sexuelle dans l'industrie du sexe, ou quelqu'un qui participe à cette industrie, pourraient faire face à la criminalisation. C'est pour cette raison que le projet de loi est fondamentalement vicié. Les peines minimales obligatoires empêchent les juges de décider de tenir compte de la situation des délinquants autochtones qui comparaissent devant eux.
    Comme vous l'avez mentionné, j'ai posé au ministre une question sur la conformité à l'arrêt Gladue. Tout de suite après, je lui ai demandé s'il était d'accord pour dire que les Premières Nations sont particulièrement vulnérables en matière de prostitution et d'exploitation. Il en a convenu. Ensuite, je lui ai demandé si des mesures précises avaient été prévues dans la mesure législative pour tenir compte de cette vulnérabilité particulière, et il a répondu que tous les articles visaient à protéger tous les individus vulnérables.
    Quelle est votre opinion à cet égard?

  (1055)  

    Sans vouloir offenser qui que ce soit, je ne suis pas d'accord. Le ministre MacKay a aussi dit qu'il a été amplement question, au cours des discussions du comité, de l'insuffisance de la somme de 20 millions de dollars, ce sur quoi il s'est appuyé. Il a réagi en disant que, en plus de cette somme, le projet de loi prévoyait des mesures monétaires et que le gouvernement allait collaborer avec les Premières Nations et d'autres organismes autochtones.
    Au Canada, il y a une grande diversité d'organismes autochtones et d'Autochtones. Il y a plus de 600 Premières Nations. Il y a les Métis. Il y a les Inuits. Il y a donc, par exemple, diverses opinions... et M. Piragoff a aussi parlé d'éléments comme la consultation au sujet de cette mesure législative. Il a dit qu'ils avaient parlé avec quelques Premières Nations. « Quelques » Premières Nations ne seront jamais suffisantes pour réaliser cette consultation. Et puis, avec qui la collaboration sera-t-elle établie? Le ministre MacKay s'est contenté de répondre que l'argent était disponible.
    Bien franchement, dans la mesure législative proposée, je ne vois aucune disposition qui permette une exemption ou une application directe de l'alinéa 718.2e) ou la mise en oeuvre des principes établis dans l'arrêt Gladue. En fait, M. Piragoff a dit qu'il faudra respecter les dispositions qui auront été mises en place, quelles qu'elles soient.
    En droit, on s'attend à ce qu'une disposition du code ait la même importance qu'une autre. Or, M. Piragoff affirme que l'une d'entre elles aura préséance parce qu'elle prévoit une peine minimale obligatoire. Techniquement, les deux dispositions font partie du même code et, dans le cas qui nous intéresse, le respect de la Constitution l'emporte.
    Plus tôt cette semaine, Mme Ekberg a témoigné devant nous. Savez-vous de qui il s'agit?
    Oui, c'est la Canadienne qui a participé l'élaboration de la législation suédoise.
    C'est exact. Au moins, nous savons tous de qui il s'agit.
    Elle a parlé des obligations internationales du Canada, de la déclaration des Nations Unies et du fait qu'il n'en est aucunement question dans le préambule. Puisque vous savez comment prononcer son nom, je déduis que vous avez probablement vu son témoignage.
    Que pensez-vous de sa recommandation qui vise à reconnaître, dans le préambule du projet de loi, les obligations internationales du Canada à l'égard des Premières Nations?
    Je me contenterai de faire référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Chose intéressante, mais je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, il y est question d'un niveau élevé d'autonomie et d'autodétermination ainsi que d'un grand nombre de modèles. C'est l'une des choses qu'il convient de souligner à son égard, ce qui permet aussi aux Premières Nations et aux communautés autochtones... qui peuvent définir des choses comme le travail du sexe ou la prostitution de façon bien différente aux définitions qui se trouvent dans la loi canadienne. Je doute donc que le comité veuille nécessairement inclure cela. Toutefois, le Canada, puisqu'il est signataire de la déclaration, doit respecter certaines obligations internationales. Je ne pense pas que mentionner la déclaration dans le préambule signifie nécessairement que le Canada respecte ses obligations.
    Merci pour ces questions et pour les réponses qui ont été fournies.
    Notre prochain intervenant est M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président. Merci aux témoins de leur présence.
    Mes questions s'adressent à Mme Pond.
    Merci d'être ici aujourd'hui. Je suis moi-même un policier à la retraite et je me souviens moi aussi de l'époque d'avant la Charte. Je pense que c'est un document en évolution qui remet la police en question de temps en temps.
    Cela dit, vous avez dit que, sans l'article 213, les policiers avaient d'autres outils à leur disposition. Pouvez-vous me dire quels outils permettraient aux policiers de retirer une personne vulnérable d'un endroit si le Code criminel ne leur donnait pas l'autorité légale de le faire?
    Je pense que nous avons vu comment les policiers de la Police régionale de York aident les personnes qui se livrent à la prostitution. Nous avons parlé avec eux. Ils ont créé des liens avec ces personnes. Lors de leurs interventions, ils ont mis en accusation les souteneurs et les responsables de la traite des personnes. Ils ont établi une relation de confiance grâce à laquelle les femmes acceptent de témoigner si elles demeurent dans une situation où elles sont exploitées. Ils ont créé des liens et gardé le contact avec elles. Le jour où une jeune femme décide qu'elle veut sortir de la situation où elle est exploitée, elle communique avec les policiers. Ces derniers sont en mesure de fournir des services à différents organismes et un endroit où elle pourra se soustraire à la situation.
    En ce qui concerne les bénéfices réalisés par des individus, les policiers disposent de la loi sur les produits de la criminalité, qui leur permet de cibler les organismes ou les individus qui font des bénéfices grâce à la prostitution. Les policiers sont en mesure de saisir les biens et les avoirs illicites et de les retirer aux organisations qui en tirent avantage.

  (1100)  

    Cela vise les souteneurs et les organisations, qu'il s'agisse du crime organisé ou d'autres groupes.
    Pour en revenir aux victimes, dans la plupart des cas, normalement, leur premier contact avec les policiers se fait presque toujours dans un certain contexte de violence. Dans de nombreux cas, les victimes sont dans une situation où elles sont contrôlées par un souteneur ou une personne en position d'autorité et on les contraint de ne pas parler aux policiers en les menaçant d'autres actes de violence.
    Partagez-vous cet avis?
    Oui, je suis d'accord, mais je pense quand même que les policiers sont capables de séparer les gens. C'est comme lorsque vous intervenez dans une situation de violence conjugale, vous ne laissez pas la personne qui a commis l'agression en présence de la victime. Vous les séparez et vous leur parlez individuellement.
    Je pense que c'est la même chose ici. Vous prendriez la victime pour lui parler à l'écart du souteneur ou du responsable de la traite des personnes. Si cela signifie...
    Si je peux me permettre, madame Pond, je pense qu'il y a une légère différence entre les exemples que vous avez donnés. En temps normal, en cas de dispute familiale, il y a une agression entre deux personnes dans une demeure. Vous savez qui est l'auteur de l'assaut et vous pouvez l'arrêter à ce titre parce que vous pouvez prouver qui est l'auteur. Dans le cas où des policiers sont appelés quelque part où il y a une personne en détresse, ils entrent dans l'édifice ou se rendent à l'endroit désigné et voient une personne, homme ou femme, qui a manifestement été agressée — la personne a un oeil au beurre noir, par exemple, ou une autre marque visible d'agression physique —, puis une autre personne présente dit aux policiers de s'en aller, que ce n'est pas de leurs affaires et qu'ils n'ont rien à voir là-dedans.
    Vous demandez alors à la victime, homme ou femme, de vous dire ce qui s'est passé. Dans de pareilles circonstances, la victime répondra qu'il n'y a pas de problème et vous demandera de partir. Sans l'article 213 et l'infraction qui y est prévue, qu'est-ce qui donnerait aux policiers le pouvoir de parler avec cette personne?
    En ce qui concerne l'article 213, les policiers ne seraient pas en mesure de procéder à des arrestations s'il y a communication en public. Il faudrait qu'ils parlent à l'individu. Je le répète, on sépare les individus qui sont mêlés à ce genre de situation. On leur parle individuellement pour obtenir des renseignements.
    On n'arrête pas un individu tout simplement pour le soustraire à la situation et le remettre en liberté par la suite à moins d'avoir l'intention de faire une enquête en vue de porter des accusations. Il s'agit quand même de détention, et quand on détient quelqu'un, cela revient, techniquement, à l'arrêter.
    Je le répète, il faut parler aux personnes individuellement. On peut ainsi recueillir des preuves et des renseignements permettant d'évaluer la situation. Peut-être que le policier devra laisser tomber, peut-être qu'il sera de nouveau en contact avec cet individu ou avec la victime et qu'il pourra alors déterminer ce qui se passe.
    Vous avez soulevé une question très préoccupante pour tout policier, à savoir que celui-ci peut être obligé de laisser tomber. Je pense que c'est une chose qu'aucun policier ne veut faire.
    Cela dit, comme vous le savez, la formation des policiers a évolué au fil des ans, à la GRC comme dans les autres services de police. Au Dépôt de la GRC, il y a beaucoup de jeux de rôle afin que les recrues puissent acquérir une expérience directe. Pensez-vous qu'il soit possible d'offrir aux policiers ce type de formation afin que, à leur sortie du Dépôt, ils aient une meilleure compréhension de l'ampleur de ce genre de crime?

  (1105)  

    Je suis convaincue que les jeux de rôle et tout type de formation reçue par les policiers, qu'ils fassent partie de la GRC ou d'autres services de police, sont essentiels pour leur permettre de déterminer de quelle façon ils doivent réagir dans certaines situations. Cela leur permet d'intervenir dans certaines situations avec davantage d'assurance. Le policier, au moment d'aborder une situation, pense à ce qu'il va dire et aux problèmes auxquels il peut faire face. Je pense qu'il est essentiel que les policiers fassent cela au cours des jeux de rôle et de la formation interne, et c'est d'ailleurs ce qu'ils font maintenant. J'entends souvent des policiers parler de la formation qu'ils reçoivent sur la traite des personnes, la prostitution et d'autres problèmes. Je pense effectivement qu'ils doivent faire cela au cours de leur carrière.
    Merci beaucoup pour ces questions et pour les réponses qui ont été fournies.
    Notre prochaine intervenante est Mme Ève Péclet, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup à tous les témoins d'avoir accepté de comparaître devant nous.

[Traduction]

    Je vais faire de mon mieux.
    Madame Big Canoe, je pense que vous avez parlé d'un paragraphe important de la décision de la Cour suprême, c'est-à-dire le paragraphe 121, qui traite de l'équilibre entre les personnes à risque... Vous avez parlé de façon fort éloquente de la différence entre les lois existantes qui visent l'exploitation et la traite des personnes. J'aimerais simplement préciser que, en vertu de l'article 279.01, une personne trouvée coupable de traite des personnes est passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
    J'aimerais que vous parliez davantage des statistiques sur la traite et l'exploitation des personnes et de la différence entre la loi qui est proposée et celle qui existe déjà.
    Pour répondre à votre question, l'article 279.01, dont vous parliez, est une disposition qui permet d'intenter des poursuites contre les responsables de la traite des personnes. Chose intéressante, quand nous avons effectué des recherches à ce sujet pour comprendre les différences... parce que de nombreux témoins parlent de l'interdépendance. Ce dont nous n'entendons pas parler, ce sont des différences très nettes qui existent entre la traite de personnes et le travail du sexe.
    En gros, quand on s'intéresse aux chiffres, on constate qu'il n'y a pas un grand nombre de personnes qui sont condamnées pour traite des personnes. La question que je posais plus tôt c'est: pourquoi la loi qui existe déjà n'est-elle pas mise en application ni utilisée? Souvent, dans les articles universitaires sur le sujet, on parle des difficultés qu'éprouvent les organismes d'application de loi à établir les faits, parce que la traite est difficile à cerner et ainsi de suite. Je demandais donc au comité de quelle façon les dispositions qui sont proposées maintenant allaient changer cela. De plus, que peut-on faire pour changer cela, si cela n'a pas déjà été fait?
    Quant à l'exploitation sexuelle, l'une des choses que l'arrêt Bedford a définies sont les éléments qui caractérisent, ou non, l'exploitation sexuelle, mais cela n'est pas suffisant. Plus tôt, votre collègue a demandé, à ce sujet, s'il ne serait pas préférable de définir cela. L'exploitation est déjà définie dans la loi et dans le droit international. Je ne pense pas que, lors de l'élaboration du projet de loi proposé, on ait suffisamment examiné cette question pour comprendre et établir les différences avec le travail du sexe. L'arrêt Bedford visait le travail du sexe, pas la traite des personnes. Au Canada, il existe des lois qui visent la traite des personnes et qui ne sont pas utilisées correctement. Peut-être qu'il serait utile d'examiner ces lois.
    Qu'est-ce que l'exploitation et comment la définit-on? Il y a des relations qui contribuent... Par exemple, une municipalité accorde des permis à des salons de massage qui exercent leurs activités sur son territoire. Est-ce que cette municipalité vit des produits de la prostitution? Sera-t-elle visée par une des exceptions à cette nouvelle loi? S'agit-il d'exploitation? Est-ce que la municipalité gagne de l'argent? Profite-t-elle des personnes ou les transforme-t-elle en marchandises comme le disaient les membres du comité? Il y a une grande différence entre l'exploitation par nature et l'exploitation sexuelle.

  (1110)  

    Il est seulement très important et intéressant de souligner que l'article visant l'achat et celui visant l'avantage pécuniaire ont été placés dans la section du Code criminel qui vise la traite des personnes et non dans celle qui vise les crimes contre la personne. Ces dispositions ont été incorporées dans la section du Code criminel qui vise la traite des personnes.
    Ma prochaine question s'adresse à M. et Mme Brock. Merci pour tout ce que vous avez fait. Je suis impatiente de voir votre film et j'espère que je pourrai en obtenir une copie sur Internet. J'ai hâte de le voir. Ma question concerne... puisque vous avez travaillé sur le terrain, que vous avez parlé à des gens et que vous savez ce qui se passe. Comme je l'ai dit à Mme Big Canoe, nous avons de la difficulté à mettre des lois en oeuvre. Nous avions le même problème avec la violence familiale, car il existait auparavant des lois qui n'étaient pas mises en application. Croyez-moi, pendant que j'étudiais en droit, j'ai constaté les progrès réalisés à cet égard.
    Selon vous, quel est le principal obstacle qui se dresse devant les policiers ou toute personne qui travaille sur le terrain pour aider les gens à échapper à la traite des personnes? Quelles ressources seraient nécessaires? Cela me ramène à ma question sur les 20 millions de dollars pour cinq ans, ce qui revient à 4 millions de dollars par année. Nous savons que le Manitoba est une province qui consacre au moins 8 millions de dollars par année à ce dossier. Je suis convaincue que des provinces comme l'Ontario et le Québec dépensent probablement beaucoup plus, mais je n'ai pas pu poser la question. Quelle est donc la différence entre le projet de loi C-36 et les lois existantes? Est-ce qu'il changera vraiment quelque chose? Ou bien avons-nous besoin de davantage de ressources sur le terrain pour cibler les souteneurs et les responsables de la traite des personnes?
    Merci beaucoup.
    Eh bien, monsieur le président, qui ne souhaite pas obtenir plus d'argent du gouvernement?
    Nous avons visité 80 villes, et toutes attendent un signal de la part du gouvernement fédéral. Je crois que c'est ce que fait le projet de loi C-36. Il envoie le signal que les êtres humains ne sont pas à vendre. On constate que des personnes sont victimes des circonstances, alors on veut décriminaliser. Il ne faut cependant pas oublier — et c'est ce qui est primordial à notre avis — qu'il faut mettre fin à la demande de services sexuels contre rémunération.
    Nous avons parlé au dirigeant de la lutte contre la traite de personnes de Stockholm, et il nous a dit qu'il s'agissait d'un outil formidable pour faire fléchir la demande. Les femmes peuvent maintenant s'adresser à la police parce qu'elles ne sont pas considérées comme des criminelles et elles peuvent demander de l'aide. Si elles veulent se sortir de ce milieu, elles en ont la possibilité. Et en même temps, la police peut vraiment s'attaquer à la demande. De telles mesures sont donc considérées comme un outil, un moyen de combattre la traite de personnes.
    Souhaitez-vous ajouter quelque chose?
    Je voudrais rapidement dire que je crois, moi aussi, qu'il est très difficile à l'heure actuelle d'arrêter les responsables de la traite de personnes parce que la chaîne d'approvisionnement est très longue et qu'elle traverse souvent les frontières. C'est lorsqu'on décide de s'attaquer aux profits de ces personnes que les choses commencent à changer. Cibler les patients des prostituées serait plus facile pour les policiers, mais cela permettrait également de réduire les profits des responsables de la traite. C'est pourquoi nous estimons que cela représenterait un autre outil que les policiers pourraient utiliser.
    Je vous remercie pour vos questions et vos réponses.
    La prochaine intervenante est Mme Ambler, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de nous éclairer dans le cadre de l'étude que nous faisons du projet de loi.
    Je vais poursuivre dans la même veine que Mme Péclet parce que j'allais poser à Michelle et à Jared Brock une question concernant l'offre et la demande. J'aimerais savoir s'il est réellement possible de réduire la demande. Vous avez mentionné qu'en Suède, l'adoption des nouvelles lois a suscité un dialogue national. Je crois que c'est aussi ce que nous faisons en ce moment et je crois que c'est ce que le projet de loi permettra de faire.
    Mais le fait de savoir qu'il n'est plus acceptable d'acheter des services sexuels est-il réellement ce qui entraîne une diminution de la demande? Est-ce aussi simple que ça? Vers quoi se tournent les hommes qui ont de l'argent et qui veulent acheter des services sexuels? Que se passe-t-il? Disparaissent-ils comme par magie? Je ne sais pas.
    Les hommes vont là où c'est le plus facile pour eux d'acheter des services sexuels.
    Que se passe-t-il lorsque c'est difficile?

  (1115)  

    Si l'on prend l'exemple de la Suède, il y aura toujours des hommes prêts à payer pour obtenir des services sexuels. Alors, soit ils trouvent un moyen de le faire en Suède, soit ils vont à l'étranger. Cependant, dans le cas des hommes ordinaires comme moi, par exemple, si la prostitution était légale, il serait très facile d'aller faire un petit tour dans un bordel. Mais s'il me fallait prendre l'avion, me rendre dans un autre pays, revenir à la maison et essayer d'expliquer ces dépenses à ma femme, cela compliquerait passablement les choses.
    Je le répète. Aucune solution ne permettra d'éradiquer complètement le problème, mais nous pouvons viser un taux de 80 %, les fêtes d'étudiants, les enterrements de vie de garçon. J'ai rencontré un homme qui amenait son fils à Cuba chaque année à Noël pour des vacances érotiques. C'était leur façon de tisser des liens entre père et fils. Nous pouvons prendre des mesures à cet égard. Si c'était illégal, ils n'y iraient pas. J'aimerais que la traite de personnes soit abolie dans tous les pays du monde et je crois qu'en criminalisant la demande, en s'attaquant à la demande, on règle une grande partie du problème.
    Je vous remercie. Merci également d'avoir réalisé ce documentaire. J'aimerais aussi le voir.
    Merci beaucoup.
    Voulez-vous du maïs soufflé?
    Oui, du maïs soufflé, ce serait bien. Avec du beurre, s'il vous plaît. Merci.
    Ma prochaine question s'adresse à vous, madame Big Canoe.
    Plus tôt cette semaine, nous avons entendu le témoignage de l'Association des femmes autochtones du Canada, et ses représentantes utilisaient une terminologie différente. Elles ne parlaient pas de « travailleuses du sexe » pour décrire les personnes qui s'adonnent à la prostitution. Même si Mme Audette a pris la peine d'expliquer qu'elle ne représentait pas les femmes autochtones du Canada à proprement parler, elle a néanmoins affirmé qu'elle les accompagne et qu'elle se faisait l'écho de leur point de vue.
    J'aimerais savoir certaines choses. Représentez-vous, ou avez-vous déjà représenté des femmes autochtones qui s'adonnent à la prostitution ou qui ont été victimes de la prostitution? Considérez-vous les femmes autochtones comme des travailleuses du sexe ou comme des femmes qui se prostituent?
    J'ai une foule de questions, mais je vais commencer par celle-là.
    Monsieur le président, j'aimerais répondre aux questions de la députée. Ce sont de très bonnes questions et je vous remercie de les avoir posées.
    Oui, nous représentons uniquement des clients autochtones. Certains de nos clients sont des travailleuses du sexe. Est-ce que nous tenons des statistiques à ce sujet? Non, parce que nous accueillons nos clients là où ils en sont dans leur vie. Nous leur permettons de s'identifier eux-mêmes. Pour pouvoir établir des liens avec nos clients là où ils en sont, surtout dans le contexte d'une relation avocat-client, nous devons les laisser venir à nous comme ils sont et définir eux-mêmes qui ils sont.
    Le fait que j'emploie l'expression « travailleuse du sexe » repose sans doute sur le genre de clients que nous représentons dans le cadre de notre travail. En fait, nous représentons de nombreuses victimes devant la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels de même qu'un certain nombre de victimes de violence conjugale. En tant qu'Autochtones, nous constatons que les policiers n'interviennent toujours pas pour la cause des femmes autochtones dans les cas de violence conjugale et, souvent, un genre de processus de défense des victimes a lieu.
    Donc, pour faire écho aux propos de la présidente de l'Association des femmes autochtones, oui, nous accompagnons nos clients. Je suis membre des Premières Nations. Je viens d'une communauté autochtone. Je travaille principalement avec du personnel autochtone, et nos clients sont Autochtones. Nous comprenons. Notre perception repose cependant sur des éléments différents. En tant que présidente de l'organisation nationale, elle a sûrement l'occasion de voir différentes régions du pays. Mon point de vue repose pour sa part sur les clients que je représente, qui ne proviennent pas seulement de Toronto. Nous menons des enquêtes à l'échelle de la province et ailleurs au pays. Ce point de vue représente une réalité. Ce qui est réellement important, c'est de respecter cette diversité et ces opinions variées.
    Je n'ai pas non plus la prétention de représenter la totalité des personnes autochtones. Aboriginal Legal Services est cependant reconnu comme un allié des travailleuses du sexe, et nous utilisons cette expression — nous choisissons de l'utiliser — parce que nous acceptons toujours nos clients comme ils se présentent à nous.
    Une dernière question...
    Convenez-vous que les clients des prostituées devraient être criminalisés et que l'achat de services sexuels devrait être illégal au Canada?
    C'est l'élément du projet de loi auquel nous nous opposons au projet de loi: la criminalisation...
    En principe, vous n'êtes pas d'accord pour dire que nous devrions criminaliser ceux qui achètent des services sexuels, qui sont majoritairement des hommes?
    Non, en raison des effets néfastes que cela aura sur les travailleuses du sexe, c'est à dire que cela obligera les plus vulnérables d'entre elles — celles qui travaillent dans la rue ou pour assurer leur survie — à déplacer leurs activités dans de sombres recoins ou des endroits où elles mettent leur vie en danger.
    Contrairement à ce que disait la Cour suprême concernant les mesures qu'elles peuvent prendre  — et je ne mets pas « évaluation préalable » entre guillemets parce que c'est une mesure de protection qu'elles utilisent vraiment. En procédant de la sorte, vous les obligez...
    Certains témoins ont affirmé que les notions de clandestinité et de sombres recoins n'existent pas dans le monde de la prostitution parce que lorsque les clients veulent acheter des services sexuels, ils doivent pouvoir trouver les prostituées.
    Très rapidement.

  (1120)  

    Le seul exemple que je peux donner que, je crois, tous connaîtront est celui de Pickton, à Vancouver. Les policiers n'empêchaient pas les communications tant que les prostituées ne se trouvaient pas dans certains secteurs de la ville... Les clients savent généralement où trouver des services sexuels, dans des secteurs industriels ou de sombres ruelles ou d'autres endroits du genre qui sont hors de la vue des quartiers riches, mais dans des endroits isolés où ces femmes sont à risque. C'est ce que la Cour suprême a aussi reconnu dans l'arrêt Bedford.
    D'accord, merci beaucoup.
    Merci à tous pour vos questions et réponses.
    Le prochain intervenant est M. Jacob, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur participation à la réunion d'aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse à Mmes Suzanne Jay et Alice Lee, de l'Asian Women Coalition Ending Prostitution.
    Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé de services sociaux, de soutien global et d'inégalités systémiques.
    Selon vous, quel genre d'initiatives le gouvernement devrait-il prendre à cet égard? Avez-vous des idées de programmes ou de projets qu'il devrait mettre en place pour, justement, aplanir ces inégalités systémiques?

[Traduction]

    Je vous remercie de votre question.
    Le projet de loi C-36 représente un très bon premier pas dans cette direction. En ce qui a trait aux services sociaux et à l'aplanissement des inégalités systémiques, nous avons parlé d'offrir le statut d'immigrant reçu aux femmes qui arrivent au Canada dans un contexte d'exploitation. Nous croyons également qu'un revenu garanti suffisant contribuerait énormément à prévenir la prostitution et à rendre les femmes moins à risque d'être recrutées.
    Des programmes de désintoxication, un régime universel de services de garde d'enfants et des programmes d'établissement pour les femmes qui immigrent au Canada contribueraient également à réduire la vulnérabilité des femmes, en plus d'accroître leur capacité à participer à la société et à faire respecter leur droit à l'égalité.
    Ai-je oublié quelque chose?
    L'éducation et l'accès à l'éducation...
    L'accès à l'éducation, y compris à des cours d'anglais...

[Français]

    Merci beaucoup.
    Vouliez-vous ajouter quelque chose? Je comprends que non. D'accord.
    Ma deuxième question s'adresse au couple Michelle et Jared Brock.
    Vous avez parlé d'égalité entre les sexes. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Comment cela peut-il aider à lutter contre l'exploitation de la femme?

[Traduction]

    D'accord. Comme on l'a déjà indiqué un peu plus tôt aujourd'hui, il existe une inégalité systémique entre les sexes, tant dans les pays occidentaux qu'ailleurs dans le monde. Je ne sais pas si j'ai quelque chose d'autre à dire. Je crois qu'il y a des mesures générales qu'on peut mettre en oeuvre pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes. Je n'ai pas la prétention d'être une experte en la matière, mais je crois que j'appuierais tout...
    Y a-t-il autre chose que tu voudrais ajouter?
    Je crois que nous devons assurer l'égalité entre les sexes. C'est un constat sur lequel les spécialistes s'entendent.
    Lorsqu'on examine la possibilité de décriminaliser la majorité des femmes et de criminaliser la majorité des hommes, je crois que cela permettrait d'assurer cette égalité. Je crois que ce serait un bon moyen d'y parvenir. On peut débattre des détails entourant tout ça, mais, à mon avis, cet élément charnière contribuera grandement à la création d'une société plus juste, et c'est ce que nous voulons.
    Lorsque nous étions en Suède, je crois, nous discutions avec un homme et il parlait de l'égalité entre les sexes, qui est une valeur extrêmement importante dans ce pays. Il disait que les hommes doivent se demander ce qu'ils auraient à gagner de l'égalité entre les sexes. Il s'agit d'une bonne question qui mérite d'être posée. Les réponses qui viennent en tête comprennent évidemment des choses comme des collectivités plus fortes, des relations plus enrichissantes. C'est une question intéressante que nous avons entendue en Suède et qui nous a amenés à réfléchir.

  (1125)  

[Français]

    Merci.
    Puisque j'ai encore du temps à ma disposition, ma troisième question s'adressera à Mme Keira Smith-Tague.
    Vous avez parlé de revenu garanti, de logements abordables et de garderies accessibles. Je suis d'accord avec vous. Toutefois, vous avez aussi parlé de la somme insuffisante de 20 millions de dollars.
    J'aimerais que vous nous expliquiez plus abondamment votre point de vue sur cette somme de 20 millions de dollars sur cinq ans, et ce, pour tout le pays.

[Traduction]

    Comme je l'ai mentionné, le montant de 20 millions de dollars n'est même pas suffisant pour répondre aux besoins des organismes existants à l'échelle du pays; comme on l'a entendu plus tôt cette semaine, le budget annuel du London Abused Women's Centre s'élève à lui seul à 800 000 $. Ce ne sera pas assez. Cependant, à mon avis, ce qu'on a complètement oublié, ce sont les programmes de soutien social qui devraient déjà être en oeuvre au pays et qui ont été supprimés au fil des ans.
    On a réduit le financement des centres pour femmes, imposé des compressions budgétaires généralisées pour les services de santé mentale et les services médicaux et réduit l'aide sociale et les services d'aide juridique, ce qui fait que souvent, les femmes, en plus de devoir composer avec la réalité de ne pas avoir assez d'argent pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, n'ont pas la possibilité de se faire représenter dans le système de justice pénale. Dans ce contexte, elles ne réussissent pas à échapper à la violence. Je crois que nous devons nous attaquer à ce problème, en plus de financer les services existants et toutes les autres choses que j'ai mentionnées.
    Je vous remercie, madame Smith-Tague, de votre temps et de vos réponses.
    Le dernier intervenant, M. Goguen, dispose d'environ quatre minutes.
    Merci, monsieur le président et merci à toutes les personnes qui ont comparu de votre témoignage. C'est très utile.
    Je voudrais parler à Mme Big Canoe au sujet du principe de Gladue. Vous avez de toute évidence écouté le témoignage de l'un des fonctionnaires du ministère de la Justice, M. Piragoff. J'ai eu l'impression qu'il affirmait que le principe de Gladue était une dérogation constitutionnelle qui s'appliquait à toutes les lois. Avez-vous cherché à savoir s'il avait raison? Il semble y avoir une école de pensée qui lui donne raison.
    Monsieur le président, en réponse au député, il ne s'agit pas d'une dérogation constitutionnelle en tant que telle. Les principes de l'arrêt Gladue découlent d'une autre disposition du Code criminel. La Cour suprême a énoncé, d'abord dans l'arrêt Gladue, puis plus récemment, en 2012, dans l'arrêt Ipeelee, ce que sont ces principes et ce dont un tribunal doit tenir compte. Là où le bât blesse, c'est au moment de déterminer la peine. J'oserais presque dire qu'on pourrait le voir comme une espèce de conflit entre les lois, pas de même nature que les conflits de compétence, mais au niveau de deux dispositions, particulièrement en ce qui a trait à la détermination de la peine ou à d'autres applications des principes de l'arrêt Gladue pour les contrevenants autochtones.
    Ce qui est déplorable, c'est la surreprésentation des...
    La surreprésentation est un fait bien connu et documenté en ce qui a trait à... C'est dans ce contexte que s'inscrit l'arrêt Ipeelee de la Cour suprême; il reconnaît les principes de l'arrêt Gladue relativement à la détermination de la peine et même au-delà, et précise dans quelles circonstances ces principes s'appliquent. Le comité devrait donc se demander si le projet de loi est conforme à certains de ces principes, surtout en ce qui a trait aux peines minimales obligatoires ou à la criminalisation, comme le prévoit l'article 213?
    Je comprends ce que vous dites. J'allais vous demander si votre opinion de la mesure législative serait différente si celle-ci avait été expressément assujettie aux principes de l'arrêt Gladue. J'ai cependant l'impression que vous vous opposez à la criminalisation des clients et des proxénètes parce que vous estimez que cela va accroître les risques pour les prostituées. C'est ma perception des choses.
    En fait, vous soulevez deux questions. Dans un premier temps, oui, vous résumez bien la situation. Mais c'est aussi parce qu'il n'existe pas de bonne définition de ce qu'on entend par exploitation et par relation. Ce ne sont pas toutes les relations qui sont de nature abusive. On risque donc de poursuivre en justice ou de criminaliser des Autochtones qui entretiennent des relations non abusives avec des travailleuses du sexe ou qui leur offrent du soutien. Ce n'est pas en emprisonnant davantage d'Autochtones qu'on va régler les problèmes de la surreprésentation et du taux supérieur d'incarcération des Autochtones.
    Je crois qu'il y des exceptions, mais je comprends votre point de vue.
    Je suis quelque peu décontenancé parce que l'objectif même de toute cette démarche est de mettre fin aux services sexuels contre rémunération et nous avons entendu à maintes reprises que la prostitution était synonyme de traite de personnes. Vous savez, très peu de condamnations ont été prononcées en vertu des lois sur la traite de personnes — c'est très récent — mais on me dit qu'il y a 187 cas devant les tribunaux. C'est ici qu'intervient l'article 213, qui permettrait essentiellement de porter des accusations contre les femmes. Nous avons entendu le témoignage de nombreux policiers, dont celui de Mme Pond. Je sais qu'on les inculpe pour pouvoir les séparer de leur proxénète en vue de recueillir leur témoignage et de mettre en place les éléments d'une stratégie de sortie pour elles.
    Si nous n'avons pas cette capacité, quel est le meilleur moyen pour les femmes autochtones de se sortir de ce milieu, d'avoir une stratégie de sortie? Je vous en prie, ne me dites pas « un financement accru ». Plus précisément, existe-t-il selon vous des programmes efficaces?

  (1130)  

    Monsieur le président, je remercie le député d'avoir posé cette question, parce que je crois qu'il est important que le comité reconnaisse qu'une stratégie de sortie ne doit pas nécessairement être liée à la criminalité, au Code criminel ou à l'application de la loi. Ce sont souvent les organismes reconnus, les organismes autochtones ou les organismes qui connaissent bien le milieu et les communautés qui offrent des stratégies de sortie. C'est un des moyens. On en revient toujours à la question de l'argent, n'est-ce pas?
    Mais même sans financement, ce ne devrait pas être au droit pénal d'améliorer les déterminants sociaux de la santé ou de favoriser les programmes exemplaires. En criminalisant ces activités, on se trouve donc à causer du tort. On n'a qu'à penser aux droits garantis par l'article 7, à savoir la vie, la liberté et la sécurité. Si vous emprisonnez une travailleuse du sexe — certains parleraient de victime — pour la sauver ou la protéger, vous violez quand même ses droits prévus à l'article 7 de la Constitution. Il faut prévoir un meilleur moyen, un meilleur mécanisme. C'est à la travailleuse du sexe que revient la décision de sortir ou non du milieu, et les communautés sont celles qui sont les mieux placées pour venir en aide à leurs membres en tenant compte de leurs particularités géographiques ou démographiques.
    Si c'est effectivement le cas, quel est, selon vous, le moyen le plus efficace de mettre en oeuvre une stratégie de sortie? Je sais qu'il s'agit d'une question difficile, mais nous sommes ici pour écouter et pour apprendre.
    Très bien. En me fondant sur mon expérience professionnelle et sur ma connaissance de la communauté, je dirais que l'un des facteurs clés est d'accepter les clientes et les personnes comme elles sont et là où elles sont rendues. Lorsque des clientes nous demandent de l'aide, nous leur offrons de l'aide et nous les dirigeons vers les refuges et d'autres services. Mais lorsqu'elles ne veulent pas de ce genre de soutien, nous ne leur imposons pas.
    Je n'ai pas de réponse parfaite à vous offrir parce qu'il s'agit d'un sujet complexe.
    En effet. Auriez-vous l'amabilité d'y réfléchir un peu et de faire parvenir le fruit de votre réflexion au greffier?
    Merci.
    Merci beaucoup pour toutes vos questions et réponses. C'est tout le temps dont nous disposions pour ce groupe.
    Je remercie les témoins d'avoir été des nôtres aujourd'hui. C'est la dernière journée où des témoins viendront nous parler du projet de loi C-36. Vos témoignages étaient excellents et nous ont été d'une très grande utilité.
    Notre prochaine réunion aura lieu à 13 heures. Là-dessus, la séance est levée. Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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