Passer au contenu
Début du contenu

ACVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des anciens combattants


NUMÉRO 040 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 6 février 2017

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Bonjour. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 29 septembre, le Comité reprend son étude de la santé mentale et de la prévention du suicide chez les anciens combattants.
    Comme les membres du Comité le savent probablement, nous avons eu deux personnes qui se sont désistées aujourd'hui pour des raisons personnelles. Mme Jody Mitic et M. Joseph Brindle témoigneront à une date ultérieure.
    Aujourd'hui, nous entendrons deux témoins, M. Brian Harding et Mme Marie-Claude Gagnon, la fondatrice de C'est Juste 700.
    En ce qui concerne le déroulement de la présente séance, nous allons donner 10 minutes à chacun de nos témoins pour qu'ils nous livrent leur déclaration préliminaire. Nous allons ensuite procéder à une série de questions, puis nous nous occuperons un peu des affaires du Comité.
    Commençons par M. Harding.
    Bonjour, et merci de m'avoir invité aujourd'hui.
    Comme la plupart des gens, j'ai des collègues, des amis et des proches qui ont eu des problèmes de santé mentale. Je considère que c'est un privilège pour moi d'avoir été invité à témoigner dans le cadre de cette étude.
    En guise d'introduction, je vais expliquer brièvement pourquoi je suis ici aujourd'hui.
    Je suis un réserviste de l'armée depuis 2004. J'ai 13 ans de service — un mélange de temps plein et de temps partiel —, ce qui comprend un déploiement en Afghanistan, en 2008. Je travaille à plein temps comme agent pour la police civile depuis un peu plus de trois ans.
    En décembre 2013, après quatre suicides de militaires hautement médiatisés, d'autres militaires en service et moi avons mis sur pied une initiative que nous avons baptisée Envoyez le compte. Notre intention était essentiellement d'inciter les militaires à reprendre contact avec ceux avec qui ils avaient servi, à retracer certains membres qui sont peut-être passés à travers les mailles du filet et à inviter ces derniers à sortir de l'ombre pour fraterniser avec leurs semblables. Bien malgré nous, Envoyez le compte a mené à la création d'un réseau de contacts en ligne regroupant des militaires, des anciens combattants et des premiers intervenants, réseau qui a pour double objectif de prévenir le suicide et d'offrir une aide par les pairs en matière de santé mentale.
    Il y a eu de nombreuses interventions à l'égard d'anciens combattants qui vivaient un état de crise, dont certaines ont permis de court-circuiter des suicides en devenir. Malheureusement, nous n'avons pas pu les empêcher tous. Le suicide reste un problème avec lequel il faut traiter immédiatement. En fait, j'apprenais tout juste ce matin qu'un autre militaire s'est suicidé durant le week-end, ici, en Ontario.
    En 2015, à cause des résultats de mon travail, le ministre des Anciens Combattants m'a invité à me joindre aux groupes consultatifs ministériels nouvellement formés. Depuis, je rencontre périodiquement d'autres anciens combattants, des chercheurs, des militaires et des membres du personnel d'Anciens Combattants Canada afin de prodiguer des conseils du point de vue de la première ligne directement au ministre et aux cadres du ministère. Je siège actuellement au groupe consultatif sur la santé mentale.
    Lorsqu'un vétéran est en crise, il n'y a pas de norme. Les anciens combattants peuvent avoir les mêmes problèmes de santé mentale et connaître les mêmes facteurs de stress que les civils: l'anxiété, la dépression, des troubles familiaux, des problèmes financiers ou juridiques, des accidents, de la violence, autant de choses qui, somme toute, ne sont pas nécessairement liées au service.
    Un plus de cela, les anciens combattants ont peut-être de la difficulté à se remettre d'expériences traumatisantes vécues dans le cadre du service et ils sont peut-être aux prises avec des facteurs de stress particuliers au monde militaire. Tous ces facteurs finissent par s'additionner. Si vous partez du stress ordinaire que tout le monde ressent et que vous y ajoutez des missions outre-mer, des mois passés loin de la maison et les bouleversements familiaux causés par les déménagements, le stress résultant peut s'avérer beaucoup plus accablant et beaucoup plus complexe que la normale.
    Notre première intervention pour prévenir un suicide visait un vétéran qui avait été libéré de l'armée pour des raisons médicales — il s'était blessé durant un entraînement. Il n'avait pas encore été envoyé en mission, mais, d'une situation où il était à mi-chemin de ce qui aurait dû être une longue carrière, il a été gravement blessé, puis mis de côté, oublié au travail et libéré pour raisons médicales. Il s'est vu dépouillé de son identité de militaire et relégué à un rôle de gratte-papier au ministère des Anciens Combattants. Il a sombré dans un profond désespoir.
    Un jour, il a exprimé à plusieurs reprises des pensées suicidaires sur Facebook et il a mentionné le fait qu'il était armé. Plusieurs d'entre nous l'ont vu. Nous avons contacté sa famille pour vérifier s'il avait effectivement une arme à feu, et nous sommes parvenus à avertir la police à temps pour qu'elle l'empêche de passer à l'acte. Il a été arrêté de façon sécuritaire en possession d'un pistolet chargé avant d'avoir pu mettre à exécution son plan de se donner la mort publiquement.
    Les médias sociaux ont permis à ce vétéran de joindre un réseau de soutien qui n'existait pas auparavant, et le vétéran en question nous a donné suffisamment de signaux pour que nous intervenions. Les gens du réseau qui sont intervenus étaient éparpillés entre le Yukon, la Colombie-Britannique et l'Ontario.
    J'aimerais maintenant souligner certains points.
    Les problèmes de santé mentale et les suicides ne sont pas nécessairement liés à des traumatismes opérationnels. La perte d'identité qui accompagne la libération et la transition à la vie civile est un énorme facteur de risque. La présence d'un réseau en ligne informel de pairs regroupant des anciens combattants présents à toute heure du jour et de la nuit a aussi été déterminante pour repérer ce vétéran en crise et lui fournir de l'aide de toute urgence. Cela s'est reproduit de nombreuses fois depuis.
    Les états de crise et les propensions au suicide se cristallisent lorsque le vétéran n'arrive plus à supporter la virulence de son stress ou de son trauma. De nombreuses ressources sont offertes, mais les anciens combattants doivent surmonter de sérieux obstacles pour y accéder.
    Le ministère des Anciens Combattants est l'administrateur de nombreux traitements, et il insiste pour que les invalidités soient déterminées par ses propres évaluations médicales. D'autres témoins ont souligné que cette façon de faire était insensée et dommageable, et vous l'avez reconnu. Vous pouvez ajouter ma voix à la leur, mais je ne vais pas m'acharner sur une cause perdue.
    Une autre barrière de taille est la pénurie aiguë de soins spécifiques aux anciens combattants. Il y a quelques années, un de mes amis s'est fait dire d'aller suivre un traitement en santé mentale à temps complet dans un établissement. Mon ami, un vétéran de l'Afghanistan, s'est donc retrouvé flanqué d'un agent de police dans ce milieu dit « thérapeutique », en compagnie des membres d'un gang criminel à qui la cour avait imposé de suivre un traitement. C'est une situation tout à fait inacceptable et dangereuse pour des personnes qui sont censées parler des traumas qu'ils ont subis alors qu'ils servaient leur pays ou leur collectivité. Soit dit en passant, l'agent de police a fini par se suicider.
    Permettez-moi de reprendre les propos de mon amie Debbie Lowther et d'autres témoins qui ont comparu la semaine passée: il y a un besoin criant d'établissements axés sur le traitement des anciens combattants.
    Les préjugés et la discrimination à l'égard de la maladie mentale tuent encore des gens. Il y a une hiérarchie dans les milieux d'anciens combattants, même parmi ceux qui sont blessés ou malades.
    Récemment, une ancienne combattante s'est mis en tête d'exécuter le plan détaillé qu'elle avait conçu pour s'enlever la vie. Elle avait travaillé outre-mer dans le domaine du renseignement et elle avait eu des difficultés avec le trouble de stress post-traumatique. Elle était chargée de repérer les cibles ennemies et les véhicules aériens sans pilote. Elle devait ensuite les regarder se faire détruire en direct sur vidéo. Elle a dû essuyer le mépris et le scepticisme des autres anciens combattants qui avaient subi leurs blessures liées au stress opérationnel en participant directement à des combats rapprochés. Aucune des deux façons de se blesser n'est plus légitime que l'autre; elles sont tout simplement différentes. C'est comme le fait de se casser la jambe en jouant au football ou de se casser la jambe en perdant pied sur une plaque de glace. Les façons diffèrent, mais le résultat est le même. Malgré cela, elle a été harcelée par les autres anciens combattants à un point tel qu'elle est devenue convaincue qu'elle simulait son propre trouble de stress post-traumatique. Pourtant, le trouble avait bel et bien été diagnostiqué. Elle a donc décidé de se suicider. Heureusement, elle a tenté juste à temps de me joindre sur les médias sociaux, et j'ai pu la convaincre de renoncer à son plan et d'obtenir des soins.
    Je me sers de cette histoire pour illustrer l'ampleur des préjugés qu'il nous reste à surmonter dans le milieu militaire, dans la communauté des anciens combattants et dans la société en général. Une personne en arrive à intérioriser les préjugés des autres à son égard. Certaines personnes qui n'ont rien d'autre qu'une blessure finissent par croire qu'elles sont faibles et inutiles. C'est une situation angoissante pour n'importe qui, et à plus forte raison si l'on vient d'un milieu où l'attitude utilitariste est prononcée, comme c'est le cas dans l'armée.
    Souvent, un ancien combattant en difficulté ou suicidaire essaiera dans un premier temps de parler à d'autres anciens combattants, puis, peut-être en dernier recours, à d'autres personnes qu'il croit en mesure de le comprendre. L’ancien combattant ne survivra peut-être pas assez longtemps pour aller consulter un médecin à moins qu'un camarade ou un membre de sa famille l'aide à surmonter sa crise et l'emmène lui-même chez le médecin.
    Je ne suis pas un clinicien ou un chercheur. Je suis un soldat à temps partiel et un policier à temps plein. Depuis que j'ai commencé à intervenir auprès des anciens combattants en difficulté, j'ai dû suivre toutes les formations que je pouvais afin de me mettre au niveau. J'ai reçu une formation sur les premiers soins en santé mentale. J'ai par la suite aidé la Commission de la santé mentale du Canada à adapter ce cours à la communauté des anciens combattants. J'ai donné le cours « En route vers la préparation mentale », qui enseigne aux soldats et aux premiers intervenants à développer leur résilience en matière de santé mentale.
    J'ai été chanceux. Ces cours, d'autres cours ainsi que mon expérience sur le plan professionnel m'ont donné des outils pour intervenir en cas de crise. Les pairs et les premiers intervenants ne peuvent pas remplacer des soins cliniques appropriés. Toutefois, pour nous, les prestataires de premiers soins en santé mentale, les occasions ne manquent pas où nous recevons un appel téléphonique, un texto ou un message sur les médias sociaux aux heures les plus sombres de la nuit et où nous réalisons qu'une vie est en danger à ce moment même.
    Les choses que j'ai apprises dans le domaine des premiers soins en santé mentale m'ont permis de sauver des vies. On a tenté timidement d'encourager ce type de formation chez les anciens combattants et les membres de leurs familles, mais il faudrait faire beaucoup mieux que cela. Personne ne sait s'il sera debout et en mesure d'intervenir lorsque le prochain camarade menacera de se suicider. Nous devons étendre la formation en matière de santé mentale et de premiers soins à la population en général et à la communauté des anciens combattants en particulier.
    J'aimerais dire un mot à propos des données sur le suicide chez les anciens combattants.
    Le 17 novembre, Mme Lockhart a demandé à un autre témoin si nous avions des données sur le taux de suicide chez les anciens combattants. Nous n'en avons pas.
    Tous les décès qu’un médecin légiste attribue à un suicide sont compilés par province. Ces données sont ensuite envoyées à Statistique Canada et saisies dans sa base de données sur la mortalité, mais elles sont dépouillées des renseignements susceptibles d’identifier les personnes qu’elles concernent. À l’heure actuelle, rien ne justifie qu’un rapprochement soit fait entre les verdicts de suicide des médecins légistes et la liste des personnes qui ont servi dans l’Armée canadienne. Rien ne permet d’établir de façon fiable et cohérente qu’un ancien combattant serait mort de suicide.
    C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de données exhaustives sur le taux de suicide chez les anciens combattants. Il serait possible de remédier à cela assez facilement en faisant des rapprochements entre, d’une part, les noms et les dates de naissance de tous les suicidés répertoriés et, d’autre part, une base de données sur les ex-membres des forces armées. Cela nous donnerait des résultats précieux suffisamment précis pour qu’on puisse s’en servir. Tous les renseignements nécessaires existent, mais ils ne sont pas au même endroit; les parties concernées ne peuvent donc pas les transformer en données pertinentes.
    En conclusion, les anciens combattants souffrent des mêmes problèmes de santé mentale que les civils, mais ils doivent aussi composer avec les problèmes particuliers de la vie militaire. Les suicides et les crises ne sont pas toujours liés aux blessures de stress opérationnel, mais ils peuvent découler de la dépression, de l’anxiété et d’autres problèmes de santé mentale attribuables à une combinaison des facteurs de stress de la vie de tous les jours et des particularités du style de vie des militaires.
    Les anciens combattants se tournent en premier lieu vers leurs camarades pour chercher le soutien familier dont ils ont besoin, et ils le font désormais au moyen des nouveaux modes de communication. Ceux d’entre nous qui fournissent ce soutien doivent être mieux formés pour être en mesure d’aider l’ancien combattant en détresse à tenir pendant les quelques premières heures d’une crise inattendue tout en l’incitant à recourir à des soins professionnels appropriés.
    Les retards dans l’administration des dossiers, la perpétuation tenace des préjugés et l’absence d’établissements conçus pour traiter les problèmes particuliers de cette clientèle font en sorte que les anciens combattants peinent à obtenir l’aide dont ils ont besoin. Le problème du suicide chez les anciens combattants n’est pas près de disparaître et il reste encore à définir correctement, mais les données sont à notre portée, pour peu que le gouvernement se décide à faire ce qu’il faut.
    Le Canada dans son ensemble a beaucoup de travail à faire dans le domaine de la santé mentale. À ce chapitre, les anciens combattants blessés et malades constituent une population très concentrée et très vulnérable dont les besoins sont énormes. Nous devons apprendre comment faire pour secourir ceux qui sont en crise. Nous devons apprendre à les aider à se rétablir et à réintégrer le marché du travail ou à faire la transition vers le marché du travail. Il ne fait aucun doute que le Canada fera des progrès dans ce domaine, mais à quelle vitesse? Au même titre que les auxiliaires médicaux du monde civil apprennent et utilisent des techniques mises au point sur les champs de bataille, tous les efforts déployés pour améliorer le sort des anciens combattants aux prises avec des problèmes de santé mentale profiteront de même au reste de la population canadienne.
    Merci.

  (1540)  

    Merci.
    Madame Gagnon, nous vous écoutons.
    Tout d'abord, je veux remercier le Comité de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui.
    Je m'appelle Marie-Claude Gagnon. Je suis une ex-membre de la réserve navale. J'ai survécu à un traumatisme sexuel en milieu militaire et j'ai fondé le groupe C'est Juste 700.
    Créé en 2015, notre groupe permet aux hommes et aux femmes qui souffrent d'un traumatisme sexuel en milieu militaire de nouer des liens avec leurs pairs. Nous sommes le seul réseau au Canada pour les survivants de traumatismes sexuels en milieu militaire.
    Nous organisons des rencontres; nous informons nos membres au sujet d'Anciens Combattants Canada et d'autres services, comme l'aide juridique et les possibilités d'aide financière; nous mettons les victimes en communication avec l'équipe d’intervention en cas d’inconduite sexuelle des Forces armées canadiennes; nous fournissons un soutien en personne aux victimes pour les aider à faire leur déposition, à subir des examens médicaux et à assister aux réunions; nous travaillons avec des thérapeutes pour mettre au point des services pour les survivants de traumatismes sexuels en milieu militaire; et nous réalisons des initiatives de consultation et de sensibilisation.
    J'aimerais commencer avec une définition de ce qu'est un traumatisme sexuel en milieu militaire. Comme il n'y a pas d'information à ce sujet sur le site Web d'Anciens Combattants Canada, j'ai dû emprunter la définition du site des anciens combattants des États-Unis. Le traumatisme sexuel en milieu militaire se définit comme suit:
[...] traumatisme psychologique attribuable à une agression physique à caractère sexuel, à des violences à caractère sexuel ou à une agression sexuelle s'étant produites alors que l'ancien combattant était en service actif, en entraînement en service actif ou en entraînement en période de disponibilité.
    J'aimerais aborder le sujet en me servant de citations tirées du rapport produit par le Comité permanent de la défense nationale en 2014 intitulé « Soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés ».
[...] il est nécessaire de viser la prévention et le traitement du TSPT causé par l’expérience du combat, mais aussi de cibler les autres causes de ce trouble chez les militaires, dont les agressions sexuelles.
    Le lien entre l'agression sexuelle — que ce soit dans le théâtre des opérations ou au pays — et les troubles de stress post-traumatique est bien établi, surtout pour les militaires de sexe féminin. Or, nous ne savons à peu près rien sur ce que vivent les anciennes combattantes des Forces canadiennes à cet égard.
    Le colonel Gerry Blais a confirmé au Comité que tous les programmes offerts par l'Unité interarmées de soutien du personnel des Forces canadiennes s'adressent à tous. Cependant, l'affirmation du colonel Blais voulant que tous les militaires blessés ou malades soient traités de la même façon ne tient pas compte des aspects psychologiques et sociaux particuliers des femmes du service qui sont aux prises avec un trouble de stress post-traumatique et d'autres problèmes de santé mentale, notamment de celles qui ont subi un traumatisme sexuel en milieu militaire.
    Indépendamment de ces recommandations, le rapport du médecin-chef de 2014 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes a continué à ne s'intéresser qu'aux hommes. Approuvé par le médecin-chef qui venait d'être nommé, ce rapport ne dit rien sur les suicides commis par des femmes, ce qui s'explique par le très petit nombre de femmes qui se sont enlevé la vie alors qu'elles étaient en service.
    Comme la majorité des femmes de mon groupe sont des personnes qui ont été libérées pour raisons médicales après avoir rapporté l'agression sexuelle dont elles avaient été victimes, on peut présumer que la recherche sur la santé mentale effectuée en 2015 n'a pas tenu compte du traumatisme sexuel en milieu militaire vécu par ces survivantes.
    Le rapport de l'Examen externe sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes de 2015 affirmait que:
[...] l’une des réponses communes à des allégations de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle est de muter la victime hors de son unité [...]
    Le fait de procéder de la sorte peut donner lieu à une libération inattendue et non voulue.
    Permettez-moi de citer certains membres de mon groupe qui vivent présentement une telle chose. L'une d'elles a dit: « Après l'agression, dès mon premier rendez-vous, mon médecin militaire a commencé à insister pour qu'on me libère pour raisons médicales, et ce, avant même que j'aie pu voir un psychiatre ou un psychologue, avant même que j'aie commencé à prendre des médicaments ou avant même que j'aie pu me faire à l'idée que j'avais été violée. »
    Une autre a dit: « Comment puis-je guérir si l'on me pousse vers la sortie alors que j'essaie encore d'obtenir justice? »
    Une autre encore: « J'ai dû prendre un congé de maladie de quatre jours cette semaine. C'est difficile de répondre aux demandes que j'ai au travail et de composer avec les suites de l'enquête en même temps. J'ai parfois l'impression que l'organisation essaie de me briser. »
    Toutefois, l'American Journal of Preventive Medicine a publié en 2014 une recherche sur le traumatisme sexuel en milieu militaire et la mortalité par suicide qui reconnaît le risque élevé de commettre un suicide chez les victimes d'un traumatisme sexuel en milieu militaire. Le rapport recommandait de poursuivre l'évaluation du phénomène et de tenir compte du traumatisme sexuel en milieu militaire pour l'élaboration d'une stratégie de prévention du suicide.
    S'appuyant sur le rapport Deschamps, le Journal of Military, Veteran and Family Health affirme que, de façon générale, les anciennes combattantes sont insuffisamment diagnostiquées et insuffisamment traitées. Par conséquent, il est possible qu'elles aient de la difficulté à accéder à des services de santé appropriés; leurs proches pourraient avoir tendance à les blâmer en tant que victimes et elles pourraient faire l'objet d'une victimisation secondaire en essayant d'obtenir de l'aide pour le traumatisme sexuel en milieu militaire qu'elles ont vécu.
    Voici une autre observation que j'ai retenue: « Les membres du personnel médical m'ont dit qu'on n'envoyait pas les victimes de viol consulter un psychologue et que la priorité était donnée aux soldats qui ont vécu un traumatisme lié au combat. »
    En ce qui concerne les conséquences du manque de soins, j'ai d'autres observations de personnes qui ont vécu certaines choses. Voici ce qu'une mère a dit: « Mon plus jeune fils m'a trouvée inconsciente dans ma chambre, alors que je venais d'essayer de me suicider. En 2012, j'ai été forcée de faire des choses terribles pour subvenir aux besoins de mes deux enfants. »

  (1545)  

    Environ 85 % des femmes militaires mariées le sont à des hommes qui sont aussi des militaires. C'est une autre série de facteurs de stress particuliers aux femmes militaires. À quand remonte la dernière fois où l'on a vu un époux prendre la défense de sa femme militaire?
    Le personnel de soutien social aux victimes de blessures de stress opérationnel ne reçoit pas de formation en matière de traumatisme sexuel en milieu militaire et ce n'est pas à lui que l'on confie les évaluations des victimes de traumatisme sexuel en milieu militaire et de leurs donneurs de soins, alors que c'est le cas pour les blessures de stress opérationnel liées au combat. Nous avons tous entendu dire que le soutien social aux blessés de stress opérationnel s'appliquait aussi au traumatisme sexuel en milieu militaire, mais voici ce que certains membres ont à dire à ce sujet: « J'ai un trouble de stress post-traumatique, mais on m'a refusé de profiter du soutien social aux blessés de stress opérationnel. On m'a dit que je ne n'avais pas ma place dans ce programme. Lorsqu'un diagnostic de trouble de stress post-traumatique est confirmé, j'ai l'impression qu'on nous met dans le lot avec tous les anciens combattants d'Afghanistan. Tous les traumatismes ne se traitent pas de la même façon. Lorsque vous devez constamment vous battre pour que les gens croient à ce qui vous est arrivé, cela ne vous fait pas avancer. »
    Les groupes de soutien clinique pour les blessures de stress opérationnel sont aussi axés sur des objectifs, comme améliorer le sommeil. C'est une dynamique qui ne permet pas aux gens de mettre sur pied des groupes pour les victimes de traumatismes sexuels en milieu militaire.
    Voici mes recommandations au Comité: intégrer l'analyse comparative entre les sexes à toutes les politiques, tous les programmes, toutes les priorités et toutes les recherches d'Anciens Combattants Canada; exiger que les anciennes combattantes comptent pour au moins 15 % de la composition de tous les comités consultatifs du ministère des Anciens combattants, attendu que cette représentation ne compte que pour 3,5 % de tous ces groupes à l'heure actuelle; recourir à la science et à la collecte de données pour déterminer les besoins sexospécifiques des anciennes combattantes, y compris en ce qui concerne les questions relatives au traumatisme sexuel en milieu militaire; former le personnel de première ligne et les formateurs au sujet des besoins et des traitements sexospécifiques, dont le traumatisme sexuel en milieu militaire, et veiller à ce que la recherche financée par les contribuables porte sur les deux sexes; faire une évaluation en bonne et due forme du processus d'intervention et des services de soutien offerts aux personnes qui ont subi un traumatisme sexuel en milieu militaire; afficher en ligne les services offerts aux anciens combattants qui doivent composer avec un traumatisme sexuel en milieu militaire; afficher en ligne le nombre de membres libérés pour raisons médicales qui ont rapporté une inconduite sexuelle; et faire le suivi du nombre d'allégations de traumatisme sexuel en milieu militaire qui sont accueillies favorablement ou rejetées chaque année, un état de fait dont le général à la retraite Natynczyk a reconnu l'existence lors de la Réunion des intervenants de 2015.
    Soit dit en passant, au moment où je vous parle, il y a quelqu'un qui envisage de se suicider, alors je dois m'occuper de cela en même temps. Il se peut donc que je jette un coup d'oeil de temps à autre à mon téléphone cellulaire, juste pour m'assurer qu'il tient toujours bon.
    Merci.

  (1550)  

    Merci.
    Nous allons commencer la première série de questions par M. Kitchen.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux de vous être déplacés aujourd'hui pour venir témoigner. Je le dis sincèrement. Nous vous avons écouté et nous voulons assurément en savoir plus sur ce que nous pouvons faire et sur ce que nous pouvons recommander.
    Je comprends votre position et je vous suis reconnaissant de vous soucier à ce point du sort d'autrui en cette période difficile. Alors, si vous avez à jeter un coup d'oeil à votre téléphone cellulaire, ne vous gênez pas.
    Merci.
    Ici, au Comité, on nous a très souvent parlé de la façon dont nous formons nos soldats. Nous prenons les gens en charge et, à défaut d'autres termes, nous les endoctrinons pour qu'ils deviennent des soldats. Nous nous sommes aperçus que lorsque nous les libérons, c'est, comme vous le dites, « merci d'être venus ». Nous les mettons dehors en leur disant de faire attention de ne pas se faire frapper par la porte en sortant.
    Brian, pouvez-vous nous dire comment nous pourrions déconstruire cet esprit militaire qu'ont nos soldats? Ce que nous avons entendu — et je crois que c'est ce à quoi nous pensons tous — c'est que l'absence de déconstruction est la raison pour laquelle nous avons une bonne partie de ces problèmes, ou du moins, certains d'entre eux.
    Je crois que c'est un sujet sur lequel quelques-uns de vos témoins de la semaine dernière se sont prononcés de façon fort éloquente.
    Beaucoup de garçons entrent dans l'armée alors qu'ils ont 17, 18 ou 19 ans. Certains quittent littéralement le nid familial pour s'enrôler. Bien sûr, ce n'est pas toujours le cas, mais certains passent à l'âge adulte au moment même où ils deviennent des militaires. Ils arrivent dans un environnement où tout est structuré pour eux et où presque tout leur est fourni. Des gens s'occupent de suivre à la trace leur « administration personnelle » et s'assurent que toutes les cases sont cochées en ce qui concerne ce qu'ils doivent faire dans la vie. Cela est particulièrement vrai pour la force régulière. Le fait d'être un militaire est un aspect central de votre identité et votre vie gravite presque essentiellement autour de cette appartenance.
    Lorsque quelqu'un ressent tout à coup le besoin de prendre une place dans la vie civile, il se peut — et loin de moi l'idée d'être condescendant en disant cela —, il se peut, donc, qu'il n'ait pas les aptitudes sociales élémentaires pour y arriver. Il n'y aura personne pour lui rappeler qu'il a bientôt rendez-vous chez le médecin, pour s'assurer qu'il prend soin de ceci, de cela et du reste.
    Bien entendu, comme je suis le centre d'attraction, je peine à trouver d'autres exemples. Je crois toutefois qu'il vaudrait la peine de faire une évaluation structurée des aptitudes qui manquent aux soldats qui sont libérés et qui passent dans le monde du travail, de chercher à voir si ces manques ont été exacerbés par des facteurs médicaux et de cerner quelle formation ou quel apprentissage pourrait les aider lorsqu'ils quittent le service. Je ne dis pas qu'il faudrait que ce soit obligatoire, mais il serait bon de leur donner une pluralité d'options: voici certaines choses que nous pouvons vous apprendre à faire pour vous-mêmes et que nous avions l'habitude de faire pour vous. Ce n'est qu'une idée.

  (1555)  

    Nous nous retrouverions donc à les faire passer par un camp d'entraînement en entrant et par un autre camp d'entraînement en sortant. Est-ce que ce serait une...
    Je ne serais pas aussi ferme. Un camp d'entraînement consiste à prendre quelqu'un dont la vie n'est pas structurée et qui manque de discipline, et de le transformer en son contraire. Or, c'est exactement ce que nous essayons de déprogrammer. Nous voulons quelqu'un qui n'aura pas à se faire dire « tu dois être debout à 8 heures; le dîner est à midi; à 12 h 35, tu arrêtes de t'empiffrer et tu reprends ton travail ».
    Selon moi et à première vue, s'il faut un entraînement à la sortie, il doit être structuré de manière à aider la personne à développer l'aptitude de s'occuper de ses propres affaires, mais pour dire vrai, c'est quelque chose à laquelle je n'ai jamais vraiment réfléchi, alors je ne peux pas vous en dire plus que cela.
    Je comprends. Nous recherchons des observations qui vous viennent du coeur, car nous savons que vous avez beaucoup d'expérience en la matière. C'est un exercice qui a son bien-fondé, et je vous remercie de vous prêter au jeu.
    Vous avez parlé des préjugés et de la façon dont ces préjugés peuvent vous tourmenter intérieurement. Marie-Claude, même si vous n'en avez pas parlé, je crois que ces préjugés existent aussi d'une certaine façon lorsque vous souffrez d'un traumatisme sexuel en milieu militaire. J'aimerais entendre chacun de vous à propos de ces préjugés et de l'incidence que ces préjugés peuvent avoir dans des cas de maladie mentale.
    Marie-Claude, je vous laisse commencer.
    Je vais m'en tenir au traumatisme sexuel en milieu militaire, parce que l'on n'en a pas parlé autant. Je vais prendre l'exemple de Bell Cause pour la cause. Nous n'avons rien entendu au sujet du traumatisme sexuel en milieu militaire dans le cadre de cette initiative. Les responsables du soutien social aux blessés de stress opérationnel ont déjà organisé une campagne qui ne laissait aucune place aux survivantes de ces traumatismes sexuels. Elles avaient spontanément offert de raconter ce qu'elles avaient vécu, mais on leur a refusé de le faire. On ne les a pas rappelées pour les inviter à faire part au monde de cette information.
    On voit des photos qui illustrent le soutien par les pairs et des choses semblables, mais le jour du Souvenir, personne ne dit rien à propos du traumatisme sexuel en milieu militaire. La Journée internationale de la femme, on nous montre les réussites des anciennes combattantes ou des soldates. Les groupes de femmes optent pour celles qui ont réussi, mais nous laissons de côté celles qui ont échoué. Ce ne sont pas des choses dont on parle.
    De toute évidence, l'armée elle-même n'intègre pas cet aspect des choses, sauf lorsqu'elle parle précisément de cela. Même durant le Mois de la prévention du crime — je crois que c'est en mars —, on ne dit rien à propos du traumatisme sexuel. On n'en parle jamais. Ce n'est pas sur notre page Web; ce n'est pas sur la page Web d'Anciens Combattants Canada.
    Le site Web des anciens combattants aux États-Unis a une section complète là-dessus. Depuis deux ans, je demande que notre site Web d'Anciens Combattants Canada consacre une page à ce sujet. Le ministère nous répond systématiquement qu'il est d'accord, qu'il reconnaît le traumatisme sexuel en milieu militaire et qu'il va mettre des ressources à notre disposition, mais ces réponses sont toujours restées sans lendemain.
    Brian, vous avez parlé du fait que les gens intériorisent les préjugés que les autres ont à leur égard. Je présume que ce que vous vouliez dire, c'est que quelqu'un qui a un trouble de stress post-traumatique est étiqueté comme tel et que ses camarades le persécutent et l'abaissent à cause de cela. Pouvez-vous nous dire un mot à ce sujet?
    C'est un environnement qui est dominé par la mentalité du mâle alpha. Bien entendu, la vie des militaires est axée sur la capacité de tuer des gens et de donner son maximum pour défendre l'intérêt national. Il y a une certaine mentalité qui met l'accent sur le fait d'être impitoyable, d'être endurci, et c'est quelque chose que j'ai constaté bien trop souvent. Si vous n'étiez pas à l'extérieur du périmètre, sur le terrain, en train de vous en prendre personnellement à l'ennemi pour lui infliger des violences, c'est impossible que votre traumatisme soit aussi légitime que le mien.
    C'est une attitude qui découle de l'ignorance, de l'ego, et elle doit être réprimée.
    Merci. Est-ce que mon temps de parole est écoulé?
    Oui, votre temps de parole est écoulé. Désolé.
    Madame Lockhart, nous vous écoutons.
    Monsieur Harding, j'aimerais vous parler un peu du réseau de pairs que vous avez mentionné. Lorsque nous avons fait notre étude sur la prestation des services en santé mentale, nous avons parlé de l'importance du soutien par les pairs, des réseaux de pairs et du fait que les temps ont bien changé. Il ne fait aucun doute que les gens recherchent maintenant de l'aide en ligne. Vous avez dit que les groupes de soutien par les pairs devraient être mieux formés. Comment devons-nous faire cela? Est-ce que l'efficacité des groupes de soutien par les pairs est attribuable en partie à leur caractère informel? Si c'est effectivement le cas, comment Anciens Combattants Canada peut-il bonifier l'offre de formation?

  (1600)  

    Si on offrait des séances de formation en plus grande quantité et de meilleure qualité, ce serait excellent. Toute formation serait un point de départ formidable.
    Il existe une foule de cours pour aider les profanes à régler ce genre de questions. Presque tout le monde ici présent a probablement suivi, à un moment donné, des cours de secourisme et de réanimation cardiopulmonaire. Il y a un cours appelé ASIST, ou formation appliquée en techniques d’intervention face au suicide. Il y a aussi des cours de premiers soins en santé mentale et de premiers soins psychologiques. Dans le milieu militaire et le milieu des premiers intervenants, on trouve le programme En route vers la préparation mentale. Il existe un tas de cours qui montrent comment repérer une personne en difficulté ou en crise. Tout comme dans les protocoles de secourisme, lorsqu'on évalue les voies respiratoires, la respiration et la circulation en vue d'une intervention, au besoin, il en va de même lorsqu'on constate qu'une personne est en situation de crise. Il existe des approches structurées qui vous guident dans vos démarches pour interagir avec la personne. Si un simple fantassin comme moi arrive à comprendre cela, alors n'importe qui le peut aussi.
    L'année dernière, la Commission de la santé mentale du Canada a adapté le cours des premiers soins en santé mentale au groupe des anciens combattants. J'ai aidé à la révision du matériel afin de lui donner une saveur militaire, pour ainsi dire. On commence à offrir le cours petit à petit. Le premier groupe d'instructeurs a obtenu les accréditations nécessaires. La Légion royale canadienne aide à en faire la promotion, mais il s'agit surtout d'un projet secondaire. Cela se fait lentement.
    Ce n'est là qu'une des options. Il y a, comme je l'ai dit, de nombreuses possibilités. La Légion royale canadienne offre également une excellente formation à ses agents d'entraide pour guider les gens durant toutes les étapes du processus d'Anciens Combattants Canada et pour gérer les crises éventuelles durant cette période. Cela pourrait faire partie d'un prototype de formation à plus grande échelle. Pour ce qui est de savoir comment s'y prendre, c'est peut-être une question qui dépasse la portée de la réponse que je peux vous donner ici, en si peu de temps.
    Bref, toute la formation nécessaire est déjà là. Il reste à rassembler le tout et à établir un modèle de prestation viable.
    Je vous remercie d'avoir mentionné la Légion. J'ai assisté à une réunion des représentants de plusieurs Légions dans ma région, et ils ont justement parlé de la question de savoir comment s'assurer que tout le monde dans la Légion avait accès à une telle formation, depuis le barman jusqu'à l'agent d'entraide. Pour revenir sur ce que vous disiez, je crois qu'il reste encore beaucoup à faire, et ce travail peut avoir une grande portée. Cela ne fait jamais de tort de former plus de gens.
    En ce qui a trait aux premiers soins en santé mentale et à la façon de les adapter, madame Gagnon, pensez-vous qu'il y a lieu d'y intégrer également le traumatisme sexuel en milieu militaire? Y a-t-il un autre degré de sensibilité qui doit entrer en ligne de compte?
    On m'avait proposé, par exemple une formation en matière de soutien par les pairs, mais il aurait fallu que je m'absente du travail pendant quatre jours ou une semaine. Je travaille à temps plein et, vous savez, quand on recommence sa carrière, on n'a pas beaucoup de jours de congé au début. En tant qu'épouse de militaire, je dois également déménager sans cesse, ce qui signifie que je dois toujours partir de zéro. Je n'ai pas le temps de prendre une semaine de congé pour aller suivre une formation toute seule.
    Ce serait bien si on nous offrait une formation à distance. Je pourrais ainsi la compléter en une fin de semaine. Cela permettrait à beaucoup de gens dans mon groupe d'y assister. Les femmes de mon groupe — il y a des hommes aussi, mais ils sont beaucoup moins nombreux — ont habituellement une famille. Elles ne peuvent pas laisser leur famille et partir en formation pendant une semaine. Ce serait bien d'avoir quelque chose pour l'apprentissage à distance.
    Vous avez dit qu'on vous avait proposé une formation. De quelle organisation s'agissait-il?
    C'était le SSVO, soit le Soutien social aux victimes de stress opérationnel.
    C'est donc dire que le SSVSO a commencé à déployer des efforts en ce sens.
    Non.
    Mme Alaina Lockhart: Non? D'accord.
    Mme Marie-Claude Gagnon: C'était seulement dans ma situation, parce que j'étais en service lorsque mon agression a eu lieu; on l'a considérée comme un incident opérationnel. Ce n'est pas le cas pour beaucoup de gens, mais on m'a permis de suivre une formation pour cette raison. J'ai été invitée à y assister, mais je ne pouvais tout simplement pas y aller.
    D'accord. Je comprends.
    À ce sujet, vous avez mentionné plusieurs recommandations qui me paraissent excellentes. Nous connaissons bien certaines d'entre elles pour les avoir entendues dans d'autres témoignages. En ce qui concerne les employés de première ligne d'Anciens Combattants Canada, de quoi ont-ils besoin? Que devons-nous faire pour améliorer ce premier contact?
    En fait, cette question s'adresse à tous les deux.
    Je dirais que l'information doit être accessible en ligne, car les gens doivent désormais se défendre eux-mêmes. Ainsi, nous pouvons aller vérifier ce qui se passe. Quand nous appelons, l'information varie selon la personne à l'autre bout du fil. Certains individus se sont fait dire qu'ils n'étaient pas admissibles au programme de réadaptation d'ACC et qu'ils devaient attendre, mais comme ils sont aux études, ils ne savent pas que leurs frais de scolarité ne seront pas remboursés une fois qu'ils auront droit à ces prestations.
    La plupart des gens ayant vécu un traumatise sexuel en milieu militaire sont jeunes. L'âge moyen se situe entre 17 et 19 ans. C'est dans cette tranche d'âge qu'ils se font agresser. Lorsqu'ils quittent l'armée, ils retournent aux études, et il s'agit d'un processus différent. Voilà pourquoi l'information doit être accessible.
    Il y a beaucoup de femmes dans les réserves. Nous sommes laissées pour compte sur le plan de l'information, si bien que nous retrouvons toujours en situation d'attente; nous devons attendre le coup de fil d'un spécialiste qui ne nous rappelle jamais. Voilà le genre d'expériences que nous vivons. Si l'information est en ligne, nous saurons à quoi nous attendre et nous pourrons accéder aux soins.
    Par ailleurs, les formulaires ne portent que sur des situations liées au combat. On m'a demandé de me soumettre à un examen gynécologique 10 ans après l'incident. Je n'avais pas le choix. C'est la procédure à suivre, même si j'ai eu deux enfants après l'incident. Que peut-on bien trouver? J'ai dû subir un examen invasif pour rien. Il m'a fallu huit mois pour mener ce combat, ne serait-ce que pour obtenir l'autorisation d'aller de l'avant. J'ai eu le droit de continuer cette démarche après m'être fait dire le contraire. Je ne pouvais pas m'adresser au BSJP parce que ma demande n'avait pas été refusée; je n'avais donc pas de recours. La seule solution, c'était de rassembler 19 autres personnes comme moi. C'est seulement alors que nos dossiers ont été réexaminés, mais il a fallu huit mois rien que pour obtenir le droit de procéder. Il faut que cela change.

  (1605)  

    Merci.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous, chers témoins, de votre présence. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage. Cela nous aidera à rédiger un rapport qui, nous l'espérons, permettra d'améliorer le sort des anciens combattants.
    Madame Gagnon, j'ai un certain nombre de questions à vous poser. Vous avez parlé d'autres sites Web pour les anciens combattants, notamment de celui des États-Unis, et vous avez dit qu'Anciens Combattants Canada pourrait clairement s'inspirer de ces exemples. Comment le site Web américain parvient-il à vous fournir, à vous ou aux anciens combattants américains, de meilleurs renseignements?
    Tout d'abord, le site Web américain contient une définition. Ensuite, on y reconnaît que ce genre d'incidents se produisent. On y trouve aussi des explications sur les éléments qui peuvent être considérés comme des preuves et qui se distinguent des preuves applicables aux incidents liés au combat. Par exemple, si vous avez appelé une ligne d'aide et que vous pouvez le prouver ou si vous êtes allé chercher de l'aide durant cette période, cela pourrait constituer des éléments de preuve.
    Voilà le genre de renseignements qu'on peut obtenir pour préparer sa demande. À l'heure actuelle, ce sont les membres de la Légion qui aident à la préparation des demandes. En passant, les femmes de 19 ans ne voudront pas nécessairement s'adresser à la Légion pour obtenir de l'aide. Les membres de la Légion ne s'y connaissent pas trop en la matière pour s'occuper de ces cas. Ils préparent des demandes comme s'il s'agissait de cas liés au combat et, au final, nous essuyons un refus. À l'étape de l'appel, nous ne pouvons pas présenter de nouveaux renseignements. Il nous faut une personne qualifiée, ou du moins, une ressource en ligne qui nous dit ce que nous pouvons faire si nous avons dénoncé ou non un incident ou si notre dossier médical a disparu pour une raison quelconque. Nous devons savoir ce qui peut être fait.
    Vous avez lancé votre groupe il y a deux ans. Qu'est-ce qui a changé sur le plan des services offerts aux anciens combattants ayant vécu un traumatisme sexuel en milieu militaire? Y a-t-il eu quelque chose de positif? Avez-vous observé une différence en deux ans?
    Voulez-vous dire à l'intérieur ou à l'extérieur de notre groupe?
    Je voulais dire à l'extérieur, au sein d'ACC.
    J'ai remarqué récemment qu'ACC s'est mis à accepter un plus grand nombre de demandes. C'est lorsque les gens exercent de grandes pressions et qu'ils s'apprêtent à s'exprimer publiquement que leur demande est acceptée. Je crois donc que c'est un bon début.
    Auparavant, il fallait presque feindre un autre traumatisme. Il était si difficile d'obtenir une audience pour un traumatisme sexuel en milieu militaire que les gens trouvaient un autre problème — quelque chose de plus facile à prouver, comme l'exposition à un bruit puissant ou à un événement épeurant. Le traumatisme sexuel en milieu militaire faisait rarement l'objet de la cause. Les gens utilisaient d'autres moyens pour avoir accès aux services.
    Toutefois, le ministère commence à accepter que le traumatisme sexuel en milieu militaire puisse être un cas valable. Par ailleurs, si l'acte s'est produit, disons, après le travail, mais qu'on a subi des répercussions au travail, preuves à l'appui, alors ces cas pourront également être pris en considération. Avant, si l'acte se produisait, disons, lors d'un dîner régimentaire, alors on n'était pas couvert. Aujourd'hui, le ministère cherche à déterminer s'il faut dédommager les gens qui ont été agressés dans les casernes ou au cours de dîners régimentaires obligatoires tenus le soir. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Ces questions sont en cours d'examen.

  (1610)  

    J'ai l'impression qu'il est très difficile de prouver que l'agression a eu lieu et qu'elle s'est produite dans un milieu militaire.
    Eh bien, je dirais qu'il y a trois étapes. Vous devez d'abord prouver que l'agression a eu lieu. Ensuite, vous devez prouver que votre état de santé est lié à ce qui s'est produit parce que, parfois, on va dire que vous aviez déjà un problème en raison d'un traumatisme survenu durant l'enfance. Enfin, vous devez prouver que c'est lié au service.
    Beaucoup de gens se sont fait dire que si le tribunal ne leur donne pas gain de cause, ce qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable, l'agression n'a techniquement pas eu lieu. D'autres se sont fait dire que s'ils perdent la cause, ils n'auront rien. Ce n'est vraiment pas juste, parce que si vous êtes au combat et que vous avez reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique, on vous accordera le bénéfice du doute, mais si vous êtes devant un tribunal militaire ou devant n'importe quelle cour de justice pénale, le fardeau de la preuve est beaucoup plus important.
    On dirait que l'expérience de l'agression initiale est rendue encore plus difficile à cause du processus qu'il faut suivre.
    De plus, le BSJP traite les gens... Je n'ai pas apporté avec moi toutes les citations, mais d'après ce qu'on me dit, les avocats tiennent des propos comme: « J'aurais crié si j'étais à votre place » ou « Si je me faisais violer, je n'aurais pas besoin de traitement psychologique ». On blâme beaucoup la victime durant une audience devant le BSJP ou lors d'une consultation auprès d'un médecin militaire. Cela arrive souvent.
    Voilà qui m'amène à mon autre question. Supposons qu'une femme demande de l'aide en raison d'un traumatisme sexuel. Serait-il plus facile si l'aide provenait d'une agente d'entraide? Les forces armées ou le ministère des Anciens Combattants assurent-ils la disponibilité de soins prodigués par des femmes, si c'est ce que demande la personne qui cherche à obtenir ce genre d'aide et de soutien?
    En fait, c'est un homme qui a soulevé cette question au sein de mon groupe, parce qu'il avait été agressé, évidemment, par un autre homme. Les hommes qui sont victimes d'agression sexuelle préfèrent parler à des femmes. Ils aimeraient avoir le choix.
    D'ailleurs, il est prouvé — et je n'ai pas avec moi la recherche pertinente — que, dans le cadre des groupes de soutien par les pairs, les femmes guérissent mieux lorsqu'elles sont entourées uniquement par d'autres femmes; s'il y a des hommes dans le groupe, elles ont tendance à se taire et à laisser les hommes parler, ce qui explique pourquoi le processus de guérison n'est pas aussi efficace.
    Je regrette, mais votre temps est écoulé.
    Monsieur Fraser.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à vous deux d'être venus nous faire part de votre expérience, et merci aussi d'avoir servi le Canada. Nous sommes très heureux que vous soyez ici pour nous parler de votre vécu. Nous espérons ainsi formuler des recommandations en vue d'améliorer la situation des anciens combattants.
    Monsieur Harding, j'aimerais commencer par vous. Quand vous parlez de l'identité du groupe de pairs et des contacts au sein de la collectivité des anciens combattants, c'est-à-dire de l'importance de communiquer avec les anciens combattants qui, autrement, ne prendraient pas l'initiative de parler de leurs difficultés, comment cela fonctionne-t-il à l'échelle du pays parmi les membres de votre groupe en particulier, soit le groupe Envoyez le compte? S'agit-il d'une initiative pancanadienne? Observez-vous des difficultés ou des défis quand vient le temps de rejoindre les gens des régions rurales ou éloignées?
    Mon groupe fait tout en ligne. Quand nous avons lancé ce projet, nous n'avions ni prévu ni envisagé de créer un tel groupe. C'est venu naturellement. Quelques-uns d'entre nous ont fait passer le message. Notre troisième fondateur a créé une page Facebook, qui a attiré, en l'espace de quelques jours, plus de 9 000 personnes. Nous avons alors compris qu'il fallait aller de l'avant.
    Ce que nous voulions promouvoir au début, c'était l'intention d'établir un dialogue de façon proactive. Nous disions: « Hé, que se passe-t-il avec ce type qui faisait partie de ton peloton en Bosnie, en Croatie ou en Afghanistan, le gars à qui tu n'as pas parlé depuis trois ans? Appelle-le ou envoie-lui un courriel ou peu importe, et demande-lui de ses nouvelles. » Il suffit de lancer une conversation.
    Beaucoup d'anciens combattants tombent dans l'oubli, et ils souffrent, à l'insu de tout le monde. Dans les forces armées en particulier et, dans mon cas, la réserve militaire, nous sommes tous dispersés, car nous retournons dans nos bases et nos collectivités respectives.
    Nous n'avons pas quelque chose de structuré ou d'officiel. Nous n'en avons jamais eu. En tout cas, cela semble avoir été utile. Nous encourageons les gens à reprendre contact avec ceux avec qui ils ont servi et à demander de leurs nouvelles. Cela se fait constamment, tous les jours, et non une fois par année — je ne cherche pas à critiquer Bell. Quand les gens disent qu'ils vont bien, mais qu'on trouve qu'ils ne sont pas tout à fait honnêtes, on peut leur demander: « Comment ça va réellement? » Donnez-leur cette ouverture pour qu'ils sachent qu'il y a quelqu'un à qui ils peuvent parler, en toute confiance, de tout et de rien.
    Si je comprends bien, vous proposez un engagement continu et un suivi après la libération, parce que les anciens combattants feront généralement davantage confiance à un compagnon d'armes. Par conséquent, ces gens seraient les mieux placés pour faire cette prise de contact.
    Avez-vous des recommandations à faire sur la façon d'assurer un tel suivi après la libération? Entrevoyez-vous la possibilité qu'à l'avenir, ce travail fasse partie intégrante des efforts structurés d'ACC, ou est-il préférable de laisser aux organismes comme le vôtre le soin de s'en occuper?

  (1615)  

    Eh bien, c'en est une bonne: « Je viens du gouvernement et je suis ici pour vous aider. » Voilà un message qui ne sera pas toujours bien reçu.
    J'en conviens.
    La plupart de ces contacts s'effectuent sans formalisme. Nous ne faisons que parler à des amis.
    Quelques mois après mon retour de l'Afghanistan, j'ai commencé à recevoir une foule de courriels m'invitant à assister à un rendez-vous de suivi avec un travailleur social militaire. Après une longue période, on a finalement réussi à me faire asseoir dans une salle et à me faire parler, histoire de s'assurer que tout allait bien, et c'était le cas. Quand on est toujours en service, il y a au moins un mécanisme par lequel on est obligé d'assister à ces rendez-vous. Or, une fois libéré, on ne peut plus y être contraint. Cela dit, une fois qu'un militaire est libéré, rien n'empêche quelqu'un de faire un suivi en disant: « Hé, cela fait un certain temps que vous êtes libéré. Y a-t-il quelque chose qui a refait surface depuis et qui, selon vous, pourrait nécessiter un accès à des ressources de soutien? »
    Quand un militaire est libéré des forces armées, il ne devient pas automatiquement un client d'ACC. Il existe sans doute des règles de confidentialité, quelque part dans les politiques ou les règlements, qui empêchent le transfert des noms et des coordonnées du MDN à ACC. Je ne peux pas fournir de solution à cela.
    Hypothétiquement, il serait possible d'abattre ce mur, de sorte qu'ACC puisse agir en amont et établir une prise de contact un an ou deux après la libération pour dire: « Hé, nous voulons avoir de vos nouvelles. Vous n'êtes plus en service depuis un certain temps. Comment vous adaptez-vous? Savez-vous que nous offrons tel ou tel service? » Bien souvent, je trouve que les anciens combattants ignorent complètement les options qui s'offrent à eux.
    Pour ce qui est de savoir comment s'y prendre, il faudrait que j'y réfléchisse beaucoup plus longuement.
    D'accord, mais d'après votre expérience, le fait que la prise de contact soit effectuée par des anciens soldats, c'est-à-dire des collègues, signifie que la réponse est bien meilleure. La crédibilité et la confiance sont là, pour ainsi dire.
    Je ne peux pas faire de comparaison. Je ne peux pas dire qu'un soldat serait, dans tous les cas, mieux placé qu'un employé d'ACC.
    En effet.
    Par contre, je sais que la prise de contact effectuée de façon proactive et continue par des soldats permet de sauver des vies.
    D'accord.
    En ce qui concerne les traitements propres aux anciens combattants, dont vous avez parlé, il existe entre autres des cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel. Pouvez-vous faire des recommandations ou me donner une idée de ce que vous entendez par traitements propres aux anciens combattants, un domaine dans lequel ACC pourrait peut-être accomplir un meilleur travail pour s'assurer que les anciens combattants obtiennent l'aide dont ils ont besoin?
    Bien sûr. Je parle plus précisément des traitements en établissement ou en milieu hospitalier. Les deux ne désignent pas nécessairement la même chose.
    De nombreux établissements — comme Bellwood, Homewood, Sunshine Coast Health Centre — offrent des traitements à long terme en milieu hospitalier, mais comme je l'ai dit, ces établissements ont une clientèle mixte dans bien des cas. Les chercheurs connaissent probablement assez bien les besoins des anciens combattants, mais leur travail n'est pas forcément adapté à eux, et la prestation de programmes non plus.
    La lettre de mandat du ministre des Anciens Combattants renferme la promesse de créer un « centre d'excellence » pour la santé mentale...
    Oui.
    C'est, selon moi, une expression ambiguë. Les défenseurs des anciens combattants avaient plutôt réclamé une installation de traitement; pourtant, ce n'est pas ce qui a été retenu dans le mandat.
    Au sein du Groupe consultatif sur la santé mentale, dont je fais partie à ACC, nous insistons beaucoup sur l'accès à un établissement physique. Nous avons besoin d'un environnement thérapeutique, rempli de gens rassurants à qui les anciens combattants peuvent s'ouvrir. Je ne dénigre pas les autres personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de traumatismes, mais il y a des gens qui ne sont pas compatibles entre eux. N'oublions pas que les anciens membres de la GRC font aussi partie des anciens combattants. Nous avons besoin d'installations physiques propres à la clientèle d'ACC et dotées d'une capacité permanente, en fonction de la demande, pour fournir aux anciens combattants des traitements à temps plein.
    Ce serait donc une clinique, sur ou sans rendez-vous, qui répondrait à toutes sortes de besoins. Est-ce ainsi que vous l'envisagez?
    Très brièvement, je vous prie.
    C'est possible, mais il faudrait surtout viser des traitements de 30 jours ou plus.
    Merci beaucoup, monsieur Harding.
    Monsieur Bratina, à vous la parole.
    Madame Gagnon, je pense que nous retenons tous notre souffle chaque fois que vous jeter un coup d'oeil à votre téléphone. J'espère que personne n'a...
    Nous vous remercions de nous faire part de votre expérience. Votre groupe se réunit-il une fois par semaine ou une fois par mois?
    Non, c'est aux deux semaines.
    Pouvez-vous me dire ce que vous avez ressenti le jour de votre enrôlement dans les services? Y a-t-il eu un âge d'or, c'est-à-dire une période où vous rêviez de devenir matelot?

  (1620)  

    À vrai dire, je voulais, au départ, faire partie de l'artillerie, mais lors du recrutement, on s'est moqué de moi et on m'a plutôt proposé la marine. J'aimais bien la marine, mais, en toute sincérité, je voulais participer au camp de recrues pour voir si j'étais à la hauteur.
    J'ai fini par aimer la mer. Ensuite, je suis retournée aux études et j'ai été transférée au poste d'officier du renseignement. Je voulais devenir officier des affaires publiques, mais mon projet a été interrompu, si bien que j'ai dû réorienter ma carrière tout entière. Mon mari est dans l'armée, alors nous nous déplaçons ensemble.
    J'avais un plan, qui n'est plus le même aujourd'hui. Quand on perd la possibilité de toucher sa pension et d'avoir toutes ces choses, on repart un peu à zéro. C'est un gros changement.
    Que diriez-vous à un groupe de jeunes recrues qui, comme vous à une époque, s'apprêtent à entrer en service? Auriez-vous un message à leur transmettre à propos des questions dont nous discutons aujourd'hui? Est-ce un sujet dont vous pourriez parler aux jeunes recrues?
    J'aimerais pouvoir leur dire: « S'il arrive quelque chose, parlez-en ». Toutefois, à voir ce qui se passe quand les gens décident de briser le mur du silence, j'ignore si c'est le moment propice pour agir ainsi. Je ne crois pas que nous en soyons là. Il y a encore beaucoup de répercussions, comme en témoignent les nombreux cas de militaires qui sont libérés pour raisons médicales ou de gens qui sont pénalisés pour avoir signalé des incidents. C'est sans compter les représailles, qui n'ont pas encore été établies. Nous avons poussé les gens à dénoncer de tels incidents, mais nous ne les avons pas soutenus après coup. Donc, tant que nous n'aurons pas mis en place...
    Bien entendu, je n'empêcherai jamais quelqu'un de signaler un incident — je crois que, pour certains, c'est une façon de tourner la page —, mais je ne me mettrai pas non plus à pousser quelqu'un à agir. Je crois que chacun doit le faire à son rythme.
    Qu'en pensez-vous, monsieur Harding?
    Oui, je vais mettre mon chapeau de sergent encore en service pour un instant. Il neigera en enfer le jour où je ne me porterai pas à la défense d'un de mes soldats qui s'est fait agresser, mais ça, c'est moi. Beaucoup de gens voient les choses différemment — selon une mentalité désuète et destructrice —, et ils seraient peut-être plus tentés de passer ces choses sous silence.
    Malheureusement, comme Marie-Claude l'a laissé entendre, le processus peut s'avérer terrible pour les gens qui décident signaler de tels actes. J'ai vu des gens dénoncer ce genre d'agressions, pensant qu'ils se trouvaient dans un lieu sûr, et la chaîne de commandement en a eu vent, mais trois ans plus tard, ils font toujours face aux répercussions d'une enquête ultérieure, chose qu'ils n'ont peut-être jamais demandée parce qu'ils voulaient tout simplement essayer de tourner la page.
    D'un autre côté, les forces armées sont absolument liées par l'obligation d'agir avec toute la rigueur de la loi lorsque pareils incidents sont signalés; il se peut que les victimes soient laissées pour compte à cet égard, mais le changement ne viendra pas des jeunes de 17 ou 19 ans qui suivent l'instruction de base. Il viendra des dirigeants plus expérimentés, qui doivent assumer leurs responsabilités, prendre les rênes et régler le problème à l'interne.
    Madame Gagnon, l'expérience des femmes mariées diffère-t-elle de celle des femmes célibataires en ce qui concerne leur exposition au traumatisme sexuel en milieu militaire?
    N'oublions pas non plus que nos conjoints s'exposent habituellement, eux aussi, à des représailles. Même si nous ne sommes plus dans l'armée et que nous en parlons, il y a un risque qu'ils subissent des représailles. C'est le cas de cinq personnes dans mon groupe, et je sais que c'est ce qui se passe. Leurs conjoints font face à des représailles, et elles se sentent mal.
    C'est une conséquence dont nous devons tenir compte lorsque nous décidons de parler. Bien entendu, maintenant que nous avons réintégré la vie civile, nous devons constamment déménager, et il faut alors trouver de nouveaux services de santé, de nouveaux thérapeutes et de nouveaux psychiatres, ce qui n'est pas facile. Si une transition de carrière est difficile après la libération, même lorsque vous pouvez choisir votre lieu de résidence, imaginez si vous deviez déménager à Gagetown. Vous n'avez plus aucun but et, souvent, vous n'avez pas le choix de rester à la maison et de prendre soin de vos enfants. Si vous avez été militaire pendant toutes ces années et que vous vous étiez fixé d'autres objectifs dans la vie, ce n'est pas ce à quoi vous vous attendiez. Il n'y a rien de mal à cela, mais vous n'aviez peut-être pas cela dans le sang au début. La dénonciation tue vraiment une carrière.
    Puis-je ajouter une chose en réponse à votre question initiale?
    Oui.
    Je voudrais transmettre un message. Beaucoup de gens voient des incidents et ne disent rien. La meilleure façon de mettre fin aux agressions et aux choses de ce genre, c'est de dire, dans les cas où on est témoin d'un incident: « Tu sais quoi? J'ai vu ce qui s'est passé, et ça me paraît très grave. Je vais t'accompagner et signaler cet incident. » C'est là une déclaration. Avoir le soutien d'un témoin encourage la personne à dénoncer l'incident, et on pourrait alors lancer l'enquête, mais beaucoup de gens choisissent de ne rien dire parce qu'ils ont peur pour leur carrière.

  (1625)  

    Nous vous écoutons avec attention. Je me demande si, dans le cadre d'autres conversations, les gens pensent parfois que vous exagérez et que la situation ne peut pas être si terrible que cela. Monsieur Harding ou madame Gagnon, pensez-vous que le grand public accepte, oui ou non, ce que nous entendons aujourd'hui?
    Je ne lance pas de statistiques. Certains accepteront notre message, d'autres pas. Ceux qui ne nous croient pas pourront venir m'en parler, et je leur expliquerai ce que j'ai observé. La plupart des gens semblent bien se porter dans la plupart des circonstances, mais il y a encore beaucoup de choses qui se trament.
    Merci.
    Madame Wagantall, la parole est à vous.
    Merci à tous les deux d'être des nôtres. Vous parlez de ces questions avec beaucoup d'éloquence, d'honnêteté et de passion. Plus nous vous interrogeons, plus je me rends compte que nous avons beau formuler toutes sortes de recommandations, si la culture militaire ne change pas, ces recommandations n'iront probablement pas trop loin. Je le dis très crûment et en toute honnêteté.
    Les représailles à la dénonciation, la crainte des réactions et d'autres conséquences réelles font qu'il est difficile pour les gens de signaler de tels incidents. Si j'étais ministre et que j'étais seule avec vous dans une salle, que me proposeriez-vous, en toute franchise, comme mesures à prendre à tout prix avant que toutes ces autres démarches puissent vraiment avoir un effet?
    Nous avons besoin de plus de femmes au sein des forces armées, car plus nous sommes nombreuses, plus nous nous sentons à l'aise de dénoncer de tels incidents. Vous comprendrez que, dans un milieu dominé par les hommes, les femmes semblent agir par instinct de conservation.
    Je l'ai fait moi-même. Un jour, quelqu'un est venu me dire que quelque chose de grave s'était produit, et je lui ai répondu: « Eh bien, je ne peux pas venir à ta défense parce que, sinon, je vais me retrouver dans la même situation que toi. » Je ne voulais pas qu'on me considère de la sorte. Toutefois, si les femmes représentent 50 ou 40 % de l'effectif, elles se sentiront plus en confiance. Elles n'auront plus besoin d'être en mode de conservation de soi pour montrer qu'elles sont plus fortes qu'une autre et qu'elles sont du côté des gars. On a alors moins besoin de recourir à ce mécanisme de défense.
    Monsieur Harding, qu'en pensez-vous?
    C'est difficile à dire.
    Si je devais parler de ces questions, je ne m'adresserais pas au ministre d'Anciens Combattants, mais plutôt au ministre associé de la Défense nationale, qui est le mieux placé pour exercer une influence dans ce dossier.
    Parmi les militaires en service, je crois que les valeurs sont en train de changer. Selon moi, c'est surtout un phénomène générationnel attribuable à la transformation de la société canadienne. Cela dit, comme je suis un agent de police à temps plein, je suis au courant de toutes les choses atroces qui se produisent.
    Je ne pense pas qu'il existe une solution à 100 %; par ailleurs, je n'ai aucun conseil à donner à ce sujet. Si vous faites allusion plus précisément au traumatisme sexuel en milieu militaire, je suis très mal placé pour en parler.
    Non, je ne m'y attendais pas non plus.
    C'est cela.
    D'accord. Je comprends ce que vous voulez dire.
    Marie, vous avez dit qu'il n'y avait pas de renseignements sur le site Web d'ACC. Je veux m'assurer de bien comprendre. Aviez-vous fait une recommandation à cet égard?
    Oui, pendant deux ans.
    Votre recommandation a-t-elle été retenue?
    Oui. Je me suis fait dire que le ministère allait en tenir compte. Quelqu'un a communiqué avec moi il y a quatre mois, mais c'est tout. Je n'ai plus eu de nouvelles.
    D'accord. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi cela n'a pas été fait. Ce n'est tout de même pas une grosse dépense.
    D'après ce qu'on m'a dit, les services s'adressent à tout le monde, alors nous ne devrions pas...
    Pour moi, c'est surtout une question d'équité et d'égalité, n'est-ce pas? L'égalité ne signifie pas nécessairement l'équité...
    C'est juste.
    ... alors, je crois qu'on devrait déployer un peu plus d'efforts en ce sens, d'autant plus que rien dans les photos et les renseignements disponibles ne cible les jeunes femmes de 19 ans, n'est-ce pas?
    Exactement. D'accord, merci.
    M. Fraser a traité brièvement de la dynamique des démarches visant à former et à équiper les gens. Vous avez parlé des profanes.
    Je suis vraiment fascinée par ces situations où des anciens combattants aident des anciens combattants et où des soldats aident d'autres soldats, et par ce genre d'initiative. De toute évidence, nous entendons beaucoup parler de la question de la confiance, particulièrement de la part de vos pairs.
    ACC pourrait-il tenter de mettre en oeuvre de telles initiatives ou reconnaître et équiper ces groupes afin de leur faciliter la tâche d'une manière plus...? Non. Dès qu'on est reconnu, on commence à imposer toutes sortes de conditions, et ce n'est pas ce qu'on veut, puisqu'on est de toute évidence plus efficace sans elles.
    Comment en suis-je venue à entrer au gouvernement? Je n'en ai pas la moindre idée.
    Cependant, envisageriez-vous un cadre à cet égard? Qu'est-ce qui fonctionnerait le mieux?

  (1630)  

    Ceux qui se préoccupent de manière plus proactive des autres anciens combattants interviendront tout simplement de leur mieux.
    Si quelqu'un se fait heurter par une voiture en marchant sur la rue, la plupart des gens s'empresseront de l'aider. Une personne qui connaît les manoeuvres de réanimation cardio-respiratoire sera probablement plus efficace qu'une qui ne les connaît pas. Un grand nombre d'employeurs offrent une formation gratuite ou subventionnée à ce sujet. Je ne dis pas qu'ACC doit mettre sur pied des équipes d'intervention qui ont un quota d'appels à effectuer auprès des anciens combattants et qui doivent en appeler 60 par jour pour voir comment ils se portent, par exemple. Mais il pourrait simplement financer cette formation. Les intéressés se manifesteront. Oui, le taux de rendement sera difficile à déterminer, d'autant plus qu'on cherchera à évaluer quelque chose qui ne se produit pas et qu'il est ardu de prouver un incident qui n'est pas arrivé. Il sera difficile de montrer que les anciens combattants évitent d'en arriver à un état de crise parce que quelqu'un leur vient en aide à temps. Il n'est pas facile de dénombrer les suicides qui ne surviennent pas.
    Je ne sais pas si cela pourrait aisément être évalué, vu la manière dont le gouvernement et les ministères aiment quantifier les choses. Par contre, cette formation n'est pas particulièrement onéreuse. Comme je l'ai fait remarquer, des services de premiers soins en santé mentale ont déjà été élaborés à l'intention des anciens combattants. Il faut donc agir de manière plus dynamique, appuyer la formation et appliquer la formation en prévention du suicide.
    Je le répète: il faut offrir du soutien. Nous avons des outils: si vous voulez vous en servir, si vous avez servi ou travaillé avec des anciens combattants de quelconque manière, alors manifestez-vous.
    Merci.
    Merci.
    La parole est maintenant à M. Graham. Je suppose que vous partagerez votre temps avec M. Eyolfson.
    J'ai deux ou trois brèves questions. Je me suis joint au Comité la semaine dernière seulement. Le dossier est donc nouveau pour moi, et je le trouve intéressant, mais pas nécessairement de manière positive. Je vous suis reconnaissant de témoigner pour relater vos histoires.
    Brian, vous avez servi en Afghanistan. Je ne suis pas certain de savoir ce que vous avez vécu dans le cadre des opérations. Pouvez-vous nous dire comment la transition s'est effectuée quand vous avez quitté l'Afghanistan? Que s'est-il passé? Quand vous êtes revenu de ce pays, vous a-t-on souhaité la bienvenue, puis dit au revoir? Comment le processus s'est-il déroulé?
    J'ai quitté l'Afghanistan le 24 mars 2009 environ. Nous avons effectué un court vol jusqu'à une base d'étape située au Moyen-Orient où nous avons remis nos fusils, nos munitions et tout l'équipement de combat que nous avions. Une partie de nos effets a été emballée pour être envoyée à la maison. À bord d'un Airbus militaire, nous nous sommes rendus à Chypre, où les Forces canadiennes avaient réservé un hôtel.
    Nous y avons séjourné le jour de notre arrivée, trois journées entières et le jour de notre départ. Au cours de la première journée complète, nous avons suivi des séances d'information obligatoires sur diverses questions de santé mentale et de réadaptation. Le lendemain, nous avons poursuivi sur le même sujet pendant une demi-journée, puis nous avons eu quartier libre le reste de la journée et le troisième jour.
    Tous les deux jours, un avion plein de nouveaux soldats arrivait et un nouveau groupe partait; c'était donc l'anarchie totale. En fait, ce n'était pas si pire. Avec une bande de soldats qui n'ont pas eu l'occasion de se défouler pendant six, huit ou neuf mois, c'était une fête constante et sans cesse renouvelée. On s'est bien amusés. La formation n'était pas si mal, mais je ne suis pas certain que c'était le moment propice pour l'offrir.
    Étant réserviste, quand je suis arrivé à l'aéroport, j'ai été accueilli par quelques membres de mon unité et par mes parents, après quoi je me suis empressé de trouver plusieurs amis pour faire la fête.
    J'ai fait l'objet d'un suivi sporadique, principalement de nature médicale, et j'ai eu une rencontre symbolique avec un travailleur social. Si on donne les bonnes réponses aux travailleurs sociaux, ils cochent leurs cases, et on peut partir sans plus avoir à se soucier d'eux. De nombreux membres ne divulguaient rien, et dans bien des cas, ils n'ont pas dévoilé leurs problèmes aux travailleurs sociaux non plus. Nous savons que les troubles de santé mentale peuvent souvent mettre jusqu'à cinq ans pour se manifester après un traumatisme. Je pense que le suivi le plus long dont j'aie bénéficié s'est fait six mois après ma période d'affectation. Il y a peut-être une vulnérabilité à cet égard.
    J'ai vraiment eu l'impression que les travailleurs sociaux se contentaient de cocher des cases pour dire qu'ils avaient fait le travail. Ce n'est pas l'intention de ceux qui ont instauré le processus que je remets en question, mais l'efficacité de ce processus et l'absence de suivi sur plusieurs années. Il m'a semblé que très peu d'anciens combattants en crise se trouvent encore dans la phase qui suit immédiatement la période d'affectation.

[Français]

    Avez-vous aussi des commentaires, madame Gagnon?
    L'évaluation vise seulement les personnes qui prennent part à un combat. Quant à moi, j'étais dans la marine. Il faut demander qu'une évaluation soit faite, voire insister pour l'obtenir. En fait, cela concerne les personnes souffrant d'un trouble de stress post-traumatique en général, et non le personnel de l'équipe de soutien de mission.
    Les personnes ne sont pas toutes à l'aise à l'idée de s'adresser à leur commandant pour faire une demande d'évaluation. Ces évaluations font partie des nouvelles procédures, et j'ai tenté de m'assurer qu'elles étaient appliquées à tous, mais cela a été refusé. Seules les personnes ayant déjà servi dans la force opérationnelle peuvent s'en prévaloir.

  (1635)  

    J'ai une question pour vous, madame Gagnon.
    Le lieutenant-général Vance a fait une déclaration l'année dernière sur les inconduites sexuelles dans les Forces armées. Êtes-vous au courant de ce qu'il a dit à la fin de novembre? Qu'en pensez-vous?
    S'agit-il de la déclaration faite à la fin de novembre?
    C'est celle du 28 novembre 2016.
    Parlez-vous de celle concernant le sondage qui venait d'être publié et qui a été mené auprès de 960 personnes?
    Ce sondage n'incluait pas les recrues ni les gens qui suivaient un cours pendant environ les deux premières années. Cela représente le pourcentage d'agressions le plus élevé jamais établi, du moins selon les recherches américaines, puisque nous ne disposons pas de telles recherches au Canada.
    Bon nombre de personnes ont participé au sondage, mais celui-ci excluait toutes les personnes sorties des forces et celles qui étaient en processus de libération. À mon avis, c'est un peu comme si on menait un sondage pour établir s'il existe un problème de racisme et que l'on retirait de ce sondage toutes les personnes de couleur.
    L'exclusion de ces groupes est toutefois mentionnée dans le sondage. On m'a dit que ceux-ci devaient être entendus plus tard, mais cette rencontre n'a jamais eu lieu et on utilise actuellement ce standard dans tous les contextes. Je ne sais même pas si, au bout du compte, on envisage de les rencontrer.
    J'ai une brève question pour vous deux.

[Traduction]

    Quand vous tentez de parler à une personne dont vous connaissez les intentions suicidaires, que lui dites-vous pour la convaincre de ne pas passer à l'acte?
    Il n'existe pas de recette infaillible. Parfois, je leur parle pendant que quelqu'un d'autre appelle le 911 afin de faire venir la police et une ambulance, et cela a fonctionné en un certain nombre d'occasions. D'autres fois, si j'ai un meilleur rapport avec la personne, je peux me sentir un peu plus confiant et je peux continuer de lui parler en lui laissant le choix. Il n'y a pas de réponse unique. Il faut espérer être en mesure d'établir un rapport avec la personne, de lui inspirer confiance, de lui faire comprendre ce qu'on lui dit et de lui donner une raison de vivre encore un peu.
    Mieux ils sont entourés — par leur famille, en particulier —, plus on a de chance de réussir. Mais c'est toujours un coup de dés. Ce n'est pas une situation agréable, et il faut continuellement soupeser le risque. Toutes les 30 secondes, je me demande si la situation a évolué et si je dois maintenant composer le 911.
    C'est plus difficile s'ils sont seuls. J'essaie de faire en sorte qu'ils ne soient pas seuls. Une fois qu'ils sont en compagnie d'autres personnes, ils sont normalement en bien plus grande sécurité. Il faut chercher à les ouvrir à l'idée. Bien entendu, j'interviens principalement en ligne ou au téléphone.
    Merci, Brian. Merci. Marie-Claude. Reste-t-il du temps pour Doug?
    Pas vraiment.
    D'accord. Merci. Je comprends.
    Mais vous avez posé de bonnes questions.
    Vous avez la parole, monsieur Brassard.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie tous les deux des services que vous avez rendus à notre pays et de votre participation à une discussion très profonde sur les questions que nous abordons aujourd'hui.
    Les trois premiers mois au cours desquels j'ai été porte-parole de l'opposition officielle pour les anciens combattants, j'ai effectué des recherches sur vous, Brian. Je sais donc que vous êtes fort actif sur les médias sociaux, tout comme Marie-Claude, d'ailleurs. J'ai remarqué que les groupes et les organisations d'anciens combattants semblent très fragmentés au pays. Un grand nombre d'anciens combattants différents expriment leurs positions sur les médias sociaux. Pour notre part, nous avons discuté de la manière dont nous pourrions réunir l'information qui circule et les préoccupations des anciens combattants dans un seul groupe, si l'on peut dire, afin de faire connaître leurs problèmes. Je me demande si vous pouvez parler de la valeur qu'aurait une seule voix, un seul ancien combattant quand vient le temps de résoudre les nombreux problèmes que vous évoquez, Brian, au chapitre de la prévention du suicide. J'aimerais aussi entendre l'avis de Marie-Claude. Je suis curieux d'entendre ce que vous avez à dire.
    Vous vous êtes peut-être aperçu, monsieur, que j'ai des opinions assez arrêtées. Imaginez un millier de personnes comme moi tentant toutes de s'entendre.
    Voilà le défi.
    Il existe de nombreux groupes, dont certains défendent très activement les droits des anciens combattants. Pour sa part, mon groupe est complètement apolitique. Nous ne nous occupons absolument pas de politique, car c'est très dommageable.
    Les gens voient les choses différemment. Certains ne peuvent pas se supporter du point de vue personnel, alors que d'autres ne peuvent travailler ensemble. Personnellement, je ne pense pas qu'on puisse fusionner tous les groupes d'anciens combattants et les organisations de défense des droits en une seule entité. On a déjà tenté de le faire, mais cela n'a jamais vraiment fonctionné. Je pense qu'il existera toujours un groupe très disparate de voix cherchant à attirer l'attention. On peut le constater chaque fois qu'ACC tient un sommet des parties prenantes deux fois l'an. J'ai pris part à certains d'entre eux et je m'étonne de ne pas avoir encore assisté à des bagarres.
    Tout le monde aura son point de vue. Vous êtes assis là. D'ici, je vous vois d'une certaine manière. D'où elle se trouve, elle vous voit sous un autre angle. En ce qui concerne les questions qu'elle aborde, je conviens que son avis est légitime, mais je ne peux voir les choses de la même manière qu'elle. Pourquoi devrions-nous tous prétendre que nous allons dire la même chose alors que nous ne sommes pas nécessairement équipés pour le faire?

  (1640)  

    Marie-Claude, souhaitez-vous intervenir?
    La Légion a tenté pendant longtemps de jouer ce rôle. Combien de fois avez-vous entendu parler de traumatisme sexuel en milieu militaire quand elle nous représentait tous?
    À l'heure actuelle, les groupes consultatifs ministériels sont dirigés par quiconque le ministère juge bon de nommer. Combien de personnes comme moi avez-vous vues à la tête de ces comités? Ce n'est jamais notre voix qui se fait entendre. C'est toujours la voix de la majorité et les problèmes communs qui l'emportent. Si on examine toujours les problèmes communs, on ne porte jamais attention à ceux qui passent entre les mailles du système, et ce sont ces personnes que nous tentons d'aider actuellement.
    Merci de cette observation.
    Brian, il y a un autre sujet à propos duquel je veux vous interroger. Le rapport précédent du Comité sur les aspects de la transition entre le MDN et la vie civile portait sur un service de concierge. L'ombudsman du MDN a également parlé de ce service en soulignant que c'était une mesure facile à réaliser. Concrètement, on proposerait un guichet unique aux membres qui retournent à la vie civile pour qu'on s'occupe de tout pour eux quand ils sont libérés de l'armée.
    Je me demande ce que vous pensez de ce service, car je sais que vous avez parlé de la transition en en soulignant les difficultés et en parlant de la perte d'identité. Un service de concierge a toutefois une certaine utilité.
    J'en ai entendu parler sous le nom de service de navigateur. Je ne me souviens pas si c'est le ministre O'Toole ou le sous-ministre Natynczyk qui en a parlé, il y a deux ans, quand les groupes consultatifs ministériels se sont réunis à Charlottetown. Nous avons tous trouvé que c'était une excellente idée, mais pour l'instant, nous nous tournons les pouces en attendant de la voir se concrétiser.
    Je pense que c'est une idée formidable. Les anciens combattants ne sont pas nécessairement tous familiers avec tout ce qui s'offre à eux, mais la plupart n'atteindront pas le seuil nécessaire pour faire l'objet d'une gestion de cas active. La plupart quittent l'armée pour telle ou telle raison, peut-être pour une incapacité relativement mineure. Ils peuvent éprouver des difficultés à effectuer la transition; ce n'est rien de catastrophique en soi, mais c'est quand même compliqué à régler. S'ils pouvaient s'adresser à des gens qui s'y connaissent, ce serait formidable.
    La Légion offre les services d'officiers d'entraide, ce qui s'apparente beaucoup à ce dont vous parlez, mais cette initiative a été confiée à une organisation de l'extérieur du gouvernement.
    Si ACC pouvait offrir de tels services, si on n'attendait pas des employés qu'ils réduisent les coûts, et si les gestionnaires ne recevaient pas de prime quand ils diminuent les dépenses, cela pourrait peut-être fonctionner. ACC devra toutefois bâtir la confiance dans ce dossier avant que les gens se croient les uns les autres s'ils comptent apporter de l'aide au chapitre des services.
    Merci. Je n'ai plus rien à ajouter.
    Vous avez la parole, madame Mathyssen.
    Merci, monsieur le président.
    C'est intéressant. Je continue de vous entendre dire qu'on doit se hâter pour ensuite attendre, ou que vous vous tournez les pouces alors que cette idée est sur la table.
    Par exemple, madame Gagnon, vous avez indiqué qu'ACC devra assurer le suivi à ce sujet. Je présume que ce suivi ne semble jamais être effectué. Quel genre de renseignements les Forces canadiennes devraient-elles surveiller et étudier pour réellement comprendre les besoins des anciens combattants qui vivent avec un traumatisme sexuel?
    Il lui faudrait d'abord savoir combien d'anciens membres ont été libérés pour des raisons médicales ou sont partis après avoir signalé une agression. Il devrait ensuite déterminer combien d'entre eux ont tenté de présenter une demande à ACC, et combien de demandes ont été acceptées ou rejetées. Il devrait enfin s'informer sur le type de services que les gens ont obtenus. Ce serait là les trois premières étapes.
    J'ai écrit une lettre au ministre. Je ne vous dirai pas lequel. On m'a répondu que chaque membre des Forces canadiennes libéré pour des raisons médicales fait, avant son départ, l'objet d'un processus qui comprend un questionnaire sur les symptômes relatifs à la santé sexuelle et mentale.
    Pourriez-vous traiter de la question?
    La santé sexuelle n'est pas un traumatisme sexuel en milieu militaire. Ce questionnaire vise essentiellement à déterminer si une personne peut avoir une dysfonction sexuelle en raison d'un médicament ou d'un TSPT causant une impuissance ou quelque chose comme cela. Voilà ce sur quoi portent les questions. On ne cherche pas vraiment à détecter les traumatismes sexuels. C'est ce qu'on entend par santé sexuelle.

  (1645)  

    On met encore l'accent sur les membres des Forces canadiennes de sexe masculin.
    Oui. Le questionnaire n'est pas conçu pour déceler les traumatismes sexuels en milieu militaire.
    A-t-on de la difficulté à comprendre et à aider les membres de sexe féminin?
    Ma dernière question concerne les lettres que j'ai envoyées et le besoin d'aide des personnes à la recherche de soins de santé mentale. On m'a répondu qu'on ne pouvait s'occuper de tout et qu'on dirige les membres vers le système public, ajoutant qu'ils ont toutes sortes d'occasions de suivre une thérapie de groupe.
    Que répondez-vous à cela?
    C'est le Programme de soutien social aux blessés de stress opérationnel qui offre de la thérapie de groupe, à laquelle participent surtout des hommes ayant pris part à des missions de combat. Si on juge bénéfique d'envoyer des hommes qui ont combattu en Afghanistan pour parler ensemble et trouver du soutien, alors c'est équitable, bien entendu. Tout ce que je dis, c'est que ceux qui jouent un rôle au cours des combats pensent qu'il existe une différence entre eux et un policier, par exemple. Ils considèrent leur besoin différent. Mais pour nous, ces services conviennent; nous devons nous joindre à des civils et nous n'avons pas besoin de notre propre groupe. En agissant de la sorte, on s'assure que nous ne pouvons nous réunir et parler. Nous ne pouvons pas tisser de liens et trouver les problèmes que nous avons en commun. C'est en quelque sorte une manière de veiller à ce que nous ne puissions pas établir de rapports entre nous et trouver notre force ensemble.
    Cela ressemble beaucoup au fardeau de la preuve que vous avez évoqué plus tôt. Vous devez prouver que c'est arrivé. Vous devez prouver la situation et présenter une panoplie d'éléments extérieurs pour être seulement entendus.
    Prenez le Programme de soutien social aux blessés de stress opérationnel, par exemple. Je sais que vous avez parlé avec Frédéric Doucette il y a un certain temps, et il a indiqué qu'il avait reçu cinq dossiers en 15 ans. J'en ai reçu 200 en deux ans. Il est donc évident que le système en place, qui est censé s'appliquer à tous, ne fonctionne pas pour nous.
    Monsieur Harding, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Oui. La question du fardeau de la preuve est intéressante. Je suis stupéfait d'entendre Marie-Claude affirmer que les demandes de prestations d'invalidité d'ACC ne seront pas traitées en l'absence de déclaration de culpabilité dans une affaire d'agression alléguée. J'ai vu bien des enquêtes qui n'ont pas donné lieu à une déclaration de culpabilité, mais ce qu'il s'était passé était manifestement clair.
    Quoi qu'il en soit, il faut prouver les faits hors de tout doute raisonnable pour qu'il y ait déclaration de culpabilité, et ce, parce qu'une personne subira une conséquence pénale: elle perdra sa liberté, elle aura un casier judiciaire ou elle ira en prison pour les actes posés. Ce n'est pas un fardeau de la preuve qu'il convient d'imposer à quelqu'un qui cherche simplement à obtenir un traitement et des prestations en raison d'un traumatisme ou de victimisation.
    Merci.
    Merci. Voilà qui met fin aux témoignages pour aujourd'hui.
    J'aimerais vous remercier tous les deux pour tout ce que vous avez fait aujourd'hui en venant témoigner et pour ce que vous avez accompli pour les hommes et les femmes qui ont servi notre pays. Si vous souhaitez ajouter quoi que ce soit pour étayer vos réponses, faites parvenir vos observations par courrier électronique au greffier pour qu'il nous les transmette.
    Marie-Claude a formulé quelques recommandations. J'aimerais savoir si nous pourrions les avoir par écrit.
    Si vous pouviez nous les envoyer par écrit, à moins que nous ne les extrayions de...
    Je les enverrai par courrier électronique au...
    Parfait. Merci.
    Nous devons revenir pour examiner les travaux du Comité. Nous prendrons donc une pause de cinq minutes avant de nous réunir de nouveau.
    Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU