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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 005 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 mars 2016

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

     Chers collègues, la séance et ouverte. Nous avons des témoins aujourd'hui, certains dans la première heure, d'autres dans la deuxième heure.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre étude porte sur les femmes, la paix et la sécurité.
     Pour que ce soit clair, nos témoins aujourd'hui représentent CARE Canada et Oxfam Canada. Pour CARE Canada, nous avons Jacquelyn Wright, vice-présidente du Programme international, et Margaret Capelazo, conseillère de l'égalité entre les sexes pour les Programmes internationaux. Pour Oxfam Canada, nous avons Julie Delahanty, directrice générale.
    Bienvenue à toutes. Je crois que vous avez déjà comparu devant le Comité par le passé.
     Si je comprends bien, il y aura deux exposés, un de la part de chaque groupe, puis nous passerons aux questions.
    Je vous cède la parole.
    C'est vraiment un honneur d'être ici aujourd'hui. Merci énormément d'avoir invité CARE.
    CARE Canada est honoré d'avoir été invité pour contribuer aux délibérations du Comité sur les femmes, la paix et la sécurité.
    CARE est un organisme international non gouvernemental axé sur les droits. Nous appuyons l'aide humanitaire qui sauve des vies, la protection, le rétablissement et la consolidation de la paix, ainsi que l'aide au développement à long terme. L'an dernier, les projets d'aide humanitaire et d'aide au développement de CARE ont eu des répercussions sur plus de 65 millions de gens dans 95 pays partout dans le monde. Nous continuons de répondre aux besoins des gens touchés par les conflits en Syrie, dans la région du Kurdistan, en Irak, au Yémen, au Soudan du Sud et ailleurs.
    Nos observations d'aujourd'hui sont fondées sur notre expérience de travail sur le terrain auprès des femmes et des filles touchées par un conflit. Typiquement, les femmes et les filles sont décrites comme étant des victimes de la guerre plutôt que des survivantes et des intervenantes. Par exemple, il est bien établi que les inégalités entre les sexes qui existent dans une société avant un conflit sont toujours exacerbées par le conflit. On accorde peu d'attention à l'énorme contribution des femmes et des filles au chapitre de la prévention de la violence en tant qu'intervenantes lorsqu'une crise se déclare ainsi qu'au chapitre de la reconstruction et de la résilience des collectivités.
    Selon l'expérience de CARE, le travail auprès des femmes et des filles est indispensable pour que les interventions sur le plan de l'aide humanitaire et de l'aide au développement soient durables. Cela requiert des politiques et des stratégies où les femmes sont perçues comme des agentes plutôt que comme des bénéficiaires.
    Faire participer les femmes aux décisions clés concernant la conception et la gestion d'un camp de réfugiés, notamment où aménager les latrines, peut aider à réduire la violence fondée sur le sexe. Faire participer les femmes aux projets de secours humanitaires et d'aide au développement cultive leur capacité à participer à la prise de décisions et fait en sorte que la perspective des femmes fasse partie du programme de gouvernance locale. Les femmes syriennes, par exemple, font preuve d'une force et d'une énergie inimaginables depuis cinq ans de conflit et de déplacements. Une famille sur huit en Syrie et un ménage syrien sur trois dans les pays avoisinants ont maintenant pour chef une femme.
    Alors même que les femmes assument de plus en plus de responsabilités en tant que génératrices de revenu et que décideuses, la violence familiale s'accroît. Partout dans la région, les adolescentes sont forcées de se marier afin de réduire les dépenses de leur famille. Dans les situations de détresse économique extrême, des cas d'adolescentes s'adonnant à des activités sexuelles pour assurer leur survie ont également été rapportés.
     La guerre et le déplacement des populations engendrent un changement fondamental des rôles et des responsabilités propres à chacun des sexes. Toutefois, les femmes peuvent transformer la société dans laquelle elles vivent. Les femmes syriennes appuient la livraison des denrées, la promotion de l'hygiène, la gestion de l'eau, la santé communautaire et de nombreuses autres activités d'aide humanitaire. Elles font également campagne pour avoir voix au chapitre dans le rétablissement de la paix.
    Dans l'Afghanistan de l'après-talibans, CARE oeuvre auprès de 9 000 veuves par l'entremise de groupes de solidarité. Ces groupes aident les femmes à bâtir une voix collective et à faire connaître leurs besoins, à défendre leurs droits et leurs aspirations. Certaines revendiquent leurs droits territoriaux auprès de chefs de guerre. D'autres interviennent pour arrêter des mariages forcés dans leur collectivité. Tels sont les changements sur le terrain que le programme femmes, paix et sécurité vise à inspirer.
    Les preuves sont claires: la participation des femmes à l'élaboration et à l'application des politiques et des programmes en situation de conflit contribue à réduire la violence et à prévenir les conflits, à atteindre et à maintenir la paix, à améliorer l'efficacité de l'aide humanitaire et du rétablissement, et à protéger les femmes et les filles de la violence fondée sur le sexe.
     Beaucoup a été accompli dans les 15 années qui ont suivi l'adoption de la résolution 1325. Des milliers de femmes utilisent le programme femmes, paix et sécurité pour mobiliser l'action politique et les ressources à l'appui de leurs droits et de leur participation aux efforts de paix et de sécurité. Une quantité énorme d'énoncés de politique et de rapports ont été publiés sur le programme femmes, paix et sécurité.
    Cependant, l'esprit original et novateur de la résolution 1325 se perd souvent dans le processus. La participation des femmes aux discussions à savoir comment réagir aux crises et reconstruire des collectivités demeure inconstante et souvent symbolique.
    Cela dit, il existe de nombreuses mesures pratiques que le Canada peut prendre pour traduire le programme femmes, paix et sécurité en résultats pour les femmes sur le terrain. CARE Canada offre trois recommandations.

  (1535)  

    Premièrement, le gouvernement du Canada devrait songer à nommer un responsable de haut niveau en matière de politique étrangère sensible à la sexospécificité. Dans son rapport de septembre 2015 sur les femmes, la paix et la sécurité, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, souligne que l'efficacité des plans d'action nationaux repose sur un leadership solide et une coordination efficace. Le rapport d'étape de 2013-2014 sur le plan d'action national du Canada conclut sensiblement la même chose. D'autres pays, tels que l'Australie et la Suède, ont créé des postes d'ambassadeurs des droits et de l'égalité des sexes dans le monde.
    Un responsable canadien respecté et en vue pourrait avoir le mandat suivant: coordonner et surveiller la mise en oeuvre du plan d'action national du Canada sur les femmes, la paix et la sécurité dans l'ensemble des ministères; veiller à ce que les femmes soient au coeur des efforts diplomatiques, de consolidation de la paix et d'aide au développement du Canada; gérer les liens avec des processus clés, tels que le programme de 2030 pour le développement durable; et défendre les droits de la personne des femmes et des filles.
    La deuxième recommandation est que le gouvernement devrait lancer un plan d'action national avant-gardiste de deuxième génération sur les femmes, la paix et la sécurité. Le plan devrait avoir le statut de directive stratégique, être soutenu par un fonds dédié et flexible, être fondé sur des indicateurs axés sur les résultats, comporter des objectifs concrets ainsi qu'un échéancier, et être appuyé par une surveillance et une évaluation rigoureuses.
    Les rapports sur la mise en oeuvre du programme femmes, paix et sécurité réclament constamment l'inclusion de ces éléments dans les plans d'action nationaux. Un financement adéquat pour les organismes de la société civile oeuvrant auprès des femmes est essentiel pour bâtir les capacités locales de participation à la prise de décisions et d'intervention en cas d'urgence.
    Par exemple, le secrétaire général s'est engagé à ce que le système des Nations unies consacre au moins 15 % des fonds destinés aux régions touchées par un conflit à des initiatives dont le principal objectif est l'égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes. Entre-temps, des données non regroupées sur le sexe, l'âge et la diversité sont essentielles pour concevoir des programmes de qualité ainsi que pour favoriser la reddition de comptes à l'égard des investissements, des résultats et des incidences.
    La troisième recommandation est que le gouvernement devrait diriger les efforts au prochain Sommet mondial de l'aide humanitaire en vue d'intégrer de manière plus significative les groupes de femmes locaux dans une architecture mondiale d'aide humanitaire réformée. Le Sommet mondial de l'aide humanitaire, qui se tiendra à Istanbul en mai, a été conçu comme moyen d'établir de nouvelles façons de relever les défis mondiaux en matière d'aide humanitaire. Une attention particulière portée aux femmes et aux filles lors du sommet offre l'occasion de revitaliser le programme femmes, paix et sécurité.
    Le Canada peut diriger ces efforts en se faisant le champion des efforts en vue de donner un certain pouvoir aux groupes de femmes locaux et de veiller à ce qu'ils participent aux mesures d'urgence, aux évaluations des besoins d'aide humanitaire, à la conception des programmes, à l'assurance de la qualité et à la reddition de comptes. Les parlementaires canadiens peuvent aider à préparer la voie en défendant les droits et la représentation des femmes et des filles, en tant qu'intervenants humanitaires et stratégiques à part entière, en participant aux processus stratégiques ou en faisant pression auprès de leurs pendants parlementaires et d'institutions ailleurs dans le monde.
    Un conflit est toujours dévastateur pour les particuliers, les familles et les collectivités qu'il touche, et en particulier pour les femmes et les filles. Toutefois, lorsqu'elles sont intégrées efficacement dans notre réponse humanitaire, les femmes peuvent conquérir une nouvelle place au sein de leur famille, de leur collectivité et de leur nation, une place qui auparavant était hors de leur portée. CARE est sans cesse témoin de la manière dont les femmes en situation désespérée se découvrent de nouvelles forces et de nouvelles capacités, acquièrent un nouveau degré de conscience et de compétences et obtiennent le pouvoir de prise de décisions au sein de leur ménage, de leur collectivité et de leur pays.
    Le Canada est depuis longtemps un chef de fille à l'égard des femmes, de la paix et de la sécurité. À l'approche de la date prévue du renouvellement de notre plan d'action national, et alors qu'une nouvelle attention internationale est portée aux solutions durables aux problèmes mondiaux les plus pressants, le Canada a l'occasion de revigorer sa promesse d'aider à faire en sorte que les femmes et les filles participent de manière significative à l'élaboration et à la mise en oeuvre de réponses aux multiples crises prolongées qui sévissent dans le monde à l'heure actuelle, et de veiller à ce que les politiques et programmes futurs tiennent compte de la voix et des aspirations des femmes.

  (1540)  

    J'aimerais citer une Syrienne qui a récemment dit à un chercheur de CARE: « Si j'en avais le pouvoir, premièrement, je mettrais un terme à la mort qui nous entoure. Puis, je penserais à comment compenser pour toute l'affection qu'il manque à nos enfants. Si j'avais la liberté de choisir, je choisirais pour mon époux d'abord, puis pour moi-même, un emploi qui puisse assurer la stabilité de notre famille. Je souhaite participer à la prise de décisions dans notre société. Je souhaite apprendre l'anglais, puis me rendre à Damas et me joindre à la faculté de langue anglaise. »
    Telles sont les aspirations que le programme femmes, paix et sécurité cherche à mettre en pratique.
    Merci.
    Merci.
    Julie, je crois que vous êtes la prochaine.
    Merci, monsieur le président. Bon après-midi.
    Compte tenu de l'accent que met Oxfam sur les droits des femmes, nous sommes particulièrement ravis d'être ici. Merci de nous en donner l'occasion. Nous félicitons le Comité d'avoir entrepris cette étude, qui arrive à point, des résolutions du Canada sur les femmes, la paix et la sécurité.
    Oxfam est une confédération internationale oeuvrant dans 90 pays pour appuyer le développement à long terme, l'aide humanitaire ainsi que les appels à l'action et les campagnes en vue de remédier aux causes premières de la pauvreté et de la vulnérabilité. Dans tout ce que nous faisons, la justice entre les sexes et les droits des femmes occupent une place centrale.
    Oxfam participe à des programmes et à des projets partout dans le monde qui appuient les objectifs relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité. Pour nommer quelques exemples, le programme des jeunes agentes de consolidation de la paix en Colombie réunit de jeunes femmes pour discuter et échanger leurs expériences. Ensemble, elles élaborent une stratégie nationale pour créer une culture de paix en Colombie et présenter leurs idées au gouvernement. Au Myanmar, Oxfam appuie le réseau d'initiative des femmes pour la paix, qui réunit les organismes oeuvrant auprès des femmes de divers groupes ethniques pour soutenir la participation des femmes aux processus de paix. En Afghanistan, notre projet forme à la fois des hommes et des femmes sur l'importance de la participation des femmes dans la société et sur des moyens pour les femmes d'accéder au système de justice officiel.
    L'automne dernier, la communauté mondiale a célébré le 15e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies. L'une des conclusions accablantes de ces discussions était que les progrès sur le terrain sont décevants. Il est clair que les engagements tardent à être mis en oeuvre.
    Comment le Canada peut-il jouer un rôle de chef de file à l'égard des femmes, de la paix et de la sécurité? Oxfam a déterminé six secteurs d'intervention universels. Dans chacun de ces secteurs, je recommanderai des priorités et des mesures à prendre pour le Canada.
    Premièrement, nous soulignons l'importance de l'appui international pour le leadership et la participation significative des femmes dans tous les processus de paix, dans les secteurs de la sécurité et du système de justice, ainsi que dans la reconstruction après un conflit. De plus en plus d'études montrent que lorsque les femmes participent aux processus de paix, les chances de réussite sont accrues. Pourtant, ces processus continuent d'être fermés aux femmes et aux organismes oeuvrant auprès des femmes. Ces dernières années, seulement 4 % des signataires, 2,4 % des médiateurs en chef, 3,7 % des témoins et neuf négociateurs étaient des femmes. Au Canada, nous pourrions mobiliser l'appui diplomatique pour veiller à ce que les organismes oeuvrant auprès des femmes participent de manière significative aux pourparlers de paix concernant la Syrie, par exemple, ainsi qu'à tous les autres processus de paix. Le Canada pourrait également offrir du soutien et de la formation à ces organismes pour qu'ils puissent accroître leur efficacité.
    Le deuxième secteur auquel il faut porter attention est un financement accru de la part des donateurs et des gouvernements pour mettre en oeuvre le programme femmes, paix et sécurité. Selon les Nations unies, malgré les discours abondants à l'appui des femmes, de la paix et de la sécurité, le financement des programmes et des processus demeure atrocement faible dans tous les secteurs du programme. Il s'agit là d'une dimension clé du leadership, alors j'ai plusieurs recommandations.
    Premièrement, augmenter le pourcentage de notre aide au développement en contexte de crise et de notre aide humanitaire qui est consacré à répondre aux besoins des femmes et qui cible l'égalité entre les sexes comme premier objectif principal. Les Nations unies ont adopté un objectif précis pour ce genre de dépense. Leur but, comme l'a dit Jacquie, est que 15 % des initiatives de consolidation de la paix aient pour principal objectif les droits des femmes et l'égalité entre les sexes. À l'heure actuelle, les rapports sur le plan d'action du Canada pour la mise en oeuvre du programme femmes, paix et sécurité ne fournissent pas cette statistique, alors nous ne pouvons même pas savoir dans quoi le Canada investit et si ce montant a augmenté ou diminué à la suite de la mise en oeuvre du plan d'action.
    Deuxièmement, nous devons fournir un financement de base pluriannuel et des subventions de taille aux organismes oeuvrant auprès des femmes. Nous devons nous assurer que la prochaine édition du plan d'action national est accompagnée de toutes les ressources nécessaires, d'un budget clair et des ressources humaines voulues. Notre plan actuel n'a pas de budget qui lui est dédié.
    Notre troisième secteur est la prévention et l'intervention plus efficaces en ce qui a trait à la violence fondée sur le sexe en situation de crise. Mondialement, cela englobe la lutte contre les causes sociopolitiques de la violence fondée sur le sexe, un appui accru pour une réforme du secteur de la sécurité sensible à la sexospécificité, la mise en oeuvre du Traité sur le commerce des armes, et des stratégies adaptées en fonction du sexe pour la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme.
    Ces dernières années, le Canada a dénoncé, au G8 ainsi qu'à d'autres tribunes internationales, la violence fondée sur le sexe dans les conflits. Nous nous réjouissons du financement de diverses initiatives, notamment l'appui au Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles en conflit. Toutefois, nous croyons que les investissements du Canada dans ce secteur donneraient de meilleurs résultats avec une stratégie claire et des investissements plus importants dans les organismes communautaires oeuvrant auprès des femmes.
    Un point décevant pour de nombreuses organisations internationales est que le Canada n'a pas financé l'éventail complet de services de santé sexuelle et reproductive, y compris ceux liés à la grossesse pendant un conflit. Nous sommes encouragés que les lettres de mandat des ministres pertinents incluent l'orientation pour une position progressive à l'égard des droits et de la santé sexuelle et reproductive.

  (1545)  

    Le quatrième secteur a trait à l'importance d'aborder efficacement les besoins, les droits et les rôles des femmes dans les interventions humanitaires. Oxfam travaille depuis plusieurs années à l'amélioration du profil et du rôle des organisations de femmes dans l'intervention humanitaire. Nous sommes déterminés à promouvoir l'égalité entre les sexes et les droits des femmes dans notre intervention humanitaire en consultant les femmes, en veillant à ce que nos programmes soient sécuritaires et en travaillant avec les organisations de femmes dès le début de la crise pour veiller à ce que les différents besoins des hommes et des femmes soient compris et à y répondre de manière équitable.
    Par exemple, nous travaillons avec les femmes pour orienter la conception des programmes, pour veiller à ce que les points d'eau soient facilement accessibles, à ce que les latrines communautaires soient séparées et puissent être verrouillées et à ce que les installations de bain et les buanderies soient privées. Les messages sur l'hygiène à l'intention des hommes et des femmes, des garçons et des filles, doivent aussi être différents. Oxfam tente de veiller à ce que les trousses d'hygiène ou de dignité contiennent des serviettes hygiéniques de sorte que les femmes puissent gérer leurs menstruations dans le confort et la dignité.
    Notre personnel a également coécrit les nouvelles lignes directrices sur l'intégration des interventions relatives à la violence fondée sur le sexe dans l'intervention humanitaire, dont le lancement au Canada a eu lieu récemment. Pour mieux traiter des besoins, droits et rôles des femmes dans les interventions humanitaires, le Canada pourrait prendre des mesures concrètes et précises pour accroître la participation des femmes dans les programmes d'aide humanitaire, de protection et de rétablissement. Nous pourrions accroître la capacité des gouvernements partenaires à traiter de l'égalité entre les sexes et de la violence fondée sur le sexe dans les stratégies et programmes de réduction des risques de catastrophe nationale, exiger la production de données ventilées sur l'âge et le sexe dans toutes les initiatives d'intervention d'urgence et financer la formation relative aux lignes directrices sur la violence fondée sur le sexe.
    Le cinquième secteur vise une meilleure attention internationale à l'égard de la prévention des conflits et de l'éradication des causes profondes des conflits. Il s'agit d'un secteur où le plan d'action national était particulièrement faible. Un des points importants du programme sur les femmes, la paix et la sécurité est que le renforcement du leadership des femmes est un levier essentiel pour bâtir des sociétés durables et pacifiques.
    En ce qui a trait aux priorités du Canada, cela signifie de mettre l'accent, dans le plan d'action national révisé, sur la prévention des conflits et sur le rôle des activistes et des organisations de défense des droits des femmes dans la prévention des conflits, d'accroître le soutien offert aux organisations de défense des droits des femmes qui travaillent à la consolidation de la paix et de veiller à ce que tous les efforts de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent tiennent compte de la perspective du programme.
    Le sixième et dernier secteur a trait à la mise en oeuvre efficace des engagements relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité par les Nations unies et les États membres, et à la responsabilisation connexe. Pour faire le pont entre le discours et la pratique, il faut accroître la surveillance et la responsabilisation. Le plan d'action national du Canada présente certaines caractéristiques positives. Il s'agit du premier plan d'action national à présenter des indicateurs et à attribuer des responsabilités à certaines mesures précises, mais nous pourrions créer de nouveaux plans d'action de deuxième génération améliorés.
    Premièrement, notre plan d'action doit comporter des priorités ambitieuses qui reposent sur une perspective fondée sur les droits. Le plan d'action national canadien doit décrire la façon dont le Canada abordera les cinq enjeux dont j'ai parlé.
    Deuxièmement, selon un examen semestriel indépendant, le plan ne semble pas avoir une incidence importante sur l'orientation politique générale du Canada en ce qui a trait aux États touchés par les conflits ou fragiles. C'est une grande faiblesse et il faut déployer des efforts pour améliorer le profil du plan, notamment par l'entremise du Sommet humanitaire mondial.
    Comme je l'ai dit plus tôt, il faut un budget consacré, qui comprend des ressources pluriannuelles importantes pour les organisations de défense des droits des femmes. Nous devons mettre l'accent sur les résultats. Les rapports actuels sur le plan d'action national canadien se centrent sur la présentation des activités et on fait peu d'efforts pour comprendre si ces activités entraînent les changements nécessaires sur le terrain.
    Enfin, il faut améliorer la production de rapports. Les rapports d'étape sur le plan d'action national sont toujours présentés en retard, ce qui soulève des questions quant à la priorité que le gouvernement accorde au plan. Bien que les rapports d'étape contiennent une foule de détails, ils ne dressent pas un portrait clair des progrès réalisés, des défis rencontrés et des leçons tirées.
    En conclusion, la résolution 2122 du Conseil de sécurité des Nations unies indique que les États membres s'inquiètent grandement des lacunes persistantes en ce qui a trait à la mise en oeuvre du programme sur les femmes, la paix et la sécurité. Il est temps de passer des préoccupations à l'action. Le Canada joue un rôle, mais ce n'est pas un rôle de leader mondial. Ce rôle ne correspond pas à nos engagements nationaux et internationaux relatifs à l'égalité entre les sexes et aux droits des femmes. Notre discours n'est pas appuyé par des ressources suffisantes ni par des dépenses en capital diplomatique. Nous avons l'occasion de changer les choses. Nous exhortons le Comité de recommander un programme audacieux et ambitieux pour le Canada, un programme appuyé par des ressources, qui place les femmes au coeur du processus de consolidation de la paix.

  (1550)  

    Merci.
    Je remercie les représentantes de CARE Canada et d'Oxfam Canada. Vous avez présenté d'excellents exposés.
    Chers collègues, nous disposons d'environ 40 minutes. Nous allons tout de suite passer aux questions et nous commençons par le Parti libéral.
    Peter, vous avez la parole.
    Nous tenons tous à vous remercier de votre présence ici aujourd'hui. Nous sommes très heureux d'entendre les spécialistes du domaine.
    J'ai une question sur le microcrédit, l'octroi de petits prêts, surtout aux femmes des pays comme le Bangladesh, dont parlent les spécialistes en matière de développement et certaines organisations comme Oxfam, qui en a parlé de façon positive par le passé. Je ne sais pas si c'est le cas pour CARE Canada, mais vous faites un signe de tête, alors cela doit vouloir dire oui.
    Ma question ne porte pas seulement sur l'expérience au Bangladesh, mais va au-delà de cela. De façon particulière, je me questionne sur la valeur du microcrédit dans un contexte d'après-conflit. L'idée est d'accorder de petits prêts aux femmes pour qu'elles démarrent leur propre entreprise. Elles n'ont pas accès aux garanties qui leur permettent d'obtenir un prêt de la banque. Les banques ne font pas de prêt dans ce genre de situation où la pauvreté est un enjeu. Je n'ai pas besoin de m'étendre sur ce sujet; vous le connaissez bien.
    À votre avis, quels sont les avantages du microcrédit dans un contexte d'après-conflit? Ma question s'adresse à vous toutes.
    Merci de poser la question.
    Le microcrédit a de multiples utilités. Il présente aussi des limites, je crois. Ce n'est certainement pas une solution magique. Il doit être associé à un programme plus vaste sur la violence contre les femmes. Il faut voir qui contrôle l'argent. Il y a beaucoup d'enjeux associés à cela.
    Dans le contexte de l'après-conflit et le contexte humanitaire en général, le microcrédit peut être utile. Nous offrons un programme dans un camp de réfugiés de l'Ouganda. Il permet aux femmes de fabriquer des serviettes hygiéniques, qui font partie des trousses offertes à la collectivité. On atteint donc deux objectifs.
    C'est très utile lorsque le microcrédit aide les femmes à trouver des façons d'avoir un revenu et aide en même temps la collectivité, et lorsque les programmes sont associés à d'autres plus vastes comme les programmes axés sur le sexe ou sur les droits des femmes. C'est aussi bon de voir les organisations de défense des droits des femmes offrir ces programmes.
    Ma collègue va répondre à la question.

  (1555)  

    Oui, je vais ajouter quelque chose. Dans le contexte du secours et du rétablissement, comment peut-on atteindre le pouvoir législatif, le ministère de la Justice et les services de santé pour obtenir justice dans les cas de violence fondée sur le sexe? Il faut prendre l'autobus. Comment peut-on obtenir de l'argent pour prendre l'autobus? On se joint à une organisation qui offre le microcrédit.
    Qu'arrive-t-il lorsque le pourvoyeur de la famille est absent ou est décédé? Qu'arrive-t-il si vous êtes veuve de guerre ou si vous avez participé à un quelconque effort de guerre et que vous êtes maintenant ostracisée par votre collectivité? Tout le soutien de la collectivité a disparu. Comment allez-vous gagner votre vie? En vous joignant à une organisation de microcrédit.
    Je ne dirais pas qu'il s'agit de la première solution, en ce qui concerne la justice. Comme nous l'avons dit dans nos exposés, il est tout aussi efficace, sinon plus, d'inclure les femmes dans les efforts locaux de consolidation de la paix, dans les efforts de gouvernance locaux en matière de développement communautaire ou dans les organismes de gouvernance des villages. Mais, en plus de cela, il est très efficace d'avoir les moyens économiques de se rétablir, pour les enfants également.
    C'est un très bon point. Je ne pensais pas qu'il s'agissait d'une solution miracle, non pas que je suggère que vous pensiez que je le croyais. C'est une question de prise en charge, n'est-ce pas? C'est pour donner une voix aux femmes. Vous avez cité d'excellents exemples. J'ai hâte d'examiner la situation en Ouganda de plus près.
    Pour le temps qu'il me reste, Julie, vous avez récemment écrit un article pour The Huffington Post sur le virus Zika, mais de nombreuses questions se chevauchent ici. Dans votre article, vous dites qu'en cas de crise, les femmes sont les plus durement touchées, qu'elles sont les plus pauvres et qu'elles souffrent des inégalités.
    Vous parlez du virus Zika en faisant référence au Brésil puis vous faites un lien entre la pauvreté, les changements climatiques et la maladie et vous décrivez la façon dont les femmes les plus pauvres sont touchées par le virus Zika. Ce n'est pas seulement parce qu'on parle du virus Zika dans les médias, mais je crois que cela renvoie à un enjeu beaucoup plus vaste, soit le lien entre la pauvreté, les changements climatiques et les problèmes de santé.
    Pouvez-vous développer cette idée? Vous pouvez nous parler de l'article si vous le souhaitez ou répondre comme vous le voulez.
    Je ne m'attendais pas à parler du virus Zika ici aujourd'hui, mais c'est très bien.
    Quelle que soit la crise... Je crois qu'au moment où j'ai écrit l'article, c'était parce qu'on ne parlait pas clairement du vrai problème avec le virus Zika, de l'élément manquant: les hommes. Tout le monde parlait des femmes. On disait que les femmes ne devaient pas tomber enceintes, on leur disait de ne pas tomber enceintes.
    L'absurdité de ces commentaires était plutôt évidente pour nombre d'entre nous, surtout pour ceux qui travaillent dans le domaine et qui savent que les femmes ont difficilement accès aux services en matière de santé sexuelle et génésique, qu'elles n'ont aucun pouvoir de négociation dans les relations sexuelles avec leur partenaire. C'était l'idée qu'on pouvait dire aux femmes de ne pas tomber enceintes. C'est ce qu'elles auraient fait si elles avaient pu.
    En ce qui a trait au virus Zika en général, les femmes vivent dans les circonstances les plus pauvres. Elles sont plus vulnérables aux piqûres de moustiques, plus susceptibles d'être en mauvaise santé et tout cela.
    Pouvez-vous nous parler de la planification familiale? Lorsque la population générale ou même les politiciens, malheureusement, voient une éclosion d'un virus comme le virus Zika, ils pensent que c'est tout simplement ce qui se passe là-bas. Dans votre article, vous parlez d'enjeux systémiques importants, des questions d'inégalité, et vous parlez de planification familiale. Pourriez-vous donner plus de détails à ce sujet et faire le lien avec le virus Zika ou d'autres enjeux? Nous pourrions parler de nombreux enjeux.
    Ce n'est pas seulement le virus Zika. C'est un enjeu dans de nombreux contextes, mais surtout dans le contexte humanitaire, lorsque les organisations humanitaires arrivent quelque part et se concentrent sur l'eau, l'hygiène, les latrines, les abris et la nourriture. Toutefois, les femmes continuent de tomber enceintes, même lorsqu'il y a une crise, un tremblement de terre ou un conflit. Les femmes ont leurs menstruations et tombent enceintes. Elles doivent avoir accès à des services qui répondront à leurs besoins.

  (1600)  

    D'où le besoin de politiques de planification familiale et de politiques de développement efficaces.
    Merci beaucoup.
    Merci. Nous passons maintenant au Parti conservateur.
    Peter, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, vous et vos organisations, pour l'excellent travail que vous faites depuis des décennies. Dans mon ancienne vie de journaliste, j'ai souvent eu l'occasion de voir vos organisations, et d'autres, offrir des services humanitaires dans des situations très dangereuses, que ce soit après une catastrophe naturelle  — en Haïti et en Éthiopie — ou dans les zones de conflit.
    Je veux parler du point soulevé par Mme Wright au sujet des conséquences dévastatrices des tragédies naturelles ou produites par l'homme sur les victimes, mais aussi dans le contexte... Cela renvoie à vos commentaires sur les lacunes désignées dans la résolution 1325 ou dans la plus récente, au sujet des femmes, de la paix et de la sécurité. Qu'en est-il des personnes qui offrent l'aide pour vous et des plus grands risques qu'elles courent aujourd'hui, dans les conflits non conventionnels où les parties ne négocient pas? Il n'y a pas de gagnant ni de perdant. Nous sommes confrontés à ce phénomène par lequel une force luttera jusqu'à l'auto-destruction si nécessaire. Est-ce que le financement accru et l'amélioration des plans d'action vous aideront à offrir l'aide aux bénéficiaires de façon plus sécuritaire?
    Julie a parlé à quelques reprises des organisations et groupes locaux de femmes et de leur rôle dans la prévention des conflits, dans l'intervention humanitaire, etc. Nous sommes loin de l'époque où un groupe d'expatriés internationaux débarquait dans une collectivité pour livrer de l'eau et de la nourriture. C'est beaucoup plus sophistiqué que cela. Nous travaillons en étroite collaboration avec les organisations de femmes et d'autres organisations de la société civile locales. Le renforcement de leur capacité, leur prise en charge, leur accès au processus décisionnel et leur contribution à la conception de l'intervention humanitaire sont des éléments clés.
    En ce qui a trait au personnel de soin, qu'il soit local ou étranger, surtout dans les situations de conflits, nous devons nous rabattre sur les lois et principes internationaux en matière d'aide humanitaire. Je le répète, il faut que les femmes soient entendues et elles ne le sont pas à l'heure actuelle. C'est tout le contraire, en fait.
    On ne peut pas protéger les personnes touchées ou les travailleurs qui les aident en l'absence de principes humanitaires.
    J'ajouterai deux choses.
    D'abord, la connaissance des organisations locales au sujet des risques. Elles connaissent beaucoup mieux les risques sur le terrain et peuvent donc mieux les gérer lorsque nous appuyons les organisations locales plutôt que d'appliquer une politique de retrait où les acteurs humanitaires arrivent et tassent les organisations locales.
    Je crois que c'est un thème depuis quelques années: reconnaître l'importance des organisations locales et la façon dont elles travaillent.
    Ensuite  — et j'en ai parlé brièvement dans mes commentaires —, j'aimerais parler du traité sur le commerce des armes, de l'importance de le signer et de le mettre en oeuvre. Il offrirait une plus grande sécurité aux gens, surtout aux femmes, parce que ces armes de petit calibre sont utilisées dans les cas de violence fondée sur le sexe.
    Monsieur Clement, vous avez la parole.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de participer à cette discussion. Je vous remercie également de votre présence et de vos observations.
    Je me questionne sur l'incidence de la corruption dans certains des pays où vous êtes actifs. Cet enjeu a certainement une incidence directe sur la sécurité et le développement des femmes. Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez vu, de la meilleure façon de s'attaquer à ce problème, de la façon d'offrir l'aide et les pratiques exemplaires, ce genre de choses?

  (1605)  

    Je suis certaine que je vais penser à d'autres exemples plus tard, mais je crois que tout le monde reconnaît le besoin d'améliorer la gestion des finances publiques en ce qui a trait à la gouvernance générale des pays. Les revenus générés par l'augmentation de l'imposition de base devraient servir à l'amélioration des services publics gratuits offerts aux femmes, comme les soins à l'enfant, pour promouvoir l'égalité. La corruption est particulièrement importante dans les pays aux prises avec de grandes inégalités. Je crois que ces pays ont besoin de ce genre de gouvernance et de veiller à ce que les revenus soient réinvestis aux bonnes places, par l'entremise de la défense des intérêts et du soutien aux organisations de la société civile pour qu'elles disent aux gouvernements de quoi elles ont besoin, notamment des organisations de défense des droits des femmes.
    J'ajouterais que le travail avec les organisations locales se veut un partenariat. Dans un partenariat, on crée un lien de confiance et on apprend à se connaître. La sécurité passe aussi par la confiance. Souvent, la corruption existe à cause d'un manque de confiance; les gens contournent le système. C'est souvent moins risqué lorsqu'on établit ce genre de relation. Je ne parle pas d'une relation de sous-traitance, mais bien d'un réel partenariat.
    J'ajouterais simplement qu'une récente étude de Chatham House pour le Department for International Development montrait une corrélation entre la participation des femmes à la gouvernance à l'échelon national ou à d'autres échelons et la diminution de la corruption.
    Je ne me souviens pas des chiffres, mais une des raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd'hui et nous insistons sur l'importance d'inclure les femmes dans les négociations de paix et la gouvernance, c'est que dans le cadre de notre travail, nous observons non seulement une amélioration de la sécurité dans les pays, mais aussi une intervention et un rétablissement plus rapides lorsque les femmes sont mises à contribution.
    Merci.
    La parole est maintenant à M. Aubin.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Merci d'être avec nous cet après-midi et merci de votre expertise. Votre présentation contenait des éléments très précis qui nous aideront dans notre réflexion et nos travaux.
    Jusqu'à maintenant, j'ai l'impression qu'on parle de cette situation de façon un peu intellectuelle. Je n'ai jamais été sur le terrain, mais vous, vous êtes nos yeux sur place. Pourriez-vous nous décrire, en donnant un exemple, comment le Canada, par sa diplomatie ou par un programme assurant un financement stable, prévisible et récurrent, pourrait vous aider à mener vos travaux?
    On reconnaît que les femmes sont toujours les premières victimes. Concrètement, sur le terrain, comment pourrait-on passer d'actions visant la protection des femmes à des actions qui leur donneraient un statut d'intervenantes importantes dans une ère de changement, particulièrement dans les pays en situation de crise? Malheureusement, les situations de crise durent de plus en plus longtemps. J'aimerais que vous nous fassiez vivre, pendant quelques minutes, ce qui se passe sur le terrain.

[Traduction]

    Je crois que pour cela, il faut comprendre les causes profondes des inégalités ou savoir où elles se passent.
    Je reviens tout juste de la Jordanie. Ce qui m'a le plus frappée là-bas, c'est que la plupart des réfugiés se trouvent dans des zones urbaines, et nous pensons aux camps de réfugiés. Les réfugiés urbains se trouvent dans un contexte très particulier.
    Nous offrons un programme qui vise la gestion de cas, un peu comme le travail social. Les femmes et leur famille peuvent venir au centre et rencontrer un travailleur qui les aidera à déterminer leurs besoins. On parle de protection, des enfants, d'éducation. Nous leur offrons une aide financière, des références, etc.
    Lorsqu'on parle à ces femmes, on comprend les répercussions. Le rôle des femmes change. Les hommes ne peuvent pas travailler et se retrouvent maintenant à la maison avec les enfants. Les femmes ont un meilleur accès au système de travail informel parce qu'elles peuvent faire la cuisine ou faire le ménage dans les maisons. Soudainement, l'homme se retrouve à la maison à s'occuper des enfants, ce qui est différent pour eux, et cela crée des tensions dans la famille.
    J'ai parlé à une femme qui venait de se marier et qui était enceinte. Elle subissait de la violence physique et elle avait décidé de quitter son mari, de demander le divorce. Pour recevoir de l'aide en tant que réfugié, il faut s'inscrire par l'entremise du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et obtenir une carte. Le système de l'ONU est tel que l'inscription était faite au nom de son mari, ce qui signifiait qu'elle n'aurait plus accès aux services une fois qu'elle aurait obtenu le divorce, parce qu'elle n'avait pas sa propre carte. Elle ne pouvait pas s'inscrire elle-même avant d'avoir les documents de la Cour prouvant le divorce.
    C'est un exemple de ce que l'on voit sur le terrain.
    Il y a la question de l'argent. Vous obtenez un transfert d'argent. À quoi vous sert-il? Il est à espérer qu'il servira à payer l'essentiel, comme un abri. Lorsqu'on vit dans une zone urbaine, il faut payer le loyer, et on ne parle pas des plus belles maisons. Ce sont souvent des maisons sur lesquelles on ne fait qu'ajouter quelque chose, un toit en tôle, par exemple. Or, lorsqu'il y a une urgence médicale, on doit utiliser l'argent du loyer pour aller à l'hôpital.
    Ce sont souvent les femmes qui portent ce fardeau et c'est une situation complexe. Si nous ne reconnaissons pas leurs besoins et ne pensons pas les programmes en conséquence, nous discriminons les femmes et elles auront encore plus de difficulté.
    Je crois que ce sont là des exemples pratiques.

  (1610)  

[Français]

     Merci.
    Je vous remercie de cette question.
    Je vais y répondre en anglais.

[Traduction]

    À titre d'exemple, il y a souvent des comités de femmes dans les camps. Nous travaillons à réunir les femmes pour qu'elles forment de tels comités, qui leur permettent d'aborder toutes sortes de sujets.
    Ces comités existent au Congo. Les femmes se réunissent et parlent des structures qui les empêchent d'avoir accès à toutes sortes de choses. Elles peuvent parler de violence fondée sur le sexe. Elles peuvent même signaler les cas de violence. Comme je le disais dans une réunion l'autre jour, elles sont dans un contexte où il n'y a pas de thérapeutes pour les aider et les conseiller lorsqu'elles ont été victimes de violence fondée sur le sexe. Elles n'ont pas accès aux antidépresseurs. Elles n'ont que leurs soeurs et leurs réunions, et c'est parfois ce dont elles ont besoin. Ces programmes changent les choses sur le terrain. Ils sont importants.
    Voilà quelques exemples. En règle générale, les organisations de défense des droits des femmes, lorsque...
    Une autre étude a montré pourquoi il y avait une diminution de la violence dans certains pays. Le plus important indicateur de la diminution de la violence fondée sur le sexe n'est pas la loi. Ce ne sont pas les services de police ni la sécurité. C'est la présence d'un solide mouvement de défense des droits des femmes au pays. L'appui à ces organisations permet d'améliorer la situation.
    Je crois que la chose la plus importante, c'est de parler aux femmes, ce qui n'est souvent pas fait. Comme je l'ai dit plus tôt, pour savoir où se trouvent leurs toilettes ou de quoi elles ont besoin, il faut leur demander et on ne le fait habituellement pas. C'est assez simple.
    Il faudrait aussi mettre en oeuvre les lignes directrices qui ont été élaborées, les lignes directrices de l'ONU, pour qu'elles deviennent concrètes et pour offrir la formation. Elles ne s'adressent pas aux conseillers de l'égalité entre les sexes ni aux professionnels de la santé, mais bien aux travailleurs humanitaires moyens et à ceux qui fournissent les services. Les lignes directrices peuvent les aider à comprendre les enjeux auxquels les femmes sont confrontées.
    Il y a aussi les systèmes d'aiguillage dans les camps. Lorsque vous arrivez dans un camp, on vous dit où sont les latrines, que la nourriture est livrée le mardi, le mercredi et le jeudi à telle ou telle heure, etc. On pense à ces besoins de base, mais on ne parle souvent pas des services de santé génésique offerts ou de l'endroit où aller si l'on est victime de viol. Ce type d'aiguillage n'est pas considéré comme suffisamment fondamental pour faire partie du système d'aiguillage de base.
    Ce n'est pas vraiment difficile.

  (1615)  

    Merci.
    Nous passons maintenant au Parti libéral. Monsieur Miller, vous avez la parole.
    Je tiens d'abord à vous remercier toutes les trois d'avoir pris le temps de témoigner devant nous. Vos témoignages étaient très enrichissants et réfléchis.
    Madame Delahanty, j'aimerais revenir à vos commentaires sur les rapports d'étape du gouvernement et sur le manque de précision quant à ce qui est consacré à l'inégalité entre les sexes et aux droits des femmes. Quels sont les principaux indicateurs de progrès pour ces rapports?
    À ce sujet, quel est le chiffre que vous souhaitez obtenir du gouvernement? Vous avez parlé de 15 %, mais quel est le chiffre précis associé à cela?
    Ce 15 % de l'aide au développement du Canada est...
    Vous parlez de toute forme d'aide canadienne, 15 %.
    Eh bien c'est ce que dit l'ONU, 15 %, alors nous disons la même chose.
    C'est ce que dit l'ONU, d'accord.
    C'était ma première question. J'étais curieux de connaître le chiffre exact.
    Non, je n'ai pas de chiffre exact. Je pourrais l'obtenir. Si vous m'appelez, je pourrai vous le donner.
    Excusez-moi, quelle était la première partie de la question?
    Je vous ai demandé quels indicateurs de progrès vous souhaitiez voir dans les rapports d'étape.
    Ce serait un financement accru. Ce serait une partie des progrès sur le plan politique. À l'heure actuelle, nous n'avons qu'une série d'activités. On ne fait qu'énumérer les activités qui ont été réalisées, mais on ne parle pas des résultats qui ont été atteints.
    En tant qu'organisme de bienfaisance, lorsque nous demandons des fonds au gouvernement du Canada, nous devons expliquer dans le moindre détail les résultats que nous avons atteints. Nous aimerions voir la même chose de la part du gouvernement. Nous présentons des modèles logiques, fondés sur les résultats et tout cela, et nous aimerions voir la même chose plutôt qu'une simple liste des activités réalisées par le gouvernement.
    En fait, l'ONU a établi des indicateurs particuliers pour les plans d'action nationaux. Même si la première étape consistait à utiliser ces indicateurs dans la résolution 1325, ce serait très bien. La raison pour laquelle nous citons le 15 % à titre de chiffre magique est que dans les projets de renouvellement comme ceux-ci, c'est le chiffre qui permet d'offrir un programme efficace et durable. C'est la base de ressources nécessaire pour offrir un programme efficace et durable.
    Est-ce que je peux ajouter une chose? Ce serait aussi très pratique d'adopter une approche participative pour déterminer quels indicateurs sont jugés utiles par les femmes. Il faudrait demander aux organisations de défense des droits des femmes ce qu'elles considèrent comme une réussite et élaborer les indicateurs à partir de cela.
    D'accord.
    Monsieur Saini, vous avez la parole.
    Je tiens à vous remercier les trois d'être ici avec nous. J'apprécie vraiment vos commentaires.
    Comme je possède une formation médicale, je veux aborder la question sous un angle médical.
    Madame Delahanty, vous avez mentionné ceci durant votre intervention. En situation d'après-conflit, nous savons que le viol est parfois utilisé comme arme de guerre. Qu'est-ce que le Canada peut faire pour s'assurer que les femmes et les filles peuvent obtenir les services de santé mentale et l'aide physique dont elles ont besoin, ainsi que pour veiller à ce qu'elles puissent obtenir justice à la suite de ces conflits?
    Il a été question plus tôt d'aide financière et de procédures d’aiguillage. Ces choses existent déjà au sein des collectivités. Elles font partie de tous ces projets d'aide humanitaire et d'aide au développement... Ces initiatives sont dispersées, et les tentatives pour les regrouper ne visent pas uniquement à appuyer les organismes locaux, mais aussi à reconnaître ce qui existe déjà au sein des collectivités, ce qui est déjà en place.
    Nous avons fourni de l'aide au développement à long terme dans la plupart des pays frappés par des crises. Il semble que, lorsque nous allons dans un pays, nous oublions habituellement que nous travaillons là-bas depuis 20 ans pour assurer l'égalité entre les sexes et qu'on y trouve des ressources, des soins de santé et des organisations des droits de la femme offrant ce genre de services. C'est quelque chose que nous oublions. Ces jours-ci, nous nous efforçons de lier ces éléments pour nous assurer que ces services sont souvent offerts et que les femmes peuvent obtenir justice. Il y a des femmes qui tentent d'aider d'autres femmes à obtenir justice, ce qui est difficile même au Canada. Il s'agit d'un enjeu plus vaste dont nous pourrions parler. Je pense que la solution consiste à prévoir plus d'argent, plus de procédures d'aiguillage et à mieux lier l'aide au développement à l'aide humanitaire.

  (1620)  

    Je pense que, pour mettre en place des bons programmes humanitaires, il faut, notamment, avoir des endroits sûrs pour les femmes et les enfants où ils auront accès à des professionnels et pourront bénéficier d'un bon programme psychosocial
    Par exemple, dans le centre de gestion des cas dont j'ai parlé, les femmes ne peuvent pas discuter de leur cas avec leurs enfants à côté d'elles. Par conséquent, les enfants sont éloignés de leur mère, et ils souffrent évidemment grandement. Cependant, il y a des professionnels qui peuvent leur offrir un environnement de jeu où ils peuvent réellement s'exprimer.
    De plus, l'un des groupes vulnérables... Je sais que nous parlons des femmes, mais les jeunes adolescents de sexe masculin sont extrêmement à risque. Ils font partie de la famille, des gens que les femmes tentent de protéger. Il est vraiment important d'avoir aussi des endroits sûrs pour ces jeunes hommes afin qu'ils puissent exprimer leurs sentiments de colère et d'impuissance.
    C'est la fin du premier tour. Je veux passer au deuxième tour afin que nous puissions revenir aux libéraux. Nous allons passer aux séries de questions de cinq minutes.
    Je pense que c'est à vous, monsieur Sidhu.
    Merci beaucoup. Il y a beaucoup de connaissances et de travail acharné derrière cela.
    Pourquoi le nombre de femmes et de filles victimes est-il toujours élevé quand il y a une catastrophe naturelle? Vous avez parlé un peu de l'absence d'accès au système médical. Quelle est la raison des décès et que pouvons-nous faire pour empêcher le taux élevé de mortalité chez les femmes et les filles?
    Les études montrent que, en cas de catastrophes, les femmes sont les dernières à partir et les premières à revenir. En étant les dernières à partir, elles se mettent dans la position la plus dangereuse et, en revenant les premières, elles se retrouvent dans une situation extrêmement instable.
    Les études indiquent également que les femmes sont moins visibles que les hommes. On ne pense pas beaucoup à elles lors des opérations de recherche et de sauvetage. Vous pouvez le voir sur YouTube. Il y a des vidéos qui montrent que, dans des catastrophes comme celle au Sri Lanka et à d'autres endroits, si un hélicoptère doit choisir entre un homme assis sur un toit qui lui fait signe ou une femme faisant la même chose, il ira sauver l'homme. C'est là la raison.
    J'ajouterais qu'il y a le problème plus vaste de pauvreté et de vulnérabilité. Les personnes qui meurent le plus dans des crises humanitaires sont celles qui sont les plus pauvres et les plus vulnérables, et les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables sont des femmes. Il y a un lien direct. Si vous êtes dans un pays où il y a beaucoup d'inondations, les gens les plus riches vivront dans les collines; et les gens les plus pauvres, dans les plaines. Si vous habitez dans un pays qui a beaucoup de coulées de boue, c'est l'inverse. C'est là où se trouvent les gens les plus pauvres. Il y a des catastrophes partout dans le monde, mais c'est dans les pays pauvres qu'il y a plus de morts, et le lien est le même: les personnes les plus vulnérables et pauvres sont des femmes.
    Où sont les améliorations, d'abord? Si un hélicoptère choisit de sauver un homme au lieu d'une femme, qui prend cette décision?
    C'est une bonne question.
    J'aimerais souligner l'excellent travail de l'Université Tufts et d'un certain nombre d'autres organisations. Julie a parlé des travaux du Comité permanent interinstitutions sur l'égalité des sexes dans le domaine de l'aide humanitaire.
    Nous allons toutes les trois parler de collecte de données désagrégées sur le sexe et l'âge, parce que l'une des meilleures façons de faire avancer les choses afin que les gens soient pris en compte — les aînés, les enfants et les femmes; les trois groupes —, c'est de veiller à ce que, même au tout début d'un projet ou de la planification d'une intervention, on se demande sérieusement combien de personnes de chaque groupe sont visées. Combien d'hommes? Combien de femmes? Combien de garçons? Combien de filles?
    Certains de mes collègues dans les organisations où je donne de la formation en ont assez de m'entendre poser sans cesse ces questions. Si je les pose, c'est parce que c'est de cette façon que nous pouvons améliorer les choses: en faisant en sorte que les femmes et les aînés soient pris en compte. Des agences de l'ONU mènent la charge pour essayer de faire de cet objectif une réalité.

  (1625)  

    Pour moi, ce qui importe, ce n'est pas qui prend les décisions ou qui sauve ces quelques personnes. Ce qui importe, ce sont les inégalités structurelles, y compris les inégalités entre les sexes qui rendent les femmes vulnérables et auxquelles il faut s'attaquer de manière beaucoup plus vaste.
    Merci.
    Monsieur Clement, c'est à vous.
    Je voudrais connaître votre point de vue. Vous avez abordé, directement ou indirectement, les déterminants sociaux de la santé et leurs incidences sur la sécurité. Nous avons une initiative phare en place depuis 2010, l'Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette initiative, de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, ce genre de choses.
    En lien avec les catastrophes?
    Il est question de donner aux femmes et aux nouveau-nés une plus grande capacité de survie dans des circonstances difficiles. Dans le cadre de vos travaux, qu'avez-vous observé quant à la contribution du Canada à cet égard?
    Je vais faire le lien entre ces deux points, car il est important de réduire les risques liés aux catastrophes, y compris au moyen de la prévention sous toutes ses formes, que ce soit en donnant de la formation aux mères, en donnant accès à des installations médicales et à l'infrastucture, etc.
    Il est possible de former les femmes. Cela accroît la résilience des collectivités et permet de sauver des vies en cas de catastrophe. Dans les cas de catastrophe sanitaire, notamment, je crois que les femmes qui sont bien préparées et dont les enfants sont mieux nourris sont plus susceptibles d'être plus résilientes. Il y a un aspect médical dans le programme de santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, bien entendu, mais il y a également du travail qui se fait pour améliorer l'égalité des sexes et pour créer un environnement où les hommes favorisent la santé des femmes et des enfants. La résilience des collectivités s'en trouve réellement améliorée.
    Allez-y.
    Je crois que l'initiative sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, au départ, a beaucoup contribué à attirer l'attention sur le sujet, surtout sur les questions entourant la santé des mères, mais je dirais qu'au bout du compte l'attention n'aura pas été très soutenue. Les projecteurs ont surtout été braqués sur la santé et la nutrition des enfants, bien plus que sur la santé des mères. J'ai toujours trouvé qu'on parlait très peu des femmes dans le cadre de cette initiative. C'est un problème. Les besoins des femmes sont nombreux, et les femmes ont des droits. D'une certaine façon, en n'appuyant pas les femmes qui ont de très nombreux besoins, surtout dans les situations de crise, nous sommes allés à l'encontre du but visé.
    Nous n'avons toujours pas assez d'argent. Nous avons perdu une partie de notre financement avec le déclin de la part du budget réservé à l'aide publique au développement. Nous sommes très loin de 0,7 %. Je pense que nous devons continuer de nous battre pour cela, parce que nous pourrions faire beaucoup plus pour les femmes et les enfants si nous contribuions notre juste part.
    Le président: Monsieur Allison.
    Je remercie les représentantes des organisations pour leur présence ici aujourd'hui et pour le travail qu'elles font.
    Je reviens à ce que disait Peter. Je crois que le mocrofinancement et le microcrédit sont d'une importance capitale. Vous en avez parlé. Croyez-vous que le mocrofinancement et le microcrédit devraient faire partie de ces initiatives ou des programmes destinés aux femmes au sens large? Si le volet économique n'est pas bien réussi...
    On peut penser à toutes les difficultés extrêmes qu'on peut rencontrer. Comme l'a dit Peter, ce n'est pas une solution miracle. Cela ne peut pas tout régler, mais est-ce que c'est un un des outils économiques que nous devrions utiliser dans le cadre des programmes destinés aux femmes?

  (1630)  

    Tout à fait. Dans le cadre des programmes de CARE dans différents secteurs — alimentation, nutrition, sécurité, aide humanitaire ou santé des mères, des nouveau-nés et des enfants —, nous utilisons parfois des solutions basées sur l'épargne et le crédit pour tout un village. C'est une des pierres d'assise de nos programmes. Comme on l'a dit plus tôt, les femmes dans ces situations n'ont souvent pas accès au microcrédit. Elles n'ont rien à donner en garantie.
    Nos solutions arrivent à l'étape juste avant. On crée des groupes de femmes qui économisent de l'argent ensemble, qui se prêtent de l'argent entre elles et qui, lentement, graduellement, se bâtissent une capacité économique pour arriver à accéder au microcrédit. Cela crée aussi de la camaraderie au sein de ces groupes. Ces femmes se rendent compte qu'elles peuvent ainsi répondre à bon nombre de leurs besoins, et pas seulement à des besoins économiques. Cela devient un tremplin; elles peuvent ensuite parler aux hommes du partage des tâches ménagères ou parler de la violence basée sur le sexe, par exemple.
    C'est une véritable pierre d'assise pour toutes sortes de nos programmes. Cela nous permet de vraiment travailler avec ces groupes de femmes, de les écouter et de les aider à subvenir à leurs besoins les plus fondamentaux.
    J'ajouterais simplement que ces programmes peuvent être excellents, mais que nous ne devrions pas présumer qu'ils sont spécifiquement pour les femmes. Nous devrions demander aux femmes quels sont les besoins dans leur communauté, qu'est-ce qui est le plus important. Je dirais que le microcrédit est très utile pour ceux que nous appelons les entrepreneurs pauvres, mais pour ce qui est des plus vulnérables, les plus pauvres des pauvres, ceux qui vivent dans une extrême pauvreté, cela ne fonctionne pas nécessairement. Ces gens ont besoin de transferts de biens, pas de microcrédit.
    Quand on oeuvre auprès de ces communautés, il est très utile de savoir avec précision qui on aide.
    Chers collègues, merci infiniment.
    Comme notre heure est écoulée, je remercie les représentantes de CARE Canada et d'Oxfam Canada pour leurs excellentes présentations, qui nous seront fort utiles.
    Il y a un sujet que j'aimerais porter à votre attention. Peut-être que vous pourrez y réagir par écrit. J'aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez du fait que les femmes sont encore en grande partie exclues des processus de paix. Je serais curieux de savoir quels sont les facteurs clés pour changer cette situation.
    J'étais en train de réfléchir à voix haute, alors je vais vous poser la question: est-ce que cela signifie que le Canada n'a pas de négociatrices qui travaillent dans ce dossier, ou parliez-vous plutôt des personnes chargées des négociations dans les pays en difficultés? J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela et des façons dont le Canada pourrait contribuer à changer les choses. Nous voudrions en savoir plus à ce sujet. Évidemment, il faudrait qu'il y ait plus de femmes qui prennent part aux processus de paix. Cela fait partie de nos sujets d'étude.
    Je sais que c'est une question très vaste, mais j'aimerais beaucoup que vous nous fournissiez de l'information par écrit pour nous donner des idées sur ce que nous pouvons faire en tant que gouvernement et en tant que parlementaires.
    Invitez-les.
    Ce serait la réponse simple, en effet.
    Cela étant dit, je vous remercie beaucoup pour vos présentations et je remercie mes collègues pour leurs questions pertinentes.
    Nous allons faire une pause de cinq minutes, puis nous passerons aux témoins suivants. Merci beaucoup.

  (1630)  


  (1640)  

    Tout d'abord, chers collègues, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous passons maintenant à une séance d'information sur la campagne concernant Sergueï Magnitski et d'autres sujets.
    Les témoins d'aujourd'hui sont M. Browder, directeur de la Campagne internationale Justice pour Sergei Magnitsky et auteur de Red Notice; Zhanna Nemtsova, correspondante du Deutsche Welle et fondatrice de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté; et Vladimir Kara-Murza, coordonnateur d'Open Russia et leader adjoint du Parti de la liberté du peuple.
    Bienvenue à notre Comité.
    Je crois comprendre que Zhanna aimerait faire quelques commentaires. Vous pourrez commencer. Ensuite, je ne suis pas certain de l'ordre; il n'y a pas de liste écrite, ce qui est inhabituel. Si le Comité est d'accord pour procéder de cette façon, c'est ce que nous ferons.
    Tout le monde est d'accord?
    Parfait, cela me convient aussi.
    Je laisse la parole aux témoins, qui feront leur présentation comme d'habitude, puis ce sera le tour des membres du Comité.
    Vous avez la parole.
    Bonsoir.
    J'ai la version écrite de mon exposé, mais seulement en format électronique.
    Merci pour les présentations. Je suis correspondante du Deutsche Welle, mais je suis aussi la fille aînée de Boris Nemtsov, qui a été assassiné il y a plus d'un an devant les murs du Kremlin.
    En 2012, mon père est venu au Canada pour militer en faveur de la loi Magnitski. Avant sa visite, il a écrit un article avec Vladimir Kara-Murza pour le National Post. Cet article s'intitulait « Standing up for freedom In Russia », c'est-à-dire « À la défense de la liberté en Russie ». On peut y lire: « Tant que le régime actuel sera au pouvoir, les citoyens russes ne pourront se défendre qu'au moyen de mécanismes internationaux. »
    C'est effectivement le cas. Jusqu'en 2013, la Russie arrivait en tête pour ce qui est du nombre de demandes présentées à la Cour européenne des droits de l'homme. Selon de récents sondages effectués en Russie, plus de 50 % des Russes ne croient pas que l'affaire de mon père sera pleinement résolue en Russie. Des milliers de Russes ont signé une pétition afin que l'enquête sur le meurtre de mon père soit confiée à des organismes internationaux.
    Quand mon père a été assassiné, j'avais très peu d'espoir que l'affaire soit élucidée en Russie. Jusqu'à présent, j'ai eu raison de penser ainsi.
    J'ai commencé à chercher des mécanismes internationaux, ou du moins des organismes internationaux qui pourraient prendre l'enquête en charge. Je n'en ai trouvé que très peu. Même ceux qui pourraient être utilisés, comme le rapporteur spécial de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ne sont pas faciles à faire intervenir.
    C'est ce qu'on appelle la réalpolitik. Les politiciens ont tendance à hésiter à réagir aux violations des droits de la personne en Russie, et cette réticence permet au gouvernement russe de faire obstruction à l'enquête sur un des assassinats qui ont fait couler le plus d'encre dans l'histoire contemporaine du pays et de protéger ceux qui pourraient être impliqués, y compris le dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov. De plus, le gouvernement russe encourage les comportements criminels tant que les auteurs sont loyaux envers M. Poutine.
    Je comprends évidemment les raisons de l'absence de progrès, mais je suis toujours résolue à résoudre ce crime et à ce que justice soit faite pour mon père. Je crois sincèrement qu'il devrait y avoir davantage de leviers internationaux que les citoyens russes pourraient actionner pour obtenir justice et pour amener les autorités russes à rendre des comptes. Sinon, les violations flagrantes des droits de la personne continueront en Russie. Il n'est pas seulement question de prisonniers politiques, mais de menaces de mort et de la possibilité que des politiciens et le chef de l'opposition en Russie se fassent tuer.
    Merci.

  (1645)  

    Merci.
    Monsieur Kara-Murza, vous avez la parole.
    Honorables membres du Comité, merci beaucoup de me permettre de comparaître aujourd'hui devant vous.
    En 1991, il y a 25 ans, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, dont font partie la Russie et le Canada, adoptait le Document de Moscou, qui confirmait que les droits de la personne ne sont pas une « affaire intérieure », mais sont assujettis aux obligations internationales des États membres. Le gouvernement de la Fédération de Russie, sous Vladimir Poutine, a bafoué ces obligations dans tous les domaines fondamentaux de la dimension humaine.
    Dans notre pays, les élections sont devenues un rituel vide de sens visant uniquement à confirmer les dirigeants en place. Les candidats de l'opposition sont systématiquement rayés des listes de candidats et le processus électoral est marqué par l'intimidation administrative, un parti pris insurmontable chez les médias et l'omniprésence de la fraude. Selon des estimations indépendantes, 14 millions de votes ont par exemple été détournés en faveur du parti de Vladimir Poutine lors des dernières élections parlementaires, en 2011.
    Le Parlement russe est depuis plus d'une décennie une institution décorative vide de toute véritable opposition, où la discussion n'a pas sa place, comme le disait hélas son propre ancien président.
    Ces remarques s'appliquent telles quelles aux principaux organes de presse de Russie. Une fois les réseaux de télévision indépendants fermés ou repris par l'État pendant les premières années du régime Poutine, la machine à propagande officielle a fait des ondes de Russie un porte-voix pour fulminer contre les « ennemis extérieurs », qui étaient traditionnellement les pays occidentaux mais qui incluent depuis peu l'Ukraine, et contre les opposants politiques de Poutine à l'intérieur du territoire russe, qu'elle traite d'agents étrangers et de traîtres.
    Bon nombre des opposants au régime sont derrière les barreaux. Selon Memorial, la société russe de défense des droits de la personne sans doute la plus respectée du pays, il y a en ce moment 53 prisonniers politiques en Russie. Et encore, puisque, pour arriver à ce chiffre, Memorial a utilisé la très stricte norme établie dans la résolution 1900 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
     On compte parmi eux les partisans de l'opposition emprisonnés, lors de la regrettable affaire Bolotnaya, pour avoir envahi les rues de Moscou, en mai 2012, afin de protester contre l'investiture de Poutine; Oleg Navalny, le frère du militant anticorruption Alexei Navalny, qui est pour ainsi dire tenu en otage; Alexeï Pichougine, le dernier otage de l'affaire Ioukos; le politicien de gauche Sergueï Oudaltsov; et l'activiste démocrate Ildar Dadin, condamné dernièrement à trois ans de prison pour avoir organisé des manifestations solitaires dans les rues de Moscou. La Russie a d'ailleurs adopté récemment une nouvelle loi visant les manifestants. Ildar Dadin est le premier à avoir été reconnu coupable de l'avoir enfreinte. Mais ce n'est pas tout, et il ne faudrait pas oublier les citoyens ukrainiens arrêtés pendant l'agression militaire que Poutine a menée contre ce pays, dont la plus connue — même si ce n'est pas pour les raisons qu'on souhaiterait — est Nadia Savchenko, dont le procès suit actuellement son cours dans le Sud de la Russie.
    Mais comme vous le savez sans doute, la disqualification de la liste des candidats, la diffamation dans les médias dirigés par l'État, et même l'incarcération ne sont pas les plus grands dangers qui planent sur les opposants à Vladimir Poutine. Le 27 février 2015, tandis qu'il rentrait chez lui, le chef de l'opposition pro-démocratique russe, l'ex-vice-premier ministre Boris Nemtsov, a été assassiné de cinq balles dans le dos sur le pont Bolshoï Moskvoretski, à 200 mètres du Kremlin, c'est-à-dire dans ce qu'on peut considérer comme la zone la plus sûre non seulement de Moscou, mais de toute l'Europe. Boris Nemtsov était l'opposant le plus solide, le plus visible et le plus efficace de mon pays, et son meurtre a laissé un vide énorme au sein du mouvement démocratique russe. C'est ce dont témoignent les dizaines de milliers de personnes qui ont défilé au coeur de Moscou, il y a deux samedis, pour marquer le premier anniversaire de sa mort.
    Je suis moi-même très chanceux — et très heureux — de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui. En mai dernier, j'ai sombré dans le coma après un empoisonnement grave, d'origine inconnue, qui a entraîné la défaillance de plusieurs de mes organes vitaux. Les analyses ont révélé une concentration anormalement élevée de métaux lourds dans mon sang. Les experts médicaux estimaient alors mes chances de survie à 5 %. C'est donc un réel plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. J'en suis convaincu, on voulait délibérément me tuer en raison de mes activités politiques au sein de l'opposition démocratique russe, et fort probablement à cause de ma participation à la campagne mondiale d'appui à la loi Magnitski.
    Comme vous le savez, cette loi, adoptée aux États-Unis en 2012, a établi un extraordinaire précédent: elle a instauré la responsabilité personnelle en matière de violations des droits de la personne, et non plus contre les seuls pays ou gouvernements. Elle cible au contraire les personnes mêmes qui se rendent coupables de corruption et de violations des droits de la personne. Elle impose notamment des mesures ciblées, comme des sanctions sur les visas et le gel des avoirs, aux gens mêlés à l'arrestation, à la torture et à la mort de Sergueï Magnitski, l'avocat moscovite qui avait mis au jour une vaste escroquerie fiscale à laquelle ont participé des représentants de l'État — Bill Browder y reviendra tout à l'heure —, et qui avait aussi révélé d'autres violations des droits de la personne.

  (1650)  

    C'est une loi honorable. À mon avis, c'est une loi pro-Russie, car elle met fin à l'impunité de ceux qui violent les droits des citoyens russes et qui pillent les ressources des contribuables grâce à la corruption généralisée.
    C'est aussi une loi très efficace. Malgré toutes les similitudes que l'on constate entre l'ère soviétique et la Russie de Vladimir Poutine — et il y en a: il suffit de penser, comme je le disais, aux prisonniers politiques, à l'absence d'élections libres et justes, à la censure médiatique, etc. —, il y a entre les deux une grande différence: ils faisaient peut-être taire la dissension, persécutaient leurs opposants et les jetaient en prison, mais les membres du Politburo soviétique ne se tournaient pas vers l'Occident pour y placer leur argent, y faire instruire leurs enfants ou y acheter des maisons et des yachts de luxe. Or, c'est ce que font actuellement bon nombre de représentants de l'État, d'oligarques liés au Kremlin et de kleptocrates. Ce règne du « deux poids, deux mesures » ne peut plus durer.
    Ceux qui foulent au pied les normes les plus fondamentales du monde libre ne devraient pas, à mon humble avis, profiter de ses privilèges.
    En décembre 2012, Boris Nemtsov et moi avons publié une lettre dans le journal canadien National Post, à laquelle Zhanna a déjà fait allusion. Intitulée « Standing Up for Freedom in Russia », notre lettre demandait au Parlement canadien d'adopter sa propre loi Magnitski. En voici un extrait:
Le Canada a l'occasion de prendre les rênes — comme il l'a fait lors de la création de la Déclaration universelle des droits de l'homme — en adoptant sa loi Magnitski [...] C'est à nous et à nous seuls qu'il appartient d'instaurer le changement démocratique dans notre pays. Cependant, si le Canada veut exprimer sa solidarité envers le peuple russe et soutenir les valeurs universelles de la dignité humaine, ce qu'il peut faire de mieux consiste à signifier aux escrocs et aux profiteurs du Kremlin qu'ils ne sont plus les bienvenus.
    C'est ce message que je désire répéter devant vous aujourd'hui. Et j'espère que nos amis et partenaires canadiens prendront des mesures pour supprimer l'impunité des escrocs et des profiteurs. Appuyons cette loi en souvenir de Sergueï Magnitski et en souvenir de Boris Nemtsov.
    Merci encore une fois de m'avoir permis de comparaître devant vous.
    On vous écoute, monsieur Browder.
    Monsieur le président, honorables membres du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, je vous remercie de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui et de vous intéresser comme vous le faites au meurtre de Sergueï Magnitski ainsi qu'aux efforts que mes collègues et moi déployons pour que justice soit rendue à M. Magnitski et à tous les Russes dont les droits fondamentaux ont été violés.
    Comme bon nombre d'entre vous le savez déjà, Sergueï Magnitski a été tué le 16 novembre 2009, soit il y a environ six ans et demi, après avoir été torturé durant 358 jours et injustement arrêté pour avoir accusé des représentants de l'État russe d'avoir trempé dans la plus grande fraude fiscale de l'histoire russe. La preuve qu'il a été tué et torturé est abondante et bien étayée.
    Malgré tout, le gouvernement russe a exonéré chacune des personnes impliquées. Il a même accordé les honneurs de l'État à certains des complices les plus gravement mouillés, ce qui en fait probablement le plus grand et le plus absurde épisode de nihilisme juridique de toute l'histoire russe. Il a ensuite traîné Sergueï Magnitski devant les tribunaux à titre posthume trois ans après sa mort. Son procès fut le tout premier de l'histoire de Russie à avoir un mort comme accusé.
    Il est alors devenu évident que la seule chance de justice était à l'extérieur de la Russie.
    Ceux qui ont tué Sergueï Magnitski l'ont fait pour l'argent. Ils l'ont tué pour ne pas qu'on sache qu'ils avaient dérobé 230 millions de dollars.
    Ces gens ne gardent pas leur argent en Russie, mais en Occident. Ils achètent des immeubles à Toronto et des villas sur la Côte d'Azur et le placent dans des comptes à Zurich. Ils voyagent beaucoup, envoient leurs enfants dans des pensionnats occidentaux et paient des blitz de magasinage à leurs petites amies, quand ils ne sont pas eux-mêmes en vacances quelque part sur la planète. Voilà pourquoi nous avons eu l'idée de donner les noms, de geler les avoirs et de révoquer les visas de ceux qui ont tué Sergueï Magnitski et qui ont violé aussi effrontément les droits fondamentaux de leurs concitoyens. C'est ainsi qu'est née ce qu'on appelle désormais la loi Magnitski.
    J'ai lancé cette initiative bipartisane à Washington en compagnie du sénateur Benjamin Cardin, du Maryland, et du sénateur John McCain, de l'Arizona. J'ai aussi pu compter sur la collaboration de votre collègue Irwin Cotler, qui est ici aujourd'hui. J'ai aussi été actif auprès du Parlement européen et un peu partout dans le monde.
    Pour empêcher que la loi Magnitski ne voie le jour, le gouvernement russe a tout d'abord clamé qu'elle était carrément anti-Russie. J'aurais pu crier jusqu'à en perdre le souffle que c'était faux, mais ce ne fut pas nécessaire, parce que nous avons pu compter sur l'aide de Boris Nemtsov pour démonter cet argument. Boris Nemtsov, qui est à la tête de l'opposition russe, est venu au Canada, aux États-Unis, en Europe, expliquant à qui voulait l'entendre que, loin d'être anti-Russie, cette loi était au contraire pro-Russie. Il a rappelé que le seul comportement anti-Russie était celui des représentants de l'État russe qui n'hésitent pas à voler et à faire tuer leurs concitoyens, et que les États qui acceptent de prendre des mesures ciblées contre les coupables et de les sanctionner agissent dans l'intérêt de la Russie.
    Boris Nemtsov a fait le tour de toutes ces assemblées législatives, tout comme Vladimir Kara-Murza. Or, comme vous le savez, il y a maintenant un an et deux semaines, Boris Nemtsov a été tué en face du Kremlin.
    Vladimir et moi nous sommes rendus à la Chambre des représentants environ deux mois après le meurtre de Boris. À l'époque, les États-Unis avaient déjà adopté la loi Magnitski. Nous avons demandé au Congrès d'inscrire sur la liste Magnitski le nom des personnes qui ont fait assassiner Boris Nemtsov. Peu de temps après, Vladimir était empoissonné à Moscou. Il est tombé dans le coma, et plusieurs de ses organes vitaux ont cessé de fonctionner. Selon les médecins, il avait 95 % de chances d'y passer, et 5 % de survivre. C'est uniquement grâce à Dieu que Vladimir est assis près de moi aujourd'hui et qu'il a pu survivre à un si terrible cauchemar.

  (1655)  

    La situation en Russie, depuis que nous avons lancé notre campagne pour que justice soit rendue à Sergueï Magnitski et aux personnes dont les droits fondamentaux ont été violés, a dégénéré du tout au tout. Le peu de retenue qu'avait encore la Russie a complètement disparu. Aujourd'hui, la répression la plus absolue et la plus totale règne sur le pays.
    En mars de l'an dernier, je suis venu au Canada. Grâce à M. Cotler et à un certain nombre de personnes ici présentes, la Chambre a été saisie d'une résolution demandant au gouvernement canadien d'adopter sa propre version de la loi Magnitski. La Chambre a accepté à l'unanimité, tout comme le Sénat. Le ministre des Affaires étrangères et celui de l'Immigration de l'époque m'ont promis que le gouvernement ferait adopter une version canadienne de la loi Magnitski.
    J'ai rencontré les avocats du ministère des Affaires étrangères pour discuter des aspects techniques, mais avant que ce soit terminé, le mandat du gouvernement précédent a malheureusement pris fin, et la loi Magnitski n'a pu être adoptée.
    Pendant la campagne électorale, mes collègues et moi nous sommes adressés à tous les partis — Parti libéral, NPD, Parti conservateur — et leur avons demandé s'ils entendaient appuyer l'adoption d'une loi Magnitski s'ils étaient élus. Tous les partis s'y sont engagés par écrit. C'est finalement le Parti libéral qui a remporté les élections et qui est maintenant au pouvoir. Quelques moments à peine après la formation du nouveau gouvernement, j'ai dit à Irwin: « Retournons à Ottawa et obtenons du gouvernement qu'il tienne sa promesse électorale. » Il m'a répondu que nous devrions tout de même laisser aux gens le temps de trouver leur siège.
    Des voix: Oh, oh!
    M. William Browder: De mon côté, je bouillais tellement d'impatience que M. Cotler ne fut bientôt plus capable de me retenir. Il y a deux semaines, je suis arrivé à Ottawa, où j'ai rencontré plus d'une trentaine de députés de tous les partis afin de voir s'ils étaient toujours décidés et s'ils appuyaient toujours notre idée. Je dois dire qu'en fait, leur appui s'est carrément raffermi. Pas une seule des personnes que j'ai rencontrées était contre l'adoption d'une version canadienne de la loi Magnitski.
    J'ai aussi rencontré des membres de l'exécutif, mais je dois avouer que leur réaction n'a pas été aussi enthousiaste que celle des députés. Personne ne m'a dit non, mais personne ne m'a dit oui non plus. J'espère sincèrement que le nouveau gouvernement va se décider à faire adopter une loi Magnitski.
    C'est techniquement possible. La Loi sur les mesures économiques spéciales est déjà en vigueur et elle prévoit déjà des sanctions, mais pas contre les individus qui bafouent les droits de la personne. Selon ce que nous avions proposé au gouvernement précédent, il suffirait de modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales pour y inclure ce qu'on pourrait appeler des « dispositions Magnitski » afin que les autorités puissent s'en prendre à ceux qui violent les droits de la personne en les désignant nommément, en révoquant leurs visas et en gelant leurs avoirs.
    Voilà ce que je suis venu vous demander aujourd'hui. Je demande au Comité de presser lui aussi le gouvernement de modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales afin d'y inclure des dispositions Magnitski. La boucle serait ainsi bouclée, et le Canada pourrait sanctionner les personnes qui ont tué Sergueï Magnitski et Boris Nemtsov, qui ont empoisonné Vladimir Kara-Murza, qui ont pris illégalement Nadia Savchenko en otage et tous les autres du même acabit.
    Cette politique ne coûterait rien; pas un sou. Elle permettrait en revanche au Canada d'être un modèle à suivre sur le plan moral. On nous l'a promis, et cette promesse doit être tenue.
    Merci beaucoup.

  (1700)  

    Merci beaucoup aux trois témoins.
    Nous vous sommes très reconnaissants. C'est un sujet certes difficile, surtout pour Zhanna et, évidemment, pour M. Kara-Murza. C'est stupéfiant de le voir devant nous ici aujourd'hui alors qu'il nous dit qu'il n'avait que 5 % de chance de survie.
    Comme vous avez terminé vos exposés, je vais laisser la parole aux membres du Comité pour la période de questions et observations.
    Je crois comprendre que c'est M. Allison qui commence.
    Monsieur le président, j'aimerais présenter une motion. Je sais que nous allons poser des questions, mais je voudrais savoir s'il serait possible de discuter de la motion à la fin de la ronde de questions. Je pourrais lire la motion aux fins du compte rendu.
    J'ai quelques questions à poser, mais avant tout, Bill, je sais que nous nous sommes rencontrés en Europe avec l'OSCE. Vous menez la charge dans ce dossier. Pourquoi est-ce si important pour vous? Vous y avez déjà fait allusion. Pourquoi avons-nous besoin d'adopter une mesure comme la loi Magnitski? Quels en sont les avantages? Qu'est-ce que cela accomplirait?

  (1705)  

    À l'heure actuelle, en Russie, ceux qui persécutent les députés de l'opposition, les dénonciateurs et d'autres personnes du genre agissent avec une totale impunité. Les méchants peuvent faire ce qu'ils veulent en Russie, sans conséquences. La loi en question est une mesure que nous pouvons prendre, ici en Occident, pour cibler quelque chose qui est cher à ces gens-là, c'est-à-dire leur capacité de mettre leur argent à l'abri et de voyager dans les pays occidentaux.
    Cela fait partie de nos champs de compétences, ne coûte rien et porterait un très dur coup à ces gens. J'ai la certitude qu'une telle mesure législative serait efficace, parce que, lorsque le Congrès américain en a été saisi, Vladimir Poutine a dit qu'en empêcher l'adoption était sa priorité absolue en matière de politique étrangère.
    C'est un geste que nous pouvons poser. Nous regardons tous la télévision et nous lisons tous les journaux en nous disant à quel point ce qui se passe dans ce pays est terrible et en nous demandant ce que nous pouvons faire. Voilà justement une chose que nous pouvons faire. C'est à notre portée, et cela ne coûte rien.
    J'aimerais lire la motion: « Que le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international recommande à la Chambre, dans son examen législatif de la Loi sur les mesures économiques spéciales qui est dû pour être révisée avant le 23 mars 2016 tel que mandaté par I'article 20(1) de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, tel que proposé durant la 2e session de la 41e législature par l'ancien député Irwin Cotler dans l'article 3 du projet de loi C-689, Loi édictant la Loi sur la responsabilisation mondiale pour les violations des droits de la personne et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui autorise le Canada a identifier publiquement et imposer des sanctions, sous la forme d'interdiction des visas et le gel d'actifs pour violations des droits humains, y compris les personnes responsables de la persécution et l'assassinassion de l'avocat russe Sergueï Magnitsky, le leader de l'opposition démocratique Boris Nemtsov et la détention de la pilote ukrainienne, Nadia Savchenko, qui est emprisonnée en Russie pendant 21 mois. »
    Nous allons distribuer la motion. Je voudrais simplement demander au président si nous aurons le temps d'en discuter à la fin de notre séance.
    Oui, pas de problème.
    M. Allison présente un avis de motion qui a déjà été présenté il y a un certain temps. Nous en discuterons seulement après la comparution des témoins, à la fin de la séance, comme le veut la procédure. C'est un avis de motion. Le texte se trouve dans le résumé des questions.
    Il vous reste encore deux minutes environ, monsieur Allison.
    Allez-y, monsieur Kent.
    Merci.
    Je vous remercie tous de votre présence et de votre présentation fort éloquente des réalités actuelles dans la Russie de Vladimir Poutine.
    Puis-je vous demander de donner un bref exemple de l'efficacité des sanctions que les États-Unis imposent, aux termes de la loi Magnitsky, aux individus qui figurent sur la liste et qui sont donc frappés d'une interdiction?
    Oui. Aux États-Unis, la liste Magnitski comporte actuellement 39 noms. Ils figurent ouvertement dans le registre du Bureau du contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain. Le visa de ces personnes a été annulé, et leurs actifs ont été bloqués.
    Surtout, dès l'instant où un nom est inscrit sur la liste des sanctions du Trésor américain, aucune banque au monde ne voudra passer outre aux sanctions des États-Unis. Elles peuvent fermer les comptes de quiconque figure sur la liste. Je ne parle pas seulement des banques étatsuniennes, mais bien de n'importe quelle banque. Aucune banque ne veut passer outre aux sanctions des États-Unis.
    Si votre nom figure sur la liste, vous ne pourrez plus ouvrir de compte de banque ni utiliser de carte de crédit. Aucune société, où qu'elle soit dans le monde, ne voudra faire des affaires avec vous. Vous devenez essentiellement un paria mondial dans le domaine des finances. De plus, même si les interdictions de voyager ne visent que les États-Unis, beaucoup d'autres pays se réfèrent à la liste et refusent des visas en conséquence. Il devient alors soudainement plus difficile de se déplacer.
    Surtout, nous savons tous, comme chacun le sait en Russie, que le régime Poutine finira par tomber. Pour l'instant, le plan des méchants en Russie, c'est de fuir vers l'Ouest lorsque cela se produira afin de profiter là-bas de leurs biens mal acquis. Or, si votre nom figure sur la liste, dans un registre public, il vous est impossible de fuir où que ce soit, car si vous vous réfugiez quelque part en demandant un visa à long terme ou l'asile et qu'un agent responsable tape votre nom dans l'ordinateur, il dira: « Un instant. Vous n'êtes pas le bienvenu ici. En fait, nous allons vous renvoyer en Russie. »
    Pour un méchant, il n'y a rien de plus fondamentalement terrifiant que de ne pas avoir de plan de fuite. C'est ce que fait cette mesure.

  (1710)  

    Très rapidement, que répondriez-vous aux Canadiens qui diront qu'il est inutile que le Canada impose des sanctions étant donné l'efficacité des interdictions et des sanctions des États-Unis?
    Eh bien, pour l'instant, seuls les États-Unis imposent des sanctions. Au bout du compte, si ces individus veulent venir au Canada, ils le peuvent. S'ils veulent aller en Europe, ils le peuvent. La beauté de la chose, c'est que, en Europe, certains pays affirment qu'ils ne veulent pas s'arrimer aux États-Unis pour diverses raisons que je qualifie d'« antiaméricaines ». La beauté de la chose, c'est que même s'il existe un antiaméricanisme dans le monde, je n'ai jamais entendu parler de la notion d'« anticanadianisme ».
    Le Canada se trouve en fait dans une position fort avantageuse. La Russie ne peut pas cesser de l'alimenter en gaz. Elle ne peut pas exercer les mêmes moyens de pression contre vous que contre les Européens. Cela court-circuite aussi l'argument voulant qu'il s'agisse d'une initiative des États-Unis, d'une initiative antirusse des États-Unis. Non, il s'agit d'une initiative antitorture, un domaine dans lequel le Canada, qui est une force d'entraînement, devrait s'investir. Je crois que cela contribuerait à combler des brèches, où qu'elles soient. Il y avait d'abord les États-Unis, puis le Canada, et l'Europe finira par emboîter le pas.
    Merci.
    Je veux juste donner une idée d'où nous nous en allons. Le Comité finira par avoir une discussion pour déterminer s'il s'agit d'un avis de motion ou d'une motion dont nous pouvons débattre aujourd'hui. Tant que les juristes n'auront pas tiré les choses au clair, nous considérons qu'il s'agit d'un avis relatif à une motion qui sera présentée ultérieurement au Comité. Comme vous le savez, il faut 48 heures d'avis pour présenter une motion.
    Je tenais simplement à le préciser. Nous en discuterons plus tard.
    Je pourrais changer d'idée, monsieur Allison.
    M. Dean Allison: Je réserve mes commentaires pour plus tard.
    Le président: Allez-y, Peter.
    Je vous remercie tous de votre présence et d'avoir relaté ces histoires marquées par la bravoure et un travail crucial de sensibilisation.
    Madame Nemtsova, j'offre mes plus sincères condoléances à votre famille. Il s'agit de questions épineuses pour nous, parlementaires, mais c'est notre travail. Nous sommes fort privilégiés de vous compter parmi nous aujourd'hui.
    Monsieur Kara-Murza, je tiens à insister sur vos 5 % de chances de survie. Votre présentation était très éloquente.
    Monsieur Browder, quelle histoire fascinante! Je l'ai suivie dans la presse et j'ai aussi lu une partie du livre. Vous êtes un infatigable défenseur des droits de la personne.
    À mes yeux, vous accomplissez tous un travail crucial, on ne peut plus crucial, au nom de M. Magnitski. Je veux donc vous poser une question afin d'alimenter ma réflexion. Que pensez-vous de l'idée de généraliser ce que vous réclamez, d'en faire un principe général, dans le cadre d'un vaste régime de sanctions, avec des interdictions de voyager, toute la question des visas, avec tout ce que vous réclamez, mais en appliquant tout cela de façon générale plutôt qu'à un État précis? On pourrait bien sûr employer le nom de M. Magnitski.
    Qu'en pensez-vous? Ce serait un moyen de maximiser l'excellent travail que nous pourrions accomplir. Je me demande si vous voyez du bon dans ce genre d'approche.
    Sentez-vous tous libres de répondre.
    Je vais répondre, car je suis déjà passé par là aux États-Unis.
    Initialement, la loi Magnitski des États-Unis devait exclusivement rendre hommage à Sergueï Magnitski. Or, diverses personnes — Boris Nemtsov, Garry Kasparov, Vladimir Kara-Murza et d'autres — se sont manifestées pour dire que l'on avait trouvé le talon d'Achille du régime Poutine et qu'il fallait donc ne pas se limiter à un seul cas. Les sénateurs qui ont parrainé le projet de loi ont accepté parce que c'était tout à fait logique. Ils l'ont donc élargi de manière à cibler tous les individus véreux qui violent les droits de la personne en Russie.
    À l'époque, la Maison-Blanche ne voulait pas froisser la Russie. Elle a préconisé d'élargir la loi à tous les pays. Les sénateurs qui ont coparrainé le projet de loi ont dit oui, bien sûr. La loi Magnitski devait donc alors s'appliquer au monde entier. Or, beaucoup de personnes favorables à certains pays ont fait valoir des arguments pour s'y opposer. Ce n'est qu'à la toute dernière minute que le projet de loi Magnitski a été recentré exclusivement sur la Russie. Tout le monde a accepté à reculons au lieu de s'en tenir à l'idée moralement irréprochable de sanctionner les méchants de partout.
    Il existe actuellement un projet de loi Magnitski qui vise tous les pays. La loi qui cible la Russie a été adoptée à 92 sénateurs contre 4, avec l'appui de 89 % des membres de la Chambre des représentants, et elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2012. L'idée, c'était d'ensuite essayer de faire adopter une loi Magnitski qui vise tous les pays. Le projet de loi a donc été présenté au Sénat et à la Chambre des représentants. Les sénateurs l'ont adopté à l'unanimité, mais la Chambre des représentants ne s'est pas encore prononcée. À l'instar de la famille Magnitski et de tant d'autres victimes dans le monde, je souhaite que les États-Unis se dotent d'une loi en ce sens.
    Je ne vois pas pourquoi le Canada ne devrait pas faire la même chose. Cependant, il faut tenir compte de considérations pratiques. Je sais qui est du côté du bien et qui est du côté du mal en ce qui concerne la Russie, mais je n'en ai aucune idée pour ce qui est des autres pays. Dès que le débat est élargi au monde entier, on se retrouve avec beaucoup d'alliés incertains et d'ennemis.
    Je ne saurais pas vous dire quelle est la bonne stratégie politique. Nous tenons à ce qu'il y ait une loi Magnitski à l'égard de la Russie. Si elle pouvait être élargie au monde entier, ce serait vraiment mieux, mais je m'en voudrais que le mieux en vienne à être l'ennemi du bien. Je préfère que nous ayons une mesure imparfaite plutôt qu'aucune mesure parfaite.

  (1715)  

    Je comprends. De mon point de vue, l'histoire de ce qu'a subi M. Magnitski dans sa quête de justice et de vérité est tellement déchirante que l'idée de généraliser le principe m'apparaît...
    Vous savez, à titre d'information, le 23 mars est la date butoir, ici, en ce qui concerne la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je sais que vous êtes parfaitement au courant. Pour moi, l'idée, c'est simplement de demander si on peut enchâsser un principe là-dedans, dans l'examen, d'examiner tout cela et de dire, par exemple, qu'il serait très intéressant de généraliser la politique afin, comme je l'ai déjà dit, de maximiser l'excellent travail que vous avez tous accompli.
    Mais je comprends ce que vous dites. Il y aura bientôt un examen. Dans ce contexte, il faut proposer certaines idées.
    Si le Canada adoptait bel et bien une loi Magnitski visant le monde entier, ce n'est pas moi qui m'y opposerais. Ce serait l'idéal. Il ne nous revient pas, à mes collègues et à moi, de vous dire comment faire les choses.
    Je l'ai mentionné simplement parce que, au fur et à mesure que l'examen progressera, c'est l'un des points qu'il faudra selon moi examiner de très près.
    Ce sont des observations. Merci beaucoup.
    Puis-je ajouter quelques mots à ce sujet?
    M. Peter Fragiskatos: Bien sûr.
    M. Vladimir Kara-Murza: En ce qui concerne votre question principale, je suis aussi d'accord en principe. Je veux dire, rien ne justifie de ne pas l'appliquer au monde entier, car, fondamentalement, les droits de la personne sont universels et s'appliquent à tout le monde. En principe, donc, je pense que ce serait un geste très honorable.
    Nous avons eu le même débat il y a cinq ans environ, lorsque le Congrès des États-Unis a repositionné le projet de loi Magnitski, qui était axé sur le cas de Sergueï, pour en faire le deuxième projet de loi, celui qui a été adopté et qui est devenu la loi Magnitski. Il y avait une clause d'élargissement, le paragraphe 4(b) de la loi étatsunienne, qui englobait d'autres affaires de violation flagrante des droits de la personne.
    Selon moi, c'est primordial d'agir en ce sens, non seulement pour faire assumer la responsabilité de leurs actes aux individus dont Sergueï a révélé qu'ils avaient volé l'argent des contribuables russes — ceux-là mêmes qui l'ont ensuite arrêté, torturé et tué —, mais aussi pour enchâsser ce principe par rapport à quiconque, à l'avenir, envisagera la torture, le meurtre, la violation des droits de la personne, la violation des obligations internationales de la Russie à l'égard des droits de la personne ou la corruption: ils devront répondre de leurs gestes. Même s'il est pour l'instant impossible de le faire dans mon pays, car ce n'est pas un État de droit et que nous n'avons pas d'institutions démocratiques, il est possible de le faire ailleurs dans le monde. Il faut absolument une clause ouverte qui précise que quiconque adopte un tel comportement devra en répondre et en assumer la responsabilité.
    D'accord, passons à M. Aubin.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Tout d'abord, je vous remercie d'être parmi nous. Il est difficile d'imaginer d'être plus au coeur de la situation que nous ne le sommes en votre présence.
    Je crois avoir bien compris, lors de votre exposé, les conséquences directes de l'adoption d'une telle mesure sur l'administration Poutine. Cependant, il y a un aspect que vous n'avez pas abordé. L'adoption d'une telle mesure a-t-elle des conséquences sur le niveau de vie de la population russe? Si c'est le cas, quelles sont-elles?

  (1720)  

    L'idée des sanctions personnelles sous la loi Magnitski est vraiment un précédent nouveau dans l'histoire mondiale. Ce ne sont pas des sanctions contre un pays, contre un peuple ni même contre un gouvernement. Il s'agit de sanctions contre des individus qui sont personnellement coupables et responsables de violations des droits de la personne.
    Entre parenthèses, je mentionne que tous les efforts du Kremlin en vue de présenter la loi Magnitski comme étant des sanctions contre la Russie n'ont pas eu de succès, et ce, malgré toute la propagande et tous les efforts des bureaucrates et du régime. En décembre 2012, juste après l'adoption de la loi Magnitski aux États-Unis, un sondage a été mené par le Centre Levada, un groupe de recherche sociologique indépendant en Russie. Généralement, on peut croire ses résultats. On a demandé aux gens s'ils approuvaient le principe selon lequel ceux qui s'engagent dans la corruption et qui commettent des violations des droits de la personne ne peuvent pas voyager dans les pays occidentaux ni en utiliser les systèmes bancaires. Le sondage a révélé que 44 % des Russes étaient d'accord sur ce principe et que seulement 21 % ne l'étaient pas, le reste n'ayant pas répondu.
    Même avec toute la propagande et tous les efforts faits pour présenter la loi Magnitski comme étant des sanctions contre la Russie, le Kremlin n'a pas eu de succès. Les citoyens russes comprennent que ce sont des sanctions prises contre les gens qui violent les droits de la personne et qui s'engagent dans la corruption avec leur argent. L'idée vraiment géniale derrière ces sanctions est qu'elles ne punissent que ceux qui doivent être tenus responsables de leurs propres actions, et non ceux qui ne sont pas coupables.
    Je m'excuse pour la qualité de mon français.
    Il est très bon, soyez sans crainte.
    J'en comprends donc qu'il n'y a pas de répercussions directes sur la population russe, et même qu'elle est plutôt favorable à ces sanctions.
    J'avoue avoir un faible pour l'élargissement de cette procédure, puisqu'il est question de lier cette loi aux droits fondamentaux de la personne. Je pense qu'elle pourrait s'appliquer un peu partout.
    Y a-t-il d'autres appuis que vous souhaiteriez obtenir du Canada dans la lutte contre la corruption en Russie?
    La chose la plus importante, c'est que le Canada ne doit pas laisser les gens corrompus et qui violent les droits de la personne utiliser son système financier, y venir en visite, y acheter des maisons et envoyer leurs enfants dans ses écoles. C'est vraiment très important.
    La plupart des raisons pour lesquelles la société russe est cynique à l'égard de l'Occident sont artificielles. Elles sont le résultat de la propagande, à la télévision russe, contre l'Occident et contre les ennemis. Toutefois, une des raisons de ce cynisme est bien réelle. Beaucoup de chefs de pays occidentaux parlent des droits de la personne, de la démocratie, de l'importance des lois et de la lutte contre la corruption, mais en réalité, ils laissent les gens corrompus utiliser leur système financer, voyager dans leur pays, y venir en vacances et y acheter des maisons. Cela paraît hypocrite.
    Je crois que la chose la plus importante, c'est que les pays occidentaux et démocratiques, qui sont basés sur les principes de la loi, de la démocratie et de la justice, ne s'ouvrent pas aux gens qui s'engagent dans la corruption, qui volent et qui violent les droits fondamentaux de la personne. C'est vraiment la chose principale à faire.

  (1725)  

     Merci beaucoup.
    Votre témoignage est tout aussi convaincant que votre vécu.
    Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.

[Traduction]

    Borys, c'est à vous.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Kara-Murza, vous avez toute ma reconnaissance. Les mots me manquent pour exprimer tout mon déchirement. Vous êtes un témoin vivant et vous avez toute ma reconnaissance pour votre présence aujourd'hui. Litvinenko, le polonium radioactif; Iouchtchenko, la dioxine; et Kara-Murza, nous l'ignorons — des métaux lourds, selon toute probabilité. De toute évidence, le Kremlin a l'habitude d'empoisonner ses adversaires politiques, tant russes qu'étrangers.
    M. Browder et vous avez fait ressortir ce qui distingue les sanctions Magnitski des sanctions ordinaires, soit sectorielles, soit économiques. Elles ciblent les geôliers, les tortionnaires, les assassins politiques ainsi que les procureurs et les juges fantoches.
    Manifestement, en ce qui concerne les empoisonnements, des chercheurs hautement professionnels et spécialisés sont impliqués dans les assassinats politiques de ce genre. Savez-vous quels organismes russes participent à la mise au point de méthodes d'assassinat par empoisonnement? La loi Magnitski ne devrait-elle pas couvrir également les chercheurs et les techniciens impliqués?
    Je vous remercie beaucoup de poser la question.
    Il est manifestement établi de longue date qu'ils sont impliqués dans les affaires de ce genre. Aux personnes que vous avez mentionnées, j'ajouterais Iouri Chtchekotchikine. Ajoutons également Anna Politkovskaïa, qui, deux ans avant son assassinat, a aussi été empoisonnée en route vers Beslan. Ajoutons en outre l'étrange cas de M. Perepilitchni, un dénonciateur dans l'affaire Magnitski. Bill pourra en dire davantage à ce sujet.
    Ce n'est manifestement rien de nouveau. Nous savons qu'un unique organisme ayant porté divers noms au fil du temps — le NKVD, le MGB, le KGB et, maintenant, le FSB —, mais dont le rôle fondamental, lui, est toujours resté le même, dispose d'un laboratoire spécial qui s'occupe des poisons particuliers de ce genre, y compris ceux qui sont indétectables, au moins depuis les années 1930. Il a manifestement beaucoup d'expérience là-dedans.
    De toute évidence, je ne sais rien de précis à propos des individus qui s'en sont pris à moi et de la manière dont ils s'y sont pris. J'ai une idée assez précise du pourquoi, mais j'ignore le qui et le comment. Dès que j'ai pu retourner en Russie, l'an dernier, après ma réadaptation médicale, j'ai demandé au comité d'enquête russe de lancer une enquête criminelle sur la tentative d'assassinat à mon endroit. Sans surprise, selon moi, rien n'a bougé.
    Je ne sais rien, si ce n'est que l'on a employé un produit hautement perfectionné et redoutable. Lorsque tous les organes d'un homme de 33 ans en parfaite santé flanchent en quelques heures, je me dis qu'on a dû utiliser quelque chose de puissant. Sinon, je ne sais rien de précis, si ce n'est que les poisons perfectionnés de ce genre sont habituellement des substances auxquelles ont accès les services spéciaux comme celui que j'ai mentionné ou des personnes qui travaillent pour eux. Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que c'est ce qui s'est produit dans mon cas également.
    Merci.
    Madame Nemtsova, c'est un véritable honneur que d'accueillir la fille du regretté Boris Nemtsov au Comité. Votre père a lutté envers et contre tous pour les droits démocratiques, pour les droits de la personne et pour la dignité du peuple russe. Il était incorruptible. C'est pourquoi on l'a assassiné.
    Selon ce que nous savons, vous avez quitté la Russie parce que vous y étiez menacée, pour des raisons de sécurité. Des statistiques montrent également que, au cours de la dernière année, le nombre de personnes qui quittent la Russie a décuplé, environ 300 000. Quelle est la situation actuelle en Russie à l'égard des droits de la personne?

  (1730)  

    Merci beaucoup de la question.
    Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en dire davantage sur la situation à l'égard des droits de la personne. Si tout allait bien, nous ne serions pas ici aujourd'hui. Après ce que MM. Browder et Kara-Murza ont rapporté et après l'assassinat de mon père, l'assassinat le plus célèbre de l'histoire de la Russie, nous savons que la situation est terrible et qu'elle va de mal en pire. De plus en plus de militants subissent des pressions considérables et sont jetés en prison. Tout récemment, M. Dadine, un simple militant qui agissait dans le respect de la Constitution, laquelle garantit la liberté de réunion pacifique, a été condamné à trois ans d'emprisonnement pour avoir manifesté de manière pacifique en Russie. Il m'apparaît crucial que des personnes — elles sont si peu nombreuses — continuent à s'opposer aux violations des droits de la personne.
    Dans mon cas, c'est très personnel. Il y a trois ans, je n'aurais jamais imaginé que je deviendrais une militante des droits de la personne, car j'étais convaincue que c'était mon père qui défendait mes intérêts et ceux de ma famille dans la sphère politique. Cependant, quand on est directement affligé, c'est une expérience dévastatrice. C'est ce qu'a vécu M. Browder relativement à Sergueï Magnitski. Je crois que, il y a une dizaine d'années, il ne lui serait jamais venu à l'idée qu'il deviendrait un militant des droits de la personne.
    Loin de moi l'idée de m'exprimer au nom de tout le monde, mais, dans mon cas, c'est un choix éminemment moral, et je pense que j'ai raison de faire ce que je fais. Mon père était du même avis, qu'il avait raison. Je suis convaincue qu'il avait raison et que j'ai raison de faire ce que je fais. C'est selon moi une question de moralité. Lorsque l'on est directement affligé, on ne peut pas se contenter de fermer les yeux. On ne peut pas voir clairement lorsque l'on ne fait rien pour réclamer justice — réclamer justice pour mon père —, alors, pour ma part, je pense que c'est un choix moral.
    Merci.
    C'est la fin de la première série de questions. Passons maintenant à la seconde, avec M. Saini, puis M. Miller.
    Je me permets, privilège du président, d'ouvrir une parenthèse.
    Monsieur Kara-Murza, vous avez parlé à diverses reprises d'autres prisonniers et d'autres personnes qui subissent la même chose que ce qu'ont subi certaines des personnes qui sont mentionnées dans la motion ou qui, comme vous, veulent que le Canada adopte une mesure législative très précise ou l'intègre à la Loi sur les mesures économiques spéciales.
    J'aimerais en savoir davantage à ce sujet. Pouvez-vous fournir de plus amples renseignements au Comité? C'est parce que nous n'avons pas eu la possibilité d'examiner en profondeur ce qui s'est passé aux États-Unis à la suite de l'adoption de la loi. A-t-elle fait la différence en Russie, notamment en ce qui a trait aux individus qui, selon vous, devraient être mis en accusation ou encore aux moyens d'en apprendre davantage à propos des individus qui commettent de telles atrocités là-bas? Pouvez-vous nous donner une idée de ce qui se passe aux États-Unis?
    Bien sûr. Je vous remercie de poser la question.
    La loi Magnitski des États-Unis définit dans le détail le processus à suivre pour confirmer les atteintes aux droits de la personne avant, de toute évidence, de prendre une décision quant aux sanctions à imposer aux individus en question. Il faut notamment obtenir de l'information auprès d'organismes non gouvernementaux, y compris ceux qui travaillent en Russie même. Je sais que beaucoup de mes collègues de la société civile russe, dans le mouvement des droits de la personne et aux sein d'ONG ont pris part au processus et ont soumis les renseignements demandés, des renseignements détaillés, à propos d'individus précis qui sont responsables d'atteintes aux droits de la personne.
    Justement, au cours de sa toute dernière visite à Washington, en janvier 2014, Boris Nemtsov a rencontré plusieurs membres du Congrès des États-Unis, des deux partis. Il leur a remis une liste de 13 noms qui fournissait des renseignements détaillés, des preuves pertinentes et des liens vers des sources primaires relativement à des violations des droits de la personne.
    Parmi les noms dont je me souviens, il y avait, par exemple, Alexandre Bastrykine, qui dirige le comité d'enquête et qui a un jour amené lui-même un célèbre journaliste russe indépendant, Sergueï Sokolov, de la Novaya Gazeta, dans une forêt des environs de Moscou pour le menacer de meurtre, ouvertement, si le journal ne mettait pas fin à ses enquêtes. Il lui a dit en rigolant que ce serait lui qui enquêterait sur son meurtre et de ne pas s'en soucier, que tout irait bien, que personne ne saurait jamais ce qui s'était passé, que personne ne le retrouverait.
    C'est ce qu'il a dit. Il l'a même admis. Ce n'est pas une légende. Ce n'est pas une simple rumeur. Il l'a ouvertement admis.
    Cet homme figurait donc sur la liste, de même que M. Tchourov, devenu un symbole de la fraude électorale dans mon pays. Il a présidé la Commission électorale centrale. Il est responsable du trucage des tours aux élections de 2007-2008 et de 2011-2012. Il figurait sur la liste, qui, encore là, fournissait des éléments de preuve détaillés et précis.
    C'est ainsi que fonctionne le processus des États-Unis. Hélas, je dois dire que, selon moi, la façon dont l'administration actuelle applique la loi Magnitski n'est pas conforme aux objectifs initiaux de la loi. La loi ne devait pas avoir de plafond de verre. Elle ne devait pas servir uniquement à sanctionner les subalternes. Bien sûr, eux aussi doivent répondre des atteintes et des violations qu'ils ont commises, c'est indéniable, mais il faut remonter la filière. Il faut s'en prendre aux personnalités bien en vue qui commanditent les atteintes aux droits de la personne, qui les étouffent et qui se servent de leur position d'autorité pour les commettre. À vrai dire, jusqu'à présent, des 39 personnes que Bill a mentionnées, celles qui font l'objet de sanctions Magnitski, pas une seule n'est un grand mandarin du régime Poutine. Voilà pourquoi j'estime que la loi n'a pas l'effet qu'elle aurait pu avoir.
    Je vais vous donner un autre exemple. Il n'a rien à voir avec la loi Magnitski, mais c'est aussi une histoire de sanctions personnelles contre des auteurs d'agressions. Vous vous rappellerez peut-être que, en 2007, le déménagement d'un mémorial de guerre de l'ère soviétique situé à Tallinn, en Estonie, a suscité la controverse. Parallèlement, un groupe prokremlin appelé Nachi — ce mot signifie « les nôtres » — a lancé une campagne d'intimidation à l'endroit de l'ambassadrice de l'Estonie à Moscou de l'époque, Marina Kaljurand. Elle est aujourd'hui ministre des Affaires étrangères de l'Estonie. Les membres du groupe la suivaient partout. Ils lui lançaient des objets. Ils lançaient des choses sur sa voiture. Ils la harcelaient. Ils criaient à ses conférences de presse, et ainsi de suite.
    Le gouvernement de l'Estonie a statué que ces gestes contrevenaient à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Il a inscrit Vassili Iakemenko, alors ministre du gouvernement de M. Poutine et coordonnateur de Nachi, sur la liste d'interdiction de visa. Évidemment, puisque l'Estonie fait partie de l'espace Schengen, cette interdiction s'appliquait également aux autres pays de l'Union européenne.
    Pendant les neuf années suivantes, M. Iakemenko a fait des pieds et des mains pour être retiré de la liste. Il n'a pas encore réussi. Cependant, au cours de ces neuf années, il n'y a pas eu la moindre attaque contre un diplomate étranger travaillant à Moscou, même pas un diplomate ukrainien, malgré tout ce qui se passe là-bas depuis deux ans. Pas une seule.
    Alors s'il faut un exemple pour illustrer l'efficacité des sanctions lorsqu'elles sont bien appliquées, au bon niveau, c'est celui que j'utiliserais.

  (1735)  

    D'accord.
    Monsieur Browder, un dernier point m'interpelle. Selon ce que je comprends, M. Cotler a présenté un projet de loi d'initiative parlementaire à quelques reprises, sous le gouvernement précédent. Ses efforts n'ont pas abouti, de toute évidence, sans quoi vous ne seriez pas ici. Y a-t-il une raison particulière qui explique que le gouvernement précédent ait été aussi fortement opposé à appliquer la structure législative que M. Cotler proposait pour ce processus? Bien sûr, ce serait intéressant de savoir s'il existe des problèmes, notamment techniques, qui, selon eux, devaient être résolus avant de pouvoir faire adopter un projet de loi de ce genre.
    J'aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet.
    Je ne peux pas m'exprimer au nom de l'ancien gouvernement puisque je n'étais qu'un simple tiers qui tentait de le convaincre de faire quelque chose, mais, selon ce que je comprends, la lenteur des démarches est attribuable au fonctionnement du Parlement. Le projet de loi d'initiative parlementaire n'a pas tiré le bon numéro à la loterie, je ne sais pas trop quel est le bon terme. Autrement dit, Irwin n'a pas eu l'occasion de réellement présenter le projet de loi pour le faire mettre aux voix, alors il a décidé de procéder autrement.
    Je suis un peu gêné de m'exprimer en son nom puisqu'il est assis juste ici. Il serait sans doute mieux à même d'expliquer cela que moi.
    Pas de souci, nous l'inviterons. Je vous le garantis.

  (1740)  

    Puisqu'il n'a pas tiré le bon numéro pour présenter son projet de loi officiellement, il a choisi de miser sur l'immense capital de crédibilité qu'il avait accumulé auprès des autres parlementaires, tous partis confondus, pour dire que, puisqu'il n'avait pas eu l'occasion de présenter son projet de loi d'initiative parlementaire, il leur demanderait leur appui lorsque le gouvernement serait appelé à passer à l'action dans ce dossier. Sur cette base, tout le monde au Parlement l'a appuyé. C'était unanime. Le gouvernement s'est alors mis au travail.
    Je ne crois pas que le gouvernement n'avait pas l'intention d'agir. Je pense que si toute cette histoire n'a pas débouché sur une mesure législative, c'est simplement par manque de temps. Nul doute qu'il fallait régler divers problèmes techniques, comme ce fut le cas aux États-Unis. Il a fallu beaucoup de temps, du début à la fin, pour régler tous les problèmes techniques et tenir compte de diverses considérations. Selon ce que je comprends, le gouvernement précédent avait déjà réglé une bonne partie des problèmes.
    À vrai dire, j'ai rencontré des fonctionnaires d'Affaires mondiales. Ils travaillent déjà à ce dossier depuis un an. On ne commence pas de zéro. On ne nage pas dans l'inconnu. Je pense que tout le monde s'entend grosso modo sur le principe et sur les détails. Il ne sera pas très difficile de concrétiser la promesse électorale. Il faut juste de la volonté politique.
    Merci.
    Monsieur Saini.
    Avant tout, je tiens à vous remercier de tout coeur, en notre nom à tous, de vos témoignages convaincants. Je pense que nous convenons à l'unanimité que chacun d'entre vous est un modèle de courage.
    Lorsqu'un acte criminel est commis, je crois qu'il y a divers degrés de participation. Le premier degré, ce sont les individus qui sont directement impliqués, ceux qui tirent l'avantage maximal de l'acte criminel. Il y a ensuite le deuxième degré. Ces gens ne sont peut-être pas directement impliqués, mais ils sont au courant. Selon ce que je comprends de vos témoignages à propos de la situation en Russie, qu'il s'agisse de dénonciateurs ou simplement de personnes qui veulent se manifester, beaucoup de ces gens ne sont pas nécessairement à l'aise à l'idée de révéler ce qu'ils savent parce qu'ils n'ont pas l'assurance de pouvoir le faire sans danger.
    De toute évidence, il s'agit d'une affaire très célèbre, mais je suis sûr que, tous les jours, il se commet là-bas des actes criminels dont des gens sont au courant sans pouvoir se manifester parce qu'ils ont peur, parce qu'ils craignent les représailles, parce qu'ils redoutent d'être punis. Selon votre expérience, comment pourrait-on établir un climat, peut-être pas nécessairement au pays, mais peut-être à l'étranger, favorisant la mise en évidence de ces actes criminels? Je pense que le fait de les mettre en évidence, surtout s'ils sont beaucoup plus nombreux à être ainsi portés davantage à l'attention du monde entier, pourrait susciter une réaction différente chez ces gens.
    Je vais tenter de répondre à votre question, avec peut-être l'aide de Vladimir.
    Les violations des droits de la personne sont tellement répandues en Russie et sont commises avec une telle impudence que, dans bien des cas, il n'est pas difficile de les prouver. À mon avis, il y aurait peut-être lieu de choisir les cas les plus flagrants. Dans bien des cas, il n'est pas nécessaire d'avoir recours à des dénonciateurs. Des gens se présentent actuellement aux États-Unis munis de preuves dans toutes sortes de dossiers pour tenter de faire ajouter des noms à la liste des personnes sanctionnées. Comme Vladimir l'a dit, ce qui est le plus exaspérant, c'est de constater que la liste ne renferme que 39 noms.
    C'est toujours à recommencer. La loi existe et continuera d'exister afin que d'autres noms y soient ajoutés, mais nous avons du mal à obtenir la volonté politique nécessaire pour y faire inscrire un nombre important de personnes. Cette liste devrait probablement contenir 10 000 noms.
    Le vrai problème — et je pense que Vladimir et Zhanna pourront en parler —, c'est que, en Russie, personne ne pense que l'Occident souhaite ajouter un seul nom à la liste. Je crois que beaucoup de gens aimeraient se manifester et présenter des renseignements s'ils pensaient qu'il se passerait quelque chose et que des mesures seraient prises à l'encontre des individus qui ont commis des crimes graves.
    Il n'y a rien de pire que d'être victime d'un acte criminel, de se présenter devant les autorités — de son pays d'origine ou d'un autre pays — et de constater que les autorités ne tiennent pas compte du crime en question. La plupart des intéressés estiment que, lorsque des choses terribles et horribles se produisent, l'Occident — ce qui comprend le Canada, les États-Unis et l'Europe en général — s'en lave les mains.
    Si une loi Magnitski était adoptée — que ce soit en Russie ou à l'échelle internationale —, les intéressés pourraient espérer que, au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, on se soucie vraiment de leur sort. J'espère qu'il sera possible un jour de sanctionner les individus qui violent les droits de la personne dans le cadre d'une certaine forme de système de justice pénale, sans que cela ait une incidence sur les relations diplomatiques, lesquelles représentent un secteur presque totalement distinct.

  (1745)  

    Je tiens à ajouter que je suis tout à fait d'accord avec M. Browder. J'aimerais toutefois donner un exemple. En Russie, les criminels ne se perçoivent pas comme tels. Ils en retirent une fierté. Ils savent qu'ils peuvent agir en toute impunité et, ouvertement, ils... Par exemple, des preuves directes et indirectes révèlent que M. Kadyrov, le président de la Tchétchénie, est probablement impliqué dans l'assassinat de mon père. Récemment, il a proféré des menaces de mort à l'endroit de dirigeants de l'opposition en disant qu'ils les puniraient en conformité ou non avec la loi, et partout...
    Il n'est pas nécessaire d'avoir recours à des dénonciateurs parce que les criminels sont fiers d'eux. On encourage ce comportement. Par exemple, Kadyrov, le président de la Tchétchénie au sein de l'État russe, s'est vu accorder la possibilité d'être réélu à ce poste. Poutine a déclaré que Kadyrov dirigeait très efficacement la Tchétchénie, même après avoir proféré des menaces de mort.
    Les preuves existent déjà. Il faut maintenant trouver une façon d'empêcher ces individus d'agir en toute impunité. À maintes reprises, j'ai présenté une demande dans le but d'interroger Kadyrov et ses plus proches alliés, mais le comité d'enquête a toujours refusé. Puis, j'ai contesté cette décision devant les tribunaux russes, mais j'ai encore essuyé un refus. Je pense donc que c'est trop difficile en Russie. Dans ce pays, tout est très criminel, et ce, à un niveau très bas.
    J'aimerais ajouter quelques mots.
    Vous avez soulevé un point très important en parlant de la sécurité des dénonciateurs. C'est certainement une source d'inquiétudes. De nouveau, comme nous l'avons appris dans l'affaire Perepilichny, même à l'étranger, les dénonciateurs ne sont apparemment pas en sécurité.
    Je pense que le point principal est celui soulevé par Zhanna. En effet, il n'est même pas nécessaire de chercher des dénonciateurs pour mettre en lumière des cas plus obscurs, car il existe déjà des violations flagrantes des droits de la personne commises par de hauts dirigeants du régime de Poutine, qui se vantent ouvertement de leurs actes. Comme je l'ai mentionné, M. Bastrykin a admis ouvertement avoir menacé de mort un journaliste. Il lui a ensuite présenté des excuses, mais il avait admis ouvertement avoir proféré de telles menaces.
    Dans le cas de M. Tchourov, président de la commission électorale, des documents officiels du Conseil de l'Europe et de l'OSCE et des rapports des missions de surveillance étayent la fraude commise. Il est donc inutile d'avoir recours à des dénonciateurs. Les preuves existent; elles ont toutes été rendues publiques.
    Dans le cadre de l'initiative mentionnée par Bill il y a quelques minutes, nous avons rencontré des membres du Congrès américain le printemps dernier, après l'assassinat de Boris Nemtsov. Nous avons proposé l'imposition de sanctions contre des propagandistes de l'État russe qui, pendant les mois précédant l'assassinat de Boris Nemtsov, ont participé à son dénigrement en le traitant de traître, d'agent étranger et de membre de la cinquième colonne et en disant qu'il aurait accueilli les troupes nazies à Moscou s'il avait été vivant en 1941.
    Je n'invente rien. Toutes ces déclarations ont été consignées. Il s'agit de déclarations publiques faites par des propagandistes de l'État, mois après mois, jour après jour, et qui ont créé un climat propice à l'assassinat du chef de l'opposition russe à l'extérieur du mur du Kremlin. Ce climat ne s'est pas créé tout seul; il a été créé par des gens dont nous connaissons très bien les noms. Nous n'avons pas besoin de dénonciateurs pour savoir de qui il s'agit. Nous savons qui ils sont, mais personne n'est prêt à prendre des mesures à leur endroit.
    Avant de donner suite au point important que vous avez soulevé, je pense qu'il faut agir dans les cas flagrants dont nous sommes au courant et qui sont bien documentés. Il faudrait vraiment prendre des mesures à cet égard.
    J'aimerais ajouter quelques mots. Nous n'avons pas encore parlé de Youri Tchaïka, le notoire procureur général russe. Alexeï Navalny, un militant anticorruption, a produit récemment un documentaire portant sur la corruption de Tchaïka et de sa famille ainsi que leur implication possible dans des meurtres.
    À quoi ce documentaire a-t-il servi? Quatre millions de personnes l'ont vu, mais le gouvernement n'a encore pris aucune mesure. Par conséquent, Youri Tchaïka a solidifié sa position en tant que procureur général. Par ailleurs, Navalny n'a fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire, ce qui signifie que tous les faits présentés dans son documentaire sont véridiques.

  (1750)  

    Comme il ne nous reste presque plus de temps, j'aimerais remercier de tout coeur les témoins. Je pense que tous les membres de notre Comité sont aussi convaincus que vous de l'importance d'étudier ces enjeux.
    Je vous remercie beaucoup de nous avoir aidés à entamer ce qui, nous en sommes convaincus, sera un examen de grande envergure des dispositions législatives qui existent déjà au Canada. Je pense que tout le monde autour de la table sait que la Chambre demandera à notre Comité d'examiner la Loi sur les mesures économiques spéciales. Pour nous tous, il est extrêmement important d'intégrer à cet examen vos témoignages et ceux d'autres intervenants. Je tiens donc à vous remercier de tout coeur.
    Je tiens à dire à mes collègues du Comité que, si je comprends bien, nous allons renvoyer la motion du Parti conservateur à notre sous-comité afin qu'il puisse l'examiner. Je pense que nous conviendrons tous de l'importance de trouver la meilleure façon d'assurer la suite des choses et que nous souhaiterons examiner cette motion et les autres motions dont le Comité a été saisi. Lors d'une séance ultérieure, le Comité décidera de la suite des choses.
    Je tiens à vous remercier tous.
    Dean, souhaitez-vous ajouter quelques mots?
    Oui. J'aimerais simplement que nous nous occupions de cette motion le plus rapidement possible. Si nous devons tenir une réunion très bientôt pour ce faire, je recommande qu'elle ait lieu le lundi ou le mardi de la semaine où nous reprendrons nos travaux.
    Oui, et cette question figurera certainement en tête de notre ordre du jour.
    Chers collègues, je vous remercie de votre temps. Nous allons nous revoir le mardi, dans quelques semaines.
    La séance est levée.
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