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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 092 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 17 avril 2018

[Énregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Chers collègues, comme il est 15 h 30, je déclare la séance ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions l'engagement du Canada en Asie.
    Nous accueillons aujourd'hui, de la Fondation Asie Pacifique du Canada, Stewart Beck, président-directeur général, qui est avec nous par vidéoconférence de Vancouver et, à titre personnel, nous recevons James Boutilier, professeur adjoint, Études du Pacifique, Université de Victoria — bienvenue à M. Boutilier —, et Marius Grinius, membre de l'Institut canadien des affaires mondiales et ancien ambassadeur du Canada. Il est toujours agréable de revoir nos anciens ambassadeurs.
    Comme toujours, nous voulons entendre vos opinions sur l'Asie, puis nos collègues poseront des questions. Je ne sais pas qui a décidé de prendre la parole en premier. Je pense que c'est M. Beck, par vidéoconférence.
    La parole est à vous, monsieur Beck.
    Merci au Comité de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui pour discuter de l'importante question de l'engagement du Canada en Asie.
    Je suis Stewart Beck. Je suis le président-directeur général de la Fondation Asie Pacifique du Canada, un organisme sans but lucratif créé par une loi du Parlement en 1984, et un chef de file en recherche et en analyse des relations entre le Canada et l'Asie depuis 30 ans. Nous avons pour mission d'être le catalyseur du Canada en ce qui concerne son engagement en Asie et de servir d'intermédiaire pour l'Asie dans ses relations avec le Canada.
    Tout d'abord, permettez-moi de vous résumer brièvement mon expérience en ce qui concerne l'Asie. Avant de me joindre à la Fondation Asie Pacifique, j'ai été le haut-commissaire du Canada en Inde et l'ambassadeur du Canada au Bhoutan et au Népal. J'ai commencé à travailler au ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur en 1982, qui est maintenant Affaires mondiales Canada. J'ai travaillé à l'étranger aux États-Unis, à Taïwan et dans la République populaire de Chine. J'ai été le consul général à Shanghaï, et avant mon affectation en Inde, j'ai été le consul général à San Francisco. À Ottawa, j'ai occupé un certain nombre de postes supérieurs, y compris ceux de directeur à la Direction générale de l'Asie du Nord, de directeur général responsable des hauts fonctionnaires et des employés permutants et de sous-ministre adjoint pour le développement du commerce international, l'investissement et l'innovation.
    Permettez-moi de commencer aujourd'hui par souligner l'importance de l'Asie pour les Canadiens et le Canada. Je me concentrerai sur l'économie et sur les menaces non traditionnelles à la sécurité, puisqu'il y a deux témoins très compétents qui discuteront assurément avec vous aujourd'hui des enjeux liés à la sécurité dans la région. Ce sont d'anciens collègues; Marius — je suis ravi de te voir, Marius — et Jim Boutilier est un bon ami à moi.
    La montée de l'Asie marque l'un des changements déterminants du XXIe siècle. L'Asie représentera bientôt 44 % du produit intérieur brut mondial, 54 % de la classe moyenne mondiale et 42 % de la consommation totale mondiale. Dans le cadre de notre étude, il ne faut pas oublier que même si la Chine est certainement l'acteur à surveiller, l'Asie n'est pas une entité monolithique. L'Asie n'est pas la Chine; c'est une région qui compte de nombreux types d'économies, de styles de gouvernance et de réalités géopolitiques. Une approche universelle ne fera pas avancer les intérêts du Canada dans la région.
    L'importance grandissante de l'Asie fait ressortir la nécessité du Canada de renforcer et de diversifier de manière stratégique ses partenariats existants dans la région, qui est un environnement complexe qui évolue rapidement et qui est de plus en plus concurrentiel. Le moment ne pourrait pas être mieux choisi. La vague de discours nationaux isolationnistes qui a balayé les États-Unis et l'Europe a compromis les alliances de longue date et les liens de confiance dans la région de l'Asie-Pacifique. À mesure que ces pays cherchent à se faire de nouveaux amis, le Canada fait l'objet d'une attention renouvelée pour son ouverture sociale et économique, sa culture d'entreprise transparente et sa bonne gouvernance.
    Je suis ravi de voir que le gouvernement du Canada répond à ce changement mondial important en accélérant son engagement avec l'Asie, en faisant en sorte que les échanges commerciaux avec la Chine et l'Inde soient un pilier de son programme à l'étranger, en lançant des missions commerciales à l'étranger et en négociant des accords de libre-échange avec un enthousiasme renouvelé. Mon collègue Hugh Stephens vous parlera de façon plus détaillée de ces trois initiatives plus tard aujourd'hui, mais nous sommes tous encouragés par le regain de l'activité entourant l'APTGP, la Chine, l'ANASE et, bien entendu, l'ALENA.
    Jusqu'à présent, le Canada a eu la chance d'avoir des sources de croissance et de stabilité parmi ses partenaires traditionnels tels que les États-Unis et l'Europe. Ces partenariats ne devraient pas et ne doivent pas être négligés. Mais le gouvernement du Canada a l'occasion dans l'immédiat d'élaborer une approche plus ciblée et stratégique pour favoriser la participation de l'Asie qui permet de promouvoir les intérêts nationaux du Canada et de contribuer au développement durable et à la croissance de la région.
    Pour aider le gouvernement dans cette initiative, la FAP du Canada a rendu public un document stratégique il y a de cela un an qui renferme une série de recommandations que le gouvernement devrait examiner pour répondre à la montée de l'Asie. Le document stratégique s'intitule « Jeter les bases d'une stratégie Canada-Asie » et est accessible sur notre site Web. Nous avons relevé cinq principaux moteurs de changement et de croissance dans la région de l'Asie-Pacifique et les défis et les possibilités pour le Canada. Je veux me concentrer sur deux de ces moteurs aujourd'hui: la technologie et l'information, et la démographie.
    L'évolution la plus importante en Asie-Pacifique au cours de la présente décennie est probablement l'effet de nivellement socioéconomique de l'Internet. L'augmentation de l'utilisation d'Internet est en train de transformer complètement les économies de marché nationales et traditionnelles en économies mondiales et numériques, comme nous le constatons avec la recrudescence récente des ventes par commerce électronique. De 2013 à 2018, les ventes par commerce électronique de l'Asie sont censées doubler, pour un total de 854 milliards de dollars. En Chine, le marché du commerce électronique a augmenté de 50 % par année depuis 2011 et a déjà dépassé celui des États-Unis pour devenir le plus gros marché en ligne dans le monde.

  (1535)  

    Pendant ce temps, l'Asie est en train de devenir rapidement une plaque tournante pour la technologie et l'innovation. Les entreprises et les gouvernements asiatiques cherchent des occasions d'apprendre de leurs partenaires au Canada sur la façon d'établir des écosystèmes d'innovation sains et de catalyser l'entrepreneuriat. Les investissements du gouvernement du Canada dans les supergrappes d'innovation constituent une stratégie de croissance nationale solide, mais imaginez si nous effectuons ces investissements nationaux en fonction de nos relations en Asie.
    Une redéfinition de la démographie en Asie est un autre moteur de changement dans la région. Dans les pays développés comme Singapour, Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, les populations âgées prédomineront bientôt. On effectue déjà des investissements accrus pour les pensions, les soins de santé et la recherche dans la technologie médicale pendant que les gouvernements se préparent à répondre aux besoins des personnes âgées. Nous devons nous demander comment le Canada peut mettre à contribution son expertise pour tirer parti de ces nouvelles possibilités.
    Les pays en développement en Asie du Sud et du Sud-Est enregistrent une hausse marquée de leurs populations de jeunes, car près de la moitié des habitants en Asie du Sud-Est seront âgés de moins de 30 ans d'ici 2020. Au cours de la même année, l'Inde devrait devenir le pays qui compte la proportion la plus élevée de jeunes au monde, avec 64 % de ses habitants qui feront partie du groupe d'âge actif. Le Canada peut aider à régler la pénurie de travailleurs qualifiés en Asie du Sud et dans certaines régions de l'Asie du Sud-Est, tout en aidant les gouvernements à gérer les risques potentiels associés à d'importantes populations de jeunes sans emploi.
    Par ailleurs, la croissance de la classe moyenne et l'urbanisation en Asie créent d'autres occasions et défis pour le Canada. Les ménages qui ont des revenus plus élevés peuvent maintenant dépenser plus d'argent pour des voyages à l'étranger et des articles de luxe, dont bon nombre sont des biens importés. Les parents asiatiques envoient leurs enfants à l'étranger pour faire des études supérieures, principalement dans des pays occidentaux anglophones accueillants comme le Canada.
    Nous avons également constaté une tendance encourageante avec la montée de la demande de produits alimentaires importés de sources fiables. Les populations mieux nanties, plus particulièrement en Inde, mangent tout simplement plus de protéines végétales comme des légumineuses chaque jour, puisque les pressions connexes sur la sécurité de l'eau à l'échelle régionale représentent un enjeu de plus en plus urgent.
    À l'échelle nationale, les recherches et les sondages menés par la FAP du Canada au cours des 10 dernières années révèlent qu'il y a des lacunes en matière de connaissances chez les Canadiens concernant les pays en Asie et que peu de Canadiens ont été exposés à l'Asie ou à la culture d'entreprise asiatique. Pour combler ces lacunes en matière de connaissances, nous devons investir dans les jeunes, en finançant des programmes destinés aux jeunes pour qu'ils aillent étudier et travailler dans des pays asiatiques. Les jeunes Canadiens sont prêts à relever le défi. Le plus récent sondage national d'opinion de la FAC du Canada sur les points de vue des Canadiens de la génération du millénaire a révélé qu'ils ont une attitude plus positive à l'égard de l'Asie en général et s'engagent davantage auprès de la région par le travail, les voyages, la langue et les réseaux sociaux que les membres de la génération X, les baby-boomers et la génération plus âgée. La bonne nouvelle pour le gouvernement canadien est que les Canadiens de la génération du millénaire sont plus susceptibles d'être réceptifs à une politique favorable à l'engagement que leurs aînés. Les membres les plus jeunes de la génération du millénaire, plus particulièrement, sont habituellement plus ouverts d'esprit et s'intéressent aux possibilités qu'offre l'Asie. Ce sondage se trouve sur notre site Web.
    En résumé, l'Asie n'est pas l'une de nos priorités, et nous n'avions pratiquement aucune raison ou volonté d'établir des liens avec cette région. Par conséquent, notre part du marché des importations totales en Asie est de 1,02 %. La part en Australie et en Allemagne, si l'on compare, est presque de 4 %, et aux États-Unis, elle est de 10 %.
    Il est temps pour nous de diversifier nos intérêts et de saisir les occasions de croissance qui se présentent dans le siècle de l'Asie. Pour ce faire, il nous faudra une stratégie et le leadership du gouvernement du Canada dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie.
    Merci de me permettre de passer un moment avec vous aujourd'hui.
    Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

  (1540)  

    Merci, monsieur Beck.
    Nous allons maintenant entendre M. Boutilier, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité.
    Je dirais que nous sommes en retard d'environ 30 ans. Nous aurions dû tenir cette discussion en 1990. Je suis étonné que l'ampleur de la transition de l'Atlantique au Pacifique ne soit abordée que maintenant. Le président Beck a mentionné, dans son élégant survol des perspectives géostratégiques et économiques en Asie, que l'Asie attire maintenant notre attention. C'est étonnant si l'on pense qu'en 1980, la Chine était la 17e économie en importance dans le monde et est maintenant la deuxième ou la troisième économie en importance dans le monde. Où étions-nous? À vrai dire, mesdames et messieurs, nous dormions au gaz.
    Par le passé, l'engagement du Canada en Asie a été tardif, incohérent et inefficace. Nous ne nous sommes tout simplement pas montrés à la hauteur de la situation. À la décharge du Canada, nous pourrions dire que sa grande dépendance à l'égard du marché américain, ses relations un peu partout dans la région de l'Atlantique et ses responsabilités institutionnelles envers l'OTAN et d'autres organisations ont détourné notre attention de l'Asie. Mais ironiquement, le centre de gravité du Canada se déplaçait constamment vers l'Ouest, et l'Asie, comme il en a été question à ce comité, est arrivée au Canada. L'asianisation des grands centres urbains du Canada est un phénomène contemporain, et c'est une très bonne chose.
    À la décharge du Canada, notre participation en Afghanistan et nos engagements envers l'OTAN ont détourné l'attention d'Ottawa de l'ampleur des changements qui survenaient en Asie. En tant qu'organisation, le MAECI, le MAECD ou AMC a graduellement perdu de son influence pour façonner la stratégie d'engagement du pays en Asie. Nous n'avons pas de vision et de leadership. Je ne voudrais surtout pas oublier les dizaines de petites et moyennes entreprises qui font des affaires en Asie. L'Asie est un endroit où il n'est pas facile de faire des affaires à bien des égards, mais il y a d'énormes possibilités.
    L'absence d'énoncés de politique étrangère au fil des ans est consternante entre le Canada et l'Asie. Le fait est que nous vivons dans un État où une politique globale étrangère fait défaut. Nous n'examinons pas la politique étrangère qui cible l'Asie. De même, si nous analysons les énoncés de politique en matière de défense de 1971 à aujourd'hui, nous constatons, paradoxalement, le peu de mentions de l'Asie à partir de 1990, et ce, en dépit de l'essor spectaculaire de la région à cette époque. Il n'y a pratiquement aucune donnée pertinente sur l'importance de s'engager en Asie, et je vous expliquerai un peu plus tard dans ma déclaration que le ministère de la Défense a un rôle important à jouer.
    Les récents voyages du premier ministre en Asie — au Vietnam, en Chine, en Inde — ne peuvent être qualifiés que d'échecs monumentaux. Quelqu'un devrait être tenu responsable. C'est consternant de nos jours et à l'étape où est rendu notre engagement national en Asie. Il y a d'importantes questions à se poser. Qui a organisé ces voyages? Qui les a concrétisés? Je trouve cela ahurissant. Le fait de laisser le premier ministre Abe debout sur l'autel à Da Nang était épouvantable pour établir notre crédibilité.
    Le gouvernement actuel, plus que le précédent, est tiraillé entre son attachement aux valeurs libérales et les aspects pratiques de l'établissement de relations économiques avec des régimes trop souvent peu recommandables en Asie. L'Asie est une région très dynamique et attrayante, mais comme nous le savons tous, le bilan en matière des droits de la personne dans certains pays asiatiques est quelque peu déplorable. Dans quelle mesure permettons-nous que notre engagement économique soit pris en otage en l'intégrant à notre système de valeurs?

  (1545)  

    La tâche de départager ces deux stratégies, à une époque où la question des valeurs divise de plus en plus la communauté mondiale, représentera pour le gouvernement l'un de ses plus grands défis. Le réflexe missionnaire est puissant et profondément ancré, mais il est voué à l'échec. Si nous avons appris une chose au cours des 25 dernières années, c'est bien à quel point les décideurs occidentaux ont été naïfs de s'attendre à ce que le système de valeurs chinois se transforme et se rapproche des mentalités occidentales au rythme de la croissance économique. Le contraire s'est produit.
    Devrions-nous abandonner nos valeurs? Absolument pas. Ce n'est pas ce que je recommande. Nous devons savoir très clairement, au moment d'établir nos priorités, le programme que nous voulons mettre en place lorsque nous collaborons avec certains pays en Asie. Certains pays asiatiques sont de plus en plus difficiles et de moins en moins recommandables chaque jour.
    Comme le président Beck l'a souligné, tandis que le commerce dans la région de l'Asie-Pacifique augmentait progressivement au cours de cette période, la part canadienne du marché n'a cessé de diminuer. Nous pouvons voir que c'est à peine la largeur d'une ligne de crayon, malgré les efforts déployés par de nombreuses entreprises canadiennes. L'un des défis, bien entendu, est que le Canada a une population qui est égale à celle de l'une des principales villes en Chine. Il n'y a aucune grande société au Canada dont on peut parler, mis à part peut-être Bombardier et SNC-Lavalin. Il est difficile de soutenir la concurrence, mais c'est la réalité.
    Le pragmatisme et la hiérarchisation des priorités doivent constituer les principes directeurs de notre engagement dans la région. Nous avons de nombreux autres tribunes où nous pouvons donner réalité aux valeurs sous-jacentes de notre démocratie canadienne. Les Forces armées canadiennes et la Marine royale canadienne — pas parce que je travaille pour la Marine, mais parce que c'est une filière de pouvoir national incroyablement flexible, à tous les égards — devraient être des filières utilisées pour démontrer l'engagement du Canada envers la région. Il ne suffit pas d'envoyer des navires en Asie; nous devons le faire d'une manière orchestrée qui optimise la valeur dans un éventail complet d'autres activités.
    À l'heure actuelle, les relations interétatiques se jouent en mer en Asie, où se déroule une course aux armements navals, et les forces militaires, en activité ou à la retraite, jouent un rôle extrêmement important dans les affaires de la région. C'est une chose que nous avons tendance à oublier, la mesure à laquelle les militaires, en service ou à la retraite, sont de grands façonneurs d'opinion dans bon nombre des politiques que nous gérons.
    Mesdames et messieurs, l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, l'ANASE, est, à mon grand regret, en difficulté. L'ironie, c'est que lorsque l'ANASE a obtenu le statut communautaire, elle a été fragmentée et minée par la politique et l'argent chinois. On n'a qu'à examiner la situation au Laos, au Cambodge et, de plus en plus, en Malaisie, pour constater que la communauté, qui était l'un des principaux éléments dans le contexte géostratégique en Asie, est pratiquement un échec, à mon sens à tout le moins. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de perspectives économiques pour le Canada. En fait, dans bien des cas, les pays de l'ANASE sont beaucoup plus attrayants pour le Canada que la Chine ou l'Inde, par exemple. Cependant, je crois qu'une tragédie est en train de se produire à l'ANASE en ce moment.
    Pour terminer, l'image du Canada en Asie laisse grandement à désirer. Les Canadiens sont perçus comme étant gentils, mais franchement sans intérêt. La question que l'on pose dans la région est la suivante: les Canadiens entendent-ils réellement s'engager en Asie? Nous n'avons pas respecté quelques principes simples: vous devez avoir une présence permanente là-bas et bâtir des relations; vous ne pouvez pas vous rendre là-bas et partir car c'est très loin d'Ottawa, contrairement à Londres, Francfort et Rome, qui ne sont qu'à un vol de nuit de distance et où, lorsque vous débarquez de l'avion, vous connaissez des gens.

  (1550)  

    Malheureusement, dans de nombreux cas, je crois qu'inconsciemment, l'Asie est classée dans le dossier des affaires difficiles. C'est tellement plus facile lorsqu'on s'occupe de Houston ou de Milwaukee. On n'a pas besoin de se préoccuper de la langue, des règlements, des devises, etc. Ce n'est pas facile en Asie, mais nous ratons d'énormes occasions, nous nous racontons des histoires, et c'est le type de discussion que nous aurions dû avoir il y a 30 ans.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur Boutilier.
    La parole est maintenant à M. Grinius.
    En ce qui concerne mes antécédents dans la région de l'Asie-Pacifique, j'ai occupé cinq postes dans la région, notamment à titre d'ambassadeur au Vietnam et en Corée du Nord et du Sud simultanément. J'ai également été directeur pour l'Asie du Sud-Est. En ce qui concerne les enjeux liés à la sécurité, j'ai été ambassadeur auprès des Nations unies à Genève, et je me suis occupé des réfugiés, des droits de la personne, de l'aide humanitaire et de tout ce dont Stewart a parlé. J'ai aussi été l'ambassadeur de la Conférence sur le désarmement. Enfin, avant de prendre ma retraite, j'ai travaillé pour le ministère de la Défense nationale, à titre de directeur général de la Politique de sécurité internationale.
    Dans les huit minutes qui me sont imparties, j'aimerais formuler quelques commentaires relatifs à l'engagement du Canada dans la région de l'Asie-Pacifique. Votre objectif est de cerner des domaines dans lesquels le Canada peut renforcer son engagement dans la région, et c'est un bon objectif. Le grand défi, c'est de veiller à ce que l'engagement du Canada demeure cohérent et uniforme, et je remarque que le dernier grand examen de la politique étrangère du Canada et de la région de l'Asie-Pacifique a été mené par le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international en 1998. Il s'intitulait « L'importance de la région de l'Asie-Pacifique pour le Canada ». Le Sénat a également effectué une mise à jour pour l'Asie du Sud-Est en 2015. Ce sont toujours de bons documents.
    Mon premier commentaire concerne le contexte mondial où, je le crois, un nouveau grand jeu se joue entre la Chine montante et les États-Unis en retraite. Je ferais valoir que les États-Unis, et maintenant la Chine, représentent les deux relations bilatérales les plus importantes du Canada — pour différentes raisons, mais à mon avis, ce sont les deux relations les plus importantes. Toutefois, le Canada doit se préparer pour un monde de plus en plus turbulent à mesure que ces deux puissances se font concurrence pour le commerce, le pouvoir de coercition et la puissance douce, en vue d'établir ce qui pourrait devenir un nouveau modus vivendi entre ces deux pays, ou peut-être même un nouvel ordre mondial. Dans ce nouveau grand jeu, la Chine est aidée de son récent partenaire, la Russie.
    Depuis votre visite à Beijing, Xi Jinping a manifestement apporté des modifications constitutionnelles, une modification très importante, et comme le fait valoir la publication The Economist, la Chine est passée de l'autocratie à la dictature.
    Mon deuxième commentaire concerne le paradoxe asiatique. Il fait référence à la situation ironique où, malgré l'interdépendance économique croissante en Asie, le niveau de coopération en matière de politique et de sécurité demeure très bas. Malgré des mesures incitatives pour favoriser la prospérité dans un environnement prévisible et pacifique, le conflit militaire potentiel peut certainement mettre en péril la prospérité économique de l'Asie, ce qui aurait des répercussions à l'échelle mondiale. Vous connaissez bien les problèmes de sécurité, c'est-à-dire la mer de Chine méridionale, la mer de Chine orientale, l'Inde, le Pakistan et Taïwan. La Corée du Nord représente peut-être le problème le plus urgent en ce moment.
    Les intérêts commerciaux du Canada demeurent en haut de la liste du programme de politique étrangère pour la région de l'Asie-Pacifique, mais je crois qu'il faut porter attention au contexte de sécurité de l'Asie. Le Canada doit contribuer à renforcer le contexte de sécurité de l'Asie-Pacifique, dans son propre intérêt. Le ministre de la Défense de Singapour a justement parlé du contexte de sécurité, hier, à une conférence de l'ANASE.
    Manifestement, je ferais valoir que la contribution du Canada consisterait à souvent montrer pavillon dans la région, à mener régulièrement des pourparlers politico-militaires de haut niveau et peut-être à ressusciter le rôle du Canada dans les discussions officieuses, auxquelles le Canada participait pleinement dans les années 1990 et au début des années 2000. Le Canada peut certainement jouer un rôle dans la question des droits de la personne, qu'il s'agisse de la Corée du Nord, des Rohingyas, de la Chine en général ou des exécutions sommaires menées aux Philippines.

  (1555)  

    Mon troisième commentaire concerne la Corée du Nord. Vous savez qu'une série de conférences connexes auront lieu au cours des prochains mois. Le premier ministre Abe rencontre le président Trump aujourd’hui, et la Corée du Nord est l'un des premiers points à l’ordre du jour.
    Je suis d'accord avec ceux qui pensent que Kim Jong-un ne négociera pas l’élimination de ses armes nucléaires, et qu’il n’y aura aucun changement fondamental dans la situation jusqu’à ce que la Chine admette que la Corée du Nord est une faiblesse stratégique dans ses ambitions mondiales.
    Malheureusement, le Canada reste à l’écart dans le dossier de la Corée du Nord depuis que le gouvernement Harper a décidé, en 2010, qu’il adopterait une politique « d’engagement contrôlé » qui manquait de vision. Le gouvernement Trudeau a permis à cette politique relative à la Corée du Nord de se poursuivre, même si le paysage géopolitique est en évolution constante, tout en demeurant très dangereux et imprévisible.
    D'après ce que je comprends, vous irez au Japon et ensuite en Corée du Sud; ce sont deux partenaires stratégiques du Canada. Je crois que vous trouverez que les Japonais sont très préoccupés par ce qui se passe dans la péninsule coréenne, et que les Sud-Coréens sont peut-être un peu trop optimistes. Vous souhaiterez peut-être demander à ces deux pays si le Canada peut jouer un rôle dans cette situation, mais vous devrez passer outre à la politesse traditionnelle pour obtenir des réponses précises de ces deux pays.
    Manifestement, le Canada peut commencer en s'assurant que l’ambassadeur de Séoul soit à nouveau accrédité aussi pour Pyongyang. Il faut être sur place. Il faut savoir ce qui se passe. Il ne faut pas compter sur quelqu’un d’autre pour nous tenir au courant.
    Mon quatrième commentaire concerne le Canada et l’ANASE. Vous êtes déjà allé en Indonésie. Vous avez rencontré le secrétaire général de l’ANASE. Vous connaissez l’histoire des partenariats de dialogue du Canada de 1977 et le fait que nous sommes l’un des partenaires du Forum régional de l’ANASE. Toutefois, lorsque l’ANASE a inauguré le premier Sommet de l’Asie de l’Est en 2005, le Canada n’a pas été invité. Lorsque l’ANASE a décidé d’élargir sa réunion des ministres de la Défense pour inclure les membres du SAE, encore une fois, le Canada a été exclu. Le premier ministre Trudeau a certainement demandé, et presque supplié, d’être invité à Manille, mais c’est un message qu’envoie le Canada depuis longtemps. Je crois que les membres de l’ANASE ne sont pas suffisamment convaincus de l’engagement du Canada à l'égard de l'Asie du Sud-Est, ou de l’ensemble de l’Asie, mais je crois que nos amis de l’ANASE, que je connais très bien, sont trop polis pour nous le dire.
    Le Canada doit certainement afficher un bilan à long terme qui démontre qu'il participe sérieusement aux priorités de l’ANASE en matière de problèmes stratégiques relatifs à la sécurité, mais en Asie, ces choses se font par l'entremise de rencontres en personne fréquentes et constantes. En effet, les relations personnelles sont très importantes.
    En 1995, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, André Ouellet, les a consultés. Il a invité tous les ministres des Affaires étrangères de l’ANASE à Vancouver en préparation du Sommet du G7 de Halifax. Je croyais que c’était une très bonne idée, mais je pense qu'aucun autre hôte canadien du G7, y compris celui du prochain Sommet du G7, n'a tenté d'obtenir l'avis de l’ANASE par la suite.
    Comme Jim l’a mentionné, l’un des problèmes, selon moi, c’est que l’ANASE se transforme de plus en plus en club de régimes autoritaires. Dans ce contexte, il sera important, à mon avis, de renforcer les relations avec l’Indonésie et Singapour.

  (1600)  

    Comme dernier commentaire, et pour conclure, j’aimerais préciser que le Canada est déjà un acteur économique solide dans la région de l’Asie-Pacifique. Il pourrait certainement être plus solide, mais il est présent. Il a des racines sociales, culturelles et historiques profondes dans cette région, mais il doit démontrer un engagement plus solide et plus uniforme à l’égard de la stabilité et de la sécurité de la région de l’Asie-Pacifique. Je crois que c’est dans son intérêt.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Grinius. J’aimerais également remercier les trois témoins.
    Mesdames et messieurs, nous respecterons le temps imparti, afin de pouvoir poser le plus grand nombre de questions possible.
    Monsieur O’Toole, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais également remercier nos témoins. Nous avons entendu des témoignages très convaincants. C'est bien de voir que deux de nos anciens ambassadeurs participent toujours très activement au dialogue avec le Canada et nos alliés partout dans le monde. Je vous remercie de nous aider à progresser dans ce domaine.
    J'ai quelques questions pour M. Beck et M. Boutilier.
    Monsieur Beck, en ce qui concerne la 19e Assemblée nationale populaire et la réorientation du leadership chinois sur les sociétés d'État, le Canada est confronté à plusieurs situations où la capacité croissante des sociétés d'État chinoises d'acquérir des entreprises canadiennes peut causer certaines difficultés relatives à l'orientation des États-Unis, car notre volonté d'approuver ces grandes transactions pourrait compliquer les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. En ce moment, les médias parlent d'Aecon, mais auparavant, on a entendu parler de quelques-unes relatives à la sécurité.
    À votre avis, comment cela finira-t-il? Il semble qu'avec la 19e Assemblée nationale populaire, le gouvernement chinois renforce son utilisation des sociétés d'État comme outil de politique étrangère.
    Je suis d'accord avec vous dans le contexte du rôle des sociétés d'État. Ce qui est également un peu perturbant, c'est que certains membres de la 19e Assemblée nationale populaire font maintenant aussi partie de conseils d'administration d'entreprises privées. Ce ne sont pas les messages qu'on souhaite envoyer à l'Occident en particulier, car ils soulèvent certaines préoccupations.
    Les sociétés d'État existent depuis longtemps. Certaines nous causent des préoccupations, surtout lorsqu'elles investissent dans notre secteur des ressources naturelles. Si vous jetez un coup d'oeil à notre sondage — il y a deux ans, nous avons mené un sondage sur l'investissement direct étranger provenant de l'Asie —, vous constaterez que les investissements des sociétés d'État dans le secteur des ressources naturelles inquiètent beaucoup les Canadiens. En effet, seulement 11 % des Canadiens appuyaient ce type d'investissements. Je crois donc que vous avez soulevé un point très pertinent.
    En ce qui concerne Aecon, je crois qu'il s'agit d'une occasion pour le Canada. En effet, CCCI a investi dans un type d'entreprise similaire en Australie, et cet investissement a produit de bons résultats. On a ajouté d'autres gens. On a conservé la structure de gestion. Cet investissement a créé des occasions pour cette entreprise australienne dans d'autres marchés d'Asie.
    Ce type de fusion peut servir de point d'entrée pour le Canada dans les projets qui seront lancés dans le cadre de l'initiative « Une ceinture, une route » . En effet, il y a beaucoup d'argent et d'investissements liés à ces projets. Je crois que nous devons examiner judicieusement les investissements effectués par les sociétés d'État. Des politiques existent en vertu de la Loi sur Investissement Canada et par l'entremise de nos intérêts en matière de sécurité nationale. Nous devons examiner ces processus pour déterminer s'ils auront des répercussions ou non.
    En toute honnêteté, monsieur, certaines de mes préoccupations sont davantage liées à la technologie, surtout en ce qui concerne les progrès dans les domaines de l'intelligence artificielle, de la technologie des numéros d'identification personnelle et de la gestion des mégadonnées. Nous devons connaître ces domaines, les comprendre et prévoir leurs répercussions, car nous avons de nombreuses nouvelles entreprises technologiques qui sont très performantes et ouvertes à la fusion et à l'acquisition. Nous devons seulement comprendre ce secteur. Nous devrions également y consacrer beaucoup de temps.

  (1605)  

    Ce sont certains risques uniques présentés par ce secteur. Merci.
    Monsieur Boutilier, je crois que vous avez raison, c'est-à-dire qu'une marine présente dans les trois océans, en raison de la montée de la région du Pacifique, faisait partie du Livre blanc sur la défense de 1987. Ces intentions ont donc été manifestées il y a 30 ans, mais on n'a assuré aucun suivi, et c'est donc un défi auquel nous faisons face aujourd'hui.
    Pourriez-vous parler un peu de la capacité militaire de la Chine, et surtout de sa capacité en matière de marine hauturière, et de l'évolution de tout cela — surtout avec la construction d'îles dans la mer de Chine méridionale —, de la sécurité des routes commerciales et de l'équilibre global dans la région de l'Asie du Pacifique en ce qui concerne les forces navales, le mouvement des troupes, etc.?
    Merci. C'est un enjeu extrêmement important. Je crois que de nombreux Canadiens ne se rendent pas compte que dans le dernier tiers de siècle, une marine aussi importante que celle des États-Unis est soudainement apparue sur la scène mondiale. Pensez-y. Comme je crois l'avoir déjà dit plusieurs fois aux membres de votre comité, lorsque j'étais un jeune officier de navigation dans la Marine royale, il y a longtemps, la Marine royale avait 152 frégates et contre-torpilleurs. Aujourd'hui, elle en a 19. Les États-Unis ont réduit leurs forces navales de moitié depuis le milieu des années 1980, à l'époque de Ronald Reagan.
    Nous sommes maintenant en présence d'un nouveau grand jeu. L'ambassadeur Grinius y a fait allusion et je crois qu'il a absolument raison, mais je ferais valoir que la plus grande partie de ce jeu se déroulera en mer. Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est un pays qui n'a jamais manifesté d'intérêt pour la mer auparavant, qui considérait que la mer était un obstacle et qui voyait des menaces existentielles émerger de l'Asie, mais qui considère maintenant que la puissance maritime est un instrument essentiel de la politique d'État. On peut voir ce changement dans l'augmentation constante du budget de la défense de la Chine; en effet, il a augmenté de 8 %, de 9 %, de 10 % et de 11 % par année au cours des 30 dernières années. On vient tout juste de mentionner l'initiative « Une ceinture, une route », le grand projet pharaonique de Xi. Je ferais valoir que c'est tout à fait nouveau. Je ne veux pas laisser entendre qu'on a abandonné la notion d'Empire du Milieu, mais la Chine commence maintenant à s'étendre au-delà de ses frontières comme elle ne l'a jamais fait auparavant, et la marine est l'un des éléments clés de ce projet.
    Qu'observons-nous? Nous observons un concours croissant dans le Pacifique occidental entre les forces navales américaines et chinoises et maintenant, manifestement, avec la référence à la région indo-pacifique, nous observons la marine indienne tenter de rattraper la montée de la marine chinoise, et ce grand concours se déroule en mer. D'autres marines — celles du Japon, de la Corée du Sud, etc. — commencent à se positionner aux côtés des Américains, des Australiens et des Indiens en vue d'un concours potentiel qui se déroulera en mer.
    La mer de Chine méridionale est un exemple de vol manifeste. C'est assez pour faire rougir un impérialiste britannique du XIXe siècle. Voilà des marxistes qui prennent le contrôle de territoires qui ne leur appartiennent tout simplement pas, et qui font valoir des arguments complètement faux. Toutefois, au bout du compte, comme Poutine en Crimée, Xi a minutieusement calculé la réponse de l'Occident et s'est rendu compte que personne ne s'opposerait, en fait, à la construction d'îles artificielles en mer de Chine méridionale — et visiblement, il a simplement fait entièrement fi de la décision rendue par la Cour internationale de Justice en juillet 2016. Il n'en a simplement pas tenu compte. C'est l'une des menaces réelles que nous observons dans l'ensemble, c'est-à-dire que des pays comme la Chine et la Russie ne tiennent tout simplement pas compte de l'ordre international et que le mensonge est un pilier de la politique étrangère.
    En somme, les Chinois ont consolidé leur approche à l'égard d'une des régions cruciales de la Chine sur le plan maritime. La Chine a donc maintenant le contrôle de la mer de Chine méridionale. C'est son lac.

  (1610)  

    Monsieur Boutilier, je dois vous arrêter ici.
    Je suis désolé, monsieur le président.
    Il n'y a pas de problème. Nous y reviendrons. Je suis sûr que vous aurez la chance de revenir sur le sujet.
    La parole est maintenant à M. Levitt.
    Merci, messieurs, de votre analyse.
    Les membres de notre comité ont eu l'occasion de visiter la Chine, le Vietnam et l'Indonésie en décembre. Comme vous le savez, nous nous rendrons en Corée du Sud, au Japon et aux Philippines en mai.
    J'aimerais d'abord aborder la question des droits de la personne, car je crois qu'au moins deux d'entre vous ont mentionné cet enjeu. Cette question présente un dilemme et un défi, et nous avons fait face à ce défi lorsque nous étions en Chine, en particulier. Dans ces trois pays, nous avons soulevé la question des droits de la personne. Nous avons eu quelques discussions, certaines plus réussies que d'autres, sur les questions de la liberté religieuse, de la liberté d'expression, des valeurs démocratiques et de la répression politique. Vous pouvez imaginer comment certaines de ces conversations se sont déroulées.
    Les Canadiens s'attendent à ce que le Canada continue d'envoyer ce message et d'être un modèle en matière de droits de la personne et de valeurs universelles et pourtant, monsieur Boutilier, vous avez manifestement mentionné ce problème lorsqu'il s'agit de faire progresser les accords économiques, etc.
    Nous pourrions peut-être d'abord entendre M. Grinius. Comment pouvons-nous aligner ces deux notions? À l'avenir, comment conjuguerons-nous, selon vous, la question des droits de la personne et la nécessité d'établir les fondements d'accords commerciaux?
    C'est un défi de taille. Il y a tellement de dictatures autoritaires dans cette région qui ne veulent rien entendre du message fondamental et cohérent que le Canada devrait leur transmettre pour exprimer ses inquiétudes. Ce n'est pas seulement en raison des valeurs canadiennes et de tous ces éléments favorables, mais aussi dans le contexte de la résolution que tout le monde a signée aux Nations unies en faveur des droits de la personne. Je crois vraiment que nous devons être à la hauteur de cet engagement. Le plus difficile, c'est de savoir comment nous y prendre.
    Lorsque j'étais ambassadeur au Vietnam, j'ai eu des échanges de vues au sujet des droits de la personne que je qualifierais dans bien des cas d'honnêtes et d'amicaux. J'avais même une liste d'individus jugés préoccupants pour le Canada et la communauté internationale au sens large. J'estime essentiel de veiller à mettre les instances responsables au fait de ces inquiétudes. C'est ce que j'ai fait auprès des dirigeants nord-coréens en parlant surtout de prolifération nucléaire et de droits de la personne. Je suis d'avis que le message transmis par le Canada doit être cohérent aux paliers supérieurs. Certains ne vont pas manquer de s'en prendre à nous de temps à autre, mais il faut l'accepter.
    Je voudrais vous parler en terminant du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. J'étais le représentant du Canada au sein de ce conseil lorsque notre pays en a été membre pendant ses trois premières années d'existence. J'y étais pendant les deux dernières, notamment à titre de vice-président. Je note que le Canada n'a pas tenté de devenir membre du Conseil des droits de l'homme depuis que j'y étais moi-même, soit en 2005. Comment cela est-il possible? J'estime que la question des droits de la personne est une préoccupation d'ordre planétaire, et le Canada n'est même pas présent. La Russie, la Chine et l'Arabie saoudite — ces grands défenseurs des droits de la personne — y sont en permanence à titre de membres votants, et je pense que nous devrions en faire tout autant.

  (1615)  

    À ce sujet, je me préoccupe certes du fait, notamment à titre de président du Sous-comité des droits internationaux de la personne, que le Conseil des droits de l'homme met souvent trop l'accent sur certains aspects particuliers sans chercher à faire une analyse rétrospective des difficultés que peuvent vivre ces pays. Étant donné la composition des parties votantes, il est vrai que certaines propositions sont édulcorées. Je pense que cela suscite une certaine frustration. C'est assurément mon cas. Je ne sais pas si c'est ce que l'on cherche à déterminer maintenant, mais...
    Il y a des fois où j'ai perdu le vote par 46 contre 1. J'avais l'impression d'avoir cédé devant les 46 autres membres qui défaisaient ainsi une motion canadienne, mais il fallait que je sois présent.
    Vous l'avez présentée, et c'est ce qui compte.
    Monsieur Beck, avez-vous quelque chose à ajouter concernant l'approche à adopter en matière de droits de la personne? Compte tenu de la présence du Canada, quelles sont nos obligations?
    Nous avons effectivement une obligation. C'est une question qui fait intervenir des considérations à court et à long terme. À court terme, nous n'hésitons pas à revenir constamment à la charge, comme je l'ai moi-même fait pendant ma carrière en soulevant toujours les mêmes préoccupations auprès des Chinois. La façon de procéder pouvait dépendre de l'origine des notes d'allocution ou de l'identité du plus haut dirigeant sur place, mais on n'a jamais cessé de soulever ces questions.
    Dans une perspective à plus long terme, on peut penser à tous ces étudiants asiatiques étrangers maintenant au Canada, surtout en provenance de la Chine et de l'Inde. Cela nous ramène à l'argument que j'avançais quant à la nécessité d'avoir une stratégie à l'égard des milléniaux. Ce sont de jeunes étudiants qui sont exposés aux valeurs canadiennes, qui sont normalement au pays pendant une période de quatre ans, voire davantage, et qui en viennent à comprendre notre système. Comment établir un pont avec cette génération dans un endroit comme la Chine? L'Inde a aussi sa large part de problèmes, je vous prie d'en croire ma propre expérience. Selon moi, c'est un peu de cette manière que nous devrions agir à long terme dans une perspective stratégique visant à influer sur la prochaine génération.
    Merci.
    Nous passons à Mme Laverdière.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie tous les trois d'être venus témoigner aujourd'hui devant le Comité.
    Monsieur Grinius, en parlant de la Russie, vous avez utilisé le terme junior partner, ce que je trouve assez intéressant. Quand on regarde ce qui se passe au Conseil de sécurité des Nations unies, on peut avoir l'impression que la Chine est plus réservée et que les grands débats et enjeux se jouent entre les Américains et la Russie. Or l'image que vous nous avez présentée est assez différente, ce que je trouve fort intéressant.
     Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

[Traduction]

    J'ai pu observer la cohésion entre les Chinois et les Russes et le travail d'équipe qu'ils accomplissent au sein du Conseil des droits de l'homme, surtout dans des domaines comme le contrôle des armes nucléaires, et plus largement dans le cadre des délibérations du Conseil de sécurité, surtout en ce qui a trait à la Corée du Nord. Il est fascinant de les voir agir stratégiquement en utilisant leur droit de veto pour édulcorer des résolutions plutôt directes du Conseil de sécurité, notamment pour toutes les questions touchant les sanctions.
    Dans un contexte que nous sommes un certain nombre à qualifier de « nouveau grand jeu », je crois qu'il est avantageux pour les Chinois et les Russes de maintenir les États-Unis sur le qui-vive sur le plan géopolitique. Il y a donc des navires de guerre chinois qui font des exercices avec des navires de guerre russes dans la Baltique, la Méditerranée et à la mer Noire. Les navires des deux pays se sont aussi côtoyés dans le Pacifique. C'est un message fort qui se répercute dans le monde diplomatique. On peut le constater concrètement dans la sphère militaire. Le nouveau ministre de la Défense chinois a choisi Moscou pour sa première visite officielle, et a parlé très ouvertement d'une collaboration entre les deux pays pour servir leurs intérêts communs. Cet engagement se manifeste certes de bien des manières différentes.
    À mon sens, il y a des objectifs, comme la lutte contre le terrorisme, pour lesquels il est préférable que tous collaborent, mais c'est dans une optique à très court terme, contrairement à ce que ces deux pays envisagent de faire à long terme.

  (1620)  

[Français]

    Monsieur Boutilier, vous avez mentionné que la Défense avait un rôle à jouer en Asie-Pacifique. J'aimerais vous donner l'occasion de nous donner plus de détails sur cette question.

[Traduction]

    J'essayais notamment de faire valoir que les instances militaires jouent un rôle disproportionné sur la scène politique dans de nombreux pays asiatiques avec lesquels nous interagissons, par rapport à ce que nous connaissons normalement au Canada. C'est ce que l'on peut observer par exemple en Thaïlande. C'est aussi certes le cas en Chine et ailleurs. J'ajouterais que cette portion du globe se militarise très rapidement, comparativement à l'Europe ou à l'Amérique du Sud par exemple. Je dirais en fait qu'il y a actuellement une course aux armements navals. La puissance maritime est de plus en plus le facteur déterminant dans la région indo-pacifique, alors que notre marine à nous est de taille très réduite, même si elle est tout à fait professionnelle. Son influence ne peut être que minime. Je crois tout de même que c'est un outil à notre disposition dont nous devrions nous servir conjointement avec d'autres éléments de l'arsenal canadien pour faire bien comprendre à tous l'importance de notre engagement dans cette région du monde. C'est une région fortement militarisée où l'on dépense beaucoup pour la défense en prévision d'un conflit à venir. Il nous appartient donc selon moi de nous positionner auprès de pays comme l'Australie, le Japon et la Corée du Sud de manière à mettre à contribution le professionnalisme de nos forces militaires aux fins de mesures appropriées qui vont contribuer à l'atteinte de nos objectifs nationaux
    Merci, monsieur Boutilier et madame Laverdière.
    Nous passons maintenant à M. Saini.
    Bonjour à tous.
    Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui.
    Je vais commencer avec vous, monsieur Grinius, surtout compte tenu de votre expérience en Corée du Nord. On oublie souvent que 27 000 Canadiens ont combattu lors de la guerre de Corée et que 516 d'entre eux y ont perdu la vie. Nous avons aussi été présents là-bas à une certaine époque.
    Le gouvernement précédent avait une politique d'engagement contrôlé avec la Corée du Nord. Vous avez déclaré publiquement que le Canada a soufflé le chaud et le froid pendant des décennies pour ce qui est de ses engagements concrets en matière de sécurité, et que nous devrions viser d'abord et avant tout la sécurité et la stabilité à long terme.
    Considérons la situation actuelle du côté des États-Unis. Il n'y a pas d'ambassadeur américain en Corée du Sud, et pas non plus de secrétaire d'État adjoint pour l'Asie du Sud-Est.
    Que pensez-vous des perspectives de stabilité à long terme dans la conjoncture actuelle, et quel rôle pourrait jouer le Canada pour la suite des choses?
    Comme je l'ai indiqué au départ, je crois vraiment que le Canada doit constater par lui-même ce qui se passe sur le terrain en Corée du Nord. Il ne suffit pas pour ce faire de lire les rapports produits par d'autres services de renseignement ou d'écouter ce que d'autres ont à dire à ce sujet. Je crois vraiment qu'il faut être présent sur le terrain. Après sept ou huit ans de soi-disant engagement — lequel était totalement inexistant exception faite d'un cas consulaire — il faut se refaire une crédibilité et une expertise en Corée du Nord. C'est le point de départ.
    L'impact ne sera pas nécessairement très senti, mais il faut entretenir des contacts constants avec les hauts dirigeants à Pyongyang pour leur faire comprendre que nous sommes là et que nous ne manquerons pas de les interpeller sans relâche à l'égard de nos différentes préoccupations, qu'il s'agisse de prolifération nucléaire, de droits de la personne ou de sécurité régionale, par exemple.
    On ne peut pas parler en connaissance de cause d'une situation aussi délicate et dangereuse que celle qui prévaut actuellement en Corée du Nord sans avoir été présent là-bas. Pour m'être moi-même rendu à Pyongyang, je peux vous dire que des pays comme les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon étaient toujours intéressés de savoir ce qui se passait en Corée du Nord. J'espère avoir alors pu jeter un éclairage mesuré et raisonnable sur ces enjeux. Ces pays étaient vraiment intéressés, je vous prie de me croire. Dans un contexte où tout est tellement imprévisible, il est bien certain qu'il faut planifier en conséquence et être déterminé à agir.

  (1625)  

    Monsieur Boutilier, j'aimerais revenir à vos commentaires au sujet de la mer de Chine méridionale. Le conflit qui sévit là-bas porte sur les ressources naturelles; c'est un secret de polichinelle. Selon les estimations, il y aurait dans la mer de Chine méridionale 11 milliards de barils de pétrole et 190 billions de pieds cubes de gaz naturel. Nous savons également que c'est une voie maritime importante pour le commerce international avec des biens d'une valeur atteignant presque 5 billions de dollars américains qui y transitent. Il y a aussi une course aux armements navals entre les marines indienne, japonaise, australienne et malaisienne.
    Une piste de solution a été proposée en 2105 par John Kerry au sommet de l'ANASE où il a réclamé une trêve sur trois plans. Il semble que cela ait permis d'enclencher un dialogue. Je sais que l'on se prépare maintenant à des négociations multilatérales, alors que la Chine souhaitait plutôt à l'époque des échanges bilatéraux.
    Monsieur Grinius, vous avez parlé, comme l'a fait M. Boutilier, et ce, de façon très détournée, d'une montée en puissance de la Chine. N'est-ce pas la définition même du piège de Thucydide? N'est-ce pas exactement ce que nous pouvons observer actuellement?
    J'ai lu toutes les interprétations qui ont été faites de cette situation. Santayana a déjà dit qu'il fallait connaître son histoire si l'on ne voulait pas être obligé de la revivre. Il faut espérer que nous en avons tiré les enseignements nécessaires pour ne pas répéter les erreurs du passé.
    Je crois que notre planète est maintenant beaucoup plus intégrée, ce qui rend les relations internationales nettement plus complexes. Il y a certes toujours les risques d'une mauvaise évaluation, mais...
    Je soulève la question pour une raison bien précise. Les conditions requises pour qu'un piège de Thucydide se manifeste ont été réunies à 16 reprises au cours des 500 dernières années, et les pays concernés se sont retrouvés en guerre à 12 occasions.
    Il faut nous assurer que nos dirigeants politiques sont beaucoup plus sages que ceux qui les ont précédés. Dans son ouvrage Vers la Grande Guerre: Comment l'Europe a renoncé à la paix, MacMillan montre bien comment les choses peuvent dégénérer. Je crois que nous avons un défi semblable du côté des États-Unis actuellement.

  (1630)  

    Je suis d'accord avec ce que vient de dire l'ambassadeur. Pendant que Néron joue de la lyre à Washington, l'architecture mondiale se transforme d'une manière qui n'est pas sans nous déplaire. Il est absolument essentiel que l'Occident se serre les coudes. Nous sommes beaucoup trop absorbés par nos préoccupations nationales, pendant qu'une nouvelle ère débute en Chine avec l'accession au pouvoir en 2012 de Xi Jinping qui vient d'être confirmé dans ses fonctions lors du 19e Congrès du parti communiste.
    Une nouvelle Chine coercitive, catégorique et arrogante est en marche, mais elle n'est pas intéressée à faire la guerre, contrairement à ce que peuvent laisser croire tous ses efforts pour moderniser son Armée de libération du peuple. Elle peut en effet utiliser d'autres moyens pour arriver progressivement à ses fins. C'est l'effet d'abrasion que nous avons pu observer en Crimée ainsi que dans la mer de Chine méridionale. Ce même effet pourrait se faire ressentir — et c'est là l'une de nos craintes — dans le contexte de l'initiative La Ceinture et la Route. Aux yeux de certains analystes, cette initiative ne pourrait-elle pas être d'une certaine manière un premier pas vers l'élargissement de la crise qui sévit en mer de Chine méridionale à l'ensemble de l'océan Indien? Je dirais que la situation de l'Occident est de plus en plus périlleuse au sein de la vaste architecture des affaires mondiales, et que nous devons vraiment faire front commun.
    Le moment est maintenant venu pour moi de remercier nos témoins, MM. Beck, Grinius et Boutilier. J'ai grandement apprécié votre contribution. Il y a certains jours où mon rôle m'apparaît beaucoup moins intéressant, mais c'était très agréable aujourd'hui. Je tiens à vous remercier vivement pour votre franchise et votre candeur. Votre expérience et votre expertise nous guideront dans nos recommandations à l'intention du gouvernement, car j'ai bien l'impression qu'il y a ici consensus quant à la nécessité d'en faire davantage en Asie. C'est assurément dans cette optique que nous examinons le travail déjà réalisé à ce sujet en espérant que l'on ne s'arrêtera pas en si bon chemin.
    Merci beaucoup encore une fois de votre contribution. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Chers collègues, nous allons maintenant nous interrompre quelques minutes avant d'accueillir nos prochains témoins.
    Merci beaucoup, monsieur Beck.

  (1630)  


  (1635)  

    Permettez-moi maintenant de vous présenter nos nouveaux témoins. J'essaie de vérifier si on peut les voir à l'écran. Ce n'est pas encore le cas. Nous avons ici devant nous M. de Kerckhove, membre et maître de conférence à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.
    Nous recevons également M.  Hugh Stephens, membre émérite de la Fondation Asie Pacifique du Canada qui témoigne par vidéoconférence depuis Victoria. Nous accueillons aussi Mme Sarah Kutulakos, directrice exécutive du Conseil commercial Canada-Chine.
    À moins que vous en ayez déjà décidé autrement entre vous, nous allons d'abord écouter ce que la représentante du Conseil commercial Canada-Chine a à nous dire. Vous voulez débuter madame Kutulakos?
    Est-ce que nos témoins par vidéoconférence peuvent nous entendre?
    Ici Hugh Stephens à Victoria. Je vous entends très bien.
    Sarah, est-ce que vous nous entendez?
    Non.
    D'ici à ce que nous ayons rétabli la communication avec Sarah, pourquoi ne pas débuter avec l'exposé de M. Stephens qui sera suivi de M. Kerckhove.
    Monsieur Stephens, vous avez la parole.
    Merci.
    Bonjour à tous les membres du Comité. Comme vous le savez, je m'appelle Hugh Stephens et je tiens à remercier le Comité de m'avoir donné l'occasion de discuter de l'importante question d'un engagement plus soutenu du Canada en Asie.
    Tout d'abord, un petit mot sur mon parcours personnel. J'ai travaillé pendant 28 ans au sein de ce qui est désormais le ministère des Affaires mondiales. Au cours de cette période, j'ai eu le privilège d'avoir été largement exposé à l'Asie et au rôle du Canada en Asie. Lorsque j'étais jeune agent, le ministère des Affaires extérieures de l'époque m'a demandé d'apprendre le mandarin avant d'être affecté à l'ambassade du Canada à Beijing à la fin des années 1970. J'y étais à un moment critique pour l'émergence de la Chine, soit après les bouleversements de la révolution culturelle et le début des réformes du marché et de l'ouverture économique.
    De retour à Ottawa, j'ai travaillé entre autres sur des dossiers liés à l'Asie. Mes affectations ultérieures en Asie m'ont amené à l'ambassade du Canada (aujourd'hui le haut-commissariat) à Islamabad, au milieu des années 1980; à l'ambassade du Canada en Corée de 1989 à 1992; et, enfin, comme directeur de la représentation officieuse du Canada à Taiwan, le Bureau commercial du Canada à Taipei, dans la seconde moitié des années 1990.
    J'étais sous-ministre adjoint responsable des politiques et des communications au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international lorsque j'ai quitté la fonction publique en 2001 afin de saisir une occasion dans le secteur privé en tant que vice-président principal des politiques publiques (Asie-Pacifique) pour la multinationale américaine du secteur des médias, Time Warner. J'y ai travaillé pendant 12 ans, principalement au siège régional de l'entreprise à Hong Kong.
    À mon retour au Canada, je me suis associé, sur une base volontaire, à la Fondation Asie Pacifique du Canada. Yuen Pau Woo, le PDG de l'époque qui est aujourd'hui sénateur, m'a demandé si je pouvais servir en tant que cadre en résidence pour conseiller la Fondation sur les questions relatives aux médias. J'ai poursuivi mon association avec la Fondation et j'y suis maintenant membre émérite et vice-président du Comité national canadien de coopération économique avec la région du Pacifique. Cet organisme représente le Canada au sein du PECC (Conseil de coopération économique du Pacifique), une organisation non gouvernementale non officielle, avec le soutien de la Fondation qui nous offre des services de secrétariat.
    Je m'empresse d'ailleurs d'ajouter que même si je suis associé à la Fondation Asie Pacifique, je ne parle pas en son nom aujourd'hui. Je présente seulement mon point de vue personnel. Je sais que vous avez reçu M. Beck précédemment.
    Étant donné que le Comité s'intéresse à la façon dont le Canada devrait optimiser ses politiques à l'égard des pays et des organisations régionales en Asie, j'aimerais souligner brièvement le rôle du PECC, car il s'agit à mon avis d'une plateforme que le Canada devrait continuer d'utiliser et de développer davantage, parmi les différents éléments lui assurant une présence dans la région.
    Le PECC a été créé en 1980, bien avant que l'APEC ne voit le jour. En fait, on pourrait dire que c'est la sage-femme qui a assisté à la naissance de l'APEC. Je suis désolé pour tous ces acronymes. Pour que les choses soient bien claires, l'APEC, le Forum de coopération économique Asie-Pacifique, comme vous le savez certainement, est une organisation fondée en 1989 qui réunit 21 gouvernements des deux côtés de l'océan Pacifique.
    Revenons au PECC. Il est composé de praticiens expérimentés provenant du milieu universitaire, du monde des affaires et du secteur gouvernemental. Les fonctionnaires participent à titre privé. Le PECC a mené de nombreuses études sur des questions touchant la région Asie-Pacifique, l'accent étant actuellement mis sur la croissance durable et inclusive, la libéralisation du commerce, ainsi que sur l'intégration et la connectivité régionales. La composition du PECC est en grande partie similaire à celle de l'APEC, bien qu'il y ait quelques différences mineures. Le PECC entretient des relations étroites avec l'APEC et son secrétariat; il est invité à titre d'observateur officiel à toutes les réunions de l'APEC. Compte tenu de cette relation spéciale, le PECC axe ses études et ses recherches sur des questions pertinentes pour l'APEC et agit comme son groupe de réflexion officieux. Le Canada participe au PECC depuis sa création en 1980. Le coprésident actuel du PECC est Don Campbell, ancien sous-ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur du Canada au Japon.
    Une autre organisation non officielle similaire est le Conseil consultatif des gens d'affaires de l'APEC ou ABAC (désolé, un autre acronyme!). Chaque pays de l'APEC compte trois membres au sein de l'ABAC. Les membres canadiens sont nommés par le gouvernement du Canada afin d'offrir des conseils aux représentants de l'APEC en ce qui concerne l'élaboration de politiques ayant une incidence sur le milieu des affaires. Le Canada ne compte toutefois qu'un seul membre à l'heure actuelle. Il s'agit de M. Ralph Lutes de Teck Corporation. Les retards dans la nomination des membres sont chroniques, et il est rare que le Canada ait un effectif complet à l'ABAC. Cela impose une très lourde charge à ceux qui acceptent volontairement de siéger au sein de ce conseil.

  (1640)  

    Comme il a été indiqué, le PECC et I'ABAC soutiennent I'APEC, qui est toujours la seule organisation gouvernementale ayant une large couverture de la région Asie-Pacifique, même s'il s'agit davantage d'un organe consultatif que d'un organe de réglementation. Le Canada est un membre fondateur de I'APEC, mais au cours des dernières années, il a eu tendance à ne pas accorder beaucoup d'attention aux activités de l'APEC. La dernière fois que le Canada a accueilli une année de l'APEC, donc, le sommet annuel de l'APEC, c'était en 1997, à Vancouver. Nous avons largement dépassé le moment où nous devrions chercher à accueillir I'APEC, ce qui nous donnerait l’occasion d'aider à façonner le programme Asie-Pacifique en cours.
    En résumé, le Canada devrait profiter davantage des plateformes actuelles en Asie-Pacifique auxquelles il participe déjà par l'entremise du PECC, de l'ABAC et de l'APEC. Je serais heureux de vous en dire davantage sur les possibilités qui s'offrent à nous.
    En plus de jouer un rôle plus actif au sein de I'APEC, je suis d'avis que le Canada doit diversifier ses relations au-delà du besoin évident d'une relation plus structurée avec la Chine. À mon avis, la Chine est une réalité économique et politique à laquelle le Canada doit faire face, que nous aimions ou non la voie de la gouvernance choisie par le régime chinois actuel. II est de beaucoup préférable d'avoir des relations institutionnelles convenues avec la Chine, comme un accord de partenariat économique, qui établit un cadre fondé sur des règles pour traiter les questions et les différences, et de prendre l'habitude du dialogue, que d'essayer de faire face à la montée en puissance de la Chine en réagissant au cas par cas. Dans le but de traiter avec la Chine — ce qui est controversé étant donné les opinions divergentes du public canadien —, il est important pour le Canada d'équilibrer tout mouvement vers des liens plus étroits avec la Chine en renforçant simultanément ses liens avec d'autres parties de l'Asie.
    Je suis heureux de voir que cela a été fait avec la Corée et que cela l'a finalement été avec le Japon grâce à la conclusion de l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, mais il est également nécessaire de tendre la main aux 10 pays de I'ANASE.
    II y a de nombreuses raisons de resserrer les relations avec l'ANASE, notamment en l'aidant à équilibrer l'influence croissante de la Chine dans la région, l’existence d'une importante communauté ethnique au Canada provenant d'au moins un des principaux pays de l'ANASE, les Philippines, et les avantages économiques potentiels pour le Canada d'assurer un meilleur accès à ce marché de près de 600 millions de personnes.
    Les pourparlers commerciaux entre le Canada et l'ANASE ont progressé très lentement et avec prudence et, bien qu'il ait été une étape positive pour le Canada d'établir une ambassade consacrée à l'ANASE en 2016, il est temps de renforcer cette relation et de négocier un accord de libre-échange ou de partenariat économique avec l'ANASE parallèlement à tout ce que nous faisons avec la Chine.
    Je vais conclure sur ce, et j'attends vos questions avec impatience.
    Merci beaucoup.

  (1645)  

    Merci beaucoup, monsieur Stephens.
    Sarah, la parole est à vous.
     Merci de me recevoir par vidéoconférence, et félicitations au Comité d'avoir entrepris ce travail important sur l'engagement du Canada en Asie.
    Bien que votre étude porte sur l'ensemble de l'Asie, je vais me concentrer exclusivement sur la Chine.
    Le Conseil commercial Canada-Chine a été fondé il y a 40 ans par des gens d'affaires canadiens, des visionnaires qui, à une époque où le commerce bilatéral n'était pas une réalité, ont vu le potentiel lié à la création d'une organisation sans but lucratif, non gouvernementale et non partisane pour multiplier et améliorer les échanges commerciaux avec la Chine.
    Nos quelque 300 membres sont des entreprises canadiennes à 90 %, et 10 % sont des entreprises chinoises qui ont fait d'importants investissements au Canada. Nous sommes là pour veiller à ce que le Canada tire profit des possibilités qu'offre la Chine. C'est important, car même si la hausse du commerce et des investissements dans les deux sens profitent aux deux pays, nous voulons nous assurer que l'économie canadienne en sorte gagnante.
    La relation qu'entretient le gouvernement avec la Chine est cruciale. Une relation saine aura des répercussions directes et importantes sur la capacité des entreprises canadiennes à conclure des marchés, à faire des ventes et des investissements en Chine, et à attirer le capital voulu ici, au Canada. Autrefois un marché émergent intéressant, la Chine est devenue un des principaux moteurs de l'économie mondiale, contribuant au tiers du différentiel de croissance annuelle du PIB mondial. La croissance de la Chine est telle, à 6,8 %, qu'elle ajoute l'équivalent d'un Canada ou d'une Australie chaque année au PIB mondial. Bien qu'il soit pertinent de s'intéresser à la diversification des marchés à l'échelle de l'Asie, le fait demeure que la Chine est beaucoup plus vaste que tout autre pays d'Asie.
    En 2017, le commerce des marchandises avec la Chine s'élevait à 94 milliards de dollars, soit le triple de la valeur des échanges avec le Japon, et 11 fois plus qu'avec l'Inde. C'est un marché très important pour l'exportation de produits agricoles, comme les céréales et les oléagineux, de même que les produits de pâtes et papiers. Ces chiffrent ne comprennent pas le secteur des services, qui connaîtra une croissance encore plus rapide, étant donné que l'économie chinoise est surtout axée sur la consommation.
    Deux secteurs très importants, l'éducation et le tourisme, sont des secteurs faciles, selon moi, en ce sens que nos exportateurs n'ont pas à quitter le pays pour vendre leurs produits. Les deux offrent des connexions de personne à personne qui permettent d'exprimer et de transmettre les valeurs canadiennes.
    De bien des façons, la Chine est l'éléphant dans la pièce: impossible de l'ignorer. Nos exportations vers la Chine ont connu une bonne augmentation l'an dernier, soit 13 %, mais elles ne constituent encore que 4 % environ de nos exportations mondiales. Sachant que de nombreuses entreprises ne pensent même pas à la Chine comme destination d'exportation, ce chiffre indique deux choses: la croissance est bel et bien réelle, et c'est ce qu'on arrive à faire sans essayer très fort.
    Et quand je dis qu'on n'essaie pas très fort, ce n'est pas pour diminuer les efforts déployés par toutes les institutions que je considère essentielles au dossier de la Chine. Cependant, le Canada n'a pas de stratégie propre à la Chine et manque peut-être ainsi de motivation claire. Imaginez ce qu'il nous serait possible de faire avec un partenariat économique qui permet d'aborder de front les irritants, de réduire les tarifs et de favoriser l'ouverture des marchés. Prenez l'Australie, par exemple, dont l'accord de libre-échange avec la Chine est en vigueur depuis deux ans maintenant. On a appris hier que les exportations de vin australien en Chine ont augmenté de 51 % en 2017; la Chine est ainsi devenue le premier marché d'un milliard de dollars pour les producteurs de vin australiens. En 2016, le Canada a exporté pour 15 millions de dollars en vin en Chine, et même si c'est la destination pour 44 % des exportations canadiennes de vin, ce chiffre est peu impressionnant par rapport à celui de 2015.
    Pourquoi ne faisons-nous pas plus d'échanges commerciaux avec la Chine? Je pourrai répondre à vos questions plus tard concernant les facteurs qui font concrètement obstacle au commerce, mais essentiellement, il est plus facile de faire des affaires avec les États-Unis, alors c'est ce que font les entreprises. Celles qui choisissent de ne pas transiger avec la Chine semblent ignorer que la croissance de cette dernière a aussi eu pour effet d'accroître la concurrence dans les marchés de base. Si ce n'est que pour demeurer dans la course face à leurs concurrents chinois, les entreprises canadiennes doivent toutes avoir une stratégie axée sur la Chine.
    Kishore Mahbubani, de l'université nationale de Singapour, avance que l'événement le plus marquant de 2001 n'a pas été les attentats du 11 septembre, mais l'adhésion de la Chine à l'OMC. C'est près d'un milliard de travailleurs qui sont entrés dans le monde du capitalisme, découvrant au fil du temps qu'ils peuvent être tout aussi performants que le reste du monde. Cela devrait être le petit coup de fouet dont le Canada a besoin pour redoubler d'efforts en fait d'innovation et de rendement.
    Pourquoi n'avons-nous pas plus de politiques en ce sens? Je devrais peut-être poser la question au Comité. Les sondages montrent que bien des Canadiens ont peu d'estime pour la Chine. J'ai bien des reproches à lui faire, et je travaille tout de même avec elle depuis plus de 30 ans. Je fais des affaires avec la Chine depuis le début de ma carrière, dont 10 ans à Eastman Kodak, où mon vocabulaire s'est enrichi de termes photographiques. Devant un portrait de la Chine d'aujourd'hui, on trouverait inévitablement une foule de choses à critiquer, notamment les problèmes qui sont soulevés lors de la négociation d'un accord commercial progressiste. Si on regarde une séquence vidéo de la Chine, on se rend compte à quel point et à quelle vitesse les choses ont changé. La rapidité avec laquelle le changement s'est opéré et l'influence qu'a la Chine sur le monde en général s'accompagnent à la fois de possibilités et de défis. La Chine fait partie de notre monde, et plus nous nous engageons auprès d'elle, plus nous pouvons discuter des points de discorde.

  (1650)  

    J'encourage le gouvernement à consulter Pitman Potter de l'Université de la Colombie-Britannique, qui a étudié à fond les questions du commerce et des droits de la personne. Son rapport de 2016 contient des informations précieuses qui pourraient éclairer notre programme de commerce progressiste. Pitman est d'avis que « droits de la personne » est un terme trop vaste, car tous les pays ne le définissent pas de la même façon. Pensez à la pyramide des besoins de Maslow. Ici, la liberté d'expression et la démocratie sont au sommet de la pyramide, mais en Chine, c'est la réduction de la pauvreté qui est prioritaire. En élargissant la définition des droits de la personne pour inclure le développement, la santé publique, les relations de travail, la réduction de la pauvreté et des inégalités, ainsi que la responsabilisation des gouvernements, nous aurions là un meilleur cadre pour élaborer des stratégies efficaces visant à intégrer le commerce et le respect des droits de la personne.
    Pour notre gouvernement, l'engagement avec la Chine n'est pas une option. C'est un impératif. Et pour gagner la Chine, ce sera un travail de longue haleine. La Chine aime la constance stratégique, et c'est pourquoi un tel engagement est crucial, peu importe le parti au pouvoir. D'après les communiqués de presse, et rien d'autre, je peux vous dire quels sont les objectifs de la Chine pour 2050. Peu de pays, le Canada y compris, peuvent annoncer leur plan de développement 30 ans à l'avance.
    L'engagement du gouvernement est absolument nécessaire pour assurer le maintien du commerce. L'an dernier, nous avons sondé l'opinion d'entrepreneurs d'un peu partout au Canada sur un possible accord de libre-échange. Ils ont été nombreux à nous répondre qu'ils n'avaient pas grand-chose à gagner d'une telle entente, même en sachant que le processus de négociation permettrait de maintenir une relation harmonieuse avec la Chine, ce qui ne peut être que bon pour les affaires. J'encourage fortement le gouvernement à lancer le processus de négociation d'un accord de libre-échange, car il faudra du temps pour aboutir à une entente.
    Je crains que depuis deux ans, nous tenons un beau discours, sans toutefois vraiment passer à l'acte. L'attente a un prix, car les consommateurs chinois sont déjà en train de se développer des habitudes, et ils vont préférer les marchandises et les services offerts par les pays qui attaquent le marché de la Chine sans réserve. Rappelez-vous de mon exemple du vin australien. Nous devons faire le choix conscient d'assurer cet engagement avec la Chine et miser sur cette relation pour favoriser la prospérité du Canada. Il y a des occasions faciles à saisir immédiatement, comme veiller à bien traiter les touristes chinois, de façon à ce qu'ils encouragent leurs amis à visiter le Canada eux aussi. Nous pourrions également développer des technologies écologiques qui aideraient la Chine à assainir son environnement, car elle y travaille très fort. Ni l'une ni l'autre de ces possibilités n'est controversée.
    Que voulons-nous de la Chine? La communauté d'affaires veut simplement des règles du jeu équitables pour tout le monde. Permettez à nos entreprises d'être concurrentielles selon ce qu'elles ont à offrir. Permettez-nous d'accéder au marché et de gagner de l'expérience dans notre domaine. Ne nous imposez pas de structure organisationnelle. Les entreprises canadiennes seront plus enclines à percer le marché chinois si le système en place protège les droits des entreprises et des citoyens des deux pays.
    Quand il s'agit de questions réellement épineuses — comme le transfert des technologies, les politiques industrielles discriminatoires envers les entreprises étrangères, et l'ingérence potentielle des gouvernements dans la gouvernance des entreprises —, le Canada doit être clair et s'assurer d'un soutien multilatéral. Il peut être efficace de faire pression à plusieurs.
    La Chine espérée et la Chine véritable sont peut-être deux, mais nous n'aurons jamais ce que nous voulons si nous ne nous engageons pas efficacement avec le gouvernement chinois.
    Je serai heureuse de répondre à vos questions plus tard. Merci aux membres du Comité d'avoir entrepris ce travail important et de m'avoir permis d'en discuter avec vous.
    Merci beaucoup pour votre exposé.
    La parole est maintenant à M. de Kerckhove.
    Merci, monsieur le président et honorables membres du Comité. C'est un honneur pour moi de prendre parole devant votre comité, qui a souvent été un point de référence au cours de ma carrière dans le domaine des affaires étrangères. Je vais faire mon exposé en anglais.

[Français]

     Cela dit, il est évident que je peux répondre en français et peut-être un peu en russe, mais pas en chinois.

[Traduction]

    Bien que j'aie envoyé à l'avance un CV détaillé, je devrais commencer par souligner que, d'une part, j'ai eu trois affectations en Asie. La première était en Iran, puis j'ai été haut-commissaire au Pakistan et enfin ambassadeur en Indonésie. Mes trois autres étaient à l'OTAN, en Russie et en Égypte, quoique ce dernier pays appartiendrait probablement autant à l'Asie qu'à l'Afrique si ce n'était de prescriptions géographiques anciennes.
    D'autre part, au cours des six années — réparties sur une période de 13 ans — pendant lesquelles je me suis consacré à la planification des politiques aux Affaires étrangères, j'ai participé à pratiquement tous les aspects de la réflexion stratégique sur la place qu'occupe le Canada dans le monde. Vous ne serez donc pas surpris par quelques observations au sujet de la politique étrangère du Canada en général, laquelle, d'une façon ou d'une autre, sous-tend notre engagement en Asie, ou plutôt l'absence d'un tel engagement. Vous comprendrez également à quel point j'applaudis les efforts que vous déployez aujourd'hui pour essayer d'approfondir les connaissances des Canadiens sur le monde asiatique.
    Durant mes 38 années au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, désormais AMC — on le désigne par tant d'acronymes —, j'ai servi mon pays sur la scène internationale au meilleur de mes capacités. Une fois que j'ai quitté mes fonctions au gouvernement, je me suis toutefois permis d'exprimer mes commentaires personnels sur les enjeux internationaux ainsi que sur les politiques et les processus employés par le gouvernement canadien afin de gérer ces questions. J'attire votre attention sur les documents annuels publiés dans les deux langues officielles par l'Institut de la Conférence des associations de la défense, un organisme dont j'ai été vice-président-directeur pendant plusieurs années. J'ai été coauteur ou auteur de ces documents au cours des quatre dernières années, soit de 2013 à 2016. Je vous ai fourni quelques exemplaires, mais pas pour 2016, malheureusement, car ils sont écoulés. Ce numéro était peut-être trop bon.
    Sur une période de quatre ans, j'ai eu la chance d'évaluer un ensemble de tendances ainsi que l'adaptation du Canada en réponse à ces temps changeants. Une constante émerge de ces études: l'absence d'une véritable politique canadienne envers l'Asie, au-delà des banalités qui s'inscrivent dans la lignée des mesures se résumant à « une région importante pour le Canada ». J'exagère à peine. Compte tenu de la grande qualité des présentations données précédemment par des experts très bien informés, je me concentrerai davantage sur la dimension de la sécurité. Je commencerai toutefois par énoncer certaines des autres banalités que nous avons relevées au cours des 10 dernières années.
    La plus grande platitude, si vous me permettez d'employer ce terme, qui est pourtant la plus flagrante réalité, est qu'il n'existe pas de continent asiatique monolithique. Cette Asie qui compte le plus pour le Canada borde surtout le Pacifique et les mers de Chine, bien que l'Inde y soit aussi clairement incluse. Malgré des questions de sécurité très importantes, telles que les empiétements de la Chine dans les mers de Chine, les problèmes les plus notoires de la région débutent à l'ouest de l'Inde, dans les liens éloignés du Moyen-Orient.
    Le deuxième point est la réorientation générale du commerce et de la sécurité dans la région Asie-Pacifique, où la sécurité s'articule principalement autour d'un ensemble disparate d'accords de sécurité bilatéraux plutôt que de s'appuyer sur le genre de cadre multilatéral offert par l'OTAN. C'est une région qui a besoin d'une architecture de sécurité, même si nous savons qui la dominerait. C'est pourquoi la décision prise par le Canada en 2012 de se joindre au Partenariat transpacifique représentait un signe majeur d'engagement et une avancée positive qui a récemment été consacrée, en dépit d'un accroc temporaire. Cela est d'autant plus important que, sur le plan du commerce avec la région, le Canada accuse un retard considérable par rapport à ses concurrents. C'est avec un grand plaisir que j'ai entendu la directrice exécutive du Conseil d'affaires Canada-Chine, car on observe depuis les 15 dernières années une baisse de la valeur totale et du taux de croissance des exportations du Canada vers la Chine. Il y a donc beaucoup de travail à faire à cet égard.
    Un autre point, c'est que malgré les affirmations contraires, outre l'accent important mis sur le commerce, il y a eu peu d'évolution dans tout dossier se rapprochant d'un changement stratégique, et bien que nous affirmions être une nation à trois océans, notre marine laisse fortement à désirer, surtout si l'on se souvient qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Marine royale canadienne était la cinquième en importance au monde. La région qui souffre le plus de cette situation, en ce qui concerne la présence de la Marine canadienne, est sans contredit la région Asie-Pacifique.

  (1655)  

    Il n'y a aucun doute dans mon esprit que vos visites répétées dans la région feront de vous de fervents défenseurs des efforts continus pour reconstruire notre marine afin qu'elle puisse jouer son rôle sur la scène maritime la plus importante au monde.
    Le fait que, probablement par manque de préparation adéquate, la tentative du premier ministre d'engager des négociations concernant un accord de libre-échange avec la Chine s'est soldée par un échec ne signifie pas que le gouvernement canadien cessera d'entamer le dialogue avec la Chine. Cela souligne toutefois qu'un examen très minutieux de la stratégie du Canada à l'égard de la Chine demeure essentiel en tant que sous-ensemble fondamental d'une stratégie clairement définie pour l'Asie-Pacifique. En outre, cette stratégie doit tenir compte de l'évolution des perspectives stratégiques dans la région.
    Voilà mon message clé: globalement, tout examen devrait tenir compte des répercussions de la crise économique de 2008, qui a touché principalement le monde occidental et pourrait être l'événement le plus marquant des 50 dernières années, au même titre que la chute du mur de Berlin, car il a irréversiblement ouvert deux portes chinoises sur le monde, soit l'économie et la politique.
    Sur le plan économique, l'année 2008 a vu de nombreux pays dans le monde commencer à regarder d'un oeil désapprobateur la version occidentale du modèle capitaliste et son soi-disant principe de la main invisible d'Adam Smith. Beaucoup de pays d'Asie ont tourné leur regard vers la version chinoise du capitalisme d'État, avec une main beaucoup moins invisible qui permet néanmoins aux gagnants ou aux perdants de s'affronter dans le cadre d'objectifs d'État clairement définis. De nos jours, les pays asiatiques ont tous la Chine comme principal partenaire commercial et ont adopté en grande partie le même modèle économique dit « plus efficace ». L'initiative « Une ceinture, une route » a donné un nouvel élan à ce modèle, malgré ses défauts et ses incertitudes. Voilà pour l'aspect économique.
    Sur le plan politique, dans le même esprit de contraste opposant les caprices de la présidence américaine à l'approche clairvoyante de l'« empereur » chinois et aux « avantages » d'un régime autoritaire guidant la politique économique, de nombreux dirigeants de la région se sont sentis libres de limiter la liberté politique et de réduire les pratiques démocratiques, transformant l'héritage de Lee Kuan Yew en une vertu permanente d'autopréservation, d'où la montée des Dutertre et autres dans la région Asie-Pacifique.
    Le Canada ne peut ignorer ces développements et aurait avantage, du moins du point de vue de la sécurité, à observer attentivement les Australiens qui, comme le faisait remarquer un universitaire canadien, sont « meilleurs dans la conceptualisation de leurs perspectives de sécurité et de défense, dans leur formulation en stratégie et en politiques et dans la dépense effective du capital tel que déterminé par ses documents directeurs pour l'approvisionnement et le renouvellement de la défense ». Les Australiens le font bien, et nous, non.
    Le Canada évolue dans un environnement plus calme, avec un puissant allié au sud — bien que la ministre Freeland ait souligné à juste titre que nous ne pourrions pas compter automatiquement sur le soutien des États-Unis —, mais nous devons rester lucides et veiller à ce que, dans nos échanges commerciaux avec nos partenaires asiatiques, nous ne perdions pas de vue leurs ambitions géostratégiques et nous ne sacrifiions pas nos valeurs fondamentales dans le processus.
    Sur le plan de la sécurité, le Canada ne peut se contenter d'un Examen de la politique de défense qui n'est pas fondé sur un concept de sécurité nationale et la politique étrangère qui l'accompagne. J'ai dénoncé à maintes reprises l'absence d'un véritable examen de la politique étrangère, qui devrait sous-tendre l'examen de la politique de défense, et non le contraire.
    Je suis d'accord avec mon ami et ancien collègue Stewart Beck, président et chef de la direction de la Fondation Asie-Pacifique du Canada, qui affirmait que « le moment est venu pour le Canada de prendre des décisions, d'agir et de se différencier dans la région Asie-Pacifique. Notre pays est un phare et est ouvert à la circulation des personnes; cependant, pour prospérer, le Canada a besoin d'un point focal, d'intensité et de cohérence, et, surtout, de changements substantiels. » Toutefois, et c'est un aspect essentiel, cette politique doit s'accompagner d'un engagement politique et stratégique plus vaste, ce que j'appellerais une politique de service complet.
    Merci.

  (1700)  

    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier les trois témoins.
    Nous commençons sans tarder.
    Nous passons à M. Genuis.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins.
    Je serai bref. J'ai vraiment aimé les témoignages.
    Madame Kutulakos, j'ai trouvé intéressantes vos observations sur l'engagement à l'égard des droits de la personne dans le contexte du commerce, et en particulier la définition des droits de la personne. Je conviens que dans de nombreux contextes, la définition de droits de la personne peut devenir une cible parce qu'elle est trop large et que nous devons approfondir la question et être plus précis, ce qui requiert à mon avis une spécificité et non un élargissement des termes.
    Lorsque le Comité a traité d'enjeux précis liés aux droits de la personne lors de son voyage en Chine, notamment les mauvais traitements dont sont victimes les Tibétains, les adeptes du Falun Gong et d'autres, nous avons entendu un argument selon lequel il fallait privilégier un ensemble de droits plutôt qu'un autre en raison des progrès économiques de la Chine.
    Je pense que la plupart d'entre nous acceptent, du moins dans le monde occidental, que les droits politiques et civils — qu'on pourrait appeler les droits intellectuels, les droits de l'esprit — aient préséance, qu'on ne peut payer les gens pour qu'ils renoncent à leur droit de vote ou au droit de pratiquer leur religion.
    J'aimerais savoir si, à votre avis, notre engagement envers la Chine devrait être fondé en priorité sur ces principes des droits de la personne plutôt que sur des concepts de droits à la fois plus récents et axés sur une perspective matérialiste.

  (1705)  

    Je pense que nous devrions nous en tenir aux détails des aspects que nous jugeons importants tout en étant prêts à accepter que la Chine puisse avoir d'autres priorités. Nous ne devrions pas hésiter à discuter des points que vous avez soulevés, mais pour que les discussions puissent progresser, nous devrions essayer de comprendre pourquoi les Chinois se concentrent sur certains aspects. Nos contextes historiques sont très différents. Nos structures gouvernementales sont très différentes.
    L'enjeu très complexe. Dans le milieu des affaires, nous sommes plutôt axés sur l'amélioration de nos activités. Je pense que les travaux de Pitman auxquels j'ai fait allusion tendent à établir des liens entre les mesures concrètes que peuvent prendre les entreprises et des concepts comme la responsabilité sociale des entreprises ainsi que certains enjeux plus importants et complexes plus fréquemment abordés dans les discussions entre gouvernements.
    J'ai abordé cet aspect simplement pour orienter la discussion.
    Merci.
    Ce que vous dites, si j'ai bien compris — je ne veux pas vous prêter des propos que vous n'avez pas dits —, c'est que nous devrions exprimer les opinions que nous jugeons importantes. Il s'agit de reconnaître que notre interlocuteur pourrait être en désaccord, et c'est précisément la nature d'un dialogue constructif. Les gens discutent et s'expriment.
    Partant de là, lorsque je regarde les données sur les échanges commerciaux du Canada avec la Chine au cours des 15 dernières années, il me semble évident que malgré les inquiétudes sur la possibilité que certains commentaires puissent offenser le gouvernement chinois, les échanges commerciaux ont connu une croissance relativement constante qui ne varie manifestement pas selon l'importance qu'on accorde aux droits de la personne lors des discussions.
    Cela veut-il dire que nous pouvons à la fois commercer avec la Chine et soulever des questions relatives aux droits de la personne sans nous inquiéter que les Chinois interrompent leurs relations commerciales avec nous sous prétexte qu'il n'aime pas que nous discutions de ces enjeux fondamentaux, reconnaissant ainsi que le maintien des relations commerciales entre nos deux pays est autant dans leur intérêt que dans le nôtre?
    Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que nous ne devrions pas hésiter à aborder les enjeux que nous jugeons importants et que nous ne devrions pas penser que cela entraînera inévitablement la fin des échanges commerciaux. Je suis d'accord avec vous là-dessus.
    Merci beaucoup.
    Je vais maintenant passer à M. Stephens. J'aimerais avoir votre point de vue sur la question des entreprises d'État. Si vous souhaitez aussi faire des commentaires sur l'engagement à l'égard des droits de la personne, n'hésitez pas, mais j'aimerais me concentrer sur la façon dont le Canada doit réagir aux préoccupations sur l'incidence des sociétés d'État chinoises dans le monde du commerce et sur la place plus importante qu'occupent les comités de parti, et ce, même dans les entreprises privées n'appartenant pas à l'État.
    Je sais que la présence d'entreprises d'État et les investissements d'État au Canada suscite beaucoup de préoccupations dans certains cercles. Ces entreprises d'État sont manifestement différentes des entreprises occidentales. En outre, comme vous l'avez indiqué, il y a eu un resserrement continu du contrôle du parti.
    Cela dit, je pense que nous devons être optimistes, du point de vue canadien, compte tenu de notre cadre réglementaire. Je pense qu'il est ridicule d'avancer, sous prétexte qu'elle pourrait avoir agi ainsi en Afrique, qu'une société d'État chinoise puisse, au Canada, affaiblir les normes du travail, affaiblir la réglementation en matière d'environnement, faire toutes sortes de choses et adopter des pratiques anticoncurrentielles.
    Au Canada, c'est nous qui fixons les règles du jeu, la réglementation. Les entreprises d'État doivent respecter les règles, comme les grandes multinationales des autres pays. À mon avis, nous devons être conscients de leurs différences et nous devons faire preuve de prudence, mais je pense qu'inviter des entreprises d'État à faire des affaires au Canada comporte beaucoup d'avantages, pourvu qu'on mette en place un cadre réglementaire adéquat pour veiller à ce qu'elles contribuent à l'économie de notre pays.
    Ce que vous dites est intéressant, du moins pour moi, et je terminerai là-dessus. Vous dites que les entreprises d'État qui pourraient avoir été mêlées à des activités douteuses ailleurs suscitent moins de préoccupations ici en raison de notre cadre réglementaire.
    La nature de l'entreprise ne change pas, évidemment, en particulier dans le cas d'entreprises comme Aecon qui ont accès à des renseignements de nature délicate liés à la sécurité. L'enjeu n'est pas tant lié à leurs activités au Canada, en raison des contraintes possibles. Il est plutôt lié aux informations qu'elles collectent, à l'utilisation qu'elles en font et aux limites qu'elles sont prêtes à repousser.
    Êtes-vous en accord ou en désaccord avec cette affirmation?

  (1710)  

    Concernant Aecon, il y a des avantages et des inconvénients. Il revient au gouvernement d'examiner si des préoccupations légitimes en matière de sécurité justifient de bloquer cela. Personnellement, je pense qu'une partie de l'opposition vient d'entreprises qui ne veulent pas d'une concurrence accrue venant d'une société comme Aecon appuyée par un partenaire international disposant de ressources financières considérables.
    En fin de compte, je pense que si des renseignements stratégiques sont divulgués, par notre faute, c'est notre problème. Nous devons veiller à réglementer adéquatement ce qui doit l'être. Les entreprises canadiennes qui ont des activités à l'étranger sont tout de même tenues de respecter certaines exigences, notamment sur le plan de la responsabilité sociale d'entreprise, etc.
    Encore une fois, je pense que l'adoption d'un cadre réglementaire rigoureux au Canada et de limites claires et légitimes concernant les enjeux de sécurité devrait suffire à protéger nos intérêts.
    Mais pour être juste envers...
    Merci.
    Merci. Garnett.
    Monsieur Sidhu, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie tous les trois de venir témoigner devant le Comité aujourd'hui.
    On a beaucoup parlé de la Chine et encore de la Chine. Je comprends que sur le plan économique, le Canada s'est centré sur les Amériques, l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique au cours du dernier siècle. Dans l'intervalle, l'Australie a accru sa présence dans la région asiatique.
    Y a-t-il quelque chose que nous pourrions faire en collaboration avec l'Australie pour accroître notre présence en Asie ou est-ce que nous avons déjà raté toutes nos chances à cet égard?
    Je commencerais par Sarah. J'espère que cela ne vous dérange pas que je vous appelle par votre prénom.
    Pas du tout.
    En ce qui a trait à la collaboration avec l'Australie, il faut tenir compte de certains facteurs. Pour bon nombre d'entre nous, l'Australie représente un modèle d'engagement à long terme avec la Chine. Il est donc utile de voir comment elle a géré les choses. Je crois que l'Australie — et d'autres pays — peut nous aider à décider de ce que nous voulons faire en tant qu'entreprises étrangères en Chine et à voir comment accéder à la classe moyenne, qui connaît une forte croissance là-bas. L'Australie a trouvé une façon de le faire et a mis sur pied son propre accord de libre-échange. Mais de façon générale, il y a d'autres facteurs associés à cette possibilité, sur lesquels nous pouvons miser ensemble.
    En ce qui a trait à la question soulevée par le dernier intervenant au sujet des comités de partis, je crois que l'Australie, qui entretient une solide relation avec la Chine, pourrait s'associer à nous pour faire front commun face à ce que nous jugeons inacceptable.
    Monsieur Stephens, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Oui. De toute évidence, nous partageons de nombreuses valeurs et un patrimoine commun avec l'Australie, alors je crois que nous pourrions travailler ensemble en ce qui a trait à la gouvernance.
    En ce qui a trait aux affaires, on a tendance à oublier que nous sommes un concurrent direct de l'Australie, que le commerce entre l'Australie et le Canada pourrait être accru, mais que pour les marchés asiatiques, nous faisons concurrence à l'Australie. Il faut que nous puissions être sur un pied d'égalité avec l'Australie. C'est l'un des avantages du nouveau PTP: il nous permet d'être sur un pied d'égalité avec l'Australie sur le marché japonais, par exemple.
    Je crois donc qu'on pourrait en faire beaucoup sur le plan des valeurs. Pour ce qui est des affaires, je crois que nous devons aiguiser nos crayons et songer aux intérêts du Canada d'abord.
    Croyez-vous que le PTP pourrait exercer une pression sur la Chine, puisqu'elle n'y prend pas part et qu'elle doit conclure un accord de libre-échange avec le Canada?
    Monsieur de Kerckhove, voulez-vous répondre?
    J'ai eu l'audace de rédiger un article qui a été publié dans le magazine Forces où je faisais valoir que la partie manquante au PTP, c'était la Chine. À un certain point, nous devrons faire une place à la Chine, parce qu'elle est un joueur clé dans la région. À mon avis, c'est assez évident, mais il faudra beaucoup de temps pour en arriver là, parce qu'il faudra faire participer les États-Unis. Trump y a fait allusion, mais je ne sais pas exactement où il se situe aujourd'hui par rapport à hier, alors je n'irai pas plus loin que cela.
    Je crois que Hugh a tout à fait raison au sujet de la concurrence. Je me souviens lorsque nous parrainions l'éducation en Égypte ou au Pakistan, par exemple, ou lorsque nous élaborions notre propre domaine d'études dans ces pays... les Australiens étaient nos principaux concurrents.
    De plus, le petit imbroglio entre le premier ministre et son homologue australien au sujet du PTP montre également qu'il y a quelques aspérités dans la relation, qu'il faudra réparer.
    Je crois qu'au fil du temps, si nous établissons un solide PTP, on surmontera quelques-unes de ces difficultés, mais la concurrence entre les deux pays demeurera, non seulement pour les ressources minières, mais aussi dans le domaine de l'agriculture. Je crois donc que mon collègue Hugh a tout à fait raison de soulever ces questions.

  (1715)  

    Puisque vous venez de parler d'éducation, je crois que le tiers des 450 000 étudiants de notre pays sont Chinois. Croyez-vous que les étudiants canadiens auront l'occasion d'aller en Chine, afin que nous soyons sur un pied d'égalité avec elle?
    J'entends les étudiants locaux se plaindre qu'ils ont de la difficulté à être acceptés dans nos propres universités. Ils se plaignent des étudiants étrangers qui viennent au pays. Quel est votre avis à ce sujet?
    Je renverrais la question à l'un des deux experts.
    Je crois que l'égalité des chances est un objectif continu et qu'il faut plus de temps pour l'atteindre avec la Chine. Je comprends leurs préoccupations. Je crois que Hugh et Sarah pourraient répondre à cette question plus en détail.
    D'accord. Je vous laisse choisir.
    Je peux commencer.
    Les étudiants canadiens ont l'occasion d'aller en Chine et je crois qu'il s'agit d'un élément important en vue de développer nos compétences. Le fait est que les étudiants canadiens vont étudier en Angleterre et dans d'autres pays familiers, mais pas beaucoup ailleurs. Je sais que la Fondation Asie Pacifique a fait un très bon travail à cet égard. Ce n'est pas tant que la Chine ne veut pas accueillir les étudiants. Elle aimerait en avoir plus, et il y a peut-être des bourses d'études inutilisées. C'est ce qu'on m'a dit. Il faut encourager les jeunes et leur faire comprendre qu'une telle expérience peut être utile pour leur carrière.
    Est-ce que je peux ajouter quelque chose, rapidement?
    Gardez votre idée, monsieur Stephens. Nous y reviendrons.
    Nous allons passer à la prochaine intervenante.
    Madame Laverdière, vous avez la parole.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie tous de vos témoignages, aujourd'hui.
    D'abord, je désire souligner que je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il nous manque une revue de la politique étrangère et que c'est celle-là qui devrait servir de base à une politique de défense, et non pas l'inverse.
    Cela dit, parlant de la sécurité, monsieur de Kerckhove, vous avez souligné qu'il n'y a pas d'infrastructure multilatérale de sécurité en Asie-Pacifique. En tant qu'ancien ambassadeur au Pakistan, et en raison de vos connaissances des relations entre le Pakistan et l'Inde, j'imagine que vous voyez bien les difficultés de faire émerger quelque chose.
    Serait-ce seulement possible d'avoir une architecture de collaboration et de coopération en sécurité mieux intégrée?
    Je vous dirais que, si on parle de la dimension entre l'Inde et le Pakistan, une architecture de sécurité dans cette région est pratiquement impossible. Si vous prenez simplement la relation entre l'Afghanistan et le Pakistan, notamment, qui remonte à la création de l'Afghanistan et du Pakistan, cette relation est délétère. En effet, même sur le plan frontalier, il n'y a aucun accord à cause de la ligne Durand. Il y a aussi le fait que l'Afghanistan était le seul pays à ne pas reconnaître le Pakistan, au moment de sa fondation, en 1947. Il y a eu, depuis, trois guerres d'affilée entre l'Inde et le Pakistan.
    Ensuite, il y a la notion même de sécurité collective. Je suis toujours en contradiction avec ceux qui dénoncent l'OTAN. C'est vrai que l'OTAN a des difficultés, mais c'est littéralement la seule architecture de sécurité qui soit solide dans le monde et qui fournisse un certain équilibre. Le problème de l'OTAN est que, après avoir été très concentrée sur la défense de son propre périmètre, elle s'est mise à se trouver des fonctions en dehors de son périmètre, d'où les catastrophes de la Libye et même de l'Afghanistan et de l'Irak, quoi qu'elle ne soit pas intervenue en Irak.
    Par exemple, en ce qui concerne l'architecture de l'ANASE, la dimension est totalement différente. Il n'y aura pas d'architecture de sécurité. De toute façon, la Chine préfère infiniment avoir des accords bilatéraux que des accords contraignants multilatéraux, qui limitent sa capacité d'opération.
    Le modèle de l'OTAN est donc unique et il ne se répercutera certainement pas dans l'Asie-Pacifique ou, en tous les cas, il sera géré sur la base d'une règle bilatérale par la Chine avec ses partenaires.

  (1720)  

    Je vais vous poser à tous une question peut-être un peu étrange. Cela ne sera pas la première fois de ma vie.
    On a beaucoup parlé des institutions auxquelles le Canada peut participer plus activement, notamment en y nommant des membres, lorsqu'il a la possibilité de le faire.
    Le Commonwealth est-il encore un outil pour le Canada, dans la région?
     Je vais répondre, parce que c'est de la provocation, madame l'honorable députée.
    Des voix: Ha, ha!
    M. Ferry de Kerckhove: Le fait est que nous avons beaucoup oeuvré ensemble sur ces questions dans un passé que nous avouons publiquement.
    Je suis justement en train d'organiser, à l'Université d'Ottawa, une conférence sur la Francophonie politique, à laquelle je serais heureux que vous participiez. Dans la mesure où à la fois le Commonwealth et la Francophonie sont des institutions fonctionnelles géographiques qui n'ont pas véritablement les moyens de leurs ambitions ni la résonnance à l'intérieur de l'instance principale que sont les Nations Unies, il en découle un certain essoufflement de l'enthousiasme pour ces institutions.
    En plus de cela, du côté de la Francophonie, il y a une espèce de fuite en avant qui a permis jusqu'à présent, je crois, à près de 92 pays d'être plus ou moins membres, certains membres observateurs, d'autres membres suppléants, et le reste. Bref, il y a une espèce d'élargissement sans aucun approfondissement. Le Commonwealth lui-même est beaucoup plus équilibré dans la mesure où, si vous prenez la Francophonie, il y a la France et le Canada et ensuite le reste tandis que, à l'intérieur du Commonwealth, vous avez des pays plus équilibrés comme l'Inde, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie, et l'Afrique du Sud. Vous avez donc une institution qui, en principe, devrait être beaucoup plus porteuse et sur laquelle le comité, peut-être, devrait se pencher à nouveau. Toutefois, je crois qu'il y a une certaine faiblesse institutionnelle dans ces deux organisations ainsi que des faiblesses considérables sur le plan des moyens. Ainsi, à mon avis, dans le contexte que nous discutons, le rôle et l'influence du Commonwealth ou de la Francophonie, qui ont des membres en Asie, ne sont pas très importants.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    La parole est maintenant à M. Levitt. Allez-y, monsieur.
    Je vais céder mon temps de parole à M. Wrzesnewskyj.
    J'aimerais revenir à certains des enjeux soulevés par M. Grinius. Lorsque les entreprises d'État chinoises acquièrent des entreprises canadiennes, est-ce que ces dernières sont gérées à titre de filiales canadiennes d'une entreprise chinoise contrôlée par l'État ou est-ce qu'elles deviennent des filiales chinoises au Canada? On dirait presque une question rhétorique.
    Je ne sais pas si notre cadre réglementaire et notre façon de trancher ces questions permettent de répondre adéquatement à ce scénario. Est-ce qu'on devrait songer à mettre en place un cadre réglementaire continu spécial, qui ne viserait pas une décision unique — une autorisation de procéder —, mais plutôt un examen régulier lorsqu'on prend de telles décisions? Selon ce qu'on comprend, ce ne sont pas des entités organisationnelles habituelles. Cette idée de « l'ADN des sociétés » représente plutôt « l'ADN du parti central » dans le capitalisme d'État oligarchique de la Chine.
    Les répondants au sondage d'opinion ne comprendront peut-être pas pleinement de quoi il s'agit, mais ce malaise au sujet des investissements chinois dans les grandes entreprises du Canada est assez juste. Instinctivement, la population voit les dangers potentiels associés à la décision finale d'accepter ces investissements pour ensuite vivre avec les conséquences pendant des décennies.
    Vous pouvez commencer, monsieur.

  (1725)  

    Je vais laisser les deux experts répondre à la question, mais j'aime cette notion d'un cadre réglementaire évolutif: plus nous aurons de l'expérience avec ces nouvelles relations... Je suis tout à fait d'accord avec Hugh. Il faut garder les yeux ouverts, sans restreindre nos possibilités. La question est la suivante: devons-nous songer à établir un cadre réglementaire spécial pour gérer ces entreprises au fil du temps, ne serait-ce que pour dissiper les préoccupations des Canadiens? Je crois qu'il ne faut pas surréglementer, mais il faut répondre à vos questions et savoir si ces entreprises d'État seront gérées comme des entreprises privées au fil du temps.
    À mon avis, les Chinois voudront une réforme de leurs sociétés d'État fin qu'elles agissent comme de vraies entreprises, mais je vais laisser Sarah et Hugh répondre à cette question.
    Sarah veut peut-être répondre.
    Oui, nous travaillons en étroite collaboration avec plusieurs sociétés d'État qui ont investi ici. Je crois qu'il est important de souligner que, dans la plupart des cas, les filiales établies au Canada relèvent d'entreprises cotées à la Bourse de New York, à la Bourse de Hong Kong et, dans certains cas, à la Bourse de Shanghai.
    D'après mes observations, elles fonctionnent à titre d'entités commerciales à part entière. Les dirigeants de ces entreprises ici au Canada ne se préoccupent pas souvent — et peut-être même jamais — de l'influence de l'administration centrale gérée par l'État. Ils se posent plutôt les questions suivantes: est-ce que le marché est assez grand? Est-ce que nous respectons la réglementation? Est-ce que nous faisons rapport aux organismes de réglementation de la bonne façon?
    Je crois que nous devons exprimer clairement nos attentes relatives à l'investissement des sociétés d'État, surtout en ce qui a trait aux équipes de gestion, par exemple. Je pense aux sociétés d'exploitation des sables bitumineux, qui ont des équipes de gestion très locales et présentent un très faible pourcentage d'expatriés. Elles ont continué d'investir des capitaux dans les sables bitumineux même pendant une période économique très difficile, parce qu'elles veulent vraiment faire la bonne chose et veulent être socialement responsables au Canada.
    Je crois que je ferais une mise en garde à propos d'un régime réglementaire distinct. Si le but est de répondre aux inquiétudes de la population et des représentants canadiens, pourrait-on leur demander de prouver qu'elles respectent bel et bien les règles?
    Je vais céder la parole à Hugh.
    J'ajouterais seulement que nous avons le processus d'Investissement Canada, qui peut toujours être adapté. Lorsque la CNOOC a fait l'acquisition de Nexen, elle a dû prendre certains engagements, qu'elle a peut-être respectés ou pas. Il est parfois difficile de faire appliquer les règles après coup.
    Je suis aussi d'avis qu'il faut garder l'esprit ouvert et que la réglementation peut évoluer. À l'heure actuelle, la réglementation est assez légère. Si une expérience ou une raison justifiait le renforcement ou la modification des règles dans certains domaines, alors le gouvernement pourrait s'en charger.
    Nous allons devoir conclure.
    Je tiens à remercier nos témoins de leurs exposés. C'est un excellent début en ce qui a trait à notre engagement continu en Asie et à son importance pour l'avenir du Canada. Je remercie donc les experts de nous avoir facilité la tâche en vue de la présentation de recommandations au gouvernement du Canada, au nom de tous les Canadiens.
    La séance est levée.
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