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SCYR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON CHILDREN AND YOUTH AT RISK OF THE STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES

SOUS-COMITÉ SUR LES ENFANTS ET JEUNES À RISQUE DU COMITÉ PERMANENT DES RESOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 mars 1999

• 1530

[Traduction]

Le président (M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.)): Contrairement à notre habitude, nous allons commencer à l'heure, car je vois que nous avons assez de membres en théorie pour tenir notre réunion.

[Français]

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Monsieur le président, est-ce qu'on a la présentation de l'Institut d'administration publique du Canada?

Le président: Non, mais est-ce qu'il n'y a pas de la documentation de fond? Avez-vous les notes d'information en français?

Mme Christiane Gagnon: Non.

Le président: Il y en a des copies. Voilà.

Mme Christiane Gagnon: Merci.

[Traduction]

Le président: Je ne crois pas toutefois que ni l'un ni l'autre de nos invités aient présenté de texte à l'avance; ils vont donc se servir de leurs notes pour nous adresser la parole.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue à tous les deux à cette deuxième réunion officielle du sous-comité avec des témoins. Votre présence ici aujourd'hui s'inscrit dans la suite logique des choses, car la semaine dernière nous avons entrepris la tâche difficile d'essayer de comprendre du mieux possible la situation des enfants au Canada.

Nous avons accueilli des gens la semaine dernière qui sont venus nous parler de la situation des enfants, à qui Mme Gagnon et Mme Davies ont posé des questions tout à fait pertinentes sur la façon de savoir quelles méthodes donnent des résultats? Je crois que certains, à la fin de cette réunion, se sont dit que nous savons si peu de choses sur la situation des enfants qu'il est difficile de savoir quelles formules se sont révélées efficaces par le passé et lesquelles pourraient l'être à l'avenir.

Nous sommes donc ravis d'accueillir aujourd'hui deux invités qui pourront nous présenter des idées que nous pourrons mettre à l'épreuve. Au cours des mois à venir, notre comité cherchera à mieux comprendre les résultats des politiques que nous avons adoptées ou que nous pourrions adopter, pour ensuite trouver un moyen de rendre des comptes aux Canadiens sur les résultats obtenus.

Je tiens à vous dire que nous sommes ravis d'accueillir Don Lenihan, de l'Institut d'administration publique du Canada, qui se concentre ces derniers temps sur les questions horizontales—celles qui mettent en cause divers ministères du gouvernement, voire divers paliers de gouvernement—, et Tom Kent, qui est... j'hésite à parler de «légende vivante», mais c'est bien ce qu'il est. Cet homme occupe une place extraordinairement importante dans l'élaboration de la politique sociale en cette deuxième moitié du XXe siècle.

C'est vraiment pour nous un immense plaisir que de vous accueillir tous les deux.

J'invite Don Lenihan à prendre la parole en premier, puis ce sera au tour de Tom Kent, et nous passerons ensuite aux questions. Je crois savoir que Tom Kent doit prendre le dernier train pour Kingston et qu'il doit être à la porte à 17 heures. Nous devrons donc absolument nous arrêter à cette heure-là.

Soyez les bienvenus.

Don.

M. Don Lenihan (directeur de la recherche, Institut d'administration publique du Canada): Merci beaucoup, John.

Permettez-moi tout d'abord pendant un moment de vous remercier tous de cette occasion qui m'est faite de témoigner devant votre comité. On m'a demandé de venir dire quelques mots—je tâcherai de m'en tenir à une dizaine de minutes, pas plus—au sujet de la théorie des approches axées sur les résultats ou de la gestion axée sur les résultats. Rassurez-vous, je ne cherche pas à vous épater et mon exposé ne sera pas vraiment très abstrait, du moins pas plus qu'il ne le faut. Je vous dirai aussi quelque chose au sujet de la façon dont le rôle des comités parlementaires pourrait ainsi être appelé à changer.

Mon exposé se fonde en grande partie sur le travail réalisé par l'IAPC, l'organisation pour laquelle je travaille—l'Institut d'administration publique du Canada—depuis quatre ans, en collaboration avec les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, les organisations du tiers secteur et les organisations du secteur privé sur les changements qui pourraient être apportés à la façon de faire les choses au gouvernement.

Je ne suis pas du tout spécialiste en matière de politique sur les enfants, mais quelle que soit l'optique dans laquelle on aborde ces questions, il reste que l'évolution, la restructuration et la réorientation des efforts gouvernementaux sur le plan de la gestion et de la prise de décisions touchent tous les domaines qui relèvent de la compétence des gouvernements. Je ne suis donc pas là pour vous parler vraiment de la question des enfants, mais plutôt de la façon dont les gouvernements envisagent la gestion et de la façon dont leur pensée a évolué.

• 1535

J'ai divisé mon exposé en deux volets très courts, l'un sur les idées qui ont inspiré la soi-disant gestion axée sur les résultats et l'autre sur la façon dont le rôle des comités pourrait en être changé.

Voyons tout d'abord, de façon très générale, en quoi consistent la gestion et l'établissement de rapports axés sur les résultats? Au cours des 10 dernières années, les gouvernements ont amorcé, ou disent en tout cas avoir amorcé, un virage qui les éloigne de ce qu'on appelle... Je ne sais pas quel est le terme utilisé. Au lieu d'en chercher un, je me contenterai de dire que, par le passé, les gouvernements s'intéressaient surtout à la façon dont ils faisaient les choses, à la quantité de ressources dont ils disposaient, à la répartition de ces ressources, etc. Les rapports de gestion portaient principalement sur des questions comme celles- là: quelle devrait être la répartition des ressources?

Depuis cinq ou 10 ans, on assiste à un virage en faveur de ce qu'on appelle la gestion axée sur les résultats. On a commencé à se dire au gouvernement qu'on avait mis beaucoup l'accent sur les méthodes d'élaboration des politiques et de prestation des programmes, sur les opérations et sur l'appareil gouvernemental, mais on s'est mis à se demander si tout cela permettait vraiment d'atteindre les objectifs qu'on s'était fixés? On s'est mis à se demander si d'ailleurs les objectifs étaient clairs? On s'est demandé si l'on obtenait vraiment des résultats?

La gestion axée sur les résultats vise à mettre beaucoup plus l'accent sur l'aboutissement de ce qui se fait, sur ce qui permet de connaître effectivement les résultats atteints en évaluant tous les processus devant mener à ces résultats.

Il serait injuste, et sans doute erroné, de vouloir faire une distinction bien marquée entre les processus et les résultats. Les deux se tiennent. L'effort de gestion porte maintenant non plus tellement sur la façon de faire les choses, mais sur ce qu'on fait dans la pratique et sur les résultats des processus mis en place.

En termes très simples, les gouvernements auraient donc commencé ou se seraient engagés à exprimer beaucoup plus clairement les buts et objectifs des divers programmes, politiques et ministères à toutes sortes de niveaux différents. Ils se sont engagés à établir des indicateurs clairs de la mesure dans laquelle les politiques et les programmes permettent d'obtenir les résultats escomptés.

L'idée de départ est assez simple et se fonde sur le bon sens. Quand on a une politique ou un programme, on devrait avoir une idée claire de ce qu'on veut réaliser—et ce qu'on veut faire, c'est-à- dire que les objectifs devraient être énoncés quelque part—ainsi que de la façon de savoir si les objectifs ont effectivement été atteints.

Bref, la gestion et l'établissement de rapports axés sur les résultats supposent que l'on ait une idée beaucoup plus claire de ce que l'on cherche à réaliser et que l'on sache bien aussi ce qui a été réalisé et la façon dont on y est arrivé.

Cet effort de la part des gouvernements pour énoncer plus clairement leurs objectifs ou les résultats qu'ils cherchent à obtenir a permis très rapidement de constater que nombre des résultats qui tiennent à coeur aux gouvernements, nombre des résultats qu'ils souhaiteraient obtenir, sont de nature—j'espère que vous me passerez le terme—horizontale. Autrement dit, les résultats que l'on recherche ne se limitent pas à un ministère en particulier ni même, bien souvent, à un domaine de politique en particulier.

Prenons, par exemple, cette notion du bien-être intégral qui est au centre des préoccupations concernant la réorientation du régime de santé. Selon la pensée classique, les politiques et les programmes de santé visent essentiellement, même si ce n'est pas consciemment, à guérir les maladies, c'est-à-dire à réagir à ce qui se produit. Quelqu'un est malade; il faut le guérir. Ces derniers temps, cependant, les gens commencent à être beaucoup plus nombreux à dire que ce qu'il faut c'est une approche plus proactive à l'égard des soins de santé, une approche axée sur la prévention, l'éducation et, partant, sur le bien-être intégral.

Quand on commence à s'intéresser au bien-être intégral, on ne fait pas que réagir à la maladie; on cherche en fait à la prévenir. On cherche à encourager les gens à faire toutes sortes de choses—activité physique, exercice, bonne alimentation—qui contribuent au bien-être intégral. Le bien-être intégral ne se limite donc pas à la seule guérison de la maladie, mais fait intervenir une multitude de domaines différents, comme l'environnement, par exemple, ou l'éducation.

Quand on commence à se concentrer sur les principaux résultats que l'on veut obtenir, on se rend compte que bien des choses qui nous tiennent vraiment à coeur ne se conforment pas comme on le voudrait peut-être aux domaines de politique traditionnelle ni aux structures ministérielles traditionnelles. Non seulement elles ne suivent pas ces configurations, mais elles ont même tendance à mettre en cause plusieurs paliers de gouvernement. Ainsi, on se rend compte que les résultats environnementaux, par exemple, mettent en cause aussi bien le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux et les administrations municipales. Le secteur privé et le tiers secteur sont aussi mis en cause.

Il y a une foule de politiques, de programmes et d'activités qui se poursuivent à divers niveaux et tous, ou beaucoup d'entre eux, contribuent selon des schémas différents et complexes au résultat qu'on appelle le bien-être intégral, ou peut-être au résultat qu'on appelle le taux de chômage, ou encore à toutes sortes d'autres résultats.

Quand on a décidé de ce qui est important, la chose à faire, c'est d'opter pour une gestion, disons, horizontale. S'il s'agit d'une politique ou d'un programme qu'on envisage de mettre en place, qui pourrait viser les enfants ou un aspect en particulier de la vie des enfants, comment faire pour savoir si la politique ou le programme contribue de façon utile au résultat essentiel, par exemple, au bien-être intégral? Une fois qu'on a décidé de s'intéresser à ces grandes questions horizontales, comment faut-il faire pour concrétiser le principe de la gestion horizontale?

• 1540

Il n'y a pas de réponse simple à cette question, mais la soi-disant approche axée sur les résultats appliquée à des questions horizontales suppose en fait deux stratégies ou techniques très importantes, si vous voulez—je ne sais trop quel terme utiliser.

La première consiste à faire quelque chose comme ceci. Prenons le cas des gouvernements et des ministères. Supposons que divers gouvernements et ministères décident de travailler à la réalisation d'un même objectif—le développement durable, par exemple. S'ils s'entendent tous sur l'objectif du développement durable et qu'ils s'entendent pour dire que tous leurs programmes et toutes leurs politiques doivent favoriser le développement durable, c'est là la première étape, mais cela ne suffit toujours pas pour garantir qu'il y aura une certaine coordination entre les divers ministères et gouvernements.

Comment faire pour garantir qu'il y aura une certaine coordination? C'est à ce moment-là qu'intervient le deuxième élément, c'est-à-dire ce qu'on appelle des indicateurs ou des mesures de rendement ou je ne sais trop quoi encore. Si l'on tend vers un résultat en particulier, que tout le monde se met d'accord là-dessus et que tout le monde a les mêmes indicateurs ou les mêmes mesures de rendement, quel que soit le nom qu'on leur donne, en supposant que tous les efforts soient bien coordonnés et bien disciplinés, les gouvernements et d'autres seront obligés de choisir des politiques et des programmes qui permettent d'avancer vers le résultat souhaité. On commence ainsi à éliminer les politiques et les programmes qui sont en contradiction avec le résultat souhaité.

Si donc on a deux niveaux de gouvernement qui s'entendent sur le résultat à atteindre de même que sur les indicateurs de rendement, en principe, peu importe les programmes ou les politiques qu'ils adoptent—car, ils sont libres de choisir ce qu'ils veulent, dans la mesure où ils sont conformes aux indicateurs qu'ils se sont fixés—, ils commencent dès lors à avancer vers le même objectif. Un certain degré de coordination et d'harmonisation s'installent entre les divers intervenants.

Voilà donc le premier élément de cette approche axée sur les résultats qui mette en branle la gestion horizontale ou, si vous préférez, qui amorce le cheminement vers des objectifs horizontaux.

Le deuxième élément—et il s'agit-là d'une approche plus coordonnée ou plus substantielle—est celui des partenariats de collaboration. En quoi consiste ces partenariats de collaboration? Il suffit d'y réfléchir. Si les gouvernements s'intéressent davantage aux résultats qu'aux processus, ils sont alors en mesure de former des partenariats différents de ceux qu'ils avaient par le passé.

Par le passé, quand un gouvernement s'engageait dans un partenariat, ce partenariat se présentait généralement sous forme de marché public. Il conclut un marché avec un partenaire—que ce soit un organisme du secteur privé, un autre gouvernement ou un organisme du tiers secteur—en vue de l'accomplissement d'une tâche, de la réalisation d'un objectif, mais il fixait aussi toutes les conditions à respecter.

Essentiellement, le soi-disant partenariat était vraiment un marché ou le rôle du gouvernement dans la gestion du partenariat consistait à veiller à ce que les conditions et obligations du contrat soient respectées. Après avoir énuméré dans le marché tout ce que le partenaire en question devait faire, il veillait ensuite à ce que les conditions énoncées soient respectées. L'autre partie, l'entrepreneur, avait un rôle minime dans la prise de décisions; il ne faisait qu'accomplir les tâches énoncées dans le marché. Ces tout de même un modèle valable et qui peut peut-être encore s'appliquer dans bien des cas.

Mais dès qu'on commence à s'intéresser davantage aux résultats qu'aux processus, il est possible de s'engager dans un partenariat d'un autre type, où le marché qui est conclu vise, non pas la mise en place d'un processus, mais l'obtention de certains résultats. Le gouvernement dit alors à son partenaire que ce qui l'intéresse finalement, c'est de réduire le taux de chômage, ou de réaliser quelque autre objectif, et qu'il ne se soucie guère de savoir comment l'objectif sera réalisé. Ce sera au partenaire d'en décider. L'important, c'est que les objectifs fixés soient réalisés. Il devient alors possible, non pas nécessairement de faire tout ce que l'on veut, mais de choisir parmi certaines possibilités. On peut choisir entre différents modèles de programme celui que l'on veut. On peut choisir le mode de prestation du programme.

C'est aux gouvernements de décider jusqu'où ils veulent s'engager dans cette voie, mais le fait est qu'une fois que l'on commence à former des partenariats à partir de ce principe, on accepte que le gouvernement et le partenaire participent tous deux à la prise de décisions. Le partenaire ne fait pas simplement ce qu'on lui dit de faire, pour ensuite toucher son chèque, il a en fait la possibilité de participer à la prise de décisions avec le gouvernement. Cette participation peut se faire selon différents modèles, comme celui de la planification conjointe, dont je parlerai dans un moment.

Voilà donc essentiellement l'autre façon dont les gouvernements peuvent s'engager dans la voie de la gestion horizontale. Ils peuvent rechercher des partenaires qui s'intéressent au même résultat, et ils peuvent commencer à former avec des partenariats en vue de la réalisation de leurs objectifs communs.

La gestion du partenariat se fait, encore là, au moyen d'indicateurs de rendement. Généralement parlant, le gouvernement dit à son partenaire qu'il évaluera le partenariat en fonction des indicateurs qu'il aura fixés pour déterminer dans quelle mesure les objectifs ont effectivement été réalisés.

• 1545

Passons au volet suivant. Une fois que l'on a décidé d'opter pour ces résultats horizontaux, il y a en fait deux façons de s'y prendre. La première est d'amener les partenaires à s'entendre sur les résultats et les indicateurs de rendement. La seconde est de passer à l'étape suivante et de les amener à former une relation de collaboration en vue de l'obtention des résultats souhaités.

Il y a trois différents paliers auxquels la relation peut s'établir. Quand on veut appliquer l'approche axée sur les résultats à une nouvelle relation, on peut opter pour ce que j'appelle la relation citoyen-État. Il s'agit d'un partenariat où le gouvernement peut partager son pouvoir de décision avec des organisations non gouvernementales ou avec des organisations du secteur privé. Voilà le premier palier.

Le deuxième palier est celui où une relation s'établit entre divers ordres de gouvernement. On peut alors passer par une entente intergouvernementale. Nous en avons déjà des exemples: l'accord de l'union sociale, l'accord cadre sur l'environnement et la prestation fiscale pour enfants. Tous ces accorda privilégient l'accord axé sur les résultats, les gouvernements ayant décidé de collaborer ou de travailler de concert à l'obtention de certains résultats. Il s'agit donc d'une gestion horizontale mettant en cause plusieurs paliers de gouvernement.

Le troisième—et c'est peut-être là un modèle qui n'est pas très important pour votre comité, mais qui pourrait l'être aussi—, c'est celui qui s'applique aux divers ministères d'un même gouvernement. Selon ce modèle, on cherche à contrer l'effet de verticalité en assurant une plus grande coordination entre les divers services ministériels en se concentrant sur les résultats, en s'entendant sur certains types d'indicateurs de rendement qui orientent le choix des politiques et des programmes et en commençant à s'orienter dans la même voie.

En conclusion, je vous parlerai des conséquences que l'adoption d'une approche comme celle-là pourrait avoir pour le rôle de comités comme le vôtre. Je suis moyennement optimiste quant à la possibilité que la gestion et l'établissement de rapport axés sur le rendement élargissent le rôle des comités parlementaires, et bien entendu d'autres comités, et ce, pour deux raisons.

Premièrement, dans la mesure où ils ont opté pour l'approche axée sur les résultats, les gouvernements ont aussi adopté le principe de la gestion ainsi que des rapports axés sur les résultats. Ils doivent faire état dans leurs rapports de ce qu'ils ont fait. Ont-ils obtenu les résultats qu'ils s'étaient fixés? Ainsi, ils doivent énoncer aussi clairement que possible, sinon vous pouvez leur demander des comptes à cet égard, ce qu'ils veulent accomplir grâce à une politique ou un programme en particulier, non seulement à un niveau, mais à plusieurs niveaux de résultats—comme vous pourrez le constater, sans qu'on entre toutefois dans des considérations trop abstraites.

Revenons, par exemple, à cette notion du bien-être intégral. C'est là un résultat très vague, très général. Il ne suffira tout simplement pas de dire qu'on veut atteindre au bien-être intégral. On se rendra compte que, pour bien faire, il faudra passer du général au particulier et baisser d'au moins deux crans. Il y a des objectifs plus précis que le bien-être intégral, par exemple, ou le développement durable. Des objectifs généraux comme cela mettent en cause toute une multitude de ministères.

S'il s'agit du ministère de la Santé ou du ministère de l'Éducation, il faut se demander: «Qu'est-ce que cet objectif signifie pour nous dans la pratique? Qu'est-ce que nous pourrions fixer comme ensemble d'objectifs plus précis, en baissant d'un cran, pour que les objectifs s'appliquent en particulier à notre ministère?»

Il est également possible de baisser d'un autre cran pour arriver au niveau des programmes. Dans la conception ou l'exécution d'un programme, il convient de se demander quels sont les indicateurs et les résultats applicables à ce niveau-là?

Ainsi, dans les rapports axés sur le rendement, les gouvernements sont censés donner une idée claire, non pas seulement de ce qu'ils cherchent à accomplir, mais de la façon dont leurs objectifs s'inscrivent dans l'objectif général qu'on tente d'atteindre au niveau supérieur, voire au niveau le plus général.

On peut ainsi avoir une idée de l'harmonisation qui s'opère entre les grands objectifs, entre les différentes priorités que le gouvernement s'est fixé, on peut voir dans quelle mesure son action est compatible avec ses objectifs, de voir la multiplicité des secteurs de politique mis en cause, etc.

J'y vois pour les comités parlementaires une occasion très réelle de participer à l'élaboration des politiques gouvernementales de façon ascendante. Si le ministre et ses collègues du cabinet établissent les grands objectifs, qui sont ensuite précisés et appliqués par les fonctionnaires, il semble tout naturel que les comités servent de contrepoids, non seulement en examinant ces objectifs, mais en demandant ce qui les sous-tend? Y a-t-il une vision d'ensemble? Y a-t-il des indicateurs de rendement et qui permettent d'orienter le choix des politiques et des programmes? Ces indicateurs sont-ils cohérents aux divers paliers? Se trouvent-ils à confondre des objectifs qui appartiennent à divers niveaux de rendement?

Loin d'être anodines, ces questions sont celles qui permettent de déterminer quel est le cadre stratégique, quels sont les objectifs et les priorités des gouvernements. Les gouvernements ont vraisemblablement des objectifs et des priorités. Sinon, vous pouvez leur demander des comptes à ce sujet.

Les comités comme le vôtre devraient donc, à tout le moins, pouvoir jouer un rôle plus important dans l'élaboration des politiques, parce que le gouvernement serait censé abaisser ses cartes, dire ce qu'il fait et comment il s'y prend, et il peut ensuite être appelé à rendre des comptes à ce sujet.

• 1550

Il y a aussi une autre façon dont les comités comme le vôtre peuvent se servir de cette approche ou de ces rapports axés sur les résultats pour redevenir un protagoniste important. Les comités, en supposant que l'on continue dans la voie dans laquelle on s'est engagé, auront un rôle important à jouer au cours des cinq ou dix années à venir, car ils devront non seulement examiner les objectifs que le gouvernement et les ministères se seront fixés, mais examiner aussi ce qui se passe dans les divers secteurs de compétence, autrement dit, faire un examen horizontal, et demander si les résultats que l'on poursuit sont les mêmes? Les indicateurs de rendement sont-ils les mêmes dans tous les secteurs de compétence? Les indicateurs sont-ils suffisamment rigoureux pour assurer une certaine orientation et une certaine discipline?

Je dirais qu'il est encore tôt et que ce n'est bien souvent pas le cas. Je ne sais pas si nous arriverons-là un jour, mais il reste qu'il y a amplement de possibilités de contacts officiels et officieux avec d'autres comités et d'autres organes des différentes régions du pays qui auront leur mot à dire sur ce que font les gouvernements provinciaux. Il me semble que ce serait-là un bon premier pas dans la réflexion que feront les comités sur la gestion horizontale, à savoir de commencer à échanger des idées sur les meilleures pratiques, les objectifs communs, etc., et sur la façon dont leurs gouvernements respectifs pourraient inclure ses pratiques et ses objectifs dans leur planification.

Permettez-moi de conclure sur une note qui peut paraître excessivement optimiste—et je suis sûr que mon estimé collègue aura sans doute des opinions bien plus subtiles que les miennes là-dessus—, mais je tiens à dire qu'il y a ici une théorie. Jusqu'où pouvons-nous nous engager dans cette voie? Je l'ignore. Je n'en suis pas sûr. Tout ce que je sais, c'est que la plupart des gouvernements au Canada sont déterminés à appliquer un modèle comme celui-là. La plupart d'entre eux tentent de se servir de mesures de rendement, d'indicateurs de rendement et de résultats. Ils y consacrent beaucoup de temps et de ressources.

Quant à moi, j'estime que le modèle n'a de chance de réussir que dans la mesure où nous saurons d'abord être réalistes quant à ce que nous pouvons en attendre, et je crois que nous pouvons avoir des attentes. Deuxièmement—et c'est pour cette raison que je suis ici aujourd'hui—la durabilité du modèle dépendra de l'adhésion politique qu'il recueillera; tout dépendra de la mesure dans laquelle il facilitera la prise de décisions sur le plan politique et des avantages qu'y verront les hommes et les femmes politiques de même que les fonctionnaires.

L'application du modèle ne devrait pas être laissée entièrement à la discrétion de la fonction publique. Elle courait ainsi à sa perte. L'établissement des priorités, la définition des résultats et toutes ces autres choses dont nous parlons ici sont des questions de principe qui doivent être prises à un niveau élevé, et il me semble que les dirigeants politiques ont un rôle à jouer à cet égard.

Je m'arrête là.

Le président: Merci. Je dois vous féliciter et féliciter aussi l'interprète. C'était en quelque sorte une course contre la montre. Félicitations.

Des voix: Ah, ah!

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Il est un peu difficile de suivre avec la traduction parce qu'on en manque des bouts.

Le président: Oui, mais je suis certain qu'il fait de son mieux.

[Traduction]

Tom Kent.

M. Tom Kent (témoignage à titre personnel): Merci. Permettez-moi de vous dire que c'est un privilège et un honneur d'être ici et de rencontrer un comité aussi important.

Je vais engager mon crédit et faire trois propositions connexes quant aux programmes qui devraient, selon moi, être au coeur de la politique fédérale. Ils ont tous comme point de départ ce qui est maintenant la prémisse classique des économistes: ce que le gouvernement peut faire de plus important pour promouvoir l'efficacité, la croissance et la prospérité de l'économie du pays, c'est d'investir dans le capital humain. C'est là la formulation assez abstruse des économistes. Dans un récent numéro de la revue The Economist, la prémisse est formulée en des termes plus tranchants:

    Il est essentiel que les gouvernements redoublent constamment d'efforts, pour modeler l'esprit des jeunes. C'est une question de survie.

C'est là un élément essentiel au progrès de toute économie moderne.

Il y a toutefois des considérations autres que les considérations économiques. Ce que nous faisons pour les jeunes est aussi d'une importance capitale pour édifier la société que nous souhaitons.

Qu'on le veuille ou non, notre économie sera de plus en plus axée sur la technologie de pointe. Laissez à elle-même, notre société deviendra ainsi de plus en plus polarisée. Dans une économie axée sur la technologie de pointe, on est gagnant ou on est perdant. Je cite encore une fois la revue The Economist:

    Pour les gens très spécialisés, et ceux qui sont chanceux, la fortune continuera à leur sourire; pour les autres, c'est fichu.

Cela ne vaut pas seulement pour les adultes d'aujourd'hui, car les avantages et les inconvénients se transmettent d'une génération à l'autre. La chance qu'on a dans la vie dépend en grande partie des parents que l'on a. Si on est élevé dans une famille à revenu moyen ou élevé et avec des parents assez bien instruits, si on retrouve chez soi et chez ses amis les gadgets de la technologie moderne, il n'est pas nécessaire d'être particulièrement talentueux ni de travailler bien fort pour réussir à l'école et avoir un bon départ dans sa vie professionnelle.

• 1555

Sans ces avantages, la voie est beaucoup plus ardue. Certes, des facultés tout à fait exceptionnelles triompheront toujours sur quoi que ce soit, mais pour la majorité des gens qui grandissent dans un milieu défavorisé, il est parfaitement vraisemblable, et cela l'est d'ailleurs de plus en plus actuellement, de n'avoir guère de possibilité d'obtenir un emploi qualifié ou offrant une rémunération tant soit peu élevée.

En d'autres termes, nous sommes en train de constituer une enclave bien étanche de défavorisés qui demeure d'une génération à l'autre. C'est là toute la nature de l'économie de la haute technologie, à moins que nous ne fassions quelque chose pour enrayer cela.

Bien sur, les progrès réalisés par la science du cerveau ont permis de diagnostiquer les causes profondes du problème et de préciser ce qui semblait de toute manière évident avec un peu de bon sens, c'est-à-dire qu'on commence à apprendre jeune. Le câblage du cerveau est fonction des stimuli qu'il reçoit pendant la prime enfance. Cela ne vaut pas seulement pour les facultés cognitives, mais également pour l'acquisition de la confiance en soi et le développement émotif, ainsi que la compréhension et la compétence sociales. Dès l'âge de six ans, la personnalité est déjà relativement bien affirmée, et cela même avant que la société ne se mette sérieusement à prendre en charge le modelage des jeunes esprits.

Je dirais donc que dans notre structure institutionnelle actuelle, ce qui manque le plus, c'est l'éducation pendant la prime enfance, c'est-à-dire une véritable éducation pendant les années qui précèdent l'école. Certes, cela identifie également la demande déjà croissante pour les services de garderie, un phénomène qui découle de l'augmentation considérable du nombre de familles dont les deux membres travaillent ou des familles monoparentales. Mais des services de garde abordables, s'il existe du moins, ne représentent guère mieux somme toute qu'un lieu où on fait garder les enfants, un lieu sans valeur éducative. Il s'agit-là d'une lacune à combler.

Je vais essayer de faire la soudure en parlant de la notion d'une garde évolutive, mais cela ne masque pas pour autant la question de la juridiction. L'instruction publique est de compétence provinciale, mais le besoin, je dois le souligner, est d'ordre national. C'est un besoin d'ordre national parce que l'économie a une envergure nationale. Aidez les jeunes cerveaux à se développer est, pour le gouvernement fédéral, la chose la plus importante qui soit. Je le répète, c'est une question de survie dans une économie mondialisée.

Le gouvernement fédéral doit s'atteler au développement de ces jeunes esprits, quelle que soit l'expression utilisée. Cela est essentiel pour l'économie comme la société. J'irais même jusqu'à dire que si on ne le fait pas, on peut alors se demander à quoi sert un gouvernement fédéral.

Comment s'y prendre et comment s'y atteler rapidement? Comment faire pour arriver à un système d'instruction publique national axé sur la petite enfance? La réponse classique est depuis toujours, bien entendu, le partage des frais des programmes provinciaux. Inutile de dire aux politiciens que cela ne donne rien. Sur le plan politique et bureaucratique à la fois, le partage des frais de programmes provinciaux n'est plus en odeur de sainteté, ce qui se traduit bien évidemment dans le document cadre de l'union sociale. Cela n'interdit pas un partage des frais de certains programmes provinciaux, mais cela les obère de toute une série de conditions telles qu'à l'heure actuelle, la formule classique de partage ne sourit guère au palier fédéral.

Je dois ajouter, pour être honnête, que c'est bien entendu Ottawa qui est en grand partie le responsable de cet état de choses parce que depuis 1977, les gouvernements fédéraux successifs ont tous manqué à leurs engagements en matière de partage des frais. La formule d'antan a prouvé qu'elle n'était plus digne de confiance.

Il doit donc y avoir une autre solution, car elle existe. Le cadre de l'union sociale n'empêche pas le pouvoir de dépenser du fédéral de bénéficier directement aux particuliers. Tout ce qu'il faut, c'est un préavis de trois mois donné aux provinces, ainsi qu'une possibilité de consultation. Il est devenu impossible d'annoncer de but en blanc de choses comme les bourses du millénaire, mais s'il y a préavis de trois mois, le pouvoir de dépense du fédéral n'est nullement entravé par le cadre de l'union sociale.

• 1600

À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral contribue bien évidemment au financement de la garde des enfants. Une part du revenu imposable est déductible, jusqu'à concurrence de 7 000 $ par an dans le cas des enfants en âge préscolaire. C'est une somme tout à fait raisonnable et qui correspond assez justement à ce qu'il en coûte de mettre un enfant dans un milieu de garde évolutif de haute qualité. Par ailleurs, tout comme n'importe quelle autre mesure, celle-ci est évidemment régressive. Elle est parfaite si vous payez beaucoup d'impôts, mais elle est inutile si vous n'en payez pas ou si vous en payez très peu.

Je proposerais donc, dans le cas des enfants d'âge préscolaire, de supprimer la déduction fiscale actuelle pour la remplacer par un crédit d'impôt remboursable et j'insiste sur le terme remboursable. Je veux dire par là l'intégralité du montant, c'est-à-dire 7 000 $, serait remboursable, sous réserve d'un dispositif de récupération dans le cas de revenus plus élevés. Ce crédit d'impôt serait accessible à tous. Il ne dépendrait pas de la condition des parents, du fait qu'ils aient ou non un emploi. Tous les parents qui décideraient que leurs enfants devraient en profiter pourraient y avoir accès.

Ceci soit dit en passant, cela ferait taire cette accusation de discrimination à l'endroit des mères au foyer qui est depuis quelque temps assez vigoureusement avancée; il y aurait alors un service dont chacun pourrait se prévaloir. Ceux qui n'en voudraient pas seraient par exemple les gens qui, malgré le financement par voie fiscale de l'instruction publique, préféreraient envoyer leur enfant dans une école privée. C'est là une décision tout à fait personnelle et qui ne constitue aucunement une discrimination à l'encontre des mères qui restent au foyer.

Toutefois, l'élément fondamental d'une proposition comme celle-là n'a rien à voir avec le fait que les parents travaillent ou non. Il s'agit de l'avantage que cela représente pour l'enfant, que sa mère reste ou non à la maison, ou plus précisément que le père reste ou non à la maison.

Avec ce genre de moyen financier—7 000 $ dont pourraient profiter les parents qui le voudraient—on assisterait à une expansion des services de garde de haute qualité qui seraient, j'imagine, offerts principalement par des mouvements communautaires. Il est certain que c'est le genre de chose que les parents veulent. La demande serait là. Les moyens financiers existeraient. Il aurait donc une croissance considérable dans ce domaine.

Je fais remarquer en passant que cela serait particulièrement précieux dans le cas d'un problème très spécial, en l'occurrence le problème autochtone, parce que cela donnerait de puissants moyens aux organisations autochtones, que ce soit dans les réserves ou dans des villes comme Regina ou Winnipeg par exemple, car elles pourraient ainsi plus facilement organiser l'instruction publique des jeunes autochtones dès la prime enfance.

Par contre cet arrangement—c'est-à-dire l'attribution de moyens financiers et la réponse du secteur bénévole—ne serait pas pour autant l'issue idéale. Il ne serait pas idéal parce qu'il y aurait inévitablement des inégalités de parcours—ce serait lent à certains endroits, ce serait absent sans doute ailleurs—et bien entendu, le gouvernement fédéral, tout en avançant l'argent, n'aurait aucun pouvoir de contrôle ou de réglementation. Il n'y aurait que les bavardages des parents sur lesquels se fonder pour savoir si les organisations communautaires en donnent effectivement pour l'argent qu'elles auraient reçu.

Nous pourrions donc faire mieux. Nous pourrions faire mieux en faisant en sorte que le gouvernement fédéral, après avoir annoncé qu'il est prêt à prendre les engagements financiers nécessaires pour donner accès à tous à des services de garde évolutifs en remplaçant la déduction fiscale par un crédit d'impôt remboursable—un genre d'indemnité à toutes fins pratiques—inviterait dans un deuxième temps les provinces à embarquer dans le système. Je veux dire par là que si une province, étant donné que ce financement serait disponible, accepte de mettre en place un système d'enseignement axé sur la petite enfance, un système universel, à ce moment-là le gouvernement fédéral verserait sa quote-part à hauteur de ce que le crédit d'impôt remboursable lui aurait coûté pour tous les enfants qui s'inscriraient au programme.

De toute évidence, cela exigerait des négociations complexes dans l'esprit de collaboration qui anime le cadre de l'union sociale. Mais en ce qui me concerne, il est à peu près certain que les provinces—ou sans aucun doute neuf d'entre elles au moins—voudraient souscrire à ce programme. Je me sens moins compétent pour dire ce que le gouvernement du Québec pourrait vouloir faire, mais il n'empêche selon moi qu'il ferait preuve d'ouverture à cette cause. Le Québec est déjà plus avancé que tout le reste du pays en matière de garde d'enfants. Le gouvernement provincial aurait donc plus à gagner sur le plan financier que les autres s'il participait au programme. Il aurait davantage droit de regard sur les dépenses actuelles.

• 1605

Il me semble tout à fait possible qu'avec un peu de souplesse de part et d'autre, on pourrait en arriver à un accord. Des accords beaucoup plus difficiles ont été conclus jadis et j'espère très sincèrement que cet optimisme se justifiera.

Quoi qu'il en soit, pour la majorité du pays au moins, un système d'instruction publique de haute qualité pour la petite enfance pourrait être possible grâce à cette méthode. C'est une méthode qu'on pourrait qualifier de détournée, j'en conviens, mais notre fédéralisme est ainsi fait.

Je vous signale également que cela coûterait plus cher au gouvernement fédéral que l'ancienne façon de partager les coûts, mais l'impossibilité d'appliquer le bon vieux système de partage des coûts, c'est en quelque sorte le prix à payer pour nos vieux péchés. Mais ce que je suggère aurait tout un avantage politique sur le partage des coûts: en effet, il donnerait au gouvernement fédéral une bien plus grande visibilité que ne lui donne les programmes à frais partagés.

Mais, je le répète, il coûterait plus cher. On pourrait évaluer raisonnablement ce programme comme pouvant coûter éventuellement 8 milliards de dollars par an, une fois qu'il s'appliquera pleinement. Mais, il faudrait beaucoup de temps avant d'en arriver là.

Il s'agit là de la plus novatrice de mes trois propositions, et c'est pourquoi j'y ai consacré à peu près tout mon temps. Laissez-moi maintenant vous parler brièvement des deux autres propositions qui sont beaucoup plus courantes.

L'éducation de la petite enfance est évidemment très souhaitable, dans la mesure où les enfants peuvent en profiter, c'est-à-dire dans la mesure où ils arrivent à l'école raisonnablement nourris et vêtus. On sait bien qu'à l'école, l'enfant qui a faim ou qui n'a pas une bonne base de connaissance n'apprend pas aussi bien que les autres; il en va de même pour l'instruction de la petite enfance.

Voilà pourquoi il est essentiel d'élargir encore plus l'excellent programme fédéral qu'est le programme de prestation pour enfants; en effet, cette prestation n'est malheureusement pas suffisamment élevée, car elle n'est que de 1 625 $ maximum. Je suggère donc qu'on la fasse rapidement passer à 4 000 $ par an, ce qui représente ce qu'il en coûte au bas mot pour nourrir et vêtir raisonnablement un enfant.

Je répète que nous pouvons faire de l'étapisme et que mes propositions ne doivent pas toutes être mises en oeuvre dans le budget de l'année prochaine. Elles pourraient être matérialisées sur plusieurs années.

Ces deux programmes pourraient éventuellement coûter 13 milliards de dollars de plus, ce qui est énorme. Cela représente 1,5 p. 100 de notre revenu national. Or, j'affirme pour ma part que 1,5 p. 100 de notre revenu national, c'est investir très peu dans l'avenir de notre pays. Nous ne pouvons nous permettre de ne pas investir en ce sens.

Je ne m'attarderai pas à ma troisième proposition, car je vous ai déjà trop longtemps retenus. Je dirai simplement qu'il nous faut combler la grande lacune d'aujourd'hui, soit l'éducation de la petite enfance. Je crois qu'il faut laisser aux provinces le soin de s'occuper de l'éducation primaire et secondaire, car cela n'aurait aucun sens de demander au gouvernement fédéral d'intervenir dans ce secteur. C'est inutile. Mais tout comme il est nécessaire d'offrir un programme national d'instruction publique de la petite enfance pour combler la lacune existante, il faut également agir à l'échelle pancanadienne dans le domaine de l'instruction postsecondaire, comme on l'a déjà signalé dans le passé.

À mon avis, il ne suffit plus d'injecter plus d'argent dans les universités. Le rôle du gouvernement fédéral, c'est de financer l'accès à l'éducation universitaire pour qu'elle soit généralisée, ce qui n'est pas le cas actuellement. On pourrait y parvenir par le truchement d'un programme de prêts aux étudiants, dans la mesure où ce programme ne se fonde pas sur le remboursement du prêt par un calendrier conventionnel de remboursement, mais plutôt sur un programme de prêts à remboursement lié au revenu, par la voie d'une surtaxe.

J'ai suffisamment parlé, j'en suis sûr. Vous savez peut-être que j'ai proposé ces idées dans un mémoire déposé récemment à l'Institut Caledon. Je serais heureux de vous les expliquer plus en détail au besoin.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci à tous deux. Vous fourmillez d'idées.

Passons directement aux questions.

• 1610

[Français]

Madame Gagnon, voulez-vous commencer?

Mme Christiane Gagnon: Je vous remercie de vos présentations. Vous avez fait des suggestions qui ont suscité certaines réactions de ma part, surtout quand vous avez parlé de normes nationales.

Vous avez dit, monsieur Kent, que l'éducation était de compétence provinciale. Dans l'étude longitudinale qui nous a été présentée, beaucoup de suggestions ont été faites, mais elles entrent de plein fouet dans les compétences des provinces.

On sait que les gouvernements fédéraux qui se sont succédé, autant les conservateurs que les libéraux, ont beaucoup coupé dans les programmes à frais partagés et dans toutes les politiques sociales, ne serait-ce que dans l'assurance-emploi. On sait jusqu'à quel point c'est dévastateur. Ces coupures de milliards de dollars ont eu un impact direct sur la population. On sait que s'il y a des enfants pauvres, c'est parce qu'il y a des parents pauvres.

Vous avez parlé d'un crédit d'impôt de 7 000 $ non remboursable. Le Québec, par exemple, a une politique sur la garde d'enfants. La majorité des familles québécoises n'auront pas accès à ce crédit parce que les frais de garde sont de 5 $ et qu'elles n'auront pas de frais au-delà de... Quand on paie 5 $ par enfant, les frais de garde annuels ne sont pas très élevés. La plupart des familles à faible revenu sont très satisfaites de ce programme parce qu'il leur permet d'améliorer leur sort. Elles ont plus d'argent dans leurs poches parce que la garde des enfants leur coûte moins cher.

Comment le gouvernement du Québec pourrait-il se satisfaire d'une politique de crédit d'impôt non remboursable alors qu'il a lui-même une politique centrée sur le bien-être de l'enfant? Le fédéral, qui veut être plus visible et qui a peut-être une stratégie... On sait quoi faire pour aider les enfants et les familles. Des solutions, il y en a, mais ils ne veulent pas les appliquer.

Pour ma part, je vivrais mal avec une augmentation des crédits d'impôt non remboursables, peut-être pas pour l'ensemble du Canada, mais pour le Québec. Est-ce qu'on ne pourrait pas proposer d'autres mesures qui pourraient faire en sorte, par exemple, que les éducatrices dans nos garderies soient mieux payées? Elles ont une très grande responsabilité envers les enfants, celle de les éduquer. Souvent, les enfants des milieux défavorisés trouvent dans les garderies une meilleure motivation qui leur permettra de mieux réussir au niveau scolaire,

Le Québec aurait besoin d'argent sous forme de points d'impôt pour mieux mettre en oeuvre les politiques qu'il a déjà mises en place. On sait ce que le gouvernement du Québec veut, et je ne comprends pas pourquoi le gouvernement fédéral s'entête à refuser cela au Québec, qui en aurait besoin pour que ses politiques puissent mieux se développer. Comment verriez-vous cette possibilité de contenter le Québec quant aux demandes historiques qu'il fait au gouvernement fédéral?

• 1615

[Traduction]

M. Tom Kent: Ma proposition répondrait à moitié au voeu du Québec. Je propose que le gouvernement fédéral établisse clairement qu'il s'engage à investir dans le modelage des jeunes cerveaux pendant la prime enfance grâce à un système de garde évolutive, en versant jusqu'à 7 000 $ par année au maximum à cette fin. Toutefois, au lieu de verser l'argent aux parents, le gouvernement devrait tenter de négocier avec les provinces, ou répondre aux conditions émises par celles-ci afin de les laisser mettre sur pied un système d'éducation de la petite enfance très poussé; en effet, ces systèmes n'existent pas à l'heure actuelle et ce que nous proposons pourrait faire beaucoup plus que les programmes actuels de garde d'enfants, même ceux du Québec. Ils serviraient d'ailleurs à payer les salaires des éducateurs plutôt que les salaires des gardiens d'enfants. Autrement dit, le gouvernement fédéral habiliterait financièrement les provinces qui seraient chargées de mettre sur pied leurs propres programmes.

Il reviendrait à chaque province de décider des détails du programme; toutefois, contrairement à ce qui se passerait si l'on optait pour les points d'impôt par exemple, on aurait au moins l'assurance que chaque province qui a donné son adhésion mettrait sur pied un système éducatif destiné à la petite enfance. Or, à mes yeux, c'est tout à fait fondamental et essentiel pour l'avenir de notre pays. Et il est possible d'y parvenir avec ce type de programme, ce qui ne serait pas le cas si on optait pour les points d'impôt.

Je n'ai aucune objection aux points d'impôt, en théorie. J'ai d'ailleurs déjà négocié une forte augmentation des points d'impôt pour le gouvernement du Québec, et j'avais à l'époque négocié avec Jean Lesage. Mais les points d'impôt ne suffisent pas toujours lorsque l'on parle d'atteindre des objectifs nationaux, et celui qui nous intéresse actuellement est, à mon avis, à ce point essentiel qu'il nous faut un programme spécifique.

Le président: Monsieur Lenihan, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Don Lenihan: Oui, très brièvement.

Revenons à l'idée de la méthode axée sur les résultats: une de ses particularités intéressantes, c'est qu'elle nous offre la possibilité de faire bouger le bon vieux paradigme «normes nationales, responsabilité provinciale».

Prenons l'exemple du développement durable et supposons que les gouvernements aient leurs propres mécanismes de planification interne et fassent leur propre planification stratégique; supposons également qu'ils proclament tous haut et fort leur engagement à l'égard du développement durable et qu'ils affirment vouloir en faire la promotion. Supposons enfin qu'ils s'engagent à ce que toutes leurs politiques et tous leurs programmes soient axés sur cet objectif supérieur de développement durable.

Il faut bien comprendre au départ que personne n'oblige qui que ce soit à adopter cet objectif. Ce sont les gouvernements qui souscrivent tous à cet objectif d'un bon gouvernement. Dans la mesure où ils s'entendent, ou même s'ils arrivent, chacun à leur façon, à façonner leurs programmes et politiques en ce sens et à les subordonner à des indices de rendement qui soient identiques d'une province à l'autre, ils restent tous libres de choisir la façon d'y parvenir. Cela correspond au principe de l'asymétrie: chaque province est libre de ses mouvements sur son propre territoire. Toutefois, l'avantage de cette formule, c'est que les provinces ne peuvent choisir que les politiques et les programmes qui visent à atteindre cet objectif supérieur, ce qui permet d'espérer une certaine harmonisation d'une province à l'autre.

Il est très important de comprendre cette formule, dans le cas de questions véritablement horizontales, comme celles qui nous intéressent.

[Français]

Mme Christiane Gagnon: En matière d'aide sociale, on a beau mettre des normes nationales, mais quand le financement ne vient pas, les provinces sont aux prises avec ces normes nationales. Le gouvernement a des normes nationales en matière d'aide sociale, mais on connaît bien les coupures qui ont eu lieu. Quand le gouvernement fédéral décide de se retirer et qu'un besoin a déjà été identifié, comment peut-on continuer à donner le service à la population? Le service a été offert et le besoin existe toujours, mais on joue au yo-yo avec le financement. C'est ce qu'on a fait dans le cas du Transfert social canadien et dans celui du financement des réseaux communautaires. On agit à la pièce, on abolit le financement et les provinces sont obligées... À ce moment-là, c'est le gouvernement du Québec, notamment, qu'on critique parce que sa performance n'est pas à la hauteur de ce que souhaite la population.

• 1620

[Traduction]

Le président: Savez-vous si le Québec est particulièrement avancé dans sa réflexion au sujet de la gestion horizontale?

M. Don Lenihan: Bien sûr. Le Québec, tout autant que les autres gouvernements, est très intéressé par le processus de planification opérationnel et prône la planification stratégique, les mesures axées sur les résultats, etc. Il est tout à fait d'accord avec cela.

En réponse à un des volets de la question, je dirais que si l'on envisage cette formule pour atteindre une certaine coordination d'une province à l'autre, le principe devrait s'appliquer au gouvernement fédéral tout autant qu'aux provinces. Autrement dit, si l'on s'entend sur une gestion horizontale, le gouvernement fédéral devra, entre autres choses, s'assurer que, grâce aux mesures de rendement, il finance suffisamment les provinces pour que celles-ci puissent atteindre les objectifs fixés par tous. S'il était possible d'évaluer quelle devrait être la contribution fédérale, on pourrait alors conclure que le gouvernement fédéral ne fait pas sa part, si sa quote-part est inférieure au seuil fixé.

Le président: C'est justement ce que cherche à faire l'union sociale.

M. Don Lenihan: Je le pense, en effet.

M. Tom Kent: Me permettez-vous d'intervenir brièvement?

Le président: Bien sûr.

M. Tom Kent: Je suis tout à fait d'accord. Je pense avoir moi- même critiqué déjà la nature arbitraire et incertaine de certaines politiques fédérales, en matière de programmes conjoints exécutés avec les provinces. Si vague soit-il, le cadre de l'union sociale représente véritablement un pas dans la bonne voie, et ce pour les deux parties. Tout y concourt, et nous pouvons espérer voir une plus grande collaboration se dégager de cet effort.

Le président: Madame St-Jacques.

[Français]

Mme Diane St-Jacques (Shefford, PC): Je vais poursuivre sur ce que Mme Gagnon disait par rapport aux normes nationales. On connaît le problème de la prestation nationale pour enfants. Il y a eu une entente-cadre qui disait que les provinces devaient réinvestir l'argent et que la prestation nationale devait maintenant aller directement aux familles, mais seules les provinces du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve ont continué à donner de l'argent; les autres l'ont enlevé directement aux gens qui recevaient de l'aide sociale. Ces gens-là ont donc moins d'argent pour faire vivre leur famille.

Je trouve bon qu'on instaure un régime fiscal pour aider les familles à éduquer leurs enfants et qu'on réinjecte des fonds. Cependant, même si on va aider de cette manière la majorité de gens, il y aura toujours une classe sociale qu'on aura de la difficulté à aider. Je crois que l'argent ne suffit pas pour aider cette classe. Je ne sais pas ce qu'on pourrait mettre en place, parce qu'on ne réussit pas à briser le cycle la pauvreté. C'est un problème profond, et même si on ajoute de l'argent, je ne sais pas jusqu'à quel point les enfants vont en bénéficier. Ces enfants ont besoin de soutien. Ils n'en ont souvent pas à la maison parce que leurs parents ont toutes sortes de problèmes, par exemple des problèmes d'alcool ou de drogue. Ces jeunes-là perdent espoir. Ils ne sont pas motivés à aller à l'école et ils ne voient pas le jour où ils vont s'en sortir. C'est un cercle vicieux: quand les parents n'ont pas d'éducation, leurs enfants n'en ont pas et ainsi de suite. On ne réussit pas à briser le cercle vicieux de la pauvreté. Est-ce qu'on n'aurait pas plus besoin d'investir dans le communautaire? Je ne sais pas de quelle façon on pourrait le faire, mais il faudrait qu'il y ait un genre de concertation entre les différents intervenants en vue d'aider ces familles à s'en sortir.

L'argent est une solution, mais ce n'est pas la solution ultime. Quel autre moyen pourrait-on prendre pour intéresser ces jeunes à poursuivre leurs études pour qu'ils arrivent à avoir des postes convenables plus tard afin de briser ce cercle vicieux?

Nous avons formé un comité qui consulte les gens sur la pauvreté. Il est ressorti qu'il n'y avait aucune flexibilité ou concertation dans les différents programmes qui existent. Donc, l'aide ne se rend pas nécessairement aux personnes qui en ont besoin.

Ma question est-elle assez claire?

[Traduction]

M. Tom Kent: Je souscris à la plupart de vos propos, mais je crois que le problème des enfants qui décrochent remonte aux années qui précèdent la scolarité obligatoire. D'ailleurs, toutes les études tendent à concorder là-dessus. Voilà pourquoi je mets l'accent sur la période qui précède la scolarité obligatoire, celle de la petite enfance, puisque c'est là où nous avons été le plus absents.

• 1625

Puisque vous avez suggéré une action communautaire, j'ai expliqué que l'un des avantages de mettre sur pied un centre communautaire pour le développement de l'enfant, c'est qu'il pourrait devenir le pôle d'attraction de programmes communautaires plus vastes destinés à aider les enfants, et particulièrement les enfants pauvres, tout au long de leur enfance.

Mais il faut choisir avec soin ses priorités. Si nous voulons vraiment être efficaces et répondre aux normes de rendement, par exemple, il faut évidemment commencer par là où nous sommes le plus déficients, soit dans les premières années de vie de l'enfant. Cela ne veut pas dire que je ne souscris pas aux autres efforts, mais comme il est impossible de tout faire à la fois, la petite enfance doit figurer en tête de liste de nos priorités.

Le président: Bonnie Brown.

Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci de tous les exposés; ils se complètent fort bien et suscitent beaucoup de questions.

Revenons à ce que disait M. Lenihan: il nous est facile de comprendre le principe de la sous-traitance qui a eu la préséance pendant plusieurs années, et je l'interprète, pour ma part, selon le vieil adage: «Qui paye a le droit de choisir». Or, si nous optons pour la formule d'une gestion plus horizontale et fondons nos accords fédéraux-provinciaux sur des résultats convenus par tous, je me heurte à un problème.

Supposons, par exemple, que le seul résultat sur lequel tous s'entendent, ce soit le fléchissement du taux de chômage. Ce sera aux provinces de choisir elles-mêmes la façon d'y parvenir avec les fonds que nous leur versons à des fins de formation. Supposons qu'une province utilise cet argent pour faire fléchir le taux de chômage mais décide de cibler uniquement sa population de moins de 40 ans; ce faisant, elle épouse une valeur qui entre en conflit avec les valeurs que le gouvernement prône en lui transférant des fonds.

Voilà le noeud de la question. L'électorat envoie un gouvernement à la Chambre des communes, et ce gouvernement est censé être le miroir de ses valeurs. Or, ce gouvernement fédéral verse en vue d'atteindre un objectif commun de l'argent à un gouvernement provincial qui épouse d'autres valeurs. Ces dernières permettront peut-être à la province d'atteindre l'objectif fixé, mais la façon d'y parvenir contrevient aux valeurs que prône pour sa part le gouvernement bâilleur de fonds. Voilà ce qui me chiffonne.

M. Don Lenihan: Et vous avez parfaitement raison.

En premier lieu, si le gouvernement acceptait de s'associer aux provinces pour atteindre comme but le fléchissement du taux de chômage, je dirais que l'accord est vicié au départ. Dans des cas comme celui-là, des comités tels que le vôtre devraient intervenir et se demander combien de facteurs contribuent réellement au taux de chômage. Peut-être que la pizza que j'ai commandée ce soir contribue, elle aussi, au taux de chômage.

Cela ne veut pas dire qu'il faut se laisser embourber au point de ne pas agir. C'est sans doute ce qui explique... On comprend facilement qu'un tas de choix politiques influent sur les résultats fixés, les indicateurs utilisés et la façon dont ils sont organisés. Mais c'est là que les comités doivent intervenir: c'est à eux d'examiner toute la situation et de demander si les moyens utilisés justifient la fin et si les méthodes utilisées permettent d'atteindre les objectifs.

Madame St. Jacques, votre question de tout à l'heure me semblait tourner autour des résultats. J'ai l'impression que vous vouliez savoir, entre autres choses, comment le gouvernement peut déterminer s'il réussit vraiment à atteindre ses objectifs. C'est justement la question qu'il faut se poser. Il ne suffit pas, comme vous le faites, de convoquer toutes sortes d'experts qui viennent vous expliquer des tas de choses, comme nous le faisons aujourd'hui; il faut, en dernière analyse, que le gouvernement soit convaincu qu'il dépense judicieusement son argent par le truchement de programmes adéquats.

Je ne sais pas de quelles politiques il s'agit—c'est à M. Kent et à d'autres de décider de la teneur des politiques—, mais le principe devrait être de choisir les bonnes.

• 1630

Mme Bonnie Brown: Vous dites que nous devons nous demander si nous dépensons judicieusement l'argent. Ce qui peut être judicieux pour vous et pour moi ne l'est peut-être pas pour les autres. Nous sommes dans un contexte où il faut éviter le langage affectif.

J'avancerais également ceci: puisqu'il faut décrire l'objectif auquel sont censés souscrire les divers groupes horizontaux, je crois que plus l'objectif est décrit en détail, plus on aura de la difficulté à s'entendre. Voilà pourquoi j'ai choisi comme exemple un objectif tout simple, celui de faire fléchir le chômage.

Il est facile de gagner l'adhésion de tous autour d'un objectif simple et de donner toute la marge de manoeuvre à chacun pour y parvenir; mais c'est justement à ce moment-là que l'on assiste à une divergence entre les valeurs prônées. Le plus difficile, c'est de fixer un objectif suffisamment détaillé pour que le bailleur de fonds puisse être assuré que les valeurs qu'il prône seront respectées. Et c'est justement ce contre quoi Christiane s'insurge lorsqu'elle parle de normes nationales, et c'est pourquoi on en est venu à proposer une union sociale.

Je ne crois toujours pas que le nouveau cadre... J'aime l'idée de l'adhésion volontaire, car si une province ou un gouvernement municipal ne souscrit pas à l'objectif prôné par le bailleur de fonds, il ou elle peut décider de ne pas adhérer au programme.

Vous avez admis, de plus, que tout cela n'était que de la théorie; mais j'essaie de déterminer si cette théorie peut être mise en pratique et jusqu'où on peut aller dans la description des résultats sans empiéter sur les valeurs des autres.

M. Don Lenihan: Une ou deux observations. D'abord, il faut faire la distinction entre l'efficacité et les valeurs. Les mesures de rendement et cette formule ne vous diront pas quel devrait être le résultat. La seule chose que vous révéleront les mesures de rendement, c'est que vous êtes dans la bonne voie. Mais le choix de vos objectifs est une question de valeurs, autrement dit d'orientations.

Voilà pourquoi cela ne devrait pas rester entre les mains des fonctionnaires. Ce n'est pas aux fonctionnaires de décider quels devraient être les objectifs des programmes et des politiques, car ce sont là de grandes questions politiques. C'est à des comités tels que le vôtre d'intervenir—et ils devraient insister pour intervenir dans la démarche, justement parce qu'il s'agit là de valeurs, de décisions politiques, de la façon dont nous allouons nos ressources, etc. Quant au reste, il sert à nous indiquer si nous sommes en bonne voie d'y parvenir ou pas.

En second lieu, pour ce qui est des avantages particuliers dont pourraient bénéficier les divers paliers de gouvernement ou même les ministères, il faut comprendre que des conflits surgiront toujours en regard des valeurs choisies. Voilà pourquoi nous optons aujourd'hui pour des politiques libérales. On a tendance à se chamailler beaucoup autour de cela. Jusqu'où peut-on être d'accord? En bout de piste, c'est sans doute une question politique. Parfois, on fait du bon travail, et parfois on fait du mauvais travail; à un moment donné, il faut décider dans quelle mesure on peut accepter des objectifs vagues ou indéterminés.

Je dirais, pour ma part, que de faire fléchir le taux de chômage est un objectif trop ambitieux. J'aurais même tendance à dire que l'accord autour de cet objectif pourrait être malsain. Par ailleurs, j'aime bien l'union sociale, car elle donne de bons résultats. Elle nous permet même de faire d'énormes progrès. Et je pense particulièrement aux accords sur la main-d'oeuvre.

Mais je serais bien incapable de dire jusqu'où on peut aller.

Le président: Voulez-vous nous dire ce que vous en pensez, monsieur Kent, ou préférez-vous attendre?

M. Tom Kent: Je réagirai brièvement, si vous permettez.

Même si je souscris sans réserve à la théorie, il y a une chose qui m'inquiète. Si nous attendons trop pour voir si nous sommes sur la bonne voie, nous n'essaierons jamais quoi que ce soit de novateur qui aurait peut-être une chance de réussir. Nous ne savons pas d'avance de quelle façon nous pourrons réduire la pauvreté chez les enfants, par exemple. Mais on peut déjà voir quelles sont les meilleures méthodes qui ont une chance de réussir. Il faut les mettre à l'essai avant de faire son évaluation. Cela m'embête toujours de voir les évaluateurs qui voudraient faire leur évaluation avant que quoi que ce soit n'ait été tenté.

Le président: Monsieur Pagtakhan.

M. Rey D. Pagtakhan (Winnipeg-Nord—St. Paul, Lib.): J'avais une question, mais M. Kent m'a enlevé les mots de la bouche. Il faudra en effet un certain temps avant d'avoir des résultats, et entre temps, l'argent continue d'être dépensé. Puisque M. Kent affirme qu'il faut tenter sa chance, comment faire en sorte que...? Ne pourrait-on pas mettre à l'essai un projet pilote? On n'obtiendra jamais de résultats sans projet pilote. Combien de temps devrait durer un projet pilote pour qu'il soit valable?

M. Don Lenihan: Je pense qu'il y a déjà des projets pilotes de lancés dans au moins cinq ministères. Il y en a au Conseil du Trésor, puis à DRHC, de même qu'à la Défense et à l'Agriculture.

Il vaudrait peut-être mieux se demander jusqu'à quel point le projet pilote que l'on veut lancer doit être ciblé ou pas. Il existe, dans les ministères, des secteurs de politiques secondaires qui ont fait l'objet d'expérimentations plus ou moins poussées, et il en va de même pour les provinces et pour d'autres pays.

• 1635

Je souscris sans réserve à ce qu'a dit Tom Kent. Il faudrait réfléchir à une transformation de longue haleine dans le secteur public et dans le domaine politique qui nous achemine vers une culture d'apprentissage. On fait toujours des erreurs, mais ces erreurs ne devraient pas se traduire par le départ d'un ministre, ou le rejet d'une politique ou d'un programme, s'il n'y a pas perfection.

On ne peut attendre la solution parfaite avant de prendre une décision. Il faudra se réorienter au fur et à mesure. Entre temps, il faudra trouver de bons projets pilotes qui nous permettent d'améliorer nos compétences, il nous faudra essayer de grands projets et de plus petits projets aussi, car c'est en forgeant qu'on devient forgeron. Rien ne se fait du jour au lendemain.

M. Rey Pagtakhan: Vous avez dit que cinq ou six ministères avaient des projets pilotes. Comment faire pour amener les ministères à collaborer et pour être sûrs que les efforts sont sincères?

M. Don Lenihan: Il faut regarder chaque projet, mais il faut savoir aussi qu'il y a en tout temps une pléthore d'activités interministérielles et intergouvernementales. D'ailleurs, cela m'inquiéterait dans une certaine mesure, si j'étais à votre place.

Prenons, par exemple, l'union sociale. Voici ce qui se passera présumément, au fur et à mesure qu'on voudra appliquer cet accord aux différents secteurs de la politique sociale, aux enfants, aux personnes handicapées, etc. De plus en plus de comités fédéraux- provinciaux seront mis sur pied un peu partout. Un nombre croissant de fonctionnaires se parleront les uns les autres, travailleront ensemble, tout cela dans un esprit de collaboration.

Dans un sens, c'est ainsi que cela devrait se passer; mais si des comités, tels que le vôtre, oeuvrent indépendamment de leurs homologues provinciaux et des autres comités, tout en continuant à être rattachés à un ministère, dès lors que vous voudrez faire une recommandation à votre ministère, celui-ci aura déjà mis en marche toute une série d'initiatives au niveau provincial et se sera peut-être engagé à toutes sortes de choses. Autrement dit, il deviendra de plus en plus difficile au ministre de réagir positivement aux recommandations du comité.

M. Rey Pagtakhan: Mais quelle structure nous recommandez-vous précisément?

M. Don Lenihan: J'ai abordé brièvement cette question dans mon exposé. Si j'ai bien compris votre question, la réflexion de comités tels que le vôtre devrait se situer à deux niveaux. D'abord, quels types d'objectifs se fixent-ils? Dans quelle mesure nous informent-ils réellement de ce qu'ils font? Quels types d'indicateurs nous donne-t-on? Sont-ils efficaces? Atteignent-ils vraiment leur but? C'est ce que l'on appelle un examen interne, au sein du gouvernement fédéral.

En second lieu, on devrait essayer de dépasser les frontières séparant les provinces et les territoires pour essayer de déterminer quelle est la réflexion politique de vos homologues des autres paliers gouvernementaux et de savoir comment se fait leur processus de planification opérationnelle. Autrement dit, y a-t-il à ce point conflit entre les valeurs? Si c'est le cas, certaines des divergences peuvent être sans doute surmontées et d'autres pas.

M. Rey Pagtakhan: Ma dernière question s'adresse à M. Kent.

Vous étiez dans le paysage à l'époque où le ministère de la Santé était jumelé au Bien-être social. Aujourd'hui, nous avons le ministère du Développement des ressources humaines. L'évolution s'est-elle faite pour le mieux, ou devrions-nous revenir en arrière?

M. Tom Kent: L'amalgame entre la santé et le bien-être social n'a jamais été une réussite. À toutes fins pratiques, il s'agissait de deux ministères distincts, qui avaient chacun leur sous-ministre et qui coopéraient très peu. Par conséquent, il ne faudrait surtout pas revenir au ministère de la Santé et du Bien-être social.

Par ailleurs, le ministère actuel du Développement des ressources humaines est énorme et il est chargé non seulement de l'emploi, de la formation et des questions touchant l'emploi, mais aussi de la politique sociale: c'est un morceau énorme à avaler.

Sans vouloir recréer Santé et Bien-être social Canada, je garderais le volet santé distinct, avec un nouveau ministère. On ne pourrait évidemment pas parler aujourd'hui de bien-être social, pas plus qu'on ne pourrait revenir à l'appellation anglaise du début, «manpower», qui était utilisée, vous vous le rappelez, avant que l'on parle du développement des ressources humaines. À l'époque, personne ne s'opposait à ce que l'on parle de «manpower». D'ailleurs, j'avais même suggéré que l'on dise «people power», mais personne n'a pris ma suggestion au sérieux.

On pourrait évidemment avoir un ministère des affaires sociales qui serait distinct du volet jumelé d'emploi et d'immigration, comme c'était le cas autrefois. Par ailleurs, il ne faudrait pas que vous vous préoccupiez trop de la structure de l'appareil gouvernemental. D'après mon expérience, et d'après ce que j'ai vu dans le secteur public et dans le secteur privé, on réorganise chaque fois que l'on ne sait pas quoi faire.

Des voix: Oh, oh!

• 1640

M. Rey Pagtakhan: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Pagtakhan.

Pour avoir une autre opinion, nous passons maintenant à Mme Bennett.

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Merci. Une de mes soeurs avait l'habitude de réorganiser son pupitre, chaque fois qu'il était temps pour elle d'étudier.

Comme je suis très intéressée par les déterminants de la santé et la prévention, j'aimerais poser une question au sujet de la santé et de l'aide sociale. Où la structure interministérielle s'insère-t-elle...? C'est une question qui m'intéresse beaucoup, et j'ai déjà pris part à l'une des tables rondes du Conseil du Trésor qui portait sur les grandes questions transectorielles et horizontales, comme la pauvreté chez les enfants, les sans abri ou l'environnement. Ces questions de portée générale s'inscrivent bien mal dans les cases prévues pour elles.

Je préside le nouveau sous-comité qui s'intéresse aux personnes handicapées, et pour avoir assisté aux réunions de John, il me semble que... Dans notre sous-comité, nous avons eu la chance de faire comparaître tous les ministres qui ont eu tant soit peu à voir avec les personnes handicapées, ce qui fut très instructif.

Pensez-vous que les comités parlementaires ont un rôle à jouer pour examiner des questions de portée générale relevant de plusieurs ministères, et surtout pour donner à ces ministères une orientation? Pour leur donner une direction, il faut proposer une vision et des valeurs. Pensez-vous que les comités parlementaires auraient un rôle à jouer pour offrir une vision et des valeurs, autrement dit pour consulter les Canadiens sur des priorités sociales comme le propose l'union sociale? Les comités parlementaires constituent des tribunes privilégiées pour toute consultation avec les Canadiens. Est-il possible d'aller chercher la collaboration de tous les ministères en ce sens plutôt qu'une collaboration purement bureaucratique? Comment le Parlement peut-il intervenir de façon plus utile dans les questions qui ne sont pas du ressort d'un seul ministère donné?

M. Tom Kent: Puis-je me permettre de dire que votre sous- comité et d'autres comme lui sont des exemples du progrès dont je parlais. À une époque—je ne cesse de révéler mon âge—, les comités parlementaires étaient essentiellement rattachés à un ministère. Les comités parlementaires étaient donc mis sur pied afin de s'occuper d'un ministère. Cela saute aux yeux que cette méthode ne permettait pas de bien prendre la mesure des questions d'orientation.

La création de comités et de sous-comités, tels que le vôtre, qui sont chargés des dossiers concernant les personnes handicapées et d'autres encore, est un pas dans la bonne direction et permet d'imprégner une certaine vision et certaines valeurs à la réflexion qui entoure les politiques.

J'ose croire, également, que les pressions viendront de la base. Prenons le cas des soins de santé, même si j'aborde ce domaine avec prudence, car vous en savez sans doute beaucoup plus là-dessus que moi: je crois que dans ce domaine, il s'est dégagé au cours des dernières années un consensus très net. En effet, si l'on veut que les programmes de santé soient efficaces, qu'ils s'occupent des questions de santé et non pas uniquement des problèmes de maladie, il faut décentraliser la gestion des programmes au niveau local plutôt que de la laisser entre les mains des ministères, qui ont chacun leur créneau, ou qui—comme dans le cas du ministère de la Santé—s'occupent de façon générale de la santé.

Cela correspond tout à fait à ce que Don Lenihan disait au sujet de la coordination et de l'intégration d'objectifs particuliers, tels que la santé dans son sens le plus large. Parfois, il faut bien que l'objectif soit suffisamment vaste. Or, les grands objectifs de santé desservis par des gestions locales assorties d'une vision globale sont la solution pour concrétiser les politiques et pour atteindre la prestation optimale des services. Il reste à espérer que cette réflexion à la base se répercutera dans ce que je considère être une amélioration considérable de la situation à ce niveau-là, par rapport à ce qui était naguère le cas.

• 1645

Le président: Monsieur Lenihan, avez-vous quelque chose à rajouter?

M. Don Lenihan: Oui, j'ai un ou deux brefs commentaires.

D'abord, je souscris sans réserve à ce qu'a dit Tom Kent. Je trouve très encourageant que l'on ait créé des comités comme le vôtre. À mon avis, et je l'ai déjà dit, la tendance à la gestion axée sur les résultats et au rapport sur le rendement permet aux comités d'intervenir plus directement.

Au risque de provoquer une réaction chez vous, je dirais que le seul obstacle est la culture qui existe au Parlement. Je ne vois pas pourquoi les comités ne pourraient pas jouer un rôle plus important dans l'effort de réflexion de bas en haut.

Mme Carolyn Bennett: L'étape suivante de l'union sociale est censée nous permettre de conclure des accords sectoriels qui fixent certains objectifs en vue d'aider, par exemple, les enfants pauvres, les sans abri ou les personnes handicapées. Mais dans le cas des accords sectoriels, l'un des problèmes qui se posent lorsque l'on forme une alliance, c'est que nos partenaires ne sont pas tous dignes de confiance. Après tout, on ne les choisit pas toujours.

Une voix: Comme dans une famille.

Mme Carolyn Bennett: Oui, je suppose.

Comment envisagiez-vous la prochaine étape de l'union sociale et comment les Canadiens pourraient-ils intervenir dans ce que l'on appelle les accords sectoriels? Comment s'assurer que l'union sociale prévoit que l'on consultera les Canadiens sur les priorités sociales? Êtes-vous optimiste devant la prochaine étape de l'union sociale? Comment faire pour démarrer le tout?

M. Don Lenihan: Au risque de me répéter, je dirais que dans les ministères et chez les fonctionnaires, on a assez de marge de manoeuvre pour faire intervenir les citoyens dans les alliances établies pour assurer la prestation des services, etc. À cet égard, d'ailleurs, il se fait déjà beaucoup d'expériences en ce sens, particulièrement à DRHC.

Je suis tout à fait en accord avec ce que vous avez dit. Des comités comme celui-ci me semblent représenter une tribune privilégiée permettant aux citoyens de s'engager, d'exprimer leurs opinions et d'intervenir dans le processus de décision, le processus d'évaluation et d'autres démarches encore.

C'est sans doute banal comme réponse, mais je ne saurais mieux dire. Les Canadiens devraient être partie prenante à toute réflexion par le truchement de comités comme celui-ci.

Mme Carolyn Bennett: On pourrait fixer comme objectif l'intervention au niveau de la petite enfance préconisée par M. Kent.

M. Don Lenihan: Bien sûr. Laissez-moi vous expliquer: au fur et à mesure que l'on précisera les accords sectoriels, il faudra entre autres choses définir les objectifs. Pourquoi ne serait-il pas possible de faire une bonne partie de cette réflexion dans votre comité?

Le président: Comme il ne doit pas manquer le dernier train pour Kingston, M. Tom Kent devra répondre brièvement à la dernière intervention, après quoi j'ai moi-même une question à poser, tout comme Bonnie Brown,

[Français]

de même que Christiane Gagnon. Tout cela doit se faire en 12 minutes.

[Traduction]

Vouliez-vous intervenir, monsieur Kent?

M. Tom Kent: Oui, très brièvement.

N'oublions pas le rôle que jouent les partis politiques. J'avoue être assez sceptique devant la consultation de la population que pourraient vouloir faire les ministères et leurs fonctionnaires. Quand on parle de consultation, il faut savoir que la consultation la plus importante, c'est lorsque les partis politiques réfléchissent activement aux orientations à adopter et partagent leur réflexion avec la population canadienne—et aussi avec les membres de leur parti. On ne tient plus le milieu politique en très haute estime depuis une trentaine d'années, et il faut renverser la vapeur.

Mme Carolyn Bennett: Merci.

Le président: Me permettez-vous quelques observations, à titre de président?

D'abord, j'ai été fort intéressé par la réaction de Mme Gagnon à la proposition d'un crédit d'impôt remboursable de 7 000 $ par année. Si j'ai bien compris l'union sociale, si le Québec devait s'entendre avec le gouvernement fédéral, on reconnaîtrait le travail de pionnier effectué dans cette province, et on libérerait de l'argent pour d'autres objectifs connexes. On ne parlerait donc plus de désincitatifs, mais plutôt d'incitatifs pour que les provinces puissent obtenir plus d'argent qui soit destiné aux enfants, mais dans le cadre des programmes qu'elles auraient choisis. Voilà ce qui se produirait, je crois.

En deuxième lieu, j'aimerais inviter

[Français]

Mme Gagnon à faire la liaison avec le gouvernement du Québec. On pourrait tenir une séance conjointe, comme M. Lenihan l'a suggéré. Je trouve que c'est une idée très inspirante.

• 1650

[Traduction]

Ce serait toute une séance dont nous pourrions retirer énormément.

En troisième lieu, je m'adresse à M. Lenihan.

J'espère que vous allez nous aider au cours des prochains mois, par le truchement de l'IAPC, à étudier cette question de portée générale. Votre réflexion pourra nous être utile.

Enfin, j'ajouterais que nous avons besoin à la fois de l'expérience d'un Tom Kent et de la théorie d'un Don Lenihan pour pouvoir étudier comme il se doit les grands dossiers intersectoriels. Ce que nous a dit Tom Kent à la fin, à savoir qu'il fallait cesser de remanier constamment l'appareil gouvernemental, est très utile. Mais j'aimerais toutefois que nous nous inspirions d'exemples du passé—autre que celui de la seconde Guerre mondiale, qui peut être considérée comme une grande question horizontale s'il en fut une—, c'est-à-dire d'exemples fructueux qui ont prouvé que nous étions capables de nous serrer les coudes pour nous entendre sur de grands projets nationaux.

Je crois que Tom Kent veut réagir.

M. Tom Kent: En effet, le Québec y gagnerait énormément du point de vue financier s'il adhérait au genre de propositions que j'ai faites. Je ne veux pas dire par là que l'argent serait le motif principal, puisqu'au Québec on se préoccupe énormément de ces questions, beaucoup plus que l'on ne l'a jamais fait ailleurs au Canada. Mais il est certain que le gouvernement du Québec aurait tout à gagner d'un point de vue financier en adhérant à cette proposition.

En second lieu... Non. Le temps file, et nous avons suffisamment parlé.

Le président: Bonnie Browne.

Mme Bonnie Brown: Je suis ravie de l'optimisme que vous avez démontré au sujet du rôle des comités et de leurs sous-comités. Notre sous-comité émane d'un comité permanent qui est rattaché, pour sa part, à un ministère; par conséquent, il faut comprendre que les comités dont vous parlez ne sont pas vraiment si libres que cela, tout simplement parce qu'ils ont choisi d'étudier une grande question d'intérêt général. Ils restent rattachés néanmoins à un comité permanent, c'est-à-dire à un ministère et à son ministre.

Mais ce qui me préoccupe le plus dans toute cette affaire, c'est le chevauchement des compétences entre les gouvernements, plutôt qu'entre les ministères, car là, je n'y connais pas grand-chose. Nous avons plus d'expérience au niveau des relations fédérales-provinciales.

Lorsque nous mettons au point une politique visant les enfants, les fonctionnaires des divers niveaux de gouvernement se rencontrent pour étoffer cette politique, mais sans que les maîtres politiques ne leur aient donné des directives. Puis, au cours de la réunion du Conseil des ministres, les ministres décideront entre eux s'ils approuvent ou non ce qu'auront pondu les fonctionnaires. J'ai peur que les principes seront dilués, car les gouvernements provinciaux ne partagent pas tous les mêmes valeurs.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Je ne veux pas donner des fonds à l'Ontario pour construire d'autres écoles de redressement pour les jeunes contrevenants. À mes yeux, cela représente un exemple clair de valeurs contradictoires, et je crois que l'opposition partage mon avis là-dessus. Donc, si nous cherchons vraiment à négocier des ententes fédérales-provinciales à l'intention des enfants et des jeunes, y compris les jeunes contrevenants, qu'est-ce qu'on fait quand les parties intéressées épousent des valeurs franchement contradictoires?

L'autre exemple concerne l'attitude selon laquelle l'argent doit servir à aider les enfants pauvres, mais pas les parents qui bénéficient de l'aide sociale. Je suis fortement opposée à cette idée, et je ne veux pas dire aux contribuables de ma circonscription, dont les impôts et cotisations sont versés au Trésor et au Fonds d'assurance-emploi, que leur argent ira à des gens qui le méritent—qui ne bénéficient pas de l'aide sociale—et non à des gens qui ne le méritent pas—les assistés sociaux.

Voilà donc ce qui me préoccupe dans toute cette affaire.

Une deuxième chose me préoccupe: est-il possible de connaître les points de vue politiques des parties intéressées avant que les ministres ne se réunissent pour signer une entente—diluée, pour satisfaire à tout le monde—qui ne comporte plus de principes musclés, à laquelle nous serons tous liés et dont les dispositions seront financées par les contribuables?

Le président: Je vous prierais de ne pas répondre tout de suite

[Français]

pour que Mme Gagnon puisse poser sa dernière question.

Mme Christiane Gagnon: Je vous trouve très optimiste quant à l'influence qu'un comité peut avoir auprès des ministres et du gouvernement. Il est évident que vous ne faites pas de politique.

• 1655

Quand on a discuté des bourses du millénaire, par exemple, cela a été très difficile. Tous les intervenants du Québec sont venus nous dire que l'objectif poursuivi par le gouvernement ne répondait pas aux attentes du Québec, mais nous n'avons pas reçu beaucoup d'appui.

Quand des témoins du Québec viennent expliquer les spécificités du Québec en matière culturelle, par exemple, bien souvent, on décroche son petit appareil, on lit son journal et on ne veut rien savoir. C'est comme si tout ce qui vient du Québec n'avait pas de crédibilité. On nous dit que le Québec est performant et qu'une vraie politique familiale a été mise sur pied par son gouvernement, mais quand nous faisons valoir, en comité, ce que le Québec met en place et que nous critiquons l'absence de financement du fédéral, eh bien, on nous envoie promener. Quand nous nous levons, nous nous faisons dire par le ministre Pettigrew que nous voulons mettre tous les chômeurs au chômage. Une telle réponse est irresponsable. Je n'oserais même pas penser répondre de cette manière; j'aurais peur de faire rire de moi.

[Traduction]

Le président: Sur ce, je vous donne le dernier mot, si vous désirez répondre brièvement.

M. Don Lenihan: Une ou deux petites observations.

D'abord, j'aimerais revenir à ce que Bonnie a dit un peu plus tôt à propos du processus fédéral-provincial et du fait qu'on ne tienne pas compte du travail des comités à cause des tractations bureaucratiques. C'est là un problème sérieux dont les divers aspects devraient être étudiés en comité, comme celui-ci.

Ensuite, ce qu'on essaie vraiment de faire en étudiant tous ces problèmes est d'articuler des objectifs clairs et précis. Par contre, il existe toujours des raisons politiques qui sous-tendent ces objectifs, et je ne sais qu'en faire. C'est toujours difficile, ça ne va pas aider les choses.

Enfin, je ne veux pas être perçu comme étant trop optimiste. Après tout, je ne suis pas un Candide. J'ignore comment tout ça va se terminer. Mais on n'a pas beaucoup de choix, allons donc de l'avant avec ce qu'on a.

Le président: À vous, monsieur Kent.

M. Tom Kent: Merci.

J'aimerais insister sur une chose. Les élus ont de moins en moins d'influence sur le processus bureaucratique. Ils ont trop peu d'influence; les fonctionnaires en ont trop. Mais les fonctionnaires ne peuvent que combler les vides des politiques. Il revient aux élus de s'affirmer et de remettre les fonctionnaires à leur place. S'ils y parviennent, il y a raison d'être optimiste à l'égard de ce que les élus et les comités comme celui-ci peuvent accomplir.

Le président: Que c'est bien dit. Sur ce, je vous remercie. La séance est levée.