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SCYR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON CHILDREN AND YOUTH AT RISK OF THE STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES

SOUS-COMITÉ SUR LES ENFANTS ET JEUNES À RISQUE DU COMITÉ PERMANENT DES RESOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 4 mai 1999

• 1536

[Traduction]

Le président (M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.)): Je déclare la séance officiellement ouverte; les absents vont arriver d'un moment à l'autre.

À titre d'introduction, je voudrais expliquer à tout le monde ce que nous faisons. Nous avons entrepris une étude consacrée non exclusivement aux enfants et aux jeunes à risque; c'en est du moins le principal sujet. De nombreuses questions se sont posées au comité. Que sait-on de ces enfants? Comment reconnaître les mesures efficaces? Comment mesurer l'efficacité? Comment s'en rendre compte? À quoi faut-il penser pour l'avenir? De quels modèles faut- il s'inspirer? Quels compromis faut-il faire entre le revenu et les services? Voilà certaines des questions que nous nous sommes posées.

Aujourd'hui, nous avons la chance de pouvoir comparer deux provinces du Canada qui ont adopté des solutions différentes concernant les enfants et les services qui leur sont destinés.

Nous avons parmi nous M. Fraser Mustard. Depuis longtemps, j'ai avec lui des relations professionnelles et des relations d'amitié, car j'ai travaillé avec M. Mustard à l'Institut canadien des recherches avancées. Il s'est fait depuis longtemps le champion d'une meilleure compréhension du développement de l'enfant et des déterminants de la santé.

Comme il va vous le dire, il vient de publier une grande étude sur la petite enfance pour le gouvernement de l'Ontario. Le budget de cette province doit être présenté dans une vingtaine de minutes et je suis ravi de voir que M. Mustard aura la patience d'attendre pour voir si les recommandations qu'il a faites au premier ministre Harris il y a quelques semaines et qui figurent dans cet ouvrage se retrouvent également dans les documents budgétaires. Comme nous, il a hâte de voir ce qu'il advient de certains éléments du rapport.

[Français]

Ce qui est très intéressant dans toute cette affaire, c'est le rôle de leader que le Québec a joué. Nous admirons beaucoup à la fois les valeurs sociales du Québec et toutes les mesures qu'il a prises pour appuyer les enfants. Comment peut-on s'inspirer les uns des autres? Comment peut-on trouver un terrain commun au niveau provincial, avec l'appui fédéral? C'est dans cet esprit qu'on va avancer.

Je voudrais accueillir chaleureusement nos invités du Québec, mais je crois qu'on va commencer par le rapport

[Traduction]

Mustard et McCain, Étude sur la petite enfance.

Monsieur Mustard, vous avez la parole. Tout le monde a un exemplaire des acétates et du résumé que vous nous avez préparés.

M. Fraser Mustard (président fondateur et boursier de Bell Canada, Institut canadien des recherches avancées): Monsieur le président, j'ai une version française des acétates, mais il n'y a toujours pas de traduction française du document qui puisse satisfaire ceux dont la première langue est le français. Il y a eu des problèmes de traduction.

• 1540

Vous avez un exemplaire des acétates, et je vais vous les commenter brièvement. Vous remarquerez que le sous-titre est «Inverser la véritable fuite des cerveaux». Le comité a établi que ce qui se passe entre la conception et l'âge de cinq ou six ans détermine l'avenir. Quant à nous, nous disons qu'il est tout aussi important d'investir dans cette période que dans l'éducation ou les études postsecondaires. Cette formule résume donc le rapport, et c'est pourquoi nous l'avons reprise en titre.

Le premier tableau représente le développement cérébral, les possibilités et l'investissement. Vous avez déjà dû voir cela. On constate que la malléabilité du cerveau est optimale entre la conception et l'âge de trois ans. Les symptômes de l'insuffisance du développement cérébral apparaissent plus tard, et on rencontre alors toute la gamme de ce que nous appelons les fonctions de réparation, notamment les soins de santé, qui occasionnent des dépenses considérables. En Ontario, les dépenses ne sont pas très importantes dans la période préscolaire. Nous indiquons donc un décalage dans notre rapport.

Le tableau suivant est très important. Il représente la meilleure évaluation que nous ayons pu trouver du développement des connexions cérébrales qui déterminent les fonctions sensitives directes comme la vision, ainsi que des fonctions plus complexes comme l'activation et l'émotivité.

Nous avons examiné les études de neurologie et je voudrais vous soumettre l'élément suivant à titre de rappel. Le progrès décisif dans la connaissance du développement cérébral a résulté de la résolution d'un problème de vision. Lorsqu'un enfant naît avec une cataracte, c'est-à-dire une opacité du cristallin, et que l'on enlève cette cataracte par la suite, l'enfant ne voit pas, alors que dans le groupe d'âge des personnes ici présentes, il faut enlever la cataracte pour permettre la vision.

Si les connexions du cerveau sont déjà en place à la naissance, pourquoi l'enfant ne peut-il pas voir lorsqu'on enlève la cataracte? C'est ce qui a amené Hubel et Wiesel à faire des expériences importantes qui ont montré l'existence d'une période critique pendant laquelle les signaux provenant de l'oeil doivent obligatoirement atteindre cette partie du cerveau pour que la connexion se fasse. Des facteurs génétiques déterminent la période de sensibilité, mais dans cette histoire, la nature et l'évolution personnelle jouent leur rôle. C'est très clair.

Ceux qui prétendent que le développement du cerveau relève totalement de la génétique se trompent. Ce développement est déterminé dans une forte proportion par l'environnement. Nos huit sens se développement de la même façon. Ils connaissent tous une période de sensibilité. Lorsqu'on lit une histoire à un enfant de 12 mois, on actionne cinq de ses huit trajectoires sensorielles, à savoir l'odeur, la température, le toucher, la vision et le son. Toutes ces trajectoires sensorielles se raccordent aux fonctions essentielles du cerveau qui régissent l'activation et les émotions. Je reviendrai tout à l'heure sur ce thème.

On se souviendra à ce propos des travaux de Richard Tremblay, qui a établi qu'avant d'aller à l'école, les enfants apprennent à contrôler le comportement agressif normal d'un enfant de deux ans. Si cet apprentissage n'est pas bien fait, on risque de trouver des problèmes de violence à l'adolescence... Ce qu'on vient de voir dans plusieurs écoles en est la preuve. Ce sont des situations dramatiques, et il est temps d'y prêter attention. Les reportages télévisés sur la violence et les fusillades dans les écoles montrent bien la pertinence des travaux réalisés par Richard Tremblay à l'Université de Montréal.

On voit donc ici les périodes critiques du développement cérébral et des autres fonctions, et pour l'essentiel, tout intervient avant l'âge de six ou sept ans.

Lorsqu'on analyse l'ensemble des études, comme nous l'avons fait dans ce document, on voit que le cerveau est l'organe de l'apprentissage, du comportement et d'un autre élément plus subtil, que peu de gens connaissent, à savoir de la santé. Je vous rappelle que d'après les données accumulées, le fait que vous et moi allons vivre plus longtemps n'a pas grand-chose à voir avec le système des soins de santé qui accapare des millions de dollars. Il est lié davantage à ce qui se produit pendant la petite enfance. C'est ce qu'indiquent les données accumulées. Les événements de la petite enfance déterminent le risque d'apparition des maladies chroniques pendant la vie adulte, du moins de certaines d'entre elles. Tout cela figure dans notre rapport.

Venons-en maintenant aux questions économiques. Malgré tous les arguments sur la productivité—c'est ce dont je parlerai tout à l'heure,—notre pays connaît un indice de productivité constant depuis 1975. Cela signifie qu'on ne se sert pas des nouvelles technologies pour créer de la richesse, ce qui occasionne des problèmes de répartition de la richesse dans la société, au détriment des groupes les plus vulnérables. Il en a toujours été ainsi. Les économistes qui sont aussi historiens le comprennent bien. Les théoriciens de l'économie ont du mal à faire face à ce problème. Voici les données du Canada.

Passons au tableau suivant. Manifestement, le taux de chômage augmente parallèlement aux changements économiques. Le tableau suivant montre la proportion des femmes dans la main-d'oeuvre active, qui est très élevée. Bien qu'il y ait des hommes de ma génération qui préféreraient renvoyer les femmes chez elles pour qu'elles s'occupent des enfants, une telle éventualité n'est pas envisageable. Il faut donc faire face à la réalité: les femmes sont une partie importante et intégrante de la main-d'oeuvre active et les sociétés doivent s'adapter à ce changement en prenant les mesures nécessaires.

• 1545

Le tableau suivant indique l'évolution des salaires annuels des hommes depuis le point de rupture de l'économie qui s'est produit vers 1975. Si vous avez la malchance d'avoir moins de 45 ans, vous n'avez pas aussi bien réussi que les nantis de ma génération. Vous remarquerez que la plus forte diminution concerne le groupe d'âge le plus jeune, ce qui se répercute sur la structure parentale de la société et sur sa capacité à assumer les fonctions parentales. Si l'on veut résoudre cette difficulté, on ne peut laisser dans l'ombre les changements sociaux et économiques sous- jacents que connaît la société.

Nous n'avons pas trouvé de données longitudinales fiables sur ce qui se passe en Ontario et au Canada, mais le tableau suivant indique le pourcentage de la population qui se trouve en deçà du seuil de faible revenu, ou SFR. Vous remarquerez que c'est en quelque sorte le seuil de pauvreté. En 1975, 11 p. 100 seulement de la population se trouvait en deçà de ce seuil. En 1996, on y trouvait 21 p. 100 de la population, ce qui donne une indication des pressions économiques auxquelles elle est soumise. L'Ontario n'est guère différent du reste du Canada, comme on le voit au bas du tableau. J'ajoute pour ceux que la chose travaille qu'il s'agit du seuil de faible revenu après impôt.

Après avoir digéré toutes ces données, notre comité a cherché à savoir ce qu'il advenait des enfants ontariens, pour savoir s'il s'agissait simplement d'une question de pauvreté ou d'un problème plus profond. Le tableau suivant concerne l'insuffisance des mots compris, selon une technique qui permet de mesurer les aptitudes verbales à quatre ou cinq ans. Pour ceux d'entre vous qui ne sont pas spécialistes de la question, il s'agit là d'une mesure très précise des fonctions cérébrales. Considérées collectivement, et non individuellement, ces données comportent un pouvoir prévisionnel important.

Les études suédoises montrent que les petits Suédois qui acquièrent des aptitudes verbales insuffisantes au cours des cinq premières années—rappelez-vous de ce que j'ai dit concernant la lecture, qui permet de développer des trajectoires sensorielles multiples—parmi les enfants qui manifestent de mauvaises aptitudes verbales à deux, trois ou quatre ans, les garçons ont tendance à devenir analphabètes fonctionnels pendant leur scolarité et une forte proportion d'entre eux deviendront délinquants à l'adolescence. C'est donc un marqueur extrêmement important, si tout le monde suit ce séquençage. Et ces données corroborent les travaux de Richard Tremblay.

Vous remarquez que pour l'Ontario, le résultat obtenu est un gradient. Les gens ont du mal à se représenter un gradient, mais au bas de l'échelle socio-économique—que l'on trouve à gauche—on a une forte proportion d'assistés sociaux, de gens faiblement éduqués à faible revenu. Environ 32 p. 100 des enfants ontariens n'ont pas de bonnes aptitudes verbales, mais il n'y a pas de seuil. À mesure que l'on monte dans l'échelle socio-économique, la proportion des enfants en difficulté, indiquée sur l'axe des aptitudes verbales, a tendance à diminuer. Mais même au niveau socio-économique de ma coprésidente, Margaret McCain, c'est-à-dire à l'extrême droite, on trouve près de 10 p. 100 des enfants en difficulté. Le problème est donc universel. Ce n'est pas une question d'enfance à risque. Il est important de bien le comprendre.

On pourrait sans doute montrer au premier ministre Harris qu'il y a plus d'enfants en difficulté dans toutes les classes sociales en Ontario que dans le reste du Canada, et nous espérons qu'il dira quelque chose dans son discours du Budget pour essayer de régler ce problème.

C'est donc un marqueur très puissant indiquant que tous les enfants en Ontario auraient profité d'un programme d'amélioration des conditions pendant la période préscolaire.

Le tableau suivant concerne l'aptitude aux mathématiques. Le groupe d'âge considéré va de six à onze ans. Vous voyez qu'il s'agit encore d'un gradient. Dans cette étude, on a fixé à un certain pourcentage le seuil des difficultés en mathématiques. Encore une fois, la majorité des enfants en difficulté se trouvent dans le groupe à revenu moyen. L'écart entre l'Ontario et le reste du Canada pour les enfants de six à dix ans est d'une année et demie, et pour les enfants de dix à onze ans, il est de deux années. L'Ontario n'obtient donc pas de bons résultats du point de vue des aptitudes verbales et des aptitudes aux mathématiques chez ces jeunes enfants. La mesure du comportement donne des résultats un peu différents.

Nous avons ensuite analysé les résultats des examens de mathématiques et d'écriture imposés par le système scolaire. Nous n'avons pas fait d'évaluation individuelle. Nous avons procédé par subdivision urbaine de recensement; il s'agit donc de données cumulatives. Les données précédentes étaient toutes des mesures individuelles provenant de l'étude longitudinale nationale—qui constitue, du reste, une contribution remarquable du gouvernement fédéral, car sans elle, nous n'aurions jamais pu produire ce rapport. Je tiens à le préciser pour tous ceux qui travaillent pour le gouvernement du Canada.

Vous avez ici différentes villes, et les cercles représentent le nombre d'écoles dans chaque ville. L'échelle horizontale indique cette fois-ci le seuil de faible revenu, car nous n'avions pas d'échelle socio-économique applicable. Les villes situées dans la partie gauche sont celles où l'on trouve la plus forte proportion de la population vivant en deçà du seuil de faible revenu selon Statistique Canada; on peut donc dire que ce sont des villes à faible statut socio-économique, tandis que celles de la partie droite sont plus prospères.

• 1550

Ceux d'entre vous qui habitent Ottawa remarqueront que Kanata et Vanier sont représentés sur ce tableau, et vous remarquerez aussi un écart très marqué dans les résultats en mathématiques entre Kanata et Vanier. C'est tout à fait spectaculaire et remarquable. Pour les gens d'Ottawa, il est même honteux qu'une différence aussi extrême puisse exister. Je suis sûr que vous avez tous des explications à fournir.

Lorsque nous avons montré tout cela aux membres de la Police provinciale de l'Ontario qui nous ont aidés à produire notre rapport, ils ont considéré les écarts indiqués sur ce tableau entre toutes ces villes et ils ont dit qu'ils n'en étaient nullement étonnés; ils connaissent les villes en question. Comme vous le savez si vous habitez ici, le taux de criminalité à Vanier est sensiblement plus élevé qu'à Kanata. Il y a donc un problème très complexe de structure sociale qui se rajoute à la situation d'ensemble.

Le tableau suivant vise simplement à essayer de convaincre le gouvernement de l'Ontario que dans le gradient des aptitudes verbales, qui détermine la proportion des analphabètes, l'Ontario réussit moins bien que le Québec et les trois provinces des Prairies. Nous avons dit: «Monsieur Harris, il faut regarder ce que font ces provinces; peut-être faudrait-il consulter la province de Québec, car elle réussit mieux que nous dans le domaine de la mesure de l'analphabétisme.»

Ces gradients sont très importants, car ils sont très révélateurs du rendement d'une société. Nous affirmons qu'une bonne partie de la pente de ce gradient est déterminée par la période préscolaire; il est donc extrêmement important de bien le comprendre.

Quelles sont les causes de ce phénomène? Nous avons consulté l'étude nationale longitudinale et nous avons réussi à obtenir les données permettant de représenter les enfants en difficulté. Ce sont des enfants qui ont de mauvais résultats en aptitudes verbales, en mathématiques et qui présentent des problèmes de comportement. Vous avez donc ces trois mesures ici.

Nous avons essayé de déterminer tout d'abord si c'était simplement une question de pauvreté, et vous voyez d'après les premières données que nous avons pu établir que ce n'était pas véritablement une question de pauvreté. Nous avons demandé que les données soient présentées par famille selon les quartiles de revenu. Dans le groupe socio-économique supérieur, celui de Margaret McCain, 21 p. 100 des enfants sont en difficulté; dans le groupe inférieur, c'est 35 p. 100. La solution doit donc venir d'une forme de programme universel si l'on veut véritablement répondre à cette question fondamentale. En fait, les enfants en difficulté sont beaucoup plus nombreux en chiffres absolus dans les catégories intermédiaires qu'au bas de l'échelle. J'espère que tout le monde comprend l'importance du problème pour notre pays.

À partir des données de l'étude longitudinale nationale, nous avons constaté que les responsabilités parentales constituaient un facteur plus important pour ce gradient que le revenu. Nous avons donc conclu qu'il est sans doute préférable d'investir au moins une partie de l'argent consacré à la petite enfance à la création de structures institutionnelles destinées aux enfants et aux parents, et c'est ce que nous disons dans notre rapport.

Compte tenu de tout cela, nous avons essayé de voir ce qu'il fallait faire. Nous connaissons la situation au Québec, qui a eu la sagesse de prendre de l'avance, à notre avis, sur le reste du pays. Nous connaissons la situation d'après les données de la Banque mondiale, de la Banque mondiale pour l'Amérique latine, et certaines données d'origine britannique. Nous avons réuni tous les éléments d'information et avons établi que d'après les études, les programmes de développement de la petite enfance sont indispensables. Vous remarquerez que nous n'utilisons pas le mot «garderie», parce que cela implique la garde d'enfants, et qu'en outre, nous voulons que le programme débute beaucoup plus tôt.

Le rôle des parents est important parce que les enfants passent l'essentiel de leur temps avec leurs parents. L'interaction des parents avec les enfants, en particulier pendant la période fondamentale des 12 à 16 premiers mois, est évidemment capitale pour le développement cérébral. Des visites à domicile peuvent être utiles et plus on commence tôt, meilleurs seront les résultats.

En considérant l'ensemble de l'information et certaines données provenant du Royaume-Uni... Il s'agit ici de l'Independent Inquiry into Inequalities in Health Report. J'espère que les gens du ministère de la Santé ont consulté ce document sur les inégalités dans la santé, car on y trouve ceci: «L'une des périodes où il est essentiel d'investir pour améliorer la santé de la population est la petite enfance». Voilà comment on voit là-bas le lien entre la petite enfance et les risques pour la santé.

L'autre citation provient de la Banque mondiale, et je voudrais dire ici qu'aussi bien la Banque mondiale que la Banque interaméricaine de développement... La Banque interaméricaine de développement s'occupe de l'Amérique latine; elle est dirigée par un éminent économiste qui en vient à la conclusion que si l'on veut faire progresser les économies de l'Amérique latine, il faut résoudre le problème de la criminalité et de la violence dans les grandes villes. Il estime que la seule façon d'y parvenir est de commencer à investir dans les besoins de la petite enfance; c'est un argument très impressionnant. Il prétend que ce doit être une démarche prioritaire pour tous les pays concernés.

• 1555

Nous disons donc humblement au premier ministre de l'Ontario que nous ne pouvons nous permettre de nous laisser distancer sur ce terrain par les pays d'Amérique latine, car nous avons nos propres problèmes. Je peux même dire qu'au niveau national, nous avons des problèmes à résoudre dans ce pays.

Le dernier tableau présente notre recommandation. Elle est formulée un peu différemment de la structure mise en place au Québec, mais si vous lisez le document, vous verrez que la ressemblance est très nette.

Nous parlons de la source de la stimulation cérébrale, eux insistent sur les deux générations concernées. Il y a la stimulation de l'enfant par le parent, ainsi que la stimulation des enfants entre eux en présence d'autres adultes, qui peuvent être des éducateurs.

Nous avons donc structuré les programmes de développement de la petite enfance et des activités parentales en insistant sur le fait que deux générations ont une incidence sur le développement cérébral. Nous avons ensuite essayé de réunir toutes les formules existantes en une seule structure. Le soutien aux parents, y compris les formules de garde non parentale, qu'on peut appeler garderie si l'on veut, doit être intégré dans cette structure.

Nous avons pris une position très ferme sur l'apprentissage ludique car le programme d'enseignement du ministère de l'Éducation nous a semblé beaucoup trop didactique. N'oublions pas que l'apprentissage ludique fait appel à de multiples trajectoires sensorielles; c'est très important.

C'est entre quatre et six ans qu'on apprend ce que nous appelons le poids cognitif des nombres, et on l'apprend en jouant. Pensez-y un instant: si vous avez trois balles dans une main et trois balles dans l'autre, vous faites appel à la trajectoire sensorielle du poids, du toucher, de la vision et du son, et si vous faites passer une balle d'une main à l'autre, vous voyez la différence. Il semble que ce soit cela qui détermine l'aptitude ultérieure aux mathématiques avancées, et si cette découverte n'est pas faite entre quatre et six ans, il est très difficile de rétablir la situation par la suite. Nous disons à M. Harris que pour améliorer les résultats des élèves en mathématiques, il faut absolument faire ce genre d'investissement.

Nous pensons que le soutien prénatal et le soutien postnatal devraient commencer plus tôt. Les programmes nutritionnels... Nous disons notamment à la province de l'Ontario qu'il est essentiel d'avoir des bébés en santé et des enfants en santé. Si l'on repère les mamans à risque à la naissance pour les inscrire à un programme, on a tendance à les stigmatiser. Ne serait-il pas nettement préférable de les inciter à fréquenter les centres que nous proposons de façon qu'elles puissent échanger avec d'autres personnes? Nous pensons que c'est la solution.

Je passe sur le dernier tableau. Il s'agit simplement des résultats en mathématiques pour le reste du pays.

Nous avons donc fait un ensemble de 11 recommandations au premier ministre de l'Ontario. Il dit qu'il veut leur donner suite. S'il est réélu, on pourra juger l'arbre à ses fruits. S'il ne donne pas suite aux recommandations, on verra que, dans un contexte identique, deux provinces du Canada ont progressé et il s'agira, pour le gouvernement fédéral, de voir quel genre de partenariat il peut établir dans ce domaine.

Le président: Merci, monsieur Mustard. Voilà une entrée en matière formidable.

[Français]

Nous passons tout de suite à nos témoins du Québec et accueillons une fois de plus Daniel Tremblay, professeur à l'Université du Québec à Hull, et Jocelyne Tougas, consultante en services de garde.

M. Daniel Tremblay (témoignagne à titre personnel): [professeur, Université du Québec (Hull)] Merci, monsieur le président.

Ma présentation pourrait s'intituler «Le renouvellement des politiques de lutte contre la pauvreté chez les enfants et les jeunes au Québec». Puisqu'il est question de renouvellement, j'aimerais d'abord essayer de situer les choses dans leur contexte et regarder avec vous l'évolution de la politique québécoise de lutte contre la pauvreté chez les enfants au cours des années 1990.

Il faut d'abord dire que, dès le début des années 1990, le Québec s'est lancé dans une réforme importante de son système de santé et de services sociaux. Le document que je tiens entre mes mains a servi de base à cette réforme. Si je remonte au début des années 1990, c'est parce que l'essentiel de la politique québécoise visant à lutter contre la pauvreté chez les enfants remonte à ce temps et que c'est ce rapport publié en 1991 qui en a été le déclencheur. Le rapport Un Québec fou de ses enfants, qui avait été rédigé par un groupe de travail pour les jeunes sous la présidence de Camille Bouchard, a fait énormément de bruit. Camille Bouchard s'en est servi énormément et il a été présent sur la place publique au Québec pendant plusieurs années. Si on veut parler d'un rapport public gouvernemental ou d'une étude qui a trouvé beaucoup d'échos au Québec, c'est bien celui-ci. Il a su plaire à de très nombreux groupes au sein de la société québécoise et on y retrouve les germes des éléments fondamentaux de la politique québécoise en matière de lutte contre la pauvreté.

• 1600

Par la suite, en 1992, le gouvernement québécois s'est lancé dans la réforme de son système de santé et de services sociaux et a fait connaître sa politique de la santé et du bien-être, dont la lutte contre la pauvreté chez les enfants constitue un élément très important.

Finalement, j'arrive aux deux derniers éléments, qui sont plus directement liés à l'objet de ma présentation d'aujourd'hui. Il s'agit d'abord de la réforme de la sécurité du revenu qui a donné lieu, l'an dernier, à l'adoption de la Loi 186, qui est la nouvelle loi québécoise sur la sécurité du revenu. Je vous ai remis un résumé de cette nouvelle politique familiale québécoise, qui comporte les programmes de lutte contre la pauvreté chez les enfants au Québec. Il s'agit d'une politique dont la mise en oeuvre est progressive. Sa mise en oeuvre a débuté en 1997, mais n'est pas complètement achevée à l'heure actuelle.

Les premier principe fondamental qui se trouve à la base de la politique familiale québécoise, auquel je reviendrai à plusieurs reprises, est qu'il faut créer des conditions qui favoriseront à la fois la vie familiale et la participation au marché du travail. Il est très important d'insister sur le fait que lorsqu'on veut lutter contre la pauvreté, il faut créer en même temps des conditions qui seront favorables à la fois à la vie familiale et à l'emploi. Au fond, on voudrait que les parents, le plus souvent des femmes chefs de famille monoparentale, n'aient pas à faire un choix entre la vie familiale et la carrière. Idéalement, bien sûr, les parents devraient pouvoir faire ces deux choix en même temps. C'est le principe fondamental qui sous-tend cette politique. Si on oublie cela, on oublie l'essentiel de la politique.

Le deuxième principe émane du rapport Un Québec fou de ses enfants de Camille Bouchard et stipule que les premiers responsables du bien-être des enfants sont d'abord et avant tout leurs parents. Par contre, ces parents ont besoin qu'on leur donne un environnement qui leur permettra de bien faire ce qu'il leur appartient de faire.

Le dernier principe découle du précédent et soutient que l'État a un rôle très important, voire même essentiel, à jouer au niveau du soutien aux parents afin qu'ils puissent prendre soin de leurs enfants.

Voilà les principes de base qui appuient la nouvelle politique familiale québécoise, laquelle se subdivise en trois grands volets. Le premier volet, sur lequel je m'attarderai le plus dans le cadre de ma courte présentation d'aujourd'hui, est l'allocation unifiée pour enfants. Le deuxième volet de cette politique, qui est peut-être le plus connu et celui dont on a le plus parlé, porte sur les services éducatifs et de garde à la petite enfance. Je n'en parlerai pas beaucoup puisque je crois que Mme Tougas, qui connaît mieux que moi ce sujet-là, va beaucoup en parler. Le dernier volet de la politique québécoise est le régime d'assurance parentale ou, si vous le préférez, le programme de congés parentaux, au sujet duquel je dirai quelques mots.

Comme je l'indiquais, le volet le plus connu est celui des services de garde parce que ce concept de services de garde à 5 $ par jour pour les familles était tout à fait inédit et a su rejoindre beaucoup de gens de la population québécoise. C'est probablement pour cela que c'est le sujet dont on a le plus parlé.

Nous sommes en train de mettre en oeuvre le volet de l'assurance parentale de la politique québécoise. Comme vous le savez sans doute, ce qui retarde la mise en oeuvre de ce volet de la politique québécoise, ce sont entre autres les négociations entre les paliers fédéral et provincial. Il semble qu'on ne s'entende pas toujours sur certains aspects du financement des congés parentaux, ou de ce qu'on appelle l'ensemble des congés maternels, paternels, d'adoption, etc. Les discussions gravitent entre autres autour du taux du remplacement du revenu net qui sera accordé aux parents qui se prévaudront de ces congés et du caractère imposable ou non des prestations qui seraient accordées.

Le premier volet, dont je voudrais vous parler le plus longuement aujourd'hui, porte sur l'allocation unifiée pour enfants. C'est un programme important qui vient remplacer trois programmes qui existaient auparavant au Québec.

• 1605

Il faut savoir qu'il existait avant l'instauration, en 1997, de l'allocation unifiée pour enfants une allocation familiale québécoise—qu'il ne faut pas confondre avec les anciennes allocations familiales fédérales—pour jeunes enfants et une allocation à la naissance dans une optique, bien sûr, de politique nataliste plus que de politique familiale. Ces trois programmes ont été remplacés par l'allocation unifiée pour enfants, laquelle cible davantage les efforts gouvernementaux que les programmes précédents. Elle vise davantage les familles à faible revenu qui vivent de l'aide sociale ou qui ne retirent que de faibles revenus de leur travail.

L'allocation unifiée pour enfants est une mesure qui vise à lutter contre la pauvreté et, comme je le disais tout à l'heure, un de ses volets très importants est qu'on essaie d'aider les parents, y compris les chefs de famille monoparentale, à intégrer le marché du travail ou y à rester, et à les rendre moins dépendants des programmes sociaux, dont les programmes d'aide sociale en particulier.

C'est pour cette raison que j'insistais beaucoup tout à l'heure sur le fait qu'il s'agit à la fois d'une politique familiale et d'une politique très orientée vers l'emploi et l'intégration au marché du travail. Si on ne comprend pas cela, un volet important de la politique québécoise nous échappe.

De façon un petit peu plus concrète, je pourrais dire que lorsqu'on a créé l'allocation unifiée pour enfants, on a voulu lancer un message en tous points conforme à celui qu'avait voulu lancer le groupe de travail pour les jeunes: les enfants sont très importants. Puisqu'ils sont tellement importants et qu'ils représentent l'avenir de la société, il convient de faire un effort particulier pour eux. Comment cela s'est-il traduit au Québec?

On a dissocié la sécurité du revenu ou l'aide de dernier recours—l'aide sociale, si vous le préférez—qui est destinée aux adultes, des efforts qui sont destinés aux enfants. L'allocation unifiée pour enfants, comme son nom l'indique, s'adresse essentiellement aux enfants. Ainsi, les prestataires d'aide sociale adultes continuent à recevoir des prestations d'aide sociale, mais la partie de leurs prestations qui était autrefois destinée aux soins des enfants et à leur prise en charge leur est maintenant versée par le biais de l'allocation unifiée pour enfants. Afin de bien distinguer les deux programmes, on a confié la gestion de l'allocation unifiée pour enfants à la Régie des rentes du Québec, et non pas au ministère de la Sécurité sociale, pour faire bien ressortir le fait que ce sont deux programmes différents, mettant ainsi l'accent sur la lutte contre la pauvreté chez les enfants. Une autre illustration de cet effort est le fait que les prestations d'aide sociale destinées aux adultes sont imposables au Québec, alors que l'allocation unifiée pour enfants ne l'est pas.

Au cours des dernières minutes, j'ai établi un lien entre l'aide sociale et l'allocation unifiée pour enfants. Il faut souligner le fait que l'allocation unifiée pour enfants ne s'adresse pas qu'aux familles qui vivent de l'aide sociale, mais à l'ensemble des familles à faible revenu. On a cherché à briser en quelque sorte les stéréotypes qui entourent les gens qui vivent de l'aide sociale et à faire en sorte que les personnes les plus défavorisés de la société soient intégrées à l'ensemble de la main-d'oeuvre québécoise. On revient toujours au lien avec le fameux principe de départ, à savoir qu'il faut concilier les priorités familiales et la priorité accordées l'emploi au Québec.

Cette politique tient réellement compte de la réalité contemporaine des familles, en particulier des familles monoparentales.

• 1610

Bien que je n'aie en main que quelques chiffres, si tient compte du fait que les deux tiers des mères dont l'enfant le plus jeune a moins de trois ans travaillent en ce moment au Québec et que dans 70 p. 100 des cas les deux conjoints d'une famille biparentale qui ont de jeunes enfants travaillent aussi, on peut vraiment dire que l'emploi fait partie de l'environnement actuel. La politique québécoise essaie vraiment d'assumer cette réalité. Jusqu'à maintenant, j'ai décrit la politique familiale.

Je vais maintenant vous faire part de quelques commentaires sur cette politique. Je dirai d'abord que cette politique familiale québécoise, entre autres par son volet de lutte contre la pauvreté, est davantage d'inspiration européenne que nord-américaine. Dans la mesure où je connais les politiques qui existent dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis, je peux dire que l'esprit de la politique familiale québécoise s'apparente bien davantage à ce qu'on retrouve en Suède, en France, au Danemark, en Hollande et dans quelques autres pays.

On le voit entre autres dans un volet que je n'avais pas l'intention d'aborder longuement, mais dont je dirai quand même quelques mots. Il s'agit de l'assurance parentale ou des fameux congés parentaux. Cette question fait justement l'objet de discussions entre le gouvernement fédéral et le gouvernement québécois. On souhaiterait que le taux du remplacement du revenu accordé aux familles qui prennent des congés parentaux ou maternels soit de l'ordre de 75 p. 100. Or, comme vous le savez, en vertu de l'assurance-emploi, on verse plutôt des prestations de l'ordre de 55 ou 60 p. 100. Dans plusieurs pays européens, le taux de remplacement du revenu des familles qui sont dans la même situation équivaut souvent à 80 p. 100 du salaire et parfois même 100 p. 100. Vous comprenez donc pourquoi j'ai affirmé que ce régime s'inspirait davantage du modèle européen que nord-américain. Cela ne veut pas dire que c'est meilleur ou pire. Je ne fais qu'un constat.

Le président: C'est meilleur.

M. Daniel Tremblay: Je constate, en tout cas.

J'essaierai de faire ressortir quelques aspects positifs et quelques aspects négatifs de cette politique et vous ferai part des critiques dont elle fait parfois l'objet.

Je parlerai d'abord des aspects plus positifs. Depuis le début des années 1990, le Québec a déployé un très grand effort, surtout dans le cadre du renouvellement des politiques, en vue de mettre en oeuvre une politique familiale intégrée et cohérente qui comprendra les services de garde—dont Mme Tougas va nous parler tout à l'heure—ainsi que des prestations financières versées à titre d'allocation unifiée pour enfants et à titre d'assurance parentale. Ces éléments complémentaires en feront vraiment une politique cohérente et intégrée. C'est une optique intéressante dans un contexte où, comme on le sait, l'institution familiale a subi des mutations très importantes depuis quelques décennies. Il s'agit d'un défi intéressant mais considérable que d'essayer de proposer une politique cohérente pour faire face à cette réalité.

Un deuxième aspect intéressant est le fait qu'on cible davantage les familles à faible revenu, sans pour autant se limiter aux familles qui vivent de l'aide sociale. Ces familles à faible revenu peuvent aussi être des familles dont les parents travaillent, mais ne reçoivent que des revenus relativement faibles.

Un troisième aspect très positif est le fait que cette politique vise à favoriser le choix des parents. Jusqu'à maintenant—vous connaissez cette réalité aussi bien que moi—il arrivait très souvent que les parents, principalement des femmes, soient forcés de choisir entre élever une famille et poursuivre une carrière, ou de faire des sacrifices d'un côté ou de l'autre. La politique québécoise vise d'une certaine façon à mettre fin à ce dilemme, ce qui est peut-être un principe ambitieux. Elle souhaite permettre aux familles québécoises d'avoir des enfants et de les élever en sachant qu'elles sauront satisfaire à leurs besoins tout en continuant, dans la mesure du possible, à travailler et à progresser sur le marché du travail.

Le dernier aspect qui m'apparaît important, c'est que cette politique met vraiment l'accent sur le bien-être des enfants. En créant entre autres l'allocation unifiée pour enfants, le Québec a fait un effort intéressant.

• 1615

Quant aux critiques qu'on pourrait faire de cette politique, plusieurs ont dit que le fait de cibler les familles à faible revenu remettait en cause l'universalité des programmes. Le gouvernement québécois considère que certains des aspects de sa politique restent tout à fait universels, entre autres parce qu'on a maintenu le crédit d'impôt pour enfants pour l'ensemble des familles.

Le deuxième aspect est davantage pratique. On a créé des services de garde, et peut-être que Mme Tougas va nous en parler tout à l'heure. Le problème est que, dans l'implantation de cette politique, on manque de places. On a procédé très rapidement et on a fait face à certaines difficultés quand il s'est agi de créer de nouvelles places, mais on peut penser que cet inconvénient est conjoncturel.

La troisième caractéristique de cette réforme est qu'elle valorise beaucoup beaucoup l'emploi et le travail. Certains trouvent que cela se fait au détriment du temps que les parents passent avec leurs enfants. C'est une question de philosophie.

Voici une quatrième critique. Ceux qui lisent Le Devoir ont peut-être lu ce matin un article dans lequel on reproche au gouvernement québécois de faire des choix qui pourraient se traduire par un certain appauvrissement des enfants québécois à l'avenir. Le gouvernement québécois répond à cela en disant que l'allocation unifiée pour enfants est l'un des volets de sa politique et qu'on peut essayer de tirer des conclusions de ce genre seulement sur ce volet, mais que si on tient compte des trois volets de la politique familiale, que j'ai identifiés tout à l'heure, on voit que les familles ne sont pas nécessairement perdantes.

La dernière critique qu'on pourrait formuler porte sur la définition des besoins essentiels des enfants et la façon de fixer le niveau de ces besoins essentiels.

Pour terminer, je dirai qu'un rapport a été remis au premier ministre français, Lionel Jospin, en février dernier. C'est donc un rapport très récent. L'auteur du rapport, Béatrice Majnoni d'Intignano, a constaté, à la suite d'une étude approfondie, que lorsque les femmes se voient offrir des moyens efficaces de concilier l'emploi et l'éducation des enfants, elles choisissent d'avoir plus d'enfants, ce qui est tout à fait intéressant. Autrement dit, en créant de bonnes conditions, non seulement on réglerait le fameux dilemme des femmes qui doivent choisir d'avoir des enfants ou de travailler, mais les femmes choisiraient d'avoir plus d'enfants. Que je sache, c'était la première fois qu'on démontrait une telle chose. Dans un contexte où on se préoccupe du faible taux de natalité et du financement des régimes de retraite au cours des décennies à venir, c'est un enseignement intéressant.

Merci de m'avoir écouté.

Le président: Merci. C'est très intéressant. Avez-vous le titre de ce rapport présenté à Jospin?

M. Daniel Tremblay: Je ne l'ai pas ici. Je pourrai toujours le trouver si vous le voulez.

Le président: Vous pourriez l'envoyer à notre attachée de recherche.

M. Daniel Tremblay: Oui.

Le président: Madame Tougas.

Mme Jocelyne Tougas (témoignage à titre personnel): [consultante en services de garde] Bonjour. Je veux vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer et de vous parler d'un sujet qui compte énormément pour moi. J'y ai investi une bonne part de ma vie professionnelle.

Avant de vous parler de ce qui se passe au Québec en matière de services de garde, j'aimerais insister sur des choses que le Dr Mustard a soulignées, notamment sur le fait que les services de garde de qualité sont importants pour tous les enfants et pas seulement pour les clientèles à risque. C'est vrai qu'il faut investir dans les services de garde et dans l'intervention précoce pour les enfants à risque, mais ce serait une erreur que de limiter le soutien de l'État à ces seuls programmes, aussi utiles et valables soient-ils, et cela pour plusieurs raisons.

Tous les enfants en bas âge, qu'ils soient pauvres ou plus fortunés, qu'ils soient à risque ou non, que leur développement soit typique ou qu'ils aient des besoins particuliers, bénéficient d'un environnement stimulant où ils peuvent s'épanouir. Des services de garde à l'enfance de bonne qualité coûtent cher, plus cher que des services de garde de mauvaise qualité. Il serait donc contre-productif d'en exclure, à cause de leur coût trop élevé et faute de financement gouvernemental, les enfants de la classe moyenne sous prétexte qu'ils ne sont pas d'un milieu socioéconomiquement faible. Du coup, ces enfants, parce que placés en services de garde dont la qualité pourrait être douteuse, risqueraient de subir des retards au plan du développement affectif, social, voire même intellectuel, ce que l'on veut justement éviter aux enfants des milieux défavorisés, comme le docteur le mentionnait.

• 1620

Donc, le principe de l'accès universel est un principe fondamental d'équité. Il doit nécessairement s'appliquer si on souhaite bénéficier, en tant que société, de tous les avantages qui résultent d'un bon réseau de services de garde à l'enfance.

Je vais maintenant vous parler du modèle québécois. C'est sur ce grand principe de l'accessibilité, mais aussi sur les principes d'abordabilité et de qualité que repose la réforme des services de garde entreprise en 1997 par le gouvernement du Québec. Les services de garde, comme l'a mentionné M. Tremblay, ont été placés en plein centre de la politique familiale avec, d'un côté, la prestation unifiée pour enfants et, de l'autre, l'assurance parentale.

La réorganisation du réseau des services de garde au Québec s'articule autour de ce qu'on a appelé les centres de la petite enfance. Ce sont de nouvelles structures sans but lucratif qui ont été créées à partir des garderies existantes et des agences de services de garde en milieu familial qui existaient déjà au Québec. Ces structures ont le mandat d'offrir une diversité de services de garde et de services éducatifs à la petite enfance, et cela à tous les enfants de 0 à 12 ans, quel que soit le statut d'emploi de leurs parents. On prévoit éventuellement diversifier les services pour offrir des services de jardin d'enfants et des services de garde en soirée et les fins de semaine.

Pour assurer que le réseau soit abordable, on a décidé d'instaurer un programme de places à contribution réduite, soit les places à 5 $ dont vous avez entendu parler. L'instauration du système est graduelle. Amorcé en 1997, le programme vise à offrir des places à 5 $ à toutes les familles qui veulent utiliser un service de garde régi. Cependant, la popularité de la formule est telle et les besoins sont si grands que les listes d'attente s'allongent de jour en jour. Selon une enquête récente du ministère de la Famille, la politique familiale inciterait la moitié des parents qui ne font pas actuellement garder leurs enfants de moins de 5 ans à utiliser un service éducatif à la petite enfance. On voit bien que les parents, lorsqu'on leur offre cette possibilité et qu'ils ont les moyens de le faire, reconnaissent la valeur d'exposer leurs enfants à un environnement stimulant qui favorise leur développement. Bien souvent, il s'agit simplement qu'ils puissent se le permettre financièrement.

Mais la course vers le déficit zéro du gouvernement québécois, parce que chez nous aussi on court vers le déficit zéro, et les réductions significatives dans les transferts fédéraux aux provinces et aux territoires expliquent, dans une large mesure, le fait qu'autant de parents et d'enfants soient actuellement obligés d'attendre une place à 5 $ dans un service de garde régi au Québec.

Si vous voulez connaître plus précisément les mesures mises de l'avant ainsi que la technique et les modalités des services de garde, vous pourrez consulter un document que je vous ai remis et qui est intitulé Un instantané de la réforme en cours au Québec en matières de services éducatifs à la petite enfance. Vous y trouverez tous les détails pertinents. Je ne vais pas vous le lire.

Cependant, parce que je suis une militante de longue date, j'aimerais revenir sur les répercussions sur les services de garde, au Québec et ailleurs au Canada, des coupes fédérales dans les transferts aux provinces et aux territoires.

Le gouvernement du Québec prévoit qu'il faudrait 175 000 places—il y en a actuellement environ 92 000—pour répondre à la demande des familles en matière de services de garde. Il s'agit probablement d'une projection très prudente. C'est ici que l'on peut constater la mesure des contrecoups des coupes fédérales dans les transferts aux provinces. Une province comme le Québec, pourtant consciente du rôle fondamental des services éducatifs à la petite enfance, comme on l'a vu, consciente de leur importance pour l'épanouissement des enfants, consciente de leur importance dans la lutte contre la pauvreté, en matière d'équité pour les femmes et comme stratégie d'employabilité et de formation de la main-d'oeuvre, une province comme le Québec, donc, déterminée à agir en la matière, s'est vu obligée de ralentir la mise en oeuvre de son programme et même de surseoir à certains de ses volets. Vous avez parlé des congés parentaux. C'est vrai qu'il y a des difficultés d'entente, mais il y a aussi un manque de financement, et les coupes fédérales n'y sont pas étrangères.

• 1625

Donc, le Québec a été obligé de surseoir à certains des volets de sa politique familiale parce qu'il lui manquait l'accès aux fonds du Régime d'assistance publique du Canada, qui ont été coupés, et à cause de la réduction des transferts en matière d'éducation, de programmes sociaux et de programmes de santé. Il est encore heureux que cet immense manque à gagner n'ait pas incité le gouvernement à abandonner toute sa stratégie.

Mais d'autres provinces n'ont pas réagi de la même manière que le Québec. On n'a qu'à constater ce qui se passe en Ontario et au Nouveau-Brunswick, où les gouvernements conservateurs procèdent littéralement au démantèlement des réseaux de garde qu'on a mis tellement d'années à développer et qui ont nécessité tant de ressources financières et humaines.

Je vais vous donner un exemple. Au Nouveau-Brunswick, aucun financement n'est accordé aux services de garde réglementés depuis 1997, à part certains budgets réservés à des clientèles clairement identifiées comme étant à risque. Nous avons fait le tour du Nouveau-Brunswick et nous faisons actuellement des observations dans les services de garde. Faute de financement, la qualité des services offerts a subi une dégradation qui fait honte à voir. On constate une désuétude croissante dans les milieux de garde. On voit que le personnel qualifié quitte le domaine. On constate la pauvreté du programme éducatif: manque de jouets, la peinture s'écale sur les murs, etc. C'est triste à voir.

En Ontario, le financement est réduit au point où des centaines de places de garde disparaissent tous les mois parce qu'on est incapable de les maintenir. On déréglemente et on augmente les ratios adulte:enfants. On diminue les exigences au plan de la formation. On fait disparaître l'obligation de fournir des locaux pour des services de garde dans les écoles. En Ontario, on a choisi d'appuyer le développement futur du réseau sur la libre entreprise. C'est le modèle ontarien.

Maintenant, ces gouvernements se défendent en rejetant une bonne partie du blâme sur Ottawa. Ottawa est-il à blâmer?

Vous serez surpris de m'entendre dire que ce n'est pas aussi simple que cela. Lorsqu'un gouvernement a la volonté politique de mettre de l'avant des politiques sociales et avant-gardistes, comme celui du Québec, il trouve les moyens non seulement de donner l'orientation nécessaire, mais aussi d'y affecter une bonne part de deniers publics.

Évidemment, si le gouvernement fédéral assumait pleinement ses responsabilités à l'égard des enfants, des femmes et des familles du Canada, le Québec pourrait faire beaucoup mieux. Le fédéral commencerait par remettre aux provinces les sommes d'avant les années de coupes dévastatrices, d'avant la disparition du Régime d'assistance publique du Canada, alors que plus de 300 millions de dollars étaient affectés aux services de garde à l'enfance, et d'avant l'avènement du Transfert social canadien en matière de programmes sociaux et de programmes de santé. Mais il ne se limiterait pas à remplacer ce qu'il a coupé. Il reconnaîtrait qu'investir dans la petite enfance constitue un excellent placement pour le Canada à long terme. Il verserait davantage d'argent aux provinces et territoires qui manifestent la volonté de mettre de l'avant un bon système de garde à l'enfance.

La recherche réalisée par les économistes Gordon Cleveland et Michael Krashinsky de l'Université de Toronto, qui s'intitule Les avantages et les coûts liés à de bons services de garde à l'enfance: justification économique en faveur de l'investissement public dans nos jeunes enfants, en témoigne. Les avantages d'un bon programme de services éducatifs à la petite enfance sont supérieurs, et de beaucoup, aux dépenses qu'il engendre. En fait, ces économistes ont trouvé que pour chaque dollar public investi en services de garde et en services éducatifs à la petite enfance, le bénéfice pour les enfants, les familles et la société était de 2 $.

Je reprends leur conclusion à mon propre compte. Il est impératif que les services de garde à l'enfance subventionnés par l'État fassent partie des priorités gouvernementales. Il faudra que les services de garde soient au centre des préoccupations des gouvernements au moment où vous déciderez de la façon de répartir les deniers publics limités dont vous disposez.

• 1630

Je vous remercie.

Le président: Merci, madame Tougas.

[Traduction]

Nous venons d'entendre trois exposés remarquables. Notre temps est limité et je sais que M. Mustard doit nous quitter à 17 heures—c'est bien cela?

M. Fraser Mustard: Combien de temps faut-il pour se rendre à l'Édifice du Centre?

Le président: Cela dépend de votre rapidité. Cinq minutes.

M. Fraser Mustard: Il faudrait que j'y sois à 17 heures.

Le président: Bien. Nous avons sept minutes.

Si vous avez des questions pour M. Mustard, nous allons faire un premier tour avec une question par député, de façon à donner la parole au plus grand nombre. Je voudrais également dire aux membres du comité qu'après le départ de nos invités, s'il nous reste un peu de temps, il serait bon d'avoir une première réaction collective au plan de travail. Je sais que certains veulent s'exprimer à ce sujet et nous avons envisagé de prolonger la séance jusqu'à 17 h 30, si cela vous est possible.

Monsieur Lowther, allez-y.

M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président. Nous avons reçu tellement d'information qu'il est difficile de savoir par où commencer.

Comme nous manquons de temps, je vais demander aux témoins, et en particulier à M. Mustard... Nous parlons de cette période de la vie où l'enfant est très réceptif, c'est-à-dire de zéro à six ans, ou de zéro à trois ans—le période essentielle, où l'enfant doit être stimulé de façon positive. Pour l'essentiel, d'après ce que j'ai constaté, nous parlons ici de rendement scolaire. Par exemple, si le développement du langage se fait bien à cette époque, les résultats scolaires seront bons à l'avenir.

L'autre élément, c'est la question des garderies. Quelle est l'importance de la formation des liens affectifs à cet âge? Je me souviens de ce que j'ai lu à ce sujet il y a quelques années; on insistait sur le fait que les séparations ou la présence d'adultes différents une semaine sur deux créaient des situations cruciales. Est-ce que tout cela n'est pas plus important que l'aspect scolaire ou l'élément de stimulation mentale?

M. Fraser Mustard: Vous posez une question tout à fait fondamentale et je vais essayer d'être bref. Le cerveau comporte des milliards de cellules nerveuses, et la façon dont elles se raccordent entre elles est d'une importance capitale pour les fonctions complexes dont nous avons besoin. Il n'y a qu'un nombre limité de trajectoires sensorielles et nous dépendons tous de leur fonctionnement: la colère, la contrariété, tous ces sentiments passent par les trajectoires sensorielles. Il faut donc tout d'abord réfléchir au fait que c'est pendant cette toute première période que vont se faire les connexions nerveuses qui vont former les trajectoires sensorielles. Ce n'est pas une question de résultats scolaires. C'est à proprement parler une question de survie.

Ensuite, les perceptions sensorielles doivent être transposées aux niveaux supérieurs de fonctionnement du cerveau, dans les centres de l'activation, des émotions, de la connaissance, etc. Il semble que la connexion aux centres des émotions et de l'activation présente la même forme de plasticité, si je peux me permettre d'utiliser ce terme, que la connexion aux trajectoires sensorielles. Nous savons maintenant qu'environ un tiers des femmes qui sont élevées dans des foyers dysfonctionnels où elles sont exposées à une violence verbale presque ininterrompue entre les parents risquent de connaître la dépression vers la trentaine. C'est une conséquence de l'expérience vécue pendant cette période extraordinaire de l'enfance.

J'espère que vous comprenez cette analogie. C'est beaucoup plus que théorique; c'est une capacité tout à fait fondamentale. Comme l'a montré Richard Tremblay de l'Université de Montréal, lorsqu'un enfant qui est élevé dans une famille qui ne permet pas une bonne interaction et ne sait imposer des limites au cours des cinq années cruciales de socialisation pendant lesquelles doit être contrôlé le comportement normalement agressif, arrive à l'âge scolaire, il est dysfonctionnel. Une forte proportion abandonneront l'école avant 13 ans. Nous savons qu'environ 30 p. 100 d'entre eux seront des délinquants avant 13 ans, si bien qu'il y a un énorme problème de criminalité associé à tout cela.

Il faut considérer cela dans un contexte différent. Pensons aux rats... Vous n'êtes pas un rat, évidemment; aucun d'entre nous ne l'est. Néanmoins, les rats ont des neurones et les neurones, comme toutes les cellules biologiques, tendent à avoir les mêmes fonctions fondamentales. Si un rat nouveau-né n'est pas léché par sa mère, touché, le cortex de ce rat aura environ 50 p. 100 de l'épaisseur qu'il devrait avoir parce que les connexions sont insuffisantes.

Nous avons suffisamment d'études faites sur des humains pour nous permettre de dire que les enfants qui sont négligés durant cette première année n'auront les connexions voulues, et le toucher est l'un de ces facteurs. Je ne peux revoir ici avec vous toute la documentation que nous avons dans notre rapport sur les enfants qui sont confiés à d'autres personnes que leurs parents et sont totalement négligés. Ils sont en danger. Par contre, les enfants qui sont gardés par d'autres personnes que leurs parents qui s'occupent bien d'eux n'ont pas de problèmes.

• 1635

Le parent biologique n'est donc pas crucial, si vous voulez, mais les soins donnés, comme vous le disiez, doivent être extrêmement bons. Ainsi, mettre des enfants dans des orphelinats comme on le faisait en Roumanie... Les enfants qui ont passé longtemps dans de tels orphelinats avant la chute du régime et ont ensuite été adoptés en Colombie-Britannique ont énormément de mal à se développer, alors que ceux qui ont été retirés de là après deux ou trois mois se développent très bien dans ces familles.

Les premières années sont donc cruciales. Les systèmes de soutien à la famille qui ont été mis sur pied au Québec, si je ne m'abuse, sont très sages et très bons. Le grand défi pour notre société est de prévoir un système suffisamment souple pour que les gens puissent à la fois être sur le marché du travail et assurer aux enfants le soutien nécessaire pour se développer.

M. Eric Lowther: Mais pour l'enfant lui-même, c'est toute cette question des caresses, de l'attachement et de la continuité dans les soins. Ce que vous me dites correspond à ce que j'avais entendu dire il y a quelques années: à savoir que tout un éventail d'éléments de communication entre un jeune enfant et quelqu'un qui s'occupe de lui, qu'il s'agisse de signes de la main, de signes du regard, tous ces signes non verbaux, permettent de lui donner confiance. Si toutefois la personne qui s'occupe de lui change, quelqu'un d'autre devra regagner sa confiance et ainsi de suite. Je me souviens maintenant qu'on parlait de cela à propos des comportements psychotiques ultérieurs lorsque ces jeunes ne peuvent même plus faire confiance à qui que ce soit. Ils n'ont pas la capacité de faire confiance. Est-il important que ce soit toujours la même personne qui s'occupe de l'enfant durant cette période critique?

M. Fraser Mustard: Je vous répondrai que d'après tout ce que nous savons, lorsque l'on organise très tôt des centres de développement de l'enfant avec les parents et que l'on prévoit qu'il y aura plus d'une personne qui s'occupera de l'enfant, si les soins dispensés sont de qualité, les résultats sont excellents. En fait, si on s'y prend suffisamment tôt, cela a une incidence sur le QI.

M. Eric Lowther: Je suis désolé, je n'ai pas bien entendu.

M. Fraser Mustard: Toutes les études qui se sont penchées sur cette question indiquent que lorsque l'on met sur pied suffisamment tôt des centres de développement de l'enfant, de préférence à partir de la conception jusqu'au moment de la naissance et au-delà, et que l'on réussit à assurer une bonne interaction entre ceux qui s'occupent de l'enfant et les parents et l'enfant—pour revenir à ce que vous disiez—le résultat est excellent pour l'enfant et vous pouvez en fait modifier le QI. Si l'on ne prévoit pas ce genre de soutien pour le parent et l'enfant, on n'obtient pas le même résultat—et ceci s'applique à toutes les classes sociales, d'ailleurs.

Il ne faut donc pas penser que les femmes doivent rester au foyer avec l'enfant. Ce qu'il faut, c'est établir un système qui reconnaisse la biologie du développement du cerveau. Même John Godfrey pourrait être très capable de s'occuper de vos enfants si vous le preniez au bon moment et lui donniez la formation voulue. Vous n'apprécieriez peut-être pas l'attachement mais ce n'est pas grave.

Le président: Madame Gagnon.

[Français]

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Monsieur Mustard, vous dites qu'il serait préférable que les éducateurs aillent dans les familles ou qu'il y ait des centres permettant aux familles d'avoir un contact avec les éducateurs. Je ne sais pas si de tels centres existent au Québec, où il y a ce rapport éducateur-parents-enfant, afin qu'il y ait, comme vous le dites, unité dans le message transmis à l'enfant.

Si on instaurait un tel programme, la politique ne viendrait-elle pas s'insérer dans la vie privée? Je ne dis pas que c'est mauvais. Il est souhaitable que l'enfant ait la meilleure stimulation possible, mais il y a aussi un danger que la politique se mêle de la vie privée des familles. Est-ce que cela pourrait être perçu comme de l'ingérence politique dans la vie familiale? Il faut aussi regarder cet aspect-là.

[Traduction]

M. Fraser Mustard: Votre question est très pertinente. Voici comment nous nous y sommes pris. Tout d'abord, nous avons constaté à l'occasion de nos visites, qu'il y avait beaucoup de ce que nous appellerions des familles de classe moyenne où les parents s'inquiétaient de leur rôle et avaient besoin d'aide. Ils se sentaient isolés dans le monde d'aujourd'hui. Nous avons donc constaté que dans beaucoup de ce que nous appellerons les centres de développement de la petite enfance, les parents assumaient un rôle. C'est comme l'ancienne structure des prématernelles. Nous avons ensuite constaté que beaucoup de ces parents eux-mêmes s'impliquaient en devenant auxiliaires dans ces centres. Autrement dit, ils apprenaient à avoir cette interaction avec leurs enfants.

Je dois dire, au grand regret de ma famille je suppose, à propos de ce que vous dites quant à l'interaction nécessaire avec les enfants au cours de la première année, qu'honnêtement, je ne crois pas avoir moi-même assuré cela en tant que père.

• 1640

Ce que peuvent faire ces centres efficaces, c'est d'amener le parent à comprendre comment procéder. Donc, en organisant cela, nous disons que l'organisation doit être le fait de la population. Nous suggérons des garderies communautaires qui soient tout à fait sensibles aux besoins des parents et qui n'imposent rien à qui que ce soit. C'est facultatif, il est très important de le comprendre, mais il faut s'assurer qu'il n'y a pas d'obstacle financier à l'accès à un tel système. Nous avons aussi estimé que ces garderies devraient être conçues de façon à tenir compte des caractéristiques linguistiques et culturelles des unités familiales, du fait que l'on ne devrait pas imposer une solution uniforme, que le gouvernement ne devrait pas essayer d'imposer cela aux familles, etc.

Nous avons le sentiment, en nous déplaçant beaucoup en Ontario, en visitant notamment des communautés autochtones, que c'est une formule qui semble très bien reçue. Le problème, pour le gouvernement, est donc de trouver le moyen de travailler avec des groupes locaux. Et lorsqu'on nous a demandé comment on pourrait faire cela en Ontario, nous avons répondu, un peu dans la ligne du principe adopté au Québec mais de façon un peu moins bureaucratique, que le gouvernement ontarien devrait collaborer avec les localités à la mise sur pied de ces garderies communautaires qui seraient sensibles aux besoins des familles. C'est extrêmement important. Cela ne doit pas être imposé.

Comme vous le disiez très justement, il y a énormément de femmes sur le marché du travail et il n'est pas question que des hommes sexistes comme moi les renvoient au foyer parce que personne ne me donnera la force militaire voulue pour le faire. Les femmes auraient raison de moi bien avant. Cela étant, pourquoi les employeurs n'essaient-ils pas de mettre au point une stratégie? Nous avons pris contact avec un homme qui dirige 90 magasins au Québec et en Ontario il y a environ un an et nous lui avons parlé de ce problème. Il a dit qu'il n'appréciait pas que les gouvernements l'imposent et fassent mauvais usage de son argent mais qu'il ne verrait pas d'inconvénient à recevoir un crédit d'impôt pour organiser des centres de développement de la petite enfance pour ses employés et d'autres. Nous pourrions donc collaborer dans ce sens.

Nous avons donc déclaré que le gouvernement de M. Harris devrait exploiter cette idée parce que nous sommes convaincus qu'il y a des gens dans le secteur privé qui se préoccupent de ces questions et qui seraient prêts à faire quelque chose.

Nous espérons que ceci répond un peu aux questions que vous avez posées, que ce sera une formule correspondant aux besoins de la population, qu'elle ne sera pas imposée et qu'elle ne représentera pas une solution uniforme et bureaucratique, et que le gouvernement définira les grands principes d'action.

[Français]

Le président: Monsieur, je dois donner la parole à un autre député. Autrement, nous pourrions être là très longtemps.

[Traduction]

La parole est à Mme Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci.

Vous avez un tableau qui porte sur les gradients socio- économiques des cas témoignant d'une insuffisance de mots compris, enfants de quatre et cinq ans; c'est quelque chose que vous avez pu tirer de l'étude longitudinale nationale. Avez-vous des informations sur ce qu'aurait pu donner ce graphique il y a 10 ou 20 ans, ou encore 40 ou 50 ans. Comment la situation a-t-elle évolué? S'il s'agit d'un instantané d'enfants de quatre et cinq ans, quelles sont les sources? Quand les éléments qui ont une incidence là-dessus ont-ils commencé à jouer? Est-ce lorsque la mère était enceinte; était-ce 20 ans avant, alors que la mère grandissait elle-même? Je me demande comment cette courbe a évolué. L'insuffisance de mots compris à cet âge est-elle inférieure ou supérieure à ce qu'elle était? Et où se trouve la source ou la racine de ce problème? Je sais que vous avez une analyse très compliquée qui explique tout cela mais peut-être que nous pourrions considérer quelle était la politique gouvernementale à cette époque et voir ce qui se faisait localement et dans les foyers, etc.

M. Fraser Mustard: Votre question est justement ce qui nous ennuyait. Nous savions que pour convaincre un gouvernement centre- droit qu'il y a là un problème important, il nous fallait des informations qui lui feraient comprendre l'ampleur du problème en Ontario. Donc, comme vous, nous avons essayé de trouver les données voulues. Or, il n'en existe pas sur ce qui existait avant. C'est donc quelque chose que le gouvernement fédéral pourrait faire: s'assurer que nous créons de bons systèmes de données qui pourront servir à faire des comparaisons utiles.

Heureusement, nous avions l'aide de Statistique Canada. Je ne vous ai pas expliqué les données concernant le poids à la naissance. Nous avons comparé les poids à la naissance par district de recensement. Nous ne pouvions le faire individuellement. Nous avons parlé tout à l'heure des mathématiques et des différences entre Vanier et Kanata. Vanier a le taux le plus élevé de faible poids à la naissance des régions que nous avons examinées, et il est très supérieur à celui de Kanata. Et comme il y a des connexions du cerveau qui se font dans l'utérus, je suppose que c'est peut-être un facteur mais je ne puis vous l'affirmer. C'est une supposition.

• 1645

Nous n'avons pas d'études longitudinales qui nous permettent de caractériser le développement de l'aptitude verbale chez les enfants de deux, trois, quatre ou cinq ans. Les Suédois en ont. Je suppose que la complexation commence très vite la première année. C'est pourquoi j'ai fait allusion à cette analogie en disant que lorsqu'on lit aux enfants en les tenant dans ses bras, cela ouvre probablement des tas d'autres trajectoires sensorielles permettant d'intégrer d'autres fonctions cruciales absolument essentielles dans le cerveau.

J'ai donc l'impression que cela commence dans ce cycle mais nous ne pouvons le prouver à partir des données à notre disposition. Je dirais que la période la plus critique se situe entre la conception et l'âge de trois ans. C'est terriblement important et il est plus difficile de changer les choses après.

[Français]

Le président: Nous avons trois témoins et pendant que vous êtes tous là, j'aimerais que vous me disiez quelle est la réaction des experts du Québec à la proposition Mustard au gouvernement d'Ontario. Cette proposition comporte les services de garde et il y a en plus les services d'éducation parentale, etc. Y a-t-il une espèce d'échange d'inspirations entre les deux juridictions? Dans cette proposition de l'Ontario de créer un système de centres communautaires de développement de la petite enfance incluant l'éducation parentale, y a-t-il un principe qui pourrait être mis en oeuvre par la voie de l'union sociale, par exemple? Y a-t-il là un projet national, un projet de société pour nous tous?

Mme Jocelyne Tougas: Lorsque les gens des services de garde définissent ces services, leur définition est la même que celle donnée par M. Mustard. Ce sont des services de développement de la petite enfance et non pas simplement des services de garde. Le terme français est malheureusement très limitatif, mais ce n'est pas du gardiennage; ce n'est pas de l'enseignement précoce, mais de la stimulation, de la présence, du développement et de l'amour. Il ne faut pas chercher de midi à quatorze heures. Le rapport parle de services de garde éducatifs de bonne qualité.

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans un rapport comme celui-là, c'est qu'il est la seule façon de convaincre les gens qui ont besoin de l'être parce qu'ils ne savent pas ces choses intuitivement. Tous les gens ici qui sont des parents savent intuitivement que lorsqu'on s'occupe du bien de leurs enfants, ceux-ci grandissent bien. Si on était heureux dans sa vie professionnelle parce qu'il y des éducateurs et des éducatrices qualifiés pour s'occuper de nos enfants, les problèmes que l'on rencontre maintenant n'existeraient pas.

Je pense qu'il y a communauté de pensée entre nous. La différence, c'est que vous êtes pris, en Ontario, avec un gouvernement à la droite du centre et que la philosophie à la base d'un tel programme ne peut pas être seulement opportuniste, mais doit avoir des racines profondes. J'espère, pour mes collègues et les enfants de l'Ontario, que les racines humanistes ou sociales-démocrates qui existent en Ontario sont assez profondes pour que cela se produise.

Pour ce qui est d'un projet d'envergure nationale, je ne me risquerais pas personnellement sur ce terrain. Il suffit de vous dire que c'est un projet d'envergure québécoise pour l'instant.

Le président: On voit l'inspiration que peuvent susciter, dans une fédération, des modèles différents.

[Traduction]

Docteur Mustard, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Fraser Mustard: Je crois qu'il va falloir que j'aille voir vos collègues des Finances pour leur demander de financer tout cela pour vous.

Nous avons constaté à regret que l'administration en Ontario ne connaissait pas si bien le Québec qu'elle le devrait. Je ne sais pas comment on peut faire pour que les administrations de différentes provinces communiquent entre elles mais je pense que c'est extrêmement important.

• 1650

Toutefois, dans mes fonctions, j'ai eu l'occasion de travailler avec Camille Bouchard dont vous avez beaucoup parlé et évidemment avec Richard Tremblay.

Je dois vous dire à tous que la raison pour laquelle je ne puis vous fournir une traduction française de ce document est qu'il contient des termes techniques. Les traducteurs auxquels ont a eu recours en Ontario n'ont pas donné un travail satisfaisant. Lorsque Marc Renaud, le responsable du Conseil de recherche en sciences sociales et humaines, a lu la traduction française, il m'a dit: «Vous ne pouvez pas laisser cela sortir. Ce serait une insulte pour le Québec tellement c'est mal écrit». J'ai donc contacté Richard Tremblay pour faire réviser le texte.

Monsieur le président, pour mettre cela sur pied, j'ai reçu beaucoup d'aide du Québec et nous avons bien profité de tout ce qui a été fait là-bas. La question des communications entre les administrations est plus grave.

Je dois vous quitter, messieurs dames.

Le président: Merci.

Maria, je suis désolé mais un de nos témoins doit s'en aller; il en reste deux.

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Docteur Mustard, je serai très brève.

M. Fraser Mustard: D'accord, une question.

Mme Maria Minna: Vous parliez de la population locale et du rapport de zéro à trois et du fait qu'il y aurait des garderies communautaires. À l'exception des localités rurales, qui sont tout à fait différentes et ont besoin de solutions différentes, dans les centres urbains, nous avons déjà des écoles primaires. Nous avons toutes sortes de projets CAPC, des programmes de nutrition gratuits, toutes sortes de choses.

Ce que nous avions commencé à faire en Ontario, et il semble que l'on ait abandonné, c'était d'intégrer l'école primaire à la collectivité. Elle serait ainsi tout à fait au courant de la situation des familles, de qui fait quoi, qui travaille, quelle langue on parle, quelles sont les cultures, etc. Si toutes les écoles primaires avaient un centre de développement, qui non seulement dispenserait les soins aux enfants, mais s'occuperait de leur développement et offrirait des programmes prénataux, etc., qui sont actuellement très dispersés, ce pourrait être une façon de commencer, s'il existait déjà évidemment un conseil local.

J'ai toujours pensé que c'était une très bonne idée et j'essaie de la défendre depuis longtemps. Je voulais simplement savoir ce que vous en pensez.

M. Fraser Mustard: Vous avez raison. Nous avons essayé beaucoup de stratégies. Nous avons constaté une certaine hostilité de la part des commissions scolaires à cet égard, en partie du fait de la guerre qui règne entre les groupes d'enseignants. Je connais des commissions scolaires aux États-Unis, en particulier à Miami, qui travaillent avec Centraide et qui réussissent très bien à intégrer tout cela. C'est donc réalisable.

Lorsque nous avons recommandé au gouvernement de mettre sur pied un conseil pour le développement de la petite enfance, on nous a répondu qu'une des options était la commission scolaire. Une de nos options était la municipalité. Une autre, un conseil neutre. Dans l'agglomération de Toronto, on recommande un conseil neutre; on ne veut pas être pris dans le feu de l'autre guerre. Ce sont donc différentes options, pour le moment, mais il est évident que les écoles sont le lieu idéal pour ce genre de choses. Les lieux de travail aussi.

Un des nombreux programmes remarquables que nous avons vus était dans la localité rurale de South Grey. Le plus gros village est Markdale qui a environ 1 000 habitants. Ils ont un programme de centre de développement de la petite enfance et des responsabilités parentales. Ils utilisent des fonds du PACE, de l'argent provincial et d'autres fonds et avec tout cela dirigent un programme complet. Ils échappent à tous les tiraillements qui sévissent dans la province. C'est un véritable centre doté de services auxiliaires. Cela montre ce que l'on peut faire de façon magistrale.

Si j'étais au pouvoir, je réfléchirais à la façon d'appliquer cela et d'empêcher l'administration de s'ingérer dans ce merveilleux travail de femmes. Nous décrivons ce qu'elle fait dans le détail dans ce rapport.

Je ne dirais donc pas que tout va mal en Ontario. Le premier ministre semble penser qu'il doit faire quelque chose à ce sujet. Je crois que c'est certain, mais reste à savoir s'il peut surmonter cette autre force.

Le président: Docteur Fraser, allez chercher l'argent.

M. Fraser Mustard: Nous allons continuer à miser sur votre comité.

Le président: Docteure Bennett, avez-vous des questions à poser à nos visiteurs?

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Alors que le Dr Mustard s'en va, je me souviens d'un discours qu'il a donné il y a peut-être une dizaine d'années, dans lequel il disait que le succès ultime d'une localité dépendait de la santé de ses enfants de trois ans. Si l'on considère le monde entier et toutes les générations, je me demandais si nous pourrions obtenir la documentation à ce sujet.

Le président: Vous trouverez beaucoup de choses dans le rapport.

• 1655

Mme Carolyn Bennett: Bien.

Je voudrais vous interroger sur l'universalité et vous demander si ce sont les femmes qui travaillent ou les femmes immigrantes qui restent au foyer et qui ont besoin d'un peu d'aide dans l'apprentissage de la langue pour aider leurs enfants à se préparer à l'école ou si c'est le centre de quartier pour les enfants, qui permet en fait d'aider tout le monde...

Si on ajoutait toutes les mères qui travaillent et toutes les places de garderie et les gardiennes qui soumettent des reçus aux fins d'impôt, la différence est énorme. Nous ne savons pas en fait qui s'occupe de ces enfants parce qu'on paie les gens sous la table et que ce n'est pas vraiment un travail auquel on accorde une valeur.

Faites-vous quoi que ce soit au Québec pour relever le niveau de développement de la petite enfance et des soins dispensés aux enfants afin que ces gardiennes ou voisins ou encore ceux qui se contentent de mettre les enfants devant la télévision et qui s'occupent de trop d'enfants... Comment peut-on utiliser cela? Comment peut-on évaluer ce travail et s'occuper non seulement de la qualité de parent mais également aider les gardiennes ou les voisins qui n'ont pas les compétences voulues, ceux qui s'occupent beaucoup des enfants de façon invisible.

[Français]

Mme Jocelyne Tougas: Une politique comme celle du Québec a ceci d'assez exceptionnel qu'à partir du moment où on dit aux parents qu'ils peuvent avoir une place dans un service de garde réglementé, visible et de qualité à un coût de 5 $ par jour, il y a un mouvement incroyable de parents qui quittent le réseau invisible pour aller vers le réseau officiel. Cela nous prouve qu'auparavant, ils n'avaient tout simplement pas les moyens de se payer un service de garde réglementé. Ce n'était pas par choix qu'ils utilisaient les services de la voisine sans formation ou ceux d'une jeune fille qui venait garder chez eux, mais parce qu'ils n'avaient pas les moyens de faire autrement.

On s'est aperçu que la politique du Québec avait été un incitatif au niveau des services de garde en milieu familial. Les femmes qui gardaient des enfants chez elles sans déclarer leur revenu frappent maintenant à la porte des centres de la petite enfance pour se faire reconnaître, pour suivre la formation et pour avoir leur accréditation afin que les parents qui placent leurs enfants chez elles puissent bénéficier de places à 5 $. En ayant un système abordable financièrement, on permet aux parents d'opter pour un service de garde réglementé. Il y a une pression dans ce sens-là et c'est le premier aspect.

L'autre aspect consiste à améliorer les conditions de travail des personnes qui travaillent dans les services de garde pour valoriser leur profession. Il y a actuellement un mouvement en ce sens au Québec; les garderies syndiquées revendiquent. En Colombie-Britannique, il y a aussi une grève des éducatrices. Cela peut se faire sur plusieurs fronts.

[Traduction]

Mme Carolyn Bennett: Pour ce qui est de la réglementation, est-ce que vous pourriez envisager un apprentissage? S'il y avait de bons centres où l'on faisait venir ces gens, pourrait-on en fait les accréditer pendant qu'ils s'occupent de quelqu'un?

[Français]

Mme Jocelyne Tougas: Je vais vous décrire un peu ce qui passe. Les centres de la petite enfance au Québec offrent pour l'instant des services de garde en garderie et en milieu familial, mais on a l'intention de diversifier les services pour offrir des centres de ressources à la famille et aux personnes qui gardent des enfants chez elles sans être réglementées, ce que vous appelez les drop-in centres, les haltes-garderies. Le modèle québécois, pour l'instant, se limite à la garderie et à la garde en milieu familial pour les places à 5 $. Cependant, le concept des centres de la petite enfance est d'élargir ces services pour intégrer tous les autres services à la petite enfance, y compris le soutien aux mères qui restent à la maison pour s'occuper de leurs enfants pendant les deux premières années de leur vie.

• 1700

Le concept n'est pas limité, mais encore une fois, il faut y aller étape par étape à cause du manque de financement. Toutes les balises ou paramètres pour permettre cette expansion, c'est-à-dire aborder l'enfant dans son ensemble, sont là. Telle est la philosophie de la réforme.

[Traduction]

Mme Carolyn Bennett: Des recherches ont-elles été effectuées sur les garderies et sur la façon dont on peut mesurer le progrès des enfants qui fréquentent ces garderies? Pourriez-vous nous donner ou nous envoyer des renseignements à ce sujet?

[Français]

Mme Jocelyne Tougas: Je peux regarder, mais il y a très peu d'études sur les haltes-garderies.

Le président: Très peu.

[Traduction]

Eric, vous vouliez poser une autre question? Non.

Christiane.

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Je ne sais pas s'il y a d'autres questions du côté du gouvernement. Je connais bien le système et la politique de la petite enfance. Pourrais-je expliquer le financement par rapport au Transfert social canadien? Cela fait très mal. Non, ce serait une critique trop politique. On va s'en tenir au contenu.

Je peux vous dire, étant présente dans le comté, que tout le réseau communautaire suit le gouvernement du Québec de très près. Mme Tougas est peut-être là pour le dire, mais vous pouvez être certains que tout ce cheminement d'aide à la famille en vue d'une meilleure éducation et d'un meilleur soutien des enfants dès le jeune âge et des familles défavorisées se fait sur le terrain. On a donc ce feed-back quotidiennement.

Au Québec, du moins dans mon comté et les comtés avoisinants, il se fait présentement toute une réflexion pour voir comment on pourrait être plus efficace sur le terrain, aider davantage les familles à faible revenu et leur apporter plus de soutien. Les parents veulent de l'aide; ce qui manque, c'est l'argent pour avoir l'éducatrice spécialisée. Toute coupure au Québec freine le Québec dans son développement.

Nous disons souvent que nous sommes différents en tant que Québécois. C'est peut-être un peu pour cela que nous voudrions aller plus loin. Quand on coupe 33 milliards de dollars dans le Transfert social, cela fait mal au Québec parce qu'il ne peut mettre cette politique en place. Les réseaux communautaires ne viennent pas à Ottawa pour signifier leur mécontentement; il sont plutôt mécontents du gouvernement du Québec et demandent une hausse de salaire pour les éducatrices et une formation plus adéquate pour certains éducateurs et éducatrices dans les garderies. C'est au Québec qu'on exerce les pressions.

Il y a aussi l'argent de l'impôt qui va au fédéral. Avec son pouvoir de dépenser, le fédéral doit respecter les ententes du Transfert social canadien et les rétablir. L'assurance-emploi vient aussi couper l'herbe sous le pied de nos familles à faible revenu, qui ont des emplois précaires. Il ne faut pas chercher de midi à quatorze heures dans le cas du Québec. On peut être un modèle pour d'autres provinces et les influencer, mais il faut faire attention à ce qu'on va proposer au Québec par le biais de l'union sociale. Merci.

Le président: Voilà une belle intervention.

[Traduction]

Il nous reste quelques minutes avant de nous dire au revoir et de nous pencher, au moins pour une première réaction, sur le sommaire. Y a-t-il encore des questions pour nos invités?

Mme Carolyn Bennett: Je voulais simplement savoir s'ils avaient fait quelque chose de différent pour les enfants handicapés—pour aider les familles qui ont des enfants handicapés.

Le président: Voulez-vous dire quelque chose d'autre que ce que l'on fait ailleurs au pays?

Mme Carolyn Bennett: Oui. Avez-vous un programme spécial pour aider les familles et les parents?

[Français]

Mme Jocelyne Tougas: En ce qui concerne les services de garde, ce n'est pas différent. Il y a du financement additionnel pour les enfants qui ont des besoins spéciaux, mais le principe est celui de l'intégration des enfants ayant des besoins spéciaux dans les services de garde. Il faut organiser l'environnement de manière à permettre à ces enfants de fréquenter le service de garde si c'est le désir des parents. Il y a plusieurs provinces qui fonctionnent de cette façon; je ne pense pas que ce soit différent.

• 1705

Le président: Karen.

M. Daniel Tremblay: Si je peux me permettre...

Le président: Ah, pardon.

M. Daniel Tremblay: Je disais tout à l'heure que l'allocation unifiée pour enfant avait remplacé un certain nombre de programmes qui existaient jusqu'en 1997, dont l'allocation familiale, l'allocation à la naissance et l'allocation pour jeune enfant. Il y a aussi l'allocation pour les enfants handicapés; le Québec a choisi de la conserver car il reconnaît cette réalité. L'allocation pour enfant handicapé s'ajoute donc à l'allocation unifiée.

[Traduction]

Le président: Avez-vous une dernière question, Karen?

Mme Karen Kraft Sloan: Tout d'abord, je voulais vous féliciter d'avoir mis au centre de votre politique familiale au Québec l'éducation des jeunes enfants et les services de garderie. Je pense que dans bien des régions de notre pays, la politique familiale prend surtout la forme de mesures régressives. On comprend mieux dans votre province ce qui est bon pour les enfants et c'est le résultat d'une réflexion éclairée et fondée sur des données médicales.

J'ai eu l'occasion, dans le cadre d'une autre étude, de travailler avec le Canadian Council of Provincial Children's Advocates et je vous poserais deux petites questions. Je me demandais le genre de travail que vous faisiez avec la responsable des droits des enfants au Québec parce que c'est quelqu'un de très bien. Je me demande dans quelle mesure il y a une interaction entre elle et vous ou comment vous pourriez collaborer?

Deuxièmement, je ne sais pas comment vous avez obtenu que vos milieux politiques adoptent des frais de garderie de 5 $ par jour parce que dès qu'on parle d'un programme subventionné, les réactions sont terribles. Même dans ma localité, il serait très difficile de proposer un programme semblable. Comment avez-vous pu obtenir ces frais de 5 $ par jour? C'est extraordinaire.

[Français]

Mme Jocelyne Tougas: Ce n'est pas compliqué. Quand vous prenez toutes les enveloppes financières qui étaient investies de façon disparate, incohérente et non intégrée dans différents services à la petite enfance dans le but de favoriser le développement des enfants et que vous les amalgamez dans le cadre d'une approche intégrée, l'économie est incroyable. Vous pouvez faire des miracles avec cet argent.

Au Québec, il y avait le programme d'exonération financière qui aidait financièrement les parents à faible revenu dont les enfants fréquentaient les services de garde. On a repris cet argent-là. C'est une approche cohérente qui, en amalgamant différentes enveloppes, permet d'avoir un programme beaucoup plus efficace, mais dont le coût n'est cependant pas moindre, car il a fallu réinjecter des fonds. Sur ce point, vous avez raison. Je pense que c'est une question culturelle et aussi idéologique. Au Québec, ce sont des femmes, des ministres qui sont là depuis 25 ans, qui ont poussé la machine gouvernementale sans abandonner, jusqu'à ce qu'elles gagnent. Souvent, il faut des femmes pour porter ce genre de dossier; c'est pour cette raison que cela s'est fait au Québec. C'est peut-être la leçon à retenir de cela.

Le président: Merci bien. L'idée d'être là pendant 25 ans est intéressante. Quand des femmes restent ministres pendant 25 ans, c'est aussi très intéressant.

M. Daniel Tremblay: Est-ce que je peux me permettre d'intervenir?

Le président: Oui, monsieur Tremblay.

M. Daniel Tremblay: C'est peut-être parce que je ne suis pas enclin à croire aux miracles que je voudrais ajouter que le travail des femmes est très, très important et que l'impact du rapport du groupe de travail pour les enfants a aussi été très important.

Des gens comme Camille Bouchard ou d'autres personnes, hommes ou femmes, qui s'occupent de ce genre de dossier en y croyant énormément, en ayant le sens du marketing et en étant capables d'aller très loin, réussissent à faire bouger un gouvernement. Si, en plus, ce gouvernement a une sensibilité sociale-démocrate et que l'État, comme je l'ai dit tout à l'heure, sent qu'il a une responsabilité dans le soutien aux familles et aux parents, cela aide certainement beaucoup. Il n'y a pas de miracle et cela coûte cher, mais c'est un choix de société.

Le président: Vous avez la chance d'avoir Camille Bouchard, et nous, M. Mustard.

• 1710

[Traduction]

La séance publique est terminée et je demanderais donc à nos invités de sortir.

[Français]

Merci de vos présentations fort intéressantes et même inspirantes.

[Traduction]

Je demanderais maintenant aux députés de rester un instant pour examiner le plan. Si vous l'avez perdu ou ne l'avez pas apporté... Tout le monde l'a, très bien.

Nous siégeons maintenant à huis clos.

[Note de la rédaction—La séance se poursuit à huis clos]