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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 13 juin 2000

• 0940

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.

Nous examinons actuellement le phénomène de la mondialisation et ses conséquences pour la société canadienne et le fonctionnement du Parlement, l'orientation à donner à l'étude et la question de savoir s'il est possible de réaliser une étude utile.

Le groupe de témoins nous aidera à préciser notre pensée.

Nous recevons un groupe d'experts éminents ce matin. Je vais les inviter à prendre la parole dans l'ordre où ils figurent à l'ordre du jour. Nous allons commencer par M. Warren Allmand, président de l'Institut Droits et Démocratie.

J'ai vu M. Allmand à la réunion de l'OEA le week-end dernier et il nous a dit qu'il avait changé le nom de l'Institut parce que celui-ci était trop compliqué, le Centre international... Enfin, c'est maintenant l'Institut Droits et Démocratie.

M. Warren Allmand (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité.

Notre raison sociale est toujours le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, mais comme personne ne peut dire cela d'une seule traite...

Le président: Le sigle est imprononçable.

M. Warren Allmand: Nous avons fait la même chose que Développement et Paix et nous utilisons le titre abrégé Droits et Démocratie. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités ici ce matin.

La mondialisation peut être bien davantage que le commerce et l'économie et le phénomène peut être bon ou mauvais. Comme vous le savez, la mondialisation se fait sentir dans le domaine des communications, des arts, des sports et de la santé et même, malheureusement, dans la criminalité.

La mondialisation est depuis plusieurs années un secteur d'activité important de Droits et Démocratie. Nous y consacrons l'un de nos programmes prioritaires. Nous nous intéressons aux accords de commerce mondiaux et régionaux, aux arrangements pour le commerce mondial et régional et aux institutions qui facilitent les échanges et les investissements qui excluent les droits de l'homme et les normes du travail, l'environnement ou la santé.

Ces accords envisagent un univers où le commerce l'emporte sur tout le reste. C'est le cas lorsqu'on examine l'OMC, l'APEC, l'ALENA et le projet d'ALEA, ainsi que l'AMI. Sous leur forme actuelle, ces accords exercent des pressions en vue du nivellement par le bas dans les groupes commerciaux. C'est la recherche du plus petit dénominateur commun, en vue d'abaisser les normes de l'environnement, du travail et des droits de l'homme pour attirer les investissements et le commerce.

Je siégeais évidemment au Parlement après les fameuses élections de 1988 où nous avions justement fait ces mises en garde à propos de l'ALENA et de l'ALEA.

Nous rappelons—et nous espérons qu'un jour le message passera—que les pays comme le Canada, les États-Unis et les nations européennes ont des lois dont le but est de faciliter le commerce extérieur, qui va bon train. Il y a de très nombreux échanges entre le Canada et les États-Unis, mais ceux-ci sont assujettis à la Constitution et à la Charte des droits. Les lois commerciales sont interprétées parallèlement avec toutes les autres lois adoptées par le Parlement.

Dans aucun des pays que j'ai mentionnés, le commerce extérieur n'a préséance sur la Charte des droits ou la Constitution ou la législation environnementale. La législation commerciale est interprétée parallèlement à ces textes et est donc assujettie à la Charte et à la Constitution. Mais on dirait que lorsqu'il s'agit de commerce international, lorsque l'on soulève ces arguments à l'OMC ou dans d'autres organisations de commerce mondial, on nous dit que le commerce n'a rien à voir avec les droits de l'homme ou la législation sur la main-d'«uvre. J'ignore d'où vient ce raisonnement parce que c'est une position inadmissible ailleurs ou au Canada. Autrement dit, il y a un système deux poids deux mesures.

• 0945

Ces pays appartiennent à l'ONU, ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de nombreuses conventions de l'OIT sur les normes du travail, une multitude de textes, puis vont ratifier des conventions sur le commerce en faisant fi des obligations qu'ils ont contractées en matière de droits de l'homme et de normes de travail. On peut tenir le même discours, même si ce n'est pas de cela qu'il s'agit—cela, c'est notre spécialité—à propos de l'environnement et de la santé. Nous disons que c'est inacceptable.

Si vous examinez la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, vous verrez que les droits économiques et sociaux y sont définis en toutes lettres. Ce ne sont pas des droits de deuxième génération; ce sont des droits à part entière. Les articles 22 à 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU mentionnent le droit à l'alimentation, le droit d'assurer sa santé, le droit au travail, le droit à la protection, etc. C'est donc dire que lorsque l'on parle d'un univers mondialisé en matière de commerce et d'autres questions, il doit y avoir cohérence et uniformité.

Monsieur le président, avec l'aide du Pr Robert Howse et du Pr Makau Mutua, notre Centre vient de publier un court ouvrage d'excellente qualité intitulé: Protection des droits humains et mondialisation de l'économie. Un défi pour l'OMC. Nous avons lancé cette publication à Genève lors de la réunion de la Commission des droits de l'homme de l'ONU. Vous y trouverez une défense vigoureuse et beaucoup plus détaillée des arguments que je viens de vous présenter car si quelque chose doit prendre le pas sur le reste, c'est bien la Charte de l'ONU et les accords relatifs aux droits de l'homme que la communauté mondiale a adoptés, y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme et les autres conventions qui en découlent.

Nous affirmons qu'il doit y avoir cohérence entre les accords commerciaux et les accords d'autre nature ainsi qu'un régime de gouvernance mondiale pour établir un rapprochement entre eux de manière à ce qu'ils soient interprétés parallèlement et se compensent l'un l'autre.

Je tiens à bien préciser que nous ne sommes pas hostiles au commerce mondial. C'est ce que certains ont tenté d'insinuer, comme s'en souviendront les députés qui ont participé à l'élection de 1988 parce que nous, du Parti libéral à l'époque, étions contre l'ALENA, l'ALE, tel qu'il était rédigé. On nous a accusés d'être hostiles au commerce extérieur. Nous avions dit que ce n'était pas le cas. Notre centre ainsi que les groupes qui partagent la même position que nous ne sont pas contre le commerce international. Nous tenons toutefois à ce que celui-ci soit assujetti aux droits humanitaires qui reconnaissent les engagements que les pays ont pris dans d'autres domaines. Le commerce oui, mais le commerce à visage humain.

Aux pays qui essaient d'abaisser les normes pour attirer les investissements et qui portent atteinte aux droits de l'homme et à d'autres droits nous disons que si vous voulez jouer le jeu du commerce mondial, alors vous devez respecter les règles de la société mondiale. Et ces règles ne portent pas uniquement sur le commerce, elles s'appliquent à tout un éventail de questions.

Monsieur le président, nous avons été très heureux d'entendre le témoignage de M. Martin il y a quelque temps au comité, qui a dit que les pays pauvres devenaient «de plus en plus marginalisés»—et je cite—, que cela était «impossible à défendre du point de vue moral». Je vais plus loin et j'affirme qu'il s'agit de violations de droits internationalement reconnus. C'est non seulement indéfendable moralement, mais il s'agit de violations de la Déclaration universelle des droits, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que des accords sur le travail signés à l'OIT.

J'approuve ce qu'a dit M. Martin sur ce point, mais je suis en désaccord avec lui lorsqu'il a dit, le même jour, que les pays marginalisés et les secteurs marginalisés de la société prospéreraient s'ils possédaient les compétences nécessaires pour affronter la concurrence dans l'économie moderne. Les compétences ne suffisent pas. Il faut la protection d'un régime mondial qui ne sacrifie pas la justice et les droits de l'homme sur l'autel de la croissance et de la concurrence.

Monsieur le président, combien de temps chacun de nous a-t-il?

Le président: Dix minutes.

M. Warren Allmand: Et j'en ai pris combien jusqu'à maintenant?

Le président: Une vingtaine de minutes.

M. Warren Allmand: Déjà! Mais mon document...

Le président: Il vous reste environ une minute.

• 0950

M. Warren Allmand: Je vais donc terminer ma déclaration et aborder d'autres points en réponse aux questions.

L'essentiel de mon message, c'est que les accords relatifs au commerce et les organisations qui s'y consacrent, en l'absence de comptes à rendre, de transparence et de certains mécanismes de contrôle, mènent tout droit à l'anarchie, ce qui permet aux grandes transnationales de passer outre aux droits de l'homme, aux normes du travail, de l'environnement, de la santé, et le reste.

Je pose la question. Est-ce vraiment cela que veulent les Canadiens et leur Parlement? Je ne pense pas. J'espère que le comité, qui a publié d'excellents rapports cette année, exhortera le ministre et le gouvernement à préconiser dans les organes internationaux le renforcement du système mondial de gouvernance pour que les accords commerciaux soient interprétés en parallèle et de façon compatible avec nos obligations en vertu des traités que nous avons conclus, notamment en matière de droits de l'homme et de travail.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Allmand.

[Français]

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): J'invoque le Règlement, monsieur le président.

Le président: Oui.

M. Stéphan Tremblay: Je ne sais pas si on a mentionné à nos témoins que l'objectif d'aujourd'hui est de leur permettre, étant donné leurs compétences, de nous éclairer et de définir des thèmes à aborder en priorité lors d'une étude plus en profondeur que nous ferons à l'automne. C'est l'objectif qu'on nous avait proposé et je pense que ce serait bien de le mentionner. C'est ce que je voulais signaler. Merci.

Le président: Merci.

[Traduction]

M. Warren Allmand: Monsieur le président, je veux vous dire que je trouve cela fort intéressant. Moi-même, je n'ai été informé de la tenue de ces audiences que jeudi dernier. Ce n'était pas clair. L'avis de convocation parlait de «mondialisation». Je ne savais pas trop quels étaient vos objectifs. Je pensais qu'il s'agissait des préparatifs à la prochaine réunion du G-7.

Le président: Je demande pardon aux témoins et aux membres du comité de cette confusion. Cela tient en partie au fait que le sujet est si vaste. Nous essayons de le délimiter et, comme M. Tremblay l'a dit, nous examinons la possibilité de faire d'autres recherches sur le sujet. Dans l'affirmative, il faudra concentrer notre attention. C'est notre objectif pour le moment en tout cas: comment concentrer notre énergie. Sauter à pieds joints dans la mondialisation, ce serait se jeter au beau milieu de l'Atlantique. Nous serions engloutis. Nous allons peut-être quand même couler à pic, mais nous essayons au moins de nous accrocher à un radeau.

[Français]

Monsieur Brunelle.

M. Dorval Brunelle (professeur de sociologie, Université du Québec à Montréal, membre du Groupe de recherche sur l'intégration continentale de l'UQAM, Réseau québécois sur l'intégration continentale: Quitte à brûler un peu de mon temps de parole, monsieur le président, je voudrais d'abord féliciter les promoteurs de cette idée.

Il y a beaucoup de choses qui se disent sur la mondialisation et il y a beaucoup de charlatans dans le domaine de la mondialisation, monsieur le président. C'est toujours très difficile de trouver un sens à un concept aussi vaste et aussi vague. À la fin, je ferai peut-être quelques suggestions, mais comme mon collègue M. Allmand, j'ai su assez tard que je devais me présenter ici ce matin.

Je dois dire que je porte deux chapeaux, monsieur le président. Cela arrive souvent dans la vie. J'ai un chapeau Groupe de recherche sur l'intégration continentale. Nous travaillons sur ce dossier depuis la première ouverture des négociations bilatérales entre le Canada et les États-Unis en 1985. Souvenez-vous de cette scène touchante sur les plaines d'Abraham, où les deux Irlandais ont chanté When Irish Eyes are Smiling. C'est ce qui a ouvert la négociation du libre-échange. On a adopté cela. Plutôt que de prendre le biais de la chanson, on a pris celui de l'économie politique.

L'autre chapeau, c'est celui d'une opposition que nous menons à plusieurs contre les accords de libre-échange à l'intérieur du Réseau québécois sur l'intégration continentale, qui est au Québec ce que Common Frontiers est au Canada, soit une organisation comprenant des centrales syndicales, des groupes de développement et paix, des ligues des droits et libertés, des groupes de recherche, etc.

Je vais attaquer tout de suite le sujet. Le titre de mon texte est: Mondialisation et euphorie. Un des grands problèmes de la mondialisation, c'est d'essayer de donner un sens à l'euphorie qui envahit ceux qui en sont les promoteurs. J'ai essayé d'expliquer cette euphorie par deux ou trois raisons. Je pense que les niveaux de recherche instantanés ou presque qu'on atteint dans la société et dans l'économie à l'heure actuelle sont uniques dans l'histoire de l'humanité. Cela explique peut-être l'emballement de ceux qui bénéficient de la mondialisation.

Il y a aussi un autre élément de la mondialisation, et c'est ce recours un peu simpliste à l'idéologie de marché, l'idée que la pensée magique peut régler tous nos problèmes, qu'ils soient politiques, sociaux ou environnementaux. Il y a cette obsession de la privatisation, alors que tous les réseaux publics s'en vont à la dérive.

• 0955

C'est pour cela que pour aborder la question de la mondialisation, il faut faire une chose: prendre une hauteur de vue à la mesure du problème que l'on doit affronter. Une des très grandes difficultés, quand on y pense, c'est de s'imaginer qu'on a toutes sortes de solutions un peu passe-partout, alors qu'au fond, quand on regarde les choses un peu plus attentivement, on se rend compte qu'une des causes de la mondialisation telle qu'on la connaît est qu'on a oublié les origines très sérieuses de la réflexion qui avait été faite autour de la mise en place de l'ordre d'après-guerre.

Il est toujours assez étonnant, quand on pense réformer le FMI, la Banque mondiale et l'OMC, qu'on oublie en même temps que ces organisations avaient été créées, en 1944-1945, à partir de toute une panoplie d'organisations. La Charte de Philadelphie, qui a relancé l'OIT en 1944, s'est tenue la même année que les accords de Bretton Woods. La Déclaration universelle des droits de l'homme remonte à 1948.

Il y a un magistral historien canadien qui s'appelle Shotwell, qui est assez important pour comprendre la logique de la mise en place de l'ordre d'après-guerre. Cette logique reposait, dans le vocabulaire de Shotwell, sur ce qu'on appelle trois piliers: la santé, la sécurité et le bien-être. Pour atteindre ces trois objectifs, qu'est-ce qu'on avait fait? On avait mis sur pied un ensemble d'organisations qui étaient complémentaires entre elles: l'économie, oui, mais l'économie balisée par la sécurité, par la Déclaration universelle, par l'OIT, etc.

Or, quand on regarde rapidement ce qui se passe aujourd'hui, on se rend compte qu'il y a une profonde asymétrie dans l'évolution institutionnelle au niveau international. Depuis une dizaine d'années surtout, on assiste à la montée en puissance des grandes organisations internationales économiques, le FMI, la Banque mondiale et OMC depuis 1994, et à l'effondrement, ou presque—il s'agit de regarder les rapports annuels de l'OIT pour s'en faire une idée—de la crédibilité de l'OIT.

Au début, les États prenaient des engagements à la fois aux niveaux syndical, social, économique et politique. Or, à l'heure actuelle, tout est mené par l'économie. Je crois que le très grand problème réside dans la réflexion que l'on fait sur l'évolution de l'économie mondiale et la mondialisation à l'heure actuelle.

Évidemment, s'ajoute au problème—et je vais revenir là-dessus—le fait qu'on est tellement emballé par la mondialisation qu'on n'est pas capable de revenir à l'esprit fondateur de cet ordre d'après-guerre, qui reposait d'abord sur un Parlement universel. Où est-il maintenant, ce Parlement universel? Est-ce qu'on peut vraiment parler de mondialisation sans mettre en place une politique universelle? D'ailleurs, où est passé le mot «universel», non seulement au niveau de l'économie dans son ensemble, mais aussi au niveau des programmes universels à l'intérieur des pays?

Je trouve que la dérive qui nous amène à parler maintenant de mondialisation et à laisser l'universel constitue la tragédie du présent.

Il y avait un autre élément dans la construction de cet ordre d'après-guerre. Je voudrais insister là-dessus deux secondes. La question politique m'apparaît centrale ici, non seulement parce qu'on assiste à la marginalisation de tout le système politique de l'ONU, en particulier de l'Assemblée générale, mais aussi parce qu'on voit maintenant le même genre de conséquences dans les pays. Je ne sais pas si cela vous frappe. On est ici dans une assemblée parlementaire. Dans les pays, ce sont les parlementaires, le pouvoir législatif, qui sont marginalisés par la mondialisation.

Le parallèle entre les deux est assez intéressant: le parallèle entre la marginalisation du système ONU et de l'Assemblée générale en particulier, qui n'a plus prise sur une politique universelle, et le fait que les parlementaires n'ont plus prise sur la mondialisation.

C'est quand même assez révélateur qu'on soit ici ce matin, devant des parlementaires, à qui on soumet des accords de libre-échange en cascade, qui n'ont même pas le temps de les regarder et, surtout, qui ne peuvent rien dire. Bref, ce qui est en train d'arriver et qui vous concerne, vous comme nous, c'est que la démocratie d'exécutif, comme on l'appelle, est en train de marginaliser le pouvoir législatif. Quand on marginalise le pouvoir législatif, c'est toute la question de la responsabilité des mandats et de l'imputabilité des députés qui est en cause.

Donc, derrière la question de la mondialisation, il y a un phénomène majeur, auquel on donne un nom. En Europe, et c'est assez intéressant que cela vienne de l'Europe, où il y a quand même un Parlement européen, on appelle cela joliment le déficit démocratique. Il s'agit aussi d'une conséquence de la mondialisation.

Je voudrais terminer ces remarques assez générales en parlant d'une autre caractéristique profonde de la mise en place de l'ordre d'après-guerre: ce qu'on appelle le tripartisme. Quand les fondateurs de cet ordre ont agi, bien sûr, il y avait toute la guerre derrière. Il y avait 40 millions de morts, ce qui porte à une réflexion profonde. À l'heure actuelle, on ne se rend pas compte que le gâchis est à peu près de la même ampleur. Finalement, on n'est pas à la hauteur des défis.

Ce tripartisme, quel était-il? Le tripartisme consistait à mettre ensemble trois grands acteurs économiques et politiques en vue de la construction et de la mise en marche de cet ordre d'après-guerre. Il y avait les gouvernements, bien sûr, les milieux d'affaires et, pour faire bonne mesure, le milieu syndical.

• 1000

Bien sûr, à l'heure actuelle, on peut toujours dire que le tripartisme tiendrait moins, dans la mesure où l'acteur syndical n'est pas aussi important maintenant qu'il l'était en 1944, 1945 et 1946. C'est vrai, mais cela veut dire qu'il faudrait peut-être qu'il y ait d'autres acteurs pour constituer le troisième pôle de ce triangle, à côté du mouvement syndical, du mouvement féministe, du mouvement environnemental, etc.

Or, à quoi assiste-t-on? Là où le tripartisme était intégré dans les grandes organisations internationales, l'ECOSOC, là où le tripartisme était même absorbé à l'intérieur de l'OCDE—il faut le faire—, avec son BIAC, le Business Investment Advisory Committee, et son TUAC, le Trade Union Advisory Committee, là où le tripartisme était intégré dans l'élève modèle des organisations internationales d'après guerre, l'OIT, à quoi assiste-t-on à l'heure actuelle? On assiste, là encore à cause de l'effondrement du mouvement syndical, à la montée en puissance d'une double accointance entre deux acteurs qui sont en train de se partager toute la logique et toute la réflexion sur la mondialisation: le milieu des affaires et le pouvoir exécutif.

On en a une illustration presque caricaturale dans le processus d'intégration des Amériques. Tout ce dont j'ai parlé, c'est-à-dire cette mondialisation très asymétrique, cette mondialisation fondée sur une pensée cassée et sur une consultation mal intégrée, fonctionne vaille que vaille au niveau de l'OCDE, fonctionne vaille que vaille au niveau mondial, parce que l'OMC a quand même plus d'ouverture que d'autres organisations, alors que le processus des Amériques, au contraire, fonctionne dans une clandestinité totale. On a d'un côté les exécutifs, de l'autre l'Americas Business Forum et c'est tout.

Ce processus est en train de nous préparer quelque chose d'unique dans l'histoire: un ensemble de normes et de mesures qui vont carrément à l'encontre de ce qui est négocié au niveau mondial.

Mon collègue Warren Allmand avait tout à fait raison de s'inquiéter tout à l'heure. La question est maintenant de savoir comment il se fait qu'on soit capables d'accepter qu'un processus de mondialisation à plusieurs vitesses se mette en place, alors que le processus des Amériques va carrément à l'encontre de toutes les normes qu'on connaissait jusqu'à maintenant. Je pense qu'il y a une réflexion à faire là-dessus. Comment se fait-il que ce processus soit à ce point séparé de la consultation, d'un débat public? Regardez les dates. On a eu l'accord bilatéral en 1989, l'accord de 1994 et—c'est un scoop, monsieur le président—on pourrait fort bien avoir l'accord de libre-échange des Amériques en avril 2001, tout prêt à signer.

Le président: J'en doute fort, mais en tout cas...

M. Dorval Brunelle: Je vous invite à regarder le texte qu'on a fait là-dessus sur le site du réseau. Cela va peut-être vous faire à changer d'idée. Le texte sera prêt.

Le président: Je suis d'accord sur vos observations, mais je doute fort qu'il y ait un accord de libre-échange des Amériques avant de nombreuses années. Si vous parlez aux Brésiliens...

M. Dorval Brunelle: Vive les Brésiliens, monsieur le président. Nous sommes d'accord là-dessus, mais admettez avec moi qu'entre-temps, on assiste à la signature de cet accord à la pièce sur le plan bilatéral: Canada-Costa Rica, Canada-Chili, Mexique-Chili, etc. Ce ne sera peut-être pas le grand accord, mais je parle de la mise en place de normes qui vont à l'encontre de l'esprit de la fondation de l'ordre d'après-guerre. On y assiste au jour le jour.

Cela nous amène à un problème de fond: le problème de concilier l'intégration dans les Amériques et l'intégration qui se fait au niveau mondial, d'une part et, d'autre part, le problème de voir comment ces mécanismes d'intégration à vitesse variable favorisent ou pourraient favoriser une véritable mondialisation des sociétés et pas seulement une mondialisation des filières de production, monsieur le président. C'est ça, le problème. Nous pouvons applaudir une mondialisation des filières de production, mais quand on s'imagine que la mondialisation ne doit être que cela, il y a peut-être une difficulté sur laquelle il faut se pencher.

Je termine. Comme mon collègue M. Allmand, je n'ai pas pensé non plus à des pistes de solution ou à des pistes de recherche. Peut-être pourriez-vous travailler sur cette question des Amériques. Je pense qu'il se passe là des choses que les parlementaires ignorent. J'attire votre attention, monsieur le président, sur l'article 1023 de l'Accord de libre-échange nord-américain, qui est un véritable Scud, parce qu'il prévoit que la négociation de l'accord doit être refaite.

Tout ce qui concerne les négociations sur les services devait être remis sur la table à compter du 31 décembre 1998. Cela fait donc un an et demi que des comités négocient quelque part l'extension, l'élargissement ou le maintien des exceptions qui sont dans l'ALENA. C'est peu connu, et il est assez intéressant que les parlementaires ne le sachent pas, eux non plus.

• 1005

Il faut regarder aussi cet article que j'ai déjà appelé le funeste article XI. Il faudrait peut-être l'examiner à nouveau, le remettre à l'étude. En effet, je crois que cet article désigné dans certains milieux, dans un esprit provocateur, «charte des droits et libertés des investisseurs», appellation que je n'oserais jamais reprendre à mon compte autrement que pour la citer, mériterait aussi d'être revu.

Donc, il y aurait sans doute un ensemble de réflexions à faire, dont la plus importante porterait sur la représentation des citoyens dans ce qui est en train de se produire maintenant, cela dit sans aucune flagornerie. À la limite, tout irait pour le mieux dans le meilleur des monde, pour citer Voltaire, si ce n'était que nous nous sentons complètement exclus de l'échange de réflexions sur la mondialisation en tant que tel. Je voudrais préciser que même l'idée de consultation de la société civile, qui est honorable, n'est certainement pas suffisante parce que ce qui est en cause, c'est vraiment le maintien d'un espace public de discussion sur tout ça.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: Merci. Est-ce qu'il me reste encore du temps?

Le président: Excusez-moi. Vous avez déjà un peu dépassé votre temps et je croyais que vous aviez dit que vous aviez terminé.

L'idée est surtout de garder du temps pour les questions. J'ai peur qu'on en manque.

[Traduction]

Monsieur Campbell.

M. Bruce Campbell (directeur administratif, Centre canadien de politiques alternatives): Merci, monsieur le président. Je remercie le comité de m'avoir invité à cette table ronde sur la mondialisation.

Je vais me cantonner à la question de la réforme du système financier international soulevée par le ministre des Finances lors de sa comparution il y a quelques semaines. J'ai reçu le compte rendu de son témoignage avec l'invitation et c'est donc le sujet que je vais aborder aujourd'hui.

J'aimerais commencer par le commencement, les accords de Bretton Woods, conclus en 1944 sous la direction de Keynes et White. Il faut se souvenir que, contrairement à la tendance des organes financiers aujourd'hui, leur objectif était de limiter les mouvements internationaux de capitaux, qui avaient été importants et instables dans les années 20, ce qui a aggravé la grande Crise.

Les Statuts du FMI, l'article VI pour être plus précis, donnent expressément le droit à chaque État signataire de réglementer tous les mouvements de capitaux. Cet article existe toujours malgré les efforts qui ont été faits pour le supprimer.

Keynes n'a pas caché qu'il fallait des contrôles permanents—je dis bien «permanents»—sur les entrées et les sorties de capitaux. Il a dit—ce sont ses propres paroles—que c'était pour empêcher les riches d'utiliser leur puissance sur les capitaux pour mener la politique d'un pays.

Il est intéressant de faire remarquer que le système de Bretton Woods a été institué malgré les protestations des banquiers mondiaux. Il faut aussi signaler que les trois décennies qui ont suivi ont été la période d'expansion économique la plus longue de l'histoire.

Chose plus importante encore, la répartition de cette prospérité dans la population en général a été sans précédent, et les inégalités ainsi que la misère se sont atténuées. Je vous rappelle qu'à cette époque les pays du monde étaient aux prises avec un endettement écrasant—conséquence de la guerre—bien plus lourd que ce que l'on a connu dans les années 90.

C'est donc dire que si l'on a assisté à une ouverture grandissante du commerce tout au long des cycles de négociation du GATT, les États ont conservé le pouvoir, qu'ils l'aient exercé ou non, de réglementer les mouvements de capitaux quand les circonstances le justifient.

Lorsque le régime des taux de change fixes issu des accords de Bretton Woods a commencé à s'effriter au début des années 70, ce n'était pas à cause de l'expansion débridée de l'État providence, mais plutôt de l'émergence des marchés financiers internationaux privés, notamment des marchés européens. Cela s'est bien sûr accompagné de la réapparition de l'austérité monétaire pour lutter contre l'inflation persistante de cette décennie. C'est ainsi que l'on a assisté à la reprise par l'élite financière du terrain perdu aux Kynésiens dans les décennies d'après guerre.

Nous savons tous que les marchés financiers privés ont connu une gigantesque expansion dans les 20 ou 25 dernières années et qu'ils ont eu d'immenses répercussions sur les vies des populations dans le monde. À mon avis, l'un dans l'autre, pour la plupart des gens, y compris les Canadiens, ces conséquences n'ont pas été positives.

• 1010

Permettez-moi de faire une petite comparaison entre ce que j'appelle l'âge d'or du Canada—les 30 années d'après-guerre—et la période que j'appelle celle de la mondialisation néolibérale, les 20 dernières années, sous l'angle des conséquences économiques et sociales. Je vais vous donner un certain chiffre pour mettre les choses en perspective.

La croissance annuelle moyenne du PIB a été de 4,7 p. 100 pendant l'âge d'or, sur une période de 30 ans, et de 2,5 p. 100 pendant l'ère de la mondialisation, c'est-à-dire à peine un peu plus de la moitié. Le chômage moyen a été de 4,9 p. 100 pendant l'âge d'or et de 9,4 p. 100 pendant l'ère de la mondialisation. Le revenu par habitant a augmenté d'environ 100 p. 100 pendant l'âge d'or et de 7,5 p. 100 pendant l'ère de la mondialisation, ce qui inclut une régression d'environ 4 p. 100 pendant les années 90.

Je ne suis donc pas du même avis que le ministre lorsqu'il affirme que la libéralisation des marchés internationaux de capitaux est un phénomène foncièrement positif et qu'il faut se la fixer comme objectif. Il est vrai que les contrôles sur les capitaux sont pour lui une mesure provisoire pour les économies de marchés émergentes qui s'acheminent vers des systèmes financiers avancés et qu'il propose une série de mesures et de règles destinées à anticiper et limiter les crises et les effets déstabilisateurs de la mobilité des capitaux. Mais il reste convaincu que la libre convertibilité des capitaux, assujettie à des règles améliorées certes, est l'objectif à suivre et l'une des clés d'un monde prospère et stable.

Je ne suis pas d'accord. J'estime au contraire que ce qui est bon pour les banques et les investisseurs nantis n'est pas nécessairement bon pour la population en général. Les marchés internationaux de capitaux, une fois libéralisés, sont foncièrement instables et nous en avons eu la preuve catégorique ces dernières années. C'est particulièrement le cas pour les mouvements de capitaux à court terme. De plus, ceux-ci réduisent la possibilité d'adopter des politiques monétaires nationales autonomes. Ils donnent trop de pouvoir à des élites financières non élues sur des gouvernements élus, qui veulent poursuivre des objectifs essentiels de politiques intérieures, comme le plein emploi, la croissance et la répartition du revenu.

En résumé, j'estime donc que l'objectif de la réforme de l'architecture financière doit être de permettre une plus grande autonomie nationale et une plus grande stabilité du système.

Comme vous le savez, M. Martin a déclaré que le Canada a fait deux suggestions en faveur d'un régime international de faillite: un article d'action collective et un article de statu quo. Ce sont des mesures louables. Toutefois, ce sont des mesures mineures. J'invite M. Martin à plus d'audace et à prendre des risques lorsqu'il convoquera le G-20.

Grâce à ses fonctions de président du G-20, il pourrait prendre certaines mesures. D'abord, promouvoir l'idée de la taxe Tobin. Il a dit en approuver le principe et ne devrait pas désarmer auprès de ses collègues du G-20 malgré la résistance des grandes puissances. Nous savons tous que c'est techniquement réalisable. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la volonté politique. Un champion de cette cause de la trempe de M. Martin sur la scène internationale aurait de bonnes chances d'y rallier certains esprits. Je crois savoir que le Canada a mis la taxe Tobin sur la table de négociation lors des réunions récentes du Sommet mondial pour le développement social, et il y a lieu de l'en féliciter. Je crois également savoir qu'il y a des mouvements encourageants en faveur de cette idée chez les dirigeants politiques de la France et de l'Allemagne.

Deuxièmement, M. Martin pourrait réclamer vigoureusement que les membres du G-20 proclament leur attachement au maintien de l'article VI des Status du FMI, qui permet aux pays d'imposer des contrôles sur les transferts de capitaux en période de crise de la balance des paiements. Les efforts des pays industrialisés en vue de supprimer l'article VI ont cessé à la suite de la crise asiatique, mais j'estime qu'une déclaration vigoureuse devrait être faite pour mettre définitivement cette idée au rancart et que M. Martin devrait en être le maître d'oeuvre.

Troisièmement, M. Martin devrait aussi profiter du rang qu'il occupe pour préconiser un changement majeur aux politiques d'ajustement structurel du FMI. Malgré ce qui s'est passé en Asie dans les dernières années, on n'a apporté que peu de changements réels à la politique du FMI. Il faut donc s'en prendre directement à l'orthodoxie du FMI.

• 1015

Enfin, j'aimerais faire une mise en garde en ce qui concerne toute cette idée de la consultation. C'est une bonne chose, mais quand on consulte les ONG sur ces questions et qu'en fin de compte elles finissent par constater que leurs perspectives ne sont même pas partiellement prises en compte, la consultation va alors à l'encontre du but recherché. Elle engendre l'aliénation et le ressentiment et renforce l'idée fort répandue que, surtout dans le domaine des grandes politiques économiques, le gouvernement n'écoute que les puissantes élites de Bay Street.

Je n'avais pas l'intention de parler du commerce, mais j'aimerais faire une brève recommandation à la suite de la suggestion de M. Tremblay, pour parler des négociations de l'OMC. Une très importante négociation sur les services est en cours. Elle faisait partie du programme prévu. Le Canada est censé soumettre sa position sur la négociation des services à la fin de l'année.

Nous au Centre canadien de politiques alternatives entreprenons une vaste étude de cette négociation. Nous publierons un document à ce sujet dans quelques semaines. Nous avons l'intention d'effectuer au cours des mois qui viennent diverses études sectorielles sur la santé, l'éducation, l'environnement et différentes autres questions de même que sur l'effet que pourrait avoir cette négociation sur les services. C'est un moment important dans le processus de mondialisation, et le comité aurait tout intérêt à suivre cette question de près à l'automne.

Merci.

Le président: Merci beaucoup. Vous nous avez été très utile.

Madame Sjolander.

Mme Claire Turenne Sjolander (professeur, témoignage à titre personnel): Merci.

Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je m'appelle Claire Turenne Sjolander, et je suis professeure au Département des sciences politiques de l'Université d'Ottawa. Je suis moi-même en période de transition; je vais assumer la présidence de mon département dans deux semaines et demie. Ce n'est qu'à quatre heures ce matin que j'ai trouvé le temps de réfléchir aux observations que j'allais faire et elles seront peut-être le reflet de la confusion et des protestations que connaît en ce moment l'institution et auxquelles je dois faire face.

Le président: Dans la clarté du petit matin.

Mme Claire Turenne Sjolander: Sans doute. Nous verrons. Vous saurez bien me le dire.

Comme les autres témoins l'ont déjà dit, on m'a à moi aussi fait savoir que je devais parler de mondialisation et le faire en dix minutes. C'est le travail de toute une vie, alors je ne peux certainement pas le résumer en dix minutes, mais je vais néanmoins en présenter une toute petite partie qui correspond aux sujets sur lesquels porte actuellement ma recherche. Il s'agit en somme de la façon dont la société civile, faute d'un meilleur nom, réagit ou ne réagit pas à la mondialisation; les affrontements qu'on a rapportés dans les médias au cours des dernières semaines ou des derniers mois, et tout récemment à Calgary cette semaine; et l'impasse vers laquelle nous semblons nous diriger. Je vais présenter un aperçu très sommaire et très superficiel et tenter ainsi d'exposer pourquoi nous assistons à cet affrontement et pourquoi il me semble que nous devrions réfléchir très sérieusement aux problèmes liés à la mondialisation.

J'ai moi aussi reçu un exemplaire des observations de M. Martin et j'ai aussi examiné le discours que M. Pettigrew a prononcé au Forum mondial 2000, où il a parlé de ce que qui s'était passé à Seattle. Il a parlé d'une collision entre deux mondes; c'est l'expression qu'il a employée. Ces deux mondes sont d'une part le monde traditionnel, qu'il définit comme le monde des États, des négociateurs et des organisations internationales; et le monde mondialisé, qui d'autre part est constitué par l'ensemble des sociétés multinationales, de la société civile mondiale et d'ONG internationaux. Il a dit que les deux s'étaient rencontrés à Seattle et que cela avait tourné au vinaigre, et il a essayé d'expliquer pourquoi.

La collision ne s'est pas manifestée qu'à Seattle, comme nous le savons tous. Il y a également eu des affrontements à Washington et à Windsor, et un peu aussi à Calgary cette semaine. C'est dans le droit fil des affrontements que nous avons pu constater à l'occasion des sommets populaires qui ont eu lieu parallèlement aux réunions des leaders de l'APEC au milieu des années 90, de même que de la campagne virtuelle, qui selon certains aurait contribué à faire échouer l'AMI.

• 1020

J'aimerais faire ressortir deux choses à propos de cette collision. D'abord, les préoccupations d'un bon nombre des protestataires sont réelles et légitimes, et je ne préconise pas ici le recours au vandalisme, au pillage qui pourrait causer des dommages aux biens ou des préjudices. Il faut considérer ces préoccupations pour ce qu'elles sont, elles ne vont pas disparaître d'elles-mêmes. Mais ce qui me préoccupe c'est qu'on assiste en grande partie à un dialogue de sourd entre les chefs d'État et les protestataires.

Deuxièmement—je travaille beaucoup dans le domaine de la politique étrangère canadienne, et je pense que c'est intimement lié—, le programme de la sécurité humaine doit être poussé, il me semble, à son aboutissement logique et il faut tenir compte à la fois de son caractère éminemment holistique, qu'on n'a pas encore vraiment saisi, à mon avis, dans le programme de la sécurité humaine, ainsi que de la consultation et de la démocratie.

Je vais d'abord essayer de présenter un aperçu très schématisé de deux thèmes communs que je dégage et que certains de mes étudiants diplômés ont aussi constatés en observant les contestations relatives à la mondialisation.

Deux thèmes communes ressortent des contestations. D'abord, la nécessité d'un contrôle accru de l'État. Les contestataires, qui se servent de différents langages, parlent de la nécessité de renforcer la souveraineté, qui à leur sens a été érodée par la mondialisation.

Ce n'est pas que le contrôle de l'État soit une bonne chose en soi, et non pas même parce qu'on veut retourner à une certaine idée de l'État providence au sens keynésien, bien que certains le pensent, mais parce que l'État est, du moins jusqu'à maintenant, le meilleur dépositaire de—et j'aborde ainsi mon deuxième thème—la démocratie.

On voit donc ressortir deux choses. Il y a une érosion du contrôle de l'État, et c'est un problème, parce que c'est une érosion de la démocratie et de toutes ses possibilités, depuis la protection des droits de l'homme jusqu'à la protection de l'environnement et ainsi de suite. L'ironie, bien sûr, c'est que ce n'est pas très différent de ce que la plupart des États, et certainement l'État canadien, prétendent vouloir—c'est-à-dire, un contrôle accru de l'État sur certains de ces processus et davantage de démocratie. Alors pourquoi y a-t-il collision? En partie, il me semble, c'est une collision des perceptions, mais la perception ce n'est pas quelque chose qu'on peut jeter par-dessus bord; la perception c'est la façon dont nous comprenons le monde et la façon dont nous y agissons.

Je reviens à la description que donnait M. Pettigrew du monde des États traditionnels qui constitueraient l'ancien monde, et il décrivait les protestataires comme constituant le nouveau monde mondialisé. La perception des protestataires selon laquelle ce monde des États serait un monde traditionnel... je veux dire, ils ne le ressentent pas ainsi. Les États, par l'intermédiaire d'organisations internationales, ont facilité et permis la restructuration économique, qui est synonyme de mondialisation. À cet égard, les États sont les moteurs politiques de la mondialisation, et les organisations internationales, comme l'OMC, le FMI et la Banque mondiale, sont les architectes de ce processus, non pas des acteurs qui essaient de le diriger ou de s'en accaparer.

Autrement dit, bien qu'ils puissent reconnaître qu'un État se trouve à la merci de l'économie mondialisée, on se montre beaucoup plus sceptique—à juste titre, dirais-je—face à cette idée que la somme des États, tels que représentés par les institutions de Bretton Woods et d'autres, sont des observateurs innocents, soit intentionnellement soit par hasard.

La perception de ces institutions en tant qu'architectes est renforcée, il me semble, par les allégations que l'on constate dans la presse et dans la plupart des discours sur l'impuissance des États que prononcent divers ministres. On le constate dans de nombreux discours, où on nous dit que les États sont tout autant des victimes de ces processus que peuvent l'être les citoyens—«ce n'est pas de notre faute mais nous devons bien y faire face, nous devons y réagir.»

La mondialisation présente des inconvénients. Nous les connaissons bien. Mes collègues en ont mentionné certains—la marginalisation, des violations constantes des droits et de l'environnement, et tout ce qu'on peut imaginer d'autre. Parce que la restructuration économique mondiale entraîne ces choses, des groupes essaient de trouver un visage à la mondialisation, une certaine structure de reddition de comptes, à qui ils pourraient présenter leurs doléances. Leurs gouvernements disent: «Ce n'est pas notre faute; nous sommes tous autant victimes de ces processus que vous l'êtes vous.» Alors à qui d'autre peut-on exprimer ses doléances? On choisit les institutions, les institutions financières internationales, et de plus en plus n'importe quelle institution mondiale, parce qu'elles semblent être les seules à formuler les règles de la mondialisation.

Le paradoxe tient au fait que les protestataires considèrent les règles comme des règles qui facilitent la mondialisation du capital—et c'est le contrôle du monde des affaires sur ces processus massifs—alors que les États considèrent que ces règles permettent de rendre la mondialisation plus transparente et par conséquent plus prévisible et elle devient par conséquent une source peut-être de contrôle indirect pour les États. On assiste ainsi à une analyse contradictoire.

• 1025

La réalité, c'est que personne n'a tout à fait tort ni tout à fait raison, parce que la cause et l'effet se confondent. Mais comme chaque camps voit la question de son propre point de vue—d'une part, on estime que les organisations internationales visent à faciliter la mondialisation, et d'autre part, on estime que les organisations internationales contribuent à définir les règles de la mondialisation et par conséquent augmentent la prévisibilité et la transparence et peut-être aussi le contrôle—, ce qui fait qu'il est incroyablement difficile d'entamer un dialogue.

Chaque camps voit l'autre comme représentant les forces de la mondialisation, qu'il s'agisse d'institutions qui rédigent les règles pour la faciliter ou qu'il s'agisse de la société civile ou d'ONG reliés par Internet, là où les frontières n'ont plus d'importance et où l'on peut mobiliser instantanément des protestataires.

Ce dialogue de sourd, il me semble, est en partie dû au fait que les deux camps ont raison, et on a du mal à renoncer à ses positions.

L'autre problème, bien sûr, c'est celui de la démocratie. Je pense que c'est un problème clé. Dorval Brunelle l'a très bien dit. Je pense qu'il a parfaitement raison. Les États, y compris l'État canadien—par exemple, on le voit très bien dans les discours qu'on prononcés MM. Martin et Pettigrew—soutiennent que la démocratie est respectée, parce que dans le cas de l'État canadien, le gouvernement canadien est élu démocratiquement. Il a un rôle et une voie dans ces organisations internationales, et les processus nationaux de contrôle démocratique, y compris la comparution devant des comités et le fait de répondre à des questions posées à la Chambre des communes, sont des mécanismes appropriés et suffisants, et si les gens n'aiment pas ce qui se passe ils peuvent exprimer leur choix démocratique à l'élection suivante.

Pour les protestataires, la notion de démocratie présentée dans ces discours ne correspond pas au langage qu'emploient les gouvernements et leurs ministres pour expliquer la mondialisation—c'est-à-dire, que le gouvernement n'est pas responsable, qu'il n'y a pas lieu de le blâmer, de lui reprocher certains effets néfastes, et que ce ne sont là que les exigences de la concurrence mondiale, à laquelle les États doivent s'adapter dans un environnement mondial.

Parce que cet argument semble sensé, même pour les protestataires, c'est-à-dire que le processus dépasse l'État canadien, alors ce qui doit être démocratiquement accessible, directement, c'est la tribune où l'on rédige les règles de la mondialisation de l'économie—l'OMC, le FMI, la Banque mondiale, pour ne nommer que ceux-là.

Les problèmes sont énormes, et je n'ai pas de solutions miracles à proposer. Nous commençons lentement, dans certaines tribunes de l'ONU, qui ont été marginalisées, comme l'a dit Dorval Brunelle, à penser à des modèles de participation des ONG, mais cette participation s'accompagne de tout un ensemble de problèmes et de contradictions, surtout en ce qui concerne la reddition de comptes qui doit s'effectuer de façon démocratique.

Nous parlons en somme de possibilités différentes pour la démocratie, au sein ou au-delà de l'État-nation. Avec une économie transnationalisée, les pressions s'exercent de plus en plus pour qu'on réfléchisse à ce que pourrait être une démocratie transnationalisée et ce à quoi elle pourrait ressembler.

Mon deuxième point a trait à la sécurité humaine...

Le président: Je m'inquiète un peu, madame, parce que nous allons manquer de temps pour les questions.

Mme Claire Turenne Sjolander: Je n'en ai plus pour très longtemps, je vous le promets.

Le président: Très bien. Nous allons demander à l'intervenant suivant de s'en tenir à dix minutes pour que nous ayons du temps pour les questions.

Mme Claire Turenne Sjolander: Mon deuxième point a trait à la sécurité humaine, parce qu'à bien des égards, l'État canadien a été à l'avant-scène des consultations avec les ONG, en tout cas certainement en ce qui concerne le programme de la sécurité humaine, de même qu'en ce qui a trait à la fameuse interdiction des mines antipersonnel. Ce programme est louable à de nombreux égards mais présente diverses lacunes. La plus importante, à mon sens, tient au fait que le programme n'est pas lié à la restructuration économique qu'entraîne la mondialisation et ne tient pas compte des conséquences pour les vies humaines. Il n'est pas explicitement lié au développement ni au commerce, et je pense qu'il doit absolument l'être. Il nous faut commencer à réfléchir à ces choses de façon holistique.

Bien qu'il puisse être vrai, par exemple, que les individus doivent être à l'abri du fléau du trafic des stupéfiants, comme certains d'entre vous ont pu le voir avant hier à l'émission The National, le paysan du sud-ouest du Mexique a besoin d'un mode de vie économiquement durable, ce qui n'est pas chose facile dans le contexte de mondialisation actuel. Étant donné les conditions du marché, le paysan touche quatre fois plus du producteur d'héroïne pour ses pavots que s'il produisait du maïs. Or sans cette base économique, le programme pour la sécurité humaine, qui ne se concentre que sur d'étroites questions de sécurité, passe il me semble à côté de l'essentiel.

Je termine en disant que si l'État canadien veut s'attaquer sérieusement à cette question, malgré les innombrables difficultés qu'elle présente, le programme de la sécurité humaine, qui est un des éléments de la réalité de l'après-guerre froide, doit être élargi pour inclure la deuxième partie, soit la mondialisation, et les liens intrinsèques qui existent entre la sécurité humaine et la restructuration économique. Les consultations, qui viennent tout juste de commencer en matière de sécurité humaine, doivent aussi porter sur le programme économique, mais il ne s'agit pas que de s'adresser aux ONG, il faut aussi penser de façon significative à la démocratie.

• 1030

Le président: Merci.

Je ne sais pas comment M. Axworthy va accueillir votre suggestion d'élargir son champ d'activité déjà assez compliqué.

Madame Visano.

Mme Brenda Spotton Visano (professeur, témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Pour faciliter la tâche des interprètes, je vais lire mon texte.

Tout d'abord, je tiens à remercier le comité et son personnel de me donner l'occasion de vous parler de mondialisation dans le contexte financier ainsi que des défis qui en découlent.

Dans le peu de temps qui m'est accordé, je ferai quelques observations générales sur la mondialisation et la concurrence puis je parlerai de ces généralités dans le contexte de certains développements financiers spécifiques qui intéressent le comité.

La mondialisation est un mot qui revêt de multiples significations et qui a des connotations politiques. La mondialisation renvoie à des développements comme l'intégration économique internationale accrue ou l'intégration sociale accrue, ou les deux. Parfois, on semble s'en servir pour parler de l'homogénéisation croissante des cultures.

Trop souvent, toutefois, on l'invoque par euphémisme pour promouvoir les intérêts de ceux qui cherchent des marchés exempts de surveillance et de réglementation. Ce raisonnement—que j'abrège pour en faire ressortir la contradiction inhérente—équivaut à faire du lobbying pour la cause de la coopération internationale afin d'encourager l'accès aux marchés parce que la coopération internationale va promouvoir la concurrence internationale.

Nous ne devons pas encourager la concurrence au point de nuire à la coopération. Nous pouvons bénéficier des avantages de la spécialisation et du commerce grâce à des efforts de coopération judicieusement ciblés. C'est tout aussi évident en matière de finance que dans tout autre contact international.

Le ministre des Finances, l'honorable Paul Martin, lorsqu'il a comparu au comité, établissait un parallèle entre l'état actuel du système financier international et une partie de hockey sans règles ni arbitres. On en déduisait implicitement qu'une fois les règles et les arbitres en place, la partie se déroulerait à l'avantage de tous, participants comme spectateurs. Je ne suis pas d'accord.

Pour promouvoir la croissance et le bien-être, la concurrence et les échanges axés sur les prix, on a besoin de davantage que de règles et d'arbitres. Si nous voulons avoir le moindre espoir de promouvoir la croissance et le bien-être, il nous faut une répartition raisonnable et équitable des ressources avant même d'entreprendre le match.

Imaginez, par exemple, qu'une équipe a accès à toutes les ressources, y compris des joueurs de talent qui ont tout le temps nécessaire pour s'entraîner et tout le matériel qu'il faut. L'autre équipe, au contraire, n'est qu'un groupe d'amateurs sans matériel, sans connaissance de la façon dont le jeu se joue et sans temps pour s'entraîner. Peu importe si les règles sont efficaces, le match est gagné avant même de commencer. Il n'y a pas de match. Il n'y a pas de concurrence. Il y a toutefois un terrain de collaboration possible dans la mise en commun des ressources pour encourager un tournoi juste et intéressant.

À partir du moment où le chronomètre se met en marche, il nous faut des règles et des arbitres, c'est vrai, mais il nous faut des arbitres qui aient le match bien en main et qui disposent de sanctions efficaces pour punir ceux qui contreviennent aux règles. S'il n'est pas possible de suivre l'action des joueurs, les arbitres ne peuvent pas faire leur travail. Les règles sont inutiles. Il est probable que les puissants et les sans-scrupules domineront, et l'absence de sanctions efficaces destinées à punir un comportement déviant—ou pire, en présence de sanctions qui récompensent ce genre de comportement—, c'est l'anarchie qui règne.

Si l'on passe de la métaphore aux finances mondiales, cela signifie qu'il faut chercher à obtenir davantage qu'un ensemble de règles qui régissent l'action des marchés financiers internationaux et leurs joueurs. Nous devons chercher des moyens directs et indirects d'uniformiser les règles du jeu. Il faut chercher des moyens d'améliorer la capacité des contrôleurs de suivre l'activité financière ainsi que de promouvoir efficacement l'application de sanctions en cas de comportement déviant, c'est-à-dire des sanctions proportionnées à la contribution de chacun aux coûts de risques excessifs.

Certes, certains de ces objectifs ne relèvent pas du mandat immédiat du comité, mais certains d'entre eux cadrent tout à fait avec. Dans le court terme, il est possible d'assurer des chances égales sous la forme d'un accès élargi et équitable aux services financiers internationaux. À long terme, il faudrait s'employer à réduire l'écart important entre les riches et les pauvres.

Avant d'en dire davantage sur la question, permettez-moi de situer dans le cadre de l'élaboration des politiques le «trilemme» auquel fait face le comité. Aux fins de l'exemple, je vais illustrer un cas extrême. Vous avez le choix entre promouvoir l'État-nation autonome, l'intégration avec les autres économies nationales et la saine gestion publique de l'économie. Le trilemme—une sorte de dilemme en trois dimensions—est que vous pouvez choisir au plus deux de ces trois objectifs. Dans l'élaboration d'une bonne politique, vous devez choisir entre l'État-nation autonome ou l'intégration avec d'autres économies nationales, mais non les deux.

• 1035

Dans le secteur des services financiers, en posant pour hypothèse l'intégration internationale des marchés financiers et la décision de votre part d'élaborer une politique en fonction de ces développements, vous devez ensuite vous penchez sur les politiques financières internationales, en abandonnant la perspective de l'État-nation autonome et ses objectifs connexes. Le rôle du Canada, autrement dit, est celui de leader dans l'élaboration d'un système financier international bien réglementé qui se situe en parallèle—pour mieux le surpasser—par rapport au système financier canadien connu pour sa qualité, sa stabilité et son accessibilité.

Le défi du comité est de trouver des politiques qui se situent entre les options rivales d'un commerce mondial plus juste des services financiers et la gestion efficace des services financiers publics. Ce défi est particulièrement difficile à relever. Notre compréhension traditionnelle et bien ancrée de ce que l'on entend par les services financiers est compromise considérablement par le développement des technologies de communication de l'information.

Jamais auparavant dans l'histoire des marchés financiers occidentaux n'y a-t-il eu des changements technologiques qui influent simultanément sur la structure, le fonctionnement et le contenu de ces marchés. Ces dernières années, le Canada a été témoin de l'estompage des lignes de démarcation entre les quatre piliers traditionnels de l'industrie des services financiers. À une époque, les compagnies d'assurance ne s'occupaient que de l'assurance de choses et d'assurance-vie. Les banques commerciales, de prêts à court et à moyen terme, etc., alors que maintenant nous avons une unique superstructure financière.

Mais le processus de changement n'a pas été interrompu. Jusqu'à tout récemment, les services financiers, malgré leur degré d'intégration, étaient exclusivement et clairement des services financiers offerts par une compagnie financière dotée d'une charte nationale et réglementée comme telle. Ces dernières années, nous assistons de plus en plus à l'estompage graduel et clair des services financiers et non financiers. Alors qu'à une certaine époque c'était une entreprise financière à charte qui offrait des services et des produits financiers, aujourd'hui ce peut très bien être une compagnie de logiciels non réglementée ou une compagnie Internet ou simplement un réseau de services Internet connectés.

Il est bien connu que le mandat du comité au sujet des développements du secteur financier repose sur le fait que la stabilité financière est nécessaire à la stabilité économique. À cet égard, les développements récents actuellement à l'étude par divers comités financiers internationaux constituent un phénomène que le comité devrait suivre de très près.

S'assurer que les risques sont à la fois mesurés et suivis permettra dans une certaine mesure de promouvoir un système financier international plus stable, mais il faut également chercher des moyens d'empêcher l'effondrement systémique d'une façon qui ne repêche pas ceux qui ont créé la crise en prenant des risques excessifs. Ces mesures améliorées permettraient de promouvoir un système financier international juste.

Des développements récents dans le secteur financier laissent deviner toutefois un rôle plus actif pour le comité. Songez un instant, à titre d'exemple, aux possibilités d'investissement en ligne rendues accessibles par les logiciels et les services Internet d'entreprises non financières. La possibilité de négocier des titres directement sans l'intervention d'un courtier—ce que permettent des logiciels qui offrent le jumelage électronique en temps réel et instantané d'ordres d'achat—est actuellement disponible et la demande est croissante.

Mais les entreprises non financières qui fournissent l'équivalent logiciel et électronique de services de courtage ne sont réglementées par aucun contrôleur financier. Toute nouvelle loi pouvant venir de ces comités qui est créée par ceux qui ont des opinions plus traditionnelles et rigides de l'industrie des services financiers risque de fermer les yeux sur un trop grand nombre de ces développements périphériques mais de plus en plus importants.

Parce que ces transactions font souvent fi des frontières nationales, la responsabilité de contrôler et de promouvoir la réglementation internationale—ou même la coordination nationale—de ces compagnies et de ces activités quasi financières relève clairement du mandat du comité. Il est possible, je crois, pour le comité d'exercer un contrôle et un leadership améliorés dans la réglementation des services financiers électroniques internationaux.

• 1040

Il faut tenir un débat public sur ces développements pour promouvoir efficacement la stabilité, la rigueur et l'accessibilité du système financier international. Ce n'est que de cette façon que nous pourrons égaliser les chances d'une manière qui encourage vraiment la croissance et la répartition équitables de la richesse mondiale.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Visano. Cela ressemble à une invitation à empiéter sur le territoire du comité des finances. Nous allons voir ce que nous pouvons faire.

Merci.

Je devrai limiter à 20 minutes la période de questions parce qu'un autre groupe important de témoins s'en vient. Malheureusement, nous avons dû ce matin prévoir une liste assez longue de témoins. Je sais que les gens veulent poser des questions mais peut-être pouvons-nous tenir des tours de cinq minutes et voir jusqu'où ça nous mène.

Monsieur Grewal, avez-vous des questions à poser?

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Alliance canadienne): Je serai très bref, monsieur le président. Tout d'abord, merci. Je souhaite la bienvenue aux témoins au comité. J'ai beaucoup aimé leurs exposés universitaires et qualitatifs.

Je n'ai que deux questions. Premièrement, quel est le défi le plus important que les témoins voudraient signaler au gouvernement canadien face à la mondialisation, surtout en ce qui concerne l'élaboration de politiques internationales qui porteront sur les effets de la mondialisation?

Également, dans quel secteur stratégique le comité devrait-il concentrer ses efforts s'il décide de pousser plus avant ses études, et pourquoi?

M. Campbell a dit que le ministre des Finances devrait préconiser des changements structurels au FMI. Pouvez-vous nous dire de quels changements structurels il s'agit?

Voilà mes courtes questions pour mes cinq minutes.

Le président: Bruce.

M. Bruce Campbell: Puisque c'est de moi qu'on a parlé, je vais commencer, brièvement.

Je voulais parler des politiques d'ajustement structurelle du FMI qui ont été imposées aux pays débiteurs, surtout dans le tiers monde et dans les pays à économie émergente, au cours des vingt dernières années. Il y a une mentalité ou un cadre idéologique qui régit les politiques que le FMI et la Banque mondiale appliquent aux pays débiteurs en crise. On appelle parfois cela le consensus de Washington. C'est un ensemble assez simple de politiques qui sont appliquées à peu près systématiquement.

Les résultats ont été à peu près uniformément désastreux et ont aggravé les capacités et les potentialités économiques des pays auxquels elles ont été appliquées. Elles ont uniformément aggravé l'inégalité et la pauvreté et causé de graves dégâts, tout cela dans le but de permettre aux créanciers et aux États débiteurs de continuer le service de la dette.

Je dis donc qu'il y a eu un véritable défi lancé à l'orthodoxie de l'ajustement structurel, ou en tout cas un défaut dans la cuirasse, à la suite de la crise asiatique. Pour un certain nombre de pays, cela a visiblement exacerbé la crise. Un certain nombre d'entités économiques traditionnelles, y compris la Banque mondiale, ont formulé des critiques.

• 1045

Donc, la possibilité de contester cette orthodoxie en faveur d'un ensemble de politiques qui facilitent et autorisent la croissance et la distribution économique et le maintien des soins de santé et ainsi de suite, pour simplement permettre au développement d'aller de l'avant, est en train de changer la mentalité du FMI dont je parlais.

Le défi le plus important pour les pays est de conserver l'équilibre entre ce qui se passe mondialement et l'autonomie nationale pour poursuivre des objectifs nationaux, dans un monde où la puissance des entreprises transnationales menace vraiment la capacité des pays de poursuivre leurs objectifs nationaux dans l'intérêt public général.

Merci.

Le président: Il reste environ 30 secondes dans ce domaine. Quelqu'un veut-il répondre à la question de savoir quel est le défi le plus important?

[Français]

M. Dorval Brunelle: J'aimerais dire deux mots là-dessus.

[Traduction]

Le président: Pouvez-vous faire court?

[Français]

M. Dorval Brunelle: Oui.

[Traduction]

Le président: M. Brunelle, puis M. Allmand.

[Français]

M. Dorval Brunelle: Je crois, monsieur, que c'est la mauvaise façon de poser le problème. Il n'y a pas qu'un seul objectif ou un seul enjeu. Pour qu'un gouvernement fasse ce que les gouvernements sont censés faire, il doit mettre en application les normes qu'il signe. C'est tout. Si le gouvernement a signé le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qu'il l'applique à l'interne comme à l'externe. À ce moment-là, il ne sera pas critiqué à l'externe pour ne pas l'avoir appliqués, comme c'est arrivé récemment. Et s'il le promeut ici, il peut se permettre de le faire à l'extérieur. C'est tout, mais c'est déjà énorme.

[Traduction]

Le président: Monsieur Allmand.

M. Warren Allmand: Je suis d'accord avec M. Brunelle et je pense qu'il y a beaucoup de défis, mais l'un des plus importants pour M. Martin et le gouvernement canadien est de répliquer à la réaction ridicule que nous entendons de beaucoup d'acteurs étatiques—les ministres des Finances et les ministres du Commerce extérieur—qui disent que les investissements commerciaux et les financements internationaux n'ont rien à voir avec les droits de l'homme, les normes du travail et les normes environnementales. Cette position d'un grand nombre de ministres des Finances et du Commerce extérieur doit faire l'objet d'une réplique et être rejetée, ce qui n'a pas encore été fait.

Le président: D'accord.

Nous allons passer à M. Tremblay.

[Français]

M. Stéphan Tremblay: Ma question s'adresse à tous les interlocuteurs. D'abord, je voudrais les remercier d'être ici, mais je voudrais aussi leur demander de nous excuser de leur avoir donné si peu de temps pour s'exprimer sur une question aussi vaste. C'est presque gênant que nous vous laissions à peine 10 minutes pour parler de la transformation sociale, voire même de la révolution que nous vivons actuellement.

Mes cours d'histoire m'ont appris que des gens se sont battus et sont morts pour préserver la démocratie. Or, vos discours semblent contenir une constante, à savoir que nous vivons une époque où la démocratie s'effrite et est même gravement menacée. Certains d'entre vous ont même parlé du rôle que nous, parlementaires, avons à jouer.

À mon avis, si la démocratie est menacée, c'est que nous ne sommes plus vraiment en démocratie. Je vous poserai donc la question suivante. Doit-on dorénavant accorder la priorité aux effets de la mondialisation sur la démocratie, par exemple à l'impact de la «financiarisation» sur les droits de la personne et sur la représentation des citoyens? N'est-il pas ridicule d'en discuter aujourd'hui seulement dans le cadre d'une table ronde?

Comme parlementaires, notre rôle est-il de hiérarchiser, de prioriser la question de l'impact de la mondialisation sur l'autonomie des États? Si l'autonomie des États est menacée, il me semble qu'il sera de plus en plus difficile de maintenir la cohésion sociale.

C'était, au point de départ, le sujet d'étude qui avait été proposé à ce comité. Je vous rappellerai que 50 000 citoyens ont signé une pétition proposant que se tienne une réflexion en profondeur sur le sujet. Depuis deux ans et deux mois, je demande qu'une telle réflexion soit menée, et c'est avec regret que je dois constater que nous ne faisons aujourd'hui qu'une brève réflexion de deux heures.

Selon vous, est-ce que le gouvernement et les parlementaires, pas seulement ceux d'ici mais ceux d'ailleurs dans le monde, ont un rôle à jouer dans ce contexte de mondialisation? Devrions-nous prioriser cette question le plus tôt possible et lui donner un caractère d'urgence?

• 1050

Une voix: C'était un discours.

Le président: Un discours et une question. Est-ce que vous avez des réflexions sur cette observation de M. Tremblay?

Mme Claire Turenne Sjolander: La réponse courte est oui. Ça résume tout.

Je pense que c'est essentiel sur au moins deux plans. Premièrement, j'ai retenu de mes études sur la démocratie que c'est encore l'État-nation qui est le lieu privilégié où peuvent s'exprimer la voix et la volonté démocratiques. On a énormément de problèmes à définir les modalités d'application d'une démocratie transnationale.

Je ne trouve pas pertinent, et là-dessus je suis complètement d'accord avec M. Allmand, que des ministres du Commerce ou des Finances déclarent que le commerce international n'a rien à voir avec les droits de la personne, avec la dégradation environnementale ou avec la société civile dans toute sa complexité. Le commerce international a, au contraire, tout à voir avec ces domaines.

Je pense donc que la réponse courte est oui. Pour moi, c'est une priorité, et la rupture du tissu social risque d'être grave.

[Traduction]

Le président: Monsieur Allmand.

M. Warren Allmand: Très brièvement, la démocratie est menacée sur plusieurs fronts. La démocratie, c'est bien davantage que des élections libres et justes. Cela inclut également la répartition équitable de la richesse. Cela inclut le respect intégral des droits de l'homme. La majorité qui remporte les élections doit s'assurer que la minorité qui ne jouit pas du pouvoir politique est elle aussi protégée.

À cause de la mondialisation, du commerce et des investissements dans les institutions financières, le fossé entre les riches et les pauvres est en train de devenir... Non seulement les institutions politiques comme les Parlements perdent leur pouvoir, mais il y a de plus en plus de pauvreté dans les populations du monde.

Au fait, la richesse s'accroît, mais la répartition de cette richesse se fait de plus en plus mal. Il y a aussi une attaque contre la démocratie, parce que la démocratie signifie que la richesse doit être répartie plus équitablement. Nous régressons au lieu d'avancer.

Je pense que M. Campbell a dit la même chose dans son intervention.

[Français]

Le président: Monsieur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: Je pense qu'il faut prendre au sérieux le constat qui est fait un peu partout, même chez les Européens, à savoir que nous vivons en déficit démocratique. Il faut vraiment prendre ce constat au sérieux. Il nous parvient de tous les horizons et il faudrait peut-être essayer de voir comment inverser la tendance qui a mené à cette situation. Il en a été question ce matin, et je ne reviendrai pas là-dessus.

Trois choses me semblent essentielles. L'information ne circule pas. Essayez de savoir ce qui se passe dans l'intégration des Amériques. Je vous mets au défi d'y arriver. Il y a pourtant des enjeux centraux qui se jouent là.

Deuxièmement, il est quand même assez curieux, alors qu'on est censés être plus démocratiques, qu'il n'y ait jamais eu autant de clandestinité. J'entends par clandestinité le fait que des accords très importants sont négociés de connivence avec, par exemple, les gens d'affaires. Ceux-ci ont trop d'importance dans la négociation des accords commerciaux ou, s'ils n'en ont pas trop, il faudrait y faire contrepoids.

Troisièmement, je pense qu'on est en train de perdre un espace d'échange d'idées avec tout ça. Il n'y a pas d'espace réservé à la discussion. Il y a place pour les manifestations, et il y en a beaucoup—on en fera d'autres d'ailleurs—, mais il n'y a pas d'espace de discussion. Or, je pensais jusqu'à maintenant que les parlements et les assemblées, entre autres, étaient des espaces de discussion. Cependant, ce n'est pas suffisant. Voilà.

[Traduction]

Le président: Il faudra enchaîner, parce que nous essayons de nous en tenir à cinq minutes.

Monsieur Gruending.

M. Dennis Gruending (Saskatoon—Rosetown—Biggar, NPD): Merci, monsieur le président.

J'aimerais poser des questions à chacun d'entre vous, mais il est évident que nous n'avons pas le temps. Un autre groupe attend. Je vais donc poser ma question au professeur Sjolander.

Vous avez dit que les manifestations comme celle de Seattle montrent que les gens veulent que les organisations internationales soient plus accessibles parce qu'elles ont de plus en plus d'influence sur nous. Je me demandais si vous pourriez pousser un peu plus loin votre raisonnement et nous dire quel genre d'organisation pourrait offrir cela. Je pense à deux choses.

Comme parlementaires, nous avons souvent le sentiment d'être impuissants et les groupes de citoyens de la société civile ont le même sentiment. D'après vous, quelle sorte de modèle pourrait nous offrir plus de démocratie et de clarté sur le plan national et international?

• 1055

Mme Claire Turenne Sjolander: Je n'ai pas de modèle en tête. Je pense que c'est quelque chose qui est en voie de réalisation. Nous voyons les efforts de l'Union européenne pour rendre le Parlement européen plus représentatif et étendre ses pouvoirs. Cela avance très lentement. Organisation tout à fait marginale au début, elle a aujourd'hui un peu plus de pouvoir et en aura peut-être davantage avec le temps, mais le chemin sera long.

Il y a deux choses je crois qui faciliteraient le processus. D'abord, plus de transparence, une plus grande circulation de l'information pour que ces institutions et leurs processus de prise de décision soient mieux compris et que l'on sache bien ce qui est dit à quel endroit.

Il n'est pas suffisant à mon avis que le ministre Martin dise au comité: «Eh bien, c'est démocratique parce que je suis élu et parce que je suis un des gouverneurs et qu'il s'agit donc d'un processus démocratique.» À quoi bon si les gens ne comprennent pas ce qui se passe dans ces institutions ou quels mécanismes actionnés dans leur propre gouvernement pour se faire entendre. La circulation de l'information est donc quelque chose d'important qu'il faut examiner.

La concomitante ici, c'est que je pense encore que les gouvernements nationaux et les parlements nationaux sont le meilleur endroit où ces choses ont besoin d'être exprimées. C'est donc dire que les liens entre les gouvernements nationaux et l'autorité des gouvernements nationaux à l'intérieur des organisations internationales et ces processus de prise de décision doivent être compris. Ils doivent être plus transparents et les parlementaires doivent être plus présents.

Je pense que c'est là qu'il faut commencer. Commençons par les structures institutionnelles existantes.

M. Dennis Gruending: Vous dites donc que les institutions parlementaires canadiennes doivent être plus accessibles et plus transparentes, ce qui reprend je crois certains propos de M. Mills et d'autres parlementaires, comme M. Turner, récemment.

Mme Claire Turenne Sjolander: Oui.

Le président: Merci.

Madame Marleau.

Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): C'est un grand dilemme pour nous tous. Comment peut-on instaurer la démocratie au niveau mondial?

Il faut faire de tout petits pas, dont l'un est évidemment la création de la Cour pénale internationale. C'est un tout petit début, mais il faut beaucoup plus de ce genre de mesures au niveau mondial.

J'ai entendu certains propos de M. Campbell à propos de la façon dont les pays en développement sont traités sur le plan de la restructuration avec le FMI et les institutions de Bretton Woods, mais vous ne pouvez pas dire simplement que l'on va effacer systématiquement toutes les dettes alors qu'il y a dans ces pays dix familles peut-être qui contrôlent tout l'argent et ont toute la richesse et tout le pouvoir, sans changer cette structure-là à ce niveau-là aussi.

Alors, même s'il faut être prudent quant à la manière de s'y prendre, il faut forcer les pays à se doter des institutions qui permettront à la population de profiter de la richesse qui existe dans ce pays. Nous voyons ça tout le temps—tout comme la crise financière asiatique.

Quiconque a examiné ce qui s'est passé dans ce pays sait que les systèmes bancaires étaient scandaleux. Ils prêtaient de l'argent sans se faire rembourser, à des amis, etc., et à la fin personne n'a dit quoi que ce soit tant que tout le monde faisait de l'argent.

Comment vouliez-vous que nous, ici au Canada, nous obtenions l'information et la transmettions à la population? C'est vraiment un problème que d'informer la population sur ce qui se passe dans certains de ces pays, et cela peut avoir de grands effets sur nos portefeuilles, de même que sur ceux des gens qui vivent là et qui sont extrêmement pauvres.

De plus, les médias cherchent maintenant à s'enrichir; ils ne visent plus à informer la population. L'information se résume au sensationnalisme, et ça s'arrête là.

Que pourriez-vous nous suggérer pour renforcer les médias ou les agences de collecte d'information afin que la population et les parlementaires puissent vraiment disposer de renseignements leur permettant de prendre des décisions, et ensuite de formuler des recommandations?

M. Warren Allmand: Monsieur le président, très brièvement, on a demandé des modèles dont on pourrait s'inspirer. Quoique l'Union européenne soit loin d'être parfaite, elle a une avance sur d'autres organisations régionales du fait que, par exemple, pour devenir membre il faut respecter la Charte européenne des droits de l'homme. Nous avons vu que des pays de l'Est ont aboli la peine de mort et accepté de prendre d'autres mesures pour devenir membres.

• 1100

Il y a aussi une assemblée parlementaire—et je félicite le président qui réclame des assemblées parlementaires pour l'OMC et l'OEA. Je pense que ces choses sont faisables, et que le modèle européen est probablement bien plus en avance que les autres organisations commerciales régionales. Je dirais que certaines des choses que nous faisons et certaines de celles que la présidence essaie d'amorcer avec l'OMC et l'OEA sont tout à fait valables.

[Français]

M. Dorval Brunelle: Est-ce que je peux reprendre cette question?

Je pense que s'il est un lieu où l'information pourrait être rassemblée, c'est bien dans un parlement. Je trouve cette question un peu étonnante parce que si vous n'avez pas l'information, comment pensez-vous que nous pouvons l'avoir? Il faut trouver le moyen de casser ce complot, de casser ce secret.

Le sénateur américain Moynihan a fait, dans une livraison récente de Foreign Affairs, quelque chose de tout à fait étonnant. C'est cité par quelqu'un d'autre. Je ne peux pas donner mes références ici. Il a calculé qu'aux États-Unis, 62 p. 100 des documents publics sont à l'heure actuelle classés secrets. C'est plus que pendant les pires moments de la guerre froide. Donc, il y a un problème d'accès à l'information.

Je vais vous donner un exemple. J'ai cité tout à l'heure l'article 1023 de l'ALENA, qui a obligé la réouverture de la négociation sur l'inclusion des services le 31 décembre 1998. Depuis ce temps-là, bien sûr, une commission de l'ALENA a été mise sur pied. Elle a tenu sa cinquième réunion à Paris. Ils avaient le choix entre Mexico, Washington et Ottawa. Ils se sont dit qu'ils allaient tenir cette commission sur l'ALENA à Paris. Maintenant, vous le savez. À Paris, le comité a émis un communiqué qui dit ceci:

    Nous avons pris bonne note de l'avancement général du programme de travail de l'ALENA, qui recouvre les activités de plus de vingt comités ou groupes de travail, ainsi que de multiples organismes complémentaires associés.

Donc, au moment où on se parle, il y a 20 comités quelque part qui négocient l'extension des termes de l'ALENA. C'est quand même fort, non? Le saviez-vous? Qui sont-ils? Que font-ils? Est-ce qu'on peut avoir cette information-là? C'est quand même étonnant, non? Parmi les services qui sont pris en considération, il y a les services de santé et les services d'éducation, qui sont de compétence provinciale, soit dit en passant.

Donc, quand on parle de démocratie d'exécutif, ce n'est pas un slogan. C'est pour illustrer que des enjeux cruciaux sont traités par des comités au lieu d'être débattus en public, par des comités qui trouvent le moyen de se réunir à Paris, ce qui est tout à fait honorable, par ailleurs. C'est une ville agréable. Mais c'est quand même curieux.

Pendant que j'y suis, est-ce qu'on peut avoir le texte de l'accord de la ZLEA? Est-ce que vous avez le texte de l'accord de libre-échange qui est en train de se négocier entre les Amériques? On a eu accès au texte de l'AMI. Aussi secret qu'il ait pu être, on a eu le texte de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Maintenant, on risque de voir ce texte tomber sur une table l'an prochain, et personne ne le connaît. Il y aurait moyen de l'avoir.

[Traduction]

Le président: En fait, notre sous-comité du commerce effectue une étude sur la zone de libre-échange des Amériques. Le problème que pose la rédaction d'un texte c'est qu'il n'y a pas de texte tant qu'on ne s'est pas entendu sur celui-ci, et ce qu'on vise c'est que toutes les réserves et les propositions provenant de...

[Français]

M. Dorval Brunelle: C'est comme ça qu'on a eu l'AMI, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Trente-quatre pays négocient. Il faudrait connaître la position de négociation de chacun, mais malheureusement les attachés de recherche de nos bureaux n'ont pas une capacité illimitée d'absorber et de gérer cette information.

Je ne nie pas ce que vous dites, mais...

[Français]

M. Dorval Brunelle: Si vous êtes mal pris,

[Traduction]

nous vous l'obtiendrons.

[Français]

Le président: C'est très gentil.

M. Dorval Brunelle: Si vous êtes mal pris, on peut le demander à des collègues au Brésil.

Le président: Non, non. Quand on veut les textes, on peut toujours les demander ailleurs. Je le faisais lorsque j'étais professeur de droit international.

[Traduction]

M. Bruce Campbell: Puis-je ajouter quelque chose?

Le président: Très brièvement, parce que nous allons conclure cette partie de la séance. Nous empiétons sur le temps des autres.

M. Bruce Campbell: J'aimerais aborder l'un des points soulevés tout à l'heure. Oui, bien sûr, il y a de grandes disparités des revenus et de richesses entre ces pays du Sud; 450 milliardaires disposent d'autant de richesses que la moitié la moins riche de l'humanité. Et oui, en Amérique latine et en Asie, le nombre de milliardaires est passé de cinq à 125 environ. Il y a de grandes inégalités et elles s'accentuent. Dix pour cent de l'humanité disposent de 50 p. 100 du revenu de la planète, et pour ce qui est des richesses dont ils disposent c'est encore plus. Je dirais, et les faits le prouvent, que la disparité grandissante des revenus entre le Nord et le Sud est encore plus frappante. C'est ce qui est en train de se passer au Canada. On le voit partout.

• 1105

Dans les 20 à 25 dernières années, l'écart s'est accru en grande partie en raison d'énormes sorties de fonds affectés au service de la dette envers le Nord, dette officielle ou privée. C'est un important facteur qui explique la disparité croissante des revenus. Il faut en tenir compte quand on examine les politiques du FMI et de la Banque mondiale ainsi que l'adaptation structurelle. On veut inverser la tendance.

Le président: Merci beaucoup. Je tiens à remercier tous les participants. Je suis tout à fait d'accord avec M. Tremblay pour dire que c'est frustrant. Mais c'est le début, et non pas la fin. Nous essayons d'examiner s'il n'y a pas moyen pour nous d'examiner cette question et d'en tirer des conclusions utiles. Beaucoup de vos observations sont très éclairantes. Je pense que vous constaterez qu'un bon nombre de questions qui ont été soulevées ce matin l'avaient déjà été par le comité dans son rapport sur l'OMC, où nous avions essayé de faire le point sur un bon nombre de ces mêmes préoccupations. Nous revenons donc sur des sujets connus.

M. Allmand a mentionné que le comité réclame une participation accrue des parlementaires dans de nombreuses organisations internationales afin de tenir compte du déficit démographique dont a parlé M. Brunelle. C'est parmi tant d'autres, mais il st là. Je pense que M. Brunelle a très bien expliqué que si l'on doit participer, on doit être informé et assurer une participation éclairée. Ce sera un autre défi.

Demain, M. Pettigrew comparaît pour parler de la ZLEA. Les membres du comité auront l'occasion de l'interroger. Je ne sais pas si nous obtiendrons le texte car il s'agit de documents de négociation.

Merci beaucoup d'être venus comparaître. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Mesdames et messieurs, je vais lever la séance pour en ouvrir une nouvelle; nous accueillons M. Culpeper et M. Valaskakis. Poursuivons donc. Ne partez pas.

• 1108




• 1114

Le président: Nous allons reprendre nos travaux, mais en fait nous ne faisons qu'enchaîner. Les témoins ayant entendu le débat qui vient d'avoir lieu, ils savent où nous en sommes. Je vais vous accorder la parole dans l'ordre que vous occupez à la table. Je donne d'abord la parole à M. Culpeper, puis nous poursuivrons dans l'ordre indiqué.

M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud): Merci, monsieur le président. J'ai distribué un document aux membres du comité.

[Français]

Je crois qu'il a été traduit en français.

[Traduction]

Mais je ne vais que faire ressortir les points saillants et traiter de certains des points mentionnés au cours du débat de ce matin pour essayer de voir sur quoi le comité pourrait se concentrer au cours de son examen de la question.

• 1115

Comme M. Allmand, je pense qu'il est temps de cesser de se demander si la mondialisation est une bonne ou une mauvaise chose. C'est une fausse question, puisque le phénomène est à la fois bon et mauvais. Les pays et les populations du monde entier peuvent tirer des avantages d'un accès accru et ils profitent effectivement d'un meilleur accès aux débouchés mondiaux. Mais les avantages de la mondialisation, nous le savons tous, sont souvent inéquitablement répartis, et les marchés mondiaux entraînent aussi souvent dans leur sillage des bouleversements financiers, des perturbations économiques et sociales.

C'est pourquoi j'estime qu'il vaut beaucoup mieux se demander si les règles et les institutions actuelles qui régissent la mondialisation sont appropriées. Autrement dit, est-ce que notre système actuel de gouvernance mondiale favorise effectivement les bons effets de la mondialisation des marchés tout en en réduisant les mauvais?

[Français]

La réponse à cette question est non et c'est clair. Nos institutions et règlements actuels sont impuissants à prévenir de sérieuses crises financières et sont incapables de les contenir ou d'atténuer leurs ravages. Constatant les graves lacunes dans la gouverne globale, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G-7 ont enfin reconnu, au cours des crises des dernières années, qu'il fallait de toute urgence réformer l'architecture financière.

[Traduction]

Pour lancer les réformes, le G-7 a créé le Forum sur la stabilité financière, et en décembre dernier a constitué un nouveau groupe de 20 présidé par le ministre des Finances, l'honorable Paul Martin, qui a comparu ici il y a quelques semaines. Dans un bon nombre de mes observations, je me montrerai en fait assez critique de certaines des choses qu'il a dites et de la façon dont il a présenté ces réformes.

Parallèlement au G-20 et au Forum sur la stabilité financière, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d'autres organismes mondiaux sont en train de prendre diverses initiatives pour assurer une meilleure stabilité du système financier international.

Malheureusement, à en juger par l'ampleur des prétendues réformes à l'étude, il me semble que ces initiatives ne permettront pas de s'en prendre vraiment aux véritables sources de l'instabilité financière.

Permettez-moi d'exposer ce qu'il y a de bien dans ces initiatives et ce qui ne va pas. Pour être positif, disons que les pays du G-7 ont fait un effort manifeste et, je pense, dans l'ensemble, sincère pour inclure d'autres pays dans leurs délibérations. C'est très évident dans la création du G-20, organisme qui greffe d'autres pays au G-7: l'Argentine, le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, la Corée, le Mexique, l'Arabie saoudite, l'Afrique du Sud et la Turquie. Ce sont là en fait les pays en développement qui ont le plus de poids dans l'économie mondiale.

[Français]

Les initiatives mises sur pied à ce jour visent à renforcer le secteur financier des pays aux économies de marché émergentes. En accroissant la transparence et en aidant à mettre en place les règlements nécessaires afin d'éviter les emprunts trop risqués, ces initiatives réduiront la vulnérabilité à la spéculation et à la fuite soudaine de capitaux. C'est aussi, à mon avis, un objectif méritoire.

[Traduction]

Ce sont des pas dans la bonne direction, mais de tous petits pas.

Et pour ce qui est du côté négatif, il y a lieu de se demander—, et monsieur le président, c'est là l'une des choses les plus importantes que je vais dire—si les pays du G-7 sont vraiment décidés à céder le moindre pouvoir. Pourquoi, par exemple, a-t-on créé deux nouvelles entités—le Forum sur la stabilité financière et le G-20—plutôt qu'un seul? Pourquoi le G-7 n'a-t-il pas décidé de disparaître pour être remplacé par le G-20? L'essentiel de mes observations portera sur la gouvernance qu'exerce le G-7 sur l'économie mondiale et sur la façon de la changer.

Compte tenu de ce qui se passe, on est fortement enclin à penser que le G-7 veut rester maître de tout et chercher à damer le pion aux autres pays de façon sélective.

Le Forum sur la stabilité financière, par exemple, inclut toujours le G-7 et invite ponctuellement à ses réunions quelques autres pays dits systémiquement importants. C'est ainsi qu'à sa dernière réunion à Singapour en mars, l'Australie, les Pays-Bas, Hong Kong et Singapour étaient les seuls pays invités qui ne faisaient pas partie du G-7.

En outre, ces deux entités ont à mon avis un objectif très étroit et très technocrate. Il est tout à fait révélateur que le G-20 semble avoir un champ d'action encore plus étroit que le très sélect Forum sur la stabilité financière. Alors que le G-20 a décidé de se concentrer sur la transparence et les normes en matière de politique financière des pays en développement faisant partie des marchés émergents, le Forum sur la stabilité financière a entrepris une étude sur les fonds spéculatifs, la volatilité du marché des capitaux et les centres bancaires étrangers. Mais jusqu'à maintenant, il n'est ressorti que peu de choses de ce forum qui puissent modifier le statu quo. Par exemple, il a recommandé qu'on ne réglemente pas les fonds spéculatifs et qu'on n'impose pas de contrôle au mouvement des capitaux.

• 1120

Qu'est-ce qui manque à ce programme? D'abord, il se concentre dans une large mesure sur les victimes de la crise, ce qui est peut-être bien compréhensible, mais il devrait plutôt se concentrer sur les causes de la crise ou, si l'on préfère, sur les responsables de celle-ci. Pour corriger le déséquilibre, je pense que nous devons envisager les mesures qui influent tout autant sinon plus sur le comportement et la transparence des pays industrialisés et des investisseurs privés que sur les pays en développement. Par exemple, je crois à l'instar de M. Martin, qu'on devrait internationalement sanctionner la suspension des paiements pour le service de la dette des pays qui connaissent des crises financières dont ils ne sont pas responsables. On devrait imposer des règles de divulgation et une réglementation plus stricte en ce qui concerne les fonds spéculatifs très secrets et les banques qui les financent. Naturellement, bien sûr, des représentants du secteur privé et des membres du G-7 se montrent très hostiles à ces idées.

Deuxièmement, si nous voulons véritablement réformer la gouvernance financière mondiale, les politiques de tous les pays doivent pouvoir se prêter à un examen et à des changements dans l'intérêt de la communauté mondiale. Les plus gros et les plus puissants—les États-Unis, l'Union européenne et le Japon—ne sont assujettis à aucun examen de ce genre, pourtant leurs politiques ont des effets considérables sur le reste du monde. À l'autre extrémité, les pays les plus démunis devraient avoir voix au chapitre. Le G-20 ne reconnaît comme systémiquement importants que les plus grands des pays en développement. On affiche ainsi un mépris à l'endroit des problèmes qu'ont les plus pauvres, problèmes qui comptent pourtant parmi les problèmes les plus aigus du monde et qui méritent une part beaucoup plus importante de l'attention et des ressources internationales.

Le Canada peut jouer un grand rôle dans la réforme de la gouvernance mondiale. Diverses questions concernant le système financier mondial ne sont même pas abordées. Comme je le disais, nous avons déjà pris une position avant-gardiste en matière de suspension des paiements, malgré la résistance d'autres au sein du G-7 ainsi que du secteur privé. Se pose aussi la question de ce qu'on appelle le changement d'orientation de mission du FMI, qu'il faut examiner de près; par exemple, en mettant fin à son rôle d'agence de financement du développement. Mais en même temps—et cela vous étonnera peut-être un peu plus—je crois que ses véritables atouts doivent être renforcés; par exemple, en lui permettant d'émettre sa propre liquidité aux pays en crise. Je pourrai apporter des précisions au cours de la période de questions si vous le voulez. On ne traite pas non plus du système des taux de change, et j'aimerais bien qu'on ait un débat à ce sujet, d'autant plus que Tom Courchene est ici. Enfin, les pays en développement les plus pauvres et les plus petits doivent avoir voix au chapitre dans les grands conseils mondiaux, et ils ont besoin que des pays industrialisés comme le Canada se fassent leurs défenseurs pour faire avancer leur cause.

Pour conclure, je crois que les mesures prises l'année dernière pour réformer la gouvernance financière mondiale sont importantes, mais elles portent trop sur des aspects techniques et n'abordent pas les dossiers les plus épineux que les puissants intérêts des pays du G-7 accaparent. Il est tout aussi clair que le G-7 n'est pas prêt à renoncer au contrôle qu'il exerce sur le programme, même s'il reconnaît que ce programme doit être accepté par un nombre de plus en plus grand de pays s'il veut que ceux-ci exposent leur économie et leur société tant aux avantages qu'aux aléas de la mondialisation des marchés. Mais le G-20 représente néanmoins un fondement sur lequel le Canada peut s'appuyer pour commencer à faire en sorte que la gouvernance mondiale inclue davantage de participants et que la mondialisation s'avère plus équitable.

Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais simplement évoquer certains des éléments que le comité pourrait cibler dans son programme pour les prochains mois. Tout d'abord, il y a la refonte du FMI. Je trouve assez ironique que l'image de l'orientation future souhaitée pour le FMI a été presque exclusivement façonnée par les États-Unis et par la Commission consultative sur les institutions financières internationales, la Commission Meltzer, qui a tout récemment encore déposé son rapport. Il est grand temps que cette discussion s'internationalise davantage étant donné que le FMI est un organisme international.

En second lieu, il y a le régime du taux de change des devises. La dollarisation semble être au goût du jour, et l'Institut Nord-Sud va d'ailleurs tenir une conférence dans le courant de l'année pour déterminer si ce serait ou non une bonne chose. On entend beaucoup parler d'un éventuel moyen terme entre les taux de change flottants et les taux de change fixes. Mais parlons-en plutôt pendant la période des questions, si vous voulez bien.

Je suis intimement convaincu que le G-20 devrait avoir un programme beaucoup plus ambitieux. C'est Jeffrey Sachs qui disait il y a environ un an dans un article publié dans The Economist que le processus est aussi important que le produit.

• 1125

Comme vous le savez, le G-20 est habité par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales. Pourquoi le G-20 ne pourrait-il pas être un comité de chefs d'État, ce qui permettrait de mettre sur la table toutes ces préoccupations, qu'il s'agisse de l'instabilité financière, du système commercial, des droits de la personne et j'en passe? Finalement, c'est au niveau des chefs d'État que les décisions sont prises. Lorsqu'on a des comités qui sont essentiellement habités par des ministres des Finances et du Commerce, il est évident que ces comités vont surtout parler de questions financières ou commerciales. Je préconiserais donc, si tant est que nous voulons que le G-20 aboutisse à quelque chose, que celui-ci se réunisse au niveau des chefs d'État.

Enfin, il y a le rôle des organisations de la société civile au sein des institutions multilatérales. L'Institut Nord-Sud conduit actuellement une étude qui porte précisément sur ce rôle des organisations civiles au sein de l'OEA, du FMI, de la Banque mondiale et de l'OMC. Je pense qu'il y a des sujets qui méritent d'être étudiés de part et d'autre, parce qu'à mon avis les institutions multilatérales tout comme les organisations de la société civile ont, les unes comme les autres, intérêt à entretenir des relations qui leur soient plus mutuellement gagnantes que ce n'est le cas actuellement.

Monsieur le président, je vous remercie.

Le président: Merci à vous, monsieur Culpeper.

Madame Sreenivasan. Je pense que j'ai omis une syllabe.

Mme Gauri Sreenivasan (coordonnatrice des orientations politiques, Conseil canadien pour la coopération internationale): Vous vous en êtes très bien tiré, monsieur le président, et je vous remercie.

Je m'appelle Gauri Sreenivasan, et je représente ici le Conseil canadien pour la coopération internationale, un groupe de coordination qui réunit plus de 100 ONG canadiennes oeuvrant dans le domaine du développement. J'aimerais en leur nom vous remercier de m'avoir permis de comparaître devant vous ce matin.

Aux fins des discussions qui ont lieu ici au sujet de la mondialisation, je voudrais commencer par vous faire part des résultats d'un processus extrêmement intéressant auquel nous avons participé avec plusieurs de nos membres, en l'occurrence une série de forums publics permettant aux citoyens de discuter des problèmes de la mondialisation, de ce que le gouvernement canadien et la population devraient faire à ce sujet—il s'agit donc de discussions sur la mondialisation qui ont lieu entre profanes. Les résultats de ces discussions offrent à mon sens un point de départ intéressant pour permettre d'identifier ensuite à l'intention du comité quelques points de pénétration plus concrets en matière de politique canadienne, si tant est que le comité veuille se saisir des problèmes de la mondialisation dans le courant de l'automne.

Pour revenir à ces forums, le Conseil et ses membres en ont organisés plus d'une trentaine dans différentes régions du Canada. Dans chacun des cas, des citoyens représentant toute la société canadienne—gens d'affaires, jeunes, enseignants, étudiants—ont pu ainsi échanger leurs points de vue sur la mondialisation.

Contrairement aux débats plus polarisés qui dominent le discours public suscité par bon nombre de ces questions, ces forums ont donné la possibilité de valider certaines idées, mais également d'approfondir certaines zones d'incertitude. En discutant ainsi des différents choix et des différents compromis qu'on peut associer aux divers éléments de la mondialisation, les gens du commun parviennent à se faire eux-mêmes une meilleure idée de ce qui est le plus important pour eux, pour ensuite trouver un terrain d'entente à partir duquel des plans d'action peuvent alors s'esquisser.

Nous avons effectué des sondages d'opinions avant et après ces forums. Étant donné la réflexion à laquelle ces participants se sont livrés, nous avons le sentiment que les résultats du questionnaire qui leur a été remis après chaque forum représentent une opinion beaucoup plus pondérée que celle qui pourrait être obtenue par le truchement d'un sondage ponctuel sur le sujet de la mondialisation.

Certes, ces résultats ne sont pas entièrement représentatifs étant donné que quelques régions seulement étaient visées et qu'il n'y a eu que 30 sondages. Mais permettez-moi néanmoins de vous faire un rapide survol des constats que nous avons tirés de cet échantillonnage des opinions, des espoirs et des préoccupations des Canadiens au sujet de la mondialisation.

Pour commencer, les citoyens canadiens reconnaissent que la mondialisation a un impact majeur sur eux et sur leurs semblables dans le monde entier, et tout en admettant les bienfaits de la mondialisation, ils s'inquiètent néanmoins de la tournure que prend ce phénomène. Ainsi, ils s'inquiètent du fossé entre les riches et les pauvres et des nombreux effets de la mondialisation sur les économies et les collectivités locales. Ils affichent par ailleurs le sentiment très vif que des changements s'imposent, que les Canadiens et le Canada ne peuvent se permettre de laisser passer la mondialisation sans réagir, mais qu'il faut plutôt s'employer à faire en sorte que cette mondialisation se déroule de manière telle que ces valeurs canadiennes que sont la justice et l'égalité soient bien intégrées.

[Français]

De nombreux participants reconnaissaient la valeur de la concurrence pour stimuler l'innovation et l'excellence, mais s'inquiétaient de ce que les règles du jeu ne soient pas équitables. La plupart d'eux craignaient que la croissance incessante des entreprises ne réduise de plus en plus la vraie concurrence. Les participants estimaient qu'une plus grande reddition de comptes s'imposait aux entreprises, aux gouvernements et aux particuliers.

Les gens n'acceptent pas le fait que le gouvernement soit impuissant face à la mondialisation. Beaucoup se sont dit en faveur de l'idée voulant que le Canada joue un rôle de chef de file en intervenant à l'échelle internationale pour rendre la mondialisation plus équitable et en atténuer les répercussions défavorables.

• 1130

Les participants ont souscrit à l'idée d'une économie mondiale plus équitable, mais ont éprouvé de la difficulté à se l'imaginer. Plusieurs d'eux n'arrivaient pas à voir comment rectifier les profonds déséquilibres de la recherche et du pouvoir.

[Traduction]

Je pense qu'aussi bien le gouvernement que les parlementaires et les ONG se sont trouvés interpellés par la nécessité de faire en sorte que les politiques et les usages canadiens emboîtent le pas aux valeurs et aux préoccupations de nos compatriotes. Si nous revenons maintenant au programme du comité dans le cadre d'une séance de réflexion comme celle-ci qui devrait permettre de déterminer de quelle façon le comité devrait aborder le dossier de la mondialisation, j'aimerais vous signaler trois champs d'études complémentaires que le comité pourrait envisager afin précisément de mieux exploiter ces valeurs et ces préoccupations. La question est en l'occurrence de savoir comment le Canada pourrait contribuer à identifier et à promouvoir certaines initiatives concrètes afin d'édifier une économie planétaire plus juste, plus équitable et plus intégrante. Les trois champs d'études que je vais rapidement aborder concernent le commerce, la responsabilité des entreprises et la gouvernance planétaire du domaine financier.

Le premier sujet est donc la façon de rendre le régime commercial planétaire plus équitable. Quel est ici le rôle du Canada? Nous avons entendu plusieurs interventions à ce sujet pendant la première table ronde, et je pense que l'impasse des négociations commerciales à Seattle nous donne amplement motif de prendre un peu de recul pour mieux réfléchir à la bonne façon de procéder. Je dirais que si les protagonistes se contentent de retrouver leur souffle pour pouvoir reprendre la même partie, ils feraient manifestement preuve de myopie. Il y a une multiplicité de champs d'études complémentaires qui pourraient nous permettre de revenir à la question. Comme nous l'ont bien dit les participants aux forums du Conseil, que faire pour remédier à l'iniquité et aux inégalités de pouvoirs entre les différents pays? Un sujet qui n'a été discuté que sporadiquement à l'occasion du débat sur les échanges commerciaux au Canada est précisément l'importance pour les pays riches de s'aligner sur les besoins et sur les plans des pays en développement afin que les échanges planétaires se fassent de façon plus démocratique et que ces problèmes planétaires graves que sont la pauvreté et l'insécurité puissent trouver une solution.

On rapportait dernièrement dans le Globe and Mail que le ministre du Commerce international Pierre Pettigrew essayait de ressusciter l'idée des arrangements commerciaux bilatéraux ponctuels pour pallier la rupture des entretiens commerciaux multilatéraux élargis. À notre avis, si le ministre Pettigrew, et le comité, souhaitent que le Canada assume un rôle de leadership pour tenter de sortir de cette impasse, le comité pourrait se pencher sur une palette d'options pour un agenda canadien qui permettrait de faire en sorte que les échanges commerciaux profitent également au monde en développement, et cela deviendrait notre rôle à nous. Le comité pourrait ainsi notamment entendre pour témoins des représentants de pays en développement.

Cette étude pourrait à mon sens porter sur les questions d'accès aux marchés pour les pays en développement, mais également sur l'acceptation de la diversité dans les stratégies nationales de développement, c'est-à-dire arriver à reconnaître qu'il n'y a pas vraiment de recette-minute pour la croissance d'une économie nationale. Le comité pourrait également étudier la question des transferts de technologie dans l'axe Nord-Sud et l'assistance technique aux pays de l'hémisphère austral, une refonte du système des brevets pour assurer la protection du savoir communal et autochtone ainsi que les besoins sociaux fondamentaux dont font partie les produits médicinaux, toute la question fort épineuse de l'adéquation entre la réglementation socio-économique et environnementale et, enfin, l'identification des moyens qui permettraient aux pays pauvres de participer à part entière à la régulation des échanges commerciaux.

Voilà donc un simple instantané de certaines des questions qu'on trouve dans cette corbeille. Un second champ d'investigation stratégique qui pourrait intéresser le comité est toute la question de la constitution de la boîte d'outils qui permettrait de garantir que les entreprises canadiennes assument leurs responsabilités. Lors de nos délibérations publiques, les citoyens qui participaient au forum nous ont immanquablement rappelé que les entreprises avaient de plus en plus de pouvoirs. Le principal fil conducteur qui a émergé des discussions était que les particuliers et les gouvernements devaient précisément s'employer à ce que le monde des affaires rende compte de ses actes. Cela corrobore d'ailleurs les résultats du sondage conduit récemment par la firme Environics, à savoir que sur 23 pays, le Canada se place au deuxième rang pour ce qui est des attentes de la population en matière de normes d'éthique pour les entreprises.

Il est à notre avis de plus en plus communément admis qu'il est souvent nécessaire que les initiatives du secteur privé soient complétées par un cadre réglementaire plus rigoureux pour arriver à cette responsabilisation de l'entreprise. Cette tendance est de plus en plus marquée, avec des exemples de plus en plus nombreux de maladresses qui confirment l'impact négatif que certaines entreprises canadiennes ont à l'étranger sur certaines collectivités.

Par ailleurs, s'agissant de la responsabilisation des entreprises, le Canada accuse beaucoup de retard par rapport aux normes internationales. Un seul exemple, tout à fait pitoyable, est l'impunité avec laquelle la pétrolière Talisman opère au Soudan, ce qui sape la crédibilité du Canada à l'étranger, de même que l'efficacité de nos actions diplomatiques.

Nous aimerions adresser les suggestions suivantes au comité. Tout d'abord, le comité pourrait utilement étudier divers moyens qui permettraient au gouvernement de rappeler à l'ordre les sociétés indisciplinées, par exemple en lui donnant le pouvoir d'intervenir dans des cas extrêmes en invoquant la Loi sur les mesures économiques spéciales.

En second lieu, le comité pourrait revoir l'inadéquation de la législation canadienne entre d'une part la réglementation à laquelle sont actuellement soumises les sociétés canadiennes et d'autre part la nécessité d'un cadre et de principes plus vigoureux pour régir leurs activités à l'étranger.

• 1135

Nos collègues des ONG du Royaume-Uni ont ainsi élaboré une vigoureuse palette de principes généraux relatifs au droit des entreprises. D'ailleurs, et ce sera notre troisième suggestion, le comité pourrait aider le Canada sur les versions plus avancées des meilleures pratiques internationales en étudiant certaines initiatives européennes qui ont permis de faire progresser la responsabilisation sociale des entreprises. Ainsi, l'Angleterre a-t-elle un ministre pour l'engagement social des entreprises et la Norvège a-t-elle tout récemment publié une ébauche de directives à l'intention des compagnies norvégiennes actives à l'étranger.

Le troisième champ d'action que nous aimerions porter à votre attention afin de rendre la mondialisation plus juste et plus équitable est celui de l'architecture planétaire du secteur financier.

Le comité a entendu récemment le ministre des Finances sur cette même question et, comme Roy vient de le faire, d'autres collègues vont probablement aussi approfondir davantage la question. Permettez-moi simplement de signaler que, du point de vue du CCCI, le ministre Martin a joué un rôle important à ce sujet en élargissant la participation aux débats sur la gouvernance internationale du secteur financier grâce au G-20, mais il n'en reste pas moins que les réunions du G-20 qui auront lieu cet automne laisseront de côté certains sujets de préoccupation très importants, notamment en ce qui concerne la nécessité de rendre le système financier international plus équitable pour les pays les plus pauvres, qui sont davantage emprunteurs que prêteurs, et pour lesquels les problèmes fondamentaux ne sont pas les mêmes. Nous pensons que le comité pourrait utilement attirer l'attention des politiques sur la nécessité d'une meilleure délimitation du rôle du FMI.

Ici encore, comme M. Culpeper vient de le signaler, il s'agirait d'arriver à clarifier, conformément au mandat du comité, ce que sont effectivement le financement à court terme, le contrôle financier et les règles relatives à la mise en alerte rapide par opposition à une participation au développement à long terme et aux stratégies d'éradication de la pauvreté. En second lieu, il y a la nécessité de faire accepter davantage par le milieu politique toute une palette de contrôles des capitaux afin non seulement de décourager les flux à court terme, mais également d'encourager les investissements à long terme dans une économie productive. En troisième lieu, il y a les options qui permettraient d'édifier un régime international plus stable pour le financement à long terme du développement, en particulier pour les pays les plus pauvres qui ne peuvent compter que sur un mince filet d'investissements privés. Enfin, et c'est également un élément important à mon avis, il y a la question de la démocratisation des institutions financières internationales: davantage de mécanismes d'imputabilité destinés à mieux contenir les pouvoirs des pays les plus riches, par exemple des commissions d'examen plus puissantes et une plus grande ouverture à l'égard des groupes de la société civile.

Je vais m'arrêter ici après avoir signalé trois champs d'études possibles qui pourraient être approfondis ultérieurement pendant les questions: le Canada peut-il jouer un rôle dans la préparation d'un agenda qui permettrait aux échanges commerciaux de mieux profiter aux pays en développement, comment nous doter de meilleurs moyens pour responsabiliser les milieux d'affaires en faisant en sorte que les compagnies canadiennes actives à l'étranger rendent compte de leurs actes, et enfin, comment rendre l'architecture planétaire du secteur financier plus équitable.

Le président: Je vous remercie beaucoup, cette intervention a été très précieuse.

Chers collègues, M. Schmitz a joint en annexe à son document de discussion le rapport dont le témoin a fait état.

Si vous me le permettez d'ailleurs, ce rapport a été extrait de votre site Web.

Mme Gauri Sreenivasan: Excellent.

Le président: Sans votre permission, mais j'imagine que vous ne demandez pas mieux.

Notre témoin suivant sera le Pr Courchene de l'université Queen's.

M. Tom Courchene (directeur, École des études de politiques, université Queen's): Je vous remercie.

J'ai ici un petit texte que j'aimerais vous distribuer et vous m'excuserez s'il est en anglais seulement, sauf pour ce qui est du sommaire, mais il va à un moment donné servir de base à un livre qui sera publié dans les deux langues officielles par l'Institut de recherche en politiques publiques.

Je tiens à vous remercier énormément de m'avoir invité à me faire entendre aujourd'hui. Je voudrais m'inspirer du texte que je vous ai fait distribuer, sans le citer parce qu'il est trop long, et qui, comme je le disais, résume un livre qui va être publié par l'IRPP dans le courant de l'automne. Ce livre est axé sur les répercussions de la mondialisation et de la révolution de l'information pour la société canadienne, ainsi que sur les problématiques que cela suppose pour la gouvernance, pour les institutions et pour la conduite des affaires publiques au Canada.

Ce qui transpire de cette analyse, c'est que notre avenir collectif dans cette moitié septentrionale de l'Amérique du Nord doit être un avenir fondé sur le capital humain. D'ailleurs, dans mon petit texte, je n'hésite pas à militer en faveur d'un énoncé de mission pour le XXIe siècle qui tiendrait en une seule phrase. Je sais que cela va un peu plus loin que le mandat du comité, mais je conclurai néanmoins par quelques remarques sur la façon dont nous devrions nous y prendre.

Pour vous situer le contexte, je voudrais vous renvoyer à la page 2 où vous trouverez un tableau qui résume les répercussions de la mondialisation et de la révolution de l'information. Tout d'abord, dans l'encadré, vous trouvez les citoyens, les marchés et les gouvernements, puis, à la périphérie, le citoyen-marché, le gouvernement-marché et le citoyen-gouvernement. Très rapidement, pour ce qui est de l'impact sur les gouvernements, nous savons que les pouvoirs sont cédés à la fois vers l'amont et vers l'aval par les gouvernements centraux des États-nations. S'agissant de la forme du raisonnement, il est tout à fait direct: l'espace économique transcende l'espace politique et, par conséquent, les pays cèdent des pouvoirs aux structures et aux organisations supranationales comme l'ALENA, l'Union européenne en Europe et l'Euro.

• 1140

Les pays cèdent également des pouvoirs vers l'aval, aux marchés, par la privatisation et la sous-traitance, aux ordres inférieurs de gouvernement par la délégation des pouvoirs dans le domaine de la foresterie, de l'exploitation minière, du tourisme et de la formation, ainsi qu'aux citoyens par le jeu de la révolution de l'information. Dans mes travaux, j'appelle cela la «glocalisation», un mot que j'ai inventé en combinant «global» et «local».

S'agissant de la seconde catégorie, celle des citoyens, la mondialisation donne aux citoyens certains pouvoirs qui tiennent au fait qu'ils sont des consommateurs. D'ailleurs, les citoyens sont les principaux bénéficiaires de la révolution de l'information. Kenichi Ohmae, un chef de file de la mondialisation, définit d'ailleurs la mondialisation comme étant la souveraineté du consommateur. Par contre, la mondialisation a également tendance à priver l'individu-citoyen de certains pouvoirs, et c'est là précisément que nous utilisons l'expression «les déficits démocratiques».

Je suis ici résolument optimiste parce que j'ai la conviction que les citoyens, qui ont le pouvoir par l'information...

Le président: Excusez-moi, professeur Courchene, mais les interprètes ont du mal à vous suivre.

M. Tom Courchene: D'accord, excusez-moi.

Le président: Jadis, lorsque j'enseignais, mes étudiants ne manquaient pas non plus de se plaindre et j'avais coutume de leur dire qu'il leur suffisait simplement d'écouter plus vite. Mais dans le cas des interprètes, c'est manifestement impossible.

M. Tom Courchene: Je présente mes excuses à l'interprète ainsi qu'au comité.

Donc, le citoyen, qui a du pouvoir grâce à l'information, va en fin de compte devenir plus puissant et plus influent, de sorte qu'à long terme, je suis d'avis que la mondialisation va enrichir la démocratie. Mais ce qui importe pour les citoyens, c'est que le dividende pour le capital humain va augmenter; cependant, pour ceux qui font partie de la population active faiblement ou non qualifiée, ce dividende va demeurer stable, pour autant qu'il ne diminue pas. Nous avons donc un énorme problème de répartition du revenu, et c'est là probablement l'un des défis les plus importants que pose la mondialisation.

S'agissant des marchés, je ne parlerai que d'un seul secteur, un secteur qui, d'ailleurs, est particulièrement préoccupant pour le Canada, et qui est l'intégration économique et commerciale de plus en plus poussée dans l'axe nord-sud. Certains de mes travaux antérieurs consacrés à l'Ontario révèlent que l'Ontario exporte aux États-Unis environ 45 p. 100 de son PIB, soit près de trois fois plus que ce que cette province exporte dans le reste du Canada. Les dernières observations révèlent que deux provinces canadiennes seulement—la Nouvelle-Écosse et l'île-du-Prince-Édouard—exportent actuellement moins à l'étranger que vers d'autres provinces. Huit de nos provinces exportent davantage à l'étranger que vers les autres provinces.

Par conséquent, le Canada est de moins en moins une économie nationale dans l'axe est-ouest et de plus en plus une série d'économies régionales transfrontalières. Pour dire les choses autrement, nous ne sommes plus une voie ferrée de politiques économiques, mais plutôt une voie ferrée de politiques sociales et de transfert. Par conséquent, le problème de gouvernance que cela pose est qu'il faut trouver le moyen de concilier le partage que nous effectuons dans l'axe est-ouest avec le système social et le système de transfert que nous avons au niveau commercial dans l'axe nord-sud.

Pour ce qui est maintenant des périphéries, certaines de ces interfaces ont déjà été évoquées, mais la mondialisation est l'élément déclencheur d'une intégration simultanée du travail sur le plan planétaire et d'une puissante désintégration du monde du travail en tant que collectivité au plan national. D'où la vision d'une «économie extraordinairement dynamique et adaptable doublée d'une société instable et fragile composée d'individus de plus en plus insécurisés».

Le problème qui se pose à nous ici est donc en partie que nous devons trouver le moyen de reconnecter les citoyens aux marchés. Le XXIe siècle doit être générateur de politiques et d'instruments qui nous permettront de reconstituer notre cohésion sociale et notre société civile, ce qui avait été facilement accompli pendant l'ère «fordienne».

S'agissant maintenant de l'interface entre le marché et le gouvernement—ce qui intéresse plus particulièrement le comité—, la mondialisation améliore l'ouverture en même temps qu'elle affaiblit la cohésion sociale au plan international. Les taxes qui grèvent les facteurs mobiles diminuent alors que celles qui obèrent les facteurs immobiles augmentent. En d'autres termes, la brillante période du libéralisme-béton de l'après-guerre, pendant laquelle l'État providence croissait de pair avec l'intégration, commence à se déliter.

Comme le faisait remarquer Dani Rodrik—que le comité devrait d'ailleurs envisager sérieusement d'inviter étant donné qu'il s'agit de l'un des gourous dans ce domaine—, la tâche consiste à faire en sorte que la poursuite de l'intégration économique ne conduise pas à la désintégration sociale sur le plan intérieur. Nous avons donc besoin de nouveaux instruments pour enraciner la MRI.

Ce qui pose davantage problème au Canada, c'est le fait qu'à cause de l'intensification des échanges commerciaux dans l'axe Nord-Sud, une bonne partie de notre infrastructure économique orientée Est-Ouest est en déclin. Le récent dossier de la fusion des banques tournait exclusivement autour du réalignement de notre système bancaire sur l'axe Nord-Sud. Ottawa a dit non à ces fusions, mais l'omniprésence de la mondialisation signifie que le problème sous-jacent demeurera entier. Il s'agit là d'un problème politique extrêmement dense. Comment peut-on transformer une infrastructure commerciale qui, depuis 125 ans, s'est bâtie sur l'axe est-ouest pour la déplacer maintenant sur l'axe nord-sud? De nouveaux instruments sont donc impérativement nécessaires.

Enfin, pour ce qui est de l'interface citoyen-gouvernement, le véritable problème qui se pose ici est que les dépenses consacrées au programme en pourcentage du PIB sont passées d'environ 36 p. 100 en 1994 à 26 p. 100—selon les estimations—à la fin de cette année-ci, alors même que nous n'avons pas encore une idée complète de la façon dont nous allons devoir nous y prendre.

• 1145

Pour ce qui est maintenant de ce que nous faisons, au Canada même, dans le sens des lignes de créativité, je dirais que le cadre de l'union sociale est assurément l'un de ces instruments créatifs. Tout en nous intégrant dans l'axe est-ouest sur le plan social, c'est également une réponse au problème d'une plus grande décentralisation et d'un système opérationnel fonctionnant dans l'axe nord-sud. À cet égard donc, nous faisons oeuvre créatrice.

La dernière chose que je voudrais signaler à propos de l'anatomie de la mondialisation, c'est le fait que nous assistons également à une révolte des élites. Robert Reich parle des «analystes symboliques» en disant qu'ils se constituent en réseaux internationaux et qu'ils s'agglutinent dans certaines zones géographiques particulières comme Silicon Valley et la Route 128, faisant ainsi à toutes fins pratiques «sécession par rapport à l'Amérique». Quoique le même phénomène se produise sans doute dans une moindre mesure au Canada, il doit néanmoins nous inquiéter beaucoup, et nous allons devoir trouver des solutions créatrices pour reconstituer des liens communs entre les riches et les pauvres au sein de chacune de ces cohortes.

Voilà donc certains des défis que nous lance la mondialisation. Cela dit, la question est maintenant de savoir comment y répondre. Comment pouvons-nous conserver notre caractère socio-économique distinct dans cette moitié septentrionale de l'Amérique du Nord?

À ce sujet, je vois deux options. La première me fait adopter la sagesse hivernale de Wayne Gretzky qui nous dit que nous devons patiner vers l'endroit où arrivera la rondelle plutôt que vers l'endroit d'où elle provient, et je dirais ainsi que la rondelle de la mondialisation va se retrouver entre les mains ou à l'ère des citoyens.

Si j'ai raison de dire que ce que nous voulons, nous Canadiens, en fait d'objectifs stratégiques au sens large, c'est conserver notre compétitivité économique en même temps que notre cohésion sociale; alors nous avons beaucoup de chance parce que là où il y a précisément un créneau possible qui nous porte à penser qu'il y a un élément qui serait absolument fondamental pour l'un comme pour l'autre, c'est bien le rôle du capital humain.

Sur la deuxième feuille que je vous ai remise, vous verrez trois merveilleuses citations de Lester Thurow à propos du rôle du capital humain. Cela m'a porté à concevoir—ce qui est assez rare pour les économistes—un énoncé de mission pour le Canada en une seule phrase: concevoir une infrastructure durable, englobante socialement et concurrentielle à l'échelle internationale qui assure une égalité d'accès pour l'ensemble des Canadiens afin qu'ils puissent développer, améliorer et utiliser au Canada leur capital humain de manière à leur permettre de devenir des citoyens à part entière de l'ère de l'information au sein des sociétés canadienne et mondiale.

En matière économique, cela signifie que nous devons nous assurer de maintenir notre capital humain au Canada, ce qui signifie d'abaisser les taxes sur les facteurs mobiles à des niveaux qui sont concurrentiels à l'échelle internationale. J'ai certaines observations à ce sujet, mais comme le temps manque, je ne m'y attarderai pas.

En ce qui concerne la répartition, ce sont les taux d'imposition qui vont être en vigueur que nous le voulions ou non, donc l'important est de tâcher de déterminer le travail à faire au niveau du capital humain et au niveau de la répartition du revenu du capital humain. Nous devons entre autres envisager sérieusement d'adopter une déclaration des droits en matière de capital humain pour nos enfants. Nous devons commencer à considérer la famille, parmi ses nombreux autres rôles, comme le lieu de production du capital humain, et concevoir des politiques fiscales et autres qui tiennent compte de ce facteur.

Je pense que nous devons sensibiliser les technocrates des deux niveaux de gouvernement au fait que, progressivement, les États vont devenir des intermédiaires en matière de savoir et d'information dans un tel système. Dans un certain sens, cela revient un peu à ce que le premier ministre a dit lors du discours qu'il a prononcé à Berlin sur la troisième voie.

Quant à ce que cela pourrait signifier pour le comité, sur le plan du commerce et de la politique internationaux, je crois qu'il a été bien établi que le Canada, grâce à Paul Martin, est en train de montrer la voie au niveau du G-20, mais jusqu'à présent il s'agit essentiellement d'un exercice de stabilité, et il faudra en élargir la portée de manière à donner un visage humain aux initiatives internationales.

Deuxièmement—étant donné que Roy Culpeper m'a donné l'occasion d'en parler—, il est important qu'au cours de cette nouvelle ère, nous ne modifiions pas nos objectifs en tant que Canadiens, mais nous devrons probablement modifier nos instruments. Il y a certains domaines au Canada où ces instruments sont devenus tellement importants qu'ils se sont transformés en objectifs: l'assurance-maladie et les taux de change flottants. Ils sont très difficiles à modifier parce qu'ils sont devenus des objectifs. Je considère qu'il s'agit plutôt d'instruments. Il existe des objectifs plus fondamentaux que ceux-là.

Mais en particulier, en ce qui concerne la question des taux de change flottants, je pense que nous devons en repenser sérieusement certains aspects. En raison de l'extrême mobilité, en raison de l'augmentation spectaculaire des échanges nord-sud, et en raison de l'expansion du commerce électronique sur Internet, je pense que notre avenir verra une intégration accrue des devises. C'est pourquoi j'ai pris la parole un peu partout au pays pour promouvoir l'adoption d'une monnaie commune pour l'Amérique du Nord.

Essentiellement, mon rôle consiste à décrire l'omniprésence des enjeux que pose le nouvel ordre mondial et à offrir une solution tout à fait canadienne à ces enjeux. Je crains que nous finirons par être obligés de suivre les États-Unis sur la scène économique, au niveau des impôts, par exemple. Si nous ne nous occupons pas parallèlement des aspects nécessaires de la cohésion sociale, nous risquons de devenir des Nord-Américains. Et si cela se produit, nous n'aurons qu'à nous en prendre à nous.

• 1150

Mais nous avons une certaine marge de manoeuvre, et je considère que la façon d'assurer un avenir qui est propre au Canada, comme je l'ai indiqué plus tôt, c'est de privilégier les Canadiens dans leur capacité de développer, d'améliorer et d'employer au Canada leur capital humain.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Courchene.

Je suppose que la formation du capital humain a quelque chose à voir avec l'éducation. Donc il n'est pas rare de voir un professeur qui réclame...

M. Tom Courchene: C'est exact. J'ai ma permanence, donc je ne réclame aucun privilège particulier.

Le président: Très bien.

Monsieur Valaskakis.

M. Kimon Valaskakis (professeur honoraire, Université de Montréal, ancien ambassadeur du Canada à l'Organisation de coopération et de développement économiques): Je vous remercie, monsieur le président.

J'ai un exposé de quatre pages que je laisserai au comité, mais je résumerai mon intervention à deux groupes de questions. L'une porte sur le diagnostic et l'autre sur les solutions.

En ce qui concerne le diagnostic, les quatre années que j'ai eu le privilège de passer en tant que gouverneur de l'OCDE à titre d'ambassadeur du Canada m'ont en fait appris trois choses à propos de la mondialisation, qui a été au centre de nos délibérations pendant la totalité de mon mandat de quatre ans.

La première, c'est que la mondialisation, au bout du compte, est probablement une bonne chose, parce qu'elle s'est avérée un moyen extrêmement efficace de créer de la richesse. Elle crée une immense richesse—bien entendu, en conjugaison avec le changement technologique. En fait, la mondialisation et le changement technologique sont liés de façon tellement étroite qu'il est difficile de vraiment les séparer.

L'aspect positif de la mondialisation, c'est qu'elle s'est avérée un incroyable moteur de croissance et de création de richesse. L'aspect négatif qui a en fait été mentionné par bien d'autres, c'est qu'elle ne s'est pas avérée inefficace au niveau de la répartition de la richesse. Elle a par conséquent favorisé les gagnants sans se soucier des perdants. En fait, certains prétendent même que cette dynamique de tout au vainqueur accroît les gains des gagnants et réduit ce qui reste pour les perdants. Il existe donc des problèmes au niveau de la répartition.

En plus de ces problèmes de répartition, un troisième élément de la mondialisation, c'est que de nombreux domaines échappent désormais au contrôle des gouvernements nationaux. Par conséquent, le phénomène de la mondialisation soulève immédiatement la question du phénomène de gouvernement à l'échelle mondiale. C'est pourquoi, si nous examinons les solutions à la mondialisation, si nous examinons la gestion de la mondialisation, nous devons examiner les questions de gouvernance.

Lorsque je suis arrivé à l'OCDE, j'ai pensé que le système gouvernemental international, le système d'organisations intergouvernementales, ferait l'affaire avec quelques retouches ici et là. Arrivé au milieu de mon mandat à l'OCDE, je me suis rendu compte qu'il faudrait beaucoup plus que des retouches ici et là et que nous devrions probablement remanier toutes les institutions de Bretton Woods issues de la Seconde Guerre mondiale.

Je suis maintenant convaincu qu'un changement plus radical et fondamental s'impose et que nous devons réellement réinventer un nouvel ordre international.

L'ordre international actuel est connu des juristes et autres érudits sous l'appellation de l'Ordre mondial de Westphalie. Cet ordre a vu le jour au moment du Traité de Westphalie de 1648. Ce traité, qui a marqué la fin de la Guerre européenne de Trente Ans, est devenu le modèle du système international tel que nous le connaissons. Ce système se fonde sur la souveraineté des gouvernements des États-nations, qui lie ensemble tous les éléments du système.

Je soutiens que la mondialisation, pour le meilleur ou pour le pire, a attaqué toute la notion de souveraineté des États-nations; par conséquent, nous devons repenser fondamentalement la question. Cela signifie que nous devons soit inventer un système tout à fait nouveau, soit signer, métaphoriquement, le Deuxième Traité de Westphalie—une deuxième version du Traité de Westphalie qui est adaptée au XXIe siècle.

• 1155

Le processus qui mène au Deuxième Traité de Westphalie est un processus très complexe, mais j'estime qu'il s'agit d'une initiative dont nous devons nous occuper de toute façon au cours des dix premières années du XXIe siècle.

Dans le contexte de ce changement fondamental, j'aimerais faire certaines observations au sujet de l'initiative du G-20. J'estime que l'initiative du G-20 telle que l'a exprimée et décrite le ministre Martin est un très bon pas dans la bonne direction, mais il s'agit d'une mesure très partielle et incomplète qui devra être assortie de nombreuses initiatives parallèles.

Pourquoi s'agit-il uniquement d'une étape très partielle? Eh bien, pour au moins quatre raisons.

L'initiative du G-20, telle que l'ont exprimée le ministre Martin et d'autres personnes, consiste à créer un conseil d'administration pour l'économie mondiale. C'est une notion intéressante, mais le conseil d'administration d'une société est habituellement nommé par l'assemblée générale des actionnaires.

Qui a nommé le G-20 et qui a délégué au G-20 les pouvoirs qu'il possédera? La réponse semble être qu'il s'agira d'un conseil d'administration de l'économie mondiale, qui s'est nommé lui-même, ce qui risque de créer des problèmes au niveau de sa légitimité. Cela risque d'aggraver le déficit démocratique, surtout si on considère que le G-20 se compose de ministres des Finances qui sont responsables politiquement envers la population des pays démocratiques, mais que ce n'est pas le cas des gouverneurs des banques centrales, qui font aussi partie du G-20. Les gouverneurs des banques centrales sont tout à fait en dehors du processus politique, et le même genre de critiques et de ressentiment suscités par l'OMC et l'OCDE, à cause de l'AMI et autres initiatives, en matière de déficit démocratique risque également de se manifester à l'endroit du G-20 pour cette raison.

Deuxièmement, le G-20 ne comprend pas à ce stade les intérêts non étatiques. D'après mon interprétation de l'évolution actuelle de l'économie mondiale, les intérêts non étatiques—à savoir, les sociétés multinationales, les entrepreneurs multinationaux, les organisations non gouvernementales et la société civile en général—sont en train de jouer un rôle de plus en plus important et nous ne pouvons pas les exclure du débat.

L'OCDE est un club des pays industriels les plus riches et les plus puissants. Si on créait l'OCDE de demain, se composant des 100 plus importantes entités économiques au monde, 52 d'entre elles seraient des sociétés et seulement 48 seraient des États-nations. C'est donc un facteur dont il faut tenir compte. La même chose vaut pour la société civile, car si on ne tient pas compte de la société civile et qu'on ne l'inclut pas, nous devrons alors faire face à nouveau à des problèmes de légitimité et d'efficacité.

Troisièmement, le G-20 est une initiative sectorielle qui met l'accent sur les finances. Les finances sont très importantes; elles sont fondamentales. Mais la démarche qui consisterait à découper le problème du gouvernement mondial en secteurs clés, en chargeant le G-20 de s'occuper des finances, l'OMC de s'occuper du commerce, l'OCDE de s'occuper des investissements, une autre organisation, d'Internet et le FMI, de l'aspect monétaire, s'avérera à mon avis insatisfaisante car l'une des leçons que nous avons tirées des négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement à l'OCDE, c'est que vous ne pouvez pas confier l'investissement international uniquement à des spécialistes en investissement international à cause des débordements et des liens, en ce sens que les décisions en matière d'investissement ont des incidences sur les plans environnemental, social et technologique. La même chose vaut pour les finances, de même que pour l'OMC et le commerce.

Les ministres du Commerce qui se sont réunis à Seattle en décembre ont dû traiter de questions qui débordaient leur sphère de compétence. Le monsieur assis à ma gauche a laissé entendre que nous pourrions envisager d'assurer la présence des chefs d'État mêmes, et d'établir un G-20 qui se composerait de chefs d'État. Il serait plus logique d'opter pour cette solution, mais c'est là où je présenterai la quatrième objection ou observation concernant l'initiative du G-20, à savoir que toutes les organisations internationales aujourd'hui reflètent le principe d'égalité souveraine prévu par le Traité de Westphalie, ce qui signifie que chaque État a la même voix et le même poids. Cela signifie que le Togo et le Japon, le Luxembourg et les États-Unis, l'Inde et l'Islande ont chacun la même voix. Un État, un vote. À l'OCDE, l'égalité souveraine était telle... en fait chaque État avait un veto, car tout était décidé par unanimité et consensus.

• 1200

Si on veut reproduire ce modèle au G-20 ou dans toute autre organisation similaire, je pense que cela paralysera complètement l'organisation. Il faudra envisager des règles internes de gouvernance, un changement interne avant que nous puissions espérer accomplir quelque chose de nouveau et de valable.

Je plaiderais en faveur d'une nouvelle initiative, et j'ai préconisé l'adoption de cette initiative, à savoir un processus semi-formel qui inclurait les chefs de gouvernement, les membres de la société civile et de nombreux autres intervenants du monde moderne, mais sans la formalité des ambassadeurs ou des négociateurs d'organisations intergouvernementales. Comme j'ai moi-même été ambassadeur, je sais que nous sommes très limités par les instructions émanant de la capitale et que nous ne pouvons pas vraiment faire grand-chose en matière de réforme radicale.

Par contre, l'autre extrême c'est de réunir des universitaires. J'ai moi-même été universitaire et je suis redevenu universitaire. Je pense qu'il y a un risque s'il s'agit d'un processus uniquement universitaire car il n'aura pas d'incidence sur le reste du monde. C'est pourquoi je préconise une formule du genre semi-commission. Je l'ai provisoirement nommé le club d'Athènes, parce qu'Athènes dans La République de Platon était son inspiration pour la ville-État idéale. À mon avis, ce dont nous avons besoin, et je parle à nouveau de façon métaphorique, c'est d'envisager une Athènes mondiale, la cosmopolis mondiale, la république mondiale pour ainsi dire, qui donnera au monde la dimension gouvernementale qui viendra compléter la dimension mondiale.

Pour résumer, la mondialisation est là pour de bon. Que cela nous plaise ou non, nous ne pouvons pas la faire disparaître ni revenir en arrière. Par conséquent, je considère qu'il faudrait compléter la mondialisation par des formes de gouvernement mondial qui sont vastes, qui sont démocratiques et qui permettront à tous de profiter des avantages de la mondialisation. C'est une entreprise de taille, mais je crois que nous devons saisir cet enjeu. Je pense que le Canada pourrait montrer la voie et trouver de nouvelles formules de gouvernements mondiaux, inspirées de notre expérience du fédéralisme et du gouvernement à plusieurs paliers.

J'aurais tendance à rejeter l'hypothèse de l'autoréglementation selon laquelle si nous n'intervenons pas, que nous laissons faire au niveau de la mondialisation, les choses vont se régler d'elles-mêmes et vont se dérouler comme elles le devraient. Je ne crois pas que ce soit le cas. Si nous laissons les choses telles quelles sans aucune forme de gouvernement mondial, alors plutôt que d'avoir un système de marché mondial, nous aurons un système de mafia mondiale, qui ressemblera un peu à la situation que vit l'ex-Union soviétique.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Valaskakis.

Je ne vois qu'une personne qui veut poser des questions. Encore une fois, notre temps est écoulé, et il est gênant lorsque nous avons un groupe de cette qualité d'avoir si peu de temps.

[Français]

Monsieur Tremblay, vous aviez demandé que la séance se prolonge un peu après midi.

M. Stéphan Tremblay: Oui, monsieur le président. Monsieur Valaskakis, vous indiquez que nous aurons éventuellement besoin d'une gouvernance mondiale ou, comme je préfère le dire, d'une coordination mondiale, et vous nous avez présenté certaines suggestions en vue d'en arriver là.

Quel est le rôle que devraient assumer les parlementaires, et plus particulièrement les citoyens, dans le cadre de cette démarche? C'est peut-être une question trop vaste pour que les parlementaires puissent s'y attaquer, et vous entrevoyez peut-être que seuls des chefs d'État et l'élite seront en mesure d'établir une constitution visant l'établissement d'une coordination mondiale.

Vous avez également mentionné qu'on ne pouvait pas aborder la mondialisation de manière sectorielle. Tout à l'heure, j'avais dit que, compte tenu de l'ampleur de la question et des problèmes, nous devrions peut-être confier l'examen de la mondialisation aux comités parlementaires. Le Comité de l'environnement pourrait se pencher sur les effets de la mondialisation sur l'environnement et la culture, tandis que le Comité des finances pourrait étudier les questions relatives à l'économie et ainsi de suite.

Que devraient faire les parlementaires du Parlement canadien? Devrions-nous établir une table permanente où nous discuterions de la mondialisation, ou si vous croyez que nous n'avons aucun rôle à jouer à ce chapitre et que nous devrions nous en remettre aux chefs d'État?

• 1205

Du même coup, je tenterai de quantifier par votre réponse l'urgence d'en arriver à des débats permanents. Je crois vous avoir déjà entendu dire, lors d'une conférence à l'Université de Montréal, que la situation que nous vivions actuellement était possiblement dangereuse. Selon vous, devrions-nous accélérer ces débats? Merci.

M. Kimon Valaskakis: Monsieur le député, vous avez posé d'excellentes questions, tout particulièrement celle qui se rapporte au rôle des parlementaires. Je suis convaincu que les parlementaires doivent jouer un rôle de plus en plus grand parce que ce sont eux qui font le lien avec la démocratie dans nos pays.

Mais la puissance et la compétence des parlementaires au niveau des États-nations sont limitées par la puissance des gouvernements des États-nations. C'est pour cette raison qu'il faut préconiser une certaine mondialisation même dans ce secteur, c'est-à-dire parler de groupes de parlementaires au niveau mondial et peut-être éventuellement imiter les Européens, qui ont commencé leur processus de régression du côté exécutif avec une commission et qui donnent maintenant de plus en plus de pouvoirs au Parlement européen, lequel aura des pouvoirs qui, dans certains cas, seront plus forts que les pouvoirs des États-nations.

L'internationalisation ou la mondialisation du parlementarisme est peut-être une voie à explorer. Elle serait cependant très difficile à explorer parce que si on fait une gouvernance démocratique mondiale, elle sera dominée par la Chine et l'Inde, qui comptent le plus d'habitants. Alors, il faut imaginer toutes sortes de choses. Je pense que le rôle des parlementaires est essentiel, mais qu'il faut qu'il se situe beaucoup plus au niveau international qu'au niveau local ou national. Si le diagnostic que je fais, soit que le pouvoir des États-nations est en train de diminuer, est exact, les parlements qui influencent les gouvernements des États-nations seront contraints par cette mondialisation. Pour se libérer de ça, ils doivent se mondialiser eux-mêmes.

Le président: Madame Picard.

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Monsieur Culpeper, lors de votre exposé, vous disiez qu'un changement d'orientation de la mission du FMI devait être envisagé, par exemple en mettant fin au rôle de financement du développement. Vous avez indiqué que vous pourriez préciser votre pensée lors de la période de questions. Pourrais-je vous demander de le faire?

M. Roy Culpeper: Merci, madame. Le FMI a élaboré un programme qu'on appelle en anglais Poverty Reduction and Growth Facility de concert avec un programme d'échelonnement de la dette qu'a lancé le G-7 en 1988. Le FMI a reçu d'autres pouvoirs quant à l'examen de la pauvreté dans les pays en voie de développement. Si vous me le permettez, je m'exprimerai en anglais.

Mme Pauline Picard: Je vous en prie. Nous avons des services de traduction.

[Traduction]

M. Roy Culpeper: Ce n'est pas un domaine où le FMI est solide parce qu'il ne s'agit pas de la responsabilité fondamentale et traditionnelle du FMI. C'est une institution qui a été établie pour intervenir dans les cas de crises à court terme de balance des paiements.

Je suis devenu assez inquiet au cours des derniers mois lorsque j'ai constaté que le FMI recrutait des spécialistes en pauvreté. Donc vous avez le FMI et la Banque mondiale qui examinent les problèmes de pauvreté et des moyens de la réduire. Beaucoup de gens considèrent maintenant que le programme FMI en matière de réduction de la pauvreté et de croissance devrait être transféré à la Banque mondiale. Je pense que cette recommandation a beaucoup de mérite. Car à l'heure actuelle, on assiste à une confusion des rôles et des responsabilités et à un double emploi des activités, et je ne crois pas que ce soit bon ni pour les institutions ni pour les pays les plus pauvres, que ces deux types d'institution devraient tâcher d'aider.

• 1210

En passant, c'est un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec le ministre Martin. Le ministre Martin, lorsqu'il a comparu devant le comité, semblait être fermement convaincu que le FMI devrait jouer un rôle à cet égard. Je dirais que lorsque le FMI intervient dans les pays qui traversent des crises au niveau de leur balance de paiements... Je suis d'accord avec M. Campbell lorsqu'il a dit lors de la séance précédente de ce matin que ce genre de politique macroéconomique, de politique financière et économique, qu'ils imposent aux pays aux prises avec des difficultés à court terme dans leur balance de paiements, devrait être compatible avec la réduction de la pauvreté à long terme. Mais c'est un rôle nettement différent de celui où le FMI en fait dispose de certaines ressources à prêter aux pays. Cela transforme le FMI en agence de développement, ce qui ne correspond pas vraiment à la responsabilité centrale du FMI.

Pour conclure, je soutiendrais que le FMI, dans ses interventions, doit s'assurer que le genre de politique économique qu'il impose aux pays en crise devrait être conforme à la réduction à long terme de la pauvreté, mais cette institution ne devrait pas jouer un rôle de financement lorsqu'elle intervient dans ces pays. Il faut laisser ce rôle à la Banque mondiale et aux autres institutions multilatérales.

Le président: Nous allons devoir terminer maintenant, chers collègues, puisque certains ont hâte de partir. C'est notre dernière semaine avant le congé parlementaire; tout le monde est pressé.

Encore une fois, je tiens à remercier nos conférenciers qui sont venus nous faire part de leurs points de vue. Votre contribution sera très utile lorsque nous aurons à définir de façon précise notre façon d'aborder ce projet vaste et immense que M. Tremblay s'est chargé en grande partie de nous proposer. Nous allons y travailler ensemble.

Nous vous remercions d'être venus partager vos idées avec nous ce matin.

Nous allons lever la séance jusqu'à 15 h 30. Chers collègues, à 15 h 30, nous allons discuter de la motion sur les déplacements pour le sous-comité sur le commerce, nous allons terminer la résolution sur le Kosovo, et ensuite nous allons faire un rapide survol de notre voyage en Asie centrale et au Caucase. Nous allons ensuite discuter des travaux futurs du comité.