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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 21 février 2005




» 1745
V         Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.))
V         M. John Lowman (professeur, École de criminologie, Université Simon Fraser)

» 1750

» 1755

¼ 1800

¼ 1805
V         Le président
V         M. Inky Mark (Dauphin—Swan River—Marquette, PCC)
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark

¼ 1810
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)

¼ 1815
V         M. John Lowman
V         Mme Paule Brunelle
V         M. John Lowman

¼ 1820
V         Le président
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)
V         M. John Lowman

¼ 1825
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman

¼ 1830
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)

¼ 1835
V         M. John Lowman
V         L'hon. Hedy Fry

¼ 1840
V         M. John Lowman
V         Le président
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         Le président
V         M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ)

¼ 1845
V         M. John Lowman
V         M. Réal Ménard
V         M. John Lowman
V         M. Réal Ménard
V         M. John Lowman

¼ 1850
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman

¼ 1855
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman
V         Le président
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman

½ 1900
V         Le président
V         M. Réal Ménard
V         M. John Lowman
V         M. Réal Ménard
V         Le président
V         Mme Libby Davies

½ 1905
V         M. John Lowman
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman
V         Le président
V         M. Inky Mark

½ 1910
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle
V         M. John Lowman

½ 1915
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         M. John Lowman

½ 1920
V         Le président
V         M. Inky Mark
V         M. John Lowman
V         M. Inky Mark
V         Le président
V         M. John Lowman
V         Le président
V         M. John Lowman
V         Le président

½ 1925
V         M. John Lowman
V         Le président
V         M. John Lowman
V         Le président










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 009 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 21 février 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

»  +(1745)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La séance est ouverte.

    Nous allons commencer la réunion du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Nous accueillons ce soir M. John Lowman, professeur à l'École de criminologie de l'Université Simon Fraser.

    Monsieur Lowman, habituellement, nous entendons l'exposé du témoin, qui peut prendre au maximum dix minutes, et par la suite, les membres du comité posent leurs questions. Nous faisons un premier tour de table durant lequel j'accorde sept minutes, et ensuite, un deuxième où vous disposerez d'environ trois minutes chacun.

    Si vous voulez bien commencer, monsieur Lowman, et nous prendrons la relève. Merci de vous être joint à nous.

+-

    M. John Lowman (professeur, École de criminologie, Université Simon Fraser): Premièrement, je tiens à remercier les membres du sous-comité de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui. J'ai préparé un exposé mais, malheureusement comme je ne l'avais pas encore terminé, tard hier soir, je n'ai pas eu le temps de le faire traduire. Néanmoins, il est à votre disposition.

    Pour commencer, j'ai l'intention de vous faire un résumé succinct des recherches que j'ai effectuées au fil des années. Ensuite, j'aborderai l'historique des lois sur la prostitution au Canada, et certains dilemmes qui en ont résulté, avec le temps. Puis, je vous entretiendrai brièvement des principales avenues envisagées par les chercheurs dans ce domaine concernant l'orientation que cette politique devrait prendre.

    Juste pour vous donner une idée de mes antécédents, j'ai commencé à faire des travaux de recherche sur la prostitution...

    En passant, j'utilise le mot « prostitution » pour établir une distinction entre les services sexuels par contact direct et les autres types de travail du sexe. Lorsque j'utilise l'expression « travailleur ou travailleuse du sexe », je fais référence à la prostitution plus précisément. Parfois, j'utilise également le terme « personne prostituée ».

    Mes premières recherches, je les ai effectuées à Vancouver, en 1977. À l'époque, on entretenait des inquiétudes croissantes au sujet de la prostitution dans les rues de Vancouver, surtout parce que la police avait fermé les principaux établissements hors-rue de Vancouver, les cabarets, ce qui avait créé un problème encore plus difficile à résoudre. J'étudiais le déplacement.

    En 1984, j'ai effectué de la recherche de fond pour le Comité spécial sur la pornographie et la prostitution, le Comité Fraser. En 1989, j'ai travaillé à une évaluation de la loi sur la communication, j'ai également réalisé l'une des cinq études commandées par le ministère de la Justice, et procédé à quatre mises à jour de cette étude.

    Au début des années 90, j'ai commencé à mieux faire connaître la violence à l'endroit des personnes prostituées. Le ministère de la Justice a financé un autre projet de recherche. Nous devions nous pencher sur l'augmentation considérable du nombre d'homicides survenus après la mise en oeuvre de la disposition relative aux communications.

    Vers la fin des années 90, j'ai participé à une étude sur les clients. Il n'y avait jamais eu de recherche poussée sur les clients des services de prostitution. Nous avons réalisé une étude de trois années, qui se poursuit toujours. Je me penche encore aujourd'hui sur divers types de services de prostitution hors-rue : les services d'escorte, les salons de massage et le reste.

    L'historique des lois sur la prostitution commence par une série de lois sur le vagabondage qui furent empruntées à l'Angleterre. Ces lois ont interdit les maisons de débauche, de même que la prostitution de rue, pour les motifs que ces activités représentaient une nuisance publique, et c'est cette même logique de la nuisance qui a régi ou motivé l'adoption de ces lois. On a aussi adopté une loi interdisant de faire miroiter de fausses promesses en vue de séduire une femme âgée de moins de 21 ans.

    Si on revient en arrière, au cours de la première partie du XIXe siècle, évidemment, on se retrouve à une époque où les lois traitaient femmes et enfants comme s'ils étaient la propriété des hommes. Le problème avec ce type de lois, c'est qu'elles ne prévoyaient pas vraiment de protection de la part des hommes.

    Durant la deuxième partie du XIXe siècle, on assiste à la mise en place d'une croisade en faveur de la pureté des moeurs, une forme de logique de l'ingénierie sociale née d'un éventail de valeurs chrétiennes, et visant à créer une société morale sur terre, en s'inspirant des principes de l'ingénierie sociale. Ce sont ces efforts qui conduisirent aux changements apportés au droit dans la dernière partie du XIXe siècle, époque à laquelle on a commencé à voir les femmes comme les gardiennes ultimes de la morale au sein de la famille. On constate alors une attitude d'un genre très différent eu égard à l'utilisation du droit pour protéger les femmes contre diverses formes d'exploitation.

    Ces efforts ont eu pour résultat qu'en 1913, les lois sur le vagabondage et la notion de nuisance n'étaient plus seules. En effet, on assista alors à une multiplication des lois interdisant le proxénétisme et le fait de vivre des fruits de la prostitution, à l'éclosion de tout un train de nouvelles infractions liées aux maisons de débauche—qui toutes avaient pour but de protéger les femmes et les enfants de l'exploitation. Ce fut la période ayant précédé le mouvement de l'eugénisme, et ainsi de suite. On qualifiait alors ce commerce de traite des Blanches, et le ton adopté était assez raciste. Néanmoins, au départ, la motivation était une préoccupation de protéger les femmes et les enfants contre les hommes licencieux.

»  +-(1750)  

    C'est un peu ce creuset moral qui est à l'origine de nos lois sur la prostitution. Elles ont été rédigées dans un contexte moral très différent du nôtre, même si, bien entendu, nous avons toujours pour objectif de protéger les personnes contre l'exploitation.

    Mais qu'est-ce qui a changé? Ces lois, dans la forme où elles apparurent en 1913, ressemblent beaucoup à celles qui sont encore en vigueur aujourd'hui. Les principaux changements ont été l'introduction, en 1988, d'une loi qui criminalise le fait d'offrir ou d'acheter les services sexuels de jeunes garçons et de jeunes filles, et par ailleurs, on a assisté à l'adoption de dispositions plus musclées concernant les sentences imposées pour proxénétisme et pour le fait de vivre des fruits de la prostitution. Mais les changements les plus importants ont touché les lois visant la prostitution de rue. La première a été modifiée en 1972. En effet, la Loi sur le vagabondage est demeurée en vigueur jusqu'en 1972. En vertu de cette loi, une prostituée qui se trouvait dans un lieu public sans pouvoir donner de motifs justifiant sa présence était coupable d'une infraction.

    Cette loi a été abrogée en 1972 pour deux raisons. Parce qu'il s'agissait d'une infraction liée au statut juridique de la personne. En effet, c'est le statut de professionnelle de la prostitution qui était criminalisé, et non l'acte en soi. Et aussi, parce que la loi était discriminatoire étant donné que, par définition, les prostituées étaient des femmes.

    Elle fut remplacée par la Loi sur la sollicitation, comme quoi il est interdit de communiquer dans un endroit public pour des motifs liés à la prostitution. Cette loi ne visait que la personne vendant les services sexuels, et non celle qui les achetait. Il y a bien eu des tentatives en vue de l'appliquer à l'acheteur, mais elle n'ont eu de suites qu'en Ontario. Elles ont échoué en Colombie-Britannique.

    Le vrai problème avec cette loi est venu de la jurisprudence qui a établi que la sollicitation signifiait beaucoup plus que de simplement offrir un prix en échange d'un service; elle signifiait faire preuve d'un comportement pressante ou persistant. Peu à peu, au fur et à mesure que cette interprétation s'est répandue, les services de police de partout au Canada ont cessé d'appliquer cette loi particulière.

    Nombre de commentateurs de l'époque déclarèrent que cette jurisprudence avait transformé les rues du Canada en supermarchés du sexe—cette expression est tirée d'un éditorial du magazine Maclean's en 1984—et ils attribuèrent la recrudescence de la prostitution de rue à l'arrêt Hutt, la décision qui avait établi que la sollicitation était un comportement pressant et persistant.

    J'ai toujours été en désaccord avec ce point de vue, parce qu'il se trouve qu' à Vancouver et à Toronto, la recrudescence de la prostitution datait de bien avant ces changements dans la jurisprudence. Les services policiers de Toronto et de Vancouver avaient ramené la prostitution dans la rue en fermant les établissements hors-rue. C'est ce qui s'est produit à Toronto, sur la rue Yonge, après le meurtre d'Emmanuel Jack, en 1977. Un jeune cireur de chaussures de 14 ans avait été tué à l'étage supérieur d'une maison de débauche sur la rue Yonge. On avait profité de l'occasion pour fermer tout le patelin. Bien entendu, c'est à partir de là que les problèmes liés à la prostitution ont commencé à s'aggraver à Toronto. Je pense que le Comité Fraser a bien compris la situation lorsqu'il a déclaré que ce qui était à l'origine du problème de la prostitution de rue, c'était la nature contradictoire et contraire au but recherché de nos lois sur la prostitution.

    Je pense que vous avez déjà entendu le témoignage de Paul Fraser. Il vous a sans doute dit que la logique sous-jacente de leur comité consistait à affirmer qu'il ne suffisait pas d'entreprendre une réforme fragmentaire, et qu'il fallait au contraire revoir tout l'édifice du droit sur la prostitution. Mais ce n'est pas ce qui s'est produit. Seule la Loi sur la prostitution de rue a été modifiée. L'évaluation de cette loi a montré qu'elle n'avait eu aucune incidence, ou alors une très faible incidence, sur les niveaux de la prostitution de rue au Canada, et que suite à la modification de la loi, on a assisté a une recrudescence énorme de la violence.

    Seulement pour vous donner une idée, je vais me servir des homicides contre les travailleurs du sexe à titre de pointe de l'iceberg, à titre d'indice de ce qui s'est produit.

»  +-(1755)  

    Si on retourne en arrière, jusqu'aux années 60, et si on se penche sur des périodes de cinq ans à la fois, de 1960 à 1974, une période de quinze ans, il n'y a eu aucun homicide. Et vers la fin des années 90, lorsque nous adoptons ce que j'appelle le « discours de l'élimination »—c'est-à-dire, nous avons un problème de prostitution de rue, débarrassons-nous des personnes prostituées—la violence commence à monter. En effet, de 1975 à 1979, il se commet trois homicides.

    La période entre 1980 et 1984 est celle durant laquelle le Comité Fraser s'est réuni. Nous entendions divers groupes de résidants qui, c'est compréhensible, ne voulaient pas voir de prostitution dans leur quartier, et parlaient de se débarrasser des personnes prostituées. Ce mouvement a créé un milieu où il est devenu beaucoup plus facile, à mon avis, pour un certain genre d'hommes, des prédateurs misogynes en particulier, de justifier la violence à l'endroit des personnes prostituées.

    Lorsque l'on considère la période entre 1980 et 1984, on constate qu'il s'est commis huit homicides.

    Ce sont des chiffres qui proviennent de la Colombie-Britannique, en passant. J'avais omis de vous le mentionner.

    En 1985, on adopte la loi relative aux communications. Jusqu'en 1989, on enregistre 22 homicides. De 1990 à 1994, il y en a 24, et de 1995 à 1999, on est rendus à 50. Mais ces chiffres sont fragmentaires parce que l'on n'a pas encore retrouvé toutes les femmes portées disparues dans l'est du centre-ville de Vancouver.

    Le gouvernement qui avait écouté les recommandations du Comité Fraser à l'époque, n'a pas retenu la principale : c'est-à-dire que si la prostitution est effectivement légale, il faudrait alors s'attaquer à la question du lieu et du moment où elle peut avoir lieu.

    J'étudie les lois sur la prostitution depuis 28 ans, maintenant, et je me retrouve ici, devant vous, forcé d'admettre que je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi riment ces lois de façon générale. Si vous remontez à cette affaire, en 1990... et j'ai reproduit ce cas dans le mémoire que vous recevrez plus tard. Si on examine l'arrêt de la Cour suprême du Canada, dans le renvoi sur la prostitution de 1990, qui se penche notamment sur la Loi sur la communication—la section 1—nous constatons que trois juges de la Cour suprême prennent une position, tandis que quatre juges en prennent une autre. Donc, quatre juges de la Cour suprême affirment que le but de la loi doit être d'éliminer la prostitution. Les trois autres déclarent quant à eux que si la législature de ce pays n'a pas jugé bon de criminaliser la prostitution elle-même, cela doit avoir un certain sens; il doit y avoir des raisons à cela.

    Nous nous retrouvons dans la situation où, si la Cour suprême du Canada n'arrive pas à trancher, je ne vois pas comment le reste d'entre nous pourrions y parvenir.

    Maintenant, on m'a demandé d'aborder brièvement les réglementations locales. J'ai décidé de faire deux commentaires à ce sujet. Premièrement, lorsque les municipalités ou les provinces décident d'avoir recours aux lois à leur disposition pour éliminer la prostitution de rue, presque invariablement, elles sont déboutées devant les tribunaux. C'est parce que, étant donné que la loi sur les communications tente d'éliminer la prostitution de rue par l'entremise du Code criminel, les municipalités auront beau tenter d'adopter des règlements en vue de restreindre la prostitution, ou les provinces tenter d'avoir recours à des instruments comme les injonctions pour motif de nuisance, comme on l'a vu en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, elles seront invariablement déboutées en cas de litige devant les tribunaux. Tout simplement parce qu'elles outrepassent les compétences du gouvernement fédéral.

    Le deuxième point que je voulais mentionner au sujet des règlements locaux, est que nous avons un système à deux vitesses en ce qui concerne la prostitution au Canada. Il y a la prostitution de rue, et 95 p. 100 des mesures d'exécution visent à débarrasser le paysage et les esprits de ce spectacle. Et il s'agit d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, bien entendu.

    Et pourtant, elle a lieu, et j'entends parfois des gens et des politiciens dire, nous ne pouvons rien faire pour les prostituées de rue, et nous ne pouvons pas non plus parler d'endroits où la prostitution pourrait avoir lieu de façon sécuritaire, parce que cela équivaudrait à tolérer la prostitution.

    Ce qu'il y a de bizarre, c'est que la prostitution est déjà légale. Si vous examinez les règlements d'une ville comme Vancouver—et ces règlements figurent en annexe du mémoire que vous allez recevoir—vous serez à même de constater que Vancouver délivre des permis et tire des revenus de la prostitution. Beaucoup de municipalités le font aussi, simplement en délivrant des permis aux établissements offrant des services d'escorte et de prostitution ainsi qu'aux salons de massage.

    Vous trouverez également dans mon mémoire un éventail de recommandations qui, selon moi, vont vous être faites dans les deux ou trois mois à venir, et qui vont varier de la criminalisation de l'achat et de la vente des services sexuels, à une extrémité du spectre, jusqu'à la décriminalisation complète de la prostitution, à l'autre extrémité.

¼  +-(1800)  

    Je me doute que vous allez vous retrouver avec deux camps bien retranchés une fois que vous aurez fait un tri dans toute la rhétorique. Un de ces camps prônera la prohibition, et l'autre, la décriminalisation. Le camp des prohibitionnistes sera calqué sur le modèle suédois qui criminalise l'acheteur, mais pas le vendeur. La décriminalisation quant à elle consiste à traiter la prostitution comme une forme du travail, reconnaissant toutefois que la prostitution n'est pas un commerce monolithique.

    J'établis une distinction entre l'esclavage sexuel, qui consiste à forcer une personne à se prostituer, et le sexe comme moyen de survivre, où ce sont les circonstances qui forcent une personne à se prostituer, comme par exemple les fugueurs qui quittent la maison à 15 ans pour fuir l'abus sexuel, ou la prostitution entraînée par la toxicomanie ou encore par la pauvreté. Et il existe une forme de prostitution où ceux et celles qui l'exercent le font vraiment par choix. Je pense que pour les deux premiers types de commerce du sexe—l'esclavage, dont personne ne veut et dont personne ne prendra la défense, et le sexe comme moyen de survivre, pour lequel nous devons trouver des solutions afin de venir à bout de la pauvreté, de l'abus sexuel à l'endroit des enfants, des effets de la colonisation sur les Autochtones, de la toxicomanie et ainsi de suite—il devrait y avoir des solutions qui vont bien au-delà de la loi.

    Pour les personnes qui l'exercent par choix, la question est de savoir si l'État a le droit d'interdire à une personne de se servir de son corps pour vendre des services sexuels, autrement dit, lui interdire d'utiliser son corps dans ce but? En fin de compte, on peut se demander si l'État a vraiment ce pouvoir? Certains pensent que non, et d'autres au contraire sont d'avis que l'État devrait pouvoir l'interdire.

    Pour ma part, je suis en faveur de la décriminalisation, parce que je crois que la prohibition cause plus de problèmes qu'elle n'en règle. Je pense que notre système de droit criminel a exposé les femmes qui se trouvent à l'extrémité la plus vulnérable du commerce du sexe—pour la majorité, celles qui pratiquent la prostitution comme moyen de survivre—à de graves dangers, et de diverses manières. Elles ont été repoussées dans les secteurs commerciaux. Les zones de la prostitution de rue se sont élargies en raison de l'utilisation de restrictions liées à certaines zones rattachées à des ordonnances de probation et de cautionnement. Ces zones deviennent de plus en plus grandes, et il devient de plus en plus difficile pour les personnes de se surveiller les unes les autres.

    Il y a aussi les prédateurs, les misogynes comme ce Gary Ridgway et, s'il est trouvé coupable, M. Picton, qui ont pu se lancer dans un massacre sur le terrain propice que nous avons créé avec un système de droit qui, de toute évidence, ne rend justice à personne. Il ne sert certainement pas à éliminer les nuisances de la voie publique, même s'il a permis de repousser la prostitution à l'extérieur de certains secteur résidentiels, mais à quel prix. Il n'a rien fait pour les travailleurs et les travailleuses du sexe.

    À bien des égards, je pense que ce système ne fait que rendre les choses encore plus difficiles lorsqu'il s'agit d'empêcher les enfants de s'y adonner. On entend souvent que la prostitution est intolérable chez les adultes, parce que cela risque d'encourager les enfants à s'y adonner. Je pense que ce n'est qu'en prenant le contrôle de la prostitution que nous parviendrons réellement à empêcher les enfants de s'y jeter, parce que nous les laissons disparaître dans les méandres de ce commerce énorme et complètement incontrôlé.

    En ce qui concerne le crime organisé : je pense que c'est la prohibition qui lui donne naissance. S'il faut parler de crime organisé, eh bien, à certains égards, les personnes qui gèrent des établissements où s'exerce la prostitution hors rue sont, du simple fait qu'elles doivent s'organiser pour le faire, des membres du crime organisé, par définition.

    Donc, il faut répondre à certaines questions fondamentales sur ce que nous voulons faire. Je pense que la première chose que la législature devra entreprendre, c'est de dire aux Canadiens quel est l'objectif global de cette constellation de lois sur la prostitution. Si nous ne le faisons pas, beaucoup d'autres femmes, d'une manière ou d'une autre, sont condamnées à mourir.

    Voilà qui met un terme à mon exposé.

¼  +-(1805)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Lowan.

    Monsieur Mark, vous disposez de sept minutes.

+-

    M. Inky Mark (Dauphin—Swan River—Marquette, PCC): Merci, monsieur le président.

    Professeur Lowman, je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie d'avoir traversé le pays depuis la côte Ouest pour vous joindre à nous aujourd'hui.

    Il semble que tout le système soit assez alambiqué. Comme vous l'avez mentionné, nous avons un système à deux vitesses, un qui fonctionne en toute légalité et l'autre vraiment illégal.

    Premièrement, quelle est la différence entre la légalisation et la décriminalisation?

+-

    M. John Lowman: Dans la documentation, la légalisation fait référence aux systèmes où c'est l'État qui délivre des permis—bordels d'État, quartiers réservés, et ainsi de suite. Il faudrait adopter divers types de lois en droit civil pour la délivrance de permis et le contrôle de la prostitution.

    Quant à la décriminalisation, elle fait référence à l'élimination de toutes les références à la prostitution dans le Code criminel, et au recours à des lois générales au criminel visant l'exploitation, la violence et ainsi de suite. Certaines devront peut-être être réécrites en vue d'atteindre ces objectifs, mais il faudrait avoir recours à une loi générale sur la nuisance, par exemple, pour s'attaquer à la prostitution de rue.

    Les défenseurs de la décriminalisation ne sont pas favorables aux structures reposant sur la délivrance de permis, dans la mesure où ils s'inquiètent à l'idée que l'État pourrait devenir un souteneur encore plus exigeant, pour utiliser cette métaphore, que n'importe quel autre acteur de la rue. J'ai parlé à des femmes ayant travaillé dans des Centres érotiques, en Allemagne. Lorsqu'elles m'ont décrit les loyers qu'elles devaient payer pour louer un espace, et les conditions dans lesquelles elles travaillaient, j'en ai frémi. Ce n'est pas exactement la vision que j'ai de l'orientation que nous voulons prendre.

    Mais ce sont là les questions fondamentales. Avec le droit civil, je le répète, il faudrait avoir recours à des lois générales, qui ne seraient pas rédigées spécifiquement en vue de contrôler la prostitution, mais plutôt en vue de régir le commerce de façon plus générale, le zonage, et ainsi de suite.

+-

    M. Inky Mark: Donc, essentiellement, on ne peut songer à la décriminalisation sans envisager en même temps les aspects liés à la légalisation.

+-

    M. John Lowman: Je pense qu'en fin de compte, c'est comme ça que nous allons trouver une solution. Il s'agit de déterminer de quel genre de lois nous avons besoin et comment elles devront être rédigées. Et à mon avis, la recherche devrait s'orienter aujourd'hui, et il faudra aussi que nous entreprenions de grands exercices de discussion à cet égard, vers les personnes qui exercent le commerce du sexe. Si nous concevons des lois avec lesquelles ces personnes ne sont pas d'accord, alors... je veux dire, il n'est pas question de rédiger des lois en vue de plaire à un certain groupe de personnes, naturellement, mais si ces lois n'ont aucun sens pour elles, nous risquons de faire dérailler le processus encore une fois.

+-

    M. Inky Mark: Dans le monde occidental, combien de pays ont mis en place un système légalisé de prostitution, sous le contrôle de l'État?

¼  +-(1810)  

+-

    M. John Lowman: Beaucoup. En Allemagne, il y a les « Éros Centres ». En Australie, il existe une certaine forme de prostitution légale. La Nouvelle-Zélande l'a décriminalisée il y a deux ans, je pense, mais il existe dans ce pays une forme de législation rampante, de sorte que leur version de la décriminalisation s'apparente davantage à la légalisation. Les Néerlandais l'ont décriminalisée. Le Danemark l'a décriminalisée. En Angleterre, les lois sur la prostitution sont assez semblables, mais il est légal pour une femme de travailler à partir de son propre appartement, sans s'attirer les foudres de la Loi sur les maisons de débauche. Bien entendu, au Nevada, la prostitution est légalisée, et, en Asie, les systèmes varient selon les régions.

    Des lois ont été adoptées à la suite de l'impact de la Seconde Guerre mondiale, au Japon, par exemple, où la prostitution avait toujours été légale jusqu'à cette influence; il existe toujours diverses formes de prostitution au Japon, et probablement des efforts sporadiques visant à la contrôler.

    Donc, il existe un éventail de possibilités, mais la criminalisation est le plus faible pourcentage.

+-

    M. Inky Mark: Quelle est votre opinion, d'après les recherches que vous avez effectuées, est-ce que la prostitution a un rôle à jouer dans l'intérêt public? Peut-on vraiment faire une telle affirmation?

+-

    M. John Lowman: Je pense que la réponse à cette question dépend de votre vision de la sexualité. Ayant parlé à de nombreux clients, je réalise que bon nombre ne sont pas vraiment intéressés par le sexe. Je veux dire, on entretient l'idée culturelle que, lorsqu'ils vont voir des prostituées, les hommes le font en vue d'avoir des relations sexuelles. Mais les entretiens que j'ai eus avec les prostituées et les hommes qui les fréquentent, m'ont révélé que 15 à 20 p. 100 d'entre eux n'achètent pas réellement des services sexuels; ils ont un besoin désespéré d'être touchés, d'avoir des relations de camaraderie.

    J'ai pris connaissance de travaux sur le rétablissement de personnes ayant subi une crise cardiaque. On a constaté que les propriétaires d'animaux domestiques voyaient leur condition s'améliorer plus rapidement. Je pense qu'il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas sur les moteurs de la prostitution, ainsi que sur les besoins et les désirs des êtres humains qui participent à ce processus.

    Certains espèrent qu'en adoptant une approche beaucoup plus holistique, qui pourrait comprendre une certaine forme d'activité sexuelle, mais qui viserait le traitement et le toucher corporel, la prostitution de l'avenir pourrait prendre un visage très différent de celui qu'elle arbore aujourd'hui.

    À l'ère victorienne, une opinion bien ancrée dans la morale publique voulait que la prostitution joue le rôle de rempart ultime de la famille. On faisait référence à une sexualité hédoniste qui n'entraînait pas la rupture de la cellule familiale, et autres discours semblables.

    La grande question est la suivante : pourquoi les femmes ne cherchent-elles pas à se divertir en faisant appel au commerce sexuel? Je pense que l'une des théories avancées, est que ça ne vaut pas la peine de payer pour...

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. Inky Mark: Êtes-vous d'avis que cela sert l'intérêt public, de façon générale?

+-

    M. John Lowman: Je vais vous répondre ainsi : je ne pense pas que ce soit nécessairement dommageable. Et cela signifie qu'effectivement, cela peut répondre à un besoin.

+-

    M. Inky Mark: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Mark.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, monsieur Lowman. C'est un plaisir de vous entendre. On s'aperçoit, en vous écoutant, à quel point la prostitution est un problème complexe. On sait donc qu'il n'y aura pas qu'une seule solution.

    Jusqu'à maintenant, vous êtes le seul témoin à avoir réalisé des études sur les clients. Comme vous le savez peut-être, ce comité veut surtout essayer d'éviter la violence faite aux femmes.

    Dans quelle mesure ces études sur les clients vous ont-elles permis d'apprendre des choses? Qui sont ces hommes? Sont-ils si violents? Est-ce que vos études nous apprennent quelque chose concernant la prostitution? Est-ce qu'il serait possible de les utiliser dans un contexte où on modifierait les lois?

¼  +-(1815)  

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Je pense que ce qui m'a le plus stupéfait durant les trois années pendant lesquelles j'ai travaillé avec les clients a été de constater que, contrairement à l'idée que je m'en faisais au départ, le client n'est pas un homme d'un type très défini. Au contraire, il en existe une myriade de genres différents, tout comme il existe une myriade de genres différents de travailleurs et travailleuses du sexe. D'où le premier commentaire que j'ai fait—et les travailleurs du sexe me l'ont confirmé—que beaucoup de clients ne viennent pas pour le sexe. Et même pour ceux qui ont des rapports sexuels, ce n'est pas toujours la raison principale qui les amène à consommer.

    Maintenant, notre échantillon était constitué de participants sur une base volontaire. Nous avions retenu trois méthodologies. La première consistait en un questionnaire que le répondant remplissait lui-même, et qui avait été distribué dans diverses localités, en Colombie-Britannique, et surtout à Vancouver. Les types le remplissaient et le retournaient dans une enveloppe préadressée. Nous avions aussi recruté des hommes pour qu'ils participent à des entretiens téléphoniques. Nous avons tenu 36 entrevues—ce qui m'a surpris—et nous avons aussi reçu 55 questionnaires remplis par les intéressés.

    Nous avons également tenu un sondage par Internet. Cet exercice remonte aux années 90, alors comme vous pouvez l'imaginer, nous l'avons adressé aux pays où l'on parle l'anglais. C'est le groupe cible que nous avions choisi. Nous aurions aimé l'avoir fait traduire dans plusieurs langues, mais finalement, nous ne l'avons pas fait. Donc, nous visions les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Îles Britanniques, bien entendu. À l'époque, comme vous pouvez l'imaginer, 80 p. 100 de nos répondants étaient des Américains.

    Peu d'hommes ayant répondu à ce questionnaire ont admis être violents, mais bien entendu, il s'agissait d'un groupe à participation volontaire. La plupart de ces hommes, en raison de la publicité que nous avions faite pour les recruter, étaient de ceux qui fréquentent les établissements de prostitution hors-rue.

    À l'heure actuelle, je travaille sur un nouveau dossier, celui de la prostitution hors-rue. Il y a deux établissements pour lesquels j'ai des renseignements qui remontent jusqu'à neuf ans en arrière, et dans les deux cas, ils n'ont dû appeler la police sur les lieux qu'une fois au cours de cette période. Si un homme est un prédateur misogyne, qui cherche à faire souffrir les femmes, il va se diriger vers la prostitution de rue où il est impossible de le trouver, où il passe inaperçu, où il ne risque pas d'être vu, enfin, ce genre de situation.

    Des hommes nous ont confié que la prostitution les avaient déçus. Pour eux, il n'était pas nécessairement question de libérer la tension sexuelle. Certains recherchaient quelque chose de plus. Souvent, les travailleuses du sexe n'aiment pas les hommes qui cherchent à obtenir quelque chose de plus. Elles préfèrent en finir au plus vite.

    Ironiquement, les rôles sexuels se retrouvent inversés dans la prostitution. C'est la femme, du moins dans la prostitution hétérosexuelle, qui veut en finir au plus vite. Nous entretenons cette image culturelle de l'homme qui n'est là que depuis 10 secondes, et puis, oups, c'est fini. Bien entendu, les travailleuses du sexe préféreraient probablement que les choses se passent ainsi dans bien des situations.

    Donc, nous en sommes arrivés à la conclusion que les situations varient à l'infini. Et dans les contextes où les activités sont surveillées, on ne constate pas la même violence que dans la rue.

    Je suis désolé, c'était une longue réponse.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Il semble que le problème soit plutôt la prostitution de rue. Lors de témoignages--et vous en avez parlé brièvement plus tôt--, on a parlé d'un cas, à Vancouver, où on avait délocalisé les prostituées. C'est à partir de ce moment qu'on s'est retrouvé avec des milieux potentiellement très dangereux pour les femmes. Devrait-on interdire la prostitution de rue?

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Si on remonte aux années 50 et 60, il existait alors une certaine forme d'équilibre, du moins à Vancouver, et j'ai l'impression que la situation était semblable dans les autres villes. Il y avait la prostitution organisée par les grooms et les chauffeurs de taxi. Les hommes rencontraient souvent les femmes dans les cabarets. Ce sont justement ces cabarets que l'on a fermés à Vancouver. Il y avait une rue en particulier que les prostituées arpentaient, au début des années 70, c'était dans l'est du centre-ville. Il y a toujours eu de la prostitution dans ce secteur.

    Donc, au début des années 70, on assistait déjà à une prolifération de la prostitution de rue à Vancouver, et je ne pense pas que cela avait quoi que ce soit à voir avec l'exécution de la loi. On semble toujours vouloir dire que tout ce qui se passe avec la prostitution est le reflet de l'exécution de la loi. Je ne pense pas que c'était vrai à l'époque. Il se produisait alors beaucoup de changements culturels, et l'on assistait à ce que ceux qui n'ont pas connu la Seconde Guerre mondiale qualifiaient de révolution sexuelle. Je pense qu'il y avait beaucoup plus de fugueurs, et il s'est produit divers changements dans la nature du contrôle effectué localement dans les divers établissements de sexe. Il y avait de plus en plus d'établissements affichant des danseuses exotiques. Donc, c'est un peut tout cela qui était en train de se produire.

    Dans les années 70, à Vancouver, la prostitution avait lieu surtout dans les quartiers résidentiels. Bien entendu, cela représentait un problème. Mais le commerce se faisant ouvertement dans la rue, et vu la quantité de passants, et le fait que les femmes pouvaient jeter un oeil les unes sur les autres, et ce genre de choses, il y avait moins de place pour la violence. Ce n'est qu'à la suite de toutes ces campagnes visant à contrôler le milieu de la prostitution de rue, et le déplacement vers les quartiers commerciaux et industriels, que l'on a vu la vulnérabilité de ces femmes augmenter.

    À bien des égards, je pense que la législation que nous avons adoptée n'a fait que cristalliser la stigmatisation de la prostitution, et faciliter les choses pour les prédateurs misogynes qui justifient ainsi leur violence à l'endroit des prostituées. Ce qui me préoccupe le plus, avec le modèle suédois, c'est qu'il n'offre rien susceptible d'entraîner un changement dans la situation. En vérité, avec ce modèle, ce sera du pareil au même.

¼  +-(1820)  

+-

    Le président: Je pense que je n'autoriserai qu'une seule série de questions par parti, monsieur Ménard. Nous allons passer à Mme Davies, puis à Mme Fry, et lors du prochain tour, vous pourrez revenir avec vos questions, si vous le souhaitez. Je ne laisserai pas poser deux séries de questions, si vous êtes d'accord.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Pour commencer, professeur Lowman, je vous remercie beaucoup de vous être déplacé aujourd'hui. J'apprécie vraiment toute la mise en contexte que vous faites pour nous. Je pense que votre clarté de vues sur le sujet nous est extrêmement utile dans nos efforts pour essayer de bien comprendre la situation. J'ai des tonnes de questions, et j'espère que nous aurons droit à plusieurs tours.

    Il y a deux ou trois choses qui me chicotent. Premièrement, pour paraphraser ce que vous avez dit—et je suis d'accord avec vous—un peu comme avec le problème de la drogue, la prohibition entraîne une sorte de situation chaotique et violente. J'en suis venue à la même conclusion. Mais ce qui me trouble davantage, c'est ceci : vers quoi nous dirigeons-nous? Je ne pense pas que l'on envisage un modèle plus prohibitionniste, parce qu'à mon avis, ce modèle a échoué. Si nous nous engageons dans un régime décriminalisé, à quoi devons-nous nous attendre? Lorsque l'on fait la distinction avec ce que l'on considère comme légal, comme les établissements auxquels on a délivré un permis, les quartiers réservés, je ne suis pas favorable à ce scénario non plus.

    Donc, si nous décriminalisons, et si nous éliminons toutes les références du Code criminel, allons-nous nous retrouver dans la même situation non réglementée que celle que nous vivons aujourd'hui, une situation potentiellement dangereuse? Lorsque vous dites que nous devons faire en sorte d'empêcher les jeunes de se lancer dans la prostitution, et nous ne pouvons y arriver qu'en mettant en place des mesures de contrôle, alors, comment se présentent les choses? Je n'arrive pas à imaginer, pour le moment, à quoi ce régime pourrait bien ressembler. Peut-être que vous pourriez éclairer ma lanterne.

    L'autre chose qui revient sans cesse, dans la bouche de tous les témoins, est cette idée du spectre—vous savez, de l'esclavage sexuel au sexe comme moyen de survivre, en passant par le sexe par choix personnel. Je pense que cette question aussi présente des difficultés. Comment en arrive-t-on à déterminer le moment à partir duquel on peut véritablement parler de choix? Parce qu'il y a une zone grise. Nous pourrions prendre le cas d'une serveuse, par exemple, et dire que peut-être qu'elle n'a pas choisi d'être serveuse—je veux dire, qui choisit de devenir serveuse—mais du moment qu'une personne l'est, elle devrait au moins être en sécurité. Elles devraient avoir des conditions de travail, elles devraient recevoir une rémunération décente, et elles ne devraient pas être exploitées. Donc, il est difficile d'évaluer toute la question du choix.

    Si vous pouviez commencer par répondre à ces deux questions, ce serait déjà quelque chose.

+-

    M. John Lowman: Commençons par le deuxième point, la question du choix. C'est la question la plus difficile à conceptualiser avec la prostitution. Il y a des gens qui se disent qu'aucune femme ne choisirait jamais la prostitution si elle avait réellement le choix. Mon problème vient de cette idée justement « si elle avait réellement le choix ».

    Dans un monde abstrait, si nous pouvions tous faire exactement ce nous aimons, combien de personnes effectueraient un travail rémunéré, quel qu'il soit? Eh bien, je pense que beaucoup choisiraient de le faire, effectivement, mais je soupçonne qu'il y en aurait tout un tas qui choisiraient d'arrêter si, tout d'un coup, ils recevaient un chèque chaque semaine sans être obligé de faire quoi que ce soit en retour. Moi, j'aime la photographie; alors, je me contenterais de me balader avec mon appareil.

    Aussi, je ne suis pas sûr de la véracité de cette affirmation abstraite comme quoi « aucune femme ne choisirait jamais », et je sais en revanche que lorsque je considère les échelons supérieurs de la prostitution, je rencontre des femmes qui ont des diplômes. Des femmes ayant fait des études et entrepris de faire différentes choses, ayant choisi une profession entièrement différente. Autrement dit, je rencontre des personnes qui ont effectivement le choix.

    Toutefois, à l'autre extrémité du spectre, et je pense à une adolescente de quinze ans qui s'est enfuie d'un foyer de groupe, d'une famille d'accueil ou de chez elle où elle est victime d'abus, et qui se retrouve dans la rue, quels sont les choix qui s'offrent à elle? Elle est sans-abri. Les services sociaux ne pourront rien faire pour elle si elle veut demeurer autonome. Ils tenteront bien souvent de la rendre à sa famille, ou de la placer dans un foyer de groupe, ou quelque chose du genre.

    Ce que j'ai réalisé au sujet des jeunes qui s'enfuient de la maison et qui se retrouvent dans la rue, c'est que la chose qui importe le plus pour eux c'est l'autonomie, même si c'est une autonomie illusoire en raison des pièges qui les menacent.

    L'une des choses qui m'a vraiment donné à réfléchir à ce sujet est le livre de Maggie deVries.

¼  +-(1825)  

+-

    Mme Libby Davies: Elle était ici, la semaine dernière.

+-

    M. John Lowman: J'ai lu son livre intitulé Missing Sarah, et il y a ce passage où elle explique que même si Sarah vivait des temps extrêmement difficiles, même si elle voulait que certaines choses changent dans sa vie, elle continuait de faire des choix. Aimerions-nous nous retrouver dans la situation de devoir faire certains de ces choix? Je ne pense pas. Mais, là où je veux en venir, c'est que l'on fait parfois des choix dans des conditions que l'on n'a pas choisies.

    En fin de compte, dans le meilleur des mondes possible, ce que je veux voir, c'est que si des personnes veulent se prostituer, ce sera par choix, plutôt que par la force des choses. Bien entendu, la question de savoir si nous atteindrons jamais ce monde idéal, reste entière.

    Les gens font des choix, mais pas dans des conditions qu'ils ont choisies eux-mêmes. C'est une question de contraintes et de choix. Certains d'entre nous sont plus privilégiés que les autres au chapitre des choix à faire.

    Maintenant, pour revenir à votre première question. Disons que nous décriminalisons la prostitution; est-ce que cela signifie que nous abandonnons tout ce commerce aux lois du marché? Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment ce que nous voulons. Je lisais un article d'un journal danois de langue anglaise publié à Copenhague dans lequel on expliquait que certains services sociaux avaient été retirés aux femmes depuis la décriminalisation de la prostitution. Si tout ce à quoi nous en arrivons c'est de dire : « Vous êtes une mère monoparentale, on ne vous donne plus d'aide sociale, vous n'avez qu'à aller travailler au bordel », eh bien, à mon avis, ce n'est pas un résultat tellement reluisant. Et ce n'est certainement pas ce à quoi nous voulons en venir.

    En Nouvelle-Zélande, la législation a contourné le problème en... et c'est plus facile en Nouvelle-Zélande, étant donné le système politique; il s'agit d'un pouvoir centralisé qui est distribué par l'administration centrale de manière à pouvoir conserver le contrôle. Dans leur législation, il est stipulé que l'on ne peut cesser de verser des prestations à une personne parce qu'elle n'est pas intéressée par la prostitution.

    Donc, c'est une question qui me préoccupe. Est-ce qu'en fin de compte on finira par adopter des lois réglementant le zonage? J'ai bien peur que l'on en arrive là. L'une des suggestions du Comité Fraser, pour des motifs de sécurité, était que deux personnes devraient être autorisées à travailler dans le même appartement plutôt qu'une seule. Il faudra réécrire les règlements de la Ville de Vancouver sur la délivrance des permis, qui ne permettent qu'à une seule personne de le faire, comme à Burnaby, là où j'habite, où une seule personne est autorisée à travailler à partir d'une résidence.

    C'est alors qu'entre en jeu l'argument suivant, une fois que l'on permet ce genre de choses... C'est ce que j'appelle l'argument du « nid de prostituées »; des gens apprendraient qu'une prostituée travaille à côté, ils déménageraient, d'autres prostituées viendraient s'ajouter, et soudain on se retrouverait avec un nid de prostituées.

    Je dirais qu'actuellement, au Canada, moins de 20 p. 100 de la prostitution a lieu dans la rue et au moins 80 p. 100 a lieu dans des établissements hors-rue. Ce qui est fascinant à ce sujet, c'est que ces choses se produisent parmi nous, chaque jour, à notre insu. Les services de police nous affirment toujours que l'exécution de la Loi sur la prostitution est toujours le résultat de plaintes. Eh bien, on dirait que l'on ne reçoit pas beaucoup de plaintes au sujet de ces petits salons de massage situés dans les centres commerciaux de quartier, et ainsi de suite, mais nous ignorons ce qui se passe dans certains d'entre eux. Nous ignorons que des immigrantes y travaillent parce qu'elles sont en servitude pour dettes et pour diverses autres raisons. Donc, il y a des tas de problèmes différents.

    C'est ce qui me ramène à l'idée que lorsque l'on veut aborder le genre de mesures de contrôle à mettre en place, il est très important de demander l'avis des personnes qui devront se conformer à ces lois. Qu'il s'agisse de lois générales ou de lois sur le zonage interdisant le commerce dans la rue—des chaussures, des services sexuels ou de quoi que ce soit—ou qu'il s'agisse de lois spécifiques, ce sont toutes des questions qui demeurent ouvertes.

    J'aimerais pouvoir vous dire que je possède la formule magique, la solution rêvée. Selon moi, ce dont nous avons besoin maintenant c'est d'un processus auquel tous les intervenants clés pourront participer. C'est, d'après moi, ce qui se rapproche le plus de la formule magique.

¼  +-(1830)  

+-

    Le président: Merci.

    Docteure Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Ah, professeur Lowman; vous avez déjà répondu à toutes les questions que j'avais essayé de poser aux autres témoins avant vous.

    La question du choix est centrale, en ce qui me concerne. Je n'ai pas cessé de la remettre sur le tapis. Je pense que nous avons eu tendance à considérer la question de la prostitution comme s'il s'agissait d'une question d'ordre purement moral; nous ne l'avons jamais envisagée sous un autre angle.

    J'ai essayé d'aborder ce point de vue avec les autres témoins que nous avons entendus, et la plupart me répondaient : « Aimeriez-vous que votre fille fasse cela? » Et je pense que c'est aussi la question que vous avez posée. Lorsque j'ai entendu le témoignage de Maggie deVries, il me semble qu'elle a clairement fait savoir que Sarah avait fait certains choix, et qu'elle continuait de le faire.

    En ce qui me concerne, vous avez situé ce que je voulais entendre dans une grande perspective. Premièrement, nous avons mentionné l'esclavage sexuel. Je pense que nous savons que cela fait partie de toute la question du crime organisé, etc. Il faut parler de ce que nous avons l'intention de faire à ce sujet. Nous devons également parler du sexe comme moyen de survivre, et naturellement, il faut se pencher sur les racines du mal.

    Je ne pense pas que, en tant que membres de ce comité, nous devons nous limiter à l'étude de cette loi, aux modifications que nous voulons suggérer et adopter, et que notre tâche sera terminée. Non, au contraire, à mon avis, il faut parler de la prévention, et aussi des causes qui sont à la racine du mal pour trouver une solution à ce problème. Ensuite, nous devons aborder les aspects qui consistent à atténuer les dommages. Si une personne choisit d'exercer la prostitution, comment faire en sorte que ce choix puisse s'exercer en toute sécurité, autrement dit, comment faire en sorte que ce soit vraiment un choix?

    Ce sont les pièces du puzzle que j'essayais de mettre ensemble, et je dois dire que vous m'y avez extraordinairement aidée. Je tiens à vous en remercier.

    Il reste toutefois certains aspects qui, à mon sens... et Libby en a parlé. Je pense que nous avons siégé toutes les deux au même comité, le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou de médicaments, et nous avons pu constater à répétition que la prohibition mène invariablement à une activité criminelle organisée et secrète. Lorsque l'alcool a été interdit aux États-Unis, que s'est-il passé? C'est à cette époque que tous les réseaux du crime organisé ont commencé à proliférer et à prospérer. C'est pourquoi je pense que lorsque l'on opte pour la prohibition, on force toutes ces activités à se rabattre dans l'interlope, et on expose certains à l'exploitation par des groupes criminels.

    La question que je voulais vous poser... et vous venez d'y répondre en répondant à Libby, et c'est en fait : si nous décriminalisons, de quelles mesures de contrôle disposons-nous et comment allons-nous pouvoir les mettre en oeuvre afin de garantir une liberté de choix réelle? J'aimerais que vous nous parliez encore un peu de cette question.

    Si nous optons pour les quartiers réservés, on pourra faire valoir l'argument contraire qu'avancent les féministes—et je me considère moi-même féministe, mais je n'en suis pas moins contre cet argument—comme quoi, toute la question tourne autour de l'exploitation. Je pense que la Suède a construit toute sa législation sur cette base, le fait que les femmes sont toujours des victimes, et de fait, dans la prostitution, beaucoup de femmes sont des victimes. Comment éliminer cette exploitation et rendre aux femmes le pouvoir de décider elles-mêmes si c'est bien cela qu'elles veulent faire de leur vie? Selon moi, cette approche est tout à fait cohérente avec la théorie féministe. Si on pense qu'une femme est propriétaire de son corps, alors elle devrait l'être en tout temps, et peu importe les circonstances, du moment qu'on lui fournit les outils et les mesures de contrôle nécessaires pour lui permettre de faire ces choix en toute sécurité.

    Vous avez déclaré qu'aux Pays-Bas la prostitution avait été décriminalisée. J'aimerais savoir quels ont été les résultats de la décriminalisation dans ce pays. Avez-vous des chiffres à ce sujet?

    Deuxièmement, l'idée que la prostitution hors-rue existe réellement... et vous avez confirmé ce que je sais déjà, comme médecin, à savoir que 80 p. 100 de la prostitution a lieu hors de la rue, et nous n'avons pas la moindre idée de ce qui se passe. Et plus particulièrement en ce qui concerne les enfants et les jeunes qui font l'objet d'une exploitation sexuelle commerciale—cette exploitation a lieu, majoritairement par l'entremise d'Internet et hors-rue—que pouvons-nous faire à ce sujet précis?

    J'aimerais aussi connaître les résultats de l'expérience tenue aux Pays-Bas, c'est-à-dire, les résultats de la décriminalisation aux Pays-Bas. Quels ont été ces résultats?

¼  +-(1835)  

+-

    M. John Lowman: Je vais commencer par les Pays-Bas. J'ai souvent été en contact avec des chercheurs hollandais au fil des ans. Je ne connais pas les statistiques les plus récentes, mais il est certain qu'on y trouve énormément de travailleurs du sexe venant de partout en Europe, à cause de la liberté de mouvement. En revanche, on ne trouve pas aux Pays-Bas un nombre faramineux de femmes assassinées. Je ne pourrais l'affirmer avec certitude—il serait intéressant de s'adresser directement à des chercheurs de l'institut de recherche sur la prostitution pour en savoir plus sur certains aspects—, mais je ne crois pas qu'on y trouve les mêmes problèmes qu'ici chez les enfants.

    Il est rare qu'on réfléchisse à l'éducation des clients. Nous avons les écoles John, mais ils n'y reçoivent pas le genre d'éducation auquel je pense. Pourquoi ne pas montrer aux clients qu'il est acceptable d'acheter les services sexuels d'un adulte, pas d'un enfant?

    L'une des constatations les plus intéressantes de notre enquête est que 97 p. 100 des clients environ étaient absolument convaincus que les enfants ne devraient pas se prostituer. Je le répète, il s'agit d'un échantillon que j'ai moi-même choisi; je sais pertinemment que certaines personnes sont intéressées par les enfants, je ne le nie pas. Il en existe. Cependant, je suis convaincu qu'il sera plus facile de mettre fin à l'exploitation des enfants si nous prenons le contrôle de la situation.

    J'aimerais ajouter un dernier élément au sujet des Pays-Bas. La prostitution y a été officiellement décriminalisée en 1999 seulement, ou 1998 peut-être, même si elle a toujours été tolérée. Au début des années 90, j'ai commencé à recevoir des rapports de collègues chercheurs faisant état de la propagation de la prostitution de rue dans les villes hollandaises. J'étais vraiment étonné. En y regardant de plus près, on s'est aperçus que ces femmes étaient originaires de l'Europe de l'Est et de l'Amérique centrale et qu'elles étaient venues aux Pays-Bas pour établir leur pratique.

    Il a été proposé notamment de les déporter. Fait intéressant, les Hollandais s'y sont opposés. « La déportation ne ferait que déplacer le problème. Il faut s'attaquer au problème chez nous et, à long terme, trouver des solutions pour améliorer le sort de ces femmes. » On parle ici de prostitution de rue de bas de gamme, dans des conditions qui s'apparentent à celles que nous connaissons ici. Les femmes en cause avaient souvent été victimes de violence sexuelle. Les caractéristiques sont très similaires à celles que l'on remarque chez les travailleurs du sexe pour la survie, alors que leurs recherches montraient que les femmes des échelons supérieurs de la prostitution de rue n'ont pas les mêmes antécédents.

    Devant le problème montant de la prostitution de rue, les Hollandais ont créé des « zones pointillées ». Cela peut sembler un peu ridicule, mais il s'agit d'un stationnement avec 40 postes de travail. C'est contrôlé. Le commerce se déroule à l'intérieur des postes. C'est de la prostitution de bas de gamme.

    « C'est terrible », diront certains. Voici ce que je leur répondrais : «J'aime beaucoup mieux cela que d'avoir à lire les dossiers de 50 femmes mortes.»

    Quelle était l'autre partie de la question?

+-

    L'hon. Hedy Fry: L'autre partie de la question concerne les solutions proposées à l'exploitation sexuelle commerciale des jeunes et des enfants. Toutes ces activités se déroulent dans la plus totale clandestinité, bien entendu, en raison de leur caractère criminel.

¼  +-(1840)  

+-

    M. John Lowman: Oui.

    Je ne vois pas que la tolérance, la réglementation, la légalisation ou la décriminalisation, ou quoi que ce soit dans cette veine, puisse aggraver la situation pour les enfants. Bien au contraire, ils en bénéficieraient puisqu'il serait plus facile de les préserver contre certaines formes de trafic sexuel. Cependant, cela n'aura aucun effet sur l'arrière-scène, sur le trafic qui se fait dans Internet et par d'autres voies.

    L'une des constatations les plus intéressantes de nos échanges avec les travailleurs et travailleuses du sexe depuis des années est leur totale opposition à l'implication des enfants et des jeunes dans la prostitution. Par conséquent, si notre attitude à l'égard de la prostitution en était une de tolérance, ces travailleurs seraient vraisemblablement parmi nos meilleurs alliés pour contrer le commerce des enfants.

+-

    Le président: Monsieur Mark.

+-

    M. Inky Mark: Merci, monsieur le président. J'ai deux petites questions.

    Premièrement, quelle est la prévalence de la prostitution mâle au pays?

+-

    M. John Lowman: Selon les estimations, il y aurait environ cinq vendeuses de services sexuels pour chaque vendeur, ce qui comprend les garçons qui s'habillent en garçons; les travestis et les transgenres, c'est-à-dire les personnes qui sont en voie de changer de sexe. On estime donc que le pourcentage des hommes dans la rue est de 20 à 25 p. 100.

    Pour ce qui est du commerce hors rue, l'estimation devient beaucoup plus difficile. Cependant, il est certain que des hommes travaillent pour les agences d'escorte et autres services du genre.

+-

    M. Inky Mark: Vous nous avez affirmé aujourd'hui qu'il s'agissait d'une industrie hautement clandestine. D'après les études menées dans d'autres pays où la situation s'apparentait à la nôtre avant les changements, c'est-à-dire 80 p. 100 d'activités clandestines, combien d'années leur a-t-il fallu pour parvenir à la légalisation?

+-

    M. John Lowman: Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question, très intéressante soit dit en passant. Je ne le sais pas. À vrai dire, je n'ai jamais cherché à le savoir.

+-

    M. Inky Mark: Dans un autre ordre d'idées, je conviens avec vous que tous les intervenants doivent unir leurs efforts. Est-ce qu'on a déjà fait des tentatives en ce sens ici? A-t-on essayé de réunir le municipal, le provincial et le fédéral, par exemple?

+-

    M. John Lowman: Pas vraiment. Soit, il y a bien eu diverses réunions. Libby a tenté d'en organiser à Vancouver, de réunir toutes les parties autour d'une table pour discuter du problème en profondeur. Il faut aller dans le sens d'une plus grande concertation.

+-

    M. Inky Mark: Quelle a été l'approche européenne? Le fédéral a-t-il imposé une approche descendante, qui suppose le contrôle sur les provinces et les états...

+-

    M. John Lowman: Les approches varient énormément, mais j'ai l'impression qu'aux Pays-Bas, la prise de décisions se fait selon une approche beaucoup plus intégrée. Je crois également que, à bien des endroits au Canada, si on décidait d'adopter un régime de légalisation ou de décriminalisation, il n'aurait pas grande influence sur les salons de massage et autres services haut de gamme. Il existe déjà un régime de légalisation. Vous le constaterez par vous-mêmes très nettement quand vous prendrez connaissance des règlements municipaux de Vancouver, que j'ai intégrés à mon mémoire.

+-

    M. Inky Mark: Quel sera le grand facteur déclencheur qui nous permettra de prendre cette direction, selon vous?

+-

    M. John Lowman: La volonté de changement. La volonté de changement et la volonté du gouvernement de modifier les lois pour que ce soit possible.

+-

    M. Inky Mark: Merci.

+-

    Le président: Madame Brunelle ou monsieur Ménard.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ): Je suis très heureux d'avoir entendu votre témoignage. Je suis député dans l'est de Montréal, et il y a sur mon territoire une centaine de travailleuses du sexe connues des autorités policières.

    J'ai déposé en 2001 un projet de loi qui n'a pas été voté, mais qui proposait un régime public de licences pour maisons closes. Un permis aurait été émis--à l'époque, il se serait agi du solliciteur général--, assorti de certaines conditions. J'étais convaincu qu'en fin de compte, il fallait faire la distinction entre la prostitution de rue et le travail d'escorte. Pour moi, ce sont deux réalités complètement différentes: ni les conditions de travail ni les motivations ne sont les mêmes.

    Est-ce que vous seriez partisan d'une formule de ce genre? Est-il possible d'entamer ce débat sans qu'on se réfère automatiquement à un seul modèle, c'est-à-dire celui du Nevada? Quand je me suis exprimé sur ces questions, j'ai eu tous les groupes féministes sur le dos. On m'a dit que les conditions de travail étaient horribles, que les filles étaient captives, etc. Croyez-vous qu'en tant que législateurs, on puisse souhaiter reconnaître les travailleuses du sexe, définir les règles du jeu et aménager cela de manière à ce que tout le monde y trouve son compte?

    Je dois dire, cependant, que je n'étais pas d'accord sur la partie de votre témoignage où vous parliez de libre choix. Je n'ai jamais été en présence de travailleuses du sexe qui me disaient se réaliser professionnellement. Je connais les travaux de Mme Shaver, de Montréal. Elle dit que ces activités ne sont pas l'apanage d'une seule classe. J'ai rencontré des escortes qui faisaient beaucoup d'argent et dont les conditions étaient très différentes de celles qu'on retrouve chez les prostituées de rue. Dans leur cas, il y a toujours une voie obligée qui les a conduit là.

    Revenons à un point précis, en l'occurrence un régime public de maisons closes assorti d'une intervention du ministère de la Justice. Croyez-vous que cela pourrait à toutes fins utiles faire l'objet d'une recommandation de notre comité?

¼  +-(1845)  

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: À maints aspects, votre recommandation se rapproche de très près du type de loi préconisé par le Comité Fraser. Il a même employé l'image d'une industrie artisanale, bien qu'à mon avis cette image soit un peu boiteuse compte tenu des problèmes dont il est question.

    Le plus gros problème est de savoir quoi offrir aux femmes qui n'ont pas les moyens de payer les frais que toute forme de prostitution hors rue génère. Les femmes qui travaillent dans le Downtown Eastside de Vancouver, qui demandent parfois aussi peu que 5 $ parce que c'est le prix de leur prochaine dose de crack—le plus difficile est de trouver une solution adéquate pour ces femmes. Ce sont ces femmes qui sont victimes des tueurs en série. Ce sont des victimes de prédilection.

    Le travail hors rue coûte cher. Les femmes qui peuvent travailler dans ce contexte ne sont pas légion. Vous ne verrez pas parmi elles les utilisatrices de drogues injectables. La principale difficulté avec les permis est le refus prévisible de beaucoup de femmes, qui ne voudront pas être stigmatisées comme prostituées pour le restant de leur vie. Tout un monde parallèle continuera d'exister derrière celles qui auront leur permis de pratique.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Votre témoignage ne démontre-t-il pas qu'en tant que législateurs, nous devrions procéder en deux étapes? Dans la mesure où vous reconnaissez objectivement qu'il y a un lien entre la prostitution et la narcodépendance, ne croyez-vous pas qu'on devrait d'abord essayer de s'attaquer au problème de la consommation chez les filles, pour ensuite faire en sorte qu'elles soient en mesure de se réconcilier avec certaines règles du jeu? On ne forcerait personne, bien entendu.

    En fait, chez moi, dans mon quartier montréalais, les gens ne posaient pas un regard moralisateur sur la prostitution. Ils me disaient ne pas être choqués par le fait que deux adultes consentants aient des échanges sexuels, mais affirmaient être dérangés par les conditions dans lesquelles les filles se retrouvaient, par exemple lorsqu'elles étaient désorganisées ou dans des situations choquantes sur le plan humain.

    Le projet de loi que j'avais déposé comportait une obligation de réserver un fonds d'aide destiné à la désintoxication des filles. Pour votre part, vous réitérez l'idée selon laquelle on ne peut pas mettre en place un régime public sans au préalable avoir offert aux filles ou aux garçons--bien qu'il soit connu que 95 p. 100 de la prostitution est liée à la gent féminine--des mesures d'aide.

    Vous êtes donc d'accord pour dire qu'il faut d'abord poser des gestes concernant la désintoxication avant de passer à des mesures publiques visant à encadrer la prostitution.

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Oui.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Je pourrais moi aussi aller à votre université et assister à vos cours.

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Je devrai retourner à l'école pour apprendre le français. Je suis très embarrassé d'avouer que je ne vous comprends pas.

    Mais je prends note de vos remarques. Il est indéniable que le système de la prostitution est très stratifié. Si je prends le problème de la toxicomanie dans le Downtown Eastside—la police de Vancouver a estimé en 1995 que 450 femmes s'étaient prostituées dans ce secteur à un moment donné dans l'année. La plupart des activités de prostitution étaient liées à l'usage de drogues. Si on réglait le problème de la narcodépendance, beaucoup de ces femmes ne se retrouveraient pas dans la rue. Malheureusement, elles sont prises dans un cercle vicieux de dépendance et de pauvreté. Beaucoup sont autochtones. C'est une conséquence directe des pensionnats.

    Je me réjouis particulièrement aujourd'hui de vous entendre, vous qui serez ultimement chargés de prendre des décisions et de faire des recommandations, me dire que vous avez conscience que les lois constituent en fait une très petite partie de la solution, et que si on se contente de faire des modifications législatives sans les autres changements préconisés, nous courons droit à l'échec.

¼  +-(1850)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Il m'arrive parfois de désespérer et de penser que nous n'y arriverons jamais, que rien ne changera. Puis de nouveau l'espoir jaillit quand je pense aux changements véritablement transformateurs qui se sont produits dans le domaine de la narcodépendance, à Vancouver notamment. Il y a eu des progrès. Ce sont des problèmes très liés.

    Je sais que la Dre Patricia Spittle a beaucoup travaillé auprès des travailleuses du sexe les plus vulnérables parce qu'elles sont héroïnomanes. Ce sont des travailleuses du sexe très vulnérables à cause de la nature même de cette drogue. Quand vous parlez des passes à 5 $...

    Il me semble que si on s'engageait à l'échelon local—deux aspects entrent en ligne de compte. Tout d'abord, pour ce qui est de la narcodépendance, les changements sont réels. On a écouté les utilisateurs. Au lieu d'en faire des parias, on a tout à coup commencé à les voir comme des humains, qui avaient leur mot à dire. Je crois que c'est une étape que nous devons franchir également dans le domaine de la prostitution. D'ailleurs, on voit certains efforts en ce sens.

    Par ailleurs, il faut envisager le problème dans son contexte local. Nous avons reçu des représentants du ministère de la Justice, à qui j'ai demandé ce que nous pouvions faire, quels choix s'offraient à nous. Ils nous ont notamment suggéré de nous inspirer de ce qui se fait dans le domaine du jeu. Le jeu demeure illégal, mais le Code criminel permet une certaine réglementation. Dans ce cas, la réglementation relèverait du provincial.

    Avons-nous un moyen quelconque de régler cette question? La solution ne repose-t-elle pas en partie sur la latitude donnée à l'échelon local? Ne pourrions-nous pas dire aux municipalités que la décriminalisation leur donnerait toute la latitude voulue pour trouver et appliquer leurs propres solutions? Ne serait-ce pas selon vous la meilleure piste à suivre? Ou pensez-vous au contraire que le mieux serait d'agir à l'échelon national, que c'est au niveau le plus élevé que nous pourrons mettre fin à l'attitude prohibitionniste?

    Je le répète, nous ne savons pas par où commencer.

+-

    M. John Lowman: L'une des conséquences de la décriminalisation, du retrait du Code criminel, serait précisément ce dont vous avez parlé. En un sens, le gouvernement fédéral se désinvestirait de tout droit de regard. Si on abroge les dispositions sur la prostitution du Code criminel, on donne le champ libre aux provinces et aux municipalités, selon la répartition des pouvoirs et les mécanismes en action. Il serait tout à fait logique que le municipal ait le plus de latitude possible en matière de législation. Selon moi, cela coule de source.

    Ce qui m'inquiète entre autres et qui me fait penser que je ne voudrais pas être à votre place est la difficulté d'amener les trois échelons de gouvernement à pointer dans la même direction. Si des municipalités se ferment totalement à toute forme d'intervention parce qu'elles ne veulent pas avoir affaire à la prostitution, pour toutes les raisons invoquées, on peut s'attendre à toutes sortes de nouveaux problèmes. Toutefois, si nous prenons l'exemple de la Loi sur les municipalités de la Colombie-Britannique, elles ne peuvent interdire une entreprise sous le seul prétexte qu'elles n'aiment pas ce commerce, ce qu'elles ont toujours invoqué dans le débat sur l'émission des permis aux services d'escorte, même si sur le plan moral ou autre elles sont contre.

    Je suis d'avis que la conséquence logique de la légalisation ou la décriminalisation sera une plus grande liberté d'action des municipalités, puisque le gouvernement fédéral se départira lui-même de ses pouvoirs.

¼  +-(1855)  

+-

    Mme Libby Davies: Est-ce qu'il me reste un peu de temps?

+-

    Le président: Oui, pour une toute petite question, madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: D'accord.

    Dans tous les autres pays dont vous avez parlé, y en a-t-il un au moins qui s'est doté d'un régime de décriminalisation efficace qui prévoit des pouvoirs législatifs à l'échelon local? Connaissez-vous un modèle dont nous pourrions nous inspirer?

+-

    M. John Lowman: À mon avis, nous devrions examiner particulièrement les régimes législatifs de la Nouvelle-Zélande et des Pays-Bas.

    Une voix: Et celui de l'Australie?

    M. John Lowman: Je le connais moins bien.

    Parlez-vous de l'Italie...

+-

    Mme Libby Davies: Non, l'Australie.

+-

    M. John Lowman: Je m'excuse. Oui, l'Australie. Comme vous pouvez le constater, je devrai vraiment retourner à l'école. Toutes mes excuses.

    Le régime australien est beaucoup plus près de la légalisation que de la décriminalisation. Cependant, comme il est en place depuis plusieurs années maintenant, il mérite vraiment qu'on s'y attarde de plus près. Les écueils sont nombreux, tout autant que les possibilités d'erreurs.

    Quelle que soit la voie adoptée, il faudra absolument prévoir un mécanisme d'examen rapide, parce que nous ferons certainement des faux départs. Nous ne trouverons pas la solution parfaite dès le début, c'est certain.

    C'est pourquoi je reviens toujours au même point : il ne suffira pas d'examiner d'autres régimes législatifs, il faudra surtout demander l'opinion de ceux qui sont touchés par ces lois.

+-

    Le président: Monsieur Mark.

+-

    M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

    J'ai quelques brèves questions sur ce que vous venez de dire. Croyez-vous que, pour donner rapidement le botté d'envoi au processus, les municipalités ou les provinces devront commencer par faire une analyse générale de la prostitution?

    J'aimerais aussi vous demander, après toutes ces années de recherches, ce que vous pensez de la volonté». Vous dites que la volonté et l'engagement sont les ingrédients moteurs de la solution. Où en sommes-nous actuellement à ces égards?

+-

    M. John Lowman: Les groupes de pression prohibitionnistes semblent extrêmement puissants, bien qu'ils représentent en fait une très faible part de la population canadienne. En réalité, on a très peu sondé l'opinion publique sur la question de la prostitution, ce qui devrait peut-être se faire. Le Comité Fraser a réalisé un sondage en 1984, et environ la moitié des répondants considéraient que la prostitution entre adultes consentants devrait être permise dans les lieux privés. C'est assez étrange si on considère que 80 p. 100 d'entre eux croyaient que la prostitution était illégale. Ils ne savaient pas que, dans les faits, elle était légale, ce qui influe bien entendu sur leur opinion.

    Faut-il faire d'autres études? À un certain niveau, ce n'est pas nécessaire. C'est seulement un moyen... Il faut trouver des moyens de tenir compte de ceux qui pratiquent ce commerce, mais avons-nous besoin d'autres études universitaires? Non.

    Je ne devrais pas faire une telle affirmation, cela va de soi, mais...

+-

    M. Inky Mark: Selon les études que vous avez faites dans d'autres pays, à qui revient la responsabilité principale de la santé dans le régime législatif?

+-

    M. John Lowman: Cela varie beaucoup. Je crois que l'opinion penche le plus souvent en faveur de l'éducation sur la santé comme moyen privilégié de préserver la santé des intéressés plutôt que toute forme de contrôle obligatoire ou autre mesure du genre. Les contrôles obligatoires posent toutes sortes de problèmes. Par exemple, si une personne subit un contrôle un jour et contracte une maladie la semaine suivante, mais que le prochain contrôle a lieu seulement le mois après, quel est l'intérêt?

    Le plus important est d'enseigner les pratiques sexuelles sans risque et de faire en sorte que tous ceux qui sont impliqués dans le commerce du sexe appliquent des pratiques sûres. À savoir si des mécanismes légaux permettront d'y arriver, j'ai l'impression que la plupart des groupes de médecins vous diraient que ce n'est pas la bonne solution parce qu'ils favorisent la clandestinité. Les contrôles obligatoires poussent les intéressés à trouver des voies d'évitement. On en revient toujours à la stigmatisation et à tout ce qui en découle. Et puis pourquoi les travailleuses et les travailleurs du sexe sont-ils les seuls à devoir subir des contrôles? Pourquoi pas les clients?

    Tous ces arguments ont leur poids.

½  +-(1900)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Mark.

    Monsieur Ménard.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Un de vos collègues, le sociologue Richard Poulin, que vous connaissez peut-être, a beaucoup publié sur une nouvelle donnée du problème de la prostitution, en l'occurrence le trafic sexuel, particulièrement à l'échelle internationale. Dans nos quartiers— je parle surtout de Montréal parce que c'est la ville que je connais le mieux—, beaucoup de gens croient que les règles du jeu de la prostitution ont évolué, en ce sens qu'il n'y a plus de proxénètes à proprement parler. Le modèle d'un souteneur qui défend et protège des filles est de plus en plus désuet. Êtes-vous d'accord sur cela?

    Ensuite, comment se comporte-t-on face au trafic sexuel? Il semble qu'à Toronto, Montréal et Vancouver, certaines filles viennent de l'Asie. Compte tenu de cela, quel genre de regard devons-nous jeter sur la situation en tant que législateurs? Des dispositions de la loi permettent de poursuivre ceux qui se livrent au trafic sexuel. Pourtant, bien que la Loi sur l'immigration ait été révisée, les organismes qui voient à l'application de la loi ont malheureusement porté très peu sinon pas du tout d'accusations. Que pensez-vous du proxénétisme? Quelle est la façon moderne dont il se vit? Quelles informations voulez-vous partager avec nous concernant le trafic sexuel?

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Le terme « souteneur » n'apparaît nulle part dans le Code criminel. C'est un emprunt à la sous-culture afro-américaine. Pour bien comprendre cette sous-culture, il faut comprendre l'histoire de l'esclavage et le rôle du mâle afro-américain dans la société nord-américaine, l'évolution de cette culture et autres aspects du genre.

    Il y a encore ce que appelle la « high track » à Vancouver, le château fort traditionnel des souteneurs. Cependant, cette forme de commerce représente est un pourcentage très faible de la prostitution de rue. C'est une pratique en déclin. De toute évidence, toute personne qui gère un commerce de prostitution ou qui vit de ses profits pourrait être qualifiée de souteneur—ce qui est le cas parfois. Mais je crois qu'il existe encore de vrais souteneurs, selon la définition traditionnelle. On trouve des variantes d'une ville à l'autre, mais je crois que la situation à Montréal est très semblable à celle des autres villes du pays.

    Quand on parle du trafic des femmes entre pays, l'un des aspects les plus importants du débat s'apparente à celui concernant le commerce du sexe à l'intérieur d'un pays. S'agit-il dans tous les cas d'esclavage sexuel? Est-ce que certaines femmes font des choix?

    J'ai appris entre autres qu'il fallait faire une distinction entre le trafic et la migration. Certaines femmes n'ont pas fait l'objet d'un trafic; ce sont des opportunistes, qui profitent d'un bon filon. Le contrôle dans ce domaine relève donc d'un débat générique. Comment déterminer qui on laisse entrer au Canada? Dans quelles circonstances les laisse-t-on entrer? Quel travail les immigrants peuvent-ils exercer une fois qu'ils ont passé la frontière?

    Ce sont toutes des questions pertinentes qu'il faut régler, mais je ne crois pas qu'il faille avoir recours à une loi spéciale pour régler les problèmes particuliers de la prostitution. Ces questions ont une portée générale, qui nous touchent tous à divers égards.

    Je ne suis pas certain d'avoir complètement répondu à votre question.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Hedy Fry a posé une question l'autre jour, j'ai oublié à qui, concernant la pertinence de dissocier les pratiques de survie et le commerce du sexe haut de gamme. Elle faisait référence à l'émission de télévision Sex and the City. Elle se demandait où était la différence en fait. Nous sommes alors entrées dans un débat fort intéressant. Je lui ai répondu que l'une des différences en était une de classe. J'aimerais que nous y revenions un peu.

    Vous avez remarqué à plusieurs occasions, et de nouveau aujourd'hui, que nous nous intéressons trop peu aux services hors rue, salons de massage, services d'escorte et autres. Ils passent littéralement inaperçus, en partie parce qu'ils sont invisibles et que, par conséquent, ils ne font l'objet d'aucune plainte, mais aussi parce que la société ne semble pas les voir du même oeil. La prostitution de rue fait au contraire l'objet de nombreuses plaintes et de nombreuses interventions policières.

    J'ai toujours été fort intéressée par la façon dont nous traitons les clients. Nous avons mis sur pied le magnifique système des écoles John. Quand il est question de prostitution de rue, tout de suite nous en arrivons à la conclusion qu'il faut éduquer les hommes. Je suis un peu sceptique au sujet des résultats de ces écoles John; les comptes rendus et les théories varient. Mais pour ce qui est des autres formes de commerce du sexe, il ne semble plus du tout important « d'éduquer » les hommes. Est-ce que je me trompe?

    Je m'interroge par ailleurs sur l'impact de notre vision des classes, et sur le regard que nous portons sur les travailleurs du sexe et sur les clients, qui ne reçoivent vraiment pas le même traitement.

½  +-(1905)  

+-

    M. John Lowman: Vous avez tout à fait raison.

+-

    Mme Libby Davies: Des recherches ont-elles été menées sur le sujet, sur la différence entre les clients? Est-ce que ce sont les mêmes hommes qui sollicitent les services des prostituées de rue et...

+-

    M. John Lowman: Non, ce ne sont pas les mêmes hommes. Ici encore, la distinction entre les classes est très nette.

    J'ai été renversé par les résultats de notre première étude sur tous les clients poursuivis au titre des dispositions sur la communication, ce qui englobait tous les hommes poursuivis en 1986-87, puis de nouveau entre 1992 et 1995, à Vancouver. La première statistique était assez surprenante : 93 p. 100 d'entre eux vivaient à l'est de la rue Cambie.

    Si vous n'êtes pas familiers avec Vancouver, il faut savoir que la ville présente des délimitations très marquées selon les classes. Le côté ouest est peuplé par les classes moyennes à élevée—ce genre de distinctions m'indispose, mais je les utilise à des fins descriptives—, alors que la classe ouvrière est confinée dans l'est. Quand nous avons établi le portrait de ces hommes au moyen de ce qu'on appelle l'indice Blishen, nous nous sommes aperçus qu'ils appartenaient à une classe socio-économique très basse.

    Les hommes qui viennent de Kerrisdale et de Vancouver-Ouest et autres endroits du genre fréquentent de préférence les salons ou la « high track », le secteur des souteneurs, où les prix sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs. On peut présumer qu'ils fréquentent la high track parce qu'elle est contrôlée par les souteneurs et qu'ils sont assurés de ne pas être appréhendés. La police ne peut pas poster une agente de diversion à cet endroit—elle se ferait éjecter très rapidement. Ces hommes ne se font jamais arrêter.

    Voilà donc un exemple très net de distinction des classes entre les clients et les prostituées qui se font arrêter et ceux qui s'en tirent indemnes. C'est la distinction la plus nette que j'aie jamais vue pour ce qui est de l'effet de l'application d'une loi de ce type.

    Nous voulons par ailleurs faire très attention à ne pas envisager les pratiques hors rue comme un bloc monolithique. Il existe des endroits haut de gamme où les femmes ont une grande marge de manoeuvre sur leurs conditions de travail, mais dans d'autres, les femmes sont séquestrées et soumises à une espèce de système de servitude pour dettes, qui à mes yeux n'est rien de moins que de l'esclavage. Elles travaillent sous le joug d'une dette qu'elles ne réussiront jamais à rembourser.

    Il se passe beaucoup de choses, et l'activité est effervescente dans tous ces lieux.

    J'ai étudié plus particulièrement un lieu pendant une dizaine d'années. Je ne vous donnerai pas le nom de la ville, mais je précise qu'il ne s'agit pas de Vancouver. La personne qui gère l'organisation a vu défiler pas moins de 7 000 femmes qui lui ont demandé du travail dans son bordel. L'une des raisons de cette popularité est que le commerce est extrêmement lucratif. Il est géré d'une façon qui le rend sécuritaire, sans faire nécessairement dans l'exploitation. C'est l'une des questions qu'il faut résoudre : quelle part devrait se réserver le gestionnaire? Qu'est-ce qui est raisonnable?

    L'activité est donc effervescente, mais tous ne sont pas à la même enseigne.

+-

    Le président: Merci, madame Davies.

    Monsieur Mark.

+-

    M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

    Une petite question me vient à l'esprit. Comment classez-vous l'usage d'Internet dans le marché du sexe? Les propositions sexuelles dans Internet sont très variées. Est-ce qu'il s'agit de prostitution?

½  +-(1910)  

+-

    M. John Lowman: Oui, c'est de la prostitution. L'une des raisons qui expliquent que la prostitution de rue est en net déclin sont les activités dans Internet. Si vous naviguez dans Internet, vous trouverez facilement les sites qui donnent la liste de tous les lieux hors rue de Vancouver. Un site donne même la liste de toutes les rues où se pratique la prostitution, pas seulement à Vancouver mais dans toutes les municipalités avoisinantes comme Surrey, Burnaby, Richmond. Il décrit ce qui se passe à Seattle, ce qui se passe à Bellingham.

    Mon commentaire personnel est que le type qui s'occupe de ce site devrait se trouver quelque chose à faire dans la vie. A-t-il d'autres intérêts?

    Quand on fait le tour des publicités dans Internet, si on examine la capacité de publier ces annonces... Je connais une organisation qui consacre 50 000 $ par mois à la publicité. Bien entendu, si vous faites des affaires dans Internet, ces frais sont rapidement récupérés. Si on examine les organisations haut de gamme et leur budget de publicité, entre autres, on peut facilement imaginer que c'est une affaire de gros sous.

+-

    M. Inky Mark: Tenez-vous compte des personnes qui appellent les services de téléphone érotique, dont les frais sont imputés sur la facture de téléphone? S'agit-il de commerce du sexe?

+-

    M. John Lowman: Oui, c'en est. Au cours d'une étude de la clientèle, la gestionnaire d'une entreprise de téléphone érotique m'a appelé pour me demander si je voulais l'interviewer. Je lui ai répondu que son service ne faisait pas vraiment partie de l'objet de notre recherche. Elle m'a rétorqué qu'elle me donnerait un échantillon, ce à quoi j'ai répondu que ce serait contraire à l'éthique pour un chercheur. Mais j'ai poursuivi la conversation. Je n'avais pas vraiment compris jusque-là ce qu'était un service de téléphone érotique. Elle m'a appris qu'un appel moyen durait en moyenne trois minutes—ce qui est très révélateur des différences physiologiques entre les hommes et les femmes. Il existe par ailleurs un nouveau phénomène de rencontres anonymes, à l'aide de caméras, au cours desquelles les acteurs s'adonnent à différentes activités, se regardant mutuellement, sans aucun contact et sans frais.

    Internet a changé notre monde.

+-

    M. Inky Mark: Merci.

+-

    Le président: Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Nous avons reçu ici M. Fraser, du comité qui porte son nom. Vous nous avez dit avoir siégé avec lui. Concernant les recommandations, ce qu'il considérait comme des échecs du comité m'apparaissait comme des difficultés reliées au choc des mentalités. Il nous a semblé que la population canadienne n'était pas prête à accepter son rapport.

    Les mentalités ont peut-être évolué, mais on se doit de voir aussi dans quelle mesure on peut réduire les préjudices que subissent les collectivités faisant face à la prostitution. On nous a dit que des mères de famille monoparentales vivant dans des appartements peu chers se retrouvaient dans des milieux où il y avait de la prostitution. Elles étaient alors obligées de déménager parce que les enfants trouvaient des seringues et des condoms sur le chemin de l'école.

    En termes de mentalité, est-ce qu'on est prêts?

    Comment pouvons-nous, pour notre part, tenter de réduire les inconvénients que cause à la population cette cohabitation avec la prostitution?

[Traduction]

+-

    M. John Lowman: Tout d'abord, je n'ai pas siégé au Comité Fraser. J'ai fait de la recherche contextuelle pour le comité, mais je n'en faisais pas partie. Pour compliquer encore les choses, l'une de mes partenaires de recherche était Laura Fraser, que les gens confondent souvent avec Paul Fraser. Mais j'ai seulement fait de la recherche pour le comité.

    Pour répondre à votre question, je crois que les mentalités ont profondément changé, à cause selon moi des conséquences catastrophiques à Vancouver. Quel que soit le regard que l'on pose sur ce qui s'y est passé, la conclusion en est toujours une de catastrophe. Cependant, si on peut avoir un rayon d'espoir, il appert que les gens en sont venus à la conviction que, dans cette situation, la réduction des préjudices vaut toujours mieux que ce que nous faisons maintenant.

    Je ne fais pas partie de ces gens, incidemment, qui ont le sentiment que la prostitution est un mal incurable. C'est selon moi aussi ridicule que de penser que si on ne peut pas éradiquer le vol, il faut le légaliser. Cependant, je crois que la prostitution telle que nous la connaissons dans notre société n'est pas indélébile. Elle peut changer, et nous pouvons contribuer à changer le lien social avec la prostitution. Mais je suis fermement convaincu que le résultat obtenu à Vancouver a forcé un changement d'attitude.

½  +-(1915)  

+-

    Le président: Merci, madame Brunelle.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Je suis tout à fait d'accord. J'ai participé à plusieurs émissions radiophoniques sur la question, des émissions de lignes ouvertes, et ce que j'ai entendu de la part des gens continue de m'étonner. Essentiellement, ils... Ce qui revient le plus souvent est qu'il faut légaliser la prostitution. Je ne suis pas certaine si la population fait vraiment la distinction entre la légalisation et la décriminalisation. Quoi qu'il en soit, c'est la réponse que j'ai entendue le plus souvent. Je crois que c'est nous qui tirons de la patte.

    Au début, vous nous avez lancé le défi de bien cerner notre objectif. C'est en effet l'absence d'objectif qui, historiquement, a produit ces terribles contradictions. Pourrais-je vous renvoyer la balle en vous demandant de formuler exactement ce que devrait être l'objectif global, dans un sens large. Apparemment, nous sommes nombreux à penser que le statu quo est un échec lamentable. C'est en tout cas mon avis, sans aucune hésitation. Cependant, j'ai du mal à trouver par où commencer pour cerner l'objectif global.

    Si vous vous sentez d'attaque, à vous l'honneur.

+-

    M. John Lowman: Il est clair selon moi que la vente ou l'achat de services sexuels devrait constituer une offense criminelle. À partir de là, nous devons décider où et dans quelles circonstances la prostitution sera admise.

    La partie la plus difficile dans l'affaire, j'imagine que je l'ai déjà dit, est qu'une grande part se résorbera sans notre intervention. Les principaux intéressés ont les moyens et les ressources nécessaires pour établir leur commerce, peu importe la réglementation que nous leur imposerons. Par exemple, le règlement de zonage autorise seulement les institutions de petite envergure dans les zones commerciales. Tout rentrera dans l'ordre naturellement.

    Nous pouvons nous inspirer de modèles efficaces. Les services d'escortes ont un mode de fonctionnement qui ne nuit à personne. Je peux cependant vous parler de services d'escortes assez véreux, dans lesquels les propriétaires exploitent les femmes, pour le sexe, pour obtenir leurs faveurs sexuelles, et leur imposent des systèmes d'amendes complètement aberrantes. Tout n'est pas rose, loin de là, mais il reste que les services d'escortes, comme modèles de décentralisation, peuvent être très efficaces.

    À mon avis, tout ce secteur se débrouillera très bien sans nous. Ce sont les prostituées de bas de gamme, celles qui n'auraient jamais dû se livrer à la prostitution, notamment si on tient compte de leurs antécédents, qui poseront le plus de défis. Est-ce qu'on doit y aller pour des postes de travail? Des maisons de chambres? Que faire? Faut-il plutôt nous tourner vers le modèle Grandma's House, qu'a tenté d'établir un groupe de défense des travailleurs du sexe de la Colombie-Britannique? Il s'agit d'une organisation sans but lucratif, où les dirigeants retiennent des frais pour la chambre, les serviettes et autres services, sans viser le profit.

    C'est le genre de questions dont il faut débattre. Il faut surtout nous intéresser aux prostituées de bas de gamme, celles qui sont ramassées par Ridgway... Si vous avez pu lire le témoignage de Ridgway au moment de sa condamnation, vous savez, juste à la façon dont il raconte pourquoi il choisissait des prostituées, tout ce que vous devez savoir sur le sort réservé à ces femmes et pourquoi. Elles sont vulnérables. Comment rejoindre ces femmes et les sortir de la rue? La prostitution de rue ne sert les intérêts de personne, sauf peut-être ceux des clients qui aiment faire du lèche-vitrine, si je peux m'exprimer ainsi. Personne d'autre n'y a intérêt.

    Pourquoi la prostitution de rue existe-t-elle encore? Parce que ces femmes peuvent tout au plus se traîner entre le lit et le coin de la rue le plus près pour trouver la prochaine dose ou le prochain fixe. Elles sont déjà des sans-abri. Les plus chanceuses vivent dans des maisons de chambres. Ce sont ces femmes qui posent le plus d'inconnues.

    Ai-je une réponse? J'aimerais tellement avoir la réponse!

½  +-(1920)  

+-

    Le président: D'autres questions?

    Monsieur Mark.

+-

    M. Inky Mark: Je vais enfoncer le clou un peu plus.

    Que pensez-vous de la situation dans les États comme le Nevada?

+-

    M. John Lowman: C'est selon moi l'État souteneur par excellence, parce que c'est hautement réglementé, très contrôlé. Certaines femmes n'ont que des éloges, alors que d'autres associent ce modèle à de l'esclavage sexuel. Comme je n'ai pas eu l'occasion de me rendre compte de mes propres yeux et que les opinions divergent, je réserve mes commentaires.

    J'ai vu une émission d'enquête très intéressante, intitulée Red-Light Districts, qui montrait un lieu dans un pays de l'Asie du Sud-Est où 100 femmes étaient assises, portant des numéros. Certaines portaient aussi un « S », pour « Superstar ».

    Je vous assure que ces images m'ont rendu très mal à l'aise. Ce n'est vraiment pas ce dont moi je rêve.

+-

    M. Inky Mark: Merci.

+-

    Le président: D'autres questions? Alors je vais me lancer moi-même.

    Sur le plan du coût social de la prostitution, non seulement pour les travailleuses et travailleurs de rue, mais aussi pour leur famille ou pour l'État, avez-vous déjà tenté de le quantifier au cours de vos études, ou vous y êtes-vous déjà attardé de quelque façon?

+-

    M. John Lowman: Au moment où je faisais de la recherche pour le Comité Fraser, en 1984, j'avais engagé un étudiant au MBA qui étudiait les coûts de l'activité policière, des services sociaux et autres services en lien avec la prostitution. Il comparait aussi les sommes gagnées par ces femmes et les coûts qu'elles généraient par leur pratique. Ces études datent de 21 ans, je vous le concède, et ne sont plus d'une grande utilité. Tout ce qu'elles nous disent, c'est que nous parlons de sommes faramineuses en services policiers et autres services sociaux autour de l'industrie du sexe, même s'il s'agit seulement de services connexes, car les services directs sont plutôt rares. Si on additionne tous les coûts, les sommes sont impressionnantes, à tous les niveaux.

    Une fois de plus, je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

+-

    Le président: Est-ce que la travailleuse ou le travailleur de rue moyen, en règle générale, présente beaucoup de problèmes sociaux liés à l'alcoolisme, à la narcodépendance ou à la santé mentale?

+-

    M. John Lowman: C'est très variable, là aussi. Il y a une croyance populaire voulant que tous les travailleurs de rue soient des toxicomanes. Ce n'est pas vrai. On croit aussi que les souteneurs appâtent les filles avec de la drogue pour garder le contrôle sur elles. Dans le contexte du souteneur afro-américain, ce n'est pas la réalité non plus. Ils ne veulent pas gaspiller leur argent dans les veines de ces femmes, ils veulent le garder dans leurs propres poches.

    Le contrôle est psychologique. Souvent, il est empreint de violence extrême, il va de soi, mais le contrôle est d'ordre psychologique. Certaines femmes qui travaillent dans le Downtown Eastside souffrent de problèmes multiples—narcodépendance, maladies mentales diverses—, au même titre que beaucoup des personnes qui ont été confinées dans ce secteur au cours des 50 dernières années par voie d'écrémage urbain. Tous les problèmes ont été artificiellement concentrés dans ce secteur, de sorte que la palette est complète.

    À l'autre bout du spectre se trouvent beaucoup de femmes qui n'utilisent pas du tout de drogues. Certaines peuvent faire usage de drogues douces. Certaines ont contracté un prêt hypothécaire. D'autres siègent à la commission scolaire. Je le sais parce que j'en connais quelques-unes.

    C'est donc très varié.

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    Le président: Pour conclure et pour résumer, je répète que le comité a reçu le mandat de réduire les préjudices, non seulement ceux des travailleuses de rue, les prostituées elles-mêmes, mais ceux aussi que subissent les collectivités. Pourriez-vous formuler, sous forme d'énumération peut-être, vos recommandations au comité pour l'aider à remplir ce mandat?

½  -(1925)  

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    M. John Lowman: À mon avis, la plus grave erreur commise en réponse au Comité Fraser, en 1985, a été de nous contenter d'une révision de la Loi sur la prostitution. Nous avons ainsi démontré que la propriété publique et les valeurs de la propriété nous importaient plus que les prostituées.

    Pourtant, le mieux pour régler le problème des deux côtés est de s'attaquer au problème des deux côtés. Si nous trouvons des solutions aux problèmes des travailleuses et des travailleurs du sexe, nous réglerons d'un même élan les problèmes de désordre public, si nous nous efforçons de bien faire les choses.

    L'un des aspects qui m'ont toujours surpris à Vancouver concernant la prostitution de rue et les modèles empruntés par ce commerce est que la police peut déplacer le problème dans l'espace d'une nuit si elle le veut. Pour y arriver, les policiers ont juste à dire aux filles qui se trouvent dans un secteur donné : « Nous ne voulons pas que vous travailliez ici. Il y a une école là-bas, et le propriétaire de telle maison a porté plainte. Tout ce qu'on vous demande, c'est de travailler là-bas, dans tel secteur, et nous ne vous embêterons pas. » En une nuit, elles sont parties. Les paniers à salade et autres moyens du genre sont tout simplement inutiles. Il suffit aux policiers de dire : « Vous ne pouvez pas travailler ici, mais là-bas, il n'y a pas de problème. » Et hop! les filles sont parties!

    C'est dans cette direction qu'il faut aller. Il faut trouver des solutions aux deux facettes des problèmes. C'est ce mandat que devrait se donner le comité. Nous devons trouver des solutions à tous les problèmes. J'aurais vraiment aimé que nous le fassions il y a 20 ans, à l'époque du Comité Fraser. Je suis convaincue que toutes ces femmes ne seraient pas disparues du Downtown Eastside, que je n'aurais pas eu, en 1994, à étudier 50 cas d'homicides contre des femmes en Colombie-Britannique. J'en suis fermement convaincu.

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    Le président: Monsieur Lowman, merci énormément de votre témoignage percutant et très franc. Le plus beau compliment que l'on puisse vous faire j'imagine est que l'un de nos membres souhaite retourner à l'université pour suivre vos cours. C'est un désir partagé par nous tous, je crois.

    Une fois encore, merci beaucoup.

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    M. John Lowman: Mes sincères remerciements à vous tous également. Merci de la tournure de vos questions et de votre réelle empathie par rapport à cette cause. Merci.

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    Le président: La séance est levée.