Passer au contenu
Début du contenu

SNSN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 2 novembre 2005




¹ 1535
V         Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.))
V         Chef Vince Bevan (vice-président, Chef, service de police d'Ottawa, Association canadienne des chefs de police)

¹ 1540
V         M. Bill Blair (chef, Service de police de Toronto, Association canadienne des chefs de police)

¹ 1545
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC)
V         Chef Vince Bevan
V         M. Kevin Sorenson

¹ 1550
V         Chef Vince Bevan
V         M. Bill Blair
V         M. Vincent Westwick (coprésident, Comité de modifications des lois, Association canadienne des chefs de police)
V         M. Kevin Sorenson
V         Chef Vince Bevan

¹ 1555
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vincent Westwick
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vincent Westwick
V         M. Kevin Sorenson
V         Le président
V         M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ)

º 1600
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick

º 1605
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick
V         M. Serge Ménard
V         M. Vincent Westwick

º 1610
V         Le président
V         M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD)
V         M. Bill Blair
V         M. Joe Comartin
V         M. Bill Blair

º 1615
V         Chef Vince Bevan
V         M. Joe Comartin
V         M. Vincent Westwick
V         M. Joe Comartin
V         M. Vincent Westwick
V         M. Joe Comartin
V         Le président
V         M. Joe Comartin

º 1620
V         Le président
V         Chef Vince Bevan
V         Le président
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Bill Blair

º 1625
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Bill Blair
V         L'hon. Roy Cullen
V         Chef Vince Bevan

º 1630
V         L'hon. Roy Cullen
V         Le président
V         M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.)
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel

º 1635
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel
V         M. Vincent Westwick
V         M. Tom Wappel
V         Le président
V         M. Peter MacKay (Nova-Centre, PCC)
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         M. Tom Wappel
V         Le président
V         M. Tom Wappel
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Chef Vince Bevan
V         M. Peter MacKay
V         M. Vincent Westwick
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         M. Vincent Westwick

º 1640
V         M. Peter MacKay
V         Chef Vince Bevan
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         Le président
V         Dr Boaz Ganor (directeur général, International Policy Institute for Counter-terrorism, à titre personnel)

º 1645

º 1650

º 1655
V         Le président
V         M. Martin Rudner (directeur, Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, à titre personnel)

» 1700
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson

» 1705
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Kevin Sorenson
V         Le président
V         M. Serge Ménard

» 1710
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard

» 1715
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard
V         Dr Boaz Ganor
V         Le président
V         M. Joe Comartin
V         Le président
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Martin Rudner

» 1720
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Martin Rudner
V         L'hon. Roy Cullen
V         Dr Boaz Ganor
V         L'hon. Roy Cullen
V         Dr Boaz Ganor
V         L'hon. Roy Cullen
V         Le président
V         M. Tom Wappel
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Tom Wappel
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Tom Wappel
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Tom Wappel
V         Le président
V         M. Serge Ménard

» 1725
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard
V         Dr Boaz Ganor
V         M. Serge Ménard
V         Le président
V         M. Serge Ménard
V         Le président
V         L'hon. Roy Cullen
V         Le président










CANADA

Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 027 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 2 novembre 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.)): Nous avons le quorum.

    Bonjour, chers collègues, et bienvenue au Sous-comité de la sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.

    Comme vous le savez, nous procédons à l'examen de la Loi antiterroriste.

    Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui des représentants de l'Association canadienne des chefs de police. Nous avons le chef Bevan de la Ville d'Ottawa qui est, je crois, vice-président de cette association; le chef Blair de Toronto et Vince Westwick du comité de modification des lois. Ai-je réussi à ne pas me tromper?

    Bienvenue, chers collègues.

    Je crois que vous allez faire une déclaration liminaire.

[Français]

+-

    Chef Vince Bevan (vice-président, Chef, service de police d'Ottawa, Association canadienne des chefs de police):

    Bonjour, monsieur le président. Membres du Sous-comité de la sécurité publique et nationale, bon après-midi.

    Je m'appelle Vince Bevan et je suis chef du Service de police d'Ottawa et vice-président de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné aujourd'hui par William Blair, chef du Service de police de Toronto et membre de notre Comité du contre-terrorisme et de la sécurité nationale, ainsi que Vince Westwick, coprésident du Comité de modification des lois de l'Association canadienne des chefs de police.

    L'association regroupe tout près de 950 chefs, chefs adjoints et cadres supérieurs du domaine policier. Nos membres représentent au-delà de 130 services de police de chaque région du Canada.

    Un des objectifs de l'association est d'offrir des conseils et des recommandations au gouvernement concernant les lois, la criminalité et la sécurité de la communauté.

    Nous sommes heureux d'être ici dans le contexte de votre examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste.

[Traduction]

    Avec le modèle des services de police intégrés, les organismes d'application de la loi des paliers municipal, provincial et fédéral ont tous une contribution unique et importante à apporter à la réalisation des objectifs opérationnels. Ce modèle de service de police a souvent été utilisé, avec beaucoup de succès d'ailleurs, pour les enquêtes sur le crime organisé, sur les drogues et autres. Il est essentiel d'utiliser le modèle des services de police intégrés pour tous les aspects de la lutte contre le terrorisme — les interventions en matière de sécurité nationale.

    La GRC est l'organisme principalement responsable des enquêtes relatives à la Loi sur les infractions en matière de sécurité, mais les services de police provinciaux et municipaux jouent nécessairement un rôle essentiel dans ce genre d'affaires. Ces services de police fournissent les renseignements locaux dont a besoin la GRC pour effectuer ses enquêtes. Les personnes qui exercent des activités dangereuses pour la sécurité nationale du Canada exercent également souvent des activités criminelles pour financer leurs autres entreprises plus dangereuses. Par exemple, Ahmad Ressam et ses collègues du mouvement militant algérien semblent avoir commis des vols mineurs, comme le vol d'équipement de radio dans les véhicules dans la région de Montréal, en vue de financer leurs activités militantes.

    Personne ne connaît mieux la collectivité que le service de police local. Ses membres connaissent leur collectivité et peuvent fournir à la GRC des renseignements et des contacts auxquels celle-ci n'aurait pas accès ou du moins pas aussi facilement.

    Le principal objectif des enquêtes relatives à la sécurité nationale consiste à assurer la prévention et la sécurité de la collectivité et non pas simplement à réagir après le fait. Après le 11 septembre, il est devenu évident qu'il fallait créer des outils juridiques spéciaux, autres que ceux qui existaient déjà, pour procéder à ce genre d'enquêtes.

    L'Association canadienne des chefs de police a appuyé le projet de loi C-36 en 2001, lorsqu'il a été présenté pour la première fois au Parlement, et nous l'appuyons toujours. Les divers groupes qui sont venus témoigner à ce sujet devant les comités parlementaires en 2001 ont insisté sur le fait que ce projet comportait un grave risque, à savoir que la police abuse de ces pouvoirs. C'est tout le contraire qui s'est produit. Les services de police ont fait preuve d'une grande retenue dans l'utilisation de ces dispositions, ce qui a fait disparaître ce risque.

    Étant donné que les dispositions de temporisation s'appliquent aux articles 83.28, 83.29 et 83.3, aux investigations et aux engagements assortis de conditions, l'Association canadienne des chefs de police aimerait parler en particulier de l'importance de ces articles.

    Je pense, et je suis sûr que mes collègues le pensent aussi, que les Canadiens reconnaissent que la lutte contre le terrorisme sur le sol canadien est un objectif très important. La question est de savoir quels sont les outils législatifs dont il faut disposer pour atteindre cet objectif. Nous savons que pour respecter les normes qu'exigent les Canadiens et les tribunaux, il faut que ces dispositions législatives préventives répondent à plusieurs conditions importantes : elles doivent être compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés, elles doivent respecter les droits de la personne, elles doivent être proportionnelles à la menace que l'on cherche à prévenir, elles doivent prévoir l'intervention d'officiers judiciaires et elles doivent être assorties de garanties procédurales.

    Nous estimons que les investigations et les engagements assortis de conditions constituent la réponse législative appropriée et que cette réponse est conforme aux normes très élevées dont les Canadiens exigent le respect.

    J'aimerais maintenant inviter mon collègue, le chef Blair de Toronto, à présenter des commentaires.

¹  +-(1540)  

+-

    M. Bill Blair (chef, Service de police de Toronto, Association canadienne des chefs de police): Merci, chef.

    Bonjour.

    Permettez-moi de poursuivre sur ce sujet et je dirais que les dispositions relatives aux engagements assortis de conditions ne sont pas nouvelles en droit pénal canadien. Les tribunaux exercent depuis longtemps le pouvoir d'obliger une personne à contracter un engagement, ce qu'on appelait auparavant un engagement de garder la paix.

    Vers le milieu des années 1990, à la suite de la vive controverse qu'a suscitée la libération des délinquants dangereux à la date d'expiration de leur mandat, le législateur a introduit l'article 810.1, « Crainte d'une infraction d'ordre sexuel » et l'article 810.2, « Crainte de sévices graves à la personne ». Les services de police canadiens ont utilisé ces articles pendant des années pour surveiller les délinquants dangereux, assurer la sécurité des collectivités et tenter d'empêcher la perpétration de crimes graves. Ce sont des outils législatifs efficaces et logiques qui ont été approuvés par les tribunaux canadiens.

    Cet outil de prévention a maintenant été modifié pour qu'il puisse s'appliquer éventuellement à des actes de terrorisme.

    Les policiers peuvent utiliser ces articles de deux façons. Après avoir obtenu le consentement du procureur général provincial ou fédéral, cela dépend de la province et du territoire, ils doivent déposer une dénonciation et traduire la personne visée devant un tribunal. Ces conditions ne sont pas impératives dans le cas où, même s'il existe des motifs suffisants pour déposer une dénonciation, l'existence d'une situation d'urgence rend peu pratique le dépôt d'une dénonciation, et dans le cas où une dénonciation a déjà été déposée et où l'agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire de détenir sous garde la personne visée pour empêcher une activité terroriste.

    La notion de situation d'urgence est déjà utilisée très largement en droit pénal canadien; je vous réfère aux mandats relatifs aux maisons d'habitation. Les agents de police connaissent bien la notion de motifs raisonnables et les tribunaux sont habitués à la mettre en pratique. D'un autre côté, les investigations ont déjà été examinées par la Cour suprême du Canada qui en a reconnu la validité. Ces investigations ne sont pas une forme de peine mais elles offrent la possibilité d'obtenir des preuves qui peuvent être utilisées pour empêcher la commission d'une infraction de terrorisme.

    Outre la condition exigeant le consentement du procureur général, l'article en question contient toute une série de protections procédurales. Ces deux dispositions sont axées sur la prévention. Dans tous les cas, le but est de traduire la personne en question devant un tribunal, sous la surveillance d'un juge, pour mettre en oeuvre l'objectif de prévention prévu par la loi.

    La police a fait un usage très limité de ces nouveaux pouvoirs, l'affaire Khawaja étant le seul cas où ils ont été employés. Nous allons continuer à faire preuve de retenue dans ce domaine parce que nos valeurs l'exigent, tout comme les garanties légales.

    Certains diraient que ces dispositions sont inutiles puisqu'elles sont très rarement utilisées et que, par conséquent, il serait bon de supprimer ces dispositions controversées. Cela serait un peu comme si l'on se débarrassait d'un extincteur pour la raison qu'il n'y a jamais eu de feu dans la maison. Ces deux idées sont des sophismes. De la même façon, il y a très longtemps que quelqu'un a été inculpé au Canada de détournement d'avion et de trahison, et il serait pourtant impensable de supprimer ces infractions du Code criminel, étant donné que nous pourrions en avoir besoin à l'avenir. Le même raisonnement s'applique aux investigations et aux engagements assortis de conditions prévus par la Loi antiterroriste.

    La Loi antiterroriste fournit aux organismes d'application de la loi canadiens les outils dont ils ont besoin pour protéger les Canadiens contre le terrorisme, tout en respectant les libertés civiles. Il y a deux bonnes raisons de conserver ces dispositions. Premièrement, les investigations ont résisté à l'examen qu'a effectué la Cour suprême, et deuxièmement, comme les événements mondiaux l'ont démontré depuis 2001, il est essentiel que les organismes d'application de la loi puissent utiliser ces dispositions.

    Avant de terminer, j'aimerais dire quelques mots au sujet du profilage racial. Les services de police de Toronto et nos collègues des services de police d'Ottawa sont très sensibles aux craintes qu'ont les membres de la collectivité que les préjugés sous toutes leurs formes, et en particulier les préjugés raciaux, influencent la façon dont les policiers exercent leurs pouvoirs discrétionnaires.

    Nos deux services ont élaboré des politiques claires et précises qui imposent la tolérance zéro en matière de profilage racial. Nous avons mis sur pied des mécanismes. Nous avons formé nos agents en les sensibilisant aux aspects culturels et en leur donnant les connaissances dont ils ont besoin dans ces domaines pour servir des collectivités très diversifiées. Nous avons déployé des efforts concertés pour diversifier nos services de police et pour rejoindre nos collectivités, en particulier celles qui ont été victimes de préjugés culturels et raciaux; nous cherchons à embaucher des agents provenant de ces collectivités, et à faciliter leur avancement, de façon à mieux servir tous nos citoyens; nous avons également mis sur pied des mécanismes de surveillance et de contrôle pour veiller à ce que nos politiques et nos procédures soient respectées.

    Merci.

    Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

¹  +-(1545)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Sorenson, nous allons commencer par vous, si vous le voulez bien.

+-

    M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Merci d'être venus aujourd'hui. Nous sommes heureux d'entendre des représentants de l'Association canadienne des chefs de police.

    J'essayais de comprendre comment ce projet de loi avait touché les services de police municipaux locaux. Nous avons entendu des représentants de la GRC — et nous avons effectivement constaté que le rôle de la GRC avait été étendu à la collecte de renseignements de sécurité — et du SCRS, ainsi que ceux d'autres agences qui s'occupent du renseignement de sécurité, et je vous remercie, parce que, jusqu'à un certain point, vous avez fourni des explications à ce sujet.

    Est-ce que vous comptabilisez le temps que vos agents des services municipaux locaux consacrent au terrorisme?

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur Sorenson, nous ne calculons pas ce temps. Les agents qui travaillent dans ce domaine travaillent la plupart du temps en collaboration avec la GRC et d'autres partenaires.

    Je peux vous dire, au sujet de l'affaire dont j'ai donné le nom, que la police d'Ottawa a travaillé avec nos partenaires de la GRC. Nos agents ont donc été amenés à mettre cette loi en application.

+-

    M. Kevin Sorenson: Le commissaire de la GRC a déclaré qu'après le 11 septembre, la GRC avait été obligée de mettre de côté, faute de ressources, un certain nombre d'enquêtes auxquelles elle procédait, en particulier celles qui visaient le crime organisé. Il a été très franc, et il nous a dit qu'ils avaient dû établir des priorités — ou « gérer les risques », je crois que c'est l'expression qu'il a utilisée. Ils ont dû faire de la gestion des risques pour les dossiers en cours parce qu'ils ont dû consacrer davantage de temps au dossier du terrorisme.

    Ce n'est pas véritablement ce qui s'est passé dans votre cas, n'est-ce pas? Vous vous occupez beaucoup plus d'enquêtes criminelles que le fait la section du terrorisme.

¹  +-(1550)  

+-

    Chef Vince Bevan: Nous avons eu, jusqu'à un certain point, une expérience identique. Pour remédier aux lacunes dont le commissaire de la GRC a parlé, nous avons envoyé des ressources à la GRC. Cela a entraîné une augmentation de notre charge de travail, comme cela s'était produit sur le plan national, parce que nous avons envoyé des agents en renfort pour qu'ils participent à des enquêtes sur la sécurité nationale, ce qui a créé des vides dans le personnel de nos sections opérationnelles. Nous avons également constaté un accroissement de la charge de travail et trouvé les moyens d'y faire face.

    J'aimerais demander au chef Blair...

+-

    M. Bill Blair: Monsieur Sorenson, comme vous le savez sans doute, les services de police municipaux comme les services de police d'Ottawa et les services de police de Toronto participent avec la GRC à des unités d'enquête intégrées qui s'occupent des questions reliées au terrorisme. Nous apportons donc notre contribution à ces unités d'enquête, mais notre principal rôle est de fournir des services de police municipaux. Nous travaillons dans nos collectivités, au sein des diverses collectivités des grands centres urbains. À Toronto, il y a des agents qui travaillent dans les différentes collectivités, et nous consacrons des ressources importantes à l'exercice de nos attributions normales, non seulement aux mesures de lutte contre le terrorisme, mais à l'établissement de relations avec les responsables communautaires des différentes collectivités.

    Nous sommes ainsi en mesure d'obtenir des renseignements concernant nos collectivités mais également — et je dirais plutôt surtout — cela nous permet d'adopter des mesures axées sur la prévention en encourageant et en appuyant les responsables communautaires qui exercent un rôle positif au sein de nos diverses collectivités, et d'établir des relations avec ces collectivités de façon à être mis au courant de toute menace à la sécurité publique ou nationale qui pourrait émaner de ces collectivités marginalisées, dans le but de les prévenir.

+-

    M. Vincent Westwick (coprésident, Comité de modifications des lois, Association canadienne des chefs de police): Monsieur Sorenson, permettez-moi d'ajouter ceci. Il est également bon de rappeler, lorsqu'on parle d'enquêtes sur le terrorisme, que la plupart de ces enquêtes commencent comme des enquêtes criminelles; la véritable nature d'un crime n'est pas toujours apparente au départ. Dans les grandes villes canadiennes, ce sont les services de police municipaux, et bien sûr, les services de police provinciaux, qui sont les premiers responsables des enquêtes criminelles. Il est parfois difficile de définir ce qu'est une enquête terroriste et ce qui est une enquête criminelle comportant des aspects touchant le terrorisme ou la sécurité nationale. Il n'est pas toujours facile de définir ces différentes activités.

+-

    M. Kevin Sorenson: Permettez-moi de formuler ma question de la façon suivante. Il y a quelques années, il a été mentionné à la Chambre qu'un ministre ontarien, le ministre de la protection civile, avait déclaré que le plan provincial serait appliqué en priorité au cas où il y aurait lieu de prendre des mesures dans ce domaine. Le solliciteur général de l'époque s'est vivement opposé à cette affirmation et a déclaré que le plan national avait toujours préséance sur les plans provinciaux, et qu'ils travaillaient avec leurs homologues provinciaux et avec les municipalités.

    Nous avons vu ce qui s'est passé aux États-Unis, non pas à la suite d'attaques terroristes, mais dans les situations d'urgence, avec l'ouragan Katrina. Les membres de vos services sont les premiers à répondre à ce genre de situations, qu'il s'agisse d'une situation d'urgence, d'un désastre naturel ou d'un incident terroriste. Savez-vous clairement quel est le plan qui s'applique en priorité? Connaissez-vous bien le protocole que vous devriez suivre au cas où se produirait un désastre naturel ou une attaque terroriste?

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur Sorenson, je peux dire que dans la région de la capitale nationale, nous avons fait beaucoup de travail avec nos partenaires. Nous avons mis sur pied il y a deux ans environ — je crois que cela fait en réalité un peu plus de deux ans — un Conseil stratégique de la sécurité de la capitale nationale qui regroupe la GRC, les services de police d'Ottawa, la Sûreté du Québec, le Service de police de Gatineau, la Police provinciale de l'Ontario, ainsi que d'autres partenaires comme le SCRS, l'armée, l'Agence des services frontaliers du Canada et les services d'immigration — d'autres partenaires clés. Nous avons élaboré un plan national pour chapeauter le tout, de façon à pouvoir harmoniser les tâches qui doivent être effectuées selon le plan national, selon le plan provincial et selon les plans locaux.

    C'est pourquoi ici, dans la région de la capitale nationale, nous continuons à travailler avec le coordonnateur des services d'urgence de la province de l'Ontario et avec le SPPCC au niveau national, pour veiller à ce que toutes les mécanismes prévus par ces divers plans soient en place. Nous avons pensé que, si nous réussissions à faire fonctionner tout cela dans la région, où il y a tant de questions qui se chevauchent à cause de la répartition des compétences entre les différents paliers de gouvernement, cela fonctionnerait certainement n'importe où ailleurs au Canada. Nous avons jusqu'ici connu beaucoup de succès avec l'élaboration des plans, nous continuons à y travailler et nous espérons bientôt les faire approuver définitivement.

¹  +-(1555)  

+-

    M. Kevin Sorenson: J'ai une dernière question.

    Je vous remercie d'avoir signalé les parties les plus controversées du projet de loi et d'avoir également mentionné le fait que vous ne voulez pas que l'on supprime les pouvoirs que vous attribue cette loi, étant donné que vous n'en avez pas abusé — par exemple, vous n'avez pas abusé grossièrement des arrestations à titre préventif.

    Je suis heureux de voir que vous avez mentionné tout cela. Je suis d'accord avec vous sur ce point. Je pense que ce projet de loi comprend d'autres parties très controversées qui ne concernent pas directement l'intervention des services de police — il s'agit des certificats ministériels qui permettent de détenir certaines personnes sans avoir à leur communiquer les faits qui leur sont reprochés ou les preuves qui existent contre elles. Ce sont là des parties du projet de loi que nous devons vraiment améliorer.

    Y a-t-il des aspects des arrestations préventives qu'il faudrait modifier? Voyez-vous quelque chose à faire à ce sujet? Vous savez que l'on va vous poser ici des questions au sujet des arrestations préventives. La partie du projet qui traite des arrestations préventives devrait-elle être modifiée — prévoir des sanctions plus sévères en cas d'abus? Y a-t-il un aspect que la police souhaite voir changer?

+-

    M. Vincent Westwick: J'ai eu le privilège de comparaître à plusieurs reprises devant le comité de la justice et il m'est déjà arrivé de critiquer assez sévèrement les rédacteurs du ministère de la Justice. C'est la raison pour laquelle je me dois de les féliciter aujourd'hui. Je pense que cette loi est un bon exemple de rédaction législative réussie. Les rédacteurs ont établi un équilibre très délicat entre le respect des droits de la personne, le respect de la Charte, et des dispositions législatives axées sur la prévention.

    Si l'on réfléchit un peu à ces choses, on constate qu'il existe fort peu de dispositions législatives, en particulier dans le Code criminel, qui soient axées sur la prévention. C'est là l'objet de cet article et je crois qu'il a été soigneusement rédigé. C'est pourquoi je ne vais pas vous proposer — ce qui ne me ressemble guère — d'introduire des changements.

+-

    M. Kevin Sorenson: Pensez-vous que l'objectif général de ce projet de loi soit la prévention ou parliez-vous plus précisément des arrestations préventives que j'avais mentionnées? Vous ne dites pas que les arrestations préventives vous empêchent de...

+-

    M. Vincent Westwick: Non, mon commentaire portait précisément sur les arrestations préventives, les investigations et les engagements assortis de conditions, les dispositions qui sont expressément visées par la temporisation. Je ne voulais pas parler de l'ensemble du projet de loi.

+-

    M. Kevin Sorenson: Merci.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Ménard, allez-y.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Des témoins précédents nous ont dit que pour lutter contre le terrorisme, nous avions besoin d'une loi différente des lois existantes. Enfin, je pense qu'il est impossible de commettre un acte terroriste sans enfreindre les lois usuelles. Toutefois, on nous dit qu'on avait besoin d'une telle loi pour deux raisons.

    La première raison est que, contrairement aux crimes de droit commun et aux crimes commis par des organisations du crime organisé, la police ne peut se permettre d'attendre avant d'arrêter les terroristes d'obtenir une preuve hors de tout doute raisonnable. Dans le cas des terroristes, il faut empêcher ces gens de réaliser leur plan.

    La deuxième raison est que dans l'intérêt de la nation et de la scène internationale, il vaut mieux ne pas diffuser les renseignements recueillis dans le cadre de la communication de la preuve à laquelle vous êtes soumis.

    Je reconnais que ce sont deux raisons valables. Y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles vous avez besoin de lois qui soient différentes des lois usuelles?

º  +-(1600)  

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Si j'ai bien compris votre question, monsieur Ménard, il y a un domaine du droit dont nous aimerions beaucoup parler — et j'espère que nous aurons l'occasion de le faire dans un proche avenir — c'est celui de l'accès légal. La communauté policière se pose de nombreuses questions au sujet de l'état du droit en rapport avec la partie VI du Code criminel. Lorsque vous parlez de prendre des mesures préventives, lorsque vous parlez de différents genres de dispositions législatives, lorsque vous parlez de collecte de renseignements, lorsque vous parlez de prévention, cela touche l'accès légal et la capacité de notre droit pénal, et par conséquent, des agences d'application de la loi, de suivre l'évolution de la technologie.

    C'est un vaste domaine du droit et nous espérons que le gouvernement présentera bientôt un projet de loi dans ce domaine. Nous espérons que nous aurons la possibilité de faire connaître notre point de vue à ce sujet.

    Je ne sais pas si cela répond à votre question mais c'est ce que j'ai compris.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Pas vraiment. Je ne comprends pas exactement ce que vous voulez dire par « lawfull access ». Vous voulez certainement dire quelque chose de plus spécifique que la compréhension commune de l'expression « lawfull access ».

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Bien sûr. Merci.

    L'accès légal est un terme de la profession qui décrit les pouvoirs attribués à la police par la partie VI du Code criminel, que l'on appelle souvent les dispositions relatives à l'écoute électronique, à l'interception des communications, la nouvelle technologie, et tout le reste, avec une autorisation judiciaire.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: D'accord.

    Et vous estimez que les lois habituelles ne vous donnent pas la possibilité de faire des enquêtes appropriées? Pensez-vous que les juges ne comprennent pas bien vos préoccupations, lorsque vous leur expliquez la raison pour laquelle vous surveillez électroniquement des gens qui sont soupçonnés de faire partie de groupes terroristes?

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Oui et non. D'une façon générale, les juges examinent assez favorablement les demandes d'autorisation émanant des organismes d'application de la loi. Le problème vient du fait que les dispositions actuelles qui forment la partie VI du Code criminel ont été adoptées au milieu des années 70, à une époque où la plupart d'entre nous utilisions le téléphone à cadran. Nous étions loin de penser aux BlackBerry, aux téléphones cellulaires, aux pages interactives et à tout le reste; le courriel et l'Internet n'existaient pas non plus.

    Pour être franc avec vous, monsieur, je dirais qu'il nous est difficile de vous parler de cette question parce que nous ne voulons pas mentionner publiquement les lacunes du système. Nous voulons cependant que vous sachiez qu'il existe des lacunes. Il me paraît important que vous le sachiez parce que vous êtes des législateurs.

    Nous avons récemment parlé de ces lacunes à propos du projet de loi relatif à la pornographie juvénile, le projet de loi C-2, qui a été présenté au Parlement. Monsieur Comartin, je pense que vous faisiez partie de ce comité. Nous avons utilisé cela comme exemple, et nous avons illustré avec des exemples assez frappants les domaines où se trouvaient ces lacunes.

    À l'époque, j'en avais profité pour rappeler aux membres du comité les observations que nous avions présentées sur cette question et les vives réactions qu'avait suscitées chez les membres du comité ce sujet, au moment où nous examinions ce projet de loi.

º  +-(1605)  

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: D'accord. Je comprends évidemment que si vous donnez en exemple la pornographie infantile, cela n'est pas un domaine où les terroristes opèrent couramment. De toute façon, je comprends votre point de vue quand vous dites que vous avez besoin de lois vous autorisant à intercepter des messages de toutes sortes en utilisant des moyens modernes.

    À votre avis, y a-t-il d'autres éléments pouvant justifier de modifier les lois actuelles?

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Nous n'avons pas préparé de recommandations visant à modifier certains aspects de la Loi antiterroriste.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Donc, les trois raisons dont on vient de parler devraient être pour nous des guides dans l'appréciation des mesures que l'on trouve dans la Loi antiterroriste et nous permettre de déterminer si ces dispositions sont utiles ou nécessaires ou si elles ne le sont pas?

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Je suis désolé, je n'ai pas compris votre question.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Précédemment, nous avons fait mention de trois raisons, à savoir que: il faut arrêter les terroristes avant qu'ils ne commettent leur crime, contrairement aux bandes organisées, que l'on peut laisser opérer pendant un certain temps; il n'est pas dans l'intérêt national ou même international de révéler les méthodes d'enquêtes; il faut s'adapter aux moyens de communication modernes.

    Est-ce que nous devrions nous demander si chaque disposition de la Loi antiterroriste est nécessaire pour atteindre l'un de ces buts à la lumière de ces trois raisons?

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Pour être honnête avec vous, je dois vous dire que je ne sais pas très bien comment vous répondre. Je ne suis pas certain de bien comprendre le sens exact de votre question.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Je comprends que vous avez peut-être peur de répondre. De toute façon, je vais vous poser une autre question.

    Pourriez-vous nous donner un exemple où vous avez appliqué les lois qui ont été mises en vigueur pour empêcher des terroristes de passer à l'acte? J'aimerais que vous me donniez un exemple où vous avez utilisé les nouvelles dispositions de la Loi antiterroriste alors qu'il n'y avait pas moyen d'agir en vertu des lois déjà existantes.

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Je pense que l'importance des dispositions — et lorsque je parle de dispositions, je parle des investigations ou des engagements assortis de conditions... On trouve dans le droit pénal canadien toutes sortes d'exemples d'utilisation des engagements assortis de conditions. Si j'ai bien compris le principe, ce mécanisme a simplement été transposé du droit pénal général au contexte du terrorisme.

    Je ne sais pas...

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Excusez-moi de vous interrompre. Je ne sais pas si la traduction vous fait perdre le sens de ma question, mais ce n'est pas ce que je vous demande. Je reconnais que vous ayez pu comprendre cela, mais ce n'est pas du tout ce que je vous ai demandé.

    En fait, je veux savoir si vous pouvez nous donner un exemple d'un cas où la Loi antiterroriste vous a permis d'intervenir avant qu'une action terroriste soit commise, alors que les lois ordinaires ne vous auraient pas permis de le faire?

[Traduction]

+-

    M. Vincent Westwick: Lorsque je parle de mon expérience, je parle de l'expérience des services de police d'Ottawa. D'après mon expérience, et je dois être prudent maintenant — je crois que nous avons à deux reprises examiné très sérieusement la possibilité d'utiliser ces dispositions. À mesure que l'enquête et les événements se sont déroulés, nous avons constaté qu'il n'était pas nécessaire d'y avoir recours. Mais nous avons connu des situations, à mesure que nous prenions connaissance de certains renseignements, qui nous ont laissé penser que ces dispositions pourraient être appliquées mais par la suite, heureusement, nous avons constaté que la situation n'était pas aussi grave que nous l'avions pensé au départ.

º  +-(1610)  

+-

    Le président: Merci.

    Merci, monsieur Ménard.

    Monsieur Comartin, allez-y.

+-

    M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.

    Merci, messieurs, d'être venus.

    Selon mon analyse historique — et je dirais qu'elle touche davantage les É.-U. que le Canada —, le crime organisé a réussi à se développer aux États-Unis parce qu'à l'époque, le FBI se préoccupait beaucoup trop — je crois que cela est un peu trop généreux; il n'était pas obsédé — de la peur du communisme et y consacrait des ressources considérables, comme l'ont fait un certain nombre d'autres corps policiers.

    Chef Blair, je vous pose cette question. Nous avons constaté, pour la première fois l'année dernière, une augmentation du nombre des meurtres au Canada. Bien sûr, votre ville, cette année en particulier, a connu une augmentation importante mais c'est également le cas de Regina, de Winnipeg, de Calgary et d'Edmonton. Je me demande si nous ne sommes pas en train d'utiliser nos ressources pour la lutte contre le terrorisme plutôt que de les consacrer à lutter contre la criminalité traditionnelle.

    Permettez-moi de terminer ma question en formulant ce commentaire. Je viens de Windsor. Nos services de police ont été obligés de déployer des forces supplémentaires aux postes frontières à cause du volume du passage. Je sais que cela leur a posé un problème. Nous avons eu de la chance. Notre chef dirait que c'est parce que c'est un bon chef et que nous obtenons un bon service — c'est exact et il est effectivement un bon chef. Je pense que nous avons également eu de la chance que le nombre des meurtres n'augmente pas dans notre ville.

    Je vous demande à tous les trois, mais au chef Blair en particulier, si vous estimez que vous ne disposez pas de suffisamment de ressources pour faire le travail que vous accomplissez traditionnellement, à savoir maintenir le nombre des meurtres à un niveau assez faible depuis une vingtaine d'années.

+-

    M. Bill Blair: Merci, monsieur Comartin.

    Premièrement, depuis deux ou trois ans, j'ai effectivement constaté une augmentation de nombre des meurtres à Toronto et une augmentation des homicides causés par des armes à feu dans notre ville. Je sais que le chef de Windsor est vraiment un excellent chef, mais je ne pense pas être prêt à reconnaître que le nombre des meurtres a augmenté parce que je suis un mauvais chef.

+-

    M. Joe Comartin: Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

+-

    M. Bill Blair: Je le sais, monsieur.

    Je dirais tout d'abord que, dans tous les centres urbains du Canada — et j'en ai parlé abondamment avec mes collègues, les chefs des services de police des principales villes du Canada —, nous avons constaté une augmentation de la violence reliée aux gangs, une prolifération des armes de poing, l'utilisation publique et dangereuse de ces armes de poing par des membres des collectivités les plus pauvres et les plus marginalisées de notre pays. Il est vrai qu'à Toronto, nous avons connu une augmentation brutale de la violence des gangs cette année. Nous avons déjà connu des augmentations semblables mais pas aussi fortes que celles de l'été dernier.

    Je ne pense pas que cette augmentation s'explique par un relâchement de la volonté des services municipaux du Canada, et certainement pas dans la Ville de Toronto, d'établir de bonnes relations avec les membres de nos collectivités marginalisées et de faire respecter la loi. Nous avons effectué de nombreuses enquêtes sur les gangs. Nous avons utilisé les dispositions législatives que nous a fournies le Parlement pour lutter contre le crime organisé et les organisations criminelles pour nous attaquer à ces gangs, et nous les avons utilisées de façon très efficace.

    Nous avons constaté une augmentation importante du nombre des armes de poing dans notre collectivité ainsi qu'une augmentation sensible de l'utilisation de ces armes par les membres des gangs de rue. Il n'y a pas eu, que je sache, de relâchement dans les efforts déployés par les services de police pour lutter contre ce problème dans aucune des villes. C'est en fait la première priorité de mon service. Nous y avons affecté des ressources importantes.

    Nous luttons activement contre le crime organisé et procédons à de nombreuses enquêtes dans ce domaine. L'immense majorité des enquêtes sur le crime organisé qu'effectue la Ville de Toronto visent de nos jours la principale menace à la sécurité publique à laquelle nous faisons face, c'est-à-dire les gangs de rue. J'y ai affecté des ressources considérables.

    Nous avons également du personnel qui travaille avec la GRC, la police provinciale et d'autres services de la Région du grand Toronto pour lutter contre la menace à la sécurité nationale que constitue le terrorisme, mais cela ne représente pas un pourcentage important de nos ressources. Nous avons par contre dû affecter des ressources à la préparation et à la prévention, au sein de nos collectivités, pour parer ces menaces. Nous y consacrons une bonne partie de nos ressources, mais le travail que nous effectuons au sein des équipes intégrées sur ces enquêtes n'a pas réduit de façon significative, à mon avis, notre capacité d'effectuer des enquêtes sur le crime organisé.

º  +-(1615)  

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur Comartin, permettez-moi de vous parler de la situation à Ottawa.

    Au cours des 12 derniers mois, nous avons eu deux homicides qui étaient directement reliés aux activités du crime organisé. Nous continuons à utiliser nos ressources pour lutter contre le crime organisé ainsi que pour lutter contre les armes à feu et les gangs de rue. Nous avons la chance dans cette collectivité d'avoir un des taux de meurtres les plus bas au pays, compte tenu de notre taille et des activités qui s'exercent dans cette ville. Le gros défi auquel nous faisons face sur une base quotidienne est d'arriver, avec les ressources dont nous disposons, à un équilibre pour assumer nos responsabilités en matière de lutte contre le terrorisme, de services à fournir aux VIP et aux missions internationales, en conservant suffisamment d'agents dans les quartiers et dans tous les secteurs de la ville pour lutter non seulement contre le crime organisé dans son sens traditionnel, mais aussi contre le nouveau crime organisé qui s'en prend ici aux nouveaux immigrants qui veulent s'établir à Ottawa.

    C'est un défi pour nous. Nous n'avons reçu aucune aide supplémentaire, sous forme de ressources, pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre. Nous avons restructuré nos tâches et redéployé nos effectifs de façon à pouvoir assumer ces responsabilités supplémentaires. Il y a certaines choses que nous ne faisons plus mais cela se règle au sein de notre collectivité.

+-

    M. Joe Comartin: Monsieur Westwick, lorsque vous parlez de la nécessité d'avoir cette loi — et je me suis officiellement prononcé contre elle — reconnaissez-vous que cette loi ne vous est d'aucune utilité tant que vous n'avez pas identifié les terroristes potentiels? Êtes-vous d'accord avec cette affirmation? Vous n'auriez pas pu utiliser cette loi contre Ressam si vous n'aviez pas identifié Ressam. Est-ce bien exact?

+-

    M. Vincent Westwick: Non, je ne pense pas que l'on puisse dire cela. Je veux toutefois être prudent parce que je ne veux pas parler de l'ensemble de la loi; je parle uniquement des dispositions relatives aux investigations et...

+-

    M. Joe Comartin: Excusez-moi, mais c'est à cela que je faisais référence.

+-

    M. Vincent Westwick: Non, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Comartin.

    Je dirais que l'énorme avantage qu'offrent les investigations, dans le domaine des enquêtes, est qu'elles permettent d'interroger une personne devant une instance judiciaire et obtenir d'elle des renseignements. Le gros avantage qu'elles offrent — et là je ne veux pas être cavalier — est qu'elles visent rarement le grand chef. Les investigations servent la plupart du temps, dans le cadre d'une enquête, à interroger un personnage secondaire qui est susceptible de fournir des renseignements qui permettront peut-être d'élargir l'enquête. C'est parfois très utile dans certaines affaires.

    C'est évidemment une disposition qui n'est pas utilisée en droit canadien — je crois que c'est la raison pour laquelle les législateurs, les parlementaires, l'ont circonscrite très soigneusement et limitée aux situations de terrorisme — mais je ne pense pas qu'on utiliserait l'investigation dans le seul cas où la cible est identifiée. C'est plutôt une technique d'enquête qui permet de préciser une menace ou de découvrir les personnes qui projettent de nuire à la collectivité, de sorte que je dirais que ce mécanisme est fort utile en matière de prévention.

+-

    M. Joe Comartin: Je voudrais aborder un autre sujet. En fait, j'aurais voulu débattre de cette question avec M. Westwick mais je n'en ai pas le temps.

+-

    Le président: C'est une brève intervention.

+-

    M. Joe Comartin: Le gouvernement va présenter de nouveaux projets de loi que nous n'avons pas encore vus, et cela m'inquiète. Le ministre de la Justice se contente de faire des déclarations très générales. Je crains beaucoup — et là encore, cela aura des répercussions sur les ressources attribuées à vos services — que l'on étende à vous ce que fait à l'heure actuelle le CST à l'échelle internationale. Là encore, je pars du principe que vous n'avez pas encore vu l'ébauche du projet de loi, mais nous avons entendu dire que nous allions étendre notre capacité de surveillance à des secteurs du territoire où il existe des lacunes — des lacunes qui n'existent pas, d'après ce qu'on me dit, dans la surveillance que nous exerçons à l'échelle internationale.

    Ce sont là deux choses. La première est qu'évidemment, il faudra consacrer des ressources supplémentaires à cette initiative. Je me demande où nous en sommes sur le plan de la technologie et si vous avez tenté d'évaluer le coût que cela représenterait pour chacun des chefs de services policiers. Deuxièmement, quel serait le nombre d'agents supplémentaires dont vous auriez besoin?

º  +-(1620)  

+-

    Le président: Je vais vous demander de répondre brièvement parce qu'il y a d'autres membres du comité qui veulent poser des questions.

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur Comartin, nous examinons ces questions parce que nous avons acquis de l'expertise dans le domaine de la haute technologie, en particulier. Nous savons que nous possédons la capacité de le faire. Il y aura des coûts supplémentaires mais ces coûts ne seront pas trop lourds à cause de la façon dont sont organisés les services de police, en Ontario en particulier.

    Pour ce qui est des nouvelles technologies, je peux vous dire que nos membres travaillent avec les fournisseurs de services et apprennent rapidement, ce qui leur permet de poser les bonnes questions. Nous espérons beaucoup que le gouvernement dépose un projet de loi qui nous permettra de nous mettre à jour — c'est-à-dire d'utiliser des méthodes d'interception, surveillées par les tribunaux, dans les secteurs où nous ne pouvons pas le faire à l'heure actuelle.

+-

    Le président: Merci, monsieur Comartin et chef Bevan.

    Nous allons maintenant passer à M. Cullen.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.

    Merci, chef Bevan, chef Blair et M. Westwick.

    Nous avons parlé des armes et de la violence à laquelle elles sont associées. Je suis sûr que les terroristes ont également des armes. Je suis peut-être un peu hors sujet, mais cela me paraît un sujet important; c'est certainement un sujet qui me touche de près, même si je ne devrais peut-être pas m'exprimer ainsi.

    Dans ma circonscription, Etobicoke Nord, il y a beaucoup de violence reliée aux gangs, beaucoup trop. Je tiens à vous féliciter, chef Blair, d'avoir utilisé les pouvoirs que vous possédez pour faire une rafle et arrêter un nombre impressionnant de membres de gangs. Il y a encore de la violence mais cette opération a marqué.

    Je vous invite à me corriger si je me trompe, mais pour ce qui est de la loi antigang, est-ce que vous avez utilisé pour effectuer ces arrestations les dispositions que le gouvernement a présenté il y a quelques années, ou était-ce les dispositions habituelles du Code criminel?

+-

    M. Bill Blair: Non, en fait, nous avons utilisé les dispositions habituelles — je crois que c'est l'article 467.1 — qui permettent d'identifier ces organisations.

    Souvent, lorsque l'on parle de « gang de rue », les gens pensent à un groupe de jeunes oisifs dévoyés. Ce n'est pas du tout le cas. Ce sont des groupes urbains de crime organisé. Ils s'intéressent de près à toutes sortes d'activités criminelles. Leur principale source de revenus est le trafic de drogues, mais ils exercent également d'autres activités criminelles pour financer l'organisation criminelle, le gang.

    Nous avons utilisé avec beaucoup de succès et à plusieurs reprises ces dispositions pour effectuer des enquêtes et démanteler des gangs. Tout récemment, le 15 septembre, nous avons arrêté près de 50 individus, dont une partie a été inculpée de l'infraction d'appartenance et de participation à une organisation criminelle. Nous avons également procédé de la même façon dans d'autres enquêtes, principalement dans le secteur de Scarborough, l'année dernière, avec l'opération Pathfinder et avant cela, avec l'opération Impact. Ces enquêtes ont eu un effet important, et je crois, paralysant, sur la violence à laquelle se livrent les gangs.

    En fait, dans les cinq semaines qui ont suivi l'opération du 15 septembre, il n'y a pas eu un seul homicide relié à des armes à feu dans la ville de Toronto. J'aimerais pouvoir dire la même chose après un an — chacune de ces morts est tragique — mais compte tenu du niveau de violence que nous avions connu, cela a marqué une réduction importante de la violence, parce que nous n'avons pas uniquement fait une enquête sur des échanges de coups de feu ou sur des meurtres particuliers, mais nous nous sommes attaqués à l'ensemble des organisations responsables de cette violence.

    Ces dispositions nous ont donc fourni des outils très efficaces.

    Je devrais néanmoins vous signaler certaines difficultés. Notre capacité d'effectuer ces enquêtes est quelque peu limitée par le fait que le système de justice pénale n'a pas toujours la capacité de s'occuper des poursuites. Nous nous heurtons à un manque de capacité au sein de l'administration de la justice en Ontario pour ce qui est d'intenter des poursuites. Nous cherchons les moyens de surmonter ces obstacles. Nous pensons que ces enquêtes peuvent donner des résultats et réduire la violence, mais elles ne servent à rien si nous ne sommes pas en mesure de poursuivre les personnes que nous arrêtons.

º  +-(1625)  

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci.

    J'espère que le gouvernement fédéral en prendra note. C'est une bonne remarque.

    Cela montre également que le projet de loi antigang, qui a été adopté il y a quelques années, visait directement à s'attaquer à cette menace particulière. Je voulais en venir au fait qu'il faut parfois adapter le Code criminel ou lui ajouter certaines dispositions pour pouvoir lutter contre certains phénomènes. La lutte contre les terroristes est, d'après moi, un de ces phénomènes.

    Nous avons entendu hier un témoignage intéressant, celui de Lord Carlile, qui a été chargé de surveiller l'application de la loi antiterroriste du gouvernement du Royaume-Uni. Nous lui avons posé la question suivante : étant donné que les dispositions de la loi antiterroriste n'ont pas été utilisées au Canada, pensez-vous que nous en ayons vraiment besoin? Vous avez fait remarquer que c'est comme un détecteur de fumée ou une alarme à incendie : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu d'incendie que l'on n'a pas besoin de ces appareils.

    En fait, pour paraphraser son témoignage, il a déclaré qu'il n'est pas nécessaire d'avoir ces dispositions dans les lois si l'on veut lutter contre un phénomène qui ne se produira peut-être pas avant une vingtaine d'années — voilà ce qu'il a pris comme exemple. Si la menace n'est que théorique, il est préférable de supprimer ce genre de dispositions de façon à renforcer la crédibilité du Code et des lois.

    Je me demande où, d'après vous, se situe la menace terroriste au Canada par rapport à ce cadre ou à ce modèle.

+-

    M. Bill Blair: D'après mon expérience dans la ville de Toronto, je crois qu'il existe dans cette ville des individus qui ont les moyens de poser des actes de terrorisme dans ma ville. Mon rôle, tel que je le conçois, consiste à faire tout en mon pouvoir pour garantir la sécurité de tous les habitants de Toronto. Je pense que le terrorisme international et le terrorisme national — peut-être d'inspiration étrangère mais un terrorisme ayant ses racines ici — pourraient choisir des cibles dans ma ville. Je pense que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour empêcher cela. Nous travaillons pour être prêts au cas où un tel événement se produirait, mais nous savons qu'il faut affecter des ressources à cette lutte et les consacrer à prévenir ce genre de choses. C'est notre responsabilité.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Il a fait d'autres observations plutôt intéressantes. Cela revient peut-être un peu à la question qu'a posée M. Ménard, même si je ne veux pas essayer de reformuler ce qu'il a dit — mais la question de savoir pourquoi les organismes d'application de la loi ont besoin de pouvoirs spéciaux, en plus de ce que contient déjà le Code criminel — pour lutter contre la menace terroriste est souvent posée lorsqu'on réexamine une loi antiterroriste. Il a cité, à titre d'exemple, un cas où la police savait qu'un cambriolage se préparait. Les policiers ont laissé se dérouler le cambriolage et ont ensuite procédé à des arrestations; ils avaient bien sûr à ce moment-là toutes les preuves dont ils avaient besoin pour inculper ces personnes.

    Il a déclaré que dans le cas d'une menace terroriste, il n'est pas possible de procéder ainsi, parce qu'il serait trop tard. Vous avez besoin de pouvoirs supplémentaires pour pouvoir recueillir des preuves et vous acquitter du fardeau de la preuve. Par exemple — je me fais l'avocat du diable et je ne suis pas avocat, ma question est donc peut-être stupide — si la police possède des renseignements qui lui font craindre que quelqu'un est sur le point de commettre un meurtre, quelles sont les preuves dont vous avez besoin et seraient-elles très différentes du cas, disons, où vous avez mis en place une écoute électronique, avec un mandat, pour surveiller une personne qui parlait de plans et de bâtiments susceptibles d'être la cible d'une attaque terroriste? Quelles sont les différences sur le plan des preuves et du fardeau de la preuve qui existent entre ce genre de situations et les autres infractions prévues par le Code criminel?

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur Cullen, nous avons connu ce genre de situations, des situations dans lesquelles nous disposons de renseignements et de preuves qui indiquent qu'une personne va être tuée. Normalement, la première chose à faire est de protéger la victime. On s'occupe ensuite de réunir des preuves et d'empêcher que le meurtre ait lieu. La difficulté que pose une situation terroriste, dans laquelle il risque d'y avoir un nombre incalculable de victimes, est d'avertir ces victimes, de les protéger tout en obtenant suffisamment de preuves pour être en mesure d'intenter des poursuites.

    Avec la Loi antiterroriste, il est possible de convoquer des individus pour une investigation, un processus surveillé par les tribunaux, dans le but d'obtenir des renseignements supplémentaires qui vous permettront d'obtenir les preuves dont vous avez besoin pour arrêter toutes les parties concernées. Comme nous l'avons constaté dans d'autres pays, ce n'est pas parce que quelques membres d'un groupe planifient de faire quelque chose que ce groupe ne fera rien d'autre, et c'est pourquoi nous avons cette loi. Pour nous aider dans ce genre de situations. Elle donne en effet aux autorités le pouvoir de réagir dans ce genre de situations, de façon à pouvoir identifier les personnes concernées.

º  +-(1630)  

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci.

    Ai-je encore le temps de poser une brève question?

+-

    Le président: Le chef Blair doit partir et je veux laisser M. Wappel intervenir. Je vais donc l'inviter à le faire.

+-

    M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Monsieur le président, je vais faire une déclaration préliminaire, si vous le permettez. Je serai bref. Ceci s'adresse non seulement aux témoins mais également à mes collègues.

    Le comité doit son existence à l'article 145 de la loi et notre seule mission est de procéder à un examen complet des dispositions et du fonctionnement de cette loi. Il est sans doute très intéressant de parler de crime organisé, du nombre des meurtres et de la partie VI du Code criminel, mais je trouve très frustrant que notre discussion ne porte pas sur le sujet à l'étude, et je vais donc essayer de m'en tenir à ce sujet.

    Je crois que vous nous avez déjà déclaré que vous ne recommandiez pas de modifier cette loi. Est-ce bien exact?

+-

    M. Vincent Westwick: Exact.

+-

    M. Tom Wappel: Très bien.

    L'Association canadienne des chefs de police, représentée par M. Edgar MacLeod et M. Westwick, a comparu devant l'ancien comité de la justice à l'époque où ce projet de loi a été présenté initialement. À cette époque, l'Association canadienne des chefs de police pensait que la loi devrait également prévoir la création d'une petite agence centrale qui serait chargée de la collaboration, des communications et de la coordination des activités entre les différents services.

    C'était votre recommandation à l'époque. Vous n'avez pas présenté de recommandations aujourd'hui. Cela veut-il dire que vous avez renoncé à faire adopter cette recommandation?

+-

    M. Vincent Westwick: Non, pas du tout. En fait, lorsque nous avons comparu devant vos collègues du Sénat, nous avons commencé nos remarques en abordant précisément ce point.

    Lorsque nous avons présenté cette recommandation en automne 2001, au moment où le projet de loi C-36 était à l'étude, nous avions envisagé un mécanisme qui prendrait la forme d'un organisme restreint qui serait chargé de coordonner certaines actions — les enquêtes et les mesures d'application de la loi, mais également les réactions immédiates — pour veiller à ce que l'action des services fédéraux, provinciaux et municipaux soit coordonnée. À l'époque, le gouvernement n'a pas réagi mais il a en fait créé — et nous l'en avons félicité dans les observations que nous avons présentées au Sénat — le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada; un titre assez long. Nous pensons que le gouvernement a saisi l'esprit de la recommandation que nous avions faite en automne 2001, même s'il l'a mise en oeuvre de cette façon — une façon différente de celle que nous avions proposée.

    Nous n'avons pas abandonné du tout cette recommandation. Nous pensons que le gouvernement...

+-

    M. Tom Wappel: Monsieur Westwick, excusez-moi. Je suis désolé, mais je n'ai pas beaucoup de temps.

    Je trouve un peu curieux que vous ayez présenté ces commentaire au comité sénatorial et pas au nôtre. Y a-t-il une raison pour cela?

+-

    M. Vincent Westwick: Pas vraiment. Nous essayons toujours, monsieur Wappel, d'adapter nos commentaires au comité devant lequel nous comparaissons. Nous ne voulons pas que vous pensiez que nos commentaires ne sont que la copie de ceux que nous avons présentés ailleurs. Nous examinons soigneusement nos commentaires et essayons de les relier au sujet que le comité est en train d'examiner de façon à ce qu'ils soient pertinents. Il n'y a pas d'autre raison, monsieur.

+-

    M. Tom Wappel: Merci

    On nous a demandé de procéder à un examen approfondi du fonctionnement de la loi. Si j'ai bien compris le témoignage du chef Bevan et le vôtre, monsieur Westwick, je crois que vous avez dit qu'il y a eu deux cas — et je me trompe peut-être ici — dans lesquels les services de police d'Ottawa ont utilisé ou envisagé d'utiliser la loi depuis qu'elle a été adoptée. Est-ce bien exact — deux cas?

º  +-(1635)  

+-

    M. Vincent Westwick: C'est ce que je pense. Oui, c'est ce que je pense.

+-

    M. Tom Wappel: Et dans les deux cas la loi n'a en fait pas été utilisée? On avait envisagé de l'utiliser.

+-

    M. Vincent Westwick: C'est exact.

+-

    M. Tom Wappel: Je sais que le chef Blair a dû nous quitter, ce qui est tout à fait regrettable, parce que j'allais lui poser la question : qu'en est-il à Toronto? Monsieur Westwick, avez-vous une idée de la situation à Toronto?

+-

    M. Vincent Westwick: Je ne peux pas répondre à cette question; je suis désolé.

+-

    M. Tom Wappel: Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Monsieur MacKay, vous aviez une brève question, parce que nous avons...

+-

    M. Peter MacKay (Nova-Centre, PCC): Non, je n'ai pas une brève question. J'aimerais poser les questions que j'ai le droit de poser. Merci.

+-

    Le président: Très bien. Je vous rappelle simplement que nous avons d'autres témoins qui nous attendent...

+-

    M. Peter MacKay: Très bien.

+-

    Le président: ... et nous devons voter à 17 h 30.

+-

    M. Tom Wappel: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Normalement, chaque intervenant dispose de sept minutes pour la première ronde et je crois que les questions durent beaucoup plus longtemps que sept minutes.

+-

    Le président: C'est la faute du président.

+-

    M. Tom Wappel: Je vous ai chronométré hier et j'ai constaté que les questions prenaient beaucoup plus de temps que cela. Si l'on veut que tout le monde puisse prendre la parole, il faut respecter ces périodes de sept minutes.

+-

    Le président: Le président a pris note de votre admonition, monsieur.

+-

    M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

    Monsieur Westwick et chef Bevan, nous sommes heureux que vous soyez ici.

    Très rapidement, pour continuer sur le sujet qu'a soulevé mon collègue M. Wappel, la coordination et la collaboration, je voulais vous demander si vous pensiez, de vos points de vue respectifs, s'il y en avait suffisamment, si les services de sécurité et les services de police fédéraux, provinciaux et municipaux partageaient l'information dont ils disposent.

    Plus précisément, j'ai trouvé quelque peu choquant d'entendre cet été le ministre fédéral déclarer qu'aucun effort n'avait été fait — à part une seule réunion — par les gouvernements fédéral et provinciaux pour assurer la coordination de leur action dans le domaine de la sécurité et de la protection civile.

    A-t-on procédé par la suite à une répétition générale? À votre connaissance, a-t-on essayé d'organiser une répétition générale de la réponse des services de police ou des services d'urgence qui serait une mise en oeuvre réelle de la réponse des autorités à une attaque terroriste? À votre connaissance, cela a-t-il été fait au Canada?

+-

    Chef Vince Bevan: Monsieur MacKay, cela a été fait. Il y a eu des exercices théoriques sur des situations représentant les répercussions d'une telle attaque. Il n'y a pas eu d'exercice d'utilisation des dispositions de la Loi antiterroriste, pour ce qui est de son aspect préventif ou de protection — en tout cas pas à ma connaissance.

    Les termes que nous avons utilisés il y a un instant au sujet de la coordination, de la collaboration et de la communication découlent principalement des principes que nous avons adoptés avec nos partenaires. La collaboration et la communication de l'information sont deux aspects qui se sont améliorés. Nous apprenons constamment. Nous le démontrons régulièrement dans nos relations avec la Gendarmerie royale du Canada, avec la Police provinciale de l'Ontario et avec nos partenaires du Québec. Nous le faisons.

    Pour en revenir au Conseil stratégique de la sécurité de la capitale nationale, nous en sommes arrivés à un point où nous nous sommes entendus pour confier diverses actions à une seule unité de renseignement de sécurité. Nous avons donc mis nos ressources en commun. Je vous ai mentionné cela à titre d'exemple pour vous montrer comment se renforce la collaboration entre les différents services de police.

+-

    M. Peter MacKay: Merci.

    Bien évidemment, vos responsabilités concernent uniquement la ville mais savez-vous — et cela s'adresse peut-être à vous, monsieur Westwick — si l'on a fait des efforts pour renforcer la coordination et l'échange d'information, en particulier pour ce qui est du renseignement de sécurité, avec nos partenaires internationaux?

+-

    M. Vincent Westwick: Plutôt que de me fier à ma mauvaise mémoire, je préférerais consulter mes collègues du comité des modifications des lois et je m'engage à vous fournir des détails à ce sujet. J'ai quelques souvenirs mais je n'aimerais pas qu'ils figurent au compte rendu parce que je ne suis pas certain de pouvoir m'y fier. Mais je vais consulter mes collègues et vous préparer une réponse.

+-

    M. Peter MacKay: Magnifique.

    Vous avez mentionné, au cours d'un échange avec un de mes collègues, l'existence de lacunes législatives, qu'il s'agisse de pornographie juvénile... Reconnaissez-vous également qu'il y a une lacune — et je crois que l'on tente à l'heure actuelle de la combler en préparant un projet de loi — dans le domaine de la technologie, des communications sans fil, parce qu'il faudrait pouvoir disposer de mandats pour intervenir dans ce domaine? Avez-vous des commentaires ou des recommandations particulières à ce sujet pour en souligner l'importance?

+-

    Le président: Ce sera votre dernière question, monsieur MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Très bien, monsieur le président.

+-

    M. Vincent Westwick: Nous espérons vraiment que le gouvernement va présenter au Parlement cet automne un projet de loi qui comblera ce qui constitue pour nous des lacunes pratiques, des lacunes juridiques et des lacunes technologiques. Nous avons très hâte de voir ce projet de loi — très hâte.

º  +-(1640)  

+-

    M. Peter MacKay: Chef Bevan, j'aimerais aussi entendre vos commentaires.

+-

    Chef Vince Bevan: Nos enquêtes nous ont appris que les terroristes utilisent une technologie très sophistiquée pour transmettre leurs messages et nous avons besoin d'outils de portée nationale pour pouvoir lutter contre eux à armes égales.

+-

    M. Peter MacKay: Merci.

+-

    Le président: Merci.

    Y a-t-il d'autres questions ou quelques commentaires? Nous avons un autre groupe de témoins qui nous attend et j'essaie de donner à chacun le temps qui lui revient.

    Je vous remercie au nom du comité. Nous remercions l'Association canadienne des chefs de police de son intervention.

    Nous allons faire une brève pause pour que le groupe suivant de témoins prenne place. La séance est suspendue.

+-

    Le président: Reprenons.

    J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Ganor et à M. Rudner. Je pense que vous avez tous deux préparé des exposés.

    Monsieur Ganor, pouvons-nous commencer par vous?

+-

    Dr Boaz Ganor (directeur général, International Policy Institute for Counter-terrorism, à titre personnel): Je crois disposer de 10 minutes au maximum. C'est une mission impossible; c'est un cours qui est donné sur un an. Je vais néanmoins me limiter aux dix minutes que vous m'avez accordées.

    Le président: Faites-le en huit minutes.

    M. Boaz Ganor: Ce ne sera pas facile.

    À mon avis, la question que pose la Loi antiterroriste porte sur un des aspects les plus importants de la lutte contre le terrorisme, le sujet de ma thèse de doctorat, qui traite de la stratégie de lutte contre le terrorisme en Israël : efficacité et valeurs démocratiques.

    Cette loi est peut-être un des meilleurs exemples du dilemme démocratique que pose la lutte contre le terrorisme. Quel est le dilemme démocratique dans le domaine du contre-terrorisme? Il s'agit de savoir comment on peut lutter efficacement contre le terrorisme, d'un côté et conserver, de l'autre, les valeurs démocratiques libérales. Que cela nous plaise ou non, mes amis, ces deux objectifs sont contradictoires.

    Il est possible de lutter très efficacement contre le terrorisme dans une dictature, et il est possible d'avoir un gouvernement tout à fait libéral et démocratique si le pays n'est pas la cible d'attaques terroristes, s'il n'y a pas de menace terroriste et si le pays ne veut pas participer aux efforts internationaux de lutte contre ce phénomène. Si ce n'est pas le cas — et je crois qu'aujourd'hui il n'existe aucun pays où ce soit le cas, parce que tous les pays peuvent être la cible d'actions terroristes — le Canada compris — il faut concilier deux choses : la nécessité de lutter contre le terrorisme et adopter des mesures proportionnelles qui restreignent le moins possible les valeurs démocratiques libérales.

    J'aimerais dans mon bref exposé aborder trois aspects. J'espère pouvoir parler de ces trois sujets.

    Pour faire ressortir la nécessité de la lutte contre le terrorisme, j'aimerais passer en revue, très brièvement et de façon très résumée, les principales caractéristiques du terrorisme de djihad mondial et la menace que pose le terrorisme international pour la sécurité mondiale, y compris celle du Canada. J'aimerais vous dire quelques mots sur le danger qui menace le Canada, d'après moi, et sur ce que je pense de cette loi.

    Pour la première partie, je dirais que le terrorisme islamique radical mondial pose au monde civilisé et à la sécurité de l'humanité la menace la plus grave qui ait jamais existé. Pour appuyer cette affirmation très grave, je vais passer en revue les principales caractéristiques de cette menace.

    La première caractéristique de cette menace est que ces gens-là peuvent agir dans n'importe quel pays. Cette capacité d'action mondiale vient de l'évolution qu'a connue le noyau des mercenaires qui sont venus comme volontaires en Afghanistan entre 1979 et 1989. À la fin de la guerre, ils se sont répartis en trois groupes. Un groupe est demeuré en Afghanistan et a été recruté par ben Laden pour créer le noyau central d'al-Qaïda. Une fois la guerre finie, les membres du deuxième groupe ont souhaité retourner dans leur pays d'origine, et ils sont retournés dans les pays arabes et musulmans. Ils ont rejoint les rangs des mouvements radicaux islamiques de ces pays. Quant au troisième groupe, étant donné leur notoriété, les régimes de ces pays ne les ont pas accepté. À la suite de ce refus, ils ont demandé l'asile politique dans les pays occidentaux — aux États-Unis, au Canada, en Europe et dans d'autres États — et nous constatons aujourd'hui que ce phénomène s'est répandu dans le monde entier.

    La deuxième caractéristique de la menace est le fait que ces gens-là ont une grande expérience du terrorisme, parce qu'ils ont en fait passé au moins dix ans de leur vie à utiliser les tactiques de la guérilla et du terrorisme; ils ont donc une grande expérience de ce genre d'actions. Il est impossible de les comparer avec les étudiants bourgeois et de la classe moyenne qui se sont fait connaître dans les années 70 et qui ont commis des attentats dirigés par les brigades rouges, la bande Bader-Meinhof et les autres.

    La troisième caractéristique concerne l'idéologie extrémiste qu'ils ont adoptée. Nous avons vu différents types de terrorisme à l'époque contemporaine mais aujourd'hui, le terrorisme international n'est pas le fait des Basques ou de l'IRA — ni, je le mentionne en passant, des Palestiniens. Il est alimenté par un groupe extrêmement radical qui croit agir selon la volonté de Dieu. C'est Dieu qui les envoie remplir leur mission.

    Avec une organisation terroriste motivée par des facteurs nationalistes ou socioéconomiques ou une idéologie extrême comme le communisme ou l'anarchisme, il est toujours possible de s'arranger. On peut faire des compromis, on peut négocier, on peut faire toutes sortes de choses. Mais pas avec ces gens, parce que si vous voulez négocier, il faut négocier avec Dieu. C'est lui qui les envoie exécuter leur mission. C'est ce qu'ils croient.

º  +-(1645)  

    Leur objectif est extrême. Il n'est pas nécessaire d'être un spécialiste de la lutte contre le terrorisme pour le savoir. Ils le répètent constamment; ils veulent répandre dans le monde entier leur version de l'islam. Ils divisent le monde en deux, une zone de guerre et la zone qui est contrôlée par l'islam — mais c'est leur propre version de l'islam.

    En tant que juif, en tant qu'israélien, en tant que spécialiste de la lutte contre le terrorisme, je dois souligner que ce n'est pas une guerre entre l'islam et le reste du monde; c'est une guerre entre le radicalisme islamique et le reste du monde, ce qui veut dire l'immense majorité des musulmans. Le problème ne vient pas de cette religion ou d'une autre, ni d'un livre sacré ou d'un autre; le problème vient de la façon dont tout cela est interprété. Ces gens ont adopté une idéologie extrémiste.

    L'autre aspect qui les rend si dangereux vient des tactiques qu'ils utilisent. Ils utilisent des tactiques différentes mais la principale tactique, leur principal mode d'opération, est l'attaque-suicide. Je n'ai pas suffisamment de temps pour vous expliquer le danger que représentent les attaques-suicide et leur efficacité pour les terroristes, mais je dirais — et cela touche la Loi antiterroriste — que les attaques-suicide représentent des dangers particuliers qu'aucune autre attaque terroriste ne pose, ce qui veut dire que les autorités doivent faire de la prévention. Si l'organisation terroriste sait que l'attaque sera réussie dès qu'elle envoie le terroriste exécuter sa mission, même si on essaie d'arrêter le terroriste au moment où il se rend à sa cible, cela veut pratiquement dire qu'il n'y a pas de défense — ni de sécurité non plus. Il faut arrêter l'attaque avant qu'elle ne soit déclenchée. Pour y parvenir, il faut un excellent service de renseignement du sécurité. D'après moi, et je m'expliquerai dans un instant, la Loi antiterroriste est le moyen grâce auquel les services de sécurité du Canada pourront se procurer ce genre de renseignements.

    L'autre tactique qui les rend aussi dangereux, du moins d'après mon analyse, est que ces gens n'hésitent pas à utiliser et utiliseront à l'avenir — et je dirais même dans un avenir proche — des méthodes terroristes non conventionnelles. Ce ne sera peut-être pas le terrorisme nucléaire ou biologique mais le terrorisme clinique est sur le point d'apparaître dans tous les États civilisés du monde. Je pense que les terroristes vont y avoir recours très prochainement. Je pourrais vous expliquer pourquoi — leur motivation, leur capacité personnelle — mais je n'ai pas le temps de le faire.

    Le dernier facteur qui les rend si dangereux est que ces gens ont des valeurs différentes et, par conséquent, une façon différente de prendre des décisions rationnelles. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas rationnels; ils le sont. Ils calculent le coût et le bénéfice pour choisir la solution la plus avantageuse, mais ils agissent en fonction de valeurs différentes et, par conséquent, d'une logique différente. Pourquoi est-ce aussi important? C'est aussi important parce que votre vis-à-vis — votre ennemi, en fait — n'utilise pas la même logique que vous, vous ne pouvez pas communiquer avec lui, vous ne pouvez pas le convaincre, vous ne pouvez pas le dissuader de quoi que ce soit, et vous ne pouvez pas le menacer. En fait, vous n'avez aucun moyen de communiquer avec ces gens-là.

    Cela m'amène à la seconde partie qui est le danger qui, d'après moi, menace le Canada. Il y a des gens au Canada — c'est ce qui m'a semblé en lisant certaines choses et après les réunions que j'ai eues — qui pensent que la diversité du Canada — d'une part, ce qui est très important — et la neutralité du Canada, d'autre part, apportent une certaine sécurité et éviteront à votre pays de subir une attaque terroriste. Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. Selon le point de vue de ces gens et selon leur logique, la neutralité ne veut rien dire; les gens sont avec eux ou contre eux.

    Ils considèrent le Canada comme un des piliers de la société occidentale et donc, comme un ennemi. Certains Canadiens n'aiment peut-être pas cette idée mais ces gens considèrent que le Canada est un pays allié des États-Unis — en tout cas un voisin très proche des États-Unis. Attaquer le Canada serait une façon symbolique d'attaquer également les États-Unis.

    Le Canada participe, à juste titre d'ailleurs, à des activités de maintien de la paix et à une mission en Afghanistan. C'est bien sûr une raison pour viser le Canada. Il serait bon de rappeler que ben Laden lui-même a nommé le Canada parmi les cinq pays qui figuraient sur la liste des pays à attaquer, si je ne me trompe — c'est peut-être le seul État qui n'ait pas encore subi d'attaque terroriste — il n'est pas le seul porte-parole d'al-Qaïda qui mentionne le Canada de cette façon.

    Malgré toute l'importance du travail qu'effectuent les services de sécurité canadiens, le Canada est toujours considéré comme un pays vulnérable, à tout le moins parce que le Canada a moins l'expérience de ces choses que la plupart des autres pays occidentaux, et que cela pourrait par conséquent faciliter une attaque contre le Canada.

º  +-(1650)  

    J'irais jusqu'à dire que la plupart des membres des communautés musulmanes qui vivent au Canada n'ont rien à voir avec le terrorisme et probablement n'auront jamais rien à voir avec le terrorisme; cependant, du point de vue des organisations terroristes — ces activistes radicaux islamiques — c'est un excellent endroit pour faire de la propagande, propager des idées et ce faisant, intéresser un certain nombre de ces membres; les attaques terroristes impliquent un nombre très restreint de participants.

    Il ne faut pas oublier à ce sujet que la plupart des attaques qui ont été lancées contre des pays occidentaux — Madrid, bien sûr, et Londres et d'autres — ces dernières années étaient le fait de réfugiés de la seconde génération qui ont été incités à agir de cette façon par l'Internet et par d'autres moyens.

º  +-(1655)  

+-

    Le président: Je dois intervenir. Je suis désolé mais nous voulons entendre M. Rudner et mes collègues veulent poser des questions, et nous avons un vote dans une demi-heure.

    Merci. Thank you.

    Monsieur Rudner.

+-

    M. Martin Rudner (directeur, Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, à titre personnel): Merci, monsieur le président.

    C'est un honneur et un privilège d'être ici aujourd'hui.

    Dans les quelques minutes dont je dispose, j'aimerais aborder trois questions. Premièrement, pourquoi avons-nous besoin de la Loi antiterroriste? Deuxièmement, il y a l'examen de son fonctionnement : que faut-il renforcer dans la Loi antiterroriste? Troisièmement, quelles sont les choses qu'il faut y ajouter?

    Pourquoi avons-nous besoin de la Loi antiterroriste? Premièrement et surtout — et cet aspect a été abordé par M. Ganor et d'autres — parce que le terrorisme est différent de la criminalité conventionnelle. Il est différent sur plusieurs points que je vais brièvement vous résumer.

    Premièrement, la lutte contre le terrorisme passe par la prévention. Il ne faut pas attendre d'intenter des poursuites après l'événement; il faut prévenir les attaques et désorganiser l'adversaire avant que l'attaque se produise. Il faut instituer une enquête dès qu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner un danger; il ne faut pas attendre d'avoir des motifs plus solides, parce que cela obligerait à agir une fois l'attaque lancée.

    En outre, et c'est un aspect très important, il faut reconnaître que le terrorisme englobe toutes sortes d'activités et pas uniquement des attaques. Jusqu'ici, nous avons considéré que le terrorisme consistait uniquement à lancer des attaques mais en fait, le terrorisme implique toute une série d'activités — le recrutement, le financement, l'incitation à la violence, l'acquisition de matériel, y compris les explosifs et les produits chimiques, la glorification de la terreur, la planification tactique, le choix de maisons sûres, la reconnaissance des lieux et ensuite, les attaques.

    Certaines de ces activités ne constituent des infractions que lorsqu'elles sont reliées au terrorisme. Ce ne serait pas des infractions en dehors de ce contexte. Certaines ne sont pas des infractions dans certains pays, et pourtant, lorsqu'on relie toutes ces activités, on constate que l'incitation à la violence politique est en fait une activité qui débouche sur le recrutement de personnes prêtes à exercer une telle violence. Au Canada, il y a eu davantage d'efforts de recrutement que d'attaques terroristes.

    Il y a également des organisations qui sont très difficiles à qualifier initialement de terroristes. Hizb ut-Tahrir est définie comme une organisation terroriste au R.-U.; les Australiens sont en train d'examiner cette question; au Canada, nous ne nous y intéressons pas. Freedom House, une des principales organisations américaines des droits de la personne, l'une des plus anciennes au monde, a publié en février un rapport intitulé Saudi Publications on Hate Ideology Fill American Mosques (Aux États-Unis, les mosquées sont remplies de publications saoudiennes prônant une idéologie haineuse). Cela n'a eu aucun écho au Canada et personne ne s'est demandé si on retrouvait également dans les mosquées et les institutions d'éducation canadiennes ce genre de publications. Là encore, l'incitation à la violence est une activité qui débouche sur le recrutement, qui débouche en fin de compte sur des attaques terroristes.

    À mon avis, la lutte contre le terrorisme est un domaine du droit différent du droit pénal. Ce droit joue un rôle semblable à d'autres domaines du droit qui sont autonomes — comme le droit maritime, le droit de la guerre et même le droit fiscal — ce sont des domaines législatifs qui font appel à des mécanismes et à des mesures spéciales pour défendre la sécurité nationale.

    Quels sont les aspects de ce droit qu'il faut renforcer? J'estime qu'il existe dans le contexte canadien une tension entre le secret, le respect de la vie privée et la Loi antiterroriste. Les citoyens ont droit au respect de leur vie privée, et ils chérissent leur vie privée; c'est notre cas à tous. Les gouvernements et les agences de renseignement ont une prédilection pour le secret — parfois c'est pour protéger leurs sources et leurs méthodes, parfois pour d'autres raisons, mais je pense que le comité devrait examiner s'il n'y a pas lieu de faire, dans le droit de la lutte contre le terrorisme, une distinction importante entre le droit au respect de la vie privée et le droit à l'anonymat. Le droit à la vie privée existe; mais à l'ère du terrorisme, personne n'a le droit de conserver l'anonymat. Ce sont deux choses différentes. La vie privée ne concerne pas la sécurité nationale; il faut pouvoir aller au-delà de l'anonymat pour protéger la sécurité nationale.

    L'information se transmet mal — il faut concilier le besoin de savoir et le besoin de communiquer l'information. En fait, je pense que la Loi antiterroriste doit prévoir des mécanismes qui vont renforcer la communication de l'information au sein des organismes d'application de la loi et du renseignement de sécurité. Un bref exemple, parce que nous n'avons pas beaucoup de temps, est le CANAFE. Notre organisme de renseignements financiers n'a que des droits très limités lorsqu'il s'agit de divulguer aux agences d'application de la loi des éléments de preuve concernant le financement du terrorisme. Je pense qu'il faudrait élargir cette capacité de divulgation du renseignement. L'Agence du revenu du Canada ne possède que des pouvoirs très limités lorsqu'il s'agit d'utiliser des renseignements fiscaux pour des opérations visant à refuser à des organisations terroristes le statut d'oeuvre de charité et le financement qui l'accompagne, une des principales sources de financement du terrorisme.

»  +-(1700)  

    Lord Carlile a mentionné hier les problèmes que posait la divulgation des preuves pour la poursuite. Il est rare que les affaires de sécurité nationale soient soumises aux tribunaux, précisément parce que les agences de renseignement et d'application de la loi ne souhaitent pas divulguer des renseignements au sujet de leurs sources et de leurs méthodes. La Grande-Bretagne et d'autres pays sont en train de mettre au point des méthodes de poursuite qui n'exigent pas toujours que les sources et les méthodes soient communiquées au tribunal; cela permettra en fait que les infractions de terrorisme donnent lieu à des poursuites.

    À mon avis, la confiance de la population est également une préoccupation. Le public ne possède pas beaucoup d'information sur les mesures que prennent les milieux du renseignement et de l'application de la loi pour lutter contre le terrorisme. Les renseignements disponibles sont bien souvent dissimulés par les avocats lorsqu'ils réussissent à faire reconnaître le caractère confidentiel des preuves. Il me paraît très important d'établir un équilibre entre le droit des individus à un procès équitable et le droit de la population d'être informée des dangers qui menacent le pays et qui ont en fait été écartés grâce à nos agences de sécurité et de renseignement. En Grande-Bretagne, le Home Office a introduit la notion de description anonyme des dangers; c'est une méthode qui permet de ne pas divulguer les noms des suspects mais de décrire néanmoins les dangers qu'ils constituent pour la défense du royaume

    Le troisième et dernier aspect dont j'aimerais parler est celui des lacunes de la loi. Ce qui manque, à mon avis, ce sont des dispositions visant à protéger l'infrastructure nationale essentielle. Quelles sont les caractéristiques d'une infrastructure nationale essentielle? Premièrement, il y a différents secteurs. Au Canada, il y en a dix, y compris l'énergie et le transport. Deuxièmement, la propriété et la gouvernance de ces secteurs sont réparties entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et municipaux, et ces secteurs appartiennent pour la plupart au secteur privé. Troisièmement, même au sein de l'administration fédérale, il y a une distinction entre la mission du ministère de la Sécurité publique et de la protection civile du Canada, en tant qu'organisme centralisé, et celle des ministères hiérarchiques, comme Transports Canada et Ressources naturelles Canada, dont relèvent directement certains secteurs particuliers.

    Je pense qu'il faudrait, dans l'intérêt national, clarifier ces choses en se basant sur au moins quatre principes, que je serais heureux de vous présenter.

    Le premier principe consiste à préciser les missions, les attributions et les responsabilités des différentes entités, et d'indiquer clairement quelle est l'entité qui assume le coût de chaque volet de la protection de l'infrastructure nationale essentielle.

    Deuxièmement, aspect très important, il faut mettre sur pied un mécanisme de consultation qui assure la participation du secteur privé au système de réglementation, parce que c'est en fin de compte le secteur privé qui est propriétaire de ces actifs qui sont néanmoins d'intérêt national, à titre d'infrastructure nationale essentielle.

    Troisièmement, il y aurait lieu de créer un système de communication de l'information assorti de protections juridiques. Il faudrait premièrement pouvoir transmettre l'information relative aux menaces à la sécurité que possèdent les agences de renseignement et d'application de la loi aux propriétaires d'éléments de l'infrastructure qui ont obtenu une autorisation de sécurité. Deuxièmement, il faudrait donner aux propriétaires d'éléments de l'infrastructure nationale essentielle la possibilité de transmettre des renseignements au gouvernement du Canada au sujet de leurs points vulnérables. Cette information ne devrait pas pouvoir être facilement obtenue aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, parce qu'il n'est pas bon de dire à tout le monde quels sont vos points vulnérables; en ce sens, il faut un mécanisme qui prévoit à la fois le partage de l'information et sa protection. Et troisièmement, à mon avis, il faut mettre sur pied un système de normes et de pouvoirs en matière d'application de la loi qui intègre à la fois le secteur privé et les diverses entités du secteur public, de façon à pouvoir adopter des normes pour la protection de l'infrastructure nationale essentielle et une méthode visant à assurer la mise en oeuvre de ces normes.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Sorenson, allez-y.

+-

    M. Kevin Sorenson: Merci

    Je peux vous dire que j'ai beaucoup aimé vos deux exposés.

    Je sais, monsieur Rudner, que certains de mes collègues vont vous poser des questions. J'espère qu'ils vont approfondir l'idée de l'anonymat par opposition au respect de la vie privée, en particulier par rapport aux questions que nous examinons.

    Mais j'aimerais vous donner un peu plus de temps, monsieur Ganor, parce que je sais que vous n'avez pas terminé votre exposé. Quel est d'après vous le meilleur outil pour lutter contre le terrorisme? Est-ce que ce sont les lois? Est-ce que c'est le projet de loi que nous examinons? Est-ce le renseignement de sécurité? Vous avez dit quelques mots de la prévention et de la nécessité d'être prêts. Y a-t-il autre chose?

    Vous pouvez prendre votre temps pour répondre à ces questions et ajouter ce que vous voulez. Vous venez de très loin.

»  +-(1705)  

+-

    Dr Boaz Ganor: Je vous remercie. J'apprécie beaucoup votre offre.

    Il y a différents niveaux d'activités de lutte contre le terrorisme. Il y a le renseignement; il y a l'offensive, les mesures punitives, les dispositions législatives, la collaboration internationale, la dissuasion, et le reste.

    L'aspect le plus important de la lutte contre le terrorisme est le renseignement de sécurité parce qu'il est nécessaire pour toutes les autres activités qui font partie de cette lutte. Sans renseignement, nous sommes complètement perdus. Mais pour faire le mieux possible tout ce que je viens de mentionner, il faut de bonnes lois.

    Par conséquent, je dirais que les dispositions législatives constituent la base à partir de laquelle s'exercent toutes les activités de lutte contre le terrorisme, et qui permet que ces activités soient exercées dans le bon ordre et de façon appropriée. C'est pourquoi je considère que la Loi antiterroriste est si importante. Je dois vous dire que j'ai lu cette loi en détail et j'ai été très surpris de constater que c'est en fait une excellente loi parce qu'elle réussit à concilier l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et à préserver en même temps les valeurs libérales.

    Elle comporte toutefois une lacune, à mon avis, c'est que cette définition n'est pas suffisamment précise. Nous y reviendrons peut-être. Cette loi réprime également toutes les actions qui mènent au déclenchement d'une attaque terroriste, depuis l'incitation à la violence, au recrutement, à la levée de fonds, au fait d'accueillir des terroristes, de perpétrer l'attaque et le reste. La loi donne aux services de sécurité les droits dont ils ont besoin pour obtenir de l'information de la population et pour réunir des renseignements. Cette loi protège les sources fragiles de renseignements en leur attribuant un caractère confidentiel, et la loi donne aux responsables les moyens de viser la prévention dans la lutte contre le terrorisme. À mon avis, c'est donc, pour l'essentiel, une bonne loi.

    Je souscris à tout ce qu'a dit M. Rudner aujourd'hui, mais j'estime que la plupart de ces questions ne sont pas nécessairement reliées à cette loi mais plutôt à ce que l'on fait avec la base qu'elle offre. Comment allez-vous utiliser la base que constitue la Loi antiterroriste pour mettre en place une véritable coordination entre les différents services de sécurité, notamment coordonner la sécurité privée des infrastructures politiques et le gouvernement? Toutes ces questions sont d'excellentes questions qu'il faut examiner. Je ne sais pas si elles doivent être tranchées par une loi ou par de nouveaux mécanismes que le gouvernement pourrait mettre sur pied dans ce but.

    Ce qui en fait une loi équilibrée en termes de valeurs libérales, ce sont trois règles.

    La première règle est que tous les aspects de la lutte contre le terrorisme doivent être légaux ou prévus par une loi. Je pense que les aspects essentiels figurent dans cette loi. Le gouvernement ne devrait rien faire qui ne soit pas mentionné dans la loi; si ce n'est pas mentionné, cela devrait être interdit. C'est la première chose.

    La deuxième chose est que tout devrait relever des tribunaux. Il faut que les tribunaux exercent leur contrôle pour que toute personne qui estime que les services de sécurité ou le gouvernement lui ont causé préjudice puisse toujours saisir les tribunaux qui défendront cette personne et lui accorderont la réparation dont elle a besoin.

    Il y a enfin une dernière chose, le contrôle parlementaire, qui est ce que vous faites ici. Cela est essentiel parce que cette loi, comme toutes les autres lois antiterroristes, est une loi d'urgence. Une loi d'urgence ne devrait pas durer éternellement; il faut qu'elle soit vérifiée et ajustée constamment par le Parlement, et je pense que c'est ce que vous faites ici.

+-

    M. Kevin Sorenson: Je vais m'arrêter ici pour que tout le monde ait la possibilité d'intervenir.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Ménard, je vous en prie.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: J'ai eu l'occasion de vous entendre hier, et vous êtes très cohérent. Vous dites que la loi est excellente parce qu'elle prévoit la couverture de toutes les activités reliées au terrorisme. Je ne vois vraiment pas ce qu'on pourrait ajouter de plus. Généralement, les gens qui la critiquent constatent qu'elle va beaucoup plus loin.

    Une des raisons que vous avez données est que l'on ne peut faire ce qui n'est pas permis par la loi. N'est-ce pas justement une indication que la loi a une portée trop large?

»  +-(1710)  

[Traduction]

+-

    Dr Boaz Ganor: Je pense que la loi est... comme je l'ai dit, « excellente » n'est peut-être pas le terme que j'utiliserais mais c'est une très bonne loi. Je pense que cette loi constitue une base et c'est ce qu'une loi devrait faire. Il y a ensuite toutes ces activités et je pense que cette loi autorise tout ce que les services de sécurité ont besoin de faire pour exercer leurs activités de la façon appropriée.

    Bien entendu, cette loi ne mentionne pas toutes les tactiques que peuvent utiliser les services de sécurité, les services de police et les autres. Il s'agit de savoir si la tactique ou le mode de fonctionnement est conforme à la loi et, à mon avis, les policiers ont les pouvoirs dont ils ont besoin pour agir. On peut se demander s'ils font suffisamment, mais c'est une autre question.

[Français]

+-

    M. Serge Ménard: Je vais poser une question précise à ce sujet.

    Ne trouvez-vous pas que la définition du terrorisme dans la loi est si large qu'elle peut couvrir toutes sortes d'activités de contestataires pacifiques qui, généralement, ont fait avancer les sociétés démocratiques. Par exemple, on a l'impression que les activités de Ghandi auraient pu être jugées comme terroristes, d'après la loi.

[Traduction]

+-

    Dr Boaz Ganor: Tout d'abord, d'après ce que j'ai compris du texte, je dirais que cela ne fait pas partie de la définition.

    Mais cette définition me fait problème d'un autre point de vue. La définition du terrorisme que j'utilise est à mon avis plus précise que celle-là. Le terroriste est « le recours délibéré à la violence contre les civils dans le but de réaliser un objectif politique ». J'utilise politique dans un sens très large, qui englobe l'idéologie et le reste. Cette loi ne paraît pas très précise parce que parfois, elle n'utilise pas le terme « civil » mais le terme « personne » ou elle utilise des expressions comme « les gens qui participent à... » et ainsi de suite.

    Je ne procéderais pas ainsi. À mon avis, il y a une différence entre le terrorisme et la guérilla. Le terrorisme est le recours délibéré à la violence contre les civils; la guérilla est le recours délibéré à la violence contre le personnel militaire.

    Je dois reconnaître que ce que j'affirme maintenant n'est pas généralement accepté internationalement mais cela me paraît plus précis. Les lois de ce genre devraient faire référence aux attaques et aux dangers et à tout ce qui a pour but de nuire à la population civile, aux installations civiles, notamment.

+-

    M. Serge Ménard: Je sais que vous venez d'Israël et que c'est dans ce pays que vous avez rédigé votre thèse. Il est évident que nous pensons généralement qu'il y a beaucoup d'experts dans ce pays — par nécessité. Mais les gens font très souvent remarquer que l'État d'Israël a été fondé et a été défendu à un moment donné grâce à des activités terroristes. Et les gens qui ont exercé ces activités terroristes sont devenus finalement des chefs d'État ou du moins des ministres.

    Je suis sûr que vous pouvez montrer qu'il existe une différence entre ce qui s'est passé et ce qui se passe aujourd'hui. Vous avez sans doute justifié les actions passées. Comment les justifiez-vous à la lumière de ce qui se passe maintenant?

»  +-(1715)  

+-

    Dr Boaz Ganor: En fait, vous faites référence à une maxime qui est largement acceptée : un terroriste pour certains est un combattant de la liberté pour d'autres. Cela veut dire que tous ceux qui luttent contre moi sont des terroristes et tous ceux qui font la même chose contre d'autres personnes sont des combattants de la liberté. Je crois que c'est une formule trompeuse, parce que le terrorisme est une tactique et la lutte pour la liberté un objectif.

    Je peux vous dire que je suis prêt à appuyer n'importe quel combattant de la liberté au monde s'il me prouve qu'il est vraiment un combattant de la liberté. J'irais même plus loin, je pense que les combattants de la liberté ont le droit d'utiliser la violence pour atteindre un but sacré, à savoir la liberté. Il y a un genre de violence qui devrait toujours être interdite, et c'est le recours délibéré à la violence contre les civils — c'est-à-dire le terrorisme.

    Permettez-moi de vous préciser cela. Par rapport à l'expérience israélienne antérieure...

+-

    M. Serge Ménard: Je comprends parfaitement votre point de vue, mais iriez-vous jusqu'à dire que les Canadiens ne devraient pas juger les Tamouls comme ils jugent al-Qaïda?

+-

    Dr Boaz Ganor: Tout à fait le contraire. Je pense qu'il faudrait juger tout le monde non pas en fonction des objectifs recherchés mais par les tactiques utilisées.

    Je reviens tout juste de Turquie. On m'a demandé ce que je pensais du PKK. J'ai répondu que ce que je pensais du PKK importait peu. Disons que le PKK est composé de combattants de la liberté qui luttent pour une cause sacrée — tout comme les Tchétchènes, les Palestiniens et les autres. La question qu'il faut se poser est de savoir s'ils ont le droit d'utiliser la violence contre des civils pour réaliser leur objectif. À mon avis, la réponse devrait toujours être non.

+-

    Le président: Monsieur Comartin, allez-y.

+-

    M. Joe Comartin: Je vais m'abstenir.

+-

    Le président: Monsieur Cullen.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci, monsieur le président, et merci, messieurs Rudner et Ganor.

    Monsieur Rudner, vous avez abordé la question des infrastructures essentielles. Ma question comporte deux volets. Premièrement, le gouvernement est en train de préparer un projet de loi sur la gestion des situations d'urgence. Si cet aspect était traité de façon plus complète dans ce projet de loi, est-ce que cela serait conforme à votre suggestion d'en traiter dans un projet de loi distinct, ou pensez-vous qu'il serait préférable d'insérer ces dispositions dans la Loi antiterroriste?

    J'ai une question connexe au sujet de l'infrastructure essentielle. Vous avez parlé du rôle du secteur privé. C'est un sujet d'actualité; je viens de rencontrer aujourd'hui des représentants de groupes industriels et cette question a été abordée. Si nous prenons un bien privé, disons une usine, on peut dire qu'il représente un intérêt privé. On pourrait soutenir qu'il est également dans l'intérêt public de protéger ce bien, mais comment faire la différence entre un bien public et une infrastructure essentielle qui concerne notre sécurité nationale, et quel genre de formule utiliseriez-vous? Proposeriez-vous cinquante-cinquante? J'aborde cette question du point de vue du partage des coûts.

    Je ne suis pas sûr que le gouvernement s'intéresse à cela mais j'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet.

+-

    M. Martin Rudner: Merci. Ce sont là deux questions très importantes et je vais essayer de vous indiquer les réponses possibles dans le peu de temps que j'ai.

    À mon avis, la gestion des situations d'urgence et la protection contre le terrorisme sont deux choses très différentes. La gestion des situations d'urgence revient à gérer les catastrophes naturelles. Ici, il y a une intention délibérée et les conséquences sont très différentes. La nature de l'attaque contre l'infrastructure est elle-même fort différente et les mesures à prendre pour la protéger sont très différentes.

    Il est possible de construire des édifices à l'épreuve des tremblements de terre. Il est également possible de se protéger contre les incendies. Il est plus difficile de construire une raffinerie à l'épreuve des obus de mortier et un pipeline qui résiste aux explosions. C'est pourquoi la protection des biens essentiels contre le terrorisme fait appel à des mesures spéciales, celles de la lutte contre le terrorisme.

    Votre question au sujet des biens est très importante. Tout d'abord, il faut se souvenir de ce qui s'est passé pendant la guerre. Pendant la guerre, le gouvernement a pris une mesure qu'il a appelée l'assurance contre les dommages de guerre dans le but d'indemniser les citoyens pour la probabilité et le risque supplémentaire découlant d'un conflit. Cette mesure prenait également en compte les effets secondaires du dommage causé. Par exemple, si un gazoduc est endommagé, cela a des conséquences en amont et en aval. L'État pourrait cesser de fournir de l'électricité parce qu'il n'a pas de gaz naturel pour en produire, ce qui coupe l'électricité au secteur manufacturier, ce qui cause du chômage et il y a ainsi un effet boule de neige.

    On pourrait en fait analyser ces coûts et les répartir entre les coûts actuariels, qui doivent être assumés par le propriétaire du bien, et les coûts externes. Ces coûts font partie du domaine public. La population assume les coûts externes. Les personnes privées assument le risque actuariel.

    Permettez-moi de conclure en disant que les Américains sont très en avance sur nous dans ce domaine. L'Argonne National Laboratory, dans l'Illinois, a fait un travail de pionnier sur cet effet boule de neige. Des représentants de cette institution vont venir à Ottawa au mois de mars pour participer à la conférence que mon centre organise précisément dans le but d'introduire ces connaissances au Canada, pour que nous puissions commencer à analyser la pertinence de ces travaux pour la protection des infrastructures essentielles au Canada.

»  +-(1720)  

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci. Voilà qui est utile.

    Pour ce qui est de la transmission de l'information, prenons le cas d'une infrastructure essentielle qui est contrôlée et exploitée par le secteur privé, comme un oléoduc ou un gazoduc, ou quelque chose du genre, et pour ce qui est d'un plan de gestion des situations d'urgence, pensez-vous que les renseignements concernant cette infrastructure devraient demeurer confidentiels? Je pense que les sociétés vont dire, à juste titre d'après moi, que, si elles vont devoir partager des renseignements concernant la façon dont elles protègent ce bien essentiel, elles ne veulent pas que ces renseignements tombent dans le domaine public.

+-

    M. Martin Rudner: Tout à fait. Les entreprises connaissent leurs points faibles mais elles doivent le faire savoir au gouvernement pour que celui-ci puisse adopter des politiques et des programmes appropriés. Ces sociétés ne lui communiqueront pas ces renseignements s'ils sont transmis ensuite à la population, et si les terroristes peuvent ainsi découvrir où se trouvent leurs points faibles. C'est la raison pour laquelle cette information doit être protégée.

    Je mentionnerais également en passant qu'il faut également transmettre aux propriétaires privés d'infrastructures l'information relative au danger même si elle est classifiée, pour qu'ils puissent prendre des mesures appropriées pour protéger leur bien. Il faut mettre sur pied un circuit qui permette à l'information de circuler entre les intéressés tout en étant protégée.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci. Voilà qui est utile.

    J'aurais une question pour M. Ganor.

    Monsieur Ganor, nous avons parlé de la définition du terrorisme et je ne veux pas mal vous citer, mais je crois que votre définition est le recours délibéré à la violence contre des civils dans le but d'atteindre un objectif politique. Vous en avez parlé davantage il y a un instant.

    Je regarde la loi sur le terrorisme de 2000 du Royaume-Uni qui parle de « recours ou menace... dans le but de faire avancer une cause politique, religieuse ou idéologique ». Vous parlez d'objectif politique.

    Voulez-vous nous en dire davantage sur cette différence?

+-

    Dr Boaz Ganor: Pour épargner du temps au comité, je dirais que, lorsque je parle d'objectif politique, cet objectif comprend les objectifs idéologiques et religieux; j'utilise le mot « politique » dans un sens très général. Les djihadistes mondiaux d'aujourd'hui livrent une guerre de religion mais ils ont un but politique très concret; ils aimeraient créer un califat, tout d'abord dans les pays arabes et musulmans, en démarrant une réaction en chaîne qui renverserait tous les régimes en place dans ces pays.

    Donc, d'après moi, tout est regroupé sous l'expression « objectif politique ».

+-

    L'hon. Roy Cullen: Est-ce que ça comprendrait le terrorisme écologique?

+-

    Dr Boaz Ganor: Certainement, parce qu'en fin de compte ces gens recherchent une décision politique.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Wappel, allez-y.

+-

    M. Tom Wappel: Merci, monsieur le président.

    Messieurs, je tiens à vous féliciter de nous avoir présenté deux excellents exposés; je les ai beaucoup aimés tous les deux.

    Monsieur Rudner, je tiens à vous féliciter pour la façon dont vous avez expliqué pourquoi nous avons besoin de cette loi. Vos explications étaient fort complètes, très détaillées — vraiment excellentes.

    Monsieur Ganor, pour ce qui est de votre tableau global — et cela revient à la question qu'a posée M. Cullen — prenons le cas d'un réseau international qui a l'expérience de la lutte armée, qui défend une idéologie extrême et qui voudrait avoir recours à une attaque-suicide pour faire sauter une installation nucléaire en évitant de tuer des civils. Est-ce que cela serait une attaque terroriste?

+-

    Dr Boaz Ganor: Selon ma définition?

+-

    M. Tom Wappel: Oui.

+-

    Dr Boaz Ganor: Si c'est une installation civile, une installation qui produit de l'électricité, alors je dirais que quel que soit le nombre des personnes blessées, même s'il n'y a aucun blessé, oui, c'est une attaque terroriste.

+-

    M. Tom Wappel: Cela ne vise donc pas uniquement la mort de civils mais le fait d'endommager des biens appartenant à des civils.

+-

    Dr Boaz Ganor: Exactement. Tout ce qui touche les civils.

+-

    M. Tom Wappel: Parfait. Je vous remercie.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Monsieur Ménard, il ne nous reste pas beaucoup de temps. Vouliez-vous terminer, parce que je vous ai interrompu?

+-

    M. Serge Ménard: Je vous ai interrompu au mauvais moment, je crois l'avoir remarqué, et j'aimerais terminer. Nous avions si peu de temps mais je voulais faire cette comparaison, parce que vous comprenez que les Tamouls luttent contre une dictature ou un régime dictatorial mais j'imagine que vous seriez prêt à justifier que ce qu'ont fait les Israéliens au début de la naissance de leur État était dirigé contre... que c'était des combattants de la liberté.

»  -(1725)  

+-

    Dr Boaz Ganor: Je vais être précis et très objectif, autant que je peux l'être à ce sujet. Les combattants de la liberté, oui, bien sûr; cela est certain. Mais lutter pour la liberté ne peut pas justifier le meurtre délibéré de civils, que ce soit le fait de Juifs, d'Israéliens, de musulmans ou de chrétiens. Cela est très clair pour moi.

    Lorsqu'on analyse l'histoire d'Israël, on constate qu'il y avait trois groupes clandestins avant la création d'Israël. Le principal était le Haganah, qui regroupait 90 p. 100 des activistes. Je peux vous garantir que le Haganah n'a jamais eu recours au terrorisme; il faisait la guérilla contre les soldats britanniques, mais il n'a jamais utilisé le terrorisme contre les civils ou contre les Palestiniens qui vivaient dans cette région. Le ITZL, ou Irgun, qui représentait entre 7 et 8 p. 100 de l'activité clandestine d'Israël, a eu parfois recours — selon la personne qui était à la tête de cet organisme à l'époque — à des attaques terroristes contre les civils palestiniens mais pas contre l'armée britannique. C'était d'après moi tout à fait légitime. Le groupe de Stern, qui représentait environ 2 p. 100 de l'ensemble de ces activités, était une organisation terroriste.

    J'ajouterais cependant quelque chose : la communauté israélienne a provoqué ces extrémistes et a eu une « saison », qui constituait à les capturer et les remettre aux forces britanniques pour qu'elles les punissent. J'aimerais beaucoup voir cela dans d'autres communautés, comme les Palestiniens, et le reste.

+-

    M. Serge Ménard: Très bien, mais l'essentiel est dans la tactique. Si la tactique consiste à viser les civils, c'est du terrorisme.

+-

    Dr Boaz Ganor: Tout à fait, quel que soit l'objectif ou l'auteur de l'acte.

+-

    M. Serge Ménard: Très bien, mais il faut néanmoins reconnaître qu'il y a eu des combattants de la liberté...

+-

    Dr Boaz Ganor: Oui, mais une mauvaise action ne justifie jamais une autre mauvaise action.

+-

    M. Serge Ménard: Oui, je sais. Très bien.

+-

    Le président: Je vais maintenant remercier nos témoins.

    Au nom du comité, monsieur Ganor et monsieur Rudner, je tiens à vous dire que nous avons apprécié vos exposés et que nous avons aimé que vous partagiez votre réflexion sur ce sujet avec nous. Je vous en remercie.

    Nous allons examiner maintenant quelques questions de régie interne.

    M. Ménard a déposé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que je viens de recevoir et vais faire distribuer. Merci.

    Vous vouliez dire quelque chose?

+-

    M. Serge Ménard: Oui, ce sont les articles 12 à 16 qui nous concernent pas nécessairement les autres — même s'il est intéressant de lire le reste.

+-

    Le président: Très bien, je vais le distribuer.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Est-ce que c'est une motion ou tout simplement un document?

-

    Le président: Non, c'est un document que nous avons obtenu. Il est déposé à titre de pièce et nous allons l'accepter.

    L'autre question est un simple élément d'information. Vous vous souvenez peut-être que nous avions dit à la dernière réunion que nous allions entendre des victimes d'Air India. Je veux simplement vous confirmer que nous entendrons un groupe de témoins le 16 novembre qui comprendra Mme Basnicki, qui représente certaines victimes du 11 septembre, et aussi des représentants des familles des victimes du vol d'Air India. En outre, je suis en train d'essayer d'arranger des rencontres avec les ministres, qui seront nos derniers témoins, et j'essaie également de prévoir un moment pour entendre M. Judd.

    Nous allons probablement avoir une séance marathon le 16 novembre. Je tiens simplement à mettre tous nos collègues au courant de la situation. Nous entendrons peut-être des ministres en fin de soirée. Nous n'en sommes pas encore sûrs, et vous allez donc devoir patienter. Mon bureau va coordonner avec le greffier l'horaire des témoins, parce que si nous ne pouvons pas le faire le 16 novembre, il est possible que nous ajoutions une séance supplémentaire cette semaine-là.

    Enfin, il n'y a encore rien de définitif pour Washington. Nous vous aviserons en temps et lieu.

    Merci.

    La séance est levée.