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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 29 février 2000

• 1108

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins qui représentent l'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec.

Comme vous le savez, vous aurez 10 minutes pour faire votre déclaration liminaire puis il y aura une période de questions. Je vous prierais de vous limiter au temps qui vous est alloué, ne serait-ce que pour nous permettre d'avoir une discussion plus approfondie par la suite. Vous avez sans doute remarqué que la dernière fois, nous avons manqué de temps.

La représentante de l'Association du Barreau canadien est Isabel Schurman, présidente de la Section nationale de droit pénal. Je vais lui laisser le soin de nous présenter ses collègues. Les représentants du Barreau du Québec sont Carole Brosseau, avocate, Comité en droit criminel; Denis Jacques, bâtonnier du Québec; et Normand Marquis.

Je vous souhaite la bienvenue. Nous commencerons par Mme Schurman.

• 1110

Maître Isabel Schurman (présidente, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien): Merci.

[Français]

Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Tamra Thomson et je suis directrice de la section Législation et réforme du droit à l'Association du Barreau canadien.

L'ABC est un organisme national qui représente plus de 36 000 juristes dans l'ensemble du Canada. L'association s'est fixé pour objectif prioritaire l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous vous présentons notre mémoire aujourd'hui.

[Traduction]

Vous avez reçu un exemplaire de notre mémoire sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je suis heureuse d'être accompagnée de maître Isabel Schurman, présidente de la Section nationale de droit pénal de l'Association du Barreau canadien, ainsi que de Leandre Rupert-Bailey, présidente sortante de la Section des jeunes contrevenants de la Division de la Colombie-Britannique de l'Association du Barreau canadien. Maître Schurman et maître Rupert-Bailey comptent toutes les deux une longue expérience en matière de justice pour les jeunes et en droit criminel en général. Je cède la parole à maître Rupert-Bailey qui vous présentera l'essentiel de notre mémoire.

Maître Leandre Rupert-Bailey (présidente sortante, Section des jeunes contrevenants de la Division de la Colombie-Britannique, Association du Barreau canadien): Merci.

Vous avez probablement eu l'occasion de passer en revue notre mémoire. En général, nous appuyons l'orientation du gouvernement dans ce projet de loi, car il focalise sur la réduction de la participation des jeunes à la procédure judiciaire et du nombre d'adolescents sous garde. C'est ce qui est au coeur du projet de loi, et c'est ce qui est énoncé dans les principes et les objectifs—les objectifs de prévention, de perspectives positives et de réadaptation intensifiée. Nous appuyons le gouvernement et nous applaudissons à ces initiatives.

En fonction des renseignements dont on dispose et des études qui ont été menées sur le sujet, nous sommes d'avis que la meilleure façon de protéger la société est d'assurer la réinsertion sociale des adolescents ayant des démêlés avec la justice. Toutefois, pour que ces initiatives positives soient fructueuses en vertu de cette loi, il faut prévoir les ressources nécessaires car, sans ces ressources, ces initiatives resteront vaines.

Nous applaudissons à la force dont a fait preuve le gouvernement en refusant de céder aux pressions des médias et d'autres groupes qui réclamaient qu'on abaisse à moins de 12 ans l'âge auquel s'appliquerait ce projet de loi.

La plupart des changements que nous appuyons se trouvent aux articles 4 à 12 du projet de loi. Ils traitent de la justice réparatrice, de l'inclusion de la victime, des perspectives positives et des mesures extrajudiciaires. Toutes ces initiatives sont très positives et se fondent sur le fait que très peu d'adolescents sont impliqués dans des crimes graves. En fait, la très grande majorité des jeunes contrevenants commet des délits mineurs et ne fait que passer dans le système de justice. Toutes ces mesures tiennent compte de cette réalité de façon très positive.

Malheureusement, nous avons de nombreuses préoccupations quant au reste du projet de loi, soit environ 150 articles. Là-dessus, je cède la parole à ma collègue.

Me Isabel Schurman: Bonjour.

[Français]

Tout d'abord, de la part de nous tous de l'Association du Barreau canadien, je veux vous remercier de nous donner l'occasion d'être entendus ici aujourd'hui. Pour simplifier la vie de Mme l'interprète, je vais vous adresser mes commentaires préliminaires en anglais, et non dans les deux langues, parce que c'est difficile pour les pauvres interprètes de passer d'une langue à l'autre.

• 1115

[Traduction]

Nous sommes heureux de constater qu'on a tenté d'adopter une approche équilibrée en matière de justice pénale dans ce projet de loi. Ma collègue vous a expliqué pourquoi. Toutefois, nous craignons que certaines dispositions ne soient pas conformes à cette approche équilibrée et, qui plus est, qu'elles mènent même les principes sur lesquels repose cette loi.

Je suis certaine que vous avez pris connaissance de notre mémoire et j'estime important que nos remarques liminaires soient brèves. Très brièvement, donc, comme vous le savez, nous nous opposons à l'idée d'abaisser l'âge auquel il est possible d'être renvoyé devant un tribunal pour adultes. Abaisser cet âge ne serait pas sage. Même si le bon sens nous dit que nous devons réagir avec sévérité devant tout comportement violent, il ne faut pas oublier que, aux termes de la loi actuelle, il est possible de renvoyer devant un tribunal pour adultes un adolescent de 14 ans, dans certaines circonstances et après une audience en bonne et due forme. Nous préconisons le maintien du statu quo à cet égard.

Nous nous opposons aussi à ce qu'on élargisse la catégorie des infractions auxquelles s'applique le renvoi désigné. La définition qui figure dans le projet de loi est telle qu'elle pourrait s'appliquer à des infractions pour lesquelles des adultes se verraient infliger des peines de plus de deux ans et qui, selon les circonstances, pourraient être considérées comme des infractions graves avec violence. À notre humble avis, cette définition est trop large.

Nous sommes aussi contre le renvoi désigné des adolescents strictement en fonction du nombre d'infractions commises—le principe de la troisième faute. Cela nous apparaît dangereux, en ce sens que cela encouragera les tribunaux à ne pas tenir compte de toutes les circonstances. Nous ne pouvons juger nos adolescents sans tenir compte de toutes les circonstances, tout comme nous ne jugeons pas les adultes sans tenir compte de toutes les circonstances, y compris les circonstances des victimes dans tous les cas—toutes les circonstances.

Nous nous opposons à tout changement qui empêcherait le tribunal de voir le problème, le crime, la situation, tels qu'ils sont. À l'Association du Barreau canadien, nous croyons, depuis longtemps, comme le savent ceux d'entre vous qui ont pris connaissance de nos positions au début des années 90, que les procédures réservées aux contrevenants dangereux ne devraient pas s'appliquer aux adolescents et aux enfants. Nous avons toujours été contre cette idée et nous le sommes encore.

Nous sommes aussi d'avis que le fait de refuser aux adolescents les garanties dont ils devraient jouir lorsqu'ils font des aveux ou des déclarations va à l'encontre des jugements qui ont été rendus au pays. Les enfants sont vulnérables devant les personnes en situation d'autorité—que ce soit la police ou d'autres—et ils devraient bénéficier d'une protection suffisante pour leur permettre de bien comprendre leurs droits dans toute situation où on leur demande de renoncer à ces droits.

De la façon qu'il est conçu, le projet de loi comporte cinq dispositions qui maintiennent les protections dont jouissent les adolescents dans ces situations, et deux dispositions qui permettraient aux tribunaux de passer outre à ces protections.

Nous comprenons mal comment on peut permettre au juge—et je paraphrase—d'admettre en preuve toute déclaration qui ne déconsidérerait pas l'administration de la justice. La Cour suprême du Canada a déclaré à maintes reprises que l'admission de preuves obtenues en mobilisant l'accusé contre lui-même a pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. Nous ne devrions pas adopter une loi qui va à l'encontre de cette norme.

Nous sommes convaincus qu'un système de justice pour adolescents efficace et juste comporte trois éléments: la loi, le système, qui compte souvent sur les ressources disponibles, et la nature humaine et la participation des gens.

Si nous avons la meilleure loi possible et le plus de ressources possible, si nous choisissons les personnes les plus compétentes, nous avons toutes les chances d'avoir un système de justice pour jeunes qui traduise bien ce que nous souhaitons pour nos adolescents et notre société dans son ensemble. Toute lacune à l'un ou l'autre de ces chapitres, manifestement, aura des effets sur le reste du système auquel nous devrons faire face, parfois comme société, parfois en fonction de chaque cas.

Comme vous l'a indiqué ma collègue, maître Rupert-Bailey, nous sommes d'accord pour qu'il y ait présomption en faveur de mesures extrajudiciaires, mais nous estimons que le projet de loi ne dit pas assez clairement si ces mesures extrajudiciaires seront offertes aux adolescents qui n'auront commis que des infractions mineures ou aux adolescents accusés d'un crime qui constitue une infraction mineure avec violence.

• 1120

Toujours conformément à notre philosophie, nous estimons que la loi ne devrait fixer aucune limite; il devrait plutôt incomber au juge de décider quand des mesures extrajudiciaires devraient être offertes aux jeunes contrevenants qui ont eu des démêlés avec la justice dans le passé ou qui ont commis ce que nous considérerions comme une infraction mineure avec violence.

Enfin, vous verrez dans notre mémoire que nous sommes d'accord avec l'idée d'ajouter au projet de loi une disposition analogue à celle du Code criminel sur la détermination de la peine et qui permettrait aux tribunaux de tenir compte des circonstances particulières des adolescents autochtones.

Merci.

[Français]

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Jacques, si je comprends bien, vous êtes prêt à faire votre intervention.

Me Denis Jacques (bâtonnier du Québec, Barreau du Québec): Merci.

Je tiens à remercier le comité de nous donner l'occasion d'être entendus sur cet important projet de loi.

Le Barreau du Québec, qui a maintenant plus de 18 000 avocats et avocates au tableau de l'ordre au Québec, peut heureusement compter sur plusieurs comités spécialisés qui travaillent très fort pour améliorer notre système de justice au Québec et au Canada. Il me fait plaisir de déposer aujourd'hui le fruit du travail de deux de nos comités: le Comité en droit criminel et le Comité en droit de la jeunesse, lesquels ont mis beaucoup d'efforts, compte tenu de la complexité du projet de loi, dans la préparation de ce mémoire.

Ce mémoire est constructif. Il ne fait pas simplement dire que non, on ne veut pas de ce projet de loi; il va plus loin en proposant ce qu'il faudrait faire pour le rendre acceptable.

Comme ce projet de loi est complexe, il nous a fallu nous entourer de gens experts en la matière, et j'ai la chance d'être accompagné aujourd'hui par de tels experts.

Me Carole Brosseau a pratiqué pendant plusieurs années en droit de la jeunesse avant de joindre notre service de recherche au Barreau du Québec. C'est notre personne ressource en matière de droit criminel et en matière de droit de la jeunesse. Elle siège aux deux comités à titre de secrétaire.

Me Normand Marquis est un praticien chevronné en matière de droit de la jeunesse. Il exerce en pratique privée. Sans doute est-il important pour vous d'avoir les réactions de quelqu'un qui oeuvre sur le terrain. Évidemment, on peut voir la loi selon une approche très théorique, mais il est important aussi de voir ce que la mise en application de ses dispositions aura comme conséquences sur le terrain.

Avant de leur laisser la parole, j'aimerais souligner que le projet a certes de bons côtés. Mentionnons l'étendue des mesures extrajudiciaires, ainsi que l'amélioration de la place dévolue aux parents et aux victimes dans le processus. Mais le projet de loi comporte aussi des lacunes importantes qui font qu'il n'est pas acceptable dans l'état actuel des choses. Le Barreau du Québec partage certes l'objectif de la ministre d'augmenter la confiance de la population dans le système de justice pénale pour les jeunes; ce sont les moyens utilisés dans le projet de loi qui nous préoccupent.

Vous verrez que notre mémoire comporte des commentaires généraux et des commentaires spécifiques. Le Barreau du Québec a toujours privilégié une approche qui maintenait un juste équilibre entre, d'une part, les besoins du jeune afin de faciliter sa réhabilitation et sa réinsertion sociale et, d'autre part, la protection de la société. Or, le projet de loi C-3 vient briser cet équilibre en privilégiant expressément la protection de la société.

Le projet de loi s'attache aussi au délit et à sa gravité objective. Or, la justice pénale pour les jeunes, pour se démarquer justement de la justice qui est administrée pour les adultes, doit continuer à privilégier une approche plus subjective, centrée sur l'adolescent.

Au-delà de ces commentaires généraux, qui sont aussi importants puisque qu'ils nous indiquent comment aborder la lecture de la loi et comment elle doit être administrée, nous ferons aussi des commentaires plus spécifiques portant sur plusieurs chapitres: notamment sur le mécanisme du renvoi et son application aux jeunes de 14 ou 15 ans; sur la détermination de la peine et surtout sa complexité; sur la confidentialité quant à l'identité des jeunes; sur le droit aux services d'un avocat et le recouvrement des honoraires auprès des parents; et sur l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires.

Je passe maintenant la parole à Me Normand Marquis.

Me Normand Marquis (avocat, Barreau du Québec): Bonjour, madame et messieurs.

Pour ma part, je voudrais vous entretenir plus spécifiquement de quatre préoccupations importantes du Barreau du Québec portant sur ce nouveau projet de loi. Ces quatre préoccupations sont les suivantes: les principes qui sous-tendent le projet de loi; la notion du renvoi aux peines pour adultes; les problèmes relatifs à toute la question des peines; ainsi que l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires.

• 1125

Je ferai le point très brièvement sur chacune des questions. Vous aurez l'occasion de lire notre mémoire, qui est beaucoup plus exhaustif sur chacun de ces points. D'autre part, plusieurs de mes collègues ont parlé de certains d'entre eux avant moi.

D'abord, sur la question des principes qu'on retrouve aux articles 3, 4, 37 et 82, il faut dire que ces principes sont disséminés à plusieurs endroits dans la loi. Ce qui est étonnant, par ailleurs, c'est que, bien qu'on les retrouve à plusieurs endroits, les principes exposés dans le préambule de la loi, notamment ceux qui sont en rapport avec les besoins des adolescents, ne se retrouvent nulle part.

Nous mettons donc en péril toute cette notion d'équilibre qui a été instituée par la jurisprudence au fil des années avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Si ce projet de loi devait voir le jour, il serait important, sinon essentiel, que cette notion d'équilibre entre la protection de la société et les besoins des adolescents y retrouve sa place.

D'autre part, on doit faire remarquer que ce projet de loi pousse encore plus loin les contraventions du Canada aux engagements internationaux auxquels il a souscrit dans les différentes conventions internationales. Dans les circonstances, je pense qu'il serait fondamental et souhaitable que la société canadienne fasse en sorte que ses engagements internationaux trouvent place dans la loi canadienne.

En ce qui concerne le mécanisme du renvoi, permettez-moi d'abord de vous rappeler que, depuis 1992, la Loi sur les jeunes contrevenants a connu un resserrement important très rapide. Rappelons-nous qu'en 1992, les peines maximales sont passées de trois ans à cinq ans; en 1995, elles sont passées de cinq ans à sept ans et dix ans, selon la qualification des meurtres, et on a ajouté une présomption de renvoi pour les jeunes contrevenants de 16 et 17 ans, qui ont donc le fardeau de démontrer qu'ils ne devraient pas être traités comme des adultes.

Cinq ans plus tard, on voit se produire un resserrement encore plus grand et, bien sûr, on se demande où cela va s'arrêter. C'est là l'objet de notre inquiétude. En 2000, non seulement les peines de sept et dix ans sont-elles maintenues—heureusement—, mais il y a maintenant des présomptions qui s'appliquent aux 14 et 15 ans.

Comme on doit ajouter tout ce qu'on appelait la cinquième catégorie aux quatre catégories des lois précédentes qu'il faut prendre en considération, le Barreau du Québec a relevé dans le seul Code criminel 248 infractions passibles de plus de deux ans, cela sans tenir compte de toutes les autres lois à caractère pénal.

Nous sommes donc d'avis que ce resserrement est absolument injustifié compte tenu de la criminalité juvénile canadienne et que le projet de loi actuel devrait être modifié de façon à ce qu'il puisse refléter la juste réalité quant à ce qui se passe dans la criminalité juvénile canadienne.

Voici un dernier détail sur cette question. Au tout départ, Mme McLellan avait exprimé le voeu, dans ses commentaires sur ce projet de loi, que chacune des provinces puisse continuer à pratiquer à sa façon, autant que possible, l'intervention auprès des jeunes contrevenants. Nous sommes d'avis, dans les circonstances, qu'on devrait permettre au Québec de se soustraire à l'application de certaines des dispositions de cette loi, cela de façon beaucoup plus précise que celle qui est mentionnée.

Voici un troisième point relativement aux peines. Il convient de dire que le nouveau mécanisme prévu dans cette loi fausse tous les principes de réadaptation appliqués au Québec depuis l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants de 1985.

D'abord, la règle des deux tiers/un tiers, donc de l'admissibilité une fois purgés les deux tiers de la peine, ajoutée au temps passé en détention préventive, fera en sorte que les périodes de temps qui pouvaient servir à la réadaptation, donc à des fins thérapeutiques, seront considérablement raccourcies. L'approche du Québec à la réadaptation ne pourra donc être mise en oeuvre. Dans les circonstances, je pense que ce sera contre-productif à long terme.

Une première option est de maintenir intégralement toute la question des peines telle que proposée. Ceci peut sembler contradictoire par rapport à ce que je viens de dire. C'est que, bien sûr, notre préoccupation première est que les mesures appliquées, peu importe lesquelles, soient justes à l'endroit des jeunes contrevenants. Si elles demeurent ce qu'elles sont dans le projet de loi, elles doivent le demeurer entièrement, car les peines étant devenues beaucoup plus lourdes qu'elles ne l'étaient auparavant, il convient de garder les mécanismes qui les atténuent.

• 1130

Il est opportun de dire ici que nous sommes d'avis qu'il serait nettement profitable à la société canadienne de maintenir les dispositions en matière de types de pénalités qui figurent dans la Loi sur les jeunes contrevenants actuelle.

Je traiterai d'un dernier détail relatif à l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires. Comme ma collègue Me Schurman, qui a comparu avant moi, vous l'indiquait, il s'agit d'un principe fondamental en droit criminel. Nous nous interrogeons sur la notion de constitutionnalité de cette disposition dans les circonstances présentes. Rappelons-nous qu'il s'agit d'une règle supplémentaire à celles qui sont applicables aux adultes. Cette règle qu'on énonce à l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants actuelle nous permet de tenir compte de l'absence de jugement à l'égard d'un jeune contrevenant, ainsi que de sa fragilité face à l'influence de l'autorité.

Dans ces circonstances, il me semble que lorsqu'on juxtapose l'importance de ce principe constitutionnel de la non-incrimination et celui des quelques détails techniques qui peuvent, dans une très très faible proportion, nous amener à exclure parfois certaines déclarations, la balance penche nettement en faveur du respect des droits constitutionnels des jeunes à cet égard et l'emporte sur les inconvénients.

Je vous remercie. Ce sont mes seuls commentaires pour le moment.

Me Carole Brosseau (avocate, Comité en droit criminel, Barreau du Québec): Je vais terminer la présentation du Barreau du Québec en vous parlant précisément de la protection de la vie privée des jeunes et du droit à l'avocat.

D'entrée de jeu, je peux vous dire que, bien que l'article 109 du projet du loi vise à protéger la vie privée de jeunes et à interdire la publication de l'identité et de renseignements relatifs aux jeunes, il faut quand même apporter un bémol face à ses dispositions, particulièrement lorsqu'on prévoit au paragraphe 109(2) une exception dans le cas d'un jeune qui est assujetti à une peine spécifique désignée.

Le Barreau du Québec s'est toujours opposé à la publication, de quelque nature qu'elle soit. D'une part, nous ne croyons pas que la protection de la société soit accrue lorsqu'on identifie un jeune publiquement et, d'autre part, la publication a un effet antipédagogique sur le jeune et elle risque de stimuler, particulièrement chez certains jeunes qui font partie d'un gang de rue, un jeune qui recherche une certaine forme de publicité.

Le Barreau du Québec soutient que le droit à l'avocat devrait être possible dès qu'une mesure extrajudiciaire est entamée, donc dès le début du processus, d'autant plus, comme l'expliquait mon collègue, que l'ouverture aux déclarations extrajudiciaires pourra être préjudiciable aux jeunes. Leur droit à l'avocat devrait être reconnu dès le début du processus.

L'autre point dont on voudrait vous entretenir, c'est la possibilité de recouvrement des honoraires qui est prévue au paragraphe 25(10) du projet de loi. Le Barreau du Québec a fait une étude approfondie il y a quelques années sur la représentation des enfants par avocat et, après une très longue réflexion, en est venu à la conclusion qu'on devait maintenir la gratuité des services fournis par le représentant de l'État. Il estimait qu'il fallait présumer de l'existence d'un conflit d'intérêts entre le jeune et ses parents, particulièrement lorsqu'il s'agissait de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants et de la Loi sur la protection de la jeunesse. Nous nous opposons donc à cette possibilité que le lieutenant-gouverneur en conseil demande le remboursement des honoraires versés à l'avocat qui a représenté le jeune.

Je voudrais profiter de l'occasion pour souligner deux ou trois éléments qui mériteraient aussi l'attention du comité. J'aimerais entre autres parler de l'accès au dossier. Comme vous le savez, l'article 118 du projet de loi prévoit que de nombreuses personnes auront accès au dossier dont un adolescent fait l'objet. Nous croyons que la définition de dossier qui figure à l'article 2 devrait être beaucoup plus encadrée; il faudrait y distinguer les renseignements d'ordre purement judiciaire et ceux qui portent sur les aspects psychosociaux de l'enfant. Nous ne croyons pas que toutes les personnes visées à l'article 118 aient intérêt à consulter tous les renseignements versés au dossier. Si l'on veut faciliter le processus de réhabilitation, il faut que cette distinction soit faite.

• 1135

Nous éprouvions également certaines réserves face aux dispositions des articles 30 et 138 du projet de loi, qui portent sur la détention provisoire. L'article 138 prévoit que quiconque ne respecte pas ses engagements, que ce soit le père, la mère, la Direction de la protection de la jeunesse ou un centre de réhabilitation, est passible de poursuites par voie mixte, c'est-à-dire par voie sommaire et par voie d'acte criminel. Nous préférerions le statu quo, c'est-à-dire qu'on continue d'appliquer les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants qui prévoient uniquement le mode de poursuite par voie sommaire. Les nouvelles dispositions porteraient préjudice aux jeunes au niveau de la détention ou de l'engagement pour une détention provisoire.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Pour la première question, je cède la parole à M. Cadman qui aura sept minutes.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je remercie tous les témoins d'être venus. Espérons que nous ne serons pas interrompus par des votes à la Chambre, comme ça s'est produit si souvent récemment. Touchons du bois.

Plusieurs témoins, y compris quatre juges, nous ont parlé de la complexité de ce projet de loi et du mal qu'ils ont à l'interpréter. Certains de vos collègues nous ont dit qu'ils prévoyaient que ce projet de loi leur donnerait beaucoup de travail. Ma question s'adresse à tous les témoins: pourriez-vous nous donner des exemples de cette complexité excessive du projet de loi. Je suis certain qu'il y en a beaucoup; peut-être ne pourrons- nous pas les passer tous en revue en sept minutes. Ma question s'adresse à ceux ou celles qui voudront répondre.

Me Isabel Schurman: Est-ce que vous vous intéressez seulement à la complexité excessive ou à l'absence de clarté aussi?

M. Chuck Cadman: Comme vous voulez.

Une voix: La clarté!

Des voix: Oh, oh!

[Français]

Me Denis Jacques: Si vous me le permettez, je vous dirai qu'il suffit de faire la lecture du chapitre sur la détermination de la peine pour comprendre les difficultés que risque d'éprouver quelqu'un qui ne fait pas une pratique constante du droit, comme moi qui suis en pratique privée dans d'autres domaines. J'ai fait une lecture de ce chapitre et je dois vous avouer que, bien que pratiquant le droit depuis 22 ans, j'ai eu de la difficulté à m'y retrouver. Et c'est peu dire. Je ne sais pas si mes collègues auraient des commentaires additionnels à faire au sujet de la complexité du projet de loi, mais je pense que ça veut tout dire.

Me Normand Marquis: L'exemple qu'a relevé Me Jacques est peut-être celui qui est le plus évident. J'ai lu certains des commentaires qu'ont émis les témoins qui ont comparu avant nous, au cours des journées précédentes, et je me rappelle qu'un témoin comparait ce projet de loi à la Loi de l'impôt sur le revenu. Je suis tout à fait d'accord sur cette comparaison. Je me souviens encore avec effroi de ce que cette Loi de l'impôt sur le revenu nous faisait vivre à l'époque de notre formation en droit. Je vous avoue que celle-ci m'a fait vivre un peu la même chose à la première lecture. Mon collègue disait que je suis un avocat chevronné; je vous dirai que je suis au moins un avocat expérimenté dans ce domaine et que j'ai dû m'y reprendre, sans exagérer, à au moins 20 reprises avant de comprendre tout le mécanisme relié à la détermination de la peine. Je vous avoue bien humblement que je suis loin d'être certain de vraiment le posséder malgré cela.

On dit que nul n'est censé ignorer la loi. Eh bien, je vous dis qu'aucun jeune, où que ce soit au Canada, ne sera en mesure de comprendre ce mécanisme des peines. Un lourd fardeau va peser sur les avocats, qui devront expliquer aux jeunes dans quoi ils viennent de s'embarquer. Je pense que c'est un travail pédagogique énorme pour un avocat de la défense et qu'il est injuste de faire une loi aussi complexe pour traiter de choses qui ne le sont pas autant.

[Traduction]

Le président: Est-ce que d'autres voudraient répondre?

Me Leandre Rupert-Bailey: Oui. J'attire votre attention sur tous les articles—et ils sont nombreux—traitant des infractions désignées qui sont définies dans la disposition interprétative, et toutes les mesures prévues pour l'assujettissement d'un adolescent à une peine pour adultes.

• 1140

Il y a la disposition sur les infractions graves avec violence, le paragraphe 41(8). Il y a aussi une série de demandes qui peuvent être faites par les différentes parties et qui sont prévues aux articles 62, 63, 64 et 67. Cette partie du projet de loi traite du mécanisme permettant l'assujettissement d'un adolescent à une peine pour adultes.

Tout cela est loin d'être clair. J'ai dû relire ces dispositions plusieurs fois. Elles m'apparaissent contradictoires, en ce sens que, si l'infraction commise par l'adolescent est déclarée être une infraction grave avec violence, cela aura de grandes conséquences. Or, les exigences relatives aux avis sont lacunaires.

Ainsi, le paragraphe 41(8) ne prévoit aucun préavis. Plus loin, dans le projet de loi, au paragraphe 63(4), si mes notes sont justes, le procureur général doit donner à la défense avis de son intention de faire déclarer l'infraction une infraction grave avec violence et, avant de rendre sa décision, le tribunal doit s'assurer que ce préavis a été donné. Mais si on n'a pas lu attentivement tout le projet de loi, il est difficile de voir où se trouvent ces exigences relatives aux avis. Il pourrait y avoir bien des litiges sur la question de savoir si un avis est requis ou non.

Une autre chose m'a frappée: à certains endroits du projet de loi... Par exemple, au paragraphe 63(2), si le procureur général a l'intention de demander une peine pour adultes, il peut en donner avis avant l'enregistrement du plaidoyer ou au procès. Or, il y a toute une différence entre le fait de donner avis avant le plaidoyer et le fait de donner avis au procès, car avant l'enregistrement du plaidoyer, on doit prendre une décision et donner des conseils à son client sur ce qu'on fera si la Couronne demande une peine pour adultes. Ici, on permet au procureur général dérouter l'adolescent au moment du procès en présentant un avis selon lequel il demandera une peine pour adultes, après que l'adolescent a déjà... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]

Tout cela crée de la confusion et va à l'encontre du principe de la défense pleine et entière... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]

[Français]

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Malheureusement, nous n'avons que sept minutes et nous voulons que tous puissent poser leurs questions. Peut-être pourriez-vous garder vos remarques à l'esprit et nous en faire part un peu plus tard.

Madame Venne.

[Français]

Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Je vous poserai mes deux questions tout de suite afin de ne pas être interrompue.

Madame Rupert-Bailey, vous dites que vous appuyez le projet de loi, bien que vous trouviez qu'il est extrêmement confus ou qu'il peut porter à confusion, et qu'il est difficile à interpréter et à comprendre. Ce serait certainement difficile de l'expliquer aux parents et aux jeunes. Je ne comprends donc pas que vous puissiez dire que vous l'appuyez. Cela m'étonne et je trouve cela un peu contradictoire. C'est ma première question.

Je vais tout de suite poser mon autre question aux représentants du Barreau du Québec, ainsi qu'à vous. Je vois bien que vous n'avez pas la même approche ni la même vision du projet de loi C-3. Par contre, certains de vos membres font certainement partie de vos deux organismes. Je sais qu'il y a une différence entre le Barreau du Québec, qui est un ordre professionnel, et le Barreau canadien, qui est une association volontaire de juristes.

Le président: Excusez-moi, il y a un problème de transmission du son.

[Traduction]

Les interprètes m'indiquent qu'il y a un problème. Y a-t-il un technicien dans la salle?

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

[Français]

Mme Pierrette Venne: Est-ce que ça va mieux maintenant?

Le président: Oui, je le pense.

Mme Pierrette Venne: Entendez-vous la traduction?

[Traduction]

Le président: Est-ce que les interprètes nous entendent? Non.

• 1145




• 1152

Le président: Nous reprenons nos travaux.

J'espère que nous pourrons maintenant poursuivre sans problème. J'imagine que tout cela résulte de la remarque faite par M. Cadman qui espérait que nous ne serions pas interrompus par les votes.

Nous recommençons avec Mme Venne.

[Français]

Mme Pierrette Venne: Avez-vous entendu ma première question ou si je dois la répéter?

Le président: Veuillez la répéter, s'il vous plaît.

Mme Pierrette Venne: Oui, mais je vous demande si vous avez entendu ma première question ou si vous manqué tout ce que j'ai dit depuis le début. Comme vous avez entendu la première, je vais passer à la deuxième, qui est certainement la plus difficile.

Étant donné que j'ai l'impression que l'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec n'ont pas la même approche face au projet de loi C-3, qu'ils n'en ont pas la même vision, et que je sais très bien que le Barreau du Québec est un ordre professionnel dont les avocats doivent faire partie pour pratiquer leur profession, tandis que que l'Association du Barreau canadien est une association volontaire de juristes, il y a une différence majeure. Mais comme il y a des membres qui font partie des deux organismes, je crois qu'il y a un certain problème à dire qu'on représente à la fois l'un et l'autre. J'aimerais savoir comment chacun d'entre vous est mandaté pour dire qu'il représente les avocats du Québec et ceux du Canada. Merci.

[Traduction]

Me Leandre Rupert-Bailey: Je répondrai d'abord à votre première question.

Si j'ai bien compris, vous nous avez demandé pourquoi nous disons que nous appuyons le projet de loi puisque j'ai dit dans ma réponse à l'autre question qu'il comportait des dispositions contradictoires et qu'il entraînerait la confusion. C'est vrai. Nous appuyons les initiatives, le fondement et les objectifs de ce projet de loi, qui ont une vaste portée. On met l'accent sur la réadaptation, sur la prévention et sur les mesures extrajudiciaires, ce qui est extrêmement positif et doit être mis en place en réponse aux pressions de la société.

• 1155

Toutefois, pour ce faire, on a élaboré ce projet de loi qui est long et qui nous donne du mal à comprendre comment fonctionne le système. Certains aspects techniques du fonctionnement même de la loi sont obscurs. Ce sont des aspects dont on peut discuter et qu'on peut peaufiner dans une tribune comme celle—ci, où ces discussions sont possibles. Vous menez des consultations dans le cadre desquelles nous pouvons soulever ce genre de choses—nous, les praticiens, qui savons comment ça fonctionnera—et elles pourront être corrigées. Nous appuyons les buts et objectifs généraux du projet de loi qui sont très positifs.

[Français]

Mme Pierrette Venne: Je comprends que vous appuyiez le but du projet de loi, mais quand on appuie quelque chose, il faut pouvoir l'expliquer. Jusqu'à maintenant, les avocats et les juges qui sont venus ici nous ont dit qu'ils n'avaient pas réussi à le comprendre totalement, même après plusieurs lectures. Comment allez-vous faire pour l'expliquer aux gens et leur dire que vous l'appuyez? Vous en appuyez les buts, d'accord, mais pour ce qui est de l'explication et de la compréhension du tout, on se perd.

Mme Isabel Schurman: Nous ne disons pas que nous n'avons pas réussi à le comprendre, même après plusieurs lectures. Au contraire, nous sommes d'avis que le projet de loi est compréhensible...

Mme Pierrette Venne: Ah, là, vous dites ça.

Mme Isabel Schurman: ...bien qu'il y ait des améliorations à apporter à plusieurs de ses dispositions, où il peut y avoir un manque de clarté, peut-être même des contradictions.

Mme Pierrette Venne: Vous êtes la première que j'entends dire ça.

Mme Isabel Schurman: Notre position, c'est que le projet de loi en soi présente une position qui semble être claire, mais comme nous l'avons dit dans notre introduction aujourd'hui, il comporte un certain nombre d'articles qui ne sont peut-être pas cohérents avec les buts principaux. Nous croyons qu'en changeant les parties qui ne sont pas claires, en les améliorant, en y ajoutant peut-être une certaine précision là où c'est nécessaire, on rendra le projet de loi non seulement compréhensible, mais tout à fait utilisable pour tous les intervenants.

Mme Pierrette Venne: Comme je vous le disais, vous êtes vraiment la première que j'entends faire un commentaire semblable, parce que même les juges qui sont venus ici, la semaine dernière, nous ont dit qu'ils le trouvaient plus que complexe. Ils le trouvaient très, très difficile à comprendre. Je pense que vous allez devoir leur donner des cours.

Pouvez-vous répondre à mon autre question?

Me Denis Jacques: Certainement. Pour ma part, je dois vous dire que je suis membre de l'Association du Barreau canadien depuis 22 ans, depuis le début de ma pratique, et que j'en suis très fier. Je ne pense pas qu'il y ait de grandes différences dans les positions des deux groupes, malgré le fait que l'Association du Barreau canadien dise que le projet de loi est acceptable, alors que le Barreau du Québec dit que dans l'état actuel des choses, il ne l'est pas.

Ce que j'ai lu—j'ai pris connaissance très brièvement du mémoire de l'Association du Barreau canadien ce matin—et ce que j'ai compris, c'est que l'Association du Barreau canadien dit oui au projet de loi, mais avec des bémols qui sont exprimés à partir de la page 4 jusqu'à la fin du mémoire. Sur plusieurs points, il y a des observations qui sont semblables à celles que nous faisons dans notre mémoire. Notre mémoire est étoffé et on y dit que, dans l'état actuel des choses, le projet de loi n'est pas acceptable. On y dit aussi ce qu'il faudrait faire pour le rendre viable et acceptable. C'est un peu comme le verre d'eau que j'ai ici: est-il à moitié plein ou à moitié vide? L'Association du Barreau canadien dit oui au projet de loi, mais elle ajoute un «mais». Nous, nous disons qu'il n'est pas acceptable dans son état actuel, mais que si on fait telle chose, il pourra peut-être le devenir.

Le président: Merci, madame Venne.

Mme Pierrette Venne: On sent toute la subtilité des juristes. Merci.

Le président: Merci. Monsieur Mancini.

[Traduction]

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci, monsieur le président.

Merci de vos remarques qui ont été une bouffée d'air frais. M. McKay rira, mais étant moi-même ancien criminaliste et membre du Barreau canadien, je suis d'accord avec pratiquement tout ce que vous avez dit.

J'aimerais que vous étoffiez certaines de vos observations. J'ai des préoccupations. Puisque tout le monde reconnaît maintenant que le projet de loi est complexe, je suis moins gêné de dire que cette partie n'a aucun sens pour moi.

Commençons par le paragraphe 63(2) qu'on a déjà commenté. Il comprend deux aspects. Premièrement, aux termes de ce projet de loi, on pourra traduire un adolescent devant un tribunal pour adolescents mais lui imposer une peine pour adultes, ce qui est contraire à ce que prévoit la Loi sur les jeunes contrevenants dans sa forme actuelle.

• 1200

Ai-je raison de croire que la loi actuelle accorde des garanties procédurales aux adolescents? Je présume que s'il est renvoyé devant un tribunal pour adultes, l'adolescent aura le droit de choisir un procès devant jury ou un procès devant juge seul. Ce projet de loi ne permet pas cela, puisque le procès se fait devant un tribunal pour adolescents et que ce n'est qu'ensuite que l'accusé est passible d'une peine pour adultes, n'est-ce pas?

Deuxièmement, prenons l'article 41 sur le programme intensif de réadaptation. On veut ici tenir compte des circonstances particulières des adolescents qui souffrent d'une maladie ou de troubles d'ordre mental, d'un dérèglement d'ordre psychologique ou de troubles émotionnels. Je sais que l'alinéa 41(7)a) dit que ça s'applique aux adolescents qui ont été déclarés coupables d'une infraction désignée et qui souffrent d'une maladie d'ordre mental, mais il me semble que s'il y a maladie mentale grave, l'adolescent n'aurait peut-être pas dû subir un procès au départ. Cela m'apparaît contradictoire.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Je sais que ces dispositions sont complexes. S'il me reste du temps, je vous poserai une autre question.

Me Leandre Rupert-Bailey: J'aimerais parler de l'alinéa 41(7)b), qui porte sur les maladies mentales.

Il est un peu difficile d'imaginer qu'une personne souffrant d'une maladie mentale soit trouvée coupable, car en règle générale, les dispositions SCR du Code criminel interdisent cette option. Je ne suis pas certaine, mais notre position est que ce type d'ordonnance de traitement de réadaptation n'est probablement pas constitutionnelle.

Quant à votre autre question, je ne sais pas si je l'ai bien comprise. Vous avez dit, je crois, que la LJC prévoyait des protections, ou bien, que si un enfant ou un adolescent était renvoyé devant un tribunal pour adultes, il avait la possibilité de choisir une autre... Par exemple, d'être jugé par un jury. C'est exact, mais il n'est pas nécessaire d'être renvoyé devant un tribunal pour adultes pour avoir cette possibilité. C'est le type de peine qui est en cause.

À l'heure actuelle, aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants, un adolescent accusé de meurtre qui n'est pas renvoyé devant un tribunal pour adultes parce qu'il n'a que 15 ans a tout de même la possibilité de choisir un procès avec juge et jury. Que je sache, cela ne change pas.

Vous avez raison quand vous dites qu'il est possible d'être jugé par un tribunal de pour adolescents, avec ce projet de loi, tout le monde sera jugé par un tribunal pour adolescents, à moins de choisir un tribunal pour adultes. Cela dépend du type d'accusation et de l'assujettissement à une peine pour adultes.

M. Peter Mancini: À ce sujet—c'est une discussion que nous avons eue pendant la pause, et je tiens à la répéter maintenant—si j'étais l'avocat de la défense, sur la base du paragraphe 63(2) je n'accepterais jamais la moindre... Je ne veux pas parler de «négociation de la peine», car ce ne serait pas forcément une négociation de la peine, mais en tout cas, une admission de preuve.

Un de nos témoins, un policier, nous a parlé des confessions volontaires. Il nous a dit qu'aux termes de la législation actuelle, il était incroyablement difficile d'obtenir ces déclarations d'un adolescent devant un tribunal. Quand je lis cet article, je me dis qu'en tant qu'avocat de la défense, je n'accepterais jamais d'admettre la moindre déclaration. Jamais. J'insisterais pour que la Couronne présente des preuves absolues du moindre détail, et cela, justement parce que la Couronne a cette option de renvoyer, de réclamer une peine pour adultes, et d'en donner avis à la moitié du procès.

À mon avis, cela va surcharger les tribunaux de travail, car les avocats, s'ils veulent bien faire leur travail, diront: «Je ne peux pas me permettre d'accepter quoi que ce soit car je ne sais pas quelles sont vos intentions ultérieures». Est-ce que je me trompe?

Me Leandre Rupert-Bailey: C'est moi que vous regardez?

M. Peter Mancini: Je regarde tout le monde.

Me Leandre Rupert-Bailey: Allez-y.

M. Normand Marquis: J'ai raté la fin de votre phrase.

Me Leandre Rupert-Bailey: Je dirais que le paragraphe 63(2) autorise certainement le procureur à donner un avis de cette intention tard au cours du processus, ce qui est contraire au principe de la divulgation anticipée et rend peu probable une solution rapide.

• 1205

Cela semble contredire d'autres articles, par exemple l'article 67, qui prévoit qu'un choix doit être fait dès qu'un avis a été donné. D'un autre côté, le projet de loi semble sous-entendre que suppose un choix, et que tout cela doit être fait avant le plaidoyer. Toutefois, il reste la possibilité de donner avis de l'intention de réclamer une peine pour adulte après que toutes ces autres décisions ont été prises.

Me Isabel Schurman: Dans le cas où l'avis serait donné avant le plaidoyer, par exemple, je ne suis pas sûre que ce lien de cause à effet dont vous parlez existe dans tous les cas, le fait que si vous réclamez une peine pour adultes, vous allez automatiquement contester toutes les déclarations et tous les témoignages.

Dans certaines circonstances, le jeune accusé et son avocat pourraient avoir intérêt à s'assurer que le procès se déroule le mieux possible, parce que si l'intéressé est reconnu coupable par la suite, ils auront au moins contesté une des deux principales questions qui méritaient d'être contestées, et non pas contester chaque petit détail pour le plaisir de contester.

Je ne suis pas certaine que cette causalité existe dans tous les cas. Même si cela présente un danger dans certains cas, je ne suis pas prête à aller aussi loin que vous.

M. Peter Mancini: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Monsieur Marquis, une autre réponse? Non?

[Traduction]

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins. J'apprécie beaucoup leur opinion à ce sujet.

Au sujet des principes de la loi, tous les témoins semblent penser que c'est un pas dans la bonne direction. Cette idée de départager les infractions avec violence des infractions sans violence et d'utiliser davantage les modèles de justice réparatrice est certainement admirable. Toutefois, il y a un problème, et je crois que vous l'avez vu également, et il ne tient pas seulement à la complexité, mais aux délais inévitables qui vont se produire. Je viens d'entendre mon savant collègue dire: «J'en profiterais pour faire traîner les procédures» et je me dis que les procureurs peuvent, eux aussi, faire partie de l'Association du Barreau canadien.

M. Peter Mancini: Je n'ai pas parlé de faire traîner les procédures.

Le président: Faites attention, vous deux, ou je vais sortir mon fusil de chasse.

Des voix: Oh, oh!

M. Peter MacKay: Non, laissez-le accroché au mur.

Quand je lis cette loi, je me dis que du jour au lendemain les avocats vont disposer d'outils et de tactiques incroyables pour faire traîner les choses à volonté: de nouvelles audiences, des audiences pour déterminer s'il s'agit d'une infraction grave avec violence ou d'une simple infraction avec violence et toutes sortes de paliers de jurisprudence nouveaux qui n'existaient absolument pas par le passé. Autrement dit, nous mettons en place dans notre système de justice pénale toutes sortes d'options conditionnelles: le système de justice pénale pour les adolescents comprend dorénavant des peines conditionnelles et des peines remises à plus tard.

Inévitablement, on va assister à une prolifération incroyable des contestations. Pour les avocats, cela offre des possibilités extraordinaires. C'est absolument la meilleure chose que le gouvernement canadien pourrait faire pour vous, c'est une véritable poule aux oeufs d'or.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Peter, est-ce que vous démissionnez?

M. Peter MacKay: J'y songe sérieusement. J'attends de voir comment cela va tourner.

Des voix: Oh, oh!

M. Peter MacKay: En fin de compte, on ne me demandera peut- être pas mon avis.

[Français]

Le président: Est-ce que vous vouliez répondre, monsieur Marquis?

Me Normand Marquis: Je serais porté à répondre que vous avez à la fois tort et raison. Premièrement, il est faux de croire que nous, les avocats, pourrons nous réjouir de ces délais, parce que, malgré tout, nous avons une morale qui est celle de défendre les meilleurs intérêts de nos clients.

Deuxièmement, il faut reconnaître que, notamment, l'enquête qui aura lieu en vertu du paragraphe 41(8) de la loi pour déterminer s'il s'agit d'une infraction grave avec violence ou non sera le nerf de la guerre, bien sûr, pour décider si un jour ou l'autre le jeune pourra être assujetti à une peine pour adultes. Par contre, on se doit de reconnaître aussi qu'en la plaçant après l'ancien mécanisme de renvoi, qui précédait auparavant la déclaration de culpabilité, on va gagner énormément de temps. Tout ce qu'on faisait auparavant pour déterminer si on devait, oui ou non, avoir recours à ce mécanisme de renvoi va se faire une fois qu'on saura que la personne est effectivement coupable et de quoi elle est effectivement coupable. Alors, on va gagner du temps à ce niveau.

Oui, dans la loi, il y a différentes dispositions qui causeront des délais et des problèmes. Ces questions sont importantes et vont entraîner des débats de jurisprudence, bien sûr, qui vont probablement être portés jusqu'à la Cour suprême. Par contre, d'autres dispositions du projet de loi sont meilleures et elles représentent, à notre avis, une amélioration. On se retrouve toujours face au même problème: le projet de loi comporte de bons éléments et de moins bons; devrait-on choisir l'ancien système dans le cadre duquel il y avait des pertes de temps sur d'autres sujets, dont au niveau du renvoi avant la déclaration de culpabilité, ou devrait-on préférer celui-ci? J'imagine qu'il y a des facteurs positifs et négatifs dans les deux situations. Je suis d'accord avec vous.

• 1210

[Traduction]

M. Peter MacKay: Je sais que certains d'entre vous vont vouloir répondre à cette question. Cela constitue un dilemme: est- ce que les avantages dont les jeunes peuvent profiter actuellement, en particulier les options parallèles, constituent des pratiques de déjudiciarisation? Dans le reste du Canada, nous savons que le Québec est probablement la province qui tire le meilleur parti de ces dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. À votre avis, pouvons-nous accomplir ce que nous souhaitons accomplir en améliorant la loi actuelle, ou bien serait-il préférable de repartir à zéro, ce qui pourrait rendre la loi deux fois plus longue et créer plus de problèmes au lieu de les supprimer?

[Français]

Me Normand Marquis: Je vous dirai essentiellement qu'il n'y a jamais de lois parfaites. Manifestement, comme vous pouvez le constater dans notre mémoire, nous sommes d'avis que certaines dispositions devraient être récrites, bien que cela ne veuille pas dire que tout le projet doit être récrit. Il est vrai qu'au Québec, nous avions investi un peu plus d'énergie sur la question des mesures extrajudiciaires. On doit toutefois reconnaître que le nouveau projet de loi ouvre des portes importantes pour le traitement des jeunes par des mesures extrajudiciaires, ce qui est, à mon avis, un point positif de ce projet de loi-là par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants. Encore une fois, il y a, à mon avis, du pour et du contre sur cette question.

[Traduction]

Me Isabel Schurman: L'Association du Barreau canadien ne réclame pas l'abrogation de la Loi sur les jeunes contrevenants. Toutefois, après plusieurs modifications ponctuelles au cours de ces dernières années, on a vraiment l'impression, dans de nombreuses régions du pays, que le moment est venu de reconsidérer cette loi. Nous pensons qu'un débat sain et actif, comme celui auquel nous assistons depuis quelques semaines au sein de ce comité, est particulièrement important étant donné l'importance du sujet. Grâce à ce débat, vous allez peut-être améliorer un bon produit, ou même, en créer un meilleur. Nous pensons que tout le monde en profitera dans ces divers contextes.

J'ai une dernière chose à mentionner. J'espère que nous, les avocats, ne sommes pas aussi égoïstes que vous l'avez laissé entendre. En fait, si nous sommes ici, c'est justement pour vous signaler les endroits dans la loi qui risquent de favoriser les litiges et d'envenimer les conflits. Pourquoi ne pas examiner ces éléments-là, et éventuellement suggérer des changements? Cela donnera plus de cohésion à l'ensemble, et produira peut-être une meilleure loi.

M. Peter MacKay: J'appartiens à la même profession que vous, tout comme un grand nombre de mes amis.

Me Isabel Schurman: Je sais.

M. Peter MacKay: De nombreux témoins sont venus nous dire... ce n'est pas une chose que je dis à la légère, mais tout comme la politique, la pratique du droit est très compétitive. Devant un tribunal, les avocats utilisent absolument tous les moyens dont ils disposent. Avec cette loi, on va placer entre les mains des avocats un texte extraordinairement complexe et difficile à interpréter et à appliquer.

M. Denis Jacques: Mais lorsqu'ils profitent de ces moyens, ce n'est pas pour eux, c'est pour leur client.

M. Peter MacKay: Absolument.

M. Denis Jacques: Et c'est normal.

La réponse de ma collègue illustre fort bien le fait que les positions de l'ABC et du Barreau du Québec sont souvent identiques. Elle a très bien répondu à votre question.

Ce que je peux vous dire, c'est que chaque fois que vous adoptez une nouvelle loi, cela donne aux avocats l'occasion de mettre à l'essai ces dispositions, et ces expériences deviennent la jurisprudence. Est-ce que le Parlement devrait cesser de légiférer pour autant? Je ne le pense pas.

Le président: Merci beaucoup. Je ne pense pas que nous trouvions une solution aujourd'hui.

Monsieur McKay.

M. John McKay: Merci, monsieur le président, merci à nos témoins également. Pour nous, c'est une véritable thérapie. Une fois par semaine, les parlementaires ont l'occasion de battre les avocats.

Des voix: Oh, oh!

M. John McKay: Cela me fait plaisir.

• 1215

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Ce sont de véritables masochistes.

M. John McKay: Exactement. Il y a trop de masochistes autour de cette table. Nous sommes également membres de l'Association du Barreau canadien.

Dans votre recommandation numéro 10, vous dites qu'on devrait envisager de reconnaître les circonstances particulières de certains segments de la population, et en particulier des Autochtones. Tous les témoignages le confirment, il est évident que les Autochtones sont présents en proportion excessive dans le système de justice pour les jeunes, en particulier lorsqu'il s'agit de peines de placement sous garde.

Est-ce que c'est vraiment une bonne idée? Est-ce que les Autochtones, en particulier au Manitoba, en Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon sont surreprésentés parce qu'il n'y a vraiment pas d'autres solutions? Est-ce que le juges envoient les jeunes en prison parce qu'ils ou elles ne voient vraiment aucune autre possibilité, parce qu'il n'y a pas d'autres choix? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Me Isabel Schurman: Pour répondre à votre question, notre position est tout à fait à l'inverse. Les jeunes Autochtones tout comme les Autochtones adultes, ne sont pas incarcérés parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité, mais bien parce que personne ne se donne la peine de réfléchir aux possibilités qui pourraient exister. Dans de nombreuses communautés et de nombreuses circonstances, on a choisi jusqu'à présent une solution de facilité.

Nous sommes tout à fait d'accord avec les modifications apportées aux dispositions de détermination de la preuve dans le Code criminel; on autorise dorénavant les tribunaux à envisager des solutions particulières pour tenir compte des circonstances particulières des Autochtones. De toute évidence, c'est un problème dans notre pays, il y a beaucoup trop d'adultes et de jeunes autochtones dans nos établissements pénitentiaires.

Nous pensons que puisque cela a été fait pour les adultes, il n'y a vraiment aucune raison de ne pas le faire pour les jeunes également. Cela permettra, à tout le moins, d'encourager les gens à faire preuve d'imagination pour aider ces jeunes à sortir de ce qui, dans de nombreuses communautés, est devenu un cercle vicieux.

Nous sommes convaincus également que cet article est parfaitement conforme à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue et tout à fait dans la ligne des discussions auxquelles on a assisté depuis lors dans d'autres secteurs: le système judiciaire canadien pourrait fort bien s'inspirer des traditions autochtones, par exemple les initiatives de justice réparatrice, etc.

Nous sommes convaincus qu'il ne s'agit pas d'un manque de possibilité, mais simplement, que jusqu'à présent, on ne s'est pas suffisamment soucié de ce groupe particulièrement désavantagé, de ce groupe qui est surreprésenté dans nos prisons.

M. John McKay: Vous continuez à penser cela, bien que ce projet de loi ait pour effet de codifier un certain nombre d'options de déjudiciarisation, bien qu'il encourage les gens à sortir du système? On peut même dire que ce projet de loi encourage les solutions de justice réparatrice dans des domaines où ces solutions n'existent probablement pas à l'heure actuelle. Est-ce que vous continuez à penser qu'un amendement en parallèle avec l'article 718 est nécessaire?

Me Isabel Schurman: Cela ne pourrait pas faire de mal. Les initiatives sont prévues par la loi. Certaines d'entre elles existent déjà dans l'ancienne loi, certaines sont nouvelles, mais c'est un problème d'une telle ampleur au Canada, un problème qui existe depuis si longtemps dans les communautés autochtones: comme c'est pratiquement la première solution, quel mal peut-il y avoir à cela? Si nous prévoyons cela pour les adultes, pourquoi ne pas donner la même chance aux jeunes, pourquoi ne pas les laisser profiter de la jurisprudence créée par les tribunaux pour adultes?

Me Leandre Rupert-Bailey: Cela permettra d'orienter les juges, et à ce titre, c'est excellent.

M. John McKay: Ma seconde question porte sur la recommandation numéro 2, qu'après un certain nombre d'infractions il n'y ait plus de présomption de renvoi. Au lieu de cela, on considérerait que trois condamnations pour infractions graves avec violence établissent un comportement persistent. Pouvez-vous expliquer un peu mieux la différence que vous voyez entre votre position et celle du projet de loi?

Me Isabel Schurman: Nous pensons que dans certaines situations, après trois condamnations, un juge pourrait considérer que le principe de la troisième faute s'applique. Il peut y avoir toutes sortes de raisons qui font que l'intéressé ne mérite pas ou ne devrait pas être renvoyé devant un tribunal pour adultes, des raisons qui peuvent tenir aux toits causés à la victime, aux remords éprouvés par le coupable, ou encore à ses circonstances particulières.

Il y a d'autres situations où, après une série de condamnations pour infractions très graves avec violence, un juge pourrait décider que les circonstances justifient un renvoi car le système pour les jeunes n'a plus rien à offrir. Nous avons pensé que si on quantifiait trop, on risquait d'être terriblement injuste envers l'accusé dans certaines circonstances, et dans d'autres, envers les victimes.

• 1220

Comme vous avez dû le constater, dans la plupart des cas, nous pensons qu'il n'y a aucune mal à laisser le juge prendre les décisions sur la foi des audiences. En effet, c'est lui qui, après avoir entendu tous ceux qui avaient quelque chose d'important à dire, est en mesure de prendre une décision en fonction du droit, des particularités objectives et subjectives de l'affaire, et dans le respect des principes de la justice fondamentale.

Me Leandre Rupert-Bailey: Il y a autre chose à considérer, c'est la définition d'une infraction grave avec violence. Même avec deux déterminations judiciaires antérieures, il n'y a pas de notion de temps. En effet, lorsqu'il y a plusieurs instances dans une ville, une personne pourrait être accusée d'une infraction avec violence et traduite devant une autre instance sur la base d'un mandat. Il pourrait s'agir d'une infraction avec violence, parce qu'il y a eu de multiples agressions en l'espace de deux ou trois jours, quelque chose de ce genre. On pourrait donc avoir deux infractions avec violence, l'une après l'autre, mais est-ce vraiment ce que nous voulons? Est-ce qu'on peut considérer que cela constitue un comportement violent persistent?

M. John McKay: Et la troisième infraction pourrait se produire un an et demi plus tard.

Une voix: Exactement.

Me Leandre Rupert-Bailey: C'est une distorsion des faits.

M. Peter MacKay: Je cède mon temps à Mme Carroll car son mari fait partie de l'ABC.

Le président: Nous passerons ensuite à Mme Brosseau, mais Mme Carroll doit partir, je lui cède donc la parole tout de suite.

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Je vous remercie.

Au sujet de votre recommandation numéro 5 qui porte sur les paragraphes 145(5) et (6), je suppose que vous avez fait valoir que l'Association du Barreau canadien s'est toujours prononcée contre les solutions extrêmes et en faveur d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire. Cette recommandation que j'appuie va dans ce sens. Pourriez-vous nous expliquer la raison d'être de cette recommandation?

Me Isabel Schurman: La recommandation numéro 5? Nous sommes d'avis qu'il serait inconstitutionnel de créer un paragraphe énonçant que toutes les mesures de protection prévues aux paragraphes 1 à 4 doivent être respectées en ce qui touche les déclarations faites par les adolescents et ensuite permettre qu'un juge refuse d'admettre en preuve une déclaration faite par un adolescent s'il est convaincu que cela n'aura pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. La Cour suprême du Canada a statué à plusieurs reprises que la preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même d'une manière qui va à l'encontre de la Charte aurait justement cet effet.

Nous pensons que les risques seront grands que ces paragraphes, que nous trouvons fondamentalement injustes, soient jugés inconstitutionnels. Si l'on part de la prémisse qu'il faut accorder une protection spéciale aux enfants en raison de leur vulnérabilité et en raison de l'influence qu'exercent sur eux les personnes en position d'autorité comme l'a fait valoir la Cour suprême à plusieurs reprises, il est fondamentalement contradictoire et injuste et peut-être même inconstitutionnel d'ensuite dire que les mesures de protection prévues n'ont pas nécessairement à être respectées.

Mme Aileen Carroll: Je vous remercie, madame Schurman.

Me Leandre Rupert-Bailey: J'ajouterais que la police aurait aussi alors beau jeu de ne pas faire ce qu'elle doit faire.

Mme Aileen Carroll: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie.

Avant de permettre à M. Cadman de poser une question, je vais donner la parole à Maître Brosseau.

[Français]

Me Carole Brosseau: Il y a deux choses dont je voudrais vous parler et qui pourront en partie répondre aux questions de M. Cadman et de Mme Carroll. Le projet de loi pose deux problèmes.

Dans ce projet de loi, on se concentre sur l'infraction elle-même et sur sa gravité, et on y évacue toute notion des besoins du jeune. Le seul endroit où l'on retrouve cette notion, c'est dans le préambule. Le projet de loi est axé sur la gravité et ne tient pas du tout compte des nombreuses difficultés qui entourent la qualification d'infraction grave. Si on veut maintenir un système de justice pour les jeunes—et je pense que cette volonté existe puisque nous sommes devant vous pour commenter un projet de loi de cette nature-là—, il faut aussi tenir compte du processus d'évolution du jeune et donc de ses besoins. La déclaration de Beijing ainsi que la Convention internationale des droits de l'enfant axent l'attention sur la gravité objective de l'infraction, mais aussi sur les besoins du jeune. Il faudrait donc revenir à cet élément, d'une part.

• 1225

D'autre part, vous parliez de la complexité du projet de loi. Certains points sont complexes, mais en plus, on a disséminé les objectifs un peu partout, ce qui n'aide en rien à sa compréhension. Je m'explique. L'article 3 définit et détermine les objectifs généraux de l'ensemble de la loi. Plus loin, en ce qui a trait aux mesures extrajudiciaires, on expose des principes particuliers. Pour la détermination de la peine, on a encore là des principes particuliers. C'est la même chose pour la garde et la surveillance. Et ces principes particuliers ne mentionnent pas de façon précise les besoins du jeune.

Donc, cela ajoute à la difficulté d'interprétation et cela est vraiment à la base même du projet de loi. Cela le complexifie. J'espère que cela répond un peu à votre question.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Cadman.

[Traduction]

M. Chuck Cadman: Je vous remercie, monsieur le président.

La semaine dernière, la mère d'une jeune contrevenante a comparu devant le comité. Elle a vivement déploré le fait qu'on ne fait pas suffisamment appel à la participation des parents dans le processus judiciaire. Elle a notamment mentionné qu'elle savait pertinemment que sa fille mentait à l'avocat qui était chargé de son cas et que celui-ci avait simplement répété ces mensonges au tribunal. Personne ne l'avait consultée elle. Je me demande si vous avez une opinion quant à la forme que devrait prendre la participation des parents?

Me Leandre Rupert-Bailey: Depuis son adoption, la LJC est considérée comme une loi pénale reposant sur le principe que l'adolescent doit jouir des mêmes droits juridiques qu'un adulte puisqu'il sera jugé comme un adulte. Il faut viser un juste équilibre: conseiller et représenter l'adolescent et se conformer aux instructions qu'il donne et permettre aux parents de participer au processus. Je crois qu'il faut trouver une solution qui convienne à chaque cas.

M. Chuck Cadman: La mère dont je viens de vous parler se plaignait essentiellement qu'il n'était pas dans l'intérêt de sa fille qu'on lui permette de mentir devant le tribunal et les parents n'avaient eu aucun...

Me Isabel Schurman: À ce sujet et quant à l'exemple que vous donnez, le conseil que je donnerais à cette mère serait le même que celui que je donnerais à toute personne qui saurait qu'un avocat présente une preuve frauduleuse devant un tribunal. Le parent devrait signaler le cas directement à l'Association du Barreau ou à l'association professionnelle compétente parce qu'un tel comportement de la part d'un avocat est inacceptable.

M. Chuck Cadman: Je n'ai pas dit que l'avocat avait induit le tribunal en erreur sciemment. J'ai seulement dit qu'il n'avait écouté que la version de son client.

Me Isabel Schurman: Je comprends votre question, mais ce comportement est inacceptable.

Je crois répondre en partie à votre question en vous signalant que nous avons fait valoir certaines réserves au sujet de l'article du projet de loi qui semble accorder un peu trop d'importance à la participation des parents, c'est-à-dire à l'article portant sur les mesures extrajudiciaires. L'article, tel qu'il est libellé, semble donner l'impression qu'un adolescent qui aurait pu être admissible à des mesures extrajudiciaires ne pourra pas en faire l'objet s'il est impossible d'obtenir le consentement de ses parents. C'est la façon dont nous interprétons cet article.

C'est à ce genre de cas que je songeais lorsque j'ai dit, en réponse à votre première question, qu'il fallait préciser qu'un adolescent ne pouvait pas être pénalisé parce que ses parents refusent de participer au processus ou parce qu'on ne peut pas les retrouver.

La situation que vous venez de décrire, celle qui consiste à voir un avocat qui ne respecte pas les règles de la déontologie lorsqu'il représente un enfant, est un problème plus vaste qui dépasse le cadre de cette loi. Le problème ne se limite pas à cette loi. Un parent peut faire face à ce genre de problème dans un autre contexte.

[Français]

Me Normand Marquis: En guise de commentaire, je vous dirai que qu'il y a un risque à employer des exemples précis. Dans le vôtre, à vrai dire, si la mère était d'avis que sa fille ne mentait pas et que, par conséquent, les problèmes de sa fille ne devaient pas être soumis à la cour, elle avait toujours la possibilité d'aller voir l'enquêteur ou le policier mentionné au dossier pour l'informer que, selon les propos de sa fille, les événements n'étaient pas tels qu'on les rapportait. Si elle savait que la preuve qu'on allait apporter n'était pas vraie, elle pouvait toujours faire cela.

Mais encore une fois, cela varie dans chaque cas particulier, comme le disait Me Schurman. Je pense qu'il nous faut constater que, dans le projet de loi, l'intention du législateur est manifestement de permettre un plus grand engagement des parents dans le processus judiciaire.

• 1230

Aucun processus de cette nature ne permettra jamais de résoudre adéquatement le problème dont vous parliez. Je pense que la loi ne permet tout simplement pas de faire ce genre de chose. Mais il y a d'autres façons pour les parents d'intervenir, ne serait-ce qu'au moment de la sentence, par exemple.

Me Denis Jacques: Sur le rôle des parents et des victimes dans le processus, quelques pages de notre mémoire en traitent. Comme je l'ai dit en introduction, il y a une amélioration qui est apportée par le projet de loi à ce chapitre. Maintenant, il y aurait peut-être encore des efforts à faire, qui sont suggérés aux pages 29 à 33 de notre mémoire.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Cadman.

Monsieur McKay.

M. John McKay: Votre cinquième recommandation vise l'élimination des paragraphes 145(5) et (6) du projet de loi. Plusieurs témoins ont réclamé la même chose. À première vue, vos réserves semblent justifiées. Je n'ai jamais pratiqué le droit pour adolescents et je ne comprends donc pas pourquoi on permettrait à un juge d'accepter en preuve des preuves qui ne seraient pas autrement admissibles. Pourriez-vous me l'expliquer pour que je comprenne l'envers de la médaille?

Me Isabel Schurman: Comme vous le savez, notre association compte 36 000 membres répartis dans tout le Canada dont des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense. Je ne sais pas s'il se trouve des procureurs de la Couronne ici présents, mais je peux vous assurer que tant les procureurs de la Couronne que les avocats de la défense qui oeuvrent au sein de l'Association du Barreau canadien s'entendent pour dire que ces deux paragraphes devraient être supprimés.

Je ne suis certainement pas la personne qui pourrait vous présenter les raisons qui militent en faveur du maintien de ces paragraphes. Je ne suis pas sûre qu'il y ait...

M. John McKay: Cela a-t-il quelque chose à voir avec le principe philosophique nécessairement flou voulant qu'on cherche à traiter toute la personne et pas seulement son comportement? Il faut à la fois traiter la personne et son comportement. Peut-être que je vais un peu loin, mais est-ce pour cette raison qu'un juge pourrait accepter en preuve des preuves qui ne seraient normalement pas admissibles et qu'on estime à certains égards que cela est dans l'intérêt du jeune contrevenant?

Me Leandre Rupert-Bailey: Le seul avantage que je vois à cette façon de procéder est que l'affaire reposerait sur des preuves inadmissibles. Or, notre système de justice veut être juste et équitable. Tout notre système repose sur le fait que la culpabilité d'une personne doit être établie sur des preuves admissibles. Nous permettrions un simulacre de justice s'il était possible de considérer comme étant admissibles des déclarations qui auraient été faites par un adolescent sans qu'il comprenne qu'il n'avait pas à les faire, sans qu'il comprenne qu'il pouvait d'abord consulter un avocat ou une autre personne à ce sujet ou sans qu'il comprenne les accusations portées contre lui.

M. John McKay: Est-ce aussi la position du Barreau?

[Français]

Me Denis Jacques: Dans notre mémoire, à la page 77, on traite de l'article 145, paragraphe (6). Je vous dirai que notre position là-dessus est qu'on doit maintenir le statu quo et ne pas reconnaître l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires.

Par contre, comme on l'indique aussi dans notre mémoire, cette position n'est pas complètement unanime. Il y avait des voix discordantes sur ce point. Elles venaient principalement de gens intéressés de près au processus, à savoir des procureurs de la Couronne ou des représentants de policiers. Évidemment, il faut les comprendre; jusqu'à un certain point, leur tâche d'avoir à fournir des pièces à conviction s'en trouverait facilitée. Plus on en a, plus le travail peut se faire «aisément» en cour.

Par contre, ayant envisagé la situation de façon objective et considéré le débat que cela entraînerait et les conséquences qui en découleraient pour des jeunes qui sont vulnérables, notre organisme a retenu la position que nous vous avons présentée, malgré ces quelques notes discordantes dont je vous fais part.

[Traduction]

M. John McKay: Je vous remercie.

Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.)): Monsieur Mancini.

M. Peter Mancini: Je vous remercie. J'ai seulement deux ou trois questions à poser.

J'aimerais connaître votre avis sur l'alinéa du projet de loi qui porte sur la «détention à l'écart des adultes». Il s'agit de l'alinéa 30(3)b). Cette disposition prévoit qu'un adolescent doit être incarcéré à l'écart des adultes—ce qui me semble logique—à moins que sa sécurité ne puisse être garantie dans un lieu de détention pour adolescents ou «qu'aucun lieu de détention pour adolescents n'est disponible à une distance raisonnable». J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Je m'inquiète de la façon dont cette disposition sera appliquée dans le cas des adolescents qui vivent dans des collectivités éloignées où il n'y a pas de lieu de détention pour adolescents.

• 1235

Le paragraphe 30(7) qui porte sur la détention provisoire me semble aussi un peu vague. Je sais que je coupe un peu les cheveux en quatre et que vous ne vous êtes peut-être même pas penchés sur ces dispositions. Il est question dans ce paragraphe de l'adolescent qui se trouve «temporairement sous la surveillance d'un agent de la paix après son arrestation...». On lit ceci un peu plus loin: «... ce transfèrement doit s'effectuer au plus tard à la première occasion raisonnable suivant la comparution de l'adolescent devant un juge du tribunal pour adolescents...»

Avez-vous des réserves au sujet de ces deux dispositions, notamment quant au sens à donner à une «distance raisonnable» d'un lieu de détention pour adolescents. Si vous n'en avez pas...

Me Isabel Schurman: Vos inquiétudes au sujet de ces dispositions sont justifiées. Ma collègue me dit qu'elles reflètent la situation actuelle dans une certaine mesure.

Quant au fait qu'il peut ne pas y avoir un lieu de détention pour adolescents à une distance raisonnable, je crois qu'il est généralement reconnu que si l'on veut favoriser la réadaptation d'un contrevenant, qu'il soit adulte ou adolescent, il vaut mieux qu'il soit incarcéré près des gens qui sont le plus près de lui, soit près de sa famille et de ses amis qui peuvent le soutenir. Si l'on retire quelqu'un de sa collectivité pour l'envoyer dans un lieu d'incarcération situé à l'autre extrémité du pays, cela ne favorisera pas sa réadaptation.

Il faut évidemment trouver un juste équilibre. Notre pays est vaste et comporte des régions très éloignées des centres. Si le choix qui s'offre est de priver un adolescent de tous ces systèmes de soutien ou de l'incarcérer dans une petite prison locale au lieu d'un établissement à sécurité maximale, je crois qu'il serait parfois dans l'intérêt de l'adolescent de lui permettre de demeurer dans sa collectivité. Voilà tout ce qui me vient à l'esprit pour l'instant à ce sujet et je sais que notre mémoire n'aborde pas cet alinéa.

Notre mémoire n'aborde pas non plus le paragraphe 30(7). Je crois que l'expression «dans les meilleurs délais possible» figure également dans le Code criminel et dans d'autres lois. Je suppose que si nous ne nous sommes pas attardés à cet article, c'est que la terminologie qu'il contient est sans doute utilisé de façon courante et ne pose pas de difficulté dans ce genre de circonstances. Notre mémoire ne traite cependant pas de ce paragraphe.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Madame Brosseau.

[Français]

Me Carole Brosseau: En réponse à votre question, je confirme un peu ce que dit ma collègue. Pour nous aussi, au Québec, la situation est la même. Dans les régions éloignées, il y a des aménagements particuliers pour les jeunes et, préférablement, ils ne sont pas maintenus dans des centres ou dans des endroits où il y a des adultes. Il se peut que cela se produise à l'occasion, mais ils sont quand même tenus à l'écart des adultes. De toute façon, cette disposition-là ne va pas à l'encontre des conventions internationales non plus. C'est tout le contraire.

Le président: Merci. Merci beaucoup.

Monsieur Saada.

M. Jacques Saada: Je vais poser une question générale à laquelle les témoins précédents ont déjà commencé à répondre. J'aimerais approfondir un peu plus cette fameuse disposition de l'harmonisation. Plusieurs témoins entendus plus tôt, parfois même lors de séances antérieures mais dont certains sont encore parmi nous, ont fait allusion au fait que l'harmonisation des peines entraînerait automatiquement un durcissement des sanctions, entre guillemets, au Québec, où, en général, on a tendance à incarcérer beaucoup moins, comme les chiffres le montrent de façon éloquente.

D'abord, y croyez-vous?

Deuxièmement, s'il y avait un rééquilibrage entre les objectifs du projet de loi, afin de ramener la dimension des besoins et de la réhabilitation, et si le préambule pouvait se traduire d'une façon plus concrète dans le cadre du texte lui-même, est-ce que ça changerait quelque chose à cette possibilité d'osmose, qui va dans un sens et pas dans l'autre? Autrement dit, est-ce que ça changerait quelque chose au fait que c'est forcément la ligne la plus dure qui va prévaloir comme base pour l'harmonisation?

• 1240

Troisièmement, dans ce cadre-là, les juges qui sont venus nous parler—ces juges n'étaient pas tous du Québec; certains venaient, si je me souviens bien, du Yukon, de l'Alberta, du Québec et de l'Ontario—partaient eux-mêmes du principe qu'ils avaient un petit peu peur de se voir forcés à respecter l'harmonisation. Quel est votre commentaire général à cet égard et pourquoi faut-il tellement craindre que l'harmonisation se fasse dans un sens seulement?

Me Normand Marquis: Je serais porté à vous dire qu'en ce qui nous concerne, au Barreau du Québec, nous sommes de ceux qui croient qu'effectivement, les nouvelles décisions vont se durcir avec ce projet de loi, d'une part parce que tout l'accent du projet de loi, tous les termes, tous les principes qui y sont énoncés nous forcent à croire et, je pense, indiquent clairement à la magistrature que l'intention est de punir l'infraction.

On dit toujours que les législateurs ne parlent pas pour rien dire. Or, quand le législateur exclut complètement un principe qui était présent dans la Loi sur les jeunes contrevenants, celui de garder l'équilibre entre les besoins des jeunes contrevenants et la protection de la société, pour lui substituer un nouveau principe, qui est celui de la protection de la société, exclusivement, et qu'on ne retrouve à nul endroit dans le projet de loi, à l'exception d'un faible mot dans le préambule, cette notion d'équilibre, cette notion des besoins des jeunes contrevenants, on ne peut faire autrement que d'être convaincus que le message du législateur est celui du durcissement de la peine.

Maintenant, vous nous demandez—vous me permettrez de dire que j'étais présent lorsque vous avez posé votre question à l'intervenant qui m'a précédé—si l'intégration du préambule suffirait. Je vous dirais que s'il s'agissait simplement de l'intégrer au texte, au corpus du projet de loi, ce serait tout à fait insuffisant.

À mon avis, il faut récrire les principes directeurs des articles 3, 4, 37 et 82, qui sont les principes directeurs des différentes portions du projet de loi de façon à rétablir le principe voulant qu'il doit y avoir, en vertu des principes internationaux également, un équilibre entre la protection de la société et les besoins des jeunes contrevenants.

M. Jacques Saada: Est-ce que ça répond complètement à votre question?

Mme Isabel Schurman: En ce qui concerne les peines, une de nos préoccupations vient du schéma prévu pour la libération sous surveillance obligatoire: les deux tiers et le tiers. Ça nous trouble quelque peu de constater que le législateur se sent obligé de rédiger un article qui précise qu'un juge ne devra pas, après l'adoption de ce projet de loi, augmenter la peine qu'il donnera à un jeune contrevenant, parce qu'après les deux tiers de cette peine, ce dernier sera sous surveillance obligatoire, etc. Cela nous inquiète un peu parce qu'on se dit que l'on prévoit déjà la possibilité, avec ce système des deux tiers et un tiers pour la surveillance, que les peines vont augmenter de façon uniforme pour permettre aux juges de compenser pour le fait que les jeunes contrevenants passeraient un peu moins de temps en incarcération. Cela nous trouble un peu. Si c'est le résultat qui sera obtenu, nous trouvons cela inquiétant.

Me Normand Marquis: Je voudrais ajouter quelque chose sur ce sujet, puisque vous avez soulevé la question de l'harmonisation. Compte tenu de la façon dont le texte est rédigé actuellement, vous pourriez avoir deux contrevenants—je vous donne un exemple très bref—qui ont le même âge et des antécédents similaires, mais dont l'un, pour des raisons qui lui sont propres, pourrait se retrouver avec une sentence d'adulte, alors que l'autre aurait une sentence de jeune contrevenant. Tous deux pourraient être incarcérés dans le même centre d'accueil, tous deux auraient reçu, toujours à titre d'exemple, une peine trois ans—le calcul est facile—, mais le jeune contrevenant devrait en purger au moins les deux tiers, alors que celui qui a eu une peine d'adulte pourrait être admissible à une libération conditionnelle après le tiers de sa sentence. Ainsi, il y aurait des jeunes pour qui l'effet serait différent, bien que le contexte et le type d'intervention soient les mêmes.

M. Jacques Saada: Donc, vous prônez l'harmonisation dans ce cas-là.

Me Normand Marquis: Cela dépend de ce que vous entendez par harmonisation.

• 1245

M. Jacques Saada: D'accord. C'est justement la question que je soulève. Vous prêchez une chose et son contraire en même temps. Dans le cas que vous venez de nous donner, il y a comme une injustice fondamentale à ce que deux jeunes dont les situations sont relativement similaires se retrouvent avec un tel écart de traitement. Je ne parle pas de sanction, mais bien de traitement. Donc, c'est injuste. A priori, je présume que vous souhaitez qu'on rende cela plus juste.

Me Normand Marquis: C'est exact.

M. Jacques Saada: Donc, on harmonise.

Me Normand Marquis: C'est exact. D'une certaine façon, je pense qu'il y a moyen de récrire certains passages de ce projet de loi, relativement à cette question particulière, et de le rendre plus efficace et certainement plus juste pour les jeunes. C'est la position du Barreau du Québec à cet égard.

M. Jacques Saada: Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Saada et monsieur Marquis.

Monsieur MacKay, Pictou—Antigonish—Guysborough.

[Traduction]

M. Peter MacKay: Monsieur Scott, Fredericton, je vous remercie.

J'aimerais poser deux brèves questions. La première a trait à l'article 9. Si je comprends bien, on vise par cet article à empêcher que soient admises en preuve le genre de preuves qui l'ont été dans l'affaire Matt Dillon. On veut empêcher qu'un agent de police puisse ramener un adolescent à la maison et s'asseoir avec ses parents dans leur salon pour discuter des avertissements extrajudiciaires qui lui ont été donnés. Il est difficile d'obtenir les renseignements voulus au sujet de ces avertissements, mais il est aussi difficile de les présenter en preuve. On ne peut même pas en parler lors de l'audience sur le cautionnement. Même si un adolescent a bénéficié de cette approche clémente et a déjà fait l'objet de 12 avertissements, on ne peut même pas le mentionner lors de l'audience sur le cautionnement même s'il serait peut-être dans son intérêt qu'on le fasse.

J'aimerais revenir à la seconde partie de ma question sur votre recommandation numéro 5. Je vois une certaine contradiction dans le fait que vous recommandiez qu'on donne plus de pouvoir discrétionnaire au juge dans certains cas, d'une part—, plus de pouvoir discrétionnaire en ce qui touche la détermination de ce qui constitue une infraction désignée, par exemple, ou le moment où un adolescent doit être transféré dans un établissement pour adultes—, et, qu'on lui enlève, d'autre part, le pouvoir discrétionnaire en ce qui touche le choix des déclarations pouvant être jugées admissibles en preuve puisque, à mon avis, il peut souvent s'agir des preuves les plus importantes qui pourraient être présentées lors d'un procès. À mon sens, le paragraphe 145(5) vise à empêcher que tout le plaidoyer de la Couronne soit rejeté en raison d'un vice de forme.

On nous a fait valoir que ces preuves pourraient être admissibles même si la police ne les avait pas recueillies de la façon appropriée. Ce n'est pas du tout le cas. Le juge rejettera sans doute ces preuves si la police a quoi que ce soit à se reprocher à cet égard. Ces preuves seront jugées inadmissibles. Le libellé de cette disposition a été textuellement repris de la charte vise à faire en sorte que l'administration de la justice ne soit pas déconsidérée. C'est le critère le plus large en fonction duquel un juge doit établir l'admissibilité de la preuve.

Le juge continuera donc de juger de l'admissibilité de la preuve, et en particulier du voir dire. Si la preuve n'a pas été obtenue selon les règles, elle sera jugée inadmissible. Le juge peut cependant examiner la preuve de façon objective et se demander si la police a agit de bonne foi. Il peut aussi se demander si la police s'est efforcée de conseiller l'adolescent sur ses droits et si elle lui a donné tous les avertissements voulus.

Nous avons entendu le témoignage de policiers chevronnés. L'un d'entre eux nous a dit la semaine passée qu'il ne demande même pas à un jeune délinquant de faire une déclaration puisque cette preuve peut ensuite avoir un caractère exonératoire.

À mon avis, il convient que la portée de cette disposition soit large et qu'on laisse au juge le soin d'établir ce qui pourrait avoir pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. Les juges le font couramment dans le cas du voir dire.

Me Leandre Rupert-Bailey: Je suis sûre que je ne suis pas la seule à vouloir intervenir, mais permettez-moi d'essayer de voir si je peux vous être utile.

Vous avez fait allusion à l'affaire Matt Dillon. C'est exactement ce qui s'est produit dans le cas de l'application par la police de la Loi sur les jeunes délinquants. Le projet de loi propose de revenir à ce qui se faisait à ce moment-là. Il ne propose rien de nouveau. Cette mesure a vraiment permis d'empêcher que de jeunes délinquants ne se retrouvent dans le système.

M. Peter MacKay: Je ne disais pas que c'était une mauvaise chose, mais que la preuve recueillie de cette façon... Je suis d'accord avec le fait qu'on accorde une plus grande latitude à la police pour décider si elle va porter des accusations, mais je m'oppose au fait qu'on ne puisse pas se servir de ces preuves au moment de l'enquête sur le cautionnement.

• 1250

Me Leandre Rupert-Bailey: C'est juste. Il ne s'agit pas d'une condamnation criminelle alors que nous parlons ici d'une loi pénale.

M. Peter MacKay: Toutes sortes d'éléments sont cependant présentés en preuves lors de l'enquête sur la cautionnement qui ne résulte pas d'une condamnation criminelle.

Me Leandre Rupert-Bailey: Cela vaut pour le ouï-dire...

Me Isabel Schurman: C'est l'article qui permet à l'heure actuelle aux travailleurs sociaux de discuter avec les adolescents des mesures de rechange auxquelles on songe dans leur cas. On minera toute la confiance que les adolescents peuvent avoir dans le système si on leur dit: «Si vous faites une déclaration, elle pourra se retourner contre vous et vous ne pouvez pas être assuré de la confidentialité de quoi que ce soit.»

Comme procureur de la couronne, je ne sais pas combien de fois des parents m'ont demandé au sujet de leur enfant: «Qu'est-ce qui se produira si nous racontons toute l'histoire au travailleur social?» Dans mon cas, je n'ai jamais revu ces enfants parce que quelqu'un les a finalement écoutés, a essayé d'établir où se situait la responsabilité et les a aidés à se réhabiliter.

Ce que le projet de loi propose n'est donc pas bien différent de ce qui existe à l'heure actuelle, sauf que les policiers pourront maintenant prendre des décisions au sujet de mesures de rechange.

Je regrette de vous interrompre.

Me Leandre Rupert-Bailey: Je vous en prie.

Je crois que l'essentiel de votre question porte cependant sur les paragraphes 145(5) et 145(6) dont nous recommandons fortement la suppression. Il ne s'agit pas d'un vice de forme. Si le Parlement voulait que des déclarations de ce genre puissent être présentées en preuves, il l'aurait dit. Il ne l'a pas fait. Il a dit que même si les droits juridiques de ces adolescents n'avaient pas été respectés alors qu'ils auraient dû l'être, ces déclarations pouvaient toujours être admises en preuves si l'on pouvait établir que la police avait agit de bonne foi.

M. Peter MacKay: Ce pouvoir discrétionnaire appartient au juge.

Me Leandre Rupert-Bailey: Le juge exercera son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agira d'établir l'admissibilité de la déclaration lorsque toutes les circonstances en cause lui auront été présentées. Voilà ce sur quoi doit porter le pouvoir discrétionnaire du juge. Lorsque le juge conclut que la preuve n'a pas été obtenue conformément à la loi, le seul choix qui devrait s'offrir à lui est de rejeter la déclaration. Il ne devrait pas avoir le pouvoir discrétionnaire d'admettre cette déclaration en preuve de toute façon.

Me Isabel Schurman: À la page 13 de notre mémoire, vous trouverez une citation que nous jugeons intéressante et pertinente tirée d'un jugement de M. le juge Cory remontant à 1990 et visant un jeune contrevenant. La Cour suprême du Canada a essayé d'attirer notre attention sur les difficultés auxquelles font face les jeunes contrevenants en présence de personnes en situation d'autorité. Voici ce que dit M. le juge Cory au milieu de ce paragraphe:

    Ils n'évalueront vraisemblablement pas leurs garanties juridiques, dans un sens général, ni les conséquences de déclarations verbales faites à des personnes en situation d'autorité.

Le juge Cory fait aussi remarquer un peu plus loin qu'un adolescent peut même faire une fausse déclaration pour plaire à une personne en situation d'autorité.

La Cour suprême du Canada reconnaissait donc il y a dix ans, en 1990, qu'il fallait assurer une protection spéciale aux adolescents lorsqu'ils font face à des personnes en situation d'autorité qui leur demandent de faire des déclarations. Nous avons donc prévu des mesures de protection dans la loi. Nous pouvons présumer que l'article 10 de la Charte des droits et libertés exigerait d'ailleurs que nous prenions ces mesures. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la Charte est la loi fondamentale du pays.

Que faisons-nous? Nous ajoutons deux paragraphes à la loi pour nous conformer à la Charte en vertu de laquelle on a toujours estimé que la preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même a pour effet de déconsidérer la justice... Nous avons inclus dans la loi deux paragraphes qui abrogent toute la jurisprudence établie en vertu de la Charte depuis 1983.

M. Peter MacKay: À mon avis, on reprend le libellé de la Charte pour dire que cela a pour effet de déconsidérer l'administration de la justice.

Me Isabel Schurman: On dit plutôt: Voici les mesures de protection minimales qui doivent être accordées aux adolescents en vertu de la Constitution et nous allons abroger la jurisprudence qui vous permet de refuser d'admettre ces preuves parce qu'elle déconsidère l'administration de la justice.

N'oubliez pas que la jurisprudence est tout à fait claire à ce sujet. Toute preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même déconsidère nécessairement l'administration de la justice.

Nous estimons donc que ces deux paragraphes contredisent la sage façon dont les tribunaux interprètent la loi fondamentale du pays depuis au moins 15 ans. Personne ne pourra convaincre les membres de l'Association du Barreau canadien que cette atteinte à la Charte peut être considérée comme un vice de forme.

Me Leandre Rupert-Bailey: Ces paragraphes vont faire en sorte que le juge au lieu d'établir l'admissibilité de la preuve devra établir si la Charte est respectée. Ce n'est pas l'objectif visé.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur MacKay. Nous voyons encore une fois ce que vous entendez par «deux brèves questions».

Des voix: Oh, oh!

• 1255

Le président: Monsieur Cadman ou monsieur Mancini? Non?

J'aimerais remercier tous nos témoins de nous avoir présenté leur position sur la Loi sur les jeunes contrevenants et d'avoir aussi si éloquemment défendu leur profession.

[Français]

Merci beaucoup.

[Traduction]

Une voix: Je vous remercie beaucoup.

Le président: La séance est levée.