Passer au contenu
Début du contenu

FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 27 novembre 2001

• 1608

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, la séance est ouverte. Nous avons le quorum nécessaire pour entendre les témoins.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités de marque, en particulier M. Flynn, qui vient des États-Unis.

Merci d'être venu. Certains membres du comité vont avoir l'occasion de vous entendre, ce soir, quand vous allez prendre la parole devant un groupe de représentants canadiens et américains.

Nous accueillons également M. d'Aquino, M. Rhéaume, M. Shea et M. Boutziouvis.

Nous avons une question de procédure à régler. M. Harb souhaite déposer un rapport du sous-comité sur le commerce, mais il faut, pour cela, qu'il y ait quorum. Je vais céder la parole à M. Flynn, mais j'interromprai peut-être les témoins pendant quelques minutes pour revenir à cette question.

Comme vous le savez, nous commençons avec 40 minutes de retard. Nous devions quitter la salle à 17 h 30. Toutefois, étant donné que le vote n'a lieu qu'à 18 h 30, nous pourrions peut-être rester un peu plus longtemps et poser d'autres questions aux témoins.

Encore une fois, monsieur Flynn, merci d'être venu. La parole est à vous.

M. Stephen Flynn (stagiaire, Études sur la sécurité nationale (New York), Council on Foreign Relations): Merci beaucoup, monsieur Graham.

Le Council on Foreign Relations est un groupe de réflexion non gouvernemental et non partisan sis à New York et à Washington. Mon bureau se trouve à New York.

C'est un privilège pour moi que d'avoir été invité aujourd'hui à vous parler de l'absolue nécessité qu'il y a à assurer l'imperméabilité de la frontière entre nos deux pays au lendemain des événements tragiques du 11 septembre.

• 1610

Depuis deux ans et demi, je dirige des recherches sur la gestion des frontières à l'ère de la mondialisation. Ce projet m'a amené à faire du travail d'observation en milieu ouvert le long des frontières séparant le Mexique et les États-Unis, d'une part, et les États-Unis et le Canada, d'autre part, dans d'importants ports de mer et aéroports des États-Unis ainsi que dans ceux de Montréal, de Rotterdam, de Hong Kong et de Kingston, en Jamaïque.

J'ai aussi eu avec des agents de contrôle américains et canadiens des postes frontaliers de Détroit-Windsor, de Niagara et des environs du Lac Champlain des entrevues qui ont un lien direct avec le sujet de votre étude. Mes recherches visaient essentiellement à répondre à la question suivante: étant donné que des vagues de voyageurs et de marchandises déferlent constamment sur les frontières internationales, comment les agents de contrôle frontaliers font-ils pour remplir leur mandat public, qui est de filtrer ce flux pour distinguer le bon du mauvais et l'inoffensif du dangereux?

Mes constatations, et je pensais passer l'automne à écrire tranquillement un livre à ce sujet, un livre qu'une demi-douzaine de personnes liraient, m'ont amené à conclure qu'ils ne le remplissent pas. Autrement dit, ils...

Le président: Nos attachés de recherche lisent tout.

M. Stephen Flynn: Je suis heureux d'apprendre qu'il y a quelqu'un, à tout le moins au Canada, qui va le lire.

Donc, ils ne le remplissent pas. Les agents de contrôle ne sont pas en mesure de filtrer ce flux pour distinguer le bon du mauvais et l'inoffensif du dangereux. Ils ne peuvent pas le faire, compte tenu de la structure actuelle de notre système de gestion frontalière.

Comprenons-nous bien. La communauté internationale n'a aucun moyen crédible de détecter et d'intercepter en permanence les terroristes, ou les dispositifs qu'ils utilisent pour commettre des actes terroristes, lorsque ces personnes ou les porteurs de ces outils sont résolus à traverser les frontières. Ils déjouent nos systèmes de gestion des frontières, qui ne sont tout simplement pas efficaces.

Cette conclusion donne à réfléchir sérieusement, surtout si on tient compte de ce que j'appellerais trois réalités dont nous devons nous accommoder depuis le 11 septembre dernier.

Premièrement, pour autant que nous puissions le prévoir, le terrorisme antiaméricain va continuer de sévir, peu importe ce qui se passe en Afghanistan, où opèrent ce que j'appelle les «terroristes d'aujourd'hui».

Deuxièmement, ces terroristes auront accès à des moyens, notamment des armes chimiques et bactériologiques, grâce auxquels ils pourront causer des dommages catastrophiques en sol américain.

Troisièmement, et ce point est très important, les remous sociaux et économiques causés par les attentats du 11 septembre et par les envois de lettres contaminées à l'anthrax qui ont suivi ont ouvert une boîte de Pandore. La facilité apparente avec laquelle les États-Unis ont pu être attaqués inspirera dorénavant les terroristes déterminés à défier la puissance américaine, et le coût chaque jour plus lourd pour l'économie et le moral américains des efforts improvisés et maladroits déployés pour établir la sécurité les encourageront.

En effet, les actes terroristes n'ont pas uniquement pour but de tuer des gens ou de détruire des immeubles. Ils visent à produire des perturbations économiques et sociales assez fortes pour affaiblir le pays visé au point qu'il en vienne à modifier ses politiques. Or, les remous observés à la suite du 11 septembre n'ont pas été causés par les attaques mêmes, mais par la façon dont les États-Unis ont réagi à celles-ci.

En quelques heures, les États-Unis ont fait ce qu'aucune nation ne pourrait faire à une superpuissance. Ils ont instauré un blocus sur leur propre économie. Ils ont non seulement, comme vous le savez tous, fermé leur espace aérien et réduit le trafic au minimum le long des frontières séparant les États-Unis et le Canada d'une part, et les États-Unis et le Mexique d'autre part, mais ils ont également fermé tous leurs grands ports de mer.

Pourquoi l'ont-ils fait? Parce qu'ils n'ont aucun moyen crédible de filtrer le flux de voyageurs et de marchandises que nous amènent les modes internationaux de transport pour distinguer le bon du mauvais. Ils ont donc instauré un blocus et procédé à une évaluation des risques avant de le lever. Or, le secteur de l'aviation ressemble à une véritable forteresse quand on le compare aux secteurs de transport maritime et de surface. Ces réseaux sont grands ouverts et continuent de l'être depuis le 11 septembre. Cela constitue tout un défi pour les États-Unis et, plus important encore, pour la communauté internationale.

Je dirais que, le 11 septembre, nous avons eu une démonstration de la façon dont se fera la guerre au XXIe siècle. Personne n'osera s'attaquer directement à la puissance militaire américaine. Saddam Hussein a bêtement tenté de le faire en 1990, lors de la guerre du Golfe persique, geste que personne n'oserait probablement répéter.

• 1615

Donc, nous avons eu une démonstration de la façon dont se fera la guerre asymétrique, une guerre qui ciblera essentiellement les secteurs économiques et civils de la superpuissance. Cette problématique garde les gens à Washington éveillés la nuit: quand ils examinent ces systèmes, soit les secteurs économiques et civils qui servent de fondement à la puissance américaine, à la prospérité américaine et mondiale, ils se rendent compte à quel point ils sont vulnérables.

Leur réaction immédiate a été de resserrer les contrôles à la frontière, parce que cela leur semblait, à tout le moins, l'endroit logique où commencer. Je pense qu'ils ont eu tort, qu'il faut regarder un peu plus loin.

Les États-Unis et la communauté internationale doivent se résigner au fait qu'ils continueront d'avoir des adversaires prêts à faire la guerre en recourant au terrorisme catastrophique. Nous devons aussi nous rappeler que ces attentats n'ont pas uniquement pour but de tuer des gens; ils visent aussi à produire des perturbations. En fin de compte, la guerre au terrorisme devrait consister à faire en sorte que les systèmes mondiaux de transport, de production d'énergie, d'information et de services financiers et la main-d'oeuvre soient moins faciles à exploiter ou à cibler pour les terroristes, ce que les pays ne pourront pas faire uniquement en intensifiant les contrôles le long de leurs frontières.

Les conteneurs, ces boîtes de 20 ou 40 pieds de longueur transportées par bateaux, par train ou par camion-remorque et comptant pour nettement plus de 90 p. 100 du fret qui arrive en Amérique du Nord en provenance de l'étranger, illustrent mieux que n'importe quoi d'autre la faiblesse des inspections faites aux frontières comme moyen de contrer le terrorisme. Ces grandes caisses peuvent être chargées par plus de 500 000 transporteurs non maritimes et groupeurs de marchandises disséminés dans le monde entier. Ils n'ont besoin de fournir qu'une information squelettique sur leur contenu. Les caisses sont scellées sous une pellicule en plastique qui ne porte qu'un numéro. Elles sont ensuite expédiées par bateau vers d'autres pays.

En 2000, six millions de ces conteneurs sont arrivés aux États-Unis par bateau. Plus d'un demi-million ont transité par les ports d'Halifax et de Montréal. La plupart des conteneurs débarqués dans des ports canadiens sont chargés sur des wagons ferroviaires et expédiés directement aux États-Unis sans que leur contenu ne soit inspecté.

Imaginons que l'un d'eux contienne une bombe qui explosera dès qu'on l'ouvrira pour le vider. L'explosion de cette bombe ne ferait pas que tuer ceux qui se trouveraient assez prêts et détruire les installations des environs. Elle entraînerait probablement la paralysie complète du marché des conteneurs. Ce marché s'apparente à celui du service postal ou du commerce mondial, sauf que, quand le service postal a reçu des lettres contaminées à l'anthrax, on a eu recours au courriez, à FedEx et à UPS. Or, il n'existe pas de système d'appoint pour assurer le transport de marchandises diverses—en tout cas, pas à court terme—à la place du marché des conteneurs.

Pour ce qui est des conteneurs qui pourraient être ciblés par un terroriste, ni les États-Unis ni le Canada ne font de vérifications à ce sujet. Nous n'inspectons qu'un très petit nombre de conteneurs. Nous procédons à une inspection physique, à une vérification de non pas 1 p. 100 ou 2 p. 100 des conteneurs qui passent par les douanes, comme l'indiquent habituellement celles-ci, mais de un conteneur sur 1 000. Il s'agit là d'un très faible pourcentage, un pourcentage que la population américaine, si elle était ciblée, trouverait inacceptable. Elle exigerait qu'on ferme la clé du robinet.

Si je brosse ce scénario d'enfer, ce n'est pas pour vous mettre les nerfs à vif, mais pour bien mettre en lumière les nouvelles difficultés que les événements du 11 septembre ont créées en matière de sécurité et pour vous exposer ce qui constitue une occasion rêvée pour les dirigeants canadiens, une occasion qui a aussi l'avantage de contribuer à préserver la vieille tradition d'une frontière en grande partie ouverte avec les deux pays.

Tout comme Lester Pearson a aidé à trouver un moyen de garantir la paix universelle au pire de la guerre froide, pendant la crise du canal de Suez, je suis persuadé que le gouvernement du Canada peut s'imposer en établissant de nouvelles normes propres à assurer la perméabilité frontalière essentielle à la prospérité économique et à la liberté mondiales tout en atténuant la menace de plus en plus grave que représentent les criminels et les terroristes résolus à exploiter cette porosité pour donner libre cours à ce qu'il y a de pire en eux.

Voilà à quoi je veux en venir. Les États chercheront toujours à contrôler ce qui se passe à leurs frontières, mais ce sont les réseaux internationaux de transport qui amènent voyageurs et marchandises à ces frontières qu'il faut rendre plus sécuritaires. Il n'y a pratiquement aucune menace qui provient du Canada. On cultive ici de la marijuana de très bonne qualité, mais nous avons de la concurrence au sud de la frontière. Le fait est que, dans bien des cas, il y a des personnes et des marchandises qui transitent par le Canada et qui posent un véritable problème, sauf qu'aucun des deux pays ne peut empêcher leur circulation.

Ces réseaux sont les artères qui alimentent les marchés mondiaux en assurant le mouvement des denrées, des marchandises, des voyageurs de commerce et des touristes. Or, c'est à ces réseaux qu'il faut s'attaquer, pas au 49e parallèle. Pour les rendre plus sécuritaires, il faudra d'abord cesser de compter avant tout sur les mesures de contrôle ponctuelles prises aux postes frontaliers. Ces menaces ne nous viennent pas du ciel et ne tombent pas sur le 49e parallèle. Elles nous viennent via les trains, les bateaux, les voitures et divers autres modes de transport, et proviennent, habituellement, d'autres pays.

• 1620

Comment doit-on s'y prendre? Il faut instaurer des contrôles au point d'origine doublés de vérification aux points de transbordement et d'arrivée. Il est particulièrement important de procéder ainsi aux États-Unis et au Canada, où il est aussi difficile de distinguer le licite de l'illicite aux postes frontaliers ou aux points d'arrivée que de pêcher le mené au pied des chutes Niagara. Procéder aux contrôles en amont n'est pas aussi difficile ou ne relève pas autant de l'anticipation qu'on serait tenté de le croire à prime abord.

Pour commencer, les États-Unis et le Canada devraient tirer profit de l'immense influence qu'une poignée d'États pourraient exercer sur les réseaux internationaux de transport. Si nos deux pays, auxquels se joindraient idéalement le Royaume-Uni, les Pays-Bas, Singapour et l'Allemagne, pouvaient convenir de normes communes en matière de sécurité, de reddition de comptes et de partage de l'information au sujet des transporteurs, des moyens de transport et des marchandises, ces normes seraient adoptées et appliquées presque universellement du jour au lendemain. Quiconque refuserait de s'y soumettre serait dans l'impossibilité d'accéder de façon concurrentielle aux principaux marchés de la planète.

Ces normes pourraient comporter l'obligation pour quiconque voudrait transporter un conteneur ou des passagers dans les pays où elles seraient appliquées de vérifier et confirmer le titre légal des voyageurs, la nature des marchandises ainsi que l'objet de leurs déplacements. Cette obligation pourrait s'assortir de l'autorisation de charger les conteneurs dans des installations aseptisées d'établissements agréés où personne ne pourrait accéder aux quais de chargement sans autorisation et où le chargement serait observé par caméra. Dans les endroits à risque élevé, il pourrait être obligatoire de soumettre marchandises et véhicules à la radiodétection et d'archiver les images de manière à pouvoir les comparer avec celles que prendraient les inspecteurs aux points de transbordement et d'arrivée.

Un système rendant virtuellement le trafic passagers et marchandises transparent en temps réel pourrait également s'imposer à deux fins précises, et ce, grâce à l'utilisation de transpondeurs GPS. Premièrement, pour réduire le risque que des envois ne soient endommagés pendant le transport. Ils ne pourraient pas disparaître si quelqu'un les endommageait en cours de route. Deuxièmement, pour permettre aux agents d'application des lois et des normes de traiter plus rapidement les données relatives à l'endommagement d'un envoi dès leur réception et de retrouver les marchandises suspectes.

On ne saurait trop insister sur l'importance du second objectif. En raison du nombre des passagers et du volume des marchandises ainsi que de la possibilité d'une conspiration entre des entreprises et des transporteurs réputés présenter un faible risque, il serait crucial de collecter continuellement des données fiables sur d'éventuelles atteintes à la sécurité. Mais ces renseignements seraient pratiquement inutiles si elles ne servaient qu'à faire l'analyse post mortem des attentats. Conférer aux autorités le mandat de procéder à des inspections et d'être visibles pendant le transport leur donnerait le moyen de détecter, de suivre et d'intercepter les personnes et les marchandises dangereuses dès qu'elles recevraient un message d'alerte.

On pourrait aussi doter les navires, les trains, les camions et même les conteneurs de transpondeurs GPS enfin d'en suivre tous les mouvements. Il serait également possible de munir l'intérieur de chaque conteneur d'un capteur optique ou thermique qui donnerait aussitôt l'alerte si le conteneur était ouvert illégalement pendant son transport. Les importateurs et les expéditeurs seraient tenus, sur demande, de mettre ces données à la disposition des autorités en matière de réglementation et d'application des lois des pays par lesquels leurs marchandises transiteraient ou auxquels elles seraient destinées.

Enfin, les fabricants, les importateurs, les sociétés de transport maritime et les transporteurs commerciaux conviendraient de communiquer à l'avance, sous format électronique, aux autorités compétentes tous les détails concernant leurs envois, les transporteurs et les moyens de transport utilisés. Les autorités auraient ainsi le temps d'évaluer la validité des données, de les comparer à leur liste de surveillance et de déterminer s'il y a lieu de laisser passer les envois parce qu'ils présentent un faible risque.

Pour ce qui est de la vérification du titre légal des voyageurs internationaux et de l'objet de leurs déplacements, il s'agit-là d'une question qui préoccupe beaucoup les États-Unis et le Canada. La solution est simple, même si elle ne peut être appliquée du jour au lendemain: on pourrait recourir immédiatement à des technologies disponibles dans le commerce qui permettraient d'abandonner les documents de voyage traditionnels en papier, tels les visas et les passeports, si faciles à falsifier. Les pays devraient plutôt adopter la carte universelle d'identification biométrique du voyageur, qui permet la vérification électronique des empreintes digitales, de la rétine ou de l'iris.

Semblables aux cartes qui donnent accès aux guichets automatiques bancaires, ces cartes seraient délivrées par les consulats et les bureaux des passeports, et leurs titulaires devraient les présenter aux points de départ et de correspondance de leurs itinéraires internationaux. Les aéroports, les gares de chemin de fer, les agences de location de voiture et les gares routières de voyageurs devraient tous se doter de lecteurs de carte et s'en servir pour vérifier et confirmer l'identité des voyageurs avant de les autoriser à utiliser quelque moyen de transport que ce soit pour se déplacer à l'intérieur d'un pays. Il s'agit essentiellement de ne plus avoir à s'inquiéter de tous les Américains d'origine arabe, notamment dans le contexte américain.

Comment ce système fonctionnerait-il? Disons par exemple que quelqu'un fait une demande de visa pour étudier la botanique à l'Université de l'Indiana et qu'il dispose d'un revenu de 1 500 $. Si au cours d'une fin de semaine, peut-être une longue fin de semaine, il décide de prendre l'avion à destination de Bonn, pour se rendre ensuite en Egypte ou à Montréal, cela déclencherait un signal d'alarme. En effet, comment un étudiant en botanique pourrait-il se permettre un tel voyage, alors qu'il ne dispose que de 1 500 $ par année? Il est donc possible de déceler ceux qui posent un problème en raison d'un comportement aberrant et partant, de ne pas rejeter le blâme sur tout un groupe de population au sujet duquel les inquiétudes ne sont en fait pas justifiées.

• 1625

Les étrangers dans un pays pourraient être requis de présenter cette carte pour louer des voitures, acheter des billets pour des vols intérieurs ou prendre le train, ce qui permettrait de procéder à ce genre de détection d'anomalies.

C'est une chose que d'exiger de fournir des données. C'en est une autre que de gérer et d'exploiter efficacement cette mine de renseignements de manière à bien distinguer les risques faibles des risques élevés. À cet égard, je pense que le Canada a beaucoup à apporter au reste de la communauté internationale, y compris aux États-Unis. Il faut que nos services de première ligne puissent abandonner leurs méthodes d'archivage compartimentées du XIXe siècle.

Pour réduire le risque de surcharge, il faudra évaluer les exigences actuelles en matière de collecte de données afin de déterminer s'il serait possible d'en éliminer certaines, d'en refondre d'autres ou encore de faire la collecte au moyen d'autres méthodes, comme l'échantillonnage statistique. Il est crucial d'investir dans des technologies d'information et dans la formation du personnel nécessaire pour traiter et analyser les données. Afin d'assurer l'efficience du système et de réduire au maximum les risques de lacune dans l'information, nous devrions nous fixer pour but de créer dans chaque pays un centre d'échange de données statistiques chargé de recevoir les données sur les voyageurs, les marchandises et les moyens de transport utilisés. Les services gouvernementaux utilisant ces données pourraient récupérer et analyser celles dont ils auraient besoin.

Les inspecteurs et enquêteurs affectés au contrôle frontalier continueront de jouer un rôle crucial, également, dans la détection des anomalies et l'intervention rapide. Ils seraient toutefois beaucoup plus efficaces s'ils étaient mieux payés, plus nombreux et mieux formés et ce qui est très important, s'ils pouvaient franchir les frontières proprement dites. Les douaniers ne devraient pas nécessairement se retrouver à la frontière; il faudrait prévoir des endroits dans le réseau de transport où il serait sensé de procéder à l'évaluation assez tôt afin de faciliter les choses au point d'entrée.

Il faudrait créer des zones d'inspection internationale dans les très grands ports et les ports de transbordement régionaux où les agents d'un certain nombre de pays pourraient, ensemble, examiner les voyageurs et les marchandises destinées à leurs pays d'origine respectifs. Cela permettrait une stratégie un peu plus utile et un échange de l'information ce qui, au bout du compte, faciliterait les choses. On peut citer le modèle utilisé par les autorités françaises et britanniques aux deux extrémités du chunnel, qui se résume en fait à un guichet unique permettant de dédouaner les gens, ainsi que les marchandises.

Je terminerais par ceci: le gouvernement du Canada pourrait contribuer à la réalisation de ce programme en prenant plusieurs mesures importantes. Je tiens à le souligner—je crois que le Canada est mieux placé que le gouvernement américain pour ce faire, actuellement—premièrement, il pourrait signifier sa volonté de régler ce problème déconcertant en prenant un décret du conseil l'autorisant à prendre une mesure immédiate, pratique et symboliquement importante; il pourrait demander un échange mutuel des agents chargés des inspections aux principaux ponts et tunnels reliant l'Ontario, l'État de New York et celui du Michigan et permettre que les inspecteurs des deux pays affectés aux points d'arrivée nord-américains travaillent désormais au même endroit.

Dans le premier cas, les inspecteurs canadiens passeraient du côté américain de la frontière et leurs homologues américains viendraient travailler du côté canadien; ainsi, les marchandises, les voyageurs et les moyens de transport seraient inspectés et dédouanés avant d'emprunter les ponts ou les tunnels qui pourraient servir de cibles.

D'après les fonctionnaires du Canada qui font un excellent travail statistique, il y a plus d'échanges américains qui transitent par le pont Ambassador que d'échanges entre les États-Unis et le Japon. Qui protège ce pont? C'est une société privée. Ni le gouvernement américain ni le gouvernement canadien n'ont jamais pensé à la sécurité de ce pont qui pourrait servir de cible.

Il n'y a pas si longtemps, nous nous sommes inquiétés aux États-Unis au sujet des ponts de la côte ouest, mais celui-ci est beaucoup plus vulnérable aujourd'hui.

Comment vérifier que quelqu'un de dangereux se propose d'arriver? Une fois qu'il a traversé le pont, nous vérifions son identité. Qu'arriverait-il si ce pont servait de cible? Qu'arriverait-il à la file de deux milles de véhicules sur le pont Ambassador? Où iraient ces gens? Ils ne pourraient aller nulle part. Pire encore, ils pourraient se réfugier dans le tunnel reliant Windsor et Détroit.

C'est complètement fou. Il faut vérifier les personnes et les marchandises avant qu'elles n'entrent sur le pont. Cela voudrait dire, ce qui est impensable aujourd'hui, qu'il faudrait que les inspecteurs travaillent là où c'est logique, au lieu de les cantonner dans un lieu géographique qui ne veut plus rien dire dans le monde où nous vivons aujourd'hui. Ce serait à mon avis une étape concrète et symboliquement très importante.

Dans le second cas, les inspecteurs des deux pays inspecteraient ensemble les envois de marchandises et appliqueraient conjointement les règlements aux marchandises destinées à leurs pays respectifs. Cela voudrait dire que des douaniers et des agents américains de l'immigration se trouveraient à Montréal ou à Halifax et, inversement, que des douaniers et des agents canadiens de l'immigration se trouveraient à Newark, Boston ou Portsmouth. Prenons des mesures concrètes.

Deuxièmement, Revenu Canada et Immigration Canada pourraient faire un pas de plus et trouver des façons inédites d'appliquer la technologie à leur mission, qui est de gérer la frontière, en adoptant la biométrie, c'est-à-dire le balayage électronique des empreintes digitales et oculaires, pour le contrôle des cartes d'identité CANPASS et NEXUS.

Ils pourraient aussi exiger des sociétés et des transporteurs participant au programme d'auto-évaluation qu'ils transmettent à l'avance les données sur les envois de marchandises et les expéditeurs. C'est essentiel. En fait, des données altérables ne peuvent pas nous permettre de fonctionner. Pour pouvoir évaluer une personne, il faut des données initiales. On ne peut pas gérer le risque avec des données fournies après coup. Il faut des données initiales, afin de savoir qui arrive et quand. Il ne s'agit pas de savoir si... Dans ce cas, la transmission des données doit se faire le plus tôt possible, et non pas après coup ou même à la frontière, où il est trop tard pour en faire une analyse intelligente.

• 1630

Enfin, Revenu Canada devrait investir dans l'achat d'appareils de radio-détection à rayons gamma et en doter tous les grands ports de mer et aéroports du pays, afin de permettre l'inspection rapide, discrète et non destructive des marchandises—idéalement, des inspections ponctuelles.

Ensuite, Ottawa devrait soutenir financièrement l'essai dans les régions de prototypes de technologie susceptibles de favoriser l'atteinte de nos objectifs en matière de gestion de la frontière. Nous n'avons pas de réponses à beaucoup de ces problèmes; il faut expérimenter. La façon de faire consiste pour les deux gouvernements fédéraux à permettre à leurs directeurs régionaux de travailler avec les gouverneurs locaux et les premiers ministres pour piloter ces projets. Il faudrait d'ailleurs leur accorder un certain pouvoir discrétionnaire pour ce faire.

La gouverneure de la Nouvelle-Angleterre, Jean Shaheen, s'efforce de mobiliser les gouverneurs du Maine et du Vermont et de les convaincre de mettre au point, avec les premiers ministres du Québec et des Maritimes, des prototypes financés par les secteurs public et privé, tout en demandant le concours des directeurs fédéraux régionaux. On espère que le Canada sera réceptif à cette idée, qui est bonne.

Enfin, à titre de président du G-8, le premier ministre Chrétien devrait présenter le régime de «Contrôle outre-frontière» comme essentiel au libre-échange et à la prospérité mondiale. Plus précisément, le G-8 devrait adopter, à ses prochaines réunions, des normes permettant d'améliorer les contrôles aux points d'origine, ainsi que la sécurité au sein des réseaux de transport internationaux.

Nous avons l'occasion unique de ne plus nous contenter d'entretiens bilatéraux sur de menus détails, mais de permettre au Canada d'admettre que nous sommes confrontés à un problème de globalisation clair et net. Alors qu'on ne dénombre aujourd'hui pas beaucoup de personnes lucides à Washington à propos de certaines de ces questions, je sais que tel n'est pas le cas au nord de la frontière.

Ce n'est pas un problème que nous pouvons résoudre uniquement à l'échelle de l'hémisphère. Il s'agit en fait de savoir comment soutenir ce qui est vital pour la globalisation, dans un contexte où des malfaisants n'hésiteront pas à commettre des méfaits. Je crois que le Canada peut jouer un rôle clé—vu qu'il préside le G-8—en disant que les pays responsables insistent sur la nécessité d'établir des normes en vue d'améliorer la sécurité collective.

Ce faisant, je crois que nous serons en mesure de rester mobilisés, comme nous devons l'être si nous ne voulons pas capituler devant les terroristes, si nous voulons être une source d'inspiration pour le monde au lieu de vouloir le rétrécir et nous cacher derrière nos frontières.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur. J'ai hâte d'entendre les questions qui vous seront posées.

Monsieur d'Aquino, êtes-vous prêt à intervenir? Bienvenue de nouveau devant notre comité.

M. Thomas d'Aquino (président et chef de la direction, Conseil canadien des chefs d'entreprise): Monsieur le président, c'est toujours avec plaisir que je comparais devant votre comité.

Mon collègue, Sam Boutziouvis, et moi-même, allons vous faire un exposé très bref.

Tout d'abord, permettez-moi de dire que le témoignage de Stephen Flynn m'a fortement impressionné. Je vais lire une communication qu'il m'a remise sous forme d'ébauche seulement, mais qui doit paraître—je fais un peu de publicité pour lui—dans la revue Foreigh Affairs. S'appuyant sur le témoignage qu'il a donné aujourd'hui, je recommande à tous de la lire.

Nos observations vont être très brèves. Plutôt que de traiter des recommandations très précises que M. Flynn vous a présentées, nous allons essayer de répondre à un ensemble plus vaste de questions stratégiques liées au problème de l'intégration, qui, si je comprends bien, est l'un des mandats du comité.

Il ne sera pas surprenant pour quiconque parmi vous de m'entendre dire au nom de l'organisme que je représente—les 150 chefs de direction de nos plus grandes sociétés membres du CCCE—que nous considérons depuis longtemps et avec précision que la résolution de nos relations avec les États-Unis doit être une priorité pour les Canadiens.

Qu'est-ce que je veux dire par là? Nous avons un accord de libre-échange très avantageux qui a donné lieu à un débat très long dans notre pays. Le président, qui est un ancien professeur de droit commercial international, conviendra, j'en suis sûr, que ce débat sur une longue période a permis de sensibiliser les Canadiens à l'importance du commerce, et au degré élevé de la dépendance commerciale des emplois et des investissements canadiens.

À cet égard, même si l'accord de libre-échange—Dieu nous en garde—avait été rejeté et que nous nous retrouvions aujourd'hui un peu plus pauvres, les Canadiens auraient, à tout le moins, été un peu plus sensibilisés à la question du commerce, par suite de ce débat tenu dans les années 80.

• 1635

Toutefois, l'adoption de l'accord de libre-échange a créé une situation où l'intégration s'est accrue au niveau des sociétés ainsi qu'au niveau de la vie quotidienne dans l'espace économique nord-américain, mais en même temps, nous n'avons pas vu, que ce soit à la frontière ou dans un sens plus vaste, au niveau des institutions, le rattrapage à faire au plan économique.

C'est pour cette raison que lorsque le CCCE a lancé l'Initiative de leadership mondial du Canada il y a deux ans pour examiner comment le Canada pouvait devenir chef de file mondial, non seulement dans le domaine du commerce et de l'investissement, mais aussi dans sa vision d'un ensemble plus vaste de questions qui se posent à l'échelle de la planète, la question des relations canado-américaines occupait une place de premier plan. Toutefois, lors de notre sommet des chefs de direction à Toronto, nous avons décidé délibérément de mettre de côté nos études sur la question de l'avenir des relations canado-américaines, car nous avons pensé que notre ordre du jour consacré à la productivité, l'innovation et la réforme fiscale était déjà très chargé.

Toutefois, au cours des dernières années, ces études ont souligné qu'il était non seulement nécessaire de réfléchir à certains éléments de nos relations, mais aussi, plus précisément, qu'il fallait réfléchir à la frontière et faire preuve de beaucoup plus de créativité à cet égard, comme M. Flynn vous l'a exposé aujourd'hui.

En fait, ce remue-méninges a donné lieu à un livre écrit par un de mes collègues, David Stewart Patterson, et par moi-même, intitulé Northern Edge: How Canadians Can Triumph in the Global Economy. La thèse fondamentale de ce livre, c'est que nous devons diminuer les effets de la frontière si nous voulons terminer le travail pour lequel nous avons fait beaucoup de progrès ces dix dernières années au Canada.

Il y a dix ans, si j'avais comparu devant votre comité, j'aurais dit que les résultats de notre pays, pour la lutte contre l'inflation, étaient relativement médiocres par rapport à ceux des autres pays du G-8. Le Canada était assailli par des problèmes de déficit et de dette, le fardeau fiscal était écrasant et la croissance en matière de productivité et d'innovation par rapport à celle des États-Unis était en déclin.

Lorsque M. Michael Porter est venu sur notre invitation au Canada, vous vous rappelez que son diagnostic avait été assez sombre et extrême. En l'espace de dix ans, grâce à de bonnes politiques gouvernementales, grâce au sacrifice des Canadiens et, je crois aussi, grâce à la vision éclairée et dynamique du secteur privé, le Canada est aujourd'hui en bien meilleur état. Toutefois, notre devise reste faible et baisse depuis 24 ans. Nos actifs bon marché sont rachetés par des sociétés américaines, nous perdons des sièges sociaux et nous sommes tous confrontés au phénomène de l'exode des cerveaux.

Si je fais mention de tout cela, c'est parce que dans un certain sens, la solution à ces problèmes exige que l'on réfléchisse aux relations que nous entretenons avec les États-Unis ainsi qu'à notre vision de la frontière.

Le 10 septembre, un petit groupe d'entre nous, des Canadiens et des Américains, se sont rencontrés à Ottawa pour se pencher sur certains de ces problèmes. M. Peter McPherson, président de la Michigan State University, coprésidait cette rencontre où s'était retrouvé un ensemble fort éclectique de Canadiens et d'Américains, appartenant au monde des affaires ou non. Nous avons conclu que notre pays devait absolument opter pour une approche beaucoup plus intégrée de ses relations avec les États-Unis; qu'on ne pouvait plus continuer à traiter avec les États-Unis de manière fortement compartimentée—le ministre de l'Agriculture aujourd'hui, le ministre responsable de la culture demain, le ministre du Commerce ici, le ministre de la Défense là. Les relations sont en effet beaucoup trop importantes pour adopter une telle approche compartimentée.

En fait, dans le livre Northern Edge, nous allons jusqu'à recommander que dans le cadre de cette approche intégrée, le premier ministre préside un comité de ministres. Les relations sont si importantes qu'on ne peut les entretenir comme s'il s'agissait de relations avec un pays autre que les États-Unis.

Nous avons également conclu qu'une approche intégrée exigerait que le Canada examine les échanges de biens et services, la sécurité, la défense, l'immigration, les questions de réfugiés et de maintien de l'ordre et qu'en l'absence d'une telle approche intégrée, le Canada continuerait d'être de plus en plus relégué au dernier rang des priorités américaines, surtout à un moment où le gouvernement américain privilégiait ses liens avec le président Vincente Fox du Mexique.

• 1640

Toutefois, je dois vous dire qu'à la fin de notre séance, nous avons conclu que nous n'avions que deux choix. Le premier consistait à faire beaucoup de bruit—c'est-à-dire que la seule façon d'attirer l'attention des Américains consistait, comme dans les années 80, à proposer une grande vision, comme dans le cas du premier accord de libre-échange, et à peut-être parler d'une forme d'union douanière entre les deux pays.

Si une opposition politique à cette approche s'était manifestée au Canada et si les États-Unis avaient ressenti un certain ennui vu que la question n'était pas suffisamment importante, nous en avons conclu qu'en l'absence de crise, rien de très important n'allait arriver.

Le lendemain matin, une crise de taille s'est produite et, tout aussi tragique qu'elle ait pu l'être, je crois qu'elle a créé des opportunités assez extraordinaires pour le Canada. Tout à coup, les États-Unis ont dû s'intéresser à toutes leurs frontières, aussi bien au nord qu'au sud; en outre, parce que les États-Unis avaient l'impression que peut-être le Canada était un peu plus laxiste à l'égard des réfugiés, quelque peu laxiste en matière d'immigration... soit dit en passant, des perceptions bien réelles aux États-Unis ne sont pas fondées, vu qu'en fait un grand nombre de menaces et de problèmes surgissent au nord et ne se dirigent pas vers le sud.

Toutefois, une opportunité s'est offerte à nous compte tenu de l'attention portée à la frontière du nord et au coût que l'industrie a dû moduler en fonction des événements du 11 septembre, lorsque tout à coup, les Canadiens se sont rendu compte que si quelques points frontaliers, quelques points de passage obligés, quelques tunnels, quelques ports et quelques aéroports étaient fermés ou entravés gravement, les conséquences sur les emplois et les investissements dans notre pays seraient incalculables.

Ce réveil brutal nous a fait prendre conscience des questions que nous aurions dû régler il y a longtemps. Tout cela a donné lieu à une concentration beaucoup plus marquée des énergies au Canada et, dans une certaine mesure, aux États-Unis également. C'est ainsi que l'on peut expliquer le genre d'échanges très prometteurs entre le secrétaire O'Neill et le ministre des Finances Martin, à l'occasion de la fin de semaine du G-20, où le secrétaire O'Neill, animé d'un véritable sentiment d'urgence, a déclaré que nous devrions évaluer les progrès réalisés dans le domaine des questions transfrontalières non pas en termes de mois, mais de semaines. Les relations entre le ministre Manley, le gouverneur Ridge et Colin Powell, sans compter les travaux entamés par divers comités et fonctionnaires, sont des faits extrêmement importants et opportuns.

En effet, cela met en lumière un point soulevé par M. Flynn, à savoir que nous ne pouvons pas supposer qu'il n'y aura pas d'autres attaques terroristes. Nous ne pouvons pas supposer qu'il n'y aura pas d'attaques dont l'ampleur sera beaucoup plus catastrophique que celles menées contre le Pentagone et les tours du World Trade Centre.

Il y a donc ce sentiment d'urgence; par ailleurs, ce qui me semble positif, c'est l'ouverture d'un créneau très étroit que le gouvernement du Canada et certains acteurs aux États-Unis prennent au sérieux.

Toutefois, serons-nous en mesure de prendre des décisions assez rapidement? Nous avons pris des mesures internes. Le projet de loi sur le contre-terrorisme est une mesure très importante, puisqu'il traite de l'immigration, de ce que l'on appelle la sélection initiale, du fait qu'une étude très approfondie est maintenant faite au sujet des infrastructures nécessaires aux frontières. On reconnaît également qu'il existe des façons beaucoup plus novatrices de traiter du problème. Je ne vais pas les aborder, car M. Flynn les a décrites de façon assez impressionnante cet après-midi, mais permettez-moi seulement de citer celles sur lesquelles nous travaillons.

Par exemple, au sujet des personnes, nous avons plusieurs approches en ce qui concerne les visas, les États-Unis ayant quelque 60 dispenses, le Canada, 30. Il n'y a pas de raison pour laquelle les deux pays ne pourraient pas s'entendre sur une politique commune en matière de visas. Cela ne veut pas dire que le Canada doit se plier aux exigences des États-Unis et accepter tout ce qu'ils demandent, mais plutôt qu'il doit prendre des mesures qui en fait, sont bonnes pour l'ordre public au Canada.

Deuxièmement, l'information préalable sur les voyageurs; jusqu'à un certain point, elle est maintenant fournie par le système du transport aérien et, selon M. Flynn, par comparaison à d'autres formes de courants commerciaux et de circulation de personnes, elle jouit d'une protection blindée comme celle de la réserve d'or de Fort Knox. Il n'y a pas de raison que l'on ne puisse pas faire preuve de créativité à propos d'autres formes de courants commerciaux.

• 1645

Il y a ensuite toute la question du statut de réfugié. En réalité, 25 p. 100 des réfugiés arrivent au Canada par les États-Unis. Par contre, nous savons qu'il y a certaines lacunes—échappatoires—dans la façon dont nous traitons de la question des réfugiés. Il existe certainement une façon d'aborder la question qui pourrait être une approche conjointe permettant de rehausser le sentiment d'assurance et de sécurité dans les deux pays.

La question du partage initial et à l'avance des données douanières, du partage de l'information commerciale douanière, l'expansion du programme NEXUS, le concept d'installations conjointes—toutes ces mesures peuvent se prendre si la volonté politique pour ce faire est suffisante.

Si le petit groupe canado-américain dont j'ai parlé a adressé hier une lettre au président Bush et au premier ministre Chrétien, ce n'était absolument pas pour critiquer les deux chefs de l'exécutif, mais pour dire qu'il est impératif, du point de vue des deux pays, de s'efforcer de créer rapidement une zone de confiance entre nos deux pays.

J'ajouterais que les mesures prises à cet égard ne peuvent pas être dissociées d'un sujet que votre comité a souvent examiné avec beaucoup de compétence, soit toute la question de la capacité du Canada en matière de défense et de sécurité. Dans une grande mesure, la capacité de créer une zone de confiance ne pourra pas régler les questions que j'ai soulevées. À mon avis, il faut aborder la question de la capacité du Canada en matière de défense et de sécurité—qui, comme je l'ai dit publiquement auparavant et comme je vais le répéter, a malheureusement manqué cruellement de ressources pendant longtemps et mérite aujourd'hui, à la lumière des événements du 11 septembre, d'être examinée de très près.

Permettez-moi de conclure, monsieur le président, par une ou deux observations très rapides. Je crois que nous sommes arrivés à un point où le débat fort constructif qui a surgi dans notre pays incitera certains à dire que nous devons passer à l'action, passer à un grand projet. Je suis parmi les premiers à avouer que j'aime les grands projets, que j'y crois fermement et que je suis toujours passionné par l'idée d'un grand projet.

Tout comme l'Accord de libre-échange représentait en 1981 un grand projet pour moi, une union douanière entre le Canada et les États-Unis en serait un également. Je pense qu'il faut absolument éviter un débat qui pourrait devenir contre-productif. En effet, nous avons aujourd'hui une occasion qui ne nous force pas à envisager un grand projet, un projet susceptible de provoquer bien des débats et beaucoup de crainte dans notre pays et même dans certaines régions des États-Unis.

Nous avons aujourd'hui l'occasion de prendre des décisions sur six ou sept points au sujet desquels s'est déjà manifestée une volonté d'agir. Selon moi, si nous agissons sur tous ces fronts, nous pourrions en fait—d'ici 18 mois ou deux ans—avoir des relations d'un genre tout à fait différent et nous pourrions alors demander aux leaders politiques des deux pays de les redéfinir, comme ils le souhaitent.

Je vais conclure en appuyant fortement ce qu'a dit M. Flynn: même si la frontière est une question que nous devons régler très rapidement, pour toutes les raisons que vous connaissez si bien, nous n'arriverons pas à la régler à moins qu'une approche globale ne soit adoptée.

Selon moi, ce qu'a proposé M. Flynn, à savoir que le Canada joue un rôle de leader, que le premier ministre saisisse cette occasion—l'inscrive à l'ordre du jour de la séance du G-8 à Kananaskis—est une façon pour le Canada—qui jouit d'une bonne réputation et d'une bonne crédibilité dans le monde et dont les enjeux sont sans précédent au sein d'un système de libre-échange—de favoriser, à Kananaskis, une proposition en vue d'une approche globale afin de traiter de la question des transports et de la sécurité des transports. Je pense qu'elle serait extrêmement bien accueillie et servirait, comme l'a dit M. Flynn, de modèle—non seulement pour le Canada et les États-Unis, mais peut-être pour le Canada, les États-Unis, les Pays-Bas, Singapour et l'Allemagne—ce serait une excellente idée.

Je ne peux pas conclure sans parler du Mexique, ne serait-ce que quelques instants. Certains d'entre vous pourraient dire: «Eh bien, vous avez parlé de l'intégration, mais qu'en est-il de notre partenaire ALENA?» J'imagine que je vous donnerais la réponse suivante. Quelques Canadiens sont plus attachés au Mexique que moi-même; toutefois, je tiens à dire que l'approche envers l'Amérique du Nord doit être asymétrique.

Les problèmes du Mexique sont fort différents des nôtres. Je crois que nos autorités, et je dirais aussi celles des États-Unis, devraient éviter à tout prix d'essayer de régler ces questions de manière trilatérale. Le Mexique doit faire ce qu'il a à faire; le Canada également.

Nous avons une occasion qui n'est pas offerte au Mexique. Les événements du 11 septembre et notre réponse à la crise afghane et à la crise du terrorisme différencient très clairement le Canada du Mexique et nous offrent une occasion extraordinaire.

• 1650

Ce sont mes points de vue, monsieur le président. Je serais heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur d'Aquino. Notre comité fera probablement au printemps prochain une étude préalable au sommet du G-8 dont vous nous avez déjà parlé. Votre témoignage aura donc un double emploi pour nous. Merci beaucoup.

Monsieur Rhéaume?

[Français]

M. Gilles Rhéaume (vice-président, Politiques publiques, entreprises et société, Conference Board of Canada): Merci beaucoup. Mon nom est Gilles Rhéaume. Je suis un vice-président du Conference Board du Canada. M. Andrew Shea, un de nos recherchistes, m'accompagne.

Cet après-midi, nous allons parler un peu du travail que nous avons fait dans le domaine de l'intégration nord-américaine et de la sécurité du commerce extérieur.

Le Conference Board du Canada est une organisation privée, indépendante, à but non lucratif, qui compte plus de 1 000 membres dans l'ensemble du Canada. Sa mission est d'aider ses membres à développer la capacité de leadership pour un meilleur pays. Nous faisons cela en développant et en partageant des connaissances dans le domaine des tendances économiques, des questions d'organisation et de performances organisationnelles, et des politiques publiques.

Nos membres comprennent le secteur privé, les entreprises, les gouvernements, tels que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Nous comptons aussi des syndicats, des associations, des hôpitaux, des universités, des conseils scolaires. Donc, nous avons une variété de membres.

Nous ne représentons pas ces membres lorsque nous faisons l'analyse des politiques publiques. C'est pour cette raison que je dis que nous sommes indépendants. Nous examinons toutes ces questions d'une façon équilibrée, dans une perspective qui tient compte de toutes les facettes de la situation.

Depuis 1996, nous évaluons la performance socio-économique du Canada et nous produisons un rapport annuel. Dans la version 2001-2002, nous avons traité du thème de l'intégration nord-américaine, qui est un thème très important pour notre économie. Le message est que l'intégration est devenue beaucoup plus importante que nous le pensions et que cette intégration fait que, lorsque nous étudions les questions politiques, nous devons de plus en plus prendre en considération les intérêts du Canada dans le contexte nord-américain.

[Traduction]

Pour ce qui est de l'intégration économique nord-américaine, c'est un point qui est devenu très important pour notre pays. Nous envisageons des liens d'affaires plus étroits grâce au commerce, à l'investissement et au transfert technologique. Nos échanges ont augmenté de 140 p. 100 au cours des 10 dernières années. Les exportations à destination des États-Unis représentent près de 40 p. 100 de notre PIB. C'est donc une part importante de notre économie et tout ce qui peut toucher le mouvement des marchandises au sud de la frontière a un impact considérable sur notre économie.

Nous avons également des systèmes de production plus intégrés, comme le système de livraison au moment adéquat; c'est ce qui se passe dans le contexte nord-sud. Vous l'avez sans doute remarqué, les événements du 11 septembre ont non seulement déclenché la fermeture de nos frontières, mais aussi celle de plusieurs usines des deux côtés de ces frontières.

Nous avons mis au point des systèmes canado-américains complémentaires de transports et de communications. En fait, il y a plus de mouvement de marchandises dans le sens nord-sud que dans le sens est-ouest. Par conséquent, cette intégration économique nord-américaine est essentielle pour notre économie et notre bien-être.

La quasi-fermeture des frontières après le 11 septembre a montré que les questions de sécurité continuent de toucher la capacité commerciale du Canada. Si on ne les règle pas comme il le faut, l'attrait du Canada comme emplacement privilégié des industries desservant les marchés de l'Amérique du Nord, diminuera.

Il s'agit tout autant d'une question économique que d'une question de sécurité. Après les événements du 11 septembre, nous avons publié le 19 septembre une étude sur l'impact économique qui examine les répercussions de l'attaque terroriste sur l'économie canadienne.

D'après cette évaluation, l'impact total représente une baisse du PIB pour l'an prochain de l'ordre de 4,5 à 5 milliards de dollars. L'impact est donc considérable.

Il suffit d'examiner la question de la frontière canado-américaine pour s'apercevoir que les obstacles au commerce ne sont pas nouveaux. Ils existent depuis l'ALENA, mais se sont aggravés par suite des événements du 11 septembre.

Nous comprenons mieux maintenant qu'il existe un lien étroit entre la sécurité nationale et le commerce. Par conséquent, les options politiques retenues doivent en tenir compte et faire en sorte que la question de la sécurité ne soit pas abordée au détriment du commerce, mais que les politiques visant à régler la question de la sécurité améliorent également nos courants commerciaux.

• 1655

Tout cela a mené à un rapport que nous avons publié le 11 octobre, intitulé Border Choices—Balancing the Need for Security and Trade. Le rapport vise deux objectifs: préciser les concepts peu clairs dont il a été question, comme l'harmonisation ou un périmètre de sécurité. Ces concepts ont des sens différents selon les gens.

Ce rapport vise également à donner un aperçu des trois scénarios politiques qui, à notre avis, permettraient d'accélérer les passages à la frontière et d'améliorer la sécurité intérieure. Les scénarios permettent d'examiner ce qui peut se faire à court terme et à plus long terme, ainsi que le genre de grand projet dont a parlé M. Tom d'Aquino.

Je vais demander à Andrew de nous décrire brièvement chacun de ces scénarios, parce que chacun aura un impact sur les mesures que le Canada devra appliquer. Andrew.

M. Andrew Shea (associé à la recherche, Conference Board of Canada): Je vais vous décrire trois grands scénarios. Comme Gilles l'a dit, ces scénarios sont progressivement plus complexes et difficiles à réaliser. Dans un premier cas, il s'agirait d'améliorer l'efficacité à la frontière en traitant de façon plus intelligente les examens frontaliers. Un deuxième scénario nous amènerait à repenser les méthodes traditionnelles de gestion de la frontière grâce à une collaboration plus étroite et à la mise en place des initiatives mentionnées par le commandant Flynn. Dans un troisième scénario, il est proposé de coordonner de façon rigoureuse les politiques qui pourraient nous permettre d'éliminer complètement la frontière, et je pense que c'est ce que propose M. d'Aquino.

Le premier scénario fait appel à une plus grande efficacité à la frontière. Cela impliquerait le recours à diverses technologies et à des méthodes innovatrices d'inspection pour réduire la congestion sans fondamentalement modifier la nature de la frontière telle que nous la connaissons maintenant. Nous avions déjà mis en place certaines initiatives visant à améliorer l'efficacité à la frontière avant le 11 septembre. Il est généralement reconnu que les agences canadiennes ont devancé les États-Unis dans la mise en oeuvre de ces mesures et que le transport ferroviaire devance le transport routier, du moins pour ce qui est de la mise place de mesures plus efficaces applicables au transport de surface.

Pour que ces scénarios puissent fonctionner, le gouvernement et les entreprises de transport et de logistique doivent améliorer l'efficacité à la frontière. Les gouvernements doivent mettre en place un personnel suffisant et des systèmes informatisés adéquats. Les entreprises de transport et de logistique doivent en outre fournir une information adéquate sur la nature, l'origine et la destination des marchandises transportées.

Ceci étant dit, la frontière ressemble à un point de vérification par sondage et il est impossible d'inspecter de façon rigoureuse et de vérifier davantage qu'un tout petit pourcentage des marchandises qui traversent la frontière sans ralentir la circulation de façon significative. Comme nous l'a dit le commandant Flynn, dans le cas des conteneurs, cela représente moins de 1 p. 100. Par conséquent, il faut en faire davantage pour évaluer les risques ailleurs qu'à la frontière, de façon à mieux identifier les cargaisons ou les personnes qui pourraient poser un risque avant même qu'ils n'arrivent à la frontière. Cela devrait permettre à la circulation et aux personnes présentant un faible risque de traverser la frontière après une inspection sommaire. Dans notre document, ce scénario est comparé à l'abandon de la ligne Maginot pour une défense plus en profondeur.

En ce qui concerne le gouvernement, la forme la plus fondamentale de défense en profondeur fait appel à un partage d'informations entre les douanes et d'autres agences internes ou étrangères d'application de la loi. Malheureusement, il semble que peu d'efforts ont été faits en ce sens. Dans un rapport du mois d'avril 2000, le vérificateur général disait que Douanes Canada devait améliorer ses communications avec les autres ministères. Tout récemment, le 11 octobre dernier, le General Accounting Office, l'équivalent du vérificateur général aux États-Unis, a publié un rapport précisant que le U.S. Immigration and Naturalization Service, ou l'INS, ne dispose d'aucun plan approprié pour moderniser ses systèmes d'information, et cela est préoccupant.

Pour ce qui est de collaborer de façon générale et plus étroite avec les Américains, les choses semblent bouger un peu suite à la réunion tenue il y a deux semaines entre les ministres Martin et Cauchon et le secrétaire O'Neil.

Pour les entreprises, ce scénario exige un suivi des marchandises pour s'assurer que les systèmes de transport restent sécuritaires. Le commandant Flynn, comme nous l'avons vu, est beaucoup mieux placé que moi pour vous fournir davantage de détails sur les systèmes de transport sécuritaire.

L'évaluation des risques ailleurs qu'à la frontière favorisera l'instauration d'un climat de confiance de part et d'autre et nous permettra probablement d'atteindre nos objectifs en matière d'amélioration de la sécurité et du commerce.

Dans notre document, nous nous sommes aussi demandés ce qu'il faudrait faire si les scénarios 1 et 2, soit l'amélioration de l'efficacité à la frontière et le déplacement des mesures sécuritaires à l'écart de la frontière, ne nous permettaient pas d'assurer la libre circulation des marchandises dans un environnement sécuritaire. Dans cette éventualité, nous envisagerions la possibilité d'éliminer complètement la frontière. Dans ce cas-là, en plus de collaborer très étroitement au niveau de la sécurité et de l'échange de renseignements, nous libéraliserions davantage nos pratiques commerciales et nous créerions une union douanière. Il faudrait aussi harmoniser nos politiques en matière d'immigration avec celles des États-Unis.

• 1700

Comme variante à ce scénario, il serait possible d'éliminer les douanes et les services d'immigration tout en conservant des postes d'inspection agricoles comme il en existe présentement à la frontière de la Californie et d'autres états.

En dernier lieu, et cela est absolument crucial, il faut que les mesures envisagées incluent les douanes aussi bien que l'immigration. Ainsi, il est possible qu'il n'y ait aucune réduction des délais à la frontière si un camion est autorisé à circuler à partir d'un point éloigné de la frontière alors que l'INS des États-Unis n'a reçu aucune autorisation en ce qui concerne le chauffeur; en d'autres mots, il est possible qu'ils interceptent le camion pour demander au chauffeur de s'identifier et pour vérifier s'il s'agit d'une personne indésirable. Les services des douanes et de l'immigration doivent donc collaborer étroitement.

Je vais remettre la parole à Gilles et lui laisser le soin de conclure.

M. Gilles Rhéaume: Si nous voulons atteindre nos objectifs en ce qui concerne l'amélioration de nos échanges commerciaux et de la sécurité, il est important que nous n'agissions pas unilatéralement. La collaboration avec les Américains est donc cruciale.

Quant au scénario que vient de nous décrire Andrew, le premier serait le plus simple à mettre en place mais exigerait quand même certains investissements dans un domaine fort complexe, comme ce serait surtout le cas pour le troisième scénario qui fait appel à la création d'une union douanière complète. En conséquence, le scénario qui préconise l'amélioration de l'efficacité à la frontière pourrait être mise en place à court terme et raisonnablement rapidement, ce qui nous permettrait du moins de résoudre certains des problèmes dont nous sommes conscients.

Évidemment, si nous envisageons des mesures plus complexes, comme en propose le deuxième scénario, il faudra y consacrer davantage de temps. Quant au troisième scénario qui propose une union douanière, il faudra beaucoup de temps avant qu'une entente soit conclue.

Il est donc crucial de procéder rapidement. Il était extrêmement important que nous en parlions comme nous le faisons maintenant, mais plus vite nous agirons relativement à ces questions frontalières, mieux ce sera. Et cela ne nous empêche évidemment pas d'envisager des solutions à long terme pour notre pays.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Chers collègues, il ne nous reste plus qu'une demi-heure, je vais donc veiller à ce que personne ne dépasse la période de cinq minutes prévue pour les questions, comme le veut la règle, mais je suis habituellement assez souple lorsque nous disposons du temps voulu. Par contre, avant de passer aux questions, j'aurais quelques questions de procédure à soulever.

Premièrement, le sous-comité de M. Harb a rédigé un rapport sur les questions relatives à la frontière qui contient, comme vous le savez, certaines recommandations pertinentes qui mériteraient d'être transmises à la Chambre et au gouvernement. Certaines déclarations portant à controverse ont été éliminées du document, mais je ne pense pas que cela puisse affecter nos travaux futurs. Cela va éventuellement nous aider à compléter le rapport principal de notre comité et nous permettre en quelque sorte d'aller de l'avant concernant cette question.

Il semble que M. Harb ait parlé aux critiques de l'opposition responsables et qu'il a obtenu l'appui unanime de son sous-comité. À moins qu'un membre de notre comité ne s'objecte de façon précise à une quelconque de ces recommandations, je vous suggérerais d'adopter le rapport maintenant et il pourra ensuite le déposer en Chambre demain.

[Français]

Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Je n'ai pas de problème face à la recommandation, mais on s'était quittés sur certaines formulations et on avait mandaté la recherche...

La recommandation ne me pose pas de problème, mais il y a un ou deux endroits où, il me semble, le comité avait donné le mandat à des rédacteurs de faire des corrections qui n'ont pas été faites, selon moi. Mac, si tu es d'accord on pourrait s'entendre.

M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Oui, le plus important, c'était la question des recommandations.

M. Pierre Paquette: Les recommandations ne posent pas de problème.

M. Mac Harb: Le plus important pour nous, c'est qu'on dépose cela. S'il y a des erreurs de traduction en anglais ou en français, ici ou là, on peut toujours arranger cela d'ici demain.

Le président: La résolution contient la formule habituelle qui donne au président la possibilité de faire des rectifications éditoriales au texte. Le greffier m'informe qu'il a déjà été adopté dans sa forme finale au comité.

Le greffier du comité: Si j'ai bien compris, monsieur le président, il y a eu quelques modifications au sous-comité et le personnel du sous-comité s'est mis au travail le mercredi soir afin de faire les corrections nécessaires. Nous avons fait circuler un nouveau texte contenant ces modifications à tous les membres le jeudi après-midi. Monsieur Schmitz est peut-être plus en mesure que moi...

M. Pierre Paquette: Ce sont vraiment des détails.

• 1705

Le président: On va corriger cela. La résolution prévoyait qu'on allait déposer le rapport à la Chambre, mais il n'est pas nécessaire de le déposer demain. On nous donne la possibilité de faire des rectifications éditoriales, donc il pourra y avoir d'autres changements avant le dépôt du rapport. La résolution prévoit que le président est autorisé à présenter le rapport à la Chambre, mais je propose que ce soit le président du sous-comité qui soit autorisé à déposer le rapport devant la Chambre.

[Traduction]

Pouvons-nous donc autoriser M. Harb à déposer le rapport en Chambre?

Certains députés: D'accord.

Le président: Nous sommes autorisés à apporter des modifications à la forme et à la typographie et nous pouvons ordonner que 1 000 copies en format bilingue soient imprimées et le rapport sera déposé en Chambre par M. Harb?

Certains députés: D'accord.

M. Mac Harb: Merci beaucoup, monsieur le président.

D'autre part, nous allons examiner demain le projet de loi C-41. Je recommanderais donc aux membres du comité principal qui portent un quelconque intérêt à ce projet de loi qu'ils se présentent au sous-comité demain. Il s'agit d'un très court projet de loi dont la nature est technique. Ce projet de loi n'a absolument aucun impact sur les responsabilités de l'agence et l'administration de ses affaires. Nous souhaiterions en discuter jeudi prochain au comité principal pour qu'il soit éventuellement soumis à la Chambre dans les plus brefs délais. Si cela vous intéresse, vous êtes invités à vous joindre à nous.

En outre, nous avons une séance demain avec...

Le président: La Corporation commerciale canadienne.

M. Mac Harb: Oui.

De plus, nous allons accueillir demain le représentant de l'industrie laitière du Québec. Ceux qui s'intéressent à ces dossiers sont les bienvenus. La séance aura lieu à 4 h 30.

Une fois que nous en aurons terminé avec ces sujets, le comité reprendra son étude du libre-échange des Amériques.

Le président: Merci beaucoup.

Nous avons adopté le rapport. Nous sommes autorisés à le présenter à la Chambre, sous réserve des corrections que vous apporterez avec M. Paquette.

Je suis désolé de prendre autant de temps, mais nous devons discuter de cela pendant que nous avons quorum. Je signale aux témoins qu'il arrive parfois que les députés partent. Nous devons donc régler ces questions de logistique pendant que nous avons le quorum nécessaire.

Monsieur Pallister.

M. Brian Pallister (Portage—Lisgar, Alliance canadienne): Monsieur le président, je suis certainement ouvert aux amendements de mes collègues, mais conformément au paragraphe 81(5) du Règlement, je propose que le comité tienne des réunions pour examiner le budget supplémentaire (A) pour 2001-2002 pour le ministère des Affaires étrangères; que le comité invite le ministre des Affaires étrangères et des hauts fonctionnaires à comparaître devant le comité au sujet du budget supplémentaire (A) pour 2001-2002 dans les meilleurs délais, et au plus tard le 1er décembre 2001; et que le comité examine ce budget et fasse rapport à la Chambre au plus tard trois jours de séance avant le dernier jour désigné de la période en cours.

Monsieur le président, puis-je faire quelques brefs commentaires à ce sujet?

Le président: Oui, très brièvement.

M. Brian Pallister: J'ai parlé au ministre, et même si son calendrier est très chargé, il a mentionné qu'il serait sans doute disponible, pas la semaine prochaine—je crois qu'il est en Europe—, mais la semaine d'après. Par conséquent, je suis disposé à accueillir un amendement de la part de mes collègues qui modifierait la partie pertinente de la résolution qui précise «au plus tard le 1er décembre 2001». Il va de soi que nous voulons tenir compte du calendrier du ministre.

Le président: Chers collègues, avant de céder la parole à quelqu'un d'autre, permettez-moi de vous expliquer nos contraintes de temps. Pour pouvoir influer sur les subsides, il faut présenter notre rapport trois jours de séance avant le dernier jour désigné pour l'étude des subsides à la Chambre. Or, le dernier jour est le 10 décembre?

Une voix: C'est juste.

Le président: Mais le leader à la Chambre pourrait avancer cela. Ce pourrait être même le 4 ou le 5 décembre. Il serait très difficile de recevoir le ministre avant que les subsides fassent l'objet d'un vote à la Chambre, et s'il n'est pas là cette semaine, la semaine prochaine nous ne le rencontrerons probablement pas avant qu'il y ait eu vote. C'est ce que je pense. Par conséquent, je ne sais pas si vous voulez quand même présenter votre motion dans ces circonstances ou si quelqu'un veut la commenter. Il s'agit simplement d'un problème matériel, d'un problème de logistique par rapport à ce qui est proposé maintenant.

Avez-vous des commentaires à ce sujet, madame Carroll?

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Je veux simplement confirmer ce que vous avez dit, monsieur le président, les délais sont impossibles, mais M. Pallister a déjà commenté cela. Le ministre ne peut tout simplement pas comparaître devant le comité aux dates énoncées dans cette motion. D'ailleurs, je suis venu ici disposée à répondre à la motion actuelle.

Si M. Pallister veut repousser la date, il me faudrait réagir au nom du ministre après m'être entretenue avec lui. Mais je pense que les délais sont beaucoup trop serrés. C'est tout simplement infaisable.

• 1710

Le président: Vous pouvez proposer un amendement, mais je pense...

M. Brian Pallister: Je tiens à souligner à quel point il est important que nous étudiions le budget supplémentaire des dépenses, et c'est clairement là l'intention de la motion. Par conséquent, je suis tout à fait prêt à accepter un amendement qui supprimerait la portion qui dit: «au plus tard le 1er décembre 2001», si cela peut donner satisfaction à Mme Carroll.

Mme Aileen Carroll: Je voudrais savoir si vous seriez disposé à mettre «dès que possible», parce qu'aujourd'hui, je ne peux m'engager...

M. Brian Pallister: Oui. Volontiers.

Le président: Si le ministre n'est pas disponible, devrions-nous inviter des hauts fonctionnaires et essayer de procéder de cette façon? Préférez-vous attendre le ministre, tout en sachant qu'il se peut qu'il comparaisse après que la Chambre ait étudié le budget auquel cas, notre perspective sera plutôt historique que ponctuelle puisqu'on aura déjà voté à ce sujet à la Chambre?

M. Brian Pallister: Une perspective historique...

Le président: C'est mieux que rien?

M. Brian Pallister: Tout à fait.

Le président: Autrement dit, vous préférez entendre le ministre plutôt que les fonctionnaires?

M. Brian Pallister: Cela ne nous empêche pas d'inviter les fonctionnaires, si le comité le souhaite, mais je pense que nous devrions inviter instamment le ministre à venir.

Le président: Dans ce cas, nous essayerons de régler cela le plus tôt possible.

M. Brian Pallister: Dans la mesure du possible.

Le président: Nous acceptons cet amendement. L'amendement est accepté. Nous allons donc inviter le ministre et les hauts fonctionnaires à comparaître devant le comité au sujet du budget supplémentaire dès que possible.

[Français]

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Le troisième paragraphe demeure-t-il le même?

[Traduction]

Le président: Non. Il faudrait retirer cela car nous...

Une voix: Oui.

[Français]

Mme Marlene Jennings: Il faut le dire. Est-ce que M. Pallister l'accepte?

Le président: C'est bien.

[Traduction]

Merci beaucoup, chers collègues, d'avoir expédié cette affaire.

Nous allons passer aux questions. Monsieur Pallister.

J'espère que nos témoins et les députés pourront rester un peu après 17 h 30 étant donné que nous avons perdu 45 minutes, la première moitié de la séance.

La parole est à M. Pallister.

M. Brian Pallister: Tout d'abord, je vous remercie de vos exposés très informatifs. En outre, vous avez été très patients pendant que nous réglions ces questions pratiques.

Monsieur d'Aquino, je vais commenter vos observations brièvement.

Vous avez évoqué les dangers d'un débat non productif. Après mon bref commentaire, je vais vous donner l'occasion d'expliquer exactement ce que vous en entendez par «débat non productif».

Il me semble que nous sommes en présence d'une situation analogue au débat sur le libre-échange alors que certains membres du comité, j'en suis sûr, étaient farouchement opposés à ce concept. Les Canadiens ont été invités à participer au débat. Et à la suite de ce débat, nous sommes finalement allés de l'avant. Les Canadiens ont participé et je pense que c'était là un facteur positif et productif.

À l'heure actuelle, la situation est un peu la même à certains égards. Assurément au sens où il est difficile d'imaginer un moment dans notre histoire où les enjeux de la sécurité et du commerce, avec ce qui cela suppose comme possibilités d'intégration et de débouchés positifs, ont été aussi présents dans l'esprit de la population. Compte tenu des circonstances, je pense que le moment est idéal pour réaliser certains des objectifs que vous avez tous deux mentionnés dans vos interventions.

Je penche moi aussi en faveur d'un grand dessein. Je comprends ce que vous dites, que des demi-mesures sont préférables à l'immobilisme. Je comprends que c'est l'argument qui nous est présenté aujourd'hui. Et je reconnais que notre premier ministre n'est pas un homme très porté sur les grands desseins; il se perçoit plutôt comme un homme pratique, capable de résoudre les problèmes. Pour ma part, je crois que les deux perspectives sont indissociables à l'heure actuelle. Je constate qu'il y a de nombreux problèmes, potentiels et réels, qu'il faudrait régler. Et j'espère que le gouvernement verra que c'est là un défi à relever pour lui.

Parallèllement, la possibilité de concrétiser un grand projet est très réelle. Et encore une fois, je suis curieux de savoir pourquoi vous semblez dire qu'il serait préférable d'éviter le débat sur un projet d'envergure. Je pense au contraire qu'il est très opportun pour nous de s'y engager.

M. Thomas d'Aquino: Monsieur Pallister, lorsque vous dites que vous aussi êtes ouvert à l'idée d'un grand dessein, je vous comprends.

Je ne disais pas vraiment que le débat sur les grands enjeux comme l'union douanière—ou, pour ceux que cela intéresse, sur une monnaie commune—devrait être étouffé, qu'il devrait être mis en veilleuse. Cela ne serait pas acceptable. En fait, il est extrêmement important que ce débat se poursuive.

• 1715

Ayant été mêlé de près au premier débat sur l'initiative de libre-échange... nous avons commencé à en parler à l'automne de 1981 et l'accord de libre-échange n'a pas été signé avant le 1er janvier 1989.

Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'indépendamment des mérites d'une union douanière, qui sont considérables, lancer un débat... Par exemple, supposons que votre comité recommande au Premier ministre de rencontrer son homologue américain pour lui dire: «Nous avons tous ces problèmes qui doivent être réglés de façon intégrée. Commençons à négocier une union douanière.» Je peux vous dire que d'ici à ce que le débat s'amorce, d'ici à ce que les divers intervenants puissent se faire entendre, il faudra des années pour résoudre les problèmes que nous souhaitions régler en quelques semaines.

Monsieur Pallister, il faut certes avoir ce débat. D'ailleurs, il a déjà commencé. Plusieurs membres du Parti libéral ont dit ouvertement que nous devrions examiner l'éventualité d'une union douanière. Si des membres du Parti libéral l'ont dit, il va de soi qu'on ne saurait nier le même privilège aux membres du Parti conservateur, du Bloc et des autres partis.

D'un point de vue stratégique et pratique, nous avons un créneau relativement petit. S'il faut en croire le commandant Flynn, et je pense qu'il a raison, il suffirait d'une autre attaque terroriste d'envergure pour que la frontière soit hermétiquement fermée. Et à ce moment-là, que ferions-nous?

Voici mon argument. Il faut bouger très rapidement dans ce dossier et laisser aux penseurs et aux théoriciens qui veulent envisager les choses dans un contexte plus vaste se livrer à une réflexion, mais il ne faut pas mélanger les deux.

M. Brian Pallister: Il faut être juste, c'est ce que vous dites. Il faut aussi avoir la sagesse de pouvoir faire la différence. Certains éléments pourront être mis en place avec succès. Dans d'autres dossiers, vous anticipez des problèmes.

D'ailleurs, l'un des domaines où vous vous attendez à une levée de boucliers, c'est celui du faux débat sur la souveraineté. Ai-je raison? Si j'en parle, c'est que vous avez mentionné le manque de ressources flagrant de la défense dans notre pays, ce qui est une préoccupation partagée par bon nombre d'entre nous. Le piètre financement de la capacité de défense est certainement le plus grand obstacle à l'exercice de notre souveraineté à l'heure actuelle. Compte tenu de cette réalité, qui représente une menace réelle à notre souveraineté, pensez-vous que le débat sur la souveraineté n'a rien à faire dans ce contexte?

M. Thomas d'Aquino: Monsieur Pallister, en tant que Canadien participant à l'élaboration de la politique gouvernementale, vous savez que la question de la souveraineté est toujours présente. Elle a toujours été présente en filigrane dans l'histoire de nos relations avec les États-Unis.

Ce que je trouve très encourageant, c'est que le 11 septembre a déclenché une réaction de la classe politique au Canada à bien des égards. On note un changement d'attitude face à certaines de nos politiques les plus controversées qui montre très clairement que les Canadiens veulent la sécurité par-dessus tout, pas aux dépens du respect des droits de la personne, mais ils veulent la sécurité par-dessus tout. Deuxièmement, ils reconnaissent que les mesures que nous prenons en collaboration avec les Américains ne doivent pas être prises uniquement pour satisfaire les Américains. Elles doivent tout d'abord respecter le critère fondamental, soit constituer une bonne politique stratégique pour le Canada.

Lorsque nous avons des discussions à ce sujet, les gens me demandent: «Faites-vous cela parce que vous avez peur des Américains?» Et je leur répond: «Non, nous le faisons parce que c'est une bonne politique stratégique pour le Canada. L'avantage concomitant, c'est que cela plaira à nos alliés américains à bien des égards, mais au premier chef, il faut que les mesures en question constituent une bonne politique stratégique pour le Canada.»

Une forte capacité de défense, une politique de réfugiés raisonnable, une politique d'immigration raisonnable, une bonne infrastructure entre le Canada et les États-Unis, qu'il s'agisse de ponts, de tunnels, de procédures de sécurité serrées aux aéroports—, toutes ces mesures ne devraient pas être prises faire plaisir aux Américains. C'est ce que souhaitent les Canadiens et c'est la raison pour laquelle nous devrions agir en ce sens. En corollaire, ces initiatives auront également des répercussions officielles sur nos relations avec les Américains.

M. Brian Pallister: Merci de vos commentaires.

[Français]

Le président: Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette: Moi aussi, je vous prie de nous excuser du peu de temps qu'on aura pour la discussion, parce que je trouve que vous avez amené des points très intéressants. Je ne suis pas nécessairement d'accord sur tout ce qui a été dit, mais disons que ça rejoint beaucoup de préoccupations. C'était très centré sur les problèmes transfrontaliers, les problèmes liés à la frontière et à la sécurité.

L'étude qu'on fait porte sur l'intégration nord-américaine, donc sur quelque chose de beaucoup plus large aussi. Je suis tout à fait d'accord avec M. d'Aquino qu'il y a des choses qu'on peut résoudre à court terme et d'autres à plus long terme.

• 1720

Vous avez évoqué l'idée d'une zone de confiance. D'autres ont appelé cela le périmètre de sécurité, mais enfin. Cela a fait l'objet d'une fin de non-recevoir. On a proposé à plusieurs reprises de mettre sur pied des comités de travail simplement pour voir ce que ça pourrait vouloir dire, pas nécessairement à court terme, mais à moyen et à long terme. Or, comme vous le savez, il n'y a pas eu d'intérêt, du côté du gouvernement, à ouvrir ce chantier.

On avait proposé aussi que le Mexique en fasse partie, tout en étant conscients du fait que le Mexique n'a pas nécessairement les mêmes problèmes que le Canada à la frontière. Mais c'est un partenaire nord-américain, et on aurait intérêt à connaître ce qui se fait entre les États-Unis et le Mexique. J'ai été surpris d'apprendre d'un témoin qui est venu ici hier—M. Sands, je pense—qu'ils ont des discussions avec les Mexicains sur à peu près les mêmes sujets que nous, c'est à dire l'autocotisation des entreprises, des cartes, alors que l'impression qu'on a au Canada, c'est qu'il y a des problèmes à la frontière mexicaine qui sont vraiment d'un autre âge.

Alors, dans une perspective à moyen et à long terme, est-ce que le Canada n'aurait pas intérêt à chercher à travailler davantage sur ses rapports avec le Mexique, tout en étant conscient qu'à court terme, la nature des problèmes n'est pas la même?

Donc, je vous relance la question, car je crois que l'on sous-estime le poids du Mexique et que l'on manque de vision en n'investissant pas davantage dans nos relations avec les Mexicains pour, en partie, faire contrepoids aussi aux préjugés américains.

Je me tourne vers vous, monsieur Flynn. Ce matin, quelqu'un nous a dit, peut-être pas de cette façon-là mais ça revenait à cela, que le Canada est en partie responsable de ses problèmes avec les États-Unis, parce qu'on ne sait pas ce que veut le Canada dans ses relations avec les Américains. Donc, nous aurions intérêt à être plus clairs quant à nos attentes envers nos partenaires américains et à être plus cohérents aussi dans ces attentes.

J'aimerais que vous commentiez cet aspect-là et que M. d'Aquino commente l'aspect du Mexique. Si M. Rhéaume veut ajouter quelque chose, il est le bienvenu.

M. Thomas d'Aquino: Monsieur Paquette, merci de cette question. C'est très important parce que, comme vous le savez, nous avons des relations importantes avec le Mexique. Je dois dire qu'après le 11 septembre, on a vu clairement la grande différence entre le Mexique, les États-Unis et le Canada.

[Traduction]

Vous voulez savoir ce que j'entends par là? J'ai parlé de l'histoire d'amour avec Vincente Fox, dont je suis un grand admirateur. Il m'a invité à son inauguration et j'ai même voyagé avec lui au cours du week-end de l'inauguration. Par conséquent, j'ai eu l'occasion de le voir en action.

À mon avis, ce qui se passe au Mexique est remarquable et nous devons appuyer fermement cette évolution. Cependant, le 11 septembre a mis en relief le fait que le Mexique est une société qui a une attitude différente envers les États-Unis. Il n'y a pas eu de rassemblement réunissant 100 000 personnes endeuillées au Mexique. Il a d'ailleurs fallu attendre un certain temps avant que le gouvernement mexicain réagisse officiellement.

Le ministre des Affaires étrangères Castaneda qui a eu le cran de dire que les États-Unis avaient le droit de lancer des représailles à la suite des attaques, a été dénoncé dans les grands éditoriaux de Mexico, qui ont dit que sa carrière était ensevelie sous les décombres des deux tours du World Trade Centre.

Comme mes amis mexicains le disent, si la réaction a été aussi différente—sur le plan militaire, financier et émotif—, c'est que le Mexique a des rapports très différents des nôtres avec les États-Unis.

Ce que j'essaie d'expliquer, c'est que la tragédie du 11 septembre a fait ressortir très clairement que sur le plan des valeurs, des engagements dans le domaine de la défense, de nos obligations envers l'OTAN, qui ont été mises à contribution à la suite de l'attaque, de la façon, empreinte de confiance, avec laquelle nous réglons les problèmes transfrontaliers, nos rapports avec Etats-unis sont différents. Tous ces facteurs nous donnent maintenant l'occasion de travailler de façon asymétrique vis-à-vis des États-Unis. Cela ne veut pas dire exclure le Mexique. Cela signifie, par exemple, que si nous allons de l'avant dans tous les dossiers dont nous avons parlés plus rapidement que ne le font les Mexicains, il n'y a pas de raison que nous ne puissions créer plus tard un modèle auquel ils pourraient adhérer plus tard, comme ils l'ont fait avec l'ALENA.

[Français]

M. Pierre Paquette: C'est dommage qu'on manque de temps. Ce qu'on nous a dit hier, c'est que, justement, depuis le 11 septembre, la frontière sud n'intéresse plus l'opinion publique américaine. Ce qui les intéresse, c'est la frontière nord. Alors, contrairement à ce que vous dites, nous sommes devenus un problème et les autres sont devenus un problème moins important à court terme.

• 1725

La deuxième chose, c'est qu'il y a une minorité latino-américaine aux États-Unis composée de gens qui sont des Américains et qui, comme les autres Américains, ont vécu ce drame. Ces gens-là sont des alliés du Mexique. Je ne veux pas minimiser ce que vous dites et je comprends très bien que les Mexicains n'aient pas réagi comme nous. New York est à quelques heures de Montréal et de Toronto. Je pense qu'on aurait, sur la moyenne portée, intérêt à tisser davantage de liens avec le Mexique.

M. Thomas d'Aquino: Je suis d'accord qu'on doit travailler avec les Mexicains, et il y a certains sujets sur lesquels on peut travailler ensemble. Je suis totalement d'accord.

Quand je parle d'une ouverture stratégique, c'est parce que les États-unis ont vu, après le 11 septembre, que la réaction du Canada et celle du Mexique étaient très différentes. Je dois dire qu'avant le 11 septembre 2001, ça, ce n'était pas clair, du moins dans l'esprit des leaders et peut-être dans l'esprit du président Bush et de certaines personnes dans son entourage.

[Traduction]

Le président: Monsieur Flynn, vous avez peut-être un commentaire qui s'inscrit dans une perspective américaine des deux frontières.

M. Stephen Flynn: Bien sûr.

Avant le 11 septembre, j'aurais fait valoir—ce que j'ai fait avec certains de mes amis canadiens—qu'il fallait que le Canada comprenne et accepte le fait que le pouvoir politique à Washington était d'avantage orienté vers le Sud, et que la relation que le président Bush avait nouée avec son homologue alors qu'il était gouverneur, est très puissante.

Je disais en plaisantant que le Texas n'avait plus besoin de déclarer l'indépendance, que cet État s'était emparé de l'Union. Lorsqu'on voit où est située la concentration du pouvoir, en matière de fraontières, le point de référence était la frontière sud-ouest et non la frontière nord.

Pour ce qui est de l'après 11 septembre, je suis tout à fait d'accord avec M. d'Aquino. On a soudainement compris la différence de maturité dans la relation que nous avons avec les Etats-Unis, en comparaison avec celle du Mexique. Le Mexique est une oeuvre en cours d'élaboration. De toute évidence, les relations américano-canadiennes sont très solides, et c'est dans ce contexte que je pense que nous pouvons faire progresser relativement rapidement ces dossiers très épineux.

Mais je dirais—et je ne pense pas que quiconque soit en désaccord avec cela—qu'en dernière analyse, même si j'ignore si cela justifie une conversation du G-8—, tout s'articule autour du maintien de la libre circulation des personnes et des marchandises sur la planète. C'est vraiment le coeur du problème. Toute la crédibilité de ce principe a été remise en question par les tragiques événements du 11 septembre.

Le Mexique a autant voix au chapitre que le Canada ou que tout autre pays. En fin de compte, nous aimerions aller de l'avant à ce sujet dans le contexte des relations États-Unis-Mexique et des relations trilatérales.

Mais je pense qu'il est primordial de faire l'essai de prototypes de technologies. De cette façon, nous pouvons montrer ce que l'hémisphère devrait faire. La zone de libre-échange des Amériques devra tôt ou tard adopter des mesures de ce genre. Faisons donc tout ce que nous pouvons le plus tôt possible, le long de la frontière entre les États-Unis et le Canada, toujours avec l'idée, parce que je ne voudrais sûrement pas que ce soit limitatif, de déterminer où nous aimerions que ces mesures soient adoptées le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Ce que j'ai constaté quand je me suis rendu aux frontières entre les États-Unis et le Mexique, et c'est ce qui m'inquiète, c'est que le renforcement des frontières les a rendues moins sécuritaires. Je suis inquiet de ce vers quoi nous pouvons nous diriger sur le plan de la sécurité, qui est mon champ d'activité.

Pourquoi en est-il ainsi? Essentiellement, le renforcement de la frontière crée plus de confusion et rend la surveillance policière plus difficile. Cette mesure encourage énormément la corruption. Elle a rendu le secteur du camionnage, qui était composé surtout d'entreprises familiales, très difficile à réglementer. On ne va pas, par exemple, acheter un camion doté d'un équipement moderne afin de lui faire faire la queue pendant six heures pour franchir vingt milles sans cargaison. Le chauffeur, qui est payé 7,50 $ pour livrer la marchandise, que cela lui prenne une heure et demie ou six heures, risque fort d'être tenté de transporter autre chose.

Beaucoup de mesures prises visiblement pour accroître la sécurité nuisent justement à la sécurité. Je pense qu'il serait ridicule de reproduire ce modèle le long de la frontière située au nord des États-Unis.

Finalement, même dans le cas des relations entre les États-Unis et le Mexique, il faut faire plus qu'ériger un mur entre les frontières, et s'attaquer aux problèmes très difficiles de l'immigration, des stupéfiants et du terrorisme.

J'ai examiné beaucoup les problèmes dont nous avons parlé aujourd'hui en tenant compte non pas seulement de la menace terroriste, mais aussi des risques biologiques, des maladies, des crimes de toutes sortes et du trafic d'êtres humains auxquels nous sommes confrontés. Un acte horrible s'est produit l'an dernier quand une cinquantaine de Chinois sont morts ou ont suffoqué dans un conteneur.

Nous avons des règles commerciales très difficiles à faire appliquer, au point d'origine et le reste. Les contrôles à l'exportation que nous imposons à l'encontre de gens comme Saddam Hussein sont impossibles à faire appliquer, tout comme les sanctions économiques que nous infligeons souvent dans le cadre de nos politiques étrangères. Toutes ces mesures sont en grande partie inutiles parce que nous n'avons pas la capacité de distinguer le bon du mauvais.

• 1730

Il faut agir globalement, mais je proposerais que nous commencions par la frontière entre le Canada et les États-Unis en prenant des mesures concrètes très rapidement. C'est important de le faire pour déterminer comment on pourra agir de façon plus rationnelle.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur O'Brien.

M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Monsieur le président, merci beaucoup. Je suis d'accord avec ceux qui ont dit que les déclarations des témoins étaient intéressantes.

Ma première question s'adresse à M. d'Aquino et porte sur l'union douanière. Je pense que tout le monde ici convient que ce n'est pas une idée nouvelle; en fait, on en parlait avant la Confédération. Je pense que nous devrions en discuter de nouveau, mais il faut définir les termes. Je ne crois pas que les parlementaires s'entendent sur une définition, et encore moins le grand public, qui ne suit pas l'actualité d'aussi près que nous.

Je ne sais pas si vous pouvez nous donner un bref aperçu des principaux éléments d'une union douanière. Si c'est possible, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Monsieur Flynn, c'est très intéressant de savoir que l'intensification des contrôles aux frontières entre les États-Unis et le Mexique donne des résultats contraires à ceux recherchés. Je viens du sud-ouest de la province, de London en Ontario, plus précisément. La situation aux postes frontaliers nous a beaucoup touchés, puisque Windsor se trouve tout près.

Comment pouvons-nous à la fois améliorer la sécurité et assurer la circulation des marchandises et des personnes qui traversent tous les jours et en grand nombre la frontière avec les États-Unis pour leur travail... Comment atteindre ces deux objectifs?

Ensuite, je ne sais pas ce que vous connaissez du système NMD, mais pensez-vous que, depuis le 11 septembre, les États-Unis sont plus ou moins susceptibles de préconiser ce système, compte tenu de ce que vous nous avez dit?

Je ferais mieux de m'arrêter ici, je pense, monsieur le président.

M. Thomas d'Aquino: Pour répondre à votre question, monsieur O'Brien, dans notre ouvrage Northern Edge, nous définissons l'union douanière comme étant le deuxième niveau d'intégration régionale après la création d'une zone de libre-échange, et elle suppose l'adoption d'une politique commune sur le commerce extérieur de façon à permettre la libre circulation des produits et des services à l'intérieur du territoire visé.

Ce qui veut dire que, dans le contexte de l'ALENA, le Canada et les États-Unis ont encore beaucoup de problèmes à régler en ce qui concerne les lois sur les recours en matière de commerce, les préférences d'achat des gouvernements ainsi que les restrictions de sécurité et à la frontière, les programmes et les méthodes agricoles établis par les États et le fédéral, les questions de normes et les règles sur les règlements des différends.

Nous savons qu'il reste du travail à faire dans tous ces domaines. Si nous pouvions en arriver à une entente, autrement dit tout concilier, uniformiser les lois sur les recours en matière de commerce—et le président qui est avocat en droit commercial le sait—nous aurions franchi une étape extrêmement importante dans l'atteinte de notre objectif.

Le président: Monsieur d'Aquino, je présume qu'il faudrait ajouter à cette liste tous les accords commerciaux bilatéraux qui existent entre les États-Unis et Israël, le Canada et Israël, le Canada et le Chili, le Canada et le Costa Rica, que nous venons de conclure, et avec Cuba, ainsi que quelques autres broutilles.

M. Sam Boutziouvis (vice-président, Commerce international et économie mondiale, Conseil canadien des chefs d'entreprise): Monsieur le président, une politique commune en matière de commerce international suppose des tarifs douaniers communs.

M. Pat O'Brien: Si ce n'est pas trop demandé monsieur d'Aquino, j'aimerais savoir si vous et votre organisme pourriez, à un moment donné, remettre au comité les paramètres que vous venez d'exposer, en y apportant les détails que vous voulez? Je pense que c'est important.

• 1735

Certains diraient qu'en extrapolant ce que vous venez d'expliquer on aboutirait finalement à la réalisation de la destinée manifeste des États-Unis qui date du XIXe siècle. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec cela, mais c'est une crainte réelle, et il faudra s'attaquer à ce problème sans détour.

M. Thomas d'Aquino: Je sais que c'est ce que vous pensez, mais il y a une différence bien nette entre ce que j'ai dit et un marché commun. Certains pensent que cela nous mènerait à des institutions communes comme celles qui existent au sein de l'Union européenne. Je ne pense pas que c'est réaliste. À mon avis, cela ne peut pas marcher, mais il est certain qu'un débat sur une union douanière serait utile.

M. Pat O'Brien: Je suis d'accord, mais j'aimerais qu'on définisse cette expression, et j'aimerais que vous puissiez nous fournir quelque chose de plus détaillé.

Le président: Nous allons nous procurer le livre.

M. Pat O'Brien: Oui, d'accord. Le président devrait nous en acheter des exemplaires pour Noël.

M. Thomas d'Aquino: En fait, nous avons envoyé des exemplaires du livre à tout le monde, et je constate, d'après votre réaction, que certains d'entre vous ne l'ont peut-être pas encore lu.

Le président: Je l'ai mis sous mon oreiller en espérant l'assimiler par osmose.

M. Pat O'Brien: Puis-je entendre la réponse de M. Flynn?

Le président: Monsieur Flynn.

M. Stephen Flynn: D'abord, au sujet des problèmes de congestion à la frontière, nous avons une occasion d'agir, et ce nouveau paradigme de sécurité est utile dans une certaine mesure.

Vous savez probablement tous comment on a créé le réseau routier inter-États aux États-Unis. C'est le président Eisenhower qui l'a fait construire comme mesure de sécurité nationale, malgré la réticence des États qui craignaient que les routes bordées de petits restaurants soient désertées. Il faut aussi dire que les contrats routiers étaient une source de corruption dans beaucoup d'États et que le gouvernement fédéral venait tout à coup s'en emparer. Mais, évidemment, cette mesure a été déterminante dans l'intégration du marché américain à l'intérieur du pays.

Je dirais qu'on aurait dû en faire davantage avant le 11 septembre pour régler les problèmes d'infrastructure et de congestion et pour corriger toutes sortes d'aberrations administratives à la frontière. Je tiens à répéter que ce que j'ai constaté aux postes frontaliers du Texas et de la Californie reste valable pour nous aussi, c'est-à-dire que plus la confusion est grande à la frontière entre le Canada et les États-Unis, plus les terroristes sont susceptibles d'en profiter.

C'est donc pour des raisons de sécurité nationale qu'on doit améliorer l'infrastructure et l'accès routier et enfin simplifier les formalités administratives aberrantes exigées à la frontière pour faciliter la circulation des gens honnêtes, parce qu'on n'a aucune raison de faire attendre davantage les gens quand il est confirmé que leurs activités sont légitimes. Vous constaterez—et cela se vérifie dans le cas de la frontière au sud-ouest des États-Unis—que la confusion attire la concentration du crime organisé, et favorise la fraude. Les marchandises en attente sont très vulnérables.

Dans une certaine mesure, je verrais—et je pense qu'on pourrait commencer à en parler bientôt... Je sais qu'il a été proposé en Ontario d'établir un corridor dans la péninsule et qu'on parle de jumelage dans le cas du Peace Bridge ou du pont distinctif. On devrait penser à ce genre de choses. Il devrait y avoir un lien commercial dédié. On devrait installer une zone d'inspection à l'extérieur de Toronto, où se fait le chargement de beaucoup de marchandises à destination des États-Unis. Le dédouanement et les autres formalités pourraient être effectués à partir de là. Les camions pourraient ensuite prendre l'autoroute, qui serait bordée de murets de béton et équipée de transpondeurs pour assurer la surveillance en tout temps, et se rendre même jusqu'en Floride. Rien ne nous empêche de le faire. La géographie est notre seule limite.

Devant un public américain, je blague au sujet du poste d'inspection à l'entrée du pont Ambassador, en disant qu'on ne peut surtout pas laisser les camionneurs canadiens traverser la rivière Détroit sans les bloquer à l'entrée du fameux pont. C'est ridicule. Ce n'est pas le meilleur endroit pour faire les vérifications. Si deux pays peuvent discuter ensemble dans le Complexe de Cheyenne Mountain, accompagnés de leur lieutenant général respectif qui a un doigt sur le bouton fatidique... Si nous pouvons gérer cette menace, nous devrions être capables d'arriver à nous entendre sur la façon de faire ces inspections.

En fait, il faut faire les contrôles frontaliers loin du pont et du tunnel et trouver un moyen de faire circuler efficacement les biens et les personnes pour éviter la confusion créée dans les localités.

Le président: Et les inspecteurs qui viennent travailler de l'autre côté de la frontière accepteront-ils de laisser leurs armes chez eux?

M. Stephen Flynn: C'est un problème important pour le Canada. Je sais que c'est une question délicate, et je peux comprendre pourquoi.

Il reste qu'il est difficile pour moi d'expliquer aux Américains que les Canadiens tiennent à régler ces problèmes de sécurité quand on ne peut pas permettre à l'inspecteur des douanes qui travaille au poste frontalier d'Alburg d'utiliser la toilette qui se trouve à l'autre bout de l'immeuble de 1 200 pieds carrés, du côté canadien de la frontière, alors qu'il y a au même endroit une maison qui chevauche la frontière et dont les occupants dorment au Canada et mangent aux États-Unis. Force est de constater que la frontière est assez floue.

• 1740

Je sais que c'est un sujet très délicat, mais les Français et les Britanniques ont réglé un problème du même genre. À l'entrée et à l'intérieur du Chunnel, les Français peuvent porter leur arme et il n'y a qu'un seul poste de douane dans le tunnel sous la Manche. Si on n'arrive pas à s'entendre au sujet des immeubles, il est un peu illusoire de penser régler les autres problèmes.

Le président: M. O'Brien a posé une question au sujet du système MND, puis ce sera au tour de Mme Augustine.

M. Stephen Flynn: Brièvement au sujet du système MND, je suis d'avis—et j'en ai déjà parlé—que, quand on met une arme dans un conteneur, il se passe deux choses: un, on tue beaucoup de gens et on détruit beaucoup d'installations et, deux, on paralyse le marché mondial des conteneurs. Quand on envoie un missile, on tue beaucoup de gens et on détruit beaucoup d'installations. Si je devais établir un ordre de priorité, je choisirais la mesure la plus risquée qui comporte plus d'une conséquence, mais je n'ai pas eu gain de cause.

C'est presque une question de religion aux États-Unis, et on va donc continuer d'en parler, mais avec assurément moins d'ardeur. Des gens sérieux à Washington, dans les deux partis, tiennent à s'occuper des problèmes frontaliers, pas du bouclier antimissile. Mais il existera. Il fera partie du système.

Le président: Merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je tiens moi aussi à vous remercier de votre exposé. J'aimerais simplement savoir... Commandant? D'accord. J'essayais de comprendre ce que...

M. Stephen Flynn: Je suis ici à un autre titre, et pas en tant que représentant du gouvernement américain. Je veux que ce soit clair.

Le président: En Afghanistan, le «commandant» a un autre sens, ce qui nous rend un peu nerveux, monsieur Flynn. S'agit-il d'un taliban ou quoi?

M. Stephen Flynn: Appelez-moi Steve Flynn.

Mme Jean Augustine: Monsieur Flynn, nous voulons assurer la sécurité de tous et établir une frontière perméable, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'autonomie du Canada, de sa souveraineté. Je sais que M. d'Aquino en a parlé, mais vous semblez vouloir éviter le sujet sans tenir compte des gens de ma circonscription qui se préoccupent de notre identité en tant que Canadiens et de trouver un mode de fonctionnement qui soit favorable pour nos deux pays.

De plus, pendant que vous expliquez toute une série de technologies comme les systèmes GPS et DTM, la collecte de données, la biométrie, les rayons gamma, le système GLONASS et j'en passe, je pense à la liberté de l'information, à la protection des renseignements personnels, à la Charte des droits, et le reste. Pouvez-vous en quelque sorte résumer comment vous percevez toute la question de notre souveraineté et de notre charte dans ce contexte? Logiquement, ce que vous dites est valable. Pour les Canadiens, par contre, je pense que toutes ces mesures sont un peu inquiétantes.

M. Stephen Flynn: Je suis certes sensible à la question. Il est évident qu'un des problèmes qui nous préoccupe le plus au sujet de la mondialisation est le risque d'une homogénéisation culturelle et, dans une certaine mesure, la marginalisation de beaucoup de parties du monde. Ce sont des problèmes bien réels dont il faut continuer de discuter très sérieusement.

L'expérience européenne a ceci de positif: alors que nous nous attendions à ce qu'il y ait des mouvements de masse, une certaine uniformisation, ainsi de suite, la plupart des gens sont restés sur place parce qu'ils aiment leur maison, leurs voisins, leur langue, leur culture. Ce sont ces facteurs qui, souvent, nous lient à la collectivité, et non pas l'inspecteur en uniforme qui est chargé de surveiller une frontière artificielle. Nous disposons de nombreux moyens de nous identifier en tant que peuple, chose que nous avons parfois tendance à oublier.

En ce qui concerne les données qui doivent être fournies, l'élément important ici, c'est la communication même des données, non pas les atteintes à la vie privée que cela peut entraîner. La personne qui traverse une frontière internationale doit fournir des pièces d'identité et expliquer l'objet de son voyage.

• 1745

À l'heure actuelle, ces données sont recueilles au point d'entrée alors que nous avons des technologies qui nous permettent de le faire beaucoup plus tôt. Nous cherchons à obtenir des renseignements non pas additionnels, mais des renseignements qui peuvent être vérifiés immédiatement, qui nous permettent de gérer les risques et de confirmer la validité des données.

Franchement, il y a une chose qui me préoccupe beaucoup depuis le 11 septembre: ce nouveau monde—et nous l'avons vu dans une certaine mesure aux États-Unis—exerce des pressions énormes sur nos libertés civiles, nos valeurs sociales.

Si vous dites qu'il est impossible d'intercepter un terroriste et les moyens auxquels il a accès pour commettre des actes terrorismes, deux choses se produisent. D'abord, quand le terroriste pose son geste, vous devez agir très vite pour essayer de le neutraliser, et vous y laissez presque votre peau, car il pourrait frapper de nouveau. Mais ce qui donne encore plus à réfléchir, c'est que, si vous dites qu'une telle chose ne peut se reproduire, vous devez présumer que l'ennemi se trouve à proximité—on revient à l'idée de la cinquième colonne—et tout à coup, vous devez confier divers pouvoirs à l'État pour qu'il puisse assurer votre sécurité.

Tout à coup, on juge que les membres appartenant à certains groupes ethniques doivent tous faire l'objet de vérifications, ainsi de suite. Franchement, les vérifications auxquelles je dois me soumettre dans les aéroports ne me plaisent pas beaucoup. Je me dis qu'on devrait être en mesure de comprendre que je suis au service du gouvernement, que je ne cherche pas à le détruire, et qu'on devrait essayer de trouver un système plus efficace.

Quand nous éprouvons un sentiment d'insécurité, ce sont nos libertés civiles qui sont surtout menacées. L'Amérique à l'heure actuelle ne se sent pas en sécurité. Nous pourrions, en guise d'aide, accepter de communiquer ces données à l'avance, même à un autre pays, parce que cette façon de procéder est plus logique.

Pour les marchandises qui passent par Halifax avant d'arriver aux États-Unis, il serait beaucoup plus raisonnable d'avoir un inspecteur des douanes de la Garde côtière à Halifax, pour assurer la vérification des marchandises qui proviennent non pas du Canada, mais qui transitent par le Canada avant d'arriver aux États-Unis. Cette mesure m'apparaît raisonnable sur le plan économique. Il faut également concevoir un système de réglementation efficace pour éviter d'arrêter tous les trains qui traversent la frontière, puisque cela aurait pour effet de créer de véritables bouchons.

Bien entendu, je ne peux pas dire au Canada ce qu'il doit faire. Toutefois, le 11 septembre, j'étais à New York. Je me suis rendu au point zéro le lundi d'après. Il m'est difficile de vous faire comprendre à quel point les gens qui ont vécu cette expérience se sentent vulnérables. Nous avons vécu une véritable catastrophe. Les chiffres sont à la baisse, mais on estime qu'environ 3 000 personnes—des personnes innocentes—ont perdu la vie. Or, ce genre d'attaque pourrait facilement se reproduire aujourd'hui, et les États-Unis, du fait de leur position dominante, en seraient sans doute la cible. Le fait que vous vous retrouviez dans ce quartier vous rend aussi vulnérable.

Nous devons de toute urgence prendre des mesures sensées qui vont nous permettre de retrouver notre équilibre et d'aborder ce problème de façon pondérée, non pas en appliquant des solutions draconiennes, comme c'est le cas actuellement. Le Canada peut favoriser un dialogue civil et constructif, mais pas s'il adopte une attitude défensive et s'il joue à l'autruche.

Le président: Merci.

Madame Jennings.

[Français]

Mme Marlene Jennings: Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup de vos présentations. J'aimerais corriger quelques points avant de poser mes questions.

Premièrement, monsieur d'Aquino, vous avez dit que 25 p. 100 des demandeurs du statut de réfugié au Canada arrivaient au Canada via les États-Unis. Il y a quelques semaines, j'ai participé à une réunion d'un des comités permanents à laquelle témoignait un agent d'Immigration Canada. Selon les statistiques qu'il nous a transmises, c'est plutôt presque 50 p. 100. Je pense qu'il était important de corriger ce chiffre que vous nous avez donné.

Monsieur d'Aquino, vous dites que les Américains en général ont des perceptions erronées concernant le Canada et l'état de la sécurité à nos frontières, dans nos aéroports etc., et que cela a un impact négatif sur le commerce entre le Canada et les États-Unis. J'aimerais savoir ce que vous et le conseil dont vous êtes le président faites pour corriger ces perceptions erronées aux États-Unis.

• 1750

Deuxièmement, vous avez également dit que la grande vision du libre-échange des années 1980 avait vraiment capté votre esprit et l'esprit de votre secteur d'activité, et que les Canadiens et les Canadiennes avaient été finalement convaincus de l'importance du libre-échange. Toutefois, on sait qu'il y a des acteurs qui sont contre la mondialisation, contre le commerce international et même, d'une certaine façon, contre le commerce avec les États-Unis. Il y a une certaine perception qui est véhiculée ici, au Canada, par ces acteurs. Ils disent que les États-Unis sont hégémoniques, impérialistes et tout.

J'aimerais savoir ce que le secteur privé canadien fait pour contrer ce genre de chose. À mon avis, le terrain ici, au Canada, a été laissé à ces gens qui sont contre tout cela. Que fait le secteur privé pour convaincre les Canadiens et les Canadiennes que le commerce avec les États-Unis et avec le Mexique est bon, que les accords bilatéraux ou multilatéraux de commerce que le Canada a déjà négociés ou est en voie de négocier avec d'autres pays de l'Amérique latine ou de l'Amérique du Sud seront bons pour le Canada et pour les populations de ces pays, et que le commerce international que font nos compagnies canadiennes dans les pays en développement est bon également?

Monsieur Rhéaume, j'ai également des questions pour vous. Vous avez dit que le commerce entre le Canada et les États-Unis avait augmenté de 140 p. 100 depuis quelques années. Je n'ai pas retenu le nombre d'années. M. Flynn a dit que l'année passée, je crois, six millions de conteneurs sont arrivés aux États-Unis, dont un bon pourcentage via le Canada. J'aimerais savoir si le Conference Board peut nous donner des chiffres au niveau du commerce, au niveau des biens qui sont transférés ou exportés du Canada aux États-Unis ou qui arrivent d'un autre pays via le Canada et qui vont aux États-Unis. Quel est le pourcentage? Quelle est l'importance de cela au niveau des biens qui sont produits au Canada ou qui arrivent au Canada d'un autre pays, mais qui sont destinés aux États-Unis? Quel est le pourcentage?

Je pose toutes mes questions parce que le président a toujours tendance à me couper la parole. Si je pose une question et qu'on me répond tout de suite,...

Le président: Après 20 minutes.

Mme Marlene Jennings: ...je n'ai pas la chance d'en poser une autre.

Monsieur Flynn, j'ai trouvé très intéressante l'idée que vous avez énoncée, à savoir qu'il y aurait possibilité d'établir des zones d'inspection, surtout au niveau des douanes. Quand je regarde le déplacement des personnes dans nos aéroports... Quand j'arrive à l'aéroport international de Dorval pour prendre un vol à destination de Washington, Chicago ou Los Angeles, aussitôt que j'ai mes cartes d'embarquement, je dois passer par l'immigration américaine et les douanes américaines. Les agents américains de l'immigration et des douanes sont à Dorval.

Si on a réussi à mettre en place un système et des accords entre le Canada et les États-Unis au niveau des mouvements aériens des gens, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas être aussi innovateur au niveau du transport et du mouvement des biens, que ce soit par bateau ou par camion.

• 1755

Je voulais simplement vous dire que j'ai beaucoup apprécié ce point. Aussitôt que vous avez commencé à parler de cela, la lumière s'est allumée. Chaque fois que je vais aux États-Unis en prenant l'avion à Dorval, c'est là que je passe à l'immigration. Ce n'est pas à Washington, à Los Angeles ou à Chicago. L'immigration américaine est à Dorval. Je trouve parfois un peu offusquantes les questions qu'on me pose, parce que notre Charte des droits et libertés diffère de leur Constitution, mais c'est quand même commode pour moi et pour les Canadiens et Canadiennes.

Je n'ai pas de question pour vous. Je veux plutôt vous remercier d'une suggestion que vous avez faite. Je trouve qu'elle est très pertinente et qu'elle mérite d'être étudiée par ce comité.

J'attends vos réponses.

M. Thomas d'Aquino: Monsieur le président, ce sont de très, très bonnes questions dans lesquelles on a entendu beaucoup de messages.

[Traduction]

Vous avez posé plusieurs questions fort pertinentes. Je vais y répondre rapidement.

Quand j'ai dit que 25 p. 100 des demandeurs du statut de réfugié étaient arrivés au Canada, l'an dernier, via les États-Unis, je me suis inspiré d'un discours qu'a prononcé le ministre des Affaires étrangères à New York, il y a quelques semaines.

Mme Marlene Jennings: Il s'est trompé.

M. Thomas d'Aquino: Nous avons un document ici qui dit que le Canada va accueillir 45 000 demandeurs du statut de réfugié en 2001. Presque la moitié d'entre eux vont venir des États-Unis.

Je vais être obligé de vérifier le discours de M. Manley pour voir qui a raison.

Mme Marlene Jennings: Il s'est trompé.

M. Thomas d'Aquino: Vraiment?

Mme Marlene Jennings: C'est plutôt entre 40 et 50 p. 100 si on se fie aux chiffres des dix dernières années.

M. Thomas d'Aquino: Merci. Je prends note de ce que vous avez dit.

Mme Marlene Jennings: Je vais également le signaler à M. Manley.

M. Thomas d'Aquino: Vous m'avez également demandé ce que nous faisons pour corriger les perceptions. C'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. J'ai écrit au Premier ministre il y a une dizaine de jours pour lui signaler que le Conseil était en train de créer un groupe d'action sur la coopération canado-américaine, qui allait regrouper les directeurs généraux des 50 plus grosses compagnies d'exportation, des 50 plus grosses compagnies d'importation et des 50 plus grosses compagnies d'investissement aux États-Unis. Nous avons établi un programme en sept points qui en fait est un partenariat que nous proposons au gouvernement du Canada.

Le plan est trop long à décrire, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il a pour objet de permettre aux dirigeants des secteurs privé et public de se rendre aux États-Unis en vue de sensibiliser les Américains aux mesures que nous avons prises et corriger certaines des perceptions erronées qui existent.

Nous n'avons pas l'intention d'aller voir les réalisateurs de l'émission The West Wing et de les fustiger parce qu'ils ont laissé entendre, dans une émission, que les terroristes étaient entrés aux États-Unis par le poste frontalier séparant l'Ontario du Vermont. J'ai souvent utilisé cet exemple au cours des dernières semaines. Toutefois, cette initiative majeure va exiger la collaboration de l'ambassade du Canada, de nos consulats et des gouverneurs des divers États frontaliers.

M. McPherson, qui a signé la lettre conjointe adressée au Premier ministre et au président Bush, m'a dit cet après-midi qu'il s'était entretenu avec le gouverneur du Michigan. Ce dernier a déclaré que, vu l'importance du Michigan vis-à-vis de l'Ontario, du Québec et de New York, il comptait rencontrer les autres gouverneurs des États du Nord pour discuter des mesures à prendre à la frontière canadienne. Nous avons beaucoup de travail à faire.

Enfin, en ce qui concerne les opposants à la mondialisation, j'étais présent à Seattle, à Québec, à Washington, à Londres à Salzbourg et à Davos.

Le président: Mais pas au Qatar.

M. Thomas d'Aquino: Non. Je savais qu'il n'y aurait pas de manifestants au Qatar.

Nous sommes aux prises avec un mouvement très sérieux qui s'est en quelque sorte apaisé, mais très peu, depuis les événements du 11 septembre. Il est motivé par des questions très profondes que les parlementaires devraient, à mon avis, constamment poser.

Il n'y a pas de mal à protester. Il est tout à fait normal et justifiable de contester les positions du gouvernement. Ce qui m'inquiète le plus au sujet du mouvement antimondialisation, c'est que bon nombre de ses membres—pas tous, mais bon nombre d'entre eux—ont choisi de descendre dans la rue plutôt que de discuter avec le Parlement. Ils ont choisi d'avoir recours à des moyens extraparlementaires pour arriver à leurs fins. Je ne veux nommer personne, mais vous en connaissez certains. Ce sont des gens avec qui je discute depuis des années. Quand ils se rendent à Seattle et disent qu'ils veulent empêcher l'OMC de faire son travail, je n'ai pas l'impression qu'ils cherchent vraiment à favoriser le changement de façon démocratique et dans le respect de la tradition parlementaire.

• 1800

Les parlementaires, les dirigeants d'entreprises, les premiers ministres et les représentants des médias doivent faire la distinction entre ceux qui prônent vraiment le changement, et ceux qui veulent uniquement s'en prendre aux institutions mondiales, qu'il s'agisse de l'OMC, du FMI, du G-20, ainsi de suite. Nous n'avons pas fait cette distinction, et c'est quelque chose que nous devons tous faire, pas seulement les gens d'affaires.

Le milieu des affaires est resté plutôt muet sur les avantages de la mondialisation. Nous devons jouer un rôle plus actif. Nous devons retrouver le zèle qui nous animait quand nous avons défendu les avantages des sociétés ouvertes et de la libéralisation des échanges dans les années 80. Nous devons faire la même chose à l'égard de la mondialisation, non pas laisser tout simplement la place à ceux qui crient le plus fort et qui sont prêts à lancer des cocktails Molotov.

Encore une fois, la question qu'il faut leur poser est la suivante: si ce sujet vous tient tellement à coeur, pourquoi ne pas en discuter avec les parlementaires? Après tout, monsieur le président, nous ne sommes ni au Qatar, ni en Corée du Nord. Quand les gens me disent: «le gouvernement canadien ne parle pas en mon nom», ou que nos institutions ne veulent rien entendre, je ne suis pas d'accord. Nous ne devrions pas accorder beaucoup d'attention à ceux qui ont recours à des moyens extraparlementaires pour se faire entendre et qui, franchement, n'ont que du mépris et du dédain pour le Parlement.

Mme Marlene Jennings: Je ne veux pas me disputer avec vous, monsieur d'Aquino, mais j'ai lu certaines de vos déclarations dans les journaux nationaux, et je me demande si les propos que vous avez tenus au fil des ans n'ont pas contribué, dans une certaine mesure, à créer ce mépris que les Canadiens éprouvent à l'égard du gouvernement.

Le gouvernement est malmené par le secteur privé: «Vous n'êtes pas le bienvenu. Laissez-nous faire. Nous n'avons pas besoin du gouvernement.» Quand je dis «vous», je fais allusion au secteur privé, à l'industrie. C'est le message que nous transmettent des pans importants du secteur privé, des dirigeants du secteur privé, depuis 20 ans surtout. Ils donnent l'impression que le gouvernement est inutile, qu'il ne fait qu'adopter des politiques interventionnistes, qu'un gouvernement moins tentaculaire serait préférable. Bref, il faudrait laisser le secteur privé agir à sa guise parce qu'il fait tout dans les règles.

Or, le secteur privé, dans une certaine mesure, est lui aussi responsable du fait qu'un grand nombre de Canadiens pensent que le gouvernement est inutile, qu'il ne les représente pas, qu'il n'est pas à leur écoute.

M. Thomas d'Aquino: Je ne veux pas non plus me disputer avec vous, mais, sauf votre respect, le secteur privé au Canada ne fait pas ce genre de déclarations. Il critique plutôt les gouvernements, les mouvements d'opposition, les gens avec lesquels il n'est pas d'accord. Il y a une chose dont je suis sûr: aucun des dirigeants auxquels je suis associé n'éprouve du mépris à l'égard du Parlement. Je n'ai entendu aucun de ces dirigeants dire: «Nos gouvernements ne parlent pas en notre nom; nous devons nous débarrasser de l'OMC, du FMI, ainsi de suite.» Ce n'est pas le genre de choses que nous dirions.

Et si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire le livre que j'ai écrit, il y a une vingtaine d'années de cela, sur le gouvernement parlementaire. Il s'agit de la première étude qu'a réalisée l'organisme que je dirige. Il met l'accent sur les avantages du gouvernement parlementaire. Je l'ai déjà dit, et bon nombre de mes collègues aussi. Nous ne manquons pas de respect envers les institutions du gouvernement. Il nous arrive d'être en désaccord avec certains gouvernements, ce qui n'est pas du tout la même chose.

• 1805

Mme Marlene Jennings: Non. Nous allons devoir poursuivre notre conversation ailleurs, parce que les déclarations que vous avez faites et les vues exprimées par le secteur privé au fil des ans sont très différentes des propos que vous tenez aujourd'hui.

J'ai siégé au comité de l'industrie pendant quatre ans. En septembre, je suis devenue membre de ce comité-ci. Le secteur privé est bien content quand le gouvernement réduit les impôts, finance les projets auxquels il ne veut participer parce qu'il n'est pas en mesure d'établir un plan d'affaires efficace et rentable, autrement dit, parce qu'il ne peut faire autant d'argent qu'il le désire. C'est à ce moment-là qu'il se tourne vers le gouvernement et qu'il lui dit: «Allez-vous nous donner des fonds pour financer ce projet?»

Mais nous allons poursuivre notre conservation là-dessus.

M. Stephen Flynn: J'aimerais faire un bref commentaire.

Le président: Madame Jennings a parlé pendant une vingtaine de minutes. Nous allons devoir accélérer les choses parce que vous êtes déjà sensé être ailleurs.

M. Stephen Flynn: Oui. Je voulais tout simplement dire que, si vous voulez changer les perceptions, vous devez prendre des mesures concrètes, un rôle qui revient sans doute au gouvernement. À partir de ce moment-là, les perceptions vont changer très vite aux États-Unis.

Le président: Sauf que, lorsque nous prenons des mesures concrètes, il faut que les gens de l'autre côté en prennent note. Les Canadiens ont l'impression que, peu importe les mesures que nous prenons, personne n'en prend note.

M. Stephen Flynn: Ce n'est pas le cas en ce moment.

Le président: Il est difficile d'attirer l'attention des législateurs américains, parce que cela fait des années que nous discutons de cette question avec les membres du Congrès. Quand nous leur rendons visite, ils nous disent: «Oh, faites telle et telle chose.»

M. Stephen Flynn: On vous accorderait beaucoup d'attention aujourd'hui.

Le président: Je l'espère.

Monsieur Rhéaume.

[Français]

M. Gilles Rhéaume: La question qui m'a été posée portait sur l'estimation de la valeur des biens. On connaît la valeur des biens qui sont produits au Canada et qui sont exportés aux États-Unis. C'est de l'ordre de 175 milliards de dollars par année. C'est un montant assez important.

Pour ce qui est de la valeur des conteneurs qui partent du port de Halifax ou du port de Vancouver pour aller vers les États-Unis, on n'a pas d'estimation. On peut regarder le volume, comme on l'a mentionné, mais on ne saurait vous dire la valeur des marchandises qu'il y a dans ces conteneurs.

Mme Marlene Jennings: M. Flynn nous a donné un chiffre: six millions de conteneurs arrivent aux États-Unis, dont une partie arrive via le Canada.

M. Gilles Rhéaume: Oui.

Mme Marlene Jennings: Disons, de façon hypothétique, qu'un million de conteneurs arrivent aux États-Unis via le Canada, de l'extérieur du Canada. Si on regarde le nombre de conteneurs qui arrivent aux États-Unis ainsi que les biens produits ici qui sont transportés par train, par camion et par bateau, on doit quand même pouvoir sortir un chiffre quant au nombre de conteneurs contenant nos propres biens qui traversent la frontière canado-américaine.

M. Gilles Rhéaume: Je dois vous dire que la proportion de ces biens est très faible comparativement à celle des biens transportés par camion. Le transport par camion...

[Traduction]

M. Stephen Flynn: Je peux peut-être vous aider. En ce qui concerne le transport par camion, malheureusement, les chiffres ne sont pas ventilés, 11,5 millions de conteneurs sont arrivés via les États-Unis, 2.2 millions par train, et 6 millions par bateau. Voilà pour le commerce transocéanique. Sur les six millions de conteneurs, 500 000 sont arrivés via Halifax et Montréal.

Le président: Merci à tous. Ces renseignements nous sont très utiles.

Pour revenir à ce qu'a dit Mme Jennings au sujet des formalités douanières que nous font remplir les autorités américaines dans les aéroports au Canada—vous les connaissez sans doute déjà—nous avons fait des progrès. Vous pouvez obtenir une carte du ministère de la Justice—j'en ai eu une pendant un certain temps—qui vous permet de passer les douanes américaines rapidement. Vous devez faire vérifier vos antécédents. Vous devez ensuite trouver le moyen d'actionner le lecteur, parce qu'il ne fonctionne jamais, mais ça, c'est une autre question.

M. Stephen Flynn: J'obtiens la mienne à Vancouver.

Le président: J'en avais une, mais je n'arrivais jamais à faire fonctionner le lecteur. J'ai donc laissé tomber.

Chers collègues, je vous remercie. La séance est levée.

Haut de la page