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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 21 mai 2002




¸ 1435
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.))

¸ 1440
V         M. Cameron Wild (professeur, Centre for Health Promotion Studies, Université de l'Alberta)
V         

¸ 1445
V         

¸ 1450
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson (médecin hygiéniste adjointe, Capital Health Authority)
V         

¸ 1455
V         

¹ 1500
V         La présidente
V         M. Ed Sawka (directeur des services de recherche, Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission)
V         

¹ 1510
V         Mme Barnes (London-Ouest)
V         M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.)
V         Dre Marcia Johnson
V         

¹ 1515
V         M. Cameron Wild
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Cameron Wild

¹ 1520
V         M. Ed Sawka
V         M. Dominic LeBlanc
V         La présidente
V         M. Cameron Wild

¹ 1525
V         La présidente
V         M. Cameron Wild
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente

¹ 1530
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc
V         La présidente
V         M. Cameron Wild
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Cameron Wild

¹ 1535
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         M. Cameron Wild

¹ 1540
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         Dre Marcia Johnson

¹ 1545
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         M. Cameron Wild

¹ 1550
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         

¹ 1555
V         Dre Marcia Johnson
V         M. Cameron Wild
V         La présidente
V         M. Ed Sawka
V         La présidente

º 1600
V         M. Cameron Wild
V         La présidente
V         M. Cameron Wild
V         La présidente
V         M. Cameron Wild
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         
V         M. Cameron Wild

º 1605
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         M. Cameron Wild
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Ed Sawka
V         La présidente
V         

º 1610
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         Dre Marcia Johnson
V         La présidente
V         
V         La présidente

º 1620
V         
V         

º 1625
V         La présidente
V         Caporal Jim Jancsek (Gendarmerie royale du Canada)
V         

º 1630
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc
V         

º 1635
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc

º 1640
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         M. Dominic LeBlanc
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers

º 1645
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente

º 1650
V         Cpl Jim Jancsek
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc

º 1655
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         M. Dominic LeBlanc
V         

» 1700
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente

» 1705
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente

» 1710
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente

» 1715
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente

» 1720
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente

» 1725
V         Cpl Jim Jancsek
V         La présidente
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         Mme Marilyn Pilon (attachée de recherche du comité)
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         Mme Marilyn Pilon
V         Sgt é.-m. Doug Carruthers
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc
V         La présidente










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 043 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 21 mai 2002

[Enregistrement électronique]

¸  +(1435)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte.

    Vous êtes devant le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou de médicaments, et nous sommes heureux d'être ici à Edmonton. Notre comité a été formé par la Chambre des communes conformément à l'ordre de renvoi du 17 mai 2001 et est chargé d'étudier les facteurs sous-jacents ou parallèles à la consommation non médicale de drogues ou de médicaments. Faisant suite au second ordre de renvoi de la Chambre des communes du mercredi 17 avril 2002, notre comité a reçu pour mission d'étudier le projet de loi C-344, Loi modifiant la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, en particulier la marijuana.

    Nous sommes très heureux de recevoir parmi notre premier groupe de témoins aujourd'hui, le professeur Cam Wild de l'Université de l'Alberta, plus particulièrement du Centre for Health Promotion Studies. Bienvenue, monsieur Wild. Nous avons aussi de la Capital Health Authority, le DMarcia Johnson, agent de santé adjoint. Bienvenue à vous aussi. Et de la Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission, AADAC, comme on l'appelle communément, Ed Sawka, directeur des services de recherche. Il se peut qu'une quatrième personne se joigne à vous, mais nous allons commencer avec vous.

    Je crois que vous avez tous préparé des exposés, et nous allons commencer avec vous, monsieur Wild.

¸  +-(1440)  

+-

    M. Cameron Wild (professeur, Centre for Health Promotion Studies, Université de l'Alberta): Merci beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui. Je vous en sais gré.

    Je m'appelle Cam Wild, professeur agrégé, et je relève du Centre for Health Promotion Studies ainsi que du Département des sciences de la santé publique, Faculté de médecine et de science dentaire à l'Université de l'Alberta à Edmonton. Je suis le directeur du Addiction and Mental Health Research Laboratory de l'Université de l'Alberta. Mes recherches portent sur les comportements toxicomanogènes, et notre laboratoire mène des projets qui portent entre autres que la consommation de drogues injectables, l'abus d'alcool, la consommation de tabac chez les jeunes, le sevrage du tabac et la politique sociale relative aux accoutumances.

    Les observations que je compte faire aujourd'hui à l'intention du comité spécial sont celles d'un chercheur spécialiste des accoutumances oeuvrant dans le milieu canadien actuel. Je vais aborder quatre domaines: premièrement, la consommation de drogue au Canada et à Edmonton; deuxièmement, le climat de recherche canadien par rapport au climat américain en matière de recherche relative aux accoutumances; troisièmement, l'absence d'infrastructure de recherche pour permettre de prendre des décisions éclairées concernant la consommation non médicale de drogues au Canada; quatrièmement, les perceptions qu'on a du climat politique en ce qui concerne la consommation de drogues à des fins non médicales.

    Tout d'abord, je vais faire quelques observations d'intérêt général sur la consommation de drogues au Canada et à Edmonton. Les Canadiens, à titre individuel et collectif, continuent d'éprouver des difficultés qui résultent de la consommation non médicale de drogues ou qui y sont liées. Déjà en 1992, le coût pour l'économie canadienne résultant de la consommation et de l'abus d'alcool et d'autres substances dépassait 18 milliards de dollars, dont plus de 4 milliards en soins de santé directs. L'alcool et le tabac sont deux des trois premiers éléments contribuant aux décès prématurés au Canada. Les toxicomanies causent chaque année au Canada plus d'un décès sur cinq et des centaines de milliers d'hospitalisations.

    Au niveau national, les problèmes relatifs aux accoutumances prennent de nouvelles formes. Par exemple, l'augmentation du nombre de toxicomanes qui se piquent au cours de la dernière décennie a fait que la consommation de drogues injectables est devenue un grand facteur de risque en ce qui concerne le VIH et le sida, l'hépatite et d'autres maladies à diffusion hématogène. On sait que la consommation de drogues augmente parmi les adolescents, tout particulièrement parce qu'on trouve plus aisément des drogues de confection comme l'ecstasy.

    De plus en plus, les responsables des services de santé admettent que les accoutumances coexistent avec une vaste gamme de problèmes d'ordre médical, psychiatrique et social, par exemple dans le cas des sans-abri. Les effets des accoutumances se ressentent de plus en plus au sein des groupes défavorisés sur le plan social et économique, par exemple, chez les Premières nations et les enfants de la rue.

    Edmonton reflète ces tendances nationales tout en présentant des problèmes particuliers. Mon mémoire, que je vous ai remis, vous donne un cliché de la consommation des drogues à Edmonton, cliché constitué de données fournies par les fournisseurs de traitement, les responsables des services de santé, les responsables du maintien de l'ordre et d'autres intervenants. Ce mémoire fait valoir entre autres que l'alcool est la drogue de prédilection des habitants d'Edmonton et demeure le facteur qui contribue le plus aux décès prématurés et aux hospitalisations. Plus de 80 p. 100 des habitants d'Edmonton consomment de l'alcool, et la plupart des adultes de la région d'Edmonton qui demandent à être soignés par l'AADAC ont des problèmes relatifs à l'alcool.

+-

     Les cocaïnomanes forment le deuxième groupe en importance de la clientèle adulte de l'AADAC. La cocaïne est également la drogue de prédilection des utilisateurs de drogues injectables d'Edmonton. Environ 64 p. 100 de tous les toxicomanes qui se piquent et qui demandent à être soignés dans la région d'Edmonton s'injectent de la cocaïne, par opposition à environ 22 p. 100 de consommateurs qui s'injectent de l'héroïne. Dans presque 80 p. 100 des cas d'hépatite C signalés dans la région sanitaire de la capitale en 1999, l'utilisation de drogues injectables était reconnue comme étant le facteur de risque primaire ou secondaire. Vous trouverez plus de détails dans mon mémoire.

    Je quitte maintenant ce portrait général d'Edmonton et du Canada pour vous parler un peu du climat de recherche sur les accoutumances au Canada par rapport aux États-Unis. À cet égard, je suis moi-même un cas type du débat sur l'exode des cerveaux aux États-Unis. Après mon agrégation, je me suis établi à Rochester, dans l'État de New York, pour faire des recherches postdoctorales à l'Université de Rochester. Ce séjour m'a permis de voir les grandes différences qui existent entre nos deux pays au niveau du financement, du climat et du soutien à la recheche. Le désir que j'avais de rentrer au Canada l'a emporté sur les possibilités supérieures de recherche qui s'offraient à moi aux États-Unis. J'ai finalement décidé de rentrer à Edmonton en 1997. Je désire ardemment contribuer aux initiatives locales, provinciales et nationales concernant les toxicomanies. Cependant, je suis parfaitement conscient du fait que ma carrière personnelle profiterait davantage du climat de recherche qui existe aux États-Unis.

    Voici les leçons que j'en ai tirées. La stratégie antidrogue du Canada qui a pris fin en 1997 n'a pas été remplacée par une approche globale au niveau national en ce qui concerne l'utilisation non médicale de drogues ou de médicaments. Les États-Unis financent en proportion beaucoup plus de recherches per capita sur les accoutumances que le Canada. Les chercheurs canadiens dans ce domaine reçoivent en fait plus de fonds de sources subventionnaires américaines que de sources canadiennes. Par exemple, en 1998-1999, le gouvernement américain a accordé six fois plus de fonds à la recherche sur les accoutumances menée au Canada par des Canadiens que le gouvernement canadien lui-même. Les États-Unis ont mis au point des systèmes avancés de contrôle de l'utilisation de drogues à des fins non médicales, et ils se servent de ces systèmes pour résoudre les problèmes relatifs à l'offre et à la demande en matière de drogues. Ce sont là des outils essentiels pour les chercheurs américains dans la mesure où ils permettent aux systèmes de prévention et de traitement de contrôler les effets de leurs initiatives. Il n'existe aucun système comparable au Canada. On ne peut pas dire grand-chose sur les effets des initiatives de traitement et de prévention dans notre pays.

    Comme je l'ai dit, la stratégie antidrogue du Canada a pris fin en 1997. À mon avis, depuis cette époque, en ce qui concerne l'utilisation de drogues à des fins non médicales, il existe une absence de direction. Même si le gouvernement fédéral n'a pas cessé entièrement de participer à ce dossier, il a quand même supprimé le cadre national et complet qui nous avait permis d'unir des partenaires des divers paliers de gouvernement afin de remédier aux problèmes pressants que posent les toxicomanies sur le plan social, économique et sanitaire. Sur la scène fédérale aujourd'hui, il n'y a pas de maître d'oeuvre visible pour l'utilisation de drogues à des fins non médicales. C'est une honte parce que si l'on veut stimuler la recherche et la politique gouvernementale en ce qui concerne les accoutumances, il faut une stratégie coordonnée faisant intervenir des secteurs multiples, notamment la santé, le maintien de l'ordre, la magistrature et la recherche.

    Du point de vue de la recherche, on voit maintenant l'effet dévastateur de cette absence de direction. Premièrement, il n'y a pas eu d'étude nationale sur la consommation d'alcool et d'autres drogues depuis 1994. On ne peut pas ainsi suivre les tendances de l'utilisation de drogues au sein de la population. Il existe peu d'incitatifs qui conduiraient les chercheurs à combler ce vide. Comme je l'ai dit plus tôt, les crédits sont plus généreux dans d' autres pays. Même si la création des Instituts canadiens de recherche en santé s'est avérée un puissant tonique pour la recherche en santé au Canada, les accoutumances ont été regroupées avec les neurosciences et la santé mentale dans les plus grands de ces instituts. Les chercheurs spécialistes des accoutumances dans notre pays demeurent inquiets de la faible importance qu'on accorde à leurs travaux, en dépit des effets manifestes et considérables des toxicomanies sur la société canadienne. Les organismes provinciaux voués à l'étude des accoutumances ont été ou bien supprimés ou ont vu leurs moyens de recherche sérieusement compromis.

    Je vais conclure avec quelques perceptions du climat politique. Je suis étranger au processus politique et voici l'impression que j'en ai de loin. Comparativement aux autres démocraties, le Canada accorde toujours un très faible niveau de priorité aux problèmes relatifs aux toxicomanies. Les efforts régionaux visant à remédier aux accoutumances sont compromis à cause des compressions locales, du délestage du gouvernement fédéral sur les provinces et les municipalités et de l'absence d'une stratégie de recherche coordonnée à l'échelle nationale. Depuis au moins le rapport de la commission Le Dain il y a 30 ans, la politique gouvernementale relativement aux toxicomanies dans notre pays ne connaît que deux approches extrêmes, la panique lorsque l'indignation du public est à son comble, et l'indifférence lorsque cette même indignation s'estompe.

¸  +-(1445)  

+-

     Je crois pour ma part que l'heure est maintenue venue de mettre en place une stratégie nationale antidrogue qui permettra de combler les trous béants qui subsistent au niveau de la recherche et de la politique gouvernementale dans notre pays. Il est tout simplement insuffisant de confier ce problème de santé publique important à un comité de sous-ministres adjoints qui se rencontrent infréquemment pour alimenter deux comités antidrogue interministériels. Je plaide aussi fortement en faveur d'un réaménagement des ressources économiques qui nous permettrait de réaliser un meilleur équilibre entre le traitement, la prévention et l'application des lois parce qu'actuellement, c'est le volet application des lois qui a la part du lion.

    Je vous remercie de m'avoir écouté.

¸  +-(1450)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Wild.

    Nous allons maintenant écouter la Dre Johnson.

+-

    Dre Marcia Johnson (médecin hygiéniste adjointe, Capital Health Authority): Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis heureuse moi aussi, comme M. Wild, de m'adresser à des décideurs canadiens dans ce domaine.

    À titre d'information, je vous dirai que la Capital Health Authority est un service de santé entièrement régionalisé et intégré, desservant une population de près d'un million d'habitants, notamment Edmonton et les municipalités et comtés environnants. Nous ne desservons pas seulement Edmonton mais aussi un grand nombre d'habitants dans les régions environnantes.

    Vous savez beaucoup mieux que moi que les problèmes liés aux toxicomanies sont présents dans tous les pays et touchent virtuellement tous les aspects de la vie. Je n'ai que trois choses à vous dire aujourd'hui. Bien sûr, l'aspect de ce problème gigantesque qui m'occupe a beaucoup plus à voir avec les effets sur la santé et, je l'espère, la prévention.

    J'aimerais d'abord parler des maladies infectieuses qui sont liées à l'utilisation de drogues injectables. Comme M. Wild l'a dit plus tôt, ce sont ce qu'on appelle les maladies à diffusion hématogène. On retrouve surtout ici le virus de l'immuno-déficience, le VIH, l'hépatite C et l'hépatite B.

    Je vous dirai, et j'en suis horrifiée, que les statistiques relatives au VIH dans la Capital Health Authority continuent d'augmenter, à tel point qu'en 1999, nous avions 73 cas d'infections séropositives nouvellement diagnostiquées, et en l'an 2000, nous étions passés à 79, en 2001, c'était 98, et en 2002, le nombre s'accroît et tout indique que nous aurons une autre année record. En 2001, deux tiers de ces nouveaux cas de VIH étaient des utilisateurs qui se piquent. On ne sait jamais avec exactitude comment cette maladie a été transmise à un nouveau séropositif, mais la majorité de ces personnes qui ont été nouvellement diagnostiquées avaient également des rapports sexuels avec des toxicomanes utilisateurs de drogues injectables.

    Dans la région de la Capital Health Authority, je dois dire que ce qui me préoccupe le plus, c'est la proportion croissante de nouveaux cas chez des personnes d'origine autochtone. Même si les personnes d'origine autochtone ne constituent officiellement que 5 p. 100 de notre population, selon le recensement du Canada, en 2001, 40 des nouveaux cas de séropositivité ont été repérés au sein de la population autochtone, alors qu'il y avait 46 cas chez des personnes de race blanche. Cela se traduit en un taux pour les personnes d'origine autochtone de la Capital Health Authority de 80 par 100 000, comparativement à moins de 6 par 100 000 chez les Blancs. C'est scandaleux.

+-

     C'est la même chose pour l'hépatite C, sauf qu'il semble y avoir une baisse de ce côté-là. En fait, le dépistage de l'hépatite C est une chose relativement nouvelle et on ne peut pas dire si vous êtes nouvellement atteint ou si vous avez contracté cette maladie il y a 30 ans et qu'on vient tout simplement de la découvrir chez vous. Nos chiffres en 1999 étaient 1 036, 934 en 2000 et en 2001, 848. Ce qui veut dire pour moi que l'hépatite C pose un problème très grave qui n'est pas près de disparaître. Encore là, la plupart de ces cas apparaissent chez les personnes d'origine autochtone. Un quart de nos cas en 2001 sont apparus au sein de cette population, et en 2001, la moitié des cas étaient attribuables à l'utilisation de drogues injectables.

    L'hépatite B nous préoccupe, mais heureusement, nous avons un vaccin efficace pour l'hépatite B. En Alberta, nous l'avons utilisé dans le cadre d'un programme universel qui s'inscrivait dans une campagne à plusieurs volets, si bien qu'aujourd'hui, plus de 90 p. 100 de notre population de moins de 20 ans ainsi qu'un grand nombre de personnes plus âgées ont été immunisés contr l'hépatite B. C'est une bonne nouvelle.

    Les problèmes relatifs aux maladies à diffusion hématogène font intervenir non seulement la prévention primaire de l'utilisation de drogues injectables mais aussi un soutien concret aux stratégies qui permettront d'atténuer les torts causés à ceux qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas cesser. La Capital Health Authority soutient de telles stratégies. Nous sommes favorables à l'échange de seringues, nous avons des programmes de maintenance de métadone, des logements sûrs et des initiatives améliorées—et c'est ce que nous souhaitons ardemment—relativement aux services de santé mentale notamment. Nous serions heureux de prendre l'initiative, de coopérer ou de faire quoi que ce soit d'autre pour lancer de nouvelles initiatives bien mûries, par exemple la création de piqueries sûres pour l'héroïne et d'autres drogues, si nos partenaires au sein de la communauté, par exemple les organisations communautaires, les municipalités et les services de police étaient réceptifs à ces nouvelles stratégies et si nous avions les ressources voulues pour une mise en oeuvre intégrale de ces programmes et leur évaluation. Malheureusement, au sein de la Capital Health Authority, la plupart des stratégies de réduction des méfaits et de prévention ne reçoivent pas toutes les ressources voulues ou sont financées dans le cadre d'accords temporaires, ce qui complique énormément la planification et l'évaluation à long terme.

    La reddition de comptes concernant les résultats pour la santé au sein des populations autochtones, surtout dans la mesure où cette reddition de comptes fait intervenir les déterminants de la santé urbaine, n'est pas claire. Le gros du financement des programmes de santé publique à l'intention des populations autochtones, comme vous le savez fort bien, provient de la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits et est remis directement par la bureaucratie fédérale aux bandes autochtones. Il y a fort peu de collaboration en ce qui concerne la planification et la mise en oeuvre des stratégies de prévention entre les autorités urbaines ou régionales de santé et les bandes autochtones. Il faut faire quelque chose de ce côté-là. De toute évidence, la Capital Health Authority doit maîtriser le problème que pose la prévention des maladies à diffusion hématogène de manière générale, et chez les Autochtones en partiuclier. Nous devons trouver de nouveaux moyens de travailler parce que ceux que nous employons en ce moment ne donnent pas de résultats. Et il faut mettre au point des mécanismes pour assurer une meilleure collaboration et une meilleure planification entre les autorités urbaines et régionales chargées de la santé publique et les populations autochtones.

    Je dois signaler un autre problème colossal dans ce domaine, soit les risques pour la santé des populations carcérales, et par extension, des collectivités dans lesquelles réintègrent les détenus à leur libération. Encore là, les personnes d'origine autochtone sont surreprésentées au sein des populations carcérales. Les maladies à diffusion hématogène se propagent à l'intérieur des prisons. On n'a pas su mettre en place de bons programmes de prévention dans les prisons, et l'absence de tels programmes est catastrophique pour nos collectivités.

    Le deuxième argument que je tiens à faire valoir à ce sujet, concerne l'un des thèmes récurrents qui apparaît dans le mandat du comité spécial sur la consommation à des fins non médicales de drogues ou de médicaments: quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral? Sur le plan opérationnel, une myriade d'options s'offrent à vous. Cependant, je vous prie de garder à l'esprit le fait que les autorités régionales de santé, ou peu importe la façon dont la province organise ses services de santé publique surtout, ont pour mandat de surveiller l'état de santé de leur population et de mettre au point des stratégies visant à maintenir et à améliorer la santé de la population. C'est notre mission. C'était notre mission hier, c'est notre mission aujourd'hui, et ce sera notre mission demain.

¸  +-(1455)  

+-

     La prévention fait toujours l'objet de grands discours—tout le monde y croit—, mais elle manque toujours de ressources. Les programmes fédéraux et provinciaux vont et viennent, selon la volonté politique et les priorités du gouvernement de l'heure, mais la situation est toujours la même sur le terrain. De notre point de vue, on discerne une tendance inquiétante car plus les gouvernements des paliers supérieurs investissent provisoirement dans la prévention, plus leur modèle de prédilection semble être des programmes axés sur des maldies ou des problèmes, lesquels sont parachutés dans nos collectivités pendant des durées variables avec très peu d'engagement réel pour trouver des solutions et sans rendre aucun compte à la population locale. Au minimum, ces initiatives de prévention devraient être coordonnées aux activités des organisations sanitaires locales, comme celles des organisations communautaires, de sorte que l'on renforce l'infrastructure locale de façon permanente. Ce qui serait encore plus souhaitable à notre avis, évidemment, serait une aide au renforcement de l'infrastructure sanitaire locale pour surveiller et lutter contre la maladie et les stratégies pour la promotion de la santé axées sur la recherche et l'évaluation.

    Avec votre permission, je réitèrerais le même message qu'exprimait un rapport rédigé pour le sous-ministre qui a fait l'objet d'un article dans le Journal de l'Association médicale canadienne la semaine dernière. Le rapport avait été commandé pour le mois de mars 2000. Essentiellement, le rapport affirmait que l'infrastructure sanitaire locale s'était beaucoup détériorée depuis 10 ou 15 ans.

    En dernier lieu, je dirais que les déterminants de l'abus de substances sont étroitement liés à l'importance qu'une personne attribue à sa valeur ainsi que ses rapports avec la société. La croyance personnelle profonde que vous, en tant que personne, êtes un membre valorisé de la collectivité et que les attentes et les règles de la société ne s'appliquent pas qu'à vous, mais vous seront uriles, rend le style de vie de toxicomanes beaucoup moins attrayant ou même viable. On a démontré que l'investissement dans des programmes de soutien complets et humains pour les jeunes familles, plus précisément des programmes de service de garde, par exemple, ou les programmes comme celui du bon départ portent fruit puisqu'ils se traduisent par une réussite scolaire et professionnelle, une diminution de la criminalité et des grossesses chez les adolescentes, et par extension, moins de taxicomanie. Seules des instances dirigeantes résolues vont accepter d' investir maintenant pour n'en récolter les fruits que deux ou trois élections plus tard, mais c'est le genre de leadership et d'engagement dont le Canada a besoin pour réellement avoir une incidence sur l'aspect de la demande dans l'équation offre et demande.

    Je vous remercie beaucoup de m'avoir écoutée.

¹  +-(1500)  

+-

    La présidente: Merci, docteure Johnson.

    Monsieur Sawka.

+-

    M. Ed Sawka (directeur des services de recherche, Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission): Madame la présidente, je vous remercie et vous souhaite un bon après-midi. J'apprécie beaucoup l'occasion que m'offre le comité parlementaire de témoigner aujourd'hui.

    Notre organisation, l'Aberta Alcohol and Drug Abuse Commission (AADAC) vient de célébrer son 50e anniversaire de lutte aux accoutumances pathologiques en Alberta. En bref, pour vous mettre en contexte, l'AADAC est une organisation gouvernementale subventionnée par l'État. Notre loi habilitante est la Alberta Alcohol and Drug Abuse Act. Notre conseil d'administration est composé de 12 membres. Le président est M. LeRoy Johnson qui est le député provincial de Wetaskiwin-Camrose. Notre commission fait rapport au ministre de la Santé et du Bien-être.

    Les activités principales de l'AADAC sont centrées autour de l'éducation, la prévention et le traitement des accoutumances pathologiques. En vertu de notre loi, nous pouvons aussi entreprendre et soutenir la recherche, en dépit du fait que nous soyons principalement une organisation de prestation de services, que nous offrons dans toute la province grâce à des partenariats avec des organisations subventionnées. Grâce à ce réseau, nous sommes présents dans 42 collectivités de la province, et grâce à des services mobiles et satellites, nous arrivons à en rejoindre bien d'autres.

    La mission de notre commission est très vaste. Elle vise à aider les Albertains à se libérer de la consommation abusive d'alcool, d'autres drogues et à l'addiction pathologique au jeu, laquelle s'est ajoutée à notre mandat en 1994. Plus récemment, cette année d'ailleurs, nous avons lancé une initiative globale de réduction de la consommation de tabac. Notre budget pour l'exercice 2003-2003 est d'environ 58 millions de dollars et nous estimons traiter environ 35 000 clients par an. L'AADAC n'assure pas que le traitement de ses clients, mais des dizaines de milliers d'Albertains participent également à des programmes de prévention ou reçoivent des renseignements sur les accoutumances chaque année.

    Au fil des ans, les programmes de lutte aux accoutumances se sont inspirés des modèles de santé publiquec et de promotion de la santé. Nous avons appris que les accoutumances sont fort complexes. Les problèmes d'accoutumance proviennent de bien des facteurs qui interagissent de façon complexe. Le modèle de la santé de la population, par exemple, nous a aidés à mieux comprendre et à reconnaître les différentes raisons qui mènent à l'accoutumance. Toute une série de facteurs peuvent entrer en jeu comme le revenu, les occasions d'étudier et d'avoir un emploi, le soutien familial et communautaire, ainsi que de facteurs plus personnels comme l'histoire familiale, les comportements liés la santé et la disponibilité des drogues.

+-

     Nous ne croyons pas que l'accoutumance soit un déterminant primaire de la santé, mais un puissant médiateur de la santé et du bien-être au point de vue individuel comme collectif. Par exemple, on estime que 20 p. 100 des décès au Canada sont liés, d'une façon ou d'une autre, directement ou indirectement à l'usage ou à l'abus de substances, et l'exemple le plus criant de ce phénomène est celui du tabac. C'est un très lourd fardeau de maladie et de décès pour la société que l'on peut prévenir. Les chiffres les plus conservateurs des coûts que cela représente pour l'Alberta s'établissent à environ 728 millions de dollars par an et il s'agit là d'une vieille estimation.

    Les programmes de prévention se concentrent de plus en plus sur les facteurs de risque et de protection, surtout chez les enfants et la jeunesse. Aujourd'hui, on accorde beaucoup d'importance à l'amélioration des facteurs de protection chez l'individu ou dans on environnement immédiat. Il s'agit de réduite les facteurs de risque qui contribuent à la toxicomanie et au jeu pathologique.

    De l'avis de l'AADAC, notre intention primaire doit être de mettre au point des politiques qui aboutiront à des réponses réalistes et pragmatiques. Des éléments élémentaires, mais importants entrent en ligne de compte, dont le plus significatif est la reconnaissance de la complexité des problèmes et des accoutumances et la compréhension des facteurs qui y sont associés, en plus de l'interdépendance de ces facteurs qui jouent selon la disponibilité des substances ou le comportement. Nous voulons soigner les gens au sein de leurs familles et de leurs collectivités. Cela nous rend un peu sceptiques de la valeur des solutions éclairs magiques. Nos réactions doivent être rationnelles et doivent tenir compte des risques. Nous avons beaucoup mis l'accent sur les stratégies de coopération. Il importe d'avoir la participation de toutes les parties concernées par les problèmes d'accoutumance--et elles sont nombreuses--et cela suppose un partage des responsabilités et du leadership.

    Notre recherche se fait en deux temps. Nos services de lutte à l'accoutumance, comme d'autres domaines des services sociaux et de santé, ont récemment pris le virage de l'efficacité et de la reddition de comptes pour garantir que se poursuive l'amélioration de nos produits et services. La recherche a joué un rôle déterminant dans la satisfaction de ces exigences sévères. À cet égard, le leadership et l'investissement se sont révélés nécessaires à tous les niveaux, de la collectivité jusqu'aux instances nationales. Des programmes de recherche bien conçus doivent être mis au point pour appuyer les orientations stratégiques des services sociaux et de santé, les véritables pourvoyeurs des services.

    Ces programmes comportent bien des volets et bien des intervenants. Certains éléments clés sont les suivants: la recherche fondamentale en biologie, en comportement et en facteurs environnementaux et leur interaction, à la fois chez l'individu comme dans la population. L'élaboration d'un programme quicomprenne des études qualitatives et quantitatives qui orientent l'élaboration de ces programmes et politiques. Nous avons développé une expertise et des pratiques exemplaires en évaluation et en recherche de synthèse pour améliorer ces programmes et fournir des résultats qui nous y aideront. Le transfert des connaissances est important du praticien au chercheur et inversement. Le renforcement des capacités génère des preuves, et les organisations qui participent à cette initiative peuvent absorber cette information, se servir des preuves scientifiques et transmettre le tout au pourvoyeur des services. Nous devons aussi accorder plus d'attention à la recherche sur les méthodes et les outils qui nous permettront d'améliorer la recherche dans l'avenir.

    De toute évidence, nous ne pouvons nous permettre de vivre en vase clos. Pour que la recherche nécessaire soit faite, il faut partager responsabilité et leadership. Encore une fois, le rôle du gouvernement fédéral est primordial de l'avis de mes collègues. Cet appui pourra prendre différentes formes dont le maintien d'un financement suffisant pour la recherche de haut niveau assurée par des organisations comme l'Institut de recherche en santé du Canada, qui a fait ses preuves, l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, ainsi que d'autres programmes de financement qui appuient le travail des chercheurs établis dans la collectivité qui font l'objet d'évaluation par leurs pairs. L'appui aux organisations nationales stratégiques, comme le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, le CCLAT, organisation dont la fonction est d'offrir une perspective nationale sur la réduction de la demande, une organisation dont le rôle est capital. Nous n'avons pas fait d'enquête nationale valable sur le taux de prévalence de la consommation de drogues illicites au sein de la population depuis le milieu des années 1990, comme M. Wild l'a souligné. C'est une lacune grave puisque cette information est nécessaire à l' évaluation des résultats de nos programmes qui nous permet éventuellement d'améliorer la prestation de ces programmes.

    En toute justice, Santé Canada a préparé un certain nombre de résumés sur les pratiques exemplaires et sur des questions essentielles reliées à l'accoutumance, l'usage de substances et les pathologies associées, les programmes de prévention pour la jeunesse, qui sont autant d'exemples de données utiles pour les concepteurs de programmes. Ce sont toutes des contributions importantes à la synthèse et à la publication de recherches qui doivent être encouragées et, espérons-le, maintenues.

    Merci.

¹  +-(1510)  

+-

    La présidente: Je vous remercie beaucoup monsieur Sawka.

    Je crois que j'ai omis de présenter tout le monde autour de la table, alors je vais le faire maintenant. Nous avons deux recherchistes avec nous aujourd'hui, Chantal Collin et Marilyn Pilon. Ce sont les deux recherchistes attitrées de notre comité et elles accomplissent un excellent travail. Nous avons un greffier suppléant aujourd'hui, M. Eugène Morawski.

    Dominic LeBlanc est député de Moncton, dans le Canada atlantique. Toutes les formations politiques sont représentées au sein du comité, mais leurs représentants ne sont pas tous présents aujourd'hui. La transcription de nos audiences leur sera envoyée et sera aussi consignée sur notre site Web. Tout le monde peut avoir accès à ces renseignements. Généralement, nous accordons la parole à l'opposition, mais aujourd'hui nous ferons les choses différemment. Si M. LeBlanc vous pose une question, mais que quelqu'un d'autre souhaite y répondre, signalez-le moi, car nous ne sommes pas intransigeants.

    Monsieur LeBlanc.

+-

    M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Merci madame la présidente, et je vous remercie beaucoup M. Wild, Mme Johnson et M. Sawka pour vos excellents exposés. J'ai trouvé qu'ils nous donnaient un bon aperçu des grands enjeux qui confrontent cette province. Paddy et moi venons de deux régions différentes du pays. Cette occasion d'entendre parler de défis que doit relever l'Alberta et leur similitude avec ceux d'autres régions du pays que nous avons visitées est fort utile, alors je vous en remercie.

    Je vais me concentrer sur trois domaines précis. D'abord, les relations fédérales-provinciales. M. Wild a dit qu'il n'y avait pas de maitre d'eouvre au palier fédéral pour défendre cette cause. Je nele conteste pas. Mme Johnson a déclaré que le rôle du fédéral était de renforcer l'infrastructure de la santé publique et, si j'ai bien compris, vous croyez que le jeu en vaut la chandelle. Je suis d'accord. La relation entre le fédéral et la province de l'Alberta a parfois été un peu houleuse. À certaines périodes, il y avait mésentente entre le gouvernement national et le gouvernement provincial au sujet de la santé. Vous vivez ici, vous l'avez constaté davantage que moi.

    D'emblée, je me demande si vous croyez qu'un gouvernement national très présent dans le dossier de la consommation non médicale de drogues serait inévitablement confronté à une réticence provinciale puisque la prestation des soins de santé est une responsabilité provinciale. Je comprends bien qu'il y a des questions d'application et de recherche, mais dans le cas de la prestation des services sanitaires, je crois que certaines provinces—entre autres l'Alberta et certainement le Québec pour d'autres raisons, mais avec autant d'insistance—diraient au gouvernement fédéral de ne pas mettre en oeuvre un programme national, sous l'angle de la santé du moins, mais de leur verser les fonds et qu'elles mettraient en oeuvre un programme provincial comparable. Je me demande si vous entrevoyez une une perplexité inévitable entre les deux ordres de gouvernment-- conflit est un mot trop fort-- ou si vous croyez plutôt que le gouvernement provincial serait ouvert à l'idée que le gouvernement national devienne le maitre d'oeuvre en l'occurrence, pour reprendre le terme de M. Wild. Je me demande comment vous envisagez cette relation.

+-

    Dre Marcia Johnson: Je peux vous donner mon point de vue à ce sujet et vous me direz s'il vous convient.

    Je crois que le fédéral a commis une grave erreur il y a environ 10 ans lorsqu'il s'est déchargé sur les provinces du dossier de la santé. Il leur en a confié l'administration. Ce fut un choc. Les provinces ont accepté cette responsabilité. D'ailleurs, les administrations municipales trouvent parfois qu'elles sont la troisième entité à laquelle on a refilé le dossier, celles qui ont toutes les responsabilités, mais si peu de ressources qu'elles doivent faire des choix difficiles.

+-

     À mon avis, le gouvernement fédéral doit rattraper son retard dans le dossier de la santé, et cela doit commencer par un réinvestissement. Étant donné que la santé est un domaine de compétence provinciale en vertu de la Constitution, ou de par son organisation, je crois que le gouvernement fédéral doit assurer un rôle de leader pour aider les provinces au lieu de les punir puisque l'aide se fait de plus en plus rare de nos jours.

    Avec un programme national, le gouvernement fédéral peut rassembler les gens autour du thème de la santé en vue d'échanges menant à un consensus. Notre pays est énorme et sans la volonté d'assumer ce rôle, nous agirons de plus en plus en vase clos face à n'importe quel problème. Le document et les lignes directrices consensuelles dont M. Sawka a parlé plus tôt sont très utiles en tant que lignes directrices. Si le gouvernement fédéral choisit de défendre une cause, de mettre au point des pratiques exemplaires et d'encourager les provinces—étant donné toutes les sensibilités sur les questions de compétences—il devra dire que certains fonds doivent être affectés à tel ou tel problème, mais qu'ils sont assortis de buts précis. Le moyen d'atteindre ces objectifs ne ferait l'objet d'aucune restriction pour la municipalité ou la province. Tous les détails relatifs au fonctionnement ne seraient pas imposés par le gouvernement fédéral, mais les résultats attendus pour un investissement X devraient être déclarés d'avance et des comptes devraient être rendus relativement à cet investissement de sorte que l'on puisse déterminer quelles sommes sont nécessaires pour arriver aux résultats escomptés.

    Il serait souhaitable que le gouvernement fédéral accepte ce rôle puisque du moins d'après l'évaluation du résultat des programmes, telle qu'elle se fait au Canada ou même dans les Prairies, nous permettrait de réunir d'importants renseignements visant à nous permettre de revoir et de préciser nos pratiques exemplaires. Cette démarche a bien fonctionné ici et peut-être qu'elle pourrait connaître autant de succès ailleurs.

    Voilà quelles sont mes réflexions sur la question.

¹  +-(1515)  

+-

    M. Cameron Wild: Je crois que ce serait une grave erreur de traiter cette question dans le contexte des compétences en santé mais le gouvernement fédéral devrait saisir l'occasion de mettre au point des stratégies novatrices capables de franchir les frontières ministérielles traditionnelles. C'est un problème de santé publique à l'échelle nationale. Sa solution nécessitera une réflexion plus profonde que la simple détermination du pourvoyeur de services. Honnêtement, elle nécessitera la participation et l'application de tous les secteurs que vous avez mentionnés plus tôt d'une façon novatrice qui évitera certains écueils traditionnels: notre ministère n'est responsable que de cette compétence et votre administration est responsable d'une autre. Je crois que les questions d'accoutumance qui touchent à la santé publique nécessitent une stratégie beaucoup plus vaste que la délimitation des compétences en matière de prestation de services de santé.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Je ne veux pas m'imposer avant que M. Sawka ne prenne la parole, mais à votre avis, le gouvernement provincial de l'Alberta serait favorable à un leadership national assuré par le gouvernement fédéral dans ce dossier. Vous avez parlé de maitre d'oeuvre. Croyez-vous donc que le gouvernement de l'Alberta consentirait à ce que le gouvernement national—et sur ce point, je suis d'accord avec vous—envisage la question sous un angle beaucoup plus vaste que celui de la prestation des services de santé traditionnels? C'est une question d'application, de coutumes et de recherche. Vous êtes les experts, pas moi. Je suis d'accord, la question déborde le cadre des compétences ministérielles, provinciales ou municipales. Croyez-vous que votre province accepterait sans difficulté que le gouvernement national réunisse les différents intervenants pour tenter d'élaborer une stratégie nationale?

+-

    M. Cameron Wild: Je ne suis pas certain de la réaction du gouvernement provincial, mais je crois qu'il ferait preuve d'ouverture devant l'innovation, donc si un argument novateur était présenté, je crois qu'il serait prêt à l'écouter. A savoir si l'on atteindrait les résultats escomptés de toutes les parties intéressées, je n'en suis pas convaincu, mais je crois qu'on désire ardemment une stratégie novatrice qui nous permettrait d'éviter certaines des difficultés que l'on vit à l'heure actuelle.

¹  +-(1520)  

+-

    M. Ed Sawka: Je ne suis pas vraiment habilité à parler au nom du gouvernement de l'Alberta, mais en ma qualité de prestateur de services relatifs aux accoutumances, je vois les complexité de la situation sur le plan des compétences et des arrangements concernant la responsabilité de la prestation des services. C'est particulièrement le cas dans le contexte autochtone, où les services sur la réserve sont normalement fournis par le gouvernement fédéral. Ailleurs dans la province, ces services deviennent une responsabilité provinciale ou régionale. C'est très complexe, et tout cela est mêlé à tous les problèmes que vous connaissez.

    J'aimerais reprendre ce que disais M. Wild au sujet de la nécessité d'élargir la réflexion qui ntercepte tous ces problèmes, ce qui nous permettrait d'en finir avec ce cloisonnement. Chose certaine, nous entrevoyons la nécessité pour le fédéral d'avoir une présence forte ou de jouer un rôle. J'ai essayé de définir cela dans mon exposé, particulièrement au niveau de la cueillette et de la diffusion des informations. C'est là un domaine où aucune province ne dispose vraiment des moyens qu'a le gouvernement fédéral. Celui-ci pourrait nous donner une perspective coordonnée. C'est extrêmement important, et c'est un rôle que seul le gouvernement fédéral pourrait jouer. Pour y parvenir, je crois qu'on pourrait formé une coalition avec les provinces.

    Voyez l'histoire récente, lorsque la stratégie antidrogue du Canada a été articulée. Le gouvernement fédéral du jour s'intéressait vivement à cette question et a concrétisé cet intérêt en mettant en place une planification solide et des accords fonctionnels, et c'est un bon exemple. Mais les divers cycles budgétaires qui ont suivi ont eu pour effet de restreindre cette initiative. Néanmoins, je crois que le fédéral était très présent à cette époque-là. Il jouait un rôle très utile, étant donné que c'était une initiative qui visait à la fois à réduire l'offre et la demande. Ce sont là des précédents historiques qui peuvent servir de fondement à des initiatives futures.

+-

    M. Dominic LeBlanc: M. Sawka a parlé d'un rôle parapluie juste au moment où la pluie s'est mise à tomber sur la véranda.

    Les médias ont accordé beaucoup d'attention à la question de la dépénalisation de la possession de marijuana. Certains témoins que nous avons entendus, dont un grand nombre de responsables du maintien de l'ordre, ont dit que la dépénalisation, et encore plus la légalisation de la possession du cannabis, qui serait l'étape suivante, serait une erreur. Ils croient que la marijuana est une subsistance toxicomanogène. Je me demande ce que vous pensez de la dépénalisation de la possession de marijuana. Croyez-vous que c'est une substance toxicomanogène, une drogue d'introduction dans plusieurs cas, mais pas inévitablement, qui conduit à une toxicomanie accrue? Je comprends qu'il peut s'agir de votre opinion à vous, et non de celle de la Capital Health Authority ou du gouvernement de l'Alberta. C'est le luxe dont dispose M. Wild: sa liberté académique lui permet de parler de sa propre expérience.

+-

    La présidente: Tout le monde veut répondre à cette question.

    Monsieur Wild.

+-

    M. Cameron Wild: Le cannabis n'est presque jamais associé à la mort. Sa toxicité est minimale. De ce point de vue, c'est une drogue largement supérieure à l'alcool. Les résultats de la recherche ne permettent à peu près pas de soutenir la théorie de la drogue d'introduction. Si l'on suit cette même logique, il faudrait interdire le lait parce que les héroïnomanes ont probablement bu du lait dans leur enfance. Ainsi, inévitablement, la consommation de lait conduirait à l'héroïnomanie.

    La question que vous devez vous poser est celle-ci, comment se fait-il que la majorité des consommateurs de cannabis ne sont pas aux prises avec des problèmes plus graves? On n'a pas le sentiment que cela conduit inévitablement à une consommation accrue de drogues, même si cela se voit parfois. En fait, les chercheurs scientifiques se soucient fort peu de contredire la théorie de la drogue d'introduction. Du point de vue des investissements publics, on pourrait faire valoir que le montant des crédits du maintien de l'ordre investi dans les diverses mesures visant à enrayer l'usage du cannabis n'a à peu près rien donné, particulièrement du point de vue des casiers judiciaires et des avantages limités pour la santé publique. Je serais donc favorable à la dépénalisation.

¹  +-(1525)  

+-

    La présidente: Seulement de la marijuana?

+-

    M. Cameron Wild: Oui.

+-

    La présidente: Madame Johnson.

+-

    Dre Marcia Johnson: Je suis heureuse que M. Wild ait répondu en premier. Je suis médecin, et on m'a enfoncé dans le crâne l'idée que nous sommes censés exercer une médecine fondée sur des preuves, et ce qui me frappe souvent, c'est de voir que les autres professions n'appliquent à peu près jamais ce principe. Le fait que la marijuana soit illégale n'a eu à peu près aucun effet. Comme le disait M. Wild, il est très difficile de prouver l'avantage qu'il y a à faire respecter cette interdiction. Dans l'équation de la santé, il est difficile de prouver que la criminalisation de la possession de la marijuana est un avantage, dans la mesure où l'on sait aussi que cela a des effets manifestement nuisibles. C'est tout ce que j'ai à dire là-dessus.

+-

    La présidente: Monsieur Sawka.

+-

    M. Ed Sawka: Nous avons pris pour position que nous ne sommes pas favorables à la dépénalisation du cannabis. Nous nous appuyons sur le fait qu'un grand nombre de nos clients qui nous demandent de l'aide ont des problèmes avec le cannabis, ce n'est donc pas une drogue sans danger de ce point de vue. Près de 12 p. 100 de nos clients en ont fait la drogue qu'ils consomment le plus fréquemment. Et il s'agit d' adultes. Chez nos jeunes clients, cette proportion est encore plus élevée. Cela vous montre donc qu'un grand nombre de gens ont du mal à contrôler leur consommation de cannabis, à tel point qu'ils ont besoin d'aide professionnelle. Voilà pourquoi notre conseil d'administration a décidé de ne pas réclamer la dépénalisation du cannabis et d'adopter une approche conservatrice.

    Cela dit, on reconnaît de plus en plus qu'il n'est pas avantageux sur le plan économique de faire appliquer les lois rigoureusement et d'avoir une stratégie axée sur l'élimination de l'offre, et l'on voit les risques et les torts qui sont associés au fait que les gens sont traduits en justice et peuvent aboutir en prison, par rapport aux méfaits que cause la consommation de cannabis en soi. Je crois que c'est une autre équation qui doit être étudiée dans le cadre de ce débat.

+-

    La présidente: Avant de céder la parole à M. LeBlanc, qui a une autre question, je crois, vous nous avez donné des statistiques sur le nombre d'adultes et d'enfants qui ont des problèmes avec le cannabis. Est-ce que ces personnes consomment seulement du cannabis, ou est-ce qu'elles fument et boivent de l'alcool?

+-

    M. Ed Sawka: Il s'agit très souvent de polytoxicomanes, mais ils vous diront que le cannabis est la drogue qu'ils consomment le plus fréquemment.

+-

    La présidente: Est-ce qu'ils ont été dirigés vers vos services parce qu'ils ont été inculpés ou parce qu'ils sont tout simplement préoccupés par leur consommation de marijuana?

+-

    M. Ed Sawka: Il s'agit davantage de personnes qui sont dans ce cas. Elles viennent à nous d'elles-mêmes ou elles peuvent être dirigées par un membre de la famille ou le système pénal. Ce qu'il faut retenir ici, c'est que leur consommation de cannabis leur cause des difficultés d'une manière ou d'une autre. Ces gens-là disent que c'est la drogue qu'ils consomment le plus fréquemment, mais ils peuvent aussi fort bien consommer d'autres drogues, et c'est normalement le cas lorsqu'ils s'adressent à nos services.

+-

    La présidente: Et les autres drogues sont plus acceptables sur le plan social parce que leur consommation est légale dans certaines conditions.

¹  +-(1530)  

+-

    M. Ed Sawka: Il peut s'agir de drogues qui sont acceptées par la société, souvent le tabac ou l'alcool, mais aussi d'autres substances illégales.

+-

    La présidente: Bien.

    Monsieur LeBlanc.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Merci, madame la présidente.

    Je vous remercie de vos réponses. Il est intéressant de constater qu'il y a tant de points de vue divergents sur cette question autour de cette même table.

    Les piqueries sécuritaires ont été au centre de l'actualité et certains membres du comité, ceux surtout qui représentent l'est du centre-ville de Vancouver, s'y sont attardés Vous avez un peu parlé de la valeur de ces piqueries du point de vue de la recherche. Vous êtes des professionnels de la santé et de la recherche. Paddy et moi, devons malheureusement nous présenter devant notre électorat tous les trois ans et demi ou tous les quatre ans. Mettez-voud un instant dans notre peau—eh bien, peut-être pas celle de Paddy. Comment exprimeriez-vous vos inquiétudes à la population rurale du Nouveau-Brunswick par exemple, les collectivités que je représente, comment leur expliquer qu'une piquerie peut-être sécuritaire? Pour les gens qui connaissent mal les grands centres urbains et les problèmes de santé associés à la consommation de drogues, une piquerie ne sera pas une idée très populaire. Ces gens ont été élevés en croyant que les substances illégales sont dangereuses et associées au crime organisé qui les distribue, les importe et les fabrique dans certains cas; comment les rallier à l'idée que le gouvernement ouvre une piquerie où les gens puissent pratiquer une chose qui à leur avis est hautement illégale.

    Le comité devra se pencher sur ces questions, et je me demandais si vous aviez des conseils à nous donner sur la façon d'expliquer, en termes clairs qu'un enseignant retraité du Nouveau-Brunswick rural ou un pêcheur de ma collectivité comprendrait, pourquoi le gouvernement du Canada devrait financer, ou même participer de façon tout à fait légale à cette activité qui, dans leur esprit, ne correspond pas du tout à leur réalité. Je me demandais quelle était votre propre opinion sur les piqueries sécuritaires, mais aussi si vous croyez qu'en en faisant l'essai, on apportera une valeur importante à la médecine ou à la recherche. Pouvez-vous me donner certains conseils sur la manière d'expliquer ce phénomène sur un quai du Nouveau-Brunswick rural?

+-

    La présidente: Monsieur Wild.

+-

    M. Cameron Wild: Je suis en faveur des piqueries sécuritaires dans une certaine mesure, tant qu'on s'en sert pour évaluer rigoureusement la pratique. Dans le contexte canadien, je crois que nous ne savons pas si ces piqueries réduiraient les méfaits en région urbaine, mais il serait déontologiquement discutable de ne pas recourir à une expérience qui pourrait avoir tant d' incidence sur le grand public.

    Si j'étais sur un quai avec vos électeurs, je leur demanderais s'ils seraient d'accord pour que l'on mette en quarantaine un ami qui a contracté une maladie infectieuse. Seraient-ils d'accord pour que le gouvernement injecte des sommes pour protéger le reste de la collectivité en pareil cas? Je dirais à vos électeurs qu'une piquerie sécuritaire pourrait fournir une occasion autrement impossible de changer le cours de la vie de quelqu'un; si tel était le cas, ce pourrait être pour eux une chance unique, d'aider des gens qui souffrent d'une infection débilitante, chronique et récurrente.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Certains de ces objectifs ne pourraient-ils pas être atteints à l'aide des programmes actuels d'échange de seringues?

+-

    M. Cameron Wild: Je ne crois pas que les recherches sur l'efficacité des programmes d'échange de seringues soient très rigoureuses, et il n'en demeure pas moins que des seringues stérilisées n'aident en rien à comprendre pourquoi, quand et dans quelles conditions les toxicomanes s'injectent des drogues. Étant donné que nous avons des responsabilités morales envers tous nos concitoyens, nous devons consacrer des efforts raisonnables pour leur venir en aide et être prêts à changer nos méthodes d'intervention si une évaluation rigoureuse démontre qu'elle ne produit pas les résultats escomptés, mais une expérience sociale aussi controversée qui ne serait pas accompagnée d'une évaluation pertinente serait un véritable suicide. Vos électeurs vous en tiendront certainement rigueur.

¹  +-(1535)  

+-

    Dre Marcia Johnson: Je suis également en faveur des sites d'injection contrôlés dans certaines conditions. Heureusement, le Canada est une société relativement compatissante. Nous nous sentons responsables de nos concitoyens et sommes prêts à les aider lorsqu'ils sont malades. Les sites d'injection contrôlés peuvent être perçus comme le prolongement du programme d'échange de seringues. Ces programmes sont acceptés parce que le comportement préjudiciable pour la société aurait lieu de toute façon. Ce serait la même chose pour les sites d'injection contrôlés. Ils permettraient de réduire le tort subi par les individus et le coût absorbé par la collectivité pour soigner les toxicomanes souffrant d'infections véhiculées par le sang ou d'infections locales causées par l'injection avec des seringues souillées dans des conditions douteuses.

    Je tendrais à appuyer la mise sur pied de sites d'injection contrôlés puisque d'autres administrations ont démontré qu'ils fonctionnaient bien, surtout en Suisse et en Australie, selon ce que j'ai lu récemment. Nous n'inventons donc rien, nous fondons notre raisonnement sur l'expérience de ceux qui ont tenté de réduire les méfaits par des moyens novateurs puisque le comportement préjudiciable a lieu de toute façon.

    L'autre avantage des programmes d'échange de seringues réside dans l'interaction avec les toxicomanes. À la longue, ils nous permettent de nous attaquer à des problèmes associés. Généralement, et on y a fait référence à maintes reprises, la toxicomanie n'est pas un problème isolé. Différents catalyseurs pousseront une personne à faire l'expérience de la drogue et à ne plus savoir s'arrêter. Ainsi, les programmes d'échange de seringues et, à mon avis, les sites d'injection contrôlés également, nous permettent un rapprochement avec le toxicomane qui renforcera sa volonté et sa capacité à faire des progrès et à adapter son comportement le plus possible. Dans certains cas, cela se traduira, en définitive, par l'arrêt complet de la consommation. Ce serait idéal et c'est ce que nous souhaitons tous. Mais à tout le moins, tout au long du processus, le toxicomane trouverait un appui pour chacun de ses pas entrepris dans la bonne direction. Je crois que bien des gens appuieraient ce genre de concept.

+-

    La présidente: Monsieur Sawka.

+-

    M. Ed Sawka: Vous savez, les clients albertains sont tout aussi difficiles à convaincre ou tout aussi sceptiques que ceux du Nouveau-Brunswick, mais à bien des égards la question est effectivement excellente.

    Sur un plan plus personnel, je pense que si nous voulons vraiment exploiter cette idée des méthodes d'intervention probantes, nous devons envisager sérieusement l'option des piqueries contrôlées. En effet, si les textes de référence et les expériences acquises sont effectivement probants dans ce sens, ce serait pour certains une intervention utile, du moins une partie du temps. Il nous incombe d'envisager sérieusement la chose. Mais en même temps, il faut demeurer sceptique pour ne pas par inadvertance favoriser la consommation de drogue et, partant, aggraver le mal qu'elle cause. C'est une conséquence possible, et il faut donc être très prudent en procédant de cette façon et s'inspirer de l'expérience et des travaux de recherche dans les autres pays.

    Ils peuvent avoir un endroit. Je ne pense pas que la réponse soit catégoriquement oui ou non, du moins c'est ce que je pense pour l'instant, mais à mon avis c'est une possibilité que nous ne devons pas négliger. Elle nous donnerait la chance, mes collègues l'ont déjà dit, d'intervenir de façon humaine auprès des gens qui sont très difficiles à rejoindre et qui ne sont pas ouverts à nos messages traditionnels, qui ne sont pas prêts à venir au cabinet pour rencontrer un conseiller et élaborer petit à petit un plan pour pouvoir continuer et finir par réussir. Je pense que dans de très nombreux cas, ces gens sont dans une situation de vie beaucoup plus difficile et nous ne devrions donc pas nous étonner qu'ils soient difficiles à rejoindre. Donc, c'est une autre possibilité que nous avons pour essayer de le faire.

    L'avantage de cela, c'est une diminution de la douleur, de la souffrance et aussi du coût. Je rappellerais d'ailleurs aussi aux clients que leur mode de vie comporte lui aussi des coûts et de la souffrance, aussi bien pour eux que pour la société en général. Les piqueries contrôlées pourraient également avoir pour avantage de réduire le coût de la dépendance, mais également le coût pour la société. Pour certaines personnes, c'est un concept difficile à comprendre, mais cela fait partie à mon avis de tout l'argument.

+-

    M. Cameron Wild: Il me semble que vous parviendriez beaucoup plus facilement à faire votre travail, c'est-à-dire essayer de convaincre les clients, si vous pouviez vous inspirer d'une stratégie fédérale innovatrice en matière de drogue, une stratégie qui transcende les secteurs de compétence. L'une des raisons pour lesquelles il nous est tellement difficile de parler de tout cela à nos diverses clientèles, c'est que ce dossier est toujours perçu comme ayant des connotations juridiques et pénales. Une démarche innovatrice de la part du gouvernement fédéral qui permettrait de sensibiliser la population à l'interdépendance de tous ces problèmes et à la nécessité de faire l'adéquation entre l'application de la loi et le traitement, de faire en sorte que tout le monde s'attelle au même problème, cela ferait beaucoup pour faciliter la communication avec vos clients.

¹  +-(1540)  

+-

    La présidente: Merci.

    J'aurais moi aussi une ou deux questions à vous poser. Monsieur Sawka, vous avez dit qu'aucune enquête nationale sur la toxicomanie n'avait été effectuée depuis 1994. Vous voulez parler de l'enquête conduite en Alberta?

+-

    M. Ed Sawka: Cela fait déjà un certain nombre d'années qu'il n'y a pas eu d'enquête réalisée en Alberta sur la consommation d'alcool et de drogue chez les adultes.

    La présidente: Certaines provinces font leurs propres enquêtes, et il s'agit en l'occurrence des données les plus récentes. Vous nous dites donc qu'en Alberta, aucune enquête n'a été effectuée depuis 1994, n'est-ce pas?

    M. Ed Sawka: L'AADAC n'a pas réalisé d'enquête ici sur l'alcool ou la drogue. Nous avons un peu travaillé dans le domaine du jeu, et nous avons déjà en projet une enquête sur l'utilisation des drogues, de l'alcool et du tabac chez les étudiants, ainsi que sur le problème du jeu, mais nous n'avons rien prévu pour les adultes, même s'il y a probablement des gens comme le professeur Wild qui ont travaillé dans ce domaine.

    La présidente: En effet, à Edmonton. Comment donc pouvez-vous escompter influer sur la politique en Alberta si vous n'avez pas fait d'enquêtes?

    M. Ed Sawka: Cela n'empêche rien. Nous nous fions généralement aux données de Statistique Canada, à l'Enquête nationale sur la santé de la population, et les données des enquêtes les plus récentes vont être publiées sous peu. En effet, c'est difficile, et il y a hiatus surtout en ce qui concerne les drogues illicites.

+-

    La présidente: D'accord.

    Combien de temps faut-il attendre pour pouvoir être traité en Alberta? Le Dr Johnson a peut-être la réponse pour Edmonton, mais mettons à Red Deer, à Calgary ou à Fort McMurray.

+-

    M. Ed Sawka: Je pense que cela varie un peu selon l'endroit. Selon l'établissement et le degré d'urgence, il peut s'écouler une semaine ou deux avant qu'on puisse avoir accès aux services-conseils. En cas d'urgence, nous essayons d'accélérer les choses.

    La présidente: Combien avez-vous de lits pour adultes et de lits pour enfants?

    M. Ed Sawka: Excusez-moi, mais je n'ai pas le chiffre en tête.

    La présidente: Vous pourriez nous les faire parvenir?

    M. Ed Sawka: Certainement. Vous allez d'ailleurs entendre mes collègues demain, et nous pourrons vous le dire à ce moment-là.

+-

    La présidente: Y a-t-il des programmes d'échange de seringues en Alberta? Le gouvernement provincial en a-t-il instauré?

    M. Ed Sawka: Non.

    La présidente: Je vois. L'Ontario, ma propre province, qu'on pourrait prétendre tout aussi conservatrice que l'Alberta, peut-être plus même, a ordonné à toutes les régies régionales de la santé d'offrir un programme d'échange de seringues. Évidemment, dans certaines des régions rurales, la configuration du programme est sans doute un peu différente qu'en ville, mais il y a néanmoins eu d'éclatantes réussites. Ces programmes ont été implantés de façon tellement discrète que la plupart des gens, exception faite de ceux qui doivent être au courant, en ignorent même l'existence.

    La méthadone est-elle administrée comme substitut en Alberta ou envisage-t-on de le faire?

+-

    M. Ed Sawka: L'AADAC offre effectivement à Edmonton, pour tous les Albertains, un programme de traitement continu par la méthadone. Par contre, la province n'a pas de programme de traitement continu par l'héroïne.

    La présidente: Est-ce que la chose est envisagée quelque part?

+-

    Dre Marcia Johnson: Le traitement par la méthadone, il faut bien le dire, est un programme qui pourrait être grandement amélioré en Alberta. Le fait que Calgary n'avait pas de programme de ce genre représentait un problème, mais j'ai cru comprendre que les choses avaient avancé depuis dans cette ville. Le problème est en partie dû au fait que tout ce qui concerne les échanges de seringues ou le traitement par la méthadone, sans même parler des piqueries contrôlées, ce sont des décisions qui ne relèvent pas du milieu de la santé ou de l'AADAC. Il faut l'accord de toute la collectivité, y compris des corps policiers. Ainsi, en Alberta, les programmes d'échange de seringues ont été implantés une collectivité à la fois et, comme je l'ai déjà dit, il est impératif que des programmes de traitement par la méthadone soient généralisés en Alberta.

¹  +-(1545)  

+-

    La présidente: Quel temps est consacré par la Régie de la santé pour faire de la prévention ou combattre les comportements à risque chez les jeunes ou les adultes?

+-

    Dre Marcia Johnson: Je travaille à la division de la santé publique et c'est donc quelque chose qui relève de nous, mais pour ce qui est du pourcentage des ressources de notre budget d'ensemble consacré à la santé, la prévention a toujours compté pour relativement peu. Nous avons donc des programmes officiels qui représentent l'ossature, et je veux parler de ce qui concerne la vaccination, l'inspection des restaurants et la salubrité des aliments, de l'eau, de l'air, ainsi que de la sécurité au foyer. Nous avons donc un mandat raisonnable concernant la prévention, mais les ressources consacrées à ce domaine restent extrêmement limitées.

+-

    La présidente: Quel est le pourcentage des ressources consacré aux toxicomanies?

+-

    Dre Marcia Johnson: Nous n'avons pas de poste budgétaire spécifique. Nous travaillons beaucoup sur la prévention des infections, et c'est d'ailleurs dans ce domaine que nous travaillons avec les organismes communautaires. Il faudrait davantage d'intégration entre les différents secteurs de juridiction à partir du palier fédéral, c'est de cela que nous parlons, et nous ne pouvons pas agir sans qu'il y ait cette intégration. Nous travaillons donc dans le cadre de notre programme d'échange de seringues, un programme qui n'est pas dirigé par la Régie de la santé. Nous intervenons à hauteur d'une partie de ce que cela coûte à la Régie, mais l'administration du programme doit également chercher d'autres sources de financement. J'ai d'ailleurs dit dans mon exposé que nos services de prévention n'étaient pas intégralement financés et qu'on pourrait certainement faire davantage.

    S'agissant de la Régie de la santé et de nos interventions en matière de toxicomanie, l'AADAC travaille de concert avec les services-conseils compétents. Lorsque quelqu'un est hospitalisé ou connaît un problème de santé qui exige l'intervention du système, que ce soit au service d'urgence d'un hôpital, qu'il y a un problème de foie ou que sais-je, tout cela est couvert par le système de santé, mais la prévention au niveau le plus primaire est reliée à notre programme de protection du bien-être de l'enfant et du renforcement de la famille. Nous avons certes des initiatives temporaires, certains fonds à caractère innovateur, et cela vaut pour les soins primaires et se répercute au niveau du programme d'échange de seringues où on essaie de faire davantage de travail de sensibilisation. Il y a également un programme fédéral servant de conduit qui concerne l'hépatite C mais pour une clientèle différente. À Edmonton, ce secteur est un véritable puzzle aux multiples pièces.

+-

    La présidente: Quel est le pourcentage de son budget que l'AADAC consacre à la prévention? Y a-t-il un programme provincial destiné à mettre en garde les jeunes contre l'abus d'alcool ou de drogues?

+-

    M. Ed Sawka: Effectivement. Je n'ai pas en tête le montant qui va à la prévention, mais nous pourrons vous donner ce chiffre demain. Je sais qu'un pourcentage important de nos ressources est consacré à la prévention. Nous avons également plusieurs programmes consacrés à la jeunesse, et c'est un volet important des activités de l'AADAC.

+-

    La présidente: Pour bien préciser les choses, vous ne travaillez pas avec la régie de la santé ou avec les régies régionales de la santé pour l'administration de certains de ces programmes ou encore pour transmettre un message uniforme, n'est-ce pas?

+-

    M. Ed Sawka: Dans le cadre de certains de nos programmes, nos conseillers travaillent en collaboration avec d'autres fournisseurs de services, avec le système scolaire et avec les autres intervenants communautaires qui combattent la toxicomanie dans leur propre secteur, par exemple, avec la justice. Et en effet, nous avons l'intention de renforcer la communication et les programmes destinés à la jeunesse. C'est d'ailleurs un volet important de nos programmes en milieu scolaire, par exemple.

+-

    M. Cameron Wild: Je ne veux nullement décourager mes collègues, mais je pense que l'AADAC et la régie font un travail extraordinaire compte tenu des ressources dont ils disposent. Par contre, je dirais que la situation est fort bien résumée dans l'extrait suivant d'un rapport qui a été remis en mai 2000 au gouvernement de la Colombie-Britannique par la Kaiser Youth Foundation et qui parle des toxicomanies dans cette province. Je dirais que ce constat vaut de façon endémique pour toutes les régions du Canada.

... l'ADS est victime d'un manque notoire de visibilité et d'un niveau très faible de priorité, d'une absence de stratégie provinciale suffisamment claire, d'un manque de leadership et d'intensité, d'une coordination et de consultations insuffisantes, d'un financement irrégulier et incertain, d'un effort de prévention minuscule et de travaux de recherche insuffisants ou totalement absents.

Je le répète, je n'essaie pas de minimiser le travail de mes collègues ni l'aide qu'ils apportent à leurs organisations, mais partout au Canada, quelle que soit la province dont on parle, les programmes et les actions représentent un ensemble disparate. L'Ontario s'y prend différemment de l'Alberta, mais peu importe, c'est toujours à l'emporte-pièce. On trouve des programmes pour certaines pathologies reliées à la toxicomanie, mais pas pour d'autres, certains services sont offerts au niveau municipal, d'autres au niveau provincial, et ainsi de suite.

¹  +-(1550)  

+-

    La présidente: Dans ce même ordre d'idées, professeur, vous n'êtes pas le seul à avoir signalé que la majorité des Canadiens pensent que nous attaquons le problème de façon équilibrée, mais aussi que nous sommes censés travailler pour faire baisser la demande et pour faire baisser l'offre. Mais en réalité, l'étude déposée par la vérificatrice générale avant Noël signalait qu'au niveau fédéral, celui qui est de son ressort, il y avait eu une réduction de 95 p. 100 de l'offre et de 5 p. 100 de la demande. Cela est dû en partie au fait que la plus grande partie des activités qui visent à réduire la demande comme l'éducation, la prestation des soins de santé et ainsi de suite émargent aux budgets des provinces alors que, nous le savons, la réduction de l'offre relève également des corps policiers provinciaux et municipaux ou, selon le province, des corps policiers provinciaux seulement. Ce que nous essayons donc d'obtenir, ce sont des chiffres relatifs aux provinces. Nous avons écrit à tous les ministres provinciaux de la santé pour leur demander s'ils avaient fait des études. Certes, je n'en disconviens pas, il faut absolument une stratégie nationale coordonnée, mais il me semble aussi que cette stratégie va devoir reposer sur l'intervention de chacune des provinces qui devra faire ce qui convient dans son cas d'espèce, et sur l'intervention des différentes villes et des différentes régies de la santé qui devront faire ce qu'il convient dans le leur.

    Dans ce cas-ci, il y a un créneau d'intervention et un groupe de gens beaucoup plus petits, et la province ne semble guère coordonner les choses. Par conséquent, les meilleures potentialités se trouvent dans le domaine de la prévention et du traitement, lequel fait également partie de la prévention. J'essaie donc de déterminer ce que vous avez et ce qui pourrait être pris en exemple ailleurs. Je ne le nie pas, la coordination fédérale n'existe pas, mais je suis étonnée qu'il y ait aussi peu d'initiatives provinciales alors même que le jeu est quand même un élément extrêmement important.

+-

    M. Ed Sawka: Je ne dirai pas vraiment qu'il n'y a aucune coordination provinciale. Au contraire, rappelez-vous les initiatives des provinces qui prônaient des mesures en ce sens à l'échelle de l'ensemble des gouvernements provinciaux. Je songe au syndrome de l'alcoolisme foetal, aux initiatives visant les enfants d'âge scolaire, au développement de la petite enfance, à plusieurs initiatives exigeant que les ministères coordonnent leurs actions, en collaboration avec des partenaires de la collectivité. La stratégie de lutte contre le tabagisme se fonde cette année sur ce modèle. Depuis environ cinq ans, nous avons appris à appliquer les leçons tirées du modèle sur la santé de la population qui fait le lien entre les toxicomanies et tous ces facteurs, afin de contrer le cloisonnement des ministères et des intervenants.

+-

    La présidente: J'ai l'impression que vous n'avez pas entendu la même chose que moi cet après-midi: j'ai entendu dire pour ma part qu'il y avait des trous béants et un cloisonnement énorme dans les programmes. J'ai aussi compris que cela ne se produisait pas uniquement à l'échelle fédérale, mais aussi dans les provinces. Certaines activités peuvent être coordonnées joliment, d'accord, mais il semble néanmoins qu'il existe des lacunes dans les secteurs qui relèvent directement de cette province-ci. Il n'est pas nécessaire de trouver une solution ici ni de corriger la situation. Mais elle existe.

+-

     Dre Johnson, j'étais heureuse de vous entendre parler de la réduction des méfaits. Malheureusement, certains de nos collègues sont absents, mais cette stratégie me semble bonne dans son ensemble. D'aucuns laissent entendre que l'on laisse plutôt les méfaits s'aggraver, et pourtant, ceux qui oeuvrent dans le milieu auprès des toxicomanes de la rue nous disent au contraire qu'il faut les inscrire à des programmes d'échange de seringues et que nous devrions intervenir. Ils nous demandent de les inscrire à des programmes de réadaptation ou de les envoyer dans des piqueries contrôlées, pour les maintenir en santé et les garder en vie plus longtemps, en tout cas suffisamment pour que la situation puisse changer un peu. Non seulement se demande-t-on s'il faut parler d'aggraver les méfaits plutôt que les réduire, mais certains de nos collègues voudraient aussi définir clairement ce qu'on entend par réduction des méfaits, et croient qu'une solution peut s'appliquer de façon uniforme dans toute la province, voire dans tout le pays. Qu'en pensez-vous? Si mes collègues étaient ici, je sais qu'ils vous poseraient la question.

¹  +-(1555)  

+-

    Dre Marcia Johnson: Moi aussi, j'aime à rappeler à ceux qui parlent de la réduction des méfaits qu'il y a parfois une autre solution de rechange et que la réduction des méfaits ne doit pas nécessairement se prolonger à tout jamais, même si parfois c'est ce qu'il peut y avoir de mieux pour les intéressés. Lorsque votre petite voix intérieure ou d'autres signes vous disent qu'il est peut-être temps de cesser de consommer, cela devrait être encouragé. Il faut quand même trouver un équilibre.

    Mais si nous voulons vraiment faire preuve de compassion, il nous faut reconnaître que la dépendance est justement un phénomène d'accoutumance. Ces gens-là n'ont pas exactement une très grande estime d'eux-mêmes, ils n'ont pas nécessairement une vie très organisée et toute calme, et ce ne sont pas des gens qui ont nécessairement une santé mentale à toute épreuve. Les êtres humains se retrouvent parfois dans toutes sortes de situations extrêmement complexes, et certains d'entre eux y font face à recourant à des substances illicites ou à des drogues à des fins non médicales. Il est impossible pour ces gens-là de décider du jour au lendemain qu'ils cesseront de consommer de la drogue à tout jamais. Néanmoins, il vaudrait la peine de leur demander de temps à autre s'il n'est pas temps pour eux d'envisager autre chose.

    On ne trouve pas l'accoutumance ni l'abus de substances intoxicantes chez les gens sains, et même si refuser d'en prendre constitue toujours une option valable, il nous faut quand même être pragmatiques et réalistes. Il y aura toujours des gens qui utiliseront à l'excès des drogues et qui, ce faisant, se rendront de même que leur famille très malheureux. C'est pourquoi il faut avoir recours à des stratégies pour aider ces gens à rester sains plus longtemps, pour aider la société à demeurer plus saine, ou en tout cas à moins lui nuire, tout en les aidant à faire des choix plus sains en cours de route. Voilà pourquoi nous souscrivons sans réserve à la stratégie de la réduction des méfaits pour lutter contre le problème de l'utilisation des drogues à des fins non médicales.

    La présidente: Merci.

    L'un ou l'autre des autres témoins voudrait-il intervenir?

+-

    M. Cameron Wild: À mon avis, la réduction des méfaits implique que l'on intervient en fonction du cadre de référence propre à chaque individu. Autrement dit, chaque fois que quelqu'un est disposé à utiliser une seringue propre au lieu d'une seringue sale, cela constitue une intervention en vue de réduire les méfaits. Chaque fois qu'une personne pense être prête à cesser de consommer, cela s'appelle intervenir pour réduire les méfaits. On se rend de plus en plus compte qu'une intervention uniforme pour tous ne donne rien dans le cas des rechutes chroniques que sont les dépendances aux drogues; voilà pourquoi nous devons élaborer toute une gamme d'options et être prêts à intervenir chaque fois que quelqu'un en a besoin. Ne pas le faire, ce serait immoral.

+-

    La présidente: Monsieur Sawka.

+-

    M. Ed Sawka: De notre point de vue à nous, si l'on choisit d'offrir toute une gamme d'options, l'une de celles-ci doit être d'encourager les intéressés à suivre un traitement et à opter pour des modes d'utilisation plus sûrs, voire même la non-utilisation si ce sont des gens qui souffrent de dépendance, ce qui permettrait ensuite d'opter pour l'abstinence. Mais nous ne prônerions pas l'abstinence de but en blanc avec tous nos clients, particulièrement dans ces circonstances-là, puisque l'abstinence ne fait pas partie de leur schème de pensée à ce moment-là. On commence donc à agir en fonction du cadre de référence du client, comme on dit habituellement, après quoi on vise l'utilisation plus sûre, puis—s'ils s'en sentent capables— l'abstinence. Notre association a une perspective plus large qui s'applique conjointement à la réduction des méfaits.

+-

    La présidente: Bien.

    Pourquoi consomme-t-on plus la cocaïne à Edmonton et non pas l'héroïne? Pourquoi est-ce différent?

º  +-(1600)  

+-

    M. Cameron Wild: Bonne question à laquelle j'aimerais bien pouvoir répondre. Ce n'est pas qu'il n'y a pas d'héroïne à Edmonton, mais ce n'est pas comme à Vancouver, Toronto et Montréal. Il y a plus d'abus des opiacés délivrés sur ordonnance, et la culture de l'héroïne dans cette ville-ci et ailleurs dans les Prairies fleurit. Si vous le pouviez, je vous exhorte à vous renseigner là-dessus. Évidemment, la grande préoccupation en matière de santé de la population vient du fait que la demi-vie de l'héroïne dans le corps est beaucoup plus longue que celle de la cocaïne. Or, nous avons entendu dire que certaines gens s'injectaient de 20 à 30 fois par jour de la cocaïne, ce qui augmente considérablement les risques de maladies transmissibles. Autrement dit, l'injection de cocaïne dans une sous-couche d'utilisateurs constitue un énorme problème de santé publique dans notre ville.

+-

    La présidente: Les opiacés délivrés sur ordonnance constituent-ils un grave problème dans votre province?

+-

    M. Cameron Wild: D'après nos données, nous savons que la consommation abusive d'opiacés d'ordonnance fleurit à Edmonton, comme dans d'autres villes des Prairies.

+-

    La présidente: Dans les villes des régions de l'Atlantique également, semble-t-il.

    Utilise-t-on principalement le Dilaudid ici?

+-

    M. Cameron Wild: Le Dilaudid, l'Oxycontin et le MS Contin.

+-

    La présidente: C'est la première fois qu'on mentionne l'Oxycontin.

    Dre Johnson, à votre avis, dans quels secteurs le gouvernement fédéral devrait-il suggérer aux provinces d'investir, et quels seraient les résultats auxquels on pourrait s'attendre?

+-

    Dre Marcia Johnson: On peut parler encore une fois ici de l'absence de recherche dans ce secteur, ce qui ne nous permet pas de définir les résultats auxquels on pourrait s'attendre. Prenons au contraire le cas du tabac: nous savons qu'il est possible d'en abolir la consommation, ou à tout le moins de la réduire, dans la mesure où l'on agit sérieusement pour la combattre. La Californie illustre fort bien les résultats qu'un processus multifactoriel peut avoir lorsqu'on veut lutter sérieusement contre un fléau. Il nous est un peu plus facile de parler de la réduction de l'usage du tabac, étant donné que nous faisons plus d'enquêtes là-dessus. Comme la consommation de tabac est légale, nous pouvons au départ calculer les ventes de tabac et nous ne sommes pas obligés de dépendre des instruments d'autoévaluation. Nous savons quelle quantité de tabac circule, légalement du moins, sur un territoire donné. Nous savons combien de gens malades du cancer du poumon il y a. Les résultats sont donc faciles à établir.

+-

     Mais étant donné que l'usage de drogues injectables est illégale, certains des résultats attendus sont plus flous. L'usage de drogues injectables est toujours révélée par le principal intéressé lui-même ou est signalée par des témoins clés, par exemple, lors d'échanges de seringues. Le simple fait qu'une substance soit illégale sous-entend que les résultats en termes d'utilisation seront plus difficiles à cerner. Il vous faudra des informateurs clés dans vos sondages, mais ces sondages mêmes seront toujours suspects étant donné que la substance est illégale. Quant aux résultats, telle la présence de pathogènes à diffusion hématogène, ils font l'objet d'une déclaration obligatoire. En fait, ou bien vous en avez ou bien vous n'en avez pas. Nous avons donc des chiffres estimatifs relativement bons et stables de l'épidémiologie de certaines de ces maladies.

    L'hépatite C constituera un énorme problème au Canada, à cause des maladies hépatiques et des décès dus à la défaillance du foie ou au manque d'organes à greffer. Les résultats sont donc faciles à cerner. Mais dans le cas des substances illégales, et des résultats intermédiaires ou ultimes qui pourraient vous intéresser, telle la proportion de certains groupes d'âge utilisant ces substances, je conviens que cela pourrait être plus difficile à mesurer.

    On a beaucoup parlé de créativité. On pourrait faire preuve de créativité si on investissait dans la surveillance des divers états de santé dans la population. Ce pourrait être une solution. Mais ma propre créativité me limite en ce moment-même. Toutefois, je sais que certains résultats peuvent être mesurés.

+-

    M. Cameron Wild: En fait, les États-Unis se sont révélés beaucoup plus créatifs dans la façon dont ils surveillent l'évolution des drogues chez eux. Bien qu'ils aient mis l'accent fortement sur la répression chez eux, les Américains ont coordonné des systèmes de surveillance des données qui permettent de suivre les saisies de drogues grâce aux données policières, les lier à des incidents de surdose dans les hôpitaux, etc. Tous ces systèmes intégrés servent l'intérêt public qui est de faire le suivi de la santé de la population. Ici, nous n'avons simplement ni l'infrastructure ni la créativité voulues pour regrouper toutes ces données de façon exhaustive. Comme le disait Dre Johnson, aucune mesure ne pourra être parfaite à elle seule; mais en utilisant des mesures multiples, on pourra évaluer beaucoup mieux ce que l'on essaie d'établir. Mais le gouvernement fédéral n'a encore consacré aucune ressource à ces évaluations.

º  +-(1605)  

+-

    La présidente: Certains témoins ont dit qu'ils avaient à ce point besoin qu'on finance le traitement qu'ils se préoccupaient peu qu'il y ait ou non des enquêtes. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'était qu'on aide les gens selon qu'ils en étaient à telle ou telle étape de leur cheminement de vie. À leurs yeux, s'il faut choisir entre investir à différents endroits, ils préféreraient qu'on finance le traitement, pour qu'on puisse ensuite voir les résultats.

+-

    Dre Marcia Johnson: Vous venez tout juste de frapper un point sensible chez moi. Voilà justement le noeud que frappe la prévention. Prenons, par exemple, les accidents d'automobiles: notre système de soins de santé s'occupe à juste titre avec assez de compassion des jeunes adolescents qui se saoulent et qui foncent en voiture sur les poteaux de téléphone. Notre système a toujours assez d'argent pour les traiter aux soins intensifs. Nous ferons tout en notre pouvoir pour soigner ces gens, à juste titre. Je ne crois pas que ce soit mauvais. Mais les soins semblent être éminemment élastiques, tandis que la prévention est, au contraire, éminemment réductible, et c'est même la première chose qui saute. Si l'on pouvait à la fois payer les soins pour ces adolescents qui foncent en voiture dans les poteaux de téléphone tout en investissant suffisamment dans la prévention contre les accidents d'automobiles, dans des poteaux de téléphone moins dangereux, ou investir encore dans les messages pour informer les jeunes, et toutes sortes d'autres choses, j'imagine qu'au bout de 20 ans on pourrait gagner. Tandis que retirer constamment les fonds injectés dans la prévention pour les consacrer au traitement ne nous mènera nulle part, et certainement pas rapidement.

+-

    La présidente: Certains ont fait l'analogie avec le port de la ceinture de sécurité et l'utilisation dans les voitures des sièges pour enfants. C'est un exemple qui illustre à quel point la prévention peut informer la population, puis la convaincre. Cela pourrait d'ailleurs nous servir comme exemple dans notre lutte contre les drogues. Cela vaudrait mieux que les simples messages «dites non» ou «vous feriez bien de porter la ceinture de sécurité pour ne pas vous faire prendre». Aujourd'hui, la population comprend très bien pourquoi il faut porter la ceinture de sécurité.

+-

    M. Cameron Wild: Il faudrait beaucoup de courage à des gens comme vous, qui font face à l'électorat tous les trois ou quatre ans, pour réclamer avec ardeur des mesures dont les effets ne se feront sans doute sentir que dans plusieurs années. Je vous encourage cependant à faire montre de ce courage.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Un mandat de 30 ans me conviendrait tout à fait.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. Ed Sawka: À mon avis, il faudrait étudier les résultats pour l'ensemble de la population et ensuite pour des sous-groupes. Pour l'ensemble de la population, il conviendrait d'examiner la prévalence de la consommation, d'autres niveaux de base de consommation ainsi que les indicateurs permettant d'établir la consommation jugée acceptable aux plans politique et communautaire. Étant donné que les gens consommeront toujours de l'alcool et des drogues, il s'agit de gérer cette consommation de la façon la plus efficace possible afin d'en réduire le plus possible les méfaits et les coûts. Pour des sous-groupes donnés, il s'agirait d'examiner certains méfaits ou résultats particuliers afin notamment de réduire les pathogènes transmis par le sang ou la prévalence des infections attribuables à certains modes de consommation comme l'inhalation auxquels ont recours certains groupes. Il s'agit d'établir en fonction de la population visée les résultats qu'on veut atteindre compte tenu des moyens dont on dispose et de l'influence dont on jouit auprès de ces groupes.

+-

    La présidente: J'aimerais revenir sur une question que vous avez soulevée lorsque vous avez parlé de la prévalence de la consommation qui ressort dans les études. Vous avez fait remarquer qu'il était difficile d'obtenir des données solides sur la question étant donné qu'il s'agit de substances illégales. Qu'adviendrait-il si nous modifiions la loi à cet égard et si au lieu de simplement mettre l'accent sur les conséquences de la consommation du tabac et de l'alcool, nous commencions à dire que la consommation de certaines substances, qu'il s'agisse de médicaments d'ordonnance ou de drogues actuellement illégales, présente des risques dans certaines conditions et moins de risques dans d'autres? Il serait ensuite possible d'expliquer aux jeunes les risques qui découlent de certains comportements. Voulez-vous conduire? Dans ce cas-là, il faudrait mieux ne pas consommer de drogue. À ceux qui veulent pratiquer des sports, nous dirions qu'il vaut mieux ne pas polluer son corps.

+-

     Certains jeunes qui semblent avoir compris les méfaits que peut causer le tabac ont dit ne pas savoir que la marijuana contenait du goudron. Comme les jeunes ont compris qu'il ne fallait pas conduire et boire, ils consomment des drogues parce qu'ils peuvent ainsi subir l'alcootest sans problème. Ils veulent donc éviter d'avoir des ennuis avec la justice, mais ils n'ont pas compris le message qui consiste à ne pas se causer du tort à soi-même ni aux autres. Les jeunes semblent ne pas connaître les choix qui s'offrent à eux. Par ailleurs, il y a des gens de tous les âges qui consomment des médicaments pensant qu'ils ne présentent aucun risque simplement parce qu'un médecin les leur a prescrits. Ces gens-là non plus ne font pas des choix éclairés.

    N'y aurait-il pas une meilleure façon de s'y prendre en ce qui touche la prévention ou la réglementation des drogues? Faudrait-il changer notre attitude au sujet de certains produits légaux ou illégaux ainsi que notre approche à la sensibilisation aux méfaits des drogues?

º  +-(1610)  

+-

    Dre Marcia Johnson: D'autres personnes autour de cette table pourraient aussi vous donner leur avis sur la question. Votre proposition est excellente, mais je me demande si les gens se préoccupent suffisamment de leur santé pour toujours prendre de bonnes décisions. Pour cela, il faut avoir une bonne opinion de soi-même et savoir qu'il importe de s'occuper de soi et des autres. Notre système, avec toute son illégalité, ne donnera pas de résultats tant que les gens ne s'intéresseront pas suffisamment à leur santé pour prendre de bonnes décisions. Il faut que les gens sachent évidemment aussi ce qui est bon pour eux. Si tout est permis, nous ferons face aux mêmes problèmes. Si les gens ne s'intéressent pas suffisamment à leur santé pour prendre la bonne décision, ils ne retiendront pas l'information qui leur est donnée pour leur permettre de faire un choix éclairé.

    Je suis des plus heureuses de dire qu'il y a de meilleures approches que la criminalisation de ces choses. Je me ferais un plaisir d'approfondir cette idée, d'essayer des stratégies et d'évaluer la différence. Mais au plus profond de moi-même, je pense vraiment que cela revient à avoir des gens capables de s'occuper d'eux-mêmes.

+-

    La présidente: Les recherches menées par Christiane Poulin de l'Université Dalhousie portent sur un sous-groupe de personnes ayant des comportements présentant des risques très élevés. Ces comportements sont peut-être attribuables au fait que ces personnes manquent d'estime de soi. Certaines de ces personnes ont une dépendance à l'égard du sexe, des cigarettes, de l'alcool ou de la marijuana. Certaines d'entre elles finiront par consommer de l'héroïne, de la cocaïne, du Dilaudid ou je ne sais quoi. Il n'est pas facile de prédire quels jeunes auront ce genre de comportement.

+-

    Dre Marcia Johnson: Lorsqu'on met à l'essai diverses stratégies en vue d'établir celles qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas, on se rend compte que les stratégies actuelles ne sont sans doute pas les meilleures. Je ne pense pas qu'il existe de solution magique au problème. Il faudra, pour le régler, qu'il y ait concertation des efforts ainsi que manifestation d'un véritable leadership, que ce soit au niveau provincial, fédéral ou local. Nous sommes tous aux prises avec les mêmes problèmes.

+-

    La présidente: Il faudra sans doute qu'il y ait concertation des efforts par tous les paliers de gouvernement.

    Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui. Je sais que c'est la deuxième fois que le comité a demandé à ce que vous vous rendiez disponible. Nous nous en excusons. Je suis très heureuse que nous ayons pu entendre votre témoignage et que les partis d'opposition aient accepté que ces audiences aient finalement lieu. Le comité entendra sans doute des témoins jusqu'à la fin juin, qui approche à grands pas. Nous essaierons ensuite de poursuivre nos travaux pendant l'été et à l'automne. Nous comptons présenter un rapport en novembre 2002. Si vous voulez nous faire part d'une étude ou de quoi que ce soit d'autre qui est susceptible de nous intéresser, n'hésitez pas à le faire. Vous pouvez vous adresser à Eugene ou à Carol Chafe, à qui certains d'entre vous ont déjà parlé. Vous pouvez aussi nous transmettre de l'information par voie électronique. Nous vous prions aussi d'encourager vos collègues et même vos enfants à communiquer avec nous.

+-

     Au nom de tous les membres du comité, j'aimerais vous remercier des efforts que vous déployez chaque jour pour venir en aide aux gens. Je vous incite à poursuivre votre bon travail.

    Nous prendrons maintenant une pause de trois minutes avant de passer à l'audition de nos prochains témoins.

º  +-(1610)  


º  +-(1613)  

+-

    La présidente: Le comité reprend ses travaux.

    Nous sommes les membres du Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Notre comité compte habituellement plus de membres, mais nous sommes moins nombreux aujourd'hui en raison de tout un ensemble de circonstances. Je vous signale cependant que nos délibérations sont transcrites. Nous sommes très heureux que vos collègues qui ne sont pas dans la salle aient donné leur accord à la poursuite de nos travaux.

    Nous accueillons maintenant des représentants de la Gendarmerie royale du Canada. Il s'agit du sergent d'état-major Doug Carruthers et du caporal Jim Jancsek. Veuillez d'abord faire votre déclaration préliminaire. Nous vous poserons ensuite des questions.

º  +-(1620)  

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    Sergent d'état-major Doug Carruthers (Gendarmerie royale du Canada): Madame la présidente, mesdames et messieurs membres du Comité spécial de la Chambre des communes sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, nous vous remercions de nous avoir invités à participer à vos audiences.

    Je m'appelle Doug Carruthers. Je suis le sergent d'état-major chargé de l'unité de lutte contre les drogues de la GRC à Edmonton. Je compte 31 années de service au sein de la GRC, dont 17 ont été consacrées à l'application des lois canadiennes sur les drogues, neuf années à enquêter sur le produit de la criminalité et cinq années à l'exécution de fonctions diverses. J'ai été accepté comme témoin spécialiste auprès de la Cour du Banc de la Reine et de la Cour provinciale de l'Alberta, ainsi que de la Cour suprême et de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique et du Yukon. J'ai suivi l'évolution dans la consommation des drogues des années 70 à aujourd'hui.

    Je suis accompagné aujourd'hui du caporal Jim Jancsek, actuellement en poste à Fort McMurray, en Alberta. Mon collègue pourra vous entretenir de la consommation des drogues et de ses conséquences dans une ville moderne du nord de l'Alberta.

    Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de l'expérience que j'ai acquise au cours de ma carrière. J'ai été affecté au service des drogues de Vancouver de 1973 à 1977, à celui de Calgary de 1978 à 1988 et à la direction d'application des lois sur les drogues au quartier général de la GRC à Ottawa de 1988 à 1992. Je suis le commandant du service de lutte contre les drogues d'Edmonton depuis 1996. Mon expérience m'amène à conclure que la tolérance à l'égard de la consommation des drogues varie d'une ville à l'autre, mais que dans toutes les villes, les citoyens ne veulent absolument pas que des drogues soient consommées dans leur quartier. De façon générale, les citoyens ont tendance à faire comme si le problème de la consommation des drogues et de l'alcool ne les concernait pas tant qu'ils ne sont pas personnellement touchés.

    Il faut se demander pourquoi les citoyens sont prêts à accepter des situations qui empiètent sur leurs droits personnels et qui compromettent notamment leur sécurité dans leur quartier et sur la route. Je pense que c'est en partie en raison du fait que la population canadienne s'est fait berner par une minorité de personnes qui réclament à grands cris le droit de vivre leur vie comme elles l'entendent, et notamment le droit de consommer des drogues librement. Je m'attends tout à fait à ce que le moment vienne où ces personnes réclameront également que ces drogues leur soient fournies gratuitement, ce qui est déjà dans une certaine mesure le cas dans le cadre des programmes de maintien à l'héroïne.

    On n'a jamais livré une véritable guerre aux drogues au Canada. Le pays ne s'est jamais donné une stratégie commune à cet égard. Nous n'avons pas mis en oeuvre des programmes de sensibilisation aux drogues qui renseignent vraiment les gens. Aucun leadership ne s'est manifesté à l'échelle nationale et il n'y a pas eu non plus de coordination des efforts déployés dans l'ensemble du pays. La population canadienne ne sait pas trop à quoi s'en tenir au sujet de la consommation des drogues. Jusqu'à ce que tous les partis politiques canadiens s'entendent sur une véritable politique en matière de drogues, les Canadiens continueront de se désintéresser du problème des drogues tant qu'ils ne seront pas directement touchés.

+-

     Si des milliers de Canadiens sont devenus toxicomanes au moment où la drogue était illégale, socialement inacceptable et généralement difficile à obtenir, des dizaines de milliers risquent fort de le devenir lorsque la drogue sera légalisée et qu'il sera facile de s'en procurer. La réduction des méfaits est une expression nouvelle qui, en fait, signifie la promotion des méfaits. On redéfinit désormais la désintoxication pour parler d'entretien, ce qui tend à répandre le message voulant que la toxicomanie est une pratique acceptable. Nos programmes d'éducation renseignent sur la drogue au lieu de mettre en garde contre elle. Les programmes non normalisés nous apprennent que si la drogue est utilisée en toute sécurité, il est bon de s'y adonner. Ce sont là de mauvais messages, qui nous entraînent dans la mauvaise direction.

    C'est le même message qu'on entend lorsqu'on atténue les conséquences de la toxicomanie. Faut-il en déduire qu'elle n'est plus mauvaise? Je considère que le message sur le tort causé par la toxicomanie devrait faire baisser la consommation de drogues. Il faut au Canada un consensus social qui fait défaut actuellement.

    Les programmes d'échange de seringues sont en réalité des programmes de distribution de seringues. Il suffit de se rendre dans le quartier de Vancouver où on en distribue pour être amené à se demander qui sont les véritables victimes. Les commerces situés dans ce quartier sont entourés de clôtures. Les toxicomanes qui ne se rendent pas dans les piqueries contrôlées sont allongés par terre dans les rues. On trouve partout des seringues utilisées. Est-ce là l'image que l'on veut promouvoir pour favoriser les affaires et le tourisme dans nos villes et dans notre pays?

    Les médecins et les scientifiques devraient former un partenariat pour traiter des problèmes de toxicomanie. On parle d'utiliser la marijuana à des fins médicales, mais cette utilisation ne repose sur aucune preuve scientifique. La marijuana contient 60 substances psychotropes, 360 ingrédients inertes et 11 cannabinoïdes connus. Je ne connais aucun autre remède prescrit par les médecins qui doive être fumé par le patient. Une cigarette de marijuana équivaut aux trois quarts d'un paquet de cigarettes ordinaires et contient trois fois plus de goudron. Notre société semble gagner la bataille contre la consommation de tabac et d'alcool; pourquoi abandonner si rapidement le combat contre la légalisation de la drogue? Il n'existe aucune étude sur l'interaction entre le THC et les médicaments qui peuvent être prescrits par ailleurs. Il se pourrait que le fait de mélanger ces médicaments à la marijuana provoque des combinaisons fatales que l'on ne connaît pas.

    Récemment, j'ai entendu un défenseur de la marijuana dire à un groupe d'étudiants qu'elle ne pouvait pas nuire à la santé parce qu'elle est cultivée biologiquement. On laisse les médias diffuser ce faux message à tous les Canadiens. C'est ce qui amène nos enfants à se laisser séduire par les narcotrafiquants, qui demandent la légalisation pour trois raisons: le fric, le fric et le fric. Le véritable problème, c'est de protéger l'avenir de notre société. En outre, avant toute prise de décisions, il faut étudier tous les repères scientifiques de façon à valider les véritables conséquences d'une légalisation.

    Une fois que tout sera fini, souhaitez-vous que les professeurs de nos enfants soient sous l'effet de substances psychotropes? Et votre chauffeur de taxi, et le pilote de ligne qui vient de fumer un joint avant le décollage? Ce qui importe, c'est l'avenir de nos enfants. Les gens d'Edmonton ne sont pas fous. Malgré toute la campagne médiatique de promotion de la légalisation, ils savent bien que les consommateurs refusent de reconnaître que la marijuana brûle des cellules du cerveau, et ils ne veulent pas entendre parler de légalisation dans leur voisinage.

    Il faut reconsidérer la stratégie canadienne antidrogue, s'inspirer des succès remportés par les campagnes de promotion du port de la ceinture de sécurité, et par les campagnes de lutte contre l'alcool au volant et le tabagisme. Actuellement, il n'y a pas de synergie entre la prévention, le traitement et l'application de la loi, mais une telle synergie est possible, à condition d'envisager les problèmes actuels et futurs de toxicomanie au Canada d'une façon entièrement nouvelle.

    J'ai récemment assisté à la conférence internationale de Vancouver sur l'éducation et la sensibilisation concernant la drogue. On y a présenté les succès et les échecs de différents pays du monde pour montrer que la voie de la légalisation n'est pas celle qu'il faut emprunter pour gagner ce combat. Méfions-nous des solutions simples à des problèmes complexes. La drogue n'est pas une menace pour la société canadienne parce qu'elle est illégale; elle est illégale parce qu'elle constitue une menace pour la société canadienne. Que l'on parle de légalisation, de décriminalisation ou de réforme de la politique de la drogue, il reste que toutes ces mesures vont se traduire par une plus grande quantité de drogues à portée de nos enfants et une plus grande disponibilité dans la rue au Canada.

    Merci.

º  +-(1625)  

+-

    La présidente: Merci.

    À vous, caporal Jancsek.

+-

    Caporal Jim Jancsek (Gendarmerie royale du Canada): Je n'ai reçu mon avis de convocation que tardivement et contrairement au sergent d'état-major Carruthers, je n'ai pas préparé d'exposé. Cependant, j'ai quelques notes, dont j'ai donné copie au greffier.

    Je commencerai en vous disant que j'ai environ 22 ans d'expérience à la GRC, dont 10 aux services généraux. J'ai passé trois ans et demi à la section antidrogue de Burnaby, en Colombie-Britannique, puis un peu plus de six ans à l'application de la législation sur la drogue au niveau fédéral à la section antidrogue de Vancouver. J'ai ensuite été muté à Fort McMurray il y a près de deux ans et après six mois d'affection aux services généraux, je suis arrivé à la section antidrogue, où je travaille depuis un an et demi.

+-

     Je ne sais pas si vous connaissez bien Fort McMurray. C'est une petite ville du nord-est de l'Alberta. Elle compte environ 47 000 habitants, auxquels s'ajoute une population de passage d'environ 11 000 personnes qui se trouvent dans les différents sites de l'industrie pétrolière. Le cannabis et la cocaïne constituent les drogues de choix quasi-exclusives dans cette région, qui connaît une forte consommation, alors qu'elle n'a aucune contrainte d'âge ou de considération économique ou culturelle. On peut se procurer les deux substances dans des quantités variant de quelques grammes à quelque livres. On peut en trouver à la livre en tout temps, n'importe quel jour, grâce à un bassin de fournisseurs en augmentation constante. La cocaïne arrive des grandes villes de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. D'après les interrogatoires de ceux qui connaissent la sous-culture de la drogue, il est notoire que Fort McMurray est une région ouverte, où les nombreux consommateurs sont prêts à payer des prix exorbitants pour une cocaïne de qualité ou de quantité inférieures. Les marges bénéficiaires des trafiquants sont astronomiques.

    La consommation de cannabis est bien implantée dans la région et donne lieu à des abus sans limite. Le cannabis est employé par les jeunes de la localité, mais aussi par des citoyens plus âgés, prospères et bénéficiant d'un bon emploi. D'après des sources fiables, le cannabis est disponible dans les camps à l'extérieur de la ville qui accueillent les employés de l'industrie pétrolière. Les mandats de perquisition exécutés par notre section de Fort McMurray et portant sur des cas de possession de cannabis à des fins de revente ont concerné majoritairement des individus d'un certain âge occupant des emplois bien rémunérés dans un site d'exploitation ou de transformation, et ils ont reconnu faire le trafic pour approvisionner leurs collègues.

    Le cannabis arrive dans notre ville de différentes façons. Il est généralement transporté par la route à partir des laboratoires de culture de Colombie-Britannique. Il est emballé sous vide dans des sacs de plastique, par lot de quatre à dix livres. En plus des livraisons de plusieurs livres, notre section a été informée de nombreux lots moins importants qui sont envoyés dans les divers sites pétroliers par messageries ou par autobus. On intercepte chaque année des dizaines d'envois de ce genre. Leurs poids varient de 14 grammes à plusieurs onces. Nous ne connaissons que les envois interceptés, mais nous supposons que des centaines d'autres arrivent à destination à l'insu de la police.

    Tous les trafiquants de cocaïne, sans exception, qui ont été arrêtés dans notre ville consomment ou ont consommé du cannabis. La plupart des trafiquants de cocaïne et de cannabis ont été ou sont actuellement employés dans un établissement de l'industrie pétrolière. Généralement, les trafiquants de cannabis continuent à travailler dans l'industrie pétrolière de la région, alors que la plupart des trafiquants de cocaïne renoncent à leur emploi pour les activités beaucoup plus lucratives ou moins fastidieuses du trafic de cocaïne.

º  +-(1630)  

+-

    La présidente: Puis-je vous interroger sur ce dernier élément? Vous dites que les trafiquants de cannabis conservent leur emploi alors que les trafiquants de cocaïne vivent sans emploi dans la collectivité.

+-

    Cpl Jim Jancsek: C'est beaucoup plus lucratif pour eux de se consacrer uniquement au trafic de cocaïne, compte tenu du nombre de consommateurs et des profits qu'ils en retirent.

+-

    La présidente: Je vous remercie tous les deux de nous avoir fait part de votre expérience, qui nous aide considérablement à mieux comprendre où nous en sommes.

    À vous, monsieur  LeBlanc.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Les partisans de la dépénalisation de la possession de cannabis avancent souvent l'argument selon lequel l'individu condamné pour possession conserve un casier judiciaire et doit purger une peine d'emprisonnement. D'après votre expérience—je reconnais qu'elle est faite anecdotique et qu'il faudrait consulter le ministère public—pouvez-vous nous tracer le portrait type de l'individu condamné pour possession de cannabis? Je me souviens de témoignages antérieurs où l'on disait que la grande majorité des accusations visaient simultanément d'autres activités criminelles, par exemple, lorsqu'on trouvait de la marijuana sur un individu arrêté pour un hold-up dans un dépanneur. Une accusation pour possession s'accompagne généralement d'autres accusations. Les accusations pour possession uniquement, sans autres accusations connexes, sont très rares, ce qui semblerait indiquer que la police ne vise pas la simple possession de cannabis en tant qu'infraction en soi. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.

+-

     J'ai pratiqué le droit pendant des années, mais je me suis préoccupé de droit pénal, et je me souviens plus des sentences imposées dans ce domaine. Prenons le cas d'un étudiant de niveau collégial ou universitaire qui est accusé de possession de cannabis. De quel genre de sentence risque-t-il d'écoper? Je sais que la sentence peut varier d'un district à un autre et d'un juge à un autre. J'ai l'impression qu'on exagère en disant qu'un tel accusé va faire de la prison, qu'il va conserver un casier judiciaire et qu'il aura toujours d'énormes problèmes s'il veut franchir une frontière internationale. Mais ce sont les arguments que formulent couramment ceux qui préconisent une modification de la législation, et notamment la dépénalisation de la possession.

    Parlez-nous de la situation de l'individu condamné pour possession. Que lui arrive-t-il, de quel genre de sentence écope-t-il et quelles en sont les conséquences par la suite? C'est beaucoup plus sérieux si on ne peut plus jamais retourner aux États-Unis sans s'exposer à de graves problèmes à la frontière. Voilà le genre d'arguments qu'on entend couramment. J'ai l'impression que ceux qui l'avancent exagèrent et j'aimerais savoir ce que vous en pensez, d'après votre expérience.

º  +-(1635)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Il serait bien difficile de trouver un détenu incarcéré pour possession de cannabis. Il n'y en a sans doute pas un seul au Canada. J'ai assisté récemment à une conférence où j'ai pu voir qu'aux États-Unis, personne n'était incarcérée pour possession simple de marijuana. Je pense qu'il en va de même pour la possession de n'importe quelle drogue, y compris la cocaïne et l'héroïne. Normalement, ce genre d'infraction n'entraîne pas d'incarcération. Le système ne pourrait pas y faire face.

    Je reconnais avec vous que la grande majorité des individus accusés de possession de marijuana l'ont été après avoir été arrêtés pour une autre infraction criminelle. Mon service ne vise pas ceux qui se rendent coupables de simple possession. Si nous arrêtons quelqu'un qui a du cannabis sur lui, nous portons une accusation contre lui, mais nous ne le poursuivons pas nécessairement pour cette accusation, en particulier s'il est aussi accusé d'une infraction plus grave. Donc effectivement, une accusation pour possession de marijuana s'accompagne généralement d'autre chose. La police n'a pas le temps de partir à la recherche de ceux qui se rendent coupables de simple possession de marijuana.

    En ce qui concerne le franchissement des frontières, les Américains sont très peu tolérants en matière de consommation de drogue, mais je connais des individus dont le casier judiciaire a été effacé sur demande au bout de trois ou quatre ans, et des gens condamnés en matière de drogue qui se sont adressés aux autorités américaines, ont rempli différents documents et qui, désormais, peuvent aller aux États-Unis. Mais les autorités américaines constatent qu'un voyageur a été condamné dans une affaire de drogue, elles peuvent lui interdire l'accès aux États-Unis. Elles se réservent le droit d'interdire à certains individus de visiter leur pays.

    Pour les infractions concernant le cannabis commises en Alberta, j'ai dans mon service un groupe de policiers qui collaborent avec la police municipale d'Edmonton, que vous devez entendre plus tard, je crois. Nous ciblons la production hydroponique du nord de l'Alberta. Nos tribunaux y sont encore très hostiles. Dans la province de l'Alberta, on impose encore des sentences assez lourdes à ceux qui exploitent des cultures hydroponiques. En dehors de la Colombie-Britannique, où les exploitants de cultures hydroponiques s'en tirent avec une simple amende, on prononce des peines de prison pour les infractions graves ou pour les cultures importantes. J'ai dans mon service deux personnes qui se consacrent à ce projet, auquel participent également deux officiers de la police municipale d'Edmonton.

    À part cela, faute d'argent et de ressources et parce que le système judiciaire ne peut traiter qu'un nombre limité de dossiers, nous nous occupons essentiellement des activités de la pègre, qui contrôle le trafic de la drogue, y compris les cultures, et qui fait venir à Edmonton différentes substances en grande quantité, essentiellement de Vancouver. C'est en fonction de cela que nous organisons notre réflexion. Nous ne visons pas la consommation ni la possession simple. Nous visons les gros trafiquants.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Sergent Carruthers, je comprends que vous ne visez pas directement les consommateurs pour simple possession et j'aimerais savoir s'il en va de même pour les consommateurs de drogues dures, indépendamment de la marijuana. Mais d'après votre expérience, qu'arrive-t-il en Alberta à l'individu condamné pour possession de marijuana? Disons qu'il s'agit d'une première infraction. Les choses tournent mal à la fête du collège et quelqu'un se fait coincer et condamner. De quel genre de sentence va-t-il normalement écoper? Quelle est la fourchette des condamnations? Est-ce systématiquement une libération conditionnelle, avec quelques heures de service communautaire? Est-ce qu'on impose des périodes de probation?

º  +-(1640)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Dans la plupart des cas, c'est une libération conditionnelle. Les juges sont très sensibles aux torts que cause un casier judiciaire. Les libérations conditionnelle sont très courantes ici. Évidemment, en cas de récidive, c'est différent.

+-

    La présidente: Quelqu'un qui a déjà été arrêté et qui a obtenu une libération conditionnelle peut-il être condamné pour simple possession?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui, mais il ne sera pas condamné à la prison pour simple possession.

+-

    La présidente: Dans votre première réponse, vous avez dit que les fumeurs n'étaient pas visés, mais là, vous dites qu'ils sont condamnés.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Ils sont condamnés s'ils se font prendre après avoir déjà été arrêtés.

+-

    La présidente: Et que se passe-t-il lors de la deuxième arrestation?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: On leur impose généralement une amende.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Rafraîchissez-moi la mémoire, car je n'y ai guère prêté attention à la faculté de droit: est-ce qu'une libération conditionnelle entraîne l'ouverture d'un casier judiciaire?

    La présidente: Aux États-Unis, oui.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Ici, l'individu se retrouve ultérieurement avec un casier judiciaire.

+-

    M. Dominic LeBlanc: C'est pourquoi on pose des questions du genre «Avez-vous déjà été trouvé coupable d'une infraction?». En cas de libération conditionnelle, l'individu est trouvé coupable, mais il n'est pas condamné. C'est pourquoi on pose la question sous cette forme. Il faudrait répondre par l'affirmative si on a obtenu une libération conditionnelle pour possession de marijuana, n'est-ce pas?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: C'est exact.

+-

    La présidente: Des électeurs de ma circonscription ont fait des démarches pour faire effacer leur casier judiciaire et ils ont dû à la fois verser beaucoup d'argent et remplir un tas de formulaires pour les autorités américaines. J'ai plusieurs électeurs qui ont fait cette expérience.

+-

    Cpl Jim Jancsek: Je suis d'accord avec le sergent Carruthers. Nous ne visons pas les simples consommateurs qui sont en possession des drogues disponibles à Fort McMurray. Généralement, si l'on constate qu'ils ont du cannabis, c'est à l'occasion d'une autre infraction ou d'une autre plainte. Si des accusations sont portées et qu'il s'agit d'une première infraction, le juge de Fort McMurray prononcera généralement une sentence comportant des mesures de déjudiciarisation. L'accusé devra donner un certain montant à un organisme de bienfaisance, faire quelques heures de service communautaire et sera remis en liberté. Si le juge procède différemment, il pourra imposer une amende d'une centaine de dollars. Aucun condamné n'est incarcéré. En 22 ans, je n'ai jamais vu d'incarcération pour simple possession de cannabis.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Le sergent d'état-major Carruthers a parlé de la pègre. Des témoins des différents corps de police, y compris le vôtre, ont évoqué le rôle joué par la pègre dans l'importation et la distribution de la drogue et, évidemment, dans le trafic de drogues. Dans certaines provinces, il semble que ce soit les Hells Angels qui contrôlent en partie le marché de la drogue. J'aimerais savoir s'il y a dans cette province des bandes de motards qui se livrent à ce genre d'activité. Quelles sont les autres conséquences du contrôle de l'importation et du trafic de drogues par la pègre, si elle en assure effectivement le contrôle? Je suppose que le plus souvent, c'est effectivement le cas. Je pense aussi à des activités comme la prostitution. Avez-vous souvent mené enquête sur les produits de la criminalité? Avez-vous souvent porté des accusations en vertu des dispositions du Code criminel sur les produits de la criminalité? Dans ma province du Nouveau-Brunswick, vos collègues ont récemment obtenu gain de cause dans de très importantes poursuites—notamment contre des avocats, ce qui est encore plus inquiétant—concernant des produits de la criminalité et des activités de blanchiment d'argent provenant du trafic de drogues. J'aimerais savoir s'il existe des situations analogues en Alberta.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui, il en existe. Habituellement, mon service ne fait pas enquête à moins qu'il y ait des produits de la criminalité, car je suis fermement convaincu qu'il ne sert à rien d'incarcérer un individu pour une infraction grave en le laissant profiter de ses biens lorsqu'il sort de prison, car il peut alors reprendre ses activités criminelles. Dans cette province, nous avons réussi à faire échec à des groupes organisés en les privant de leurs biens et lorsque leurs membres sortaient de prison, ils devaient repartir à zéro.

    Dans notre région, des groupes criminels organisés contrôlent certains aspects du trafic de drogues. Il fut un temps où la bande de motards Outlaw contrôlait la culture hydroponique. Les Outlaws contrôlent encore certains aspects de la vente de détail dans certaines parties de la ville. Ils exercent une forte mainmise sur le commerce des méthamphétamines, ou du «speed». C'est d'eux que provient la drogue vendue dans certains quartiers. Il y a aussi d'autres groupes culturels de criminalité organisée que nous avons rencontrés ici, à Edmonton. Nous avons réussi à traduire en justice plusieurs groupes importants qui faisaient des millions de dollars de profit en écoulant des dizaines de kilos de cocaïne dans cette ville. Nous réussissons à les appréhender, mais le marché est tellement lucratif qu'il se trouve toujours quelqu'un pour les remplacer.

    L'un des éléments importants que j'ai constatés depuis cinq ans, c'est le contexte de violence qui accompagne le trafic de drogues. C'est un phénomène considérable. Il y a une dizaine d'années, quand je faisais enquête sur des affaires de drogues, il n'y avait pas lieu de se préoccuper de violence dans les rapports entre les différents protagonistes. Maintenant, lorsque j'entreprends ce genre d'enquête, je sais que tous mes agents risquent de trouver, à un moment donné, quelqu'un qui s'est fait abattre dans la rue ou à l'occasion d'une fusillade entre bandes rivales. Ils sont impitoyables et n'ont aucun respect pour la justice. Ils ne pensent qu'à eux et au fric. Les groupes se battent entre eux pour garder leur territoire; c'est une autre source de violence. Il y a de la violence à l'intérieur même des groupes contre ceux qui ne paient pas leurs dettes; on en constate souvent les résultats. Nous ne sommes jamais prévenus à l'avance, mais une fois le crime commis, nous faisons enquête et nous nous trouvons de plus en plus souvent dans l'obligation de dire à certains individus que leurs partenaires en affaires ou que des personnes avec qui ils sont en contact ont l'intention de les éliminer ou de leur causer des préjudices graves. C'est une tendance de plus en plus fréquente dans nos enquêtes.

    Comme je l'ai dit, les produits de la criminalité sont l'une des cibles essentielles de nos enquêtes. Les dispositions du Code criminel les concernant sont d'excellentes mesures législatives qui nous ont permis de résoudre une bonne partie de nos problèmes.

º  +-(1645)  

+-

    La présidente: Quand vous parlez de «groupes culturels de criminalité organisée», je suppose qu'il ne s'agit pas du Centre national des arts. Quels sont ces groupes culturels de criminalité organisée?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Des groupes de pairs. La plupart des groupes de criminalité organisée ont un lien culturel; ils peuvent être de la même origine raciale ou utiliser la même langue.

+-

    La présidente: Bien; lesquels trouve-t-on actuellement à Edmonton?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: La pègre asiatique est très présente.

+-

    La présidente: Est-ce qu'elle importe de l'héroïne?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: De la cocaïne. Elle s'intéresse aussi de près aux cultures hydroponiques qui, d'après nos constatations, sont de plus en plus souvent contrôlées par la pègre asiatique. Elle importe aussi de l'héroïne; nous en avons déjà trouvé, mais le marché albertain de l'héroïne est beaucoup plus réduit que celui des ports comme Vancouver, où il est florissant. La cocaïne est la drogue très rentable qui leur permet de gagner des millions.

+-

    La présidente: Et d'où vient la drogue?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Essentiellement de Vancouver, du port. À Edmonton, nous avons une population d'héroïnomanes que je qualifie de moyenne à importante. Nous avons fait des saisies importantes ces dernières années. Les héroïnomanes forment un groupe étroitement soudé. Nous avons ici un centre de traitement à la méthadone, qui n'est pas étranger à la présence des héroïnomanes. Notre climat ne leur est pas propice, et la clinique de méthadone les aide à surmonter leurs problèmes pendant qu'ils sont ici. Dans la rue, on utilise beaucoup de talwin et de ritalin. Nous avons un problème d'héroïne, mais nous n'en saisissons pas des kilos, ni même des livres. Ici, on préfère la cocaïne.

    Par ailleurs, les métamphétamines échappent actuellement à tout contrôle. Il y a de plus en plus de laboratoires résidentiels qui produisent des métamphétamines et du speed. Les métamphétamines sont si abondantes dans les rues que leur prix a diminué de moitié récemment. Lorsque j'envoie mes équipes acheter de la cocaïne dans les zones rurales de l'Alberta, elles y parviennent très difficilement, mais quand il s'agit d'acheter des métamphétamines, c'est comme s'il s'agissait d'acheter des bonbons chez le dépanneur voisin. On en trouve en grandes quantités, et ce, pour différentes raisons. Cela donne une très bonne sensation, ça dure longtemps et c'est très bon marché. Et ça ne comporte pas les mêmes stigmas que l'héroïne et la cocaïne. C'est de plus en plus courant et nous en constatons les ravages. Il se pourrait que la situation s'inverse, mais actuellement, c'est un problème considérable. Malheureusement, nous n'avons pas les ressources nécessaires pour y faire face.

+-

    La présidente: Caporal Jancsek.

º  +-(1650)  

+-

    Cpl Jim Jancsek: Nous nous occupons aussi de la question des produits de la criminalité, au cours de nos enquêtes. Ils ne sont pas aussi énormes qu'ils le seraient dans une municipalité de la taille d'Edmonton, mais nous réussissons quand même à effectuer des saisies importantes d'argent liquide. La plupart des habitations où vivent nos fournisseurs là-bas sont louées. Étant donné le coût de la vie là-bas, l'achat d'une maison coûte trop cher. Ils préfèrent donc louer, puis aller ailleurs.

    Le crime organisé a étendu ses tentacules jusqu'à Fort McMurray. La bande de motards Outlaw y est rendue. Ses membres vivent dans notre collectivité. D'après les rumeurs, ils y mènent certaines entreprises. Ce n'est pas encore confirmé. La cocaïne qui arrive dans la ville provient principalement de bandes de motards criminalisées. On nous a informés que des organisations criminelles asiatiques d'Edmonton ont trouvé que Fort McMurray était un endroit très lucratif pour ce qui est de l'approvisionnement en cocaïne.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Nous avons constaté que les groupes de criminalité organisée installés à Edmonton approvisionnent beaucoup Grande Prairie, Fort McMurray, Peace River et Red Deer. Comme je l'ai dit, presque toutes les sources d'approvisionnement dans les régions se situent à Vancouver.

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    La présidente: Monsieur LeBlanc.

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    M. Dominic LeBlanc: Merci de cette réponse. Vous nous avez donné un aperçu intéressant de plusieurs des questions liées à la lutte contre le crime organisé. Il ne s'agit pas d'un fournisseur local qui cultive dans sa cour et distribue de la marijuana aux gens qui organisent des partys. On se méprend, parfois, en pensant que c'est une petite entreprise familière locale qui se livre à ce commerce.

    Je tenais à vous le dire. Les marges de profit dans ce type d'entreprise, d'après ce qu'on nous dit, sont énormes. En outre, on ne paie probablement pas beaucoup de taxes sur plusieurs de ces opérations, de sorte que la personne qui se livre à ce genre d'activité en tire des revenus nets plus élevés que d'autres entreprises. Où va tout cet argent? S'il s'agit de bandes criminelles asiatiques, ou de bandes de motards, qui gagnent des millions de dollars grâce à diverses opérations à tous les échelons, cet argent se retrouve-t-il à un siège social quelque part? Est-il investi dans des entreprises, comme vous l'avez dit, dans le but de recycler cet argent? Que fait-on normalement de ces produits de la criminalité?

    Je vous félicite des efforts que vous faites pour saisir les produits de la criminalité. J'ai toujours trouvé étrange que quelqu'un puisse passer un certain temps en prison, après avoir été trouvé coupable d'une infraction, et puisse ensuite sortir et profiter de tous les biens matériels accumulés grâce à son activité criminelle. Je suis heureux que la loi soit utile et que vous l'utilisiez autant que c'est possible. Où va tout cet argent?

º  +-(1655)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je peux vous dire avec certitude qu'une grande partie de cet argent s'en va à l'étranger. Une grande partie de cet argent retourne dans le pays d'origine des criminels et y est dissimulé, de sorte que nous n'y avons pas accès. De nombreux pays d'où viennent ces criminels ne coopèrent pas aux protocoles établis par les Nations Unies, de sorte que nous n'avons pas accès à cet argent. Nous savons qu'il est là.

    Une grande partie de l'argent sert à acquérir des entreprises. Nous avons vu des gens acheter des entreprises afin d'essayer de légitimiser leur revenu. Évidemment, ces gens mènent un grand train de vie. Ils ne travaillent pas. Ils voyagent et font la fête. Ils se procurent tous les jouets auxquels vous pouvez penser. Je sais que certains ont cinq ou six voitures anciennes très coûteuses, toutes les mononeiges que vous pouvez imaginer, une remorque où l'on pourrait transporter dix mononeiges, et des motocyclettes. Ils vivent leur vie au maximum.

    Je répète qu'une grande partie de cet argent part à l'étranger et que nous n'y avons pas accès. Lors d'une enquête récente, nous savions qu'une somme de 700 000 $ se trouvait à l'étranger, mais le pays concerné n'a pas accepté de coopérer avec nous, de sorte que nous n'avons pas pu récupérer cet argent. Il s'agissait d'argent américain. C'est dans la ville d'Edmonton que quelqu'un avait réussi à gagner tout cet argent, grâce à une toute petite organisation d'environ huit personnes.

    Il y a des cas où il s'agit de très grandes organisations, mais ces affaires sont présentement devant les tribunaux, et je dois donc faire attention à ce que je dis. Ces groupes de criminels organisés fonctionnent comme des entreprises. Il y a une équipe de jour et une équipe de nuit. Il y a des gens qui travaillent la fin de semaine. Ils viennent travailler et changent d'équipe de travail. Les téléphones passent des mains du personnel de jour à celles du personnel de nuit. Les voitures utilisées par ceux qui répondent à des commandes téléphoniques de drogue passent de l'équipe de jour à l'équipe de nuit. Si quelqu'un ne se présente pas au travail, il fait mieux d'avoir une bonne excuse, parce qu'on a besoin de lui en poste. Les équipes de travail sont plus nombreuses lorsqu'approche le temps des chèques d'aide sociale, parce qu'on sait qu'on fera de grosses affaires ces jours-là. Cela fonctionne tout comme une entreprise.

    Les drogues sont apportées dans la ville et l'on transforme la cocaïne en crack, ce que tout le monde veut de nos jours, parce que c'est très fort et très répandu. La transformation de la poudre de cocaïne en crack est un autre processus commercial. Ils louent des appartements. Nous avons de forts indices révélant qu'ils ont des équipes qui y travaillent. Ils ont des gens dont la seule tâche est de cuisiner, c'est-à-dire transformer la poudre de cocaïne en crack, des gens qui font seulement la séparation et la pesée, et d'autres qui s'occupent uniquement de l'emballage.

    Le crime organisé ne fonctionne pas comme un petit commerce familial, où l'on vend de la drogue dans des boîtes de nuit locales et dans la rue. Tout fonctionne comme une entreprise. On y a des règlements. On tient des livres, dans certains cas. Si vous allez dans certaines boîtes de nuit de la ville, vous pourrez toujours acheter de la drogue. Les entreprises du crime organisé y ont leurs trafiquants, et elles ont des quotas quotidiens à respecter. S'ils ne le font pas, ils se feront chapitrer. C'est très bien organisé et dans la plupart des cas, c'est très bien administré. On utilise beaucoup l'intimidation, mais on paie également bien ces gens. On paie leur avocat, lorsqu'ils se font arrêter. Après un certain temps, ils obtiennent peut-être une voiture, un appartement et d'autres choses de cette nature. C'est très perfectionné.

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    M. Dominic LeBlanc: Quand vous dites qu'ils se font chapitrer, cela ne signifie pas qu'on inscrit une mention dans leur dossier.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Eh bien, que puis-je dire?

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    M. Dominic LeBlanc: Se faire chapitrer signifie-t-il que s'ils ne vendent pas une certaine quantité de drogue un jour donné, ils en subiront des conséquences physiques?

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je dirais que c'est ce qui se produit la plupart du temps.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Je voudrais aborder un dernier sujet. J'ai trouvé intéressante votre description de certains des problèmes sociaux liés à l'échange de seringues, ainsi que des piqueries contrôlées, et des inquiétudes qu'éprouvent les gens du secteur avoisinant. Comme Paddy l'a mentionné, un certain nombre de nos collègues sont d'ardents partisans de la réduction des méfaits. Certains essaient de préciser de quoi il s'agit, tandis que d'autres ne semblent pas aussi préoccupés, ils croient seulement que toute mesure qui peut réduire les méfaits est positive. La solution se trouve peut-être entre les deux approches. Nous devrions réfléchir à la terminologie utilisée. Je ne trouve pas grand-chose de sûr en rapport avec l'injection de drogues. Nous avons de la difficulté avec les termes utilisés. Comme Paddy l'a dit, on ne pourra jamais bien définir en quoi consiste la réduction des méfaits, et il y aura toujours des gens qui s'y opposeront et d'autres qui seront d'accord.

+-

     Vous avez présenté une image du type de gens qui se tiennent autour de ces sites communautaires. Est-ce qu'il y a d'autres activités criminelles qui se déroulent également dans ces secteurs? Si quelqu'un s'inquiète de voir installer dans son voisinage un endroit où l'on peut échanger des seringues ou se piquer en toute sécurité, si c'est la bonne expression, quels seraient les arguments à présenter quand une collectivité résiste à l'ouverture d'une telle installation?

»  +-(1700)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je ne pense pas qu'une collectivité ou un quartier demanderait qu'on ouvre une telle installation. J'ignore si vous êtes allé à Vancouver et avez eu l'occasion de vous rendre dans le quartier est pour voir les endroits où l'on peut échanger des seringues, mais ils ne donnent pas une allure très positive pour les gens et les entreprises qui s'y trouvent. Je suis allé récemment à la conférence IDES à Vancouver, et certains intervenants qui vivent dans le voisinage se sont plaints à la police des seringues qu'ils trouvent dans leur cour. L'une de ces personnes avait des enfants. On a découvert qu'elle avait porté plainte, et tout de suite après, on a lancé des sacs de seringues dans sa cour seulement pour l'embêter. Il n'y avait donc rien à faire pour elle.

    Pour ce qui est des piqueries contrôlées, les premières étaient destinées aux héroïnomanes qui venaient s'y piquer et repartaient ensuite. Maintenant, les cocaïnomanes s'y rendent et ils y vont plus souvent que les héroïnomanes. Ces centres sont ouverts un certain nombre d'heures chaque jour, et il y a là un certain nombre de lits et de pièces à la disposition des drogués.

+-

    La présidente: Où sont ces centres?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je parle de celui de Vancouver.

+-

    La présidente: Il n'y a pas d'endroit sûr pour s'injecter de la drogue. C'est pourquoi je me demande de quel endroit vous parlez. Vous avez mentionné un service pour les héroïnomanes, et il n'existe pas de tel programme au Canada. Je me demande donc de quoi vous parliez.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je suis tout à fait certain qu'il y en a un à Vancouver.

+-

    La présidente: Il y en a un qui a été ouvert pendant une journée à Vancouver, à la demande de la collectivité et organisé par l'Église unie.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: J'ai parlé à des gens et j'étais persuadé, lorsque j'y suis allé, que les gens se plaignaient et qu'une personne en particulier a parlé de seringues qui se retrouvaient dans sa cour. Je suis désolé, je voulais parler d'un lieu d'échange de seringues.

+-

    La présidente: Oui, il y a des programmes d'échange de seringues, mais il n'y a pas de piqueries contrôlées.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je suis désolé.

    Ce qui arrive, c'est que des gens qui n'échangent pas de seringues viennent en obtenir et ne les rapportent pas. Ils en prennent une poignée et vont les revendre. Ensuite, on commence à voir arriver des cocaïnomanes et des personnes qui prennent des amphétamines, et l'on se demande si l'on peut faire face à tout cela. Il faudrait presque être un hôpital. Ces endroits deviennent très fréquentés.

    Un autre problème à ces lieux d'échange de seringues vient du fait que certains apportent leurs propres drogues. Nous ne fournissons pas les drogues jusqu'ici, de sorte qu'il y a beaucoup de trafiquants qui rôdent par là dans le but de vendre leurs drogues à ces personnes avant qu'elles en trouvent ailleurs.

    Pour ce qui est d'autres types d'activités criminelles, je ne peux pas faire de commentaires. Des représentants de la police de la ville d'Edmonton qui font partie de l'équipe de rue de notre service conjoint viendront vous parler et ils pourront dire précisément ce qu'ils voient dans les rues.

+-

    La présidente: Caporal Jancsek.

+-

    Cpl Jim Jancsek: Je n'ai eu qu'une expérience limitée avec le programme d'échange de seringues à Vancouver, lorsque j'y étais posté. Si vous n'avez pas eu l'occasion de vous rendre dans le quartier est du centre-ville de Vancouver et de vous y trouver à 3 heures du matin, vous devriez vraiment le faire. J'y suis allé souvent à cette heure-là, et je connais des gens qui y reçoivent des seringues propres. C'est une bonne chose, mais lorsqu'ils en ont terminé, ils ne se débarrassent pas de ces seringues d'une manière sûre et normale. Beaucoup de gens les jettent dans une ruelle, et un grand nombre de ces seringues sont vendues pour le résidu. Lorsqu'on s'injecte de l'héroïne, on tape sur une veine pour s'assurer qu'elle ne s'est pas rétractée, et quand on retire la seringue après l'injection, elle contient encore une certaine quantité d'héroïne. Une telle seringue se vend 20 $. L'échange se fait donc à sens unique. Un utilisateur obtient une seringue propre, il l'utilise pour s'injecter de l'héroïne, puis il vend le résidu. C'est donc quelqu'un d'autre qui obtient la seringue d'échange.

    Cela fonctionne-t-il? Je ne le pense pas. Je ne pense pas que la population héroïnomane se préoccupe vraiment de cela. La première personne qui obtient la seringue s'en préoccupe peut-être, parfois, mais ce n'est pas habituellement le cas.

+-

    La présidente: Si c'était votre soeur ou votre frère qui étaient héroïnomanes, et s'il y avait suffisamment d'endroits où obtenir une seringue propre et entrer en contact avec un professionnel de la santé ou un organisme pouvant l'aider, je pense que vous croiriez certainement que c'est une bonne chose, n'est-ce pas? Ou préféreriez-vous que cette personne continue d'obtenir ses seringues d'une façon clandestine?

»  +-(1705)  

+-

    Cpl Jim Jancsek: Certainement, s'il s'agissait de l'un de mes parents immédiats, ce serait une bonne chose. Je prendrais également des mesures pour aider immédiatement cette personne à se faire traiter.

+-

    La présidente: Certainement.

    Une piquerie contrôlée, où l'on donnerait aux gens des seringues pour se piquer et ensuite les jeter, un endroit où l'on s'assurerait qu'ils ne prennent pas de surdose ou qu'ils se blessent, n'est-ce pas préférable à une ruelle?

+-

    Cpl Jim Jancsek: Certainement, c'est préférable à une ruelle, mais je ne pense pas que vous trouveriez un héroïnomane qui se rendrait dans une piquerie contrôlée.

+-

    La présidente: On a effectivement ouvert un tel centre pendant une journée à Vancouver. Les gens ne l'ont pas utilisé. Nous sommes tous deux allés dans le quartier est de Vancouver, qui est un quartier assez bien délimité. Il y a là une ruelle où il semblait y avoir beaucoup de gens. C'était une sorte de mini-programme. On y voyait un sentiment communautaire incroyable, des gens qui s'occupaient les uns des autres. De fait, le gars qui nous a fait visiter l'endroit a vérifié l'état de quelques personnes, et il devait lui-même commencer à participer à un programme de désintoxication le lendemain. Il en avait assez. Il était resté en vie jusque-là, grâce à divers programmes. Vous et le sergent Carruthers connaissez des gens qui n'étaient pas trop enthousiasmés par ce programme, mais je pense qu'il y a d'autres citoyens qui étaient heureux de voir certaines interventions.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Vu les traitements qui existent actuellement, je dirais que le nombre d'héroïnomanes qui cessent de se droguer est minime comparativement à ceux qui n'y parviennent pas.

+-

    La présidente: Étant donné cette perception, pensez-vous que nous ne devrions pas faciliter ces interventions, parce qu'il y a ces autres groupes de personnes, comme celles qui ont des cours arrière, qui ont plus d'importance? Vous avez dit, je pense, que la réduction des méfaits équivalait au maintien des méfaits.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Non, ce n'est pas ce que dis. Je dis que ces autres programmes sont une bonne chose tant que l'objectif est de libérer éventuellement la personne de sa dépendance, de sa toxicomanie. Un programme qui sert seulement à entretenir cette habitude pour le reste de la vie, jusqu'à ce que la personne périsse, semble seulement encourager la récidive. Je ne m'oppose pas à certains des programmes dont vous parlez, à condition de les combiner à d'autres mesures visant à remettre ces personnes en état de travailler, de mener une vie à peu près normale, de ne pas dépendre totalement de l'État et de nous pour leur approvisionnement en drogues pendant le reste de leur vie. Il faut aller plus loin que le maintien de la situation actuelle.

+-

    La présidente: Bien, mais je vérifierai le compte rendu, car j'ai cru vous entendre dire dans votre déclaration liminaire que vous étiez absolument opposés aux stratégies de réduction des méfaits.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je pense que la réduction des méfaits n'est pas encore bien définie ou normalisée. N'est-ce pas vrai? À mon avis, la réduction des méfaits est essentiellement un programme d'entretien ou une promotion pour l'instant. Si nous faisons passer le message selon lequel les drogues ne sont pas une mauvaise chose et peuvent être consommées en sécurité, ne disons-nous pas aux futurs consommateurs de drogue qu'ils ne feront rien de mal, à condition qu'il y ait des services paramédicaux dans le voisinage, au cas où ils auraient un problème ou consommeraient une surdose? Nous devons aller plus loin que cela. Ces programmes sont bons, mais nous devons les combiner à d'autres programmes, si nous voulons faire des progrès.

+-

    La présidente: Je pense que c'est là que si situe le défi. La réduction des méfaits signifie une réduction des dommages. C'est ce que cela signifie. Il existe une variété d'éléments pour différentes personnes, des endroits différents, selon la consommation que les gens font ou leur situation. On aide à réduire les méfaits en avertissant quelqu'un qui est sur le point de payer une dette de sa vie. On se dit qu'il vaut la peine de maintenir une personne en vie, que ce soit pour sa famille ou ses amis, même si cette personne est plutôt vilaine. Il se peut que l'on n'aime pas beaucoup cette personne, mais on la garde en vie. C'est une stratégie de réduction des méfaits appliquée à cette personne à ce moment-là.

    Je pense que votre position vient en partie du fait que dans certains de ces centres d'échanges de seringues on ne prêche pas l'abstinence, l'abstinence, l'abstinence. On ne semble pas y avoir cet objectif apparent. Lorsqu'on alerte des gens qui sont sur le point d'être tués à cause de leur dette de drogue, alerte-t-on seulement ceux qui disent vouloir s'abstenir dorénavant, ou les alerte-t-on tous?

»  +-(1710)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Cela ne concerne pas normalement les consommateurs de drogues. Ils sont au bas de l'échelle. Les gens avec qui nous travaillons sont en haut de l'échelle. Ils se sont laissés emporter et ont dépensé de l'argent qu'ils ne peuvent pas rembourser. Les gens qui sont au bas de l'échelle ont probablement payé leur petite quantité de drogue.

+-

    La présidente: Les gens que vous alertez, qu'importe leur activité? Ils participent généralement au trafic de stupéfiants.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui, c'est exact.

+-

    La présidente: Alertez-vous seulement ceux qui vous disent qu'ils vont cesser leurs activités, ou alertez-vous tous ceux qui sont sur le point de se faire tuer?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oh, nous avertissons tout le monde. Peu importe ce que quelqu'un fait ou quelle est sa place dans l'organisation ou dans la société, je ne peux pas volontairement ou sciemment permettre que quelque chose lui arrive. Nous avertissons tout le monde. Si nous sommes au courant, nous allons les avertir.

+-

    La présidente: Et certaines de ces personnes décideront peut-être d'abandonner la vie qu'elles menaient, tandis que d'autres ne le feront pas. Certaines personnes recommenceront comme avant.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: C'est exact.

+-

    La présidente: N'est-ce pas un peu comme le centre d'échange de seringues dans le quartier est de Vancouver?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Beaucoup ne voient pas les choses de cette façon. Certains pensent qu'ils peuvent aller convaincre la personne qui leur en veut qu'ils pourront compenser ce qu'ils ont fait. Avec le type de vie qu'ils mènent, ils ne connaissent pas d'autres façons d'agir, ils n'ont pas d'autres choix.

+-

    La présidente: Ce n'est pas différent des héroïnomanes du quartier est de Vancouver. Certains peuvent être prêts à s'en sortir, certains peuvent avoir un réseau de soutien, certains peuvent être tellement malades à un moment donné qu'un programme d'échange de seringues est la seule chose qui puisse les garder en vie, parce qu'ils n'achètent pas de résidus. Peut-être qu'ils en achètent, mais une seringue de résidu qui est vendue pour la première fois est mieux qu'une autre vendue pour la deuxième, la troisième ou la cinquième fois, n'est-ce pas?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Mais ne devons-nous pas combiner cela à d'autres mesures pour les aider à s'en sortir?

+-

    La présidente: Certainement, mais il y a des approches différentes qui fonctionneront à certains moments pour certaines personnes, selon la situation dans laquelle elles se trouvent. Dire que les stratégies de réduction des méfaits équivalent à maintenir ces méfaits, et qu'il faut toutes les abandonner, cela ne concorde pas très bien avec ce que vous dites au sujet de votre travail.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je ne dis pas qu'il faut toutes les abandonner, mais il faut les normaliser et les coordonner afin que nous travaillions tous ensemble et que nous ayons un objectif commun. Si nous voulons que nos efforts aboutissent, nous ne pouvons pas avoir des programmes qui ne concordent pas. Jeter les gens en prison ne résout rien non plus.

+-

    La présidente: Non. Disons que nous avons un objectif commun. Je dirai que l'abstinence et la prise de meilleures décisions seraient un objectif commun pour tous, mais je pense franchement que dans le cas de certains des toxicomanes vraiment endurcis, il est préférable de les faire sortir de la ruelle et de les accueillir dans un endroit situé tout près, afin que nous puissions au moins les voir au grand jour. Cela ne convient probablement pas à Fort McMurray, ni dans ma propre collectivité, mais une telle mesure pourrait aider, dans ces circonstances particulières, car nous avons tous convenu que ces situations sont vraiment horribles.

    Ils serait bon de faire passer un message commun, comme «l'abstinence un jour»—je pense que le message devrait être de «réduire, réduire, réduire»—, mais l'uniformisation des programmes ne serait pas nécessairement une bonne chose. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une piquerie contrôlée dans ma collectivité, mais nous avons quand même un programme d'échange de seringues pour certaines personnes. On aurait besoin de programmes différents dans des endroits différents. Nous avons peut-être besoin d'un message disant qu'il faut réduire les méfaits et intervenir d'une façon adaptée à la collectivité, afin de faire comprendre à tous de manière beaucoup plus profonde les choix qu'ils font et de leur offrir de véritables choix.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Comme je l'ai dit dans mon exposé, des collectivités différentes ont des niveaux différents de tolérance face à la drogue. Et la tolérance change bien sûr lorsque quelqu'un a été personnellement touché par un incident. Je convaincu cependant que nous avons besoin d'une stratégie nationale pour prendre un bon départ. Nous n'avons pas eu un véritable porte-parole pour promouvoir une telle stratégie. Je pense que nous avons besoin de quelqu'un. Et à partir de là, nous pourrons concerter nos efforts.

+-

    La présidente: Vous dites je pense que nous avons la GRC, que nous avons le Code criminel, que vous l'appliquez comme il se doit, étant donné les circonstances. Vous l'appliquez toujours, mais il y a certains domaines dans lesquels vous êtes plus actifs que dans d'autres. Si vous êtes témoins de quelque chose, vous vous en occupez certainement, mais vous avez certaines stratégies en fonction de certaines collectivités. Par exemple, le crime organisé n'est peut-être pas un gros problème à Tuktoyaktuk, mais c'est peut-être un plus gros problème à Edmonton.

»  +-(1715)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: En effet. J'ai parlé à de nombreux médecins. En ce qui concerne la marijuana et les produits du cannabis, ils sont d'avis qu'on n'a pas encore fait suffisamment de recherche et que nous parlons peut-être trop tôt, sans avoir effectué des recherches sur la façon dont la marijuana touchera nos vies. La teneur en THC était autrefois de 5 p. 100, tandis qu'on voit maintenant des taux allant jusqu'à 35 p. 100 et 40 p, 100. C'est aujourd'hui une drogue psychotrope très forte. Je pense que nous devons faire des recherches pour voir si les gens qui en consomment peuvent devenir toxicomanes, ce qui est plus que la simple dépendance.

+-

    La présidente: Je suis tout à fait d'accord. Pour l'utilisation à des fins thérapeutiques, le mieux serait de faire de la recherche, de départager le mythe et la réalité, et d'aider à définir dans quelles situations l'utilisation est appropriée. Plus vite cette recherche sera entreprise, mieux cela vaudra et je suppose que vous en conviendrez.

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui, je suis d'accord.

+-

    La présidente: Fort McMurray est une petite localité. Vous avez ici un auditoire captif. Quelles initiatives prenez-vous auprès des entreprises qui emploient ces gens et auprès des autorités en matière d'hygiène publique? Essayez-vous de faire changer la situation? Vous êtes soumis à un grand nombre de demandes.

+-

    Cpl Jim Jancsek: Nous pouvons faire très peu de choses dans les limites mêmes du camp qui exploite un gisement pétrolifère. Le camp a ses propres vigiles, ses propres syndicats. Nous ne pouvons pas aller là-bas régulièrement pour inspecter. C'est une collectivité très liée, bouche cousue. C'est quand les travailleurs viennent en ville que nous les rencontrons. Nous organisons des conférences pour faire oeuvre éducative avec les gestionnaires de certains secteurs d'exploitation du pétrole.

+-

    La présidente: Avec les syndicats également?

+-

    Cpl Jim Jancsek: Des représentants syndicaux assistent à ces conférences. Notre détachement est composé de trois hommes. Nos ressources sont limitées, malheureusement. Nous pourrions très bien avoir un détachement de six ou de neuf hommes. Il y a assez de travail pour tout ce monde.

+-

    La présidente: Si l'on pouvait juguler la demander dans le camp, cela résoudrait en grande partie les problèmes que vous éprouvez dans un arrondissement plus vaste, n'est-ce pas?

+-

    Cpl Jim Jancsek: Jusqu'à un certain point. Nos trafiquants sont des trafiquants endurcis. Ceux qui travaillent à grande échelle en ville ont une clientèle si vaste qu'ils n'ont pas besoin de solliciter d'autres clients. Certains font des livraisons au camp; ils livrent par exemple 3,5 grammes de cocaïne. La plupart de leurs clients se trouvent en ville. Les travailleurs du camp importent leurs drogues par la poste, par messagerie, privée ou en autocar, et les tractations se font au camp même. À moins d'avoir un indicateur fiable et confidentiel qui nous dise ce qui se passe, qui, quand et comment, les éléments nécessaires pour faire avancer l'enquête, nous devons nous contenter de renseignements anecdotiques après les faits. Nous ne pouvons pas intervenir vraiment dans les camps.

+-

    La présidente: Quand le comité a entreprise ses délibérations, il a entendu des représentants de divers ministères s'occupant d'une façon quelconque du dossier de la drogue. La GRC nous a fait un des exposés les plus impressionnants, nous expliquant le travail accompli pour réduire la demande. Je me demande si cela ne serait pas utile à Fort McMurray ou dans d'autres collectivités du même genre, car on pourrait dans un camp instaurer une toute nouvelle approche pour juguler la demande. Aujourd'hui, à l'aéroport d'Edmonton, il y avait un chien qui vérifiait tous les bagages et les téléphones. Il avait fort à faire. Je pense qu'il fait partie de votre équipe. Serait-il possible d'utiliser davantage les chiens pour les autocars par exemple?

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Nous avons un chien de fonction à la police qui dessert Fort McMurray et les localités environnantes, Fort McKay, Chard, Janvier.

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    La présidente: C'est un chien très occupé.

»  +-(1720)  

+-

    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui en effet, et malheureusement, le chien étant malade actuellement, il ne peut pas travailler. Les entreprises collaborent volontiers avec nous. Les terminus d'autocars et les compagnies de messagerie nous invitent régulièrement pour que le chien renifle les lieux. Il faut donc se rendre là-bas, que le chien soit disponible et que nous ayons le temps de l'accompagner.

+-

    La présidente: Nous allons dire au ministre qu'il vous faut un autre chien.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Voyez-vous ce labrador noir?

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    La présidente: Oui.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Ce chien vient de mon bureau et...

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    La présidente: Un de vos meilleurs employés, n'est-ce pas?

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: C'est une très bonne chienne. Elle travaille énormément dans les aéroports, les stations d'autocars et les gares. Pour ce qui est des camps, nous travaillons beaucoup avec le secteur privé. Les entreprises nous téléphonent si l'on a affrété des avions pour aller dans le nord de l'Alberta, les Territoires du Nord-Ouest, etc., dans des endroits où il est connu qu'il y a un problème, et c'est alors qu'intervient le chien pour vérifier les bagages avant qu'on les charge à bord de l'avion. Cela a un effet dissuasif. Parfois nous trouvons des stupéfiants. Dans la plupart des cas, nous n'intentons pas de poursuite. Il appartient à la compagnie qui a embauché le travailleur de décider. Selon le cas, nous saisissons la drogue mais très souvent c'est l'employeur qui s'occupe de l'employé qui se rend dans le Nord car beaucoup de ces compagnies prévoient dans leurs contrats d'emploi qu'un travailleur surpris en possession de drogue est congédié. S'il n'y a pas de poursuite, c'est à cause de tous les détails juridiques, comme par exemple les mandats de perquisition permettant d'ouvrir les bagages. Parfois nous n'en avons pas. Si nous pouvons en obtenir un, nous envisageons alors des poursuites. Mais ce n'est pas toujours le cas.

    Ce chien s'occupe du nord de l'Alberta. Ce chien se fatigue après quelques heures de sorte qu'il a la tâche difficile.

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    La présidente: Faut-il modifier la loi pour tenir compte de ces endroits où la drogue est envoyée par avion?

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je ne pense pas.

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    La présidente: Mais si c'est toujours la même personne, si c'est dans les bagages de Jean Durand que l'on trouve constamment de la drogue...?

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: C'est la Cour suprême qui a fixé les lignes directrices. Elles sont valables et nous savons qu'il nous faut des mandats pour perquisitionner. Quand on se trouve à Tombouctou où ce n'est pas possible d'en obtenir un, tant pis. Nous avons appris à nous en accommoder. Je ne pense pas que l'on songe actuellement à des dispositions législatives tenant compte de ces situations particulières. La Charte des droits s'applique à tous les citoyens canadiens. Ce n'est pas parce que vous êtes dans une région éloignée du Nord que vous avez moins de droits que les autres.

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    La présidente: Je veux bien mais je voudrais une précision. C'est le Parlement du Canada qui légifère et non pas la Cour suprême. La cour interprète les lois. Si nous n'aimons pas l'interprétation de la cour, nous adoptons une nouvelle loi. Nous l'adoptons, vous l'appliquez, et la cour, pour finir, décide si nous avons eu raison.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Après quoi, la cour rend d'autres arrêts.

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    La présidente: Je comprends votre point de vue en ce qui a trait aux droits, mais s'il y a un problème particulier, il faudrait peut-être que nous fassions preuve d'imagination pour le régler. Je déteste mettre tous les camps dans le même sac mais il faut bien le dire, un camp est un environnement contrôlé. En fin de compte, les travailleurs quittent le camp un peu comme des détenus qui sont élargis—non pas que les camps soient des prisons, mais s'ils emportent avec eux un problème, nous avons tous à y faire face.

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    Cpl Jim Jancsek: Nos camps sont intéressants. Quiconque se rend coupable d'une infraction en matière de drogue et est employé dans une des mines ou une des exploitations, là-haut, qu'il vive dans un des camps ou non, son employeur le congédie sur-le-champ. Quand cet individu quitte notre ville ou notre collectivité pour aller ailleurs exercer son métier, un autre vient le remplacer immédiatement. La file d'attente est longue car c'est une activité très lucrative là-bas. Le revenu familial est plus du double de la moyenne du reste du Canada. Les gens viennent donc en masse et si un, deux ou trois sont mis derrière les barreaux, trois autres viennent prendre leur place. Comment contrôler qui sont ces gens, quelle moralité ils ont, comment savoir s'ils seront toxicomanes ou trafiquants de drogue?

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    La présidente: Ou comment savoir s'ils vont devenir accro pendant qu'ils sont là-haut étant donné que c'est si ennuyeux.

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    Cpl Jim Jancsek: C'est cela, tout à fait.

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    La présidente: Avez-vous des communications avec vos homologues en Écosse? Je crois savoir que l'Écosse a un problème semblable dans les collectivités où viennent des travailleurs pour le forage pétrolier en mer. Il y a une grande consommation de drogue là-bas, un énorme défi. Je suppose que l'on vérifie les expéditions de la même façon.

»  -(1725)  

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    Cpl Jim Jancsek: Je n'étais pas au courant mais je vais certainement me renseigner.

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    La présidente: Vous pourriez vous renseigner auprès de la force constabulaire royale ou ailleurs, parce que le problème est naissant. Je suis allée en Écosse, et j'ai eu l'impression que dans la population en général on consomme beaucoup plus de drogue et à cela s'ajoutent les travailleurs très bien payés qui arrivent et qui changent les habitudes des plus petites localités. Il se peut que vous puissiez trouver des stratégies novatrices en vous servant du courriel.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Je me suis occupé de la société Dome Petroleum dans l'Arctique, et cela révèle sans doute mon âge, car ces sociétés n'existent plus. Ils avaient des problèmes là-haut à l'époque et je m'y suis rendu à plusieurs reprises. La compagnie a très rapidement réglé le problème. Si l'on attrapait quelqu'un en possession de stupéfiants, il était mis à découvert publiquement. Il était congédié sur-le-champ, et il renonçait à des sommes énormes en gage. Le message s'est transmis très rapidement, à savoir que si on est sur place de deux à quatre semaines, il faut respecter les règles. On est libre de vivre selon ses propres règles après le départ. Le message était très éloquent quand on constatait que les fautifs perdaient leur emploi et cela avait un effet tout à fait dissuasif.

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    Mme Marilyn Pilon (attachée de recherche du comité): Vous avez parlé d'un programme d'entretien à la méthadone ici.

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Oui, en effet, il y en a un.

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    Mme Marilyn Pilon: J'ai eu l'impression qu'il ne fonctionnait pas très bien. Est-ce que je me trompe?

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    Sgt é.-m. Doug Carruthers: Comme vous le savez, ce programme d'entretien à la méthadone est destiné aux gens qui sont sevrés des stupéfiants qu'ils utilisaient auparavant. Je ne dis pas que parce que nous avons une clinique qui offre ce programme, notre population d'héroïnomane est plus nombreuse qu'à Calgary. Que je sache, ce genre de clinique n'existe pas à Calgary et c'est ce que je voulais dire. Cette clinique leur permet de supporter la souffrance et d'assouvir leurs besoins. Je n'ai rien de négatif à dire à propos du programme lui-même.

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    La présidente: M. LeBlanc.

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    M. Dominic LeBlanc: Je tiens à vous remercier.

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    La présidente: Au nom de tous les membres du comité, ceux qui sont présents et ceux qui sont partis, merci d'avoir pris le temps de préparer vos mémoires--même si c'était dans l'avion, caporal Jancsek--et d'avoir pris le temps de discuter de ces questions avec nous. Dominic et moi-même, représentant un seul parti, ne pouvions pas nous rappeler toutes les questions que nos collègues vous auraient posées mais nous avons certainement pu aborder les choses sous diverses perspectives, ce qui sera utile pour le compte rendu. Contrairement à d'autres comités, notre comité ne sait que faire de l'idéologie politique. Ce sont des problèmes que nous nous acharnons tous à résoudre, et la discussion a été très intéressante. Nous avons rencontré des gens très dévoués, comme vous deux, et nous avons appris à mieux connaître votre travail. Nous vous en remercions et nous vous invitons à poursuivre le bon travail que vous faites pour les Canadiens. Merci beaucoup. Si vous voulez ajouter quelque chose, ou si certains de vos collègues veulent nous écrire, je vous en prie, faites-le.

    La séance est levée.