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JUST Rapport du Comité

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OPINION DISSIDENTE DU BLOC QUÉBÉCOIS

POUR EN FINIR AVEC LA DISCRÉTION ABSOLUE

Le 1er octobre 2003, la Chambre des communes adoptait à l’unanimité la motion M-288 parrainée par le député de Charlesbourg / Jacques-Cartier, Richard Marceau, afin «  Que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne étudie le processus de nomination des juges aux cours d’appel et à la Cour suprême du Canada.  » Il est intéressant de noter qu’au début du débat, le 6 mai 2003, le Parti libéral s’était opposé mais a subséquemment changé d’avis.

Ce changement diamétral est dû à la pression populaire exercée sur les libéraux afin de rendre plus transparent le processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada et aux cours d’appel.

Ce débat n’est pas nouveau au Canada, mais son urgence s’amplifie. Non seulement doit-il y avoir justice, mais aussi apparence de justice. Or, le processus actuel de nomination à la magistrature entre en conflit direct avec ce principe et l’apparence de justice s’en trouve ainsi diminuée. Il appartient, dans une certaine mesure, aux parlementaires, de favoriser la confiance du public dans nos institutions et le système judiciaire n’échappe pas à cette mission. Si l’on considère l’importance accrue du rôle des tribunaux aujourd’hui, notamment en raison de leurs fonctions accrues ne serait-ce que par le recours à la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, ou encore pour leur implication dans certains débats sociaux comme le mariage entre conjoints de même sexe, les revendications autochtones, la décriminalisation de la marijuana, etc, il nous faut à tout prix éviter d’apparenter le judiciaire au politique.

Il s’agit là d’un argument de taille militant en faveur d’une révision et d’une démocratisation du processus de nomination des magistrats. Le processus de nomination des juges se doit d’être objectif et exempt de tout soupçon de partialité politique.

D’ailleurs, comme l’affirmait le professeur Peter Russell le 23 mars 2004, «  le Canada est la seule démocratie constitutionnelle dans laquelle le leader du gouvernement possède un pouvoir discrétionnaire absolu lorsqu’il s’agit de décider qui siégera au plus haut tribunal du pays.  »1

Un premier consensus : le processus actuel doit être changé

À l’heure actuelle, un très large consensus se dessine à l’effet que le processus actuel a besoin d’être modifié. Un témoin a d’ailleurs soutenu que «  le Canada possède actuellement une Cour suprême de type américain et un mode de nomination de type britannique.  »2

Certains députés ont d’ailleurs été très surpris du caractère informel de la consultation dans le processus actuel. Bien sûr, le ministre de la Justice consulte, mais il n’en a pas l’obligation. De même, la liste de ceux dont il sollicite l’avis varie à sa guise. Il n’existe aucune règle à suivre et le ministre actuel de la Justice, Irwin Cotler, a causé une certaine surprise en confirmant au Comité, en expliquant le processus actuel, qu’il ne pouvait nous certifier que ce qu’il nous décrivait était suivi à la lettre!

Un deuxième consensus : un rôle pour les députés

Puisque les juges sont nommés à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite obligatoire fixée à 75 ans, et qu’ils peuvent modifier substantiellement le cadre légal de l’État en abrogeant ou en rendant inopérantes certaines lois votées par le Parlement, la majorité des témoins est d’avis que les députés devraient être formellement impliqués dans le processus d’examen des nominations. Il importe donc de déterminer non pas si les parlementaires doivent avoir ce rôle, mais bien la portée et l’étendue de ce rôle.

Un troisième consensus : un rôle pour les provinces

Le rôle ou le droit de regard formel des provinces dans la composition du plus haut tribunal canadien suscite aussi des observations consensuelles de la part des témoins. Cet élément s’appuie fondamentalement sur la prémisse selon laquelle il arrive fréquemment que le gouvernement fédéral soit considéré à la fois comme juge et partie.

En effet, dans un débat sur le partage des compétences (inévitable dans un régime fédéral), le fait que les juges soient nommés à la discrétion du premier ministre fédéral constitue une entorse au principe énoncé précédemment de la justice et de l’apparence de justice. Le professeur Jacob Ziegel est on ne peut plus clair à cet égard : «  le premier ministre est en conflit lorsqu’il comble une vacance à la Cour suprême. C’est que le gouvernement fédéral est la partie qui plaide le plus souvent devant la Cour et que le premier ministre est le premier représentant de ce gouvernement impliqué dans le litige.  »3 C’est de l’évidence même. Qui accepterait de faire trancher un litige l’impliquant par quelqu’un désigné exclusivement par la partie adverse?

Une note discordante : un processus public ou privé?

Ce qui semble bien constituer la principale pierre d’achoppement dans ce débat réside dans la pertinence d’élaborer le processus de nomination sur une base entièrement publique ou non. Ceci ramène immédiatement à l’esprit l’exemple américain.

Les audiences sénatoriales lors des nominations des juges Robert Bork et Clarence Thomas à la Cour suprême des États-Unis ont marqué les esprits de manière particulièrement négative.

Plusieurs sont aussi d’avis que des audiences publiques pourraient écarter du processus des candidats de grande valeur qui ne souhaiteraient pas être soumis à de tels interrogatoires, pour des raisons personnelles, bien sûr, mais aussi pour des considérations fondamentalement professionnelles. En effet, nous pouvons facilement imaginer le tourment ressenti par un avocat associé d’une grande étude à l’idée que ses partenaires apprennent qu’il songe à quitter la pratique.

D’une perspective différente, la population a le droit d’en connaître davantage sur les juges que leurs seules compétences juridiques. Parce que chaque magistrat développe une approche personnelle du droit, il est logique de croire que certaines questions plus délicates, d’ordres social ou philosophique, pourraient ne pas être interprétées de la même façon, selon l’appartenance idéologique du juge.

D’autres sont d’avis qu’on est en droit de s’attendre d’une personne qui occupera une charge aussi importante que celle de juge à la Cour suprême qu’elle justifie sa pensée ou du moins qu’elle la défende publiquement. De ce fait, il serait sain que l’examen des candidatures se fasse dans un climat, bien encadré, de confrontation, de débat. Il s’agirait alors de définir adéquatement le cadre de l’interrogatoire et fixer les balises du raisonnable.

Alors, quelle solution?

Une province (ou une région, selon le cas) pourrait soumettre une liste de candidats potentiels à la magistrature et à partir de laquelle, obligatoirement, s’effectuera la nomination. Nous éviterons de ce fait une nomination unilatérale du gouvernement fédéral.

Le Bloc dénonce vivement l’obstination des députés du Parti libéral du Canada à refuser cette nouvelle proposition. Il importe de souligner qu’il s’agit là d’une requête formelle du gouvernement du Québec, d’ailleurs récemment réitérée par le premier ministre Jean Charest, qui dirige le gouvernement le plus fédéraliste de l’histoire récente du Québec. À ce titre, il rappelait la position déterminée par son ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier, alors qu’il présidait le Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise : «  on pourrait prévoir que les provinces seraient appelées à soumettre des listes de candidats au gouvernement du Canada, à partir desquelles celui-ci effectuerait les nominations à la Cour suprême.  »4

Bien entendu, la Cour suprême devra maintenir son ratio de trois juges du Québec.

Quant à la participation des députés, on pourrait l’inclure dans la formation d’un comité consultatif présidé par le juge en chef de la Cour suprême visant à analyser les candidatures. La composition de ce comité pourrait inclure un député de chacune des formations politiques reconnues à la Chambre des communes, d’un délégué du Barreau de la province (ou des Barreaux des provinces de la région) concernée, du juge en chef de la province (ou des juges en chef des provinces de la région) concernée et de deux membres représentant le public, indépendants de la communauté juridique.

Le comité pourrait ainsi passer en revue les candidatures, par dossier ou par le biais d’entrevue à huis-clos si besoin est, et soumettre ses recommandations au premier ministre. La participation des membres du public assurerait ainsi la diffusion d’un point de vue extérieur au domaine du droit.

Le premier ministre prendra alors la décision de choisir une candidature à partir de la courte liste dressée par le comité consultatif. Le président de ce comité et le ministre de la Justice feront rapport publiquement de la nomination au Comité permanent de la Justice de la Chambre des communes.

De plus, puisque conformément à la Loi sur la Cour suprême du Canada, le quorum de la Cour est fixé à cinq juges, il nous apparaît opportun de combler les deux vacances effectives en juin 2004 selon le processus décrit précédemment, même si cela devait occasionner un délai supplémentaire.

En conclusion

Le système judiciaire et l’administration de la justice occupent une place cruciale et fondamentale dans le développement d’un État démocratique. Ce système est encore plus essentiel dans un régime fédéral comme le Canada, notamment en raison de sa Charte des droits. La proposition énoncée précédemment reflète cette particularité et répondrait adéquatement aux impératifs de transparence, de rigueur, de démocratie, de participation des parlementaires et des constituantes de la fédération, en l’occurrence les provinces.

Le climat politique tend à favoriser une démocratisation des institutions et cela passe nécessairement par un mécanisme audacieux de modernisation. Il est plus que temps d’en finir avec la vétuste discrétion absolue des pouvoirs de l’exécutif et en ce sens le pouvoir exclusif du premier ministre dans la nomination des juges à la Cour suprême, et aux cours d’appel, n’a tout simplement plus sa place. L’occasion de moderniser le régime s’offre à nous, saisissons-là!

 


1RUSSELL, Peter, Réforme du processus de dotation des postes vacants à la Cour suprême du Canada : la formule parlementaire, Mémoire présenté au Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, 23 mars 2004, p. 1.
2MORTON, F.L. (Ted), Les nominations à la magistrature depuis l’entrée en vigueur de la Charte au Canada : un système en transition, Mémoire présenté au Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, 1er avril 2004, p. 1.
3ZIEGEL, Jacob, Déclaration du professeur Jacob Ziegel devant le Comité de la justice de la Chambre des communes sur le processus de sélection en vue de nominations à la Cour suprême du Canada, mardi 23 mars 2004, p. 2.
4Comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise, Rapport final «  Un projet pour le Québec affirmation, autonomie et leadership  », octobre 2001.