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AANO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


NUMÉRO 033 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 1er février 2007

[Enregistrement électronique]

  (1110)  

[Traduction]

    Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord du jeudi 1er février 2007.
    Chers membres du comité, vous avez devant vous l'ordre du jour. Entre 11 heures et midi, nous aurons un exposé et une séance d'information sur le Rapport annuel de 2005-2006 du Bureau de l'Enquêteur correctionnel. Ensuite, entre midi et 13 heures, nous aurons une séance d'information sur le rapport de la Commission Crie-Naskapie de 2006.
    Monsieur Lévesque, vous avez la parole.

[Français]

    Monsieur le président, compte tenu de l'heure à laquelle nous tenons notre réunion, nous devrions peut-être considérer la possibilité de nous procurer de quoi manger pendant que nous discutons. Autrement, nous n'aurons pas le temps de manger avant d'assister à la période des questions ou d'exécuter nos autres travaux.

[Traduction]

    Et quelle est la volonté des membres du comité? En ce qui me concerne, il n'y a pas de problème. Nous aurons tout de même une petite pause avant la période des questions.
    Y a-t-il des commentaires de la part des autres membres du comité?
    À titre d'information, pourriez-vous me dire si nous allons essayer de lever la séance à 13 heures?
    Oui. Nous sommes déjà en retard. Je compte donc partager les sept minutes entre les deux témoins de façon à ne pas manquer de temps.

[Français]

    Monsieur le président, la même situation se présente lors de toutes nos réunions. Pour ceux qui ont leur bureau dans l'édifice de l'Ouest, ce n'est pas un problème. Par contre, ceux qui doivent se rendre à l'édifice de la Justice, à l'édifice Wellington ou à l'édifice de la Confédération n'ont pas le temps de marcher, aller au restaurant et manger.

[Traduction]

    Quel est le voeu du comité?
    Je propose que…
    Ce n'est pas une décision de grande importance. Ne serait-il pas possible de simplement commander un plat de sandwiches?
    Oui, certainement. Pas de problème.
    Passons donc à autre chose. Nos premiers témoins sont du Bureau de l'Enquêteur correctionnel. Nous accueillons donc Howard Sapers, enquêteur correctionnel, et Ed McIsaac, directeur exécutif.
    Messieurs, bienvenue au comité.
    Je m'attends à ce que chacun d'entre vous fasse un petit exposé. Essayez de vous en tenir à environ 10 minutes, après quoi les membres du comité auront l'occasion de vous interroger au sujet de votre déclaration et des observations que vous aurez faites au sujet de ce rapport.
    Merci infiniment.
    Je compte faire un exposé liminaire officiel au nom du Bureau de l'Enquêteur correctionnel. Je m'appelle Howard Sapers, et je suis l'enquêteur correctionnel du Canada, ayant été nommé il y a deux ans et demi. Je vais faire aussi vite que possible, étant donné que nous n'avons pas beaucoup de temps.
    En tant qu'enquêteur correctionnel, mon rôle consiste à agir à titre de protecteur indépendant des délinquants sous responsabilité fédérale. Il m'incombe aussi d'examiner les politiques et les procédures du Service correctionnel du Canada, de formuler des recommandations à ce sujet et de veiller à ce que les sources de préoccupations soient repérées et traitées convenablement. Après tout, des services correctionnels efficaces favorisent la sécurité publique.
    Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de l'une des principales questions que j'ai soulevées dans mon plus récent rapport annuel, et je vous suis d'ailleurs reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous adresser la parole. La question dont je voudrais surtout vous parler aujourd'hui est celle de la crise croissante touchant les détenus autochtones. La surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral canadien est un phénomène bien connu: à l'échelle nationale, les Autochtones représentent moins de 2,7 p. 100 de la population, mais ils constituent près de 18,5 p. 100 de la population carcérale totale sous responsabilité fédérale. Pour les femmes, cette surreprésentation est encore plus marquée. En effet, elles représentent 32 p. 100 des délinquantes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux.
    Chose alarmante, cette énorme surreprésentation s'est accrue encore davantage au cours des dernières années. Alors que, de 1996 à 2004, le nombre de détenus sous responsabilité fédérale a diminué au Canada, le nombre d'Autochtones incarcérés dans les établissements fédéraux a augmenté de près de 22 p. 100. Qui plus est, le nombre de délinquantes autochtones purgeant une peine de ressort fédéral a connu une hausse vertigineuse de 74,2 p. 100 au cours de la même période. Selon nos estimations, le taux global d'incarcération des Autochtones est de 1 024 par tranche de 100 000 Canadiens, soit neuf fois plus que celui du reste de la population.
    Même si le Service correctionnel n'est pas responsable des agissements des individus, des conditions sociales ou des décisions stratégiques qui contribuent à façonner la population de délinquants qui relève de lui, il lui incombe de se conformer à la loi et de veiller à ce que tous les délinquants soient traités équitablement. Je conclus donc que le Service correctionnel du Canada ne respecte pas cette norme en permettant une discrimination systémique à l'endroit des détenus autochtones. Tout d'abord, il est important de comprendre la définition de la discrimination systémique et les questions soulevées depuis de nombreuses années par mon Bureau — le traitement encore défavorable réservé aux délinquants autochtones lorsqu'il est question de leur réinsertion sociale au moment voulu et en toute sécurité.
    La discrimination peut se produire, et se produit, même lorsqu'il n'y a aucune intention de traiter une personne de manière injuste. Comme l'a indiqué la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) dans son rapport publié en décembre 2003, Protégeons leurs droits, « La discrimination se caractérise principalement par son effet ». Selon la définition de la CCDP, la discrimination systémique « consiste à créer, à perpétuer ou à renforcer des modèles d'inégalité qui désavantagent certains groupes de façon systématique. Elle découle généralement de lois, de politiques, de procédures, de pratiques ou de structures organisationnelles en apparence neutres. »
    Mon dernier rapport annuel présente en détail la tendance persistante qui consiste à obtenir des résultats négatifs découlant des politiques, des procédures, des pratiques et des structures organisationnelles existantes. Ce rapport porte sur les résultats ou conclusions inéquitables découlant des politiques et pratiques actuelles du Service correctionnel du Canada. Par exemple, les détenus d'origine autochtone, métisse et inuite font régulièrement l'objet d'un surclassement, ce qui fait en sorte qu'ils sont admis dans des établissements à sécurité minimale à un taux égal à seulement la moitié de celui observé pour les délinquants non autochtones.

  (1115)  

    Le surclassement des délinquantes autochtones est encore pire. Par exemple, à la fin de mois de septembre, les femmes autochtones représentaient 45 p. 100 du total…
    Excusez-moi d'interrompre, monsieur le président, mais je n'ai pas les pages 6 et 7 dans mon document. Est-ce que ces pages ont été supprimées à dessein?
    Non, vous devriez tous avoir une copie complète.
    Vous devrez vous servir de la version française.
    Des voix: Oh, oh!

  (1120)  

    Très bien. Vous pouvez continuer.
    Je suis désolé; on dirait qu'il manque une page dans la version anglaise. Nous ferons faire d'autres copies que nous vous ferons distribuer.
    Le surclassement des délinquantes autochtones est encore pire. Par exemple, à la fin du mois de septembre, les femmes autochtones comptaient pour 45 p. 100 du total des femmes purgeant une peine de ressort fédéral dans un établissement à sécurité maximale, et 44 p. 100 de la population des établissements à sécurité moyenne, alors qu'elles comptaient pour seulement 18 p. 100 de la population des établissements à sécurité minimale. Lorsqu'ils sont placés dans des établissements à sécurité maximale et en isolement, les détenus ont plus difficilement accès aux programmes de réadaptation et aux services destinés à les préparer en vue de leur mise en liberté. Ce surclassement est un problème parce qu'il signifie que les détenus doivent souvent purger leur peine loin de leur famille et de leur collectivité, ainsi que du soutien précieux d'amis et d'Aînés.
    Les délinquants autochtones sont placés en isolement plus souvent que les délinquants non autochtones. Les détenus autochtones sont mis en liberté plus tard au cours de leurs peines que les autres détenus. Le pourcentage des demandes de libération conditionnelle totale qui sont examinées par la Commission nationale des libérations conditionnelles est plus faible pour les détenus autochtones que pour les autres détenus.
    Bref, comme l'a déclaré la Commission canadienne des droits de la personne, l'ensemble de la situation équivaut à de la discrimination institutionnalisée. C'est-à-dire que les Autochtones sont couramment désavantagés une fois qu'ils sont placés sous la garde du Service correctionnel. Par conséquent, comme les délinquants autochtones sont incarcérés plus longtemps et qu'ils sont mis en liberté d'office plus souvent qu'en liberté conditionnelle, ils passent moins de temps dans la collectivité que les délinquants non autochtones à suivre des programmes et à bénéficier d'interventions axées sur le soutien. Le pourcentage de délinquants autochtones placés sous surveillance dans la collectivité est considérablement inférieur à la proportion de délinquants non autochtones purgeant leurs peines en liberté sous condition.
    Comparativement aux autres groupes de délinquants, les délinquants autochtones continuent d'être surreprésentés en ce qui concerne les cas renvoyés pour maintien en incarcération. La liberté conditionnelle est plus susceptible d'être révoquée dans le cas des délinquants autochtones que dans le cas des délinquants non autochtones. Le taux de révocation pour manquement aux conditions de la libération conditionnelle — c'est-à-dire, pas de nouvelles infractions criminelles — est plus élevé dans le cas des délinquants autochtones.
    Les délinquants autochtones sont réadmis dans un établissement fédéral plus fréquemment que les délinquants non autochtones et, trop souvent, ce cycle de traitement inéquitable se perpétue. Pour briser ce cycle, le Service correctionnel doit mieux préparer les délinquants autochtones pendant qu'ils se trouvent sous sa garde et il doit leur procurer un meilleur soutien lorsqu'ils sont dans la collectivité.
    Les statistiques du Service correctionnel lui-même au sujet des résultats correctionnels des délinquants confirment que, malgré une multitude de rapports de groupes de travail, d'examens internes, de stratégies nationales, d'accords de partenariat et de plans d'action, aucune amélioration mesurable n'a été observée depuis 20 ans dans la situation globale des délinquants autochtones au Canada. Au contraire, l'écart dans les résultats entre les délinquants autochtones et les autres groupes de délinquants continue de se creuser. Il est clair qu'un engagement et des ressources supplémentaires s'imposent pour faire échec à cette inquiétante tendance.
    Dans mon rapport annuel, j'ai demandé au Service correctionnel du Canada d'agir rapidement afin de renforcer la mise en oeuvre de son plan stratégique pour les délinquants autochtones en donnant suite aux recommandations suivantes au cours de l'année: adopter un processus de classement selon le niveau de sécurité qui met fin au placement d'un trop grand nombre de délinquants autochtones dans des établissements à sécurité maximale; augmenter considérablement le nombre de délinquants autochtones hébergés dans des établissements à sécurité minimale; accroître l'accès, en temps opportun, à des programmes et à des services adaptés à la culture autochtone; augmenter considérablement le recours à des permissions de sortir sans escorte et à des programmes de placement à l'extérieur; augmenter considérablement le nombre de délinquants autochtones qui comparaissent devant la Commission nationale des libérations conditionnelles dès leurs premières dates d'admissibilité; établir une capacité de conclure des ententes qui permettent aux collectivités autochtones d'appuyer directement les délinquants mis en liberté sous condition au moment opportun et accroître le recours à ces ententes; et enfin, augmenter considérablement le nombre d'Autochtones qui travaillent à tous les niveaux au sein du Service.
    La loi exige que les détenus autochtones soient traités équitablement. Il s'agit d'une question qui touche au respect des droits de la personne et à la sécurité publique. La grande majorité des détenus sont remis en liberté un jour ou l'autre dans les collectivités canadiennes. Tout le monde y gagne lorsque ces hommes et ces femmes réintègrent leurs collectivités d'origine après avoir reçu un traitement juste et équitable de la part du Service correctionnel pendant leur incarcération.
    J'aimerais profiter de cette occasion pour vous donner un exemple concret qui illustre bien les défis que les délinquants et délinquantes autochtones doivent relever. Au fil des années, mon Bureau et d'autres observateurs ont exprimé de plus en plus de préoccupations au sujet de la surreprésentation des délinquants et délinquantes autochtones, ainsi que du recours discriminatoire aux outils actuariels d'évaluation du risque utilisés par le Service. Ces outils sont des échelles d'évaluation psychologiques qui mesurent le risque, notamment celui lié à la récidive, à l'adaptation au milieu carcéral et à l'évasion.

  (1125)  

    Des préoccupations concernant la validité et la fiabilité de l'échelle de classement initial du SCC ont été exprimées pour la première fois par la juge Louise Arbour en 1996. L'échelle en question repose sur l'évaluation de plusieurs facteurs, dont l'emploi, les relations matrimoniales et familiales, les fréquentations et les relations sociales, la toxicomanie, etc.
    En mai 2003, la Commission canadienne des droits de la personne a recommandé que le SCC établisse avant décembre 2004 une nouvelle échelle de classement initial selon le niveau de sécurité totalement neutre. En juillet 2004, des professeurs de l'Université de Toronto et de l'Université d'Ottawa ont publié un article dans la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale. Dans cet article, ils ont passé en revue les données utilisées par le SCC pour valider l'échelle de classement initial selon le niveau de sécurité.
    Après un examen approfondi, ces deux professeurs ont conclu que l'échelle en question laisse à désirer en ce qui concerne sa validité de prédiction et l'équité de ses résultats, pour les délinquantes en général et les délinquantes autochtones en particulier.
    En décembre 2004, la Division de la recherche correctionnelle du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile a examiné les données du SCC. Son rapport interne a confirmé les constatations des professeurs Webster et Doob. Le Service correctionnel a élaboré un plan d'action en réponse à ces constatations relativement à la nature discriminatoire de ses outils actuariels et leur validité contestable. Malheureusement, nous croyons comprendre que le Service ne prévoit pas que le nouvel outil sera mis en oeuvre avant 2009-2010, soit plus de six ans après que la Commission canadienne des droits de la personne a conclu que les délinquantes et les Autochtones faisaient l'objet de discrimination systémique, et 13 ans après que Mme la juge Arbour a soulevé la question.
    La combinaison du surclassement et du manque de programmes pour les Autochtones illustre très bien à quel point les obstacles systémiques peuvent nuire à la réinsertion sociale des délinquants. Les délinquants autochtones font l'objet d'un surclassement en raison d'une échelle actuarielle mal conçue. Par conséquent, les délinquants autochtones sont admis beaucoup trop souvent, et à mauvais escient, dans des établissements à sécurité élevée, où ils ont un accès limité — lorsqu'ils le peuvent, aux programmes de base conçus pour répondre à leurs besoins particuliers.
    Ces facteurs expliquent en grande partie pourquoi la réinsertion sociale des délinquants autochtones est tellement en retard par rapport à celle des autres délinquants. De toute évidence, les résultats correctionnels ne peuvent pas être expliqués uniquement par les différences sur le plan des facteurs criminogènes ou des besoins.
    En terminant, j'aimerais vous faire part d'autres faits dignes de mention. Quatre délinquants autochtones sur dix purgeant une peine de ressort fédéral sont âgés de 25 ans ou moins. Les jeunes Autochtones sont le groupe démographique qui croît le plus rapidement au Canada. La fréquence du VIH-sida est beaucoup plus grande chez les Autochtones. L'absence d'un éventail complet de stratégies de réduction des méfaits en milieu carcéral les touche de manière disproportionnée.
    Si l'on permet aux tendances actuelles de se perpétuer, les spécialistes prévoient que la proportion d'Autochtones dans les établissements correctionnels du Canada pourrait atteindre les 25 p. 100 dans moins de 10 ans. De toute évidence, il est urgent de faire mieux. Nous devons toutefois reconnaître que le Service correctionnel du Canada a mis en oeuvre des initiatives et des programmes très positifs, puisqu'il a créé huit pavillons de ressourcement; il a adopté des programmes pour les Autochtones, dont les Cercles de changement, En quête du guerrier en vous et des programmes pour délinquants autochtones toxicomanes; il a aussi pris des initiatives fondées sur des programmes qui sont particulières à certains établissements, dont les Sentiers autochtones, les Cercles traditionnels, les Cercles d'influence, les Cercles de détermination de la peine, les enseignements de la suerie et de la longue maison, etc.
    Malheureusement, ces initiatives et programmes n'ont pas donné les résultats escomptés et n'ont donc pas pu renverser les tendances inquiétantes dont je viens de vous faire état.
    Par conséquent, je dis au gouvernement qu'il doit donner au Service correctionnel les ressources et l'orientation dont il a besoin pour bien faire son travail.
    Je vous remercie, et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
    Merci.
    Du côté libéral, qui voudrait ouvrir la période des questions?
    Madame Neville.
    Merci, je vais commencer.
    Merci beaucoup, monsieur Sapers, pour votre exposé fort convaincant. Je pense que nous avons tous eu l'occasion d'examiner votre rapport.
    Au fond, ce que vous nous dites est assez stupéfiant. On sait depuis longtemps que ce problème existe. D'ailleurs, vous citez les propos de la juge Arbour en 1996, et vous citez également l'opinion de la Commission des droits de la personne. Le Service correctionnel du Canada est au courant des problèmes que présentent non seulement ses techniques d'évaluation et de dépistage — c'est-à-dire ses outils d'évaluation — mais aussi ses programmes.
    Comment se fait-il alors qu'il ne s'est rien passé?
    Eh bien, il y a à mon avis plusieurs réponses à cette question. Premièrement, il y a eu un manque d'intégration et de coordination des programmes fédéraux par rapport aux initiatives fédérales-provinciales-territoriales touchant les collectivités des premières nations. Malheureusement, il n'y a pas eu le genre de coordination qui s'impose, selon moi, si l'on veut régler ce problème.
    Deuxièmement, il existe une certaine inertie organisationnelle au sein du Service correctionnel du Canada, de même qu'un refus de donner suite à certaines recommandations clés, notamment celle consistant à confier la responsabilité des programmes et initiatives visant les Autochtones à un haut fonctionnaire qui fait partie du conseil de direction du Service.
    Il convient aussi de mentionner l'ensemble fort complexe de demandes, parfois contradictoires, dont fait l'objet le Service correctionnel. Or le Service correctionnel ne dispose pas toujours des ressources qu'il lui faut pour répondre à ces demandes contradictoires, si bien que ce dernier se voit obligé de déterminer tout seul ce qu'il faut faire pour répondre adéquatement à ces demandes et ce, dans un climat parfois fortement politisé.
    Donc, en réalité, il y a plusieurs explications, mais il reste malgré tout que le Service correctionnel doit absolument non seulement considérer ce problème comme une priorité, mais aussi prendre instamment les mesures qui s'imposent pour s'y attaquer en priorité.

  (1130)  

    Vous parlez d'un manque de coordination; vous parlez d'inertie, du refus du Service correctionnel de prendre des mesures, et de demandes contradictoires. Il est évident que tous ces facteurs ont contribué à aggraver la situation, mais il me semble que quand vous nous dites que ces éléments constituent des barrières ou des obstacles au progrès, en réalité, vous nous faites comprendre, en termes forts diplomates, que, pour le Service correctionnel du Canada, ces personnes ne sont tout simplement pas une priorité.
    Le Service correctionnel a déterminé il y a bien des années que les programmes à l'intention des Autochtones constituent une priorité. Ce qui est frustrant, c'est qu'en raison des problèmes tels que le surclassement, on invoque les besoins en matière de sécurité — à tort ou à raison — afin de justifier qu'ils soient détenus dans des établissements à sécurité élevée.
    Dans les pénitenciers fédéraux, les détenus incarcérés dans des établissements à sécurité maximale n'ont pas accès aux programmes de base qui ont été mentionnés; par conséquent — et voilà justement l'ironie de la situation actuelle — une population qui a vivement besoin de programmes de ce genre se trouve à être incarcérée dans un milieu carcéral à sécurité élevée étant donné justement le caractère impérieux de leurs besoins, alors qu'elle a également besoin d'accéder à tout un éventail de programmes que le Service correctionnel n'offre qu'aux détenus incarcérés en fonction de niveaux de sécurité inférieurs. Le fait que ces personnes ne puissent accéder aux programmes dont elles ont besoin pour répondre à leurs besoins impérieux a pour conséquence qu'elles continuent d'être détenues dans un milieu carcéral à sécurité plus élevée.
    Donc, on dirait qu'ils ont fait tout à fait l'inverse pour ce qui est de s'assurer que la population ayant les besoins les plus impérieux, une fois qu'on a réussi à la connaître, puisse accéder aux programmes d'intervention qui ont été conçus pour répondre à ses besoins.
    Et ce surclassement découle de l'utilisation d'outils d'évaluation inadéquats, notamment sur le plan culturel. C'est bien ça?
    Selon nous, les outils employés pour effectuer le classement initial ont pour résultat de faire classer un nombre disproportionné de détenus autochtones dans un milieu carcéral dont le niveau de sécurité est plus élevé qu'il ne le faut. Ainsi plus de détenus sont classés au départ à un niveau de sécurité plus élevé et ont du mal par la suite à se faire classer à un niveau de sécurité inférieur; le fait est qu'une fois qu'ils se trouvent en milieu carcéral à sécurité élevé, ils n'ont pas accès aux programmes qui leur permettraient éventuellement d'être transférés à un milieu carcéral à sécurité moyenne ou minimal, de façon à pouvoir obtenir une décision positive de la part de la Commission des libérations conditionnelles et de retourner dans leurs collectivités.
    Me reste-t-il du temps, monsieur le président?
    Oui, il vous reste deux minutes.
    Avez-vous examiné vous-même les outils d'évaluation ou en avez-vous fait votre propre analyse? Avez-vous demandé à des experts indépendants de faire une analyse?
    Non, nous n'avons pas fait notre propre analyse approfondie de ces outils. Nous nous sommes surtout appuyés sur le travail fait à l'externe par un certain nombre d'universitaires canadiens, par le Service de recherche du ministère lui-même, et par la Commission canadienne des droits de la personne. Nous travaillons tout le temps avec cet outil et, bien entendu, sur les milliers de plaintes que nous traitons chaque année au Bureau, bon nombre concernent le classement et l'accès aux programmes, bien que nous sommes tout à fait au courant des effets opérationnels de ces surclassements et de l'utilisation de ces outils actuariels par le Service correctionnel.

  (1135)  

    Vous attendez-vous, comme vous semblez l'indiquer ici, à ce que le Service correctionnel mette en oeuvre un nouveau modèle sous peu, ou cette initiative continuera-t-elle d'être retardée?
    Je crois que le Service correctionnel souhaite vraiment élaborer un nouvel outil, voire même un nouvel ensemble d'outils, d'ici l'exercice financier 2009-2010.
    Mais c'est dans très longtemps.
    Je peux vous dire qu'il est arrivé souvent par le passé que le Service correctionnel n'atteigne pas ses objectifs dans ce domaine particulier.
    À votre connaissance, le SCC possède-t-il les ressources nécessaires pour lui permettre d'atteindre ces objectifs? Pourquoi a-t-il fixé un tel échéancier? Pourquoi n'a-t-il pas cru bon d'en faire une priorité?
    Soyez bref, s'il vous plaît.
    À mon avis, le SCC a établir cet échéancier en fonction de toutes les étapes qui seraient nécessaires, à son avis, afin de faire valider le nouvel outil, alors que ses conclusions sont peut-être discutables. En ce qui concerne les ressources, mes observations m'amènent à conclure que le SCC ne possède pas actuellement les ressources qu'il lui faut pour donner suite à l'ensemble des priorités qui ont été établies.
    Entre-temps, cette situation influe de façon très négative sur la vie de bien des gens.
    Monsieur Lemay.

[Français]

    Je ne sais pas si vous êtes déjà venus témoigner, étant donné qu'à l'automne, en plus de siéger à ce comité, je siégeais au Comité de la justice. Ce dernier étudiait les extraordinaires projets de loi présentés par le gouvernement en vue d'augmenter le nombre de détenus. Vider la rue de certaines personnes et en envoyer davantage en prison était bel et bien l'objectif. J'espère ne pas faire erreur sur la personne. Je peux me tromper, mais il me semble avoir rencontré quelqu'un du Bureau de l'Enquêteur correctionnel dans le cadre d'un témoignage. On nous avait dit alors qu'un énorme problème existait au sein de la population autochtone et que celui-ci irait en croissant. Je vois que cette personne avait raison. C'est clair.
    Monsieur le président, je vais dire d'entrée de jeu qu'au lieu d'étudier la question de l'habitation, on devrait peut-être se pencher sur les libérations conditionnelles chez les Autochtones. Un sérieux problème s'annonce. Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais je crois que généralement, on ne parle pas du même genre de crimes. Les gens se retrouvent en détention. Dans le cas présent, il s'agit uniquement de pénitenciers fédéraux.
    Si je comprends bien vos propos, monsieur Sapers — et M. McIsaac pourra probablement le confirmer également —, quand un juge condamne un Autochtone à 10 ans d'emprisonnement pour voies de fait ou agression sexuelle armée, plus souvent qu'autrement, cette personne se retrouve dans un pénitencier à sécurité maximale et aucun programme ne lui est offert. Ai-je bien compris?

[Traduction]

    Oui. Le profil laisse supposer qu'un contrevenant autochtone trouvé coupable d'un crime violent est beaucoup plus susceptible d'être placé au départ dans un établissement à sécurité maximale et d'y être incarcéré pendant plus longtemps. Dans la plupart des établissements fédéraux à sécurité maximale, il n'existe pas de programmes de base qui soient conçus spécifiquement en tenant compte des besoins culturels des détenus autochtones.

[Français]

    Je le sais parce que je pratiquais le droit criminel en tant qu'avocat avant de siéger ici.
    Il s'agit d'un crime sérieux, bien sûr, mais est-ce à dire qu'un Inuit ou un Autochtone du Nord provenant d'une réserve va se retrouver dans un milieu de grand banditisme avec des trafiquants notoires? C'est en quelque sorte la situation actuelle, surtout si l'individu est dans un pénitencier à sécurité maximale.

  (1140)  

[Traduction]

    La réponse simple à votre question est oui.
    Les chiffres n'ont pas beaucoup changé au cours des 10 ou 15 dernières années. À cet égard, je peux vous citer l'exemple de la région des Prairies, qui a le nombre le plus élevé de citoyens autochtones de même que la plus forte proportion de détenus autochtones incarcérés dans les établissements pénitentiaires fédéraux. Les détenus autochtones représentent presque 43 p. 100 de la population carcérale fédérale dans cette région. De plus, ils représentent 56 p. 100 de la population de détenus incarcérés dans des établissements à sécurité maximale. Par contre, ils ne représentent à peine 30 p. 100 de la population incarcérée dans des établissements à sécurité minimale, alors que la majorité des détenus qui obtiennent une libération conditionnelle font partie de cette population-là.
    Donc, il existe de toute évidence un écart important sur ce plan-là. Comme M. Sapers vous l'a expliqué tout à l'heure, plus le détenu passe de temps dans un établissement avant d'être libéré, moins il est susceptible de pouvoir accéder aux programmes qui sont offerts dans la collectivité. Et s'il s'agit d'une libération d'office pour un détenu incarcéré dans un établissement à sécurité maximale, il est fort probable que ce détenu n'aura guère bénéficié des programmes qui sont disponibles dans les établissements.

[Français]

     Y a-t-il des ententes entre le Service correctionnel du Canada et le Québec, ou d'autres provinces, afin que les Autochtones puissent purger leur peine dans des prisons provinciales, de sorte qu'ils ne soient pas trop éloignés de chez eux?
    En Abitibi, il y a une prison provinciale. Par exemple, un détenu qui vient de cette région et qui doit purger trois ans de prison se retrouvera à Rivière-des-Prairies, près de Montréal, au lieu de purger sa peine près des siens.
    Des ententes de ce genre existent-elles? Je suis sous le choc, je suis sidéré. Il faudra faire quelque chose, car cela n'a pas de bon sens.

[Traduction]

    Il existe un certain nombre d'accords d'échange de services entre le Service correctionnel du Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux pour l'hébergement des détenus mais, ce qui est encore plus important, ce sont les deux articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui permettent aux collectivités autochtones de participer directement à l'administration des peines des détenus autochtones. En effet, le paragraphe 81(1) prévoit le recours à des pavillons de ressourcement — il en existe huit dans les différentes régions du Canada — et l'article 84 permet aux collectivités autochtones de participer à la surveillance des détenus autochtones qui sont renvoyés dans leurs collectivités.
    Cependant, bien que les pavillons de ressourcement constituent une initiative fort positive, le fait est qu'ils sont prévus pour les détenus nécessitant un milieu à sécurité minimale. Donc, par rapport à l'ensemble des étapes et des activités dont nous parlons ici, même s'il n'est pas facile d'être admis dans un pavillon de ressourcement, ces pavillons constituent une mesure très positive et progressiste et la loi, telle qu'elle est actuellement rédigée, prévoit effectivement the recours à de tels accords en vertu des articles 81 et 84.
    Si vous le souhaitez, je pourrais vous faire parvenir des chiffres au sujet des accords d'échange de services conclus par le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux. Je ne les ai malheureusement pas avec moi aujourd'hui.
    Madame Crowder.
    Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Sapers, et je voudrais également remercier les membres du comité d'avoir accepté la motion que j'ai déposée en vue de vous faire inviter à témoigner devant le comité.
    J'ai quelques questions bien spécifiques à vous poser.
    Si vous me permettez, je voudrais revenir sur votre rapport. À la page 11, vous dites que l'action du Service correctionnel du Canada est, dans une grande mesure, mal ciblée et fragmentaire, et vous mentionnez spécifiquement que vous avez recommandé par le passé que le Service nomme un sous-commissaire. Je veux simplement m'assurer que les gens sont au courant de tous ces différents éléments, qui font d'ailleurs partie intégrante de certaines recommandations que fait votre Bureau depuis de nombreuses années, alors que la situation ne semble pas s'améliorer.
    Je voudrais également aborder un certain nombre de points techniques, étant donné que vous avez parlé des articles 81 et 84, et la question du classement. C'est d'ailleurs du classement que je voudrais vous entretenir en premier, car on dirait qu'il y a eu un changement.
    D'après la réponse du ministère, qui se trouve à la page 43 du rapport, l'outil de classement des délinquants selon le niveau de sécurité est approprié et que les critères employés pour classer les délinquants sont précisés dans… Je crois savoir que, d'après vous, le ministère aurait modifié sa position à cet égard, étant donné que ce dernier a indiqué dans sa réponse que l'outil de classement était approprié. Maintenant vous semblez nous dire que le ministère compte réexaminer son outil de classement et en élaborer un nouveau.
    Aurais-je mal compris?

  (1145)  

    Non, pas du tout.
    Je vais demander à M. McIsaac de vous donner d'autres détails à ce sujet, mais le ministère a fourni une réponse au sujet du classement, et notamment le classement des femmes autochtones, dans des rapports antérieurs ce qui a également contribué à susciter de la part du SCC l'engagement d'élaborer un nouvel outil d'ici l'exercice financier 2009-2010.
    Mais cela concernait uniquement les femmes.
    Effectivement.
    Le discours du Service correctionnel du Canada a évolué au fil des ans pour ce qui est d'être d'accord ou non sur des questions telles que l'existence d'obstacles systémiques et de résultats différents chez les détenus autochtones. La plus récente réponse du ministère au rapport — bien que le plan stratégique visant les détenus autochtones continue d'indiquer que l'une des priorités consiste à réduire l'écart entre les détenus autochtones et les autres en matière de résultats — semble laisser entendre que le SCC a déjà élaboré tous les outils de programmes qu'il lui faut pour atteindre cet objectif. Nous ne sommes pas du même avis.
    Donc, le SCC souhaite réduire cet écart mais continue à employer le même outil de classement pour les hommes. Cela n'a pas de sens.
    En effet.
    Depuis déjà plusieurs années, le SCC maintient que ses outils de classement, c'est-à-dire les outils dont il se sert afin de déterminer les possibilités de réinsertion des détenus, ne sont pas biaisés. Dans les milieux universitaires, le débat se poursuit sur cette question depuis un bon moment. M. Sapers en a d'ailleurs parlé tout à l'heure.
    L'étude menée par la Commission canadienne des droits de la personne en 2003-2004 portait spécifiquement sur les outils qui sont utilisés pour évaluer les femmes, et notamment les femmes autochtones. La décision du SCC de réexaminer ces outils fait suite à une recommandation en ce sens émanant de la Commission des droits de la personne.
    Comme l'un des députés l'a fait remarquer tout à l'heure, nous avons recommandé en 2000 que le Service correctionnel du Canada nomme un sous-commissaire qui serait responsable des Autochtones et ce, afin d'avoir, au sein de l'équipe de la haute direction, une personne chargée de cette population en particulier et de s'assurer que le point de vue et les préoccupations des détenus autochtones seraient pris en compte de façon adéquate à l'égard de toute question renvoyée aux hauts fonctionnaires du SCC pour examen.
    Au moment de faire cette recommandation en 2000, nous avons également recommandé que le SCC examine, de concert avec les organisations autochtones nationales — je précise que nous avons clairement indiqué que cet examen devrait se faire indépendamment du Service correctionnel — ses politiques et procédures, de même que les outils utilisés afin de déterminer le bon niveau de classement pour les fins de la sécurité et les possibilités de réinsertion.
    Or le SCC n'a jamais effectué un tel examen. Ce dernier maintient depuis toujours sa position — comme vous l'avez dit tout à l'heure — à savoir que ses outils ne donnent lieu à aucune discrimination ou répercussion négative à l'égard des Autochtones.
    Malgré les résultats.
    J'ai une question un peu technique à vous poser, puisque je voudrais parler des articles 81 et 84.
    Ce cadre prévoyant un rôle plus important pour les collectivités autochtones en matière correctionnelle a été approuvé en mars 1999, et donc, ce n'est pas quelque chose de nouveau.
    Non.
    Quand je regarde la réponse du ministère — elle se trouve à la page 44 de la version anglaise — il me semble que ce dernier indique, à l'égard de l'article 84, qu'il n'existe pas de véritables accords à proprement parler.
    Quand je regarde le libellé, je remarque deux choses. D'abord, l'article 81 concerne un accord pouvant être conclu avec une collectivité autochtone pour la prestation de services correctionnels aux détenus autochtones. L'article 84 concerne une situation où le détenu qui présente une demande de libération conditionnelle exprime le désir d'être renvoyé dans sa collectivité autochtone, etc.
    Il me semble, d'après la réponse du ministère — et ma façon de dépeindre la situation est peut-être injuste — que cette mesure prévoyant que les collectivités des premières nations, métisses et inuites prennent la responsabilité de la réintégration dans la collectivité est purement symbolique. Or étant donné que le taux de révocations par suite d'une violation des conditions de la libération est plus élevé pour les détenus autochtones, ce travail de réintégration dans la collectivité me semble d'autant plus critique.
    À votre avis, quels changements faut-il apporter afin que les articles 81 et 84 soient utilisés plus efficacement pour favoriser davantage la réinsertion dans la collectivité des détenus qui sont membres de premières nations, métis ou inuits?

  (1150)  

    Il vous reste une demi-minute.
    Il faut absolument renforcer les capacités au sein des collectivités autochtones et des premières nations. Je ne veux pas dire nécessairement qu'il existe des lacunes au sein des collectivités elles-mêmes; il s'agit plutôt de lacunes en ce qui concerne la façon dont le système correctionnel interagit avec ces collectivités. Par conséquent, il faut renforcer la relation entre le SCC, d'autres fournisseurs de services et les collectivités autochtones, afin que ces dernières puissent profiter davantage des possibilités que présentent les articles 81 et 84. C'est un problème de formation, d'éducation et de ressources.
    Monsieur Storseth.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à vous remercier, monsieur Sapers, pour votre exposé fort intéressant.
    J'ai trois questions que je vais vous demander d'élucider, et je compte partager mon temps de parole avec ma collègue.
    Vous parlez de discrimination systémique au sein du système correctionnel. Le problème est-il causé par le traitement injuste des membres des premières nations et des Autochtones, ou est-ce le traitement équitable des détenus qui posent problème?
    La discrimination systémique est souvent le résultat involontaire d'une série de décisions, de procédures ou de politiques qui sont appliquées. Nous avons constaté, année après année, qu'un segment bien particulier de la population carcérale au Canada semble être désavantagé. Nous mesurons ce désavantage en nous appuyant sur les résultats correctionnels — c'est-à-dire l'accès aux programmes, l'accès à une audience de libération conditionnelle, la libération en temps opportun, le nombre de révocations, la durée de la détention, le temps passé dans un secteur d'isolement, etc.
    Or nous constatons que cette population que nous avons recensée comprend des détenus autochtones. Là nous ne parlons pas des mesures ou actions indépendantes ou individuelles d'un employé ou responsable du Service correctionnel à l'égard de l'administration de la peine d'un contrevenant particulier; nous parlons plutôt de l'effet cumulatif de tous ces programmes, politiques, procédures et structures institutionnels qui semblent aggraver le désavantage qui caractérise la situation de bon nombre de Canadiens autochtones avant qu'ils arrivent dans les établissements, pendant qu'ils y sont, et après leur libération et leur retour dans leurs collectivités.
    Peut-on dire que cet état de choses est le résultat d'un système qu'on pourrait qualifier d'inadapté à la culture autochtone, faute d'un meilleur terme?
    Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui que j'ai cité dans mes remarques liminaires, soit celui des outils de classement. Selon nous, ils sont inadaptés à certaines cultures et donnent lieu à un surclassement en raison de la façon dont on pose les questions et qu'on note les réponses.
    Et que pouvez-vous nous recommander en vue de faire évoluer ce système de classement?
    L'une des premières mesures à prendre — et cela cadre tout à fait avec la recommandation faite par le Bureau il y a quelques années — consisterait à consulter beaucoup plus les collectivités autochtones et les organisations autochtones nationales. À mon avis, le SCC est un peu sur la défensive sur ce plan-là. Ce dernier a procédé à un examen interne et a conclu que les outils et les mécanismes qui sont actuellement en place ne posent pas problème.
    Or malgré le nombre de programmes qui ont été instaurés et le nombre d'Aînés autochtones qui ont travaillé de pair avec les établissements, les résultats demeurent inchangés. Il est donc raisonnable de se demander si les outils qui sont employés correspondent bien à la réalité qui devrait nous intéresser.
    En fin de compte, nous souhaitons que les personnes qui sont libérées et retournent dans leurs collectivités puissent y être réintégrées en toute sécurité et en temps opportun. Mais en raison du système actuel, les détenus autochtones sont libérés après avoir purgé une bien plus grande proportion de leur peine; ils sont aussi plus susceptibles de faire l'objet d'une recommandation de détention; et après leur libération, le taux de révocations est beaucoup plus élevé pour eux que pour la population non autochtone.
    Il est donc essentiel de rompre ce cycle. Et l'une des premières mesures que le SCC doit prendre, comme nous l'avons recommandé il y a quelques années, consisterait à faire participer des parties externes, c'est-à-dire les universitaires, les collectivités autochtones et les organisations autochtones nationales, à un examen de ses politiques et du processus décisionnel qui s'appliquent à l'heure actuelle.

  (1155)  

    Voilà qui me permet d'enchaîner avec une dernière question.
    Il a été question des huit pavillons de ressourcement, des programmes de base pour les détenus autochtones, d'initiatives particulières qui ont été prises dans certains établissements, telles que les Sentiers autochtones, les Cercles traditionnels et les Cercles d'influence. Ces programmes qui sont disponibles dans les établissements à sécurité minimale ont-ils du succès? Ont-ils un taux de succès élevé? Et sinon, que faut-il faire pour relever le taux de succès de ces programmes?
    Bon nombre de ces initiatives ont été évaluées, et d'une manière que d'autres programmes correctionnels de base ne l'ont jamais été. Elles ont été examinées il y a quelques années dans le cadre de ce qu'on appelait l'Initiative de l'approche correctionnelle judicieuse pour les Autochtones. On peut effectivement mesurer l'impact de ces programmes en examinant tous les résultats que j'ai énumérés. Lorsqu'on tient compte des taux de succès, de la durée de l'incarcération, des taux de libération et de réintégration dans les collectivités, des taux de révocations, etc., on constate justement que certains éléments d'information nous donnent lieu d'espérer que la situation s'améliorera.
    Par contre, certains programmes sont nouveaux, ou encore font l'objet d'un projet pilote ou ne sont dispensés que dans certains établissements bien précis; à ce moment-là, il devient difficile de faire des généralisations. Mais, en ce qui me concerne, ce n'est pas du tout un reproche. La force des programmes qui tiennent compte des différences culturelles est justement le fait qu'ils tiennent compte des besoins uniques de certains segments de la population et du fait qu'une initiative qui donne de bons résultats dans les Prairies n'aura sans doute pas beaucoup de succès auprès d'une population habitant le Nord ou la côte.
    Donc, comme je vous l'ai déjà dit, bon nombre de ces programmes réussissent dans les établissements où ils sont instaurés, et la seule généralisation qu'on puisse faire à l'égard de ces programmes qui sont uniques en leur genre, c'est qu'ils permettent de répondre aux besoins uniques de certaines populations correctionnelles. Voilà la constatation qui doit primer en ce qui nous concerne.
    Donc, selon vous, ces programmes visant à répondre aux besoins de certains groupes culturels ont du succès et correspondent à l'orientation qu'il convient de poursuivre à l'avenir.
    À mon avis, il faut continuer à explorer les possibilités qu'ils présentent, et il faut également faire preuve d'une très grande rigueur pour ce qui est de recenser les éléments qui sont à l'origine de leur succès. Il conviendrait, de toute évidence d'approfondir davantage cette question.
    Donc, si vous aviez la possibilité d'être roi et d'imposer votre volonté, que faudrait-il faire, d'après vous?
    Si je devenais roi?
    Est-ce que je dispose toujours de 30 secondes seulement pour répondre à cette question, monsieur le président?
    Le plan stratégique élaboré par le Service correctionnel du Canada à l'intention des détenus autochtones n'est pas mal. Je suppose que si je devenais roi pendant une journée, je m'assurerais d'y affecter les ressources nécessaires sur une base prioritaire, que l'on procède au genre d'évaluation dont je parlais tout à l'heure, et que nous nous assurions que nos actes cadrent avec nos paroles pour ce qui est de la priorité accordée aux programmes adaptés à la culture.
    Je trouve intéressant, chers collègues, que nous parlions aujourd'hui du fonctionnement du Service correctionnel du Canada alors que nous sommes le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord. À mon sens, nous devrions surtout nous intéresser aux causes profondes de cette problématique, c'est-à-dire les raisons pour lesquelles ils en arrivent là. Quelles politiques convient-il d'élaborer ou d'appliquer au sein du ministère afin d'encourager les Autochtones à ne pas se retrouver dans une situation où ils risquent de finir en prison? À mon avis, c'est ça le rôle fondamental du comité, à savoir de définir des politiques pour le MAINC afin que les Autochtones puissent réaliser leurs aspirations et éviter de prendre les mauvaises décisions.
    En réalité, nous parlons ici d'enjeux qui devraient normalement concerner davantage le Comité de la justice ou le Comité de la sécurité publique. Il convient que le comité en soit conscient, même si je ne cherche évidemment pas à sous-estimer l'importance de cette problématique.

  (1200)  

    Je ne suis pas sûre d'être d'accord avec vous, monsieur le président.
    Je n'ai pas dit que ce n'est pas important.
    Non.
    Chers membres du comité, cette salle n'est pas réservée après 13 heures, si jamais vous souhaitez dépasser un peu l'heure prévue. Je m'en remets à la volonté du comité à cet égard. Je vais vous permettre de continuer jusqu'à 13 h 10, et nous passerons ensuite aux prochains témoins, à moins que vous ne me fassiez savoir que vous souhaitez disposer d'un peu plus de temps.
    Madame Karetak-Lindell.
    Merci. Je vais essayer d'être très brève de façon à pouvoir partager mon temps avec Todd.
    Merci infiniment pour votre rapport. Je dois admettre que je trouve toujours attristant d'entendre ce genre de statistiques. Cela ne fait que renforcer ma conviction qu'il faut affecter plus de ressources, ou insister pour que l'on affecte plus de ressources, car je sais pertinemment qu'on fait du bon travail mais les chiffres sont tout simplement accablants.
    J'ai deux petits points à soulever très rapidement. Le premier est d'ordre technique. Dans votre exposé, vous avez parlé, parfois indifféremment, de « membres de premières nations » et d'« autochtones ». Je ne suis donc pas sûre dans quelle mesure cela comprend les Métis et les Inuits. Je voulais que vous sachiez qu'il existe trois groupes autochtones au Canada et qu'il n'est donc pas exact de parler indifféremment de « membres de premières nations » ou de « peuples autochtones », car à ce moment-là, on exclut les deux autres groupes.
    Par ailleurs, étant donné le nouveau projet de loi prévoyant des peines minimales qui fait en sorte de traiter comme des criminels des gens qui ne devraient pas nécessairement être qualifiés de criminels, je m'inquiète de la possibilité que les chiffres s'aggravent encore. Si j'ai bien compris le nouveau projet de loi dont on propose l'adoption, il s'agira d'incarcérer plus de gens que le nombre que nous essayons d'aider. À mon avis, il convient d'explorer davantage les possibilités que présentent des initiatives liées à la justice réparatrice.
    Est-ce également votre avis, à savoir que le nombre de détenus autochtones sera encore plus important après l'adoption du nouveau projet de loi? Je sais que ce n'est pas nécessairement une question très juste, mais…
    Elle est importante.
    À ma connaissance — et là je me fonde sur mon expérience — si rien d'autre ne change mais que nous adoptons des lois qui font augmenter la population carcérale, ma prédiction serait que la même proportion de contrevenants autochtones sera touchée par cet accroissement de la population carcérale. Donc, si rien d'autre ne change, le nombre de détenus autochtones augmentera.
    Il y a lieu de croire, jusqu'à un certain point, que certains des crimes visés par les projets de loi dont le Parlement est actuellement saisi peuvent concerner de façon disproportionnée les délinquants autochtones, par rapport aux délinquants non autochtones. Là je me livre à des conjectures…
    Peut-être, mais la tendance est claire.
    … oui, car nous ignorons pour le moment la forme définitive du projet de loi, bien entendu.
    Je pense que Todd voudrait également poser des questions.
    J'ai juste une remarque à faire.
    Il ne fait aucun doute que tout cela a énormément d'impact sur nous au comité. Quand vous parlez de discrimination systémique, par définition, vous parlez du système et de toutes les composantes du système. Et c'est pour cette raison — et cela rejoint ce que disait ma collègue au sujet des nouveaux projets de loi portant sur le système judiciaire qui ont été proposés — il faut, à mon avis, une optique d'analyse spécifiquement autochtone. Sinon, le même genre de discrimination continuera d'être pratiquée — et pas seulement au sein du système correctionnel. La discrimination systémique qui existe dans d'autres domaines est justement l'une des raisons pour lesquelles certaines personnes finissent en prison.
    C'est pour cela qu'il faut absolument une optique d'analyse spécifiquement autochtone dans le cadre de ce projet visant à « réprimer la criminalité » en incarcérant plus de jeunes pendant de plus longues périodes, en gardant les gens en prison pendant plus longtemps, ou en rendant plus difficile le processus d'obtention de la libération conditionnelle ou de la mise en liberté sous caution, etc.
    D'après ce que je lis ici, dois-je conclure que, selon vous, les détenus autochtones auraient beaucoup plus de mal à accéder aux programmes qui sont censés les aider? C'est un cercle vicieux.

  (1205)  

    Contentez-vous d'une réponse courte, s'il vous plaît.
    Je me permets de répéter ce que j'ai dit tout à l'heure en avant-propos, c'est-à-dire « si tout reste inchangé ». Donc, si la population de délinquants autochtones admise dans les établissements pénitentiaires fédéraux augmente, et si ces délinquants continuent d'être surclassés, à mon avis, et détenus dans un milieu carcéral où le niveau de sécurité est plus élevé qu'il ne le faut, ces mêmes délinquants continueront de n'avoir accès aux programmes et de retourner dans leurs collectivités que tardivement, et le cycle sera maintenu.
    Ce dont nous parlons ici est au coeur de mon mandat, c'est-à-dire réagir aux préoccupations et aux plaintes des délinquants et examiner le fonctionnement du Service correctionnel du Canada et faire connaître les problèmes systémiques et structurels que nous observons du fait de traiter des plaintes individuels dans notre rôle de protecteur. Or l'une des plaintes les plus fréquentes concerne justement l'accès tardif aux programmes et à la mise en liberté sous caution.
    Votre temps est écoulé.
    Monsieur Albrecht, avez-vous une question?
    Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie également nos témoins pour leur présence aujourd'hui.
    Je pense que nous sommes tous d'accord ici pour dire qu'il convient de traiter équitablement tous les délinquants, et je serais certainement en faveur de toute initiative permettant d'accélérer les initiatives de reclassement qui s'imposent. Je suis favorable à cette idée-là. Mais il me semble évident que s'il existe un nombre élevé de délinquants, il doit également exister un nombre élevé de victimes.
    Ce qui manque ici — et je sais que cela ne fait pas partie de votre mandat ou de vos tâches — ce sont les besoins de la victime et la nécessité d'en tenir compte. Existe-t-il des programmes qui permettent d'offrir du counselling ou des soins à la victime suivant un incident violent — et trop souvent, les victimes de ces incidents sont des femmes et des enfants — de telle sorte que ces personnes ne se trouvent pas prises dans ce cycle de violence permanent? Existe-t-il des programmes de ce genre? Ou les victimes sont-elles totalement écartées de ce processus?
    Je suis désolé, mais une partie de votre question est à ce point étrangère à mon mandat et à mes compétences que je suis vraiment réticent à répondre. Je suis au courant d'un certain nombre de programmes qui visent à répondre aux besoins des victimes, mais pour ce qui est des initiatives que prévoient les articles 81 et 84 s'appuyant sur la participation des collectivités autochtones — et notamment l'article 84 — souvent des cercles sont justement constitués pour permettre de surveiller le contrevenant ou d'assurer sa réinsertion dans la collectivité. Ce processus suppose souvent la participation des victimes, comme c'est le cas pour la Commission nationale des libérations conditionnelles; ce processus consistant à tenir des audiences dans le cadre d'un cercle ou avec l'aide des Aînés peut ou non supposer la participation des victimes. À présent, les victimes peuvent évidemment participer, ou du moins assister aux audiences de libération conditionnelle.
    Donc, les victimes ont de nombreuses possibilités de participer au processus. Le Service correctionnel du Canada compte également une unité de justice réparatrice qui a également connu un certain succès, mais en dehors de cela, vu mon manque d'expertise dans ce domaine, je suis dans l'impossibilité de vous fournir d'autres détails en ce qui concerne les services qui sont assurés aux victimes.
    Je vous remercie. J'aimerais simplement…
    Je dois malheureusement clore cette partie de notre séance.
    Je voudrais donc remercier les témoins de leur présence devant le comité aujourd'hui.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous vous remercions pour les renseignements que vous nous avez fournis — renseignements tout à fait choquants — et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd'hui.
    Nous allons faire une brève pause pour permettre aux membres de la prochaine délégation de s'installer. Nous reprendrons nos travaux tout de suite après.

    


    

  (1215)  

    Chers membres du comité, nous allons reprendre nos travaux.
    Nos deuxièmes témoins sont de la Commission Crie-Naskapie. Nous accueillons Richard Saunders, président; Robert Kanatewat, commissaire; Philip Awashish, commissaire; et Brian Shawana, directeur général.
    Merci infiniment de votre présence aujourd'hui. Nous allons d'abord entendre votre exposé, et ensuite les différents représentants des partis auront des questions à vous poser.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier le comité d'avoir accepté de nous accueillir. Selon moi, nos visites au comité donnent toujours lieu à certains résultats intéressants, et nous vous sommes donc très reconnaissants de nous avoir invités à comparaître.
    Comme vous le savez sans doute, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, loi élaborée par la Commission, exige que nous fassions rapport tous les deux ans sur son application. Ces rapports sont déposés auprès du ministre des Affaires indiennes. Normalement nous rencontrons le ministre peu de temps après. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de rencontrer le ministre Prentice, mais nous espérons pouvoir le faire dans un avenir assez proche.
    Après le dépôt des rapports à la Chambre, comme vous le savez, conformément au Règlement, ils sont automatiquement renvoyés au comité. Par contre, c'est au comité de déterminer s'il souhaite ou non nous inviter à comparaître, et voilà pourquoi je vous suis reconnaissant d'avoir décidé de nous entendre.
    C'est d'autant plus important que nos rapports s'appuient sur les audiences que nous tenons en présence des membres des collectivités cries et naskapies. Les dirigeants, les Aînés, les jeunes, et d'autres encore viennent nous voir et passent pas mal de temps à faire des exposés. Ils savent très bien que les questions importantes qu'ils soulèvent devant nous seront mentionnées dans nos rapports. Ils savent, au moment de préparer leurs exposés que l'information qu'ils nous transmettent finira par être portée à la connaissance des dirigeants élus, des députés, et du ministre. Par conséquent, ils y consacrent pas mal de temps et supposent que leurs observations seront largement diffusées, et cette rencontre avec vous nous donne justement l'occasion de garantir cette diffusion. Donc, ce n'est pas une simple formalité et nous en sommes très contents.
    Ce rapport, c'est-à-dire le rapport de 2006, est le dixième rapport de la Commission Crie-Naskapie. En préparant ces rapports, nous avons fait un petit retour en arrière et nous sommes rendu compte qu'au cours des 20 dernières années qui ont suivi la publication du premier rapport, il y a eu 10 ministres. Bien qu'il ne nous appartienne pas de nous prononcer sur la décision d'un premier ministre de nommer un ministre ou de le remplacer, le fait est que depuis de nombreuses années, nous nous demandons dans quelle mesure les ministres sont vraiment responsables de la définition des politiques.
    Je suppose qu'il en va de même pour de nombreux ministres, et pas seulement le ministre des Affaires indiennes, mais si l'on considère qu'un ministre dispose en moyenne de deux ans — dix ministres en 20 ans donne deux ans chacun — pour remplir son mandat, et si l'on considère que les ministres, à juste titre, font l'objet de beaucoup de critiques — ce qui est normal dans un système démocratique — lorsque leur ministère fait des erreurs, et s'attribuent évidemment tout le crédit lorsque certaines décisions se révèlent judicieuses, eh bien, si vous n'aviez que deux ans alors qu'il existe 600 premières nations, de nombreuses collectivités inuites et de nombreuses collectivités métisses, et sachant que vous êtes responsable de tout un éventail de programmes, de même que les politiques qui sont élaborées à un moment dans notre histoire où le droit relatif aux droits ancestraux et aux droits issus des traités évolue très rapidement, si vous êtes ministre des Affaires indiennes, vous voudrez peut-être disposer d'un peu plus de deux ans pour arriver à bien exécuter les politiques gouvernementales dont vous êtes responsable. Si je vous fais cet historique, c'est pour vous permettre de mieux vous situer.
    Je devrais sans doute vous présenter maintenant — car ça cadre assez bien avec ce que je suis en train de vous dire — les deux collègues qui m'accompagnent. Ce sont des gens assez modestes qui ne voudront sans doute pas vous le dire eux-mêmes, mais le fait est qu'ils ont tous les deux été négociateurs et signataires de la convention originale de la Baie James de 1975. Ils ont participé à la conclusion de ce traité, de même que Billy Diamond et de nombreuses autres personnes.
    À cette époque-là, les auteurs de ce traité avaient, me semble-t-il, une certaine vision de ce que devait être l'issue de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, de même que de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Où est-ce que tout cela doit nous mener? De quoi s'agit-il? Il ne s'agit pas simplement de faire construire des barrages.
    En ce qui me concerne, ce que les auteurs de ce traité avaient à l'esprit était une nation crie viable et de longue durée, et une nation naskapie viable, dans le cas de l'accord sur le Nord-Est du Québec — nations qui pourraient préserver les valeurs traditionnelles, les activités traditionnelles, le mode de vie traditionnel, de même que la langue et la culture, tout en réussissant à fonctionner aussi efficacement que tous les autres au XX et au XXIe siècle. Cette convention était considérée en partie comme un instrument qui permettrait de faire toutes ces choses. Il arrive un moment où il convient d'évaluer les résultats et de les comparer à ces critères.

  (1220)  

    La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est en vigueur depuis 1984. C'était un progrès important puisqu'il s'agissait d'une loi révolutionnaire marquant l'une des premières fois qu'on abandonnait la Loi sur les Indiens pour définir une loi destinée à répondre aux besoins des collectivités concernées et à tenir compte de leur situation spéciale.
    Tout récemment nous avons organisé une rencontre avec les dirigeants des Six Nations, qui ont évidemment leurs propres problèmes à régler. Essentiellement, ils ont posé la question que voici à mes collègues: Comment avez-vous fait pour cesser d'être visés par la Loi sur les Indiens? Voilà une question que bon nombre de premières nations se posent actuellement. C'est une chose que de dire qu'il faut se débarrasser de la Loi sur les Indiens, mais c'en est une autre d'en arriver à des institutions et des structures de gouvernance de rechange, de même qu'à des lois efficaces.
    La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec représentait une tentative honnête, de la part de toutes les parties, pour en arriver là, mais cette loi a été adoptée il y a plus de 20 ans. L'expérience qui a été acquise, de même que l'évolution du modèle de gouvernance dans les collectivités font que certaines modifications s'imposent à présent. Certaines d'entre elles sont d'ordre purement administrative — par exemple, le quorum qui est nécessaire pour que la collectivité puisse approuver les emprunts à court et à long terme — qui sera sans doute un quorum différent par rapport à celui exigé pour changer les modalités du régime foncier, etc.
    Mais d'autres modifications importantes s'imposent, et le commissaire Awashish vous en parlera en détail un peu plus tard. Il y a aussi des problèmes importants. Notre modèle de gouvernance a évolué: nous n'appliquons plus le modèle de la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire une bande ici et là, un chef et un conseil ayant des pouvoirs et des obligations bien définis. Là nous parlons de la nation crie, qui n'est pas un simple collectif représentant les collectivités individuelles, et de la nation naskapie, qui n'a pas du tout le caractère d'une simple bande. Par conséquent, il faut les outils appropriés; certains d'entre eux sont d'ordre législatif, et d'autre sont évidemment d'ordre social, politique et communautaire.
    Mais il y a une question que je voudrais approfondir un peu plus avec vous, à savoir le logement. Je sais que le comité s'intéresse tout particulièrement aux problèmes de logement des premières nations dans l'ensemble du Canada. Il ne fait aucun doute que la situation de la grande majorité des premières nations du Canada en matière de logement est tout à fait critique — d'ailleurs, le comité en sait plus que moi.
    Par contre, dans les collectivités cries, la situation est légèrement différente, notamment en raison du succès qu'ont connu ces collectivités par suite de la conclusion de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. Ce succès fait que ces collectivités ont des possibilités économiques plus intéressantes que dans les collectivités autochtones moyennes au Canada. En conséquence, contrairement à la grande majorité des collectivités, dont une très forte proportion des jeunes quitte la réserve pour chercher un emploi, poursuivre leurs études, ou pour d'autres raisons, dans les collectivités cries, plus de 95 p. 100 des jeunes restent chez eux.
    Évidemment, c'est une bonne chose, mais cela donne lieu à des coûts en raison de la demande de logement. La demande de nouvelles unités familiales est encore plus importante que dans de nombreuses autres collectivités, dont la situation économique est moins favorable. C'est ça la réalité.
    Lors des audiences que nous avons tenues, le chef Billy Diamond a fait un exposé sur le logement au nom du Grand Conseil. Nous ne l'avons pas déposé par respect pour les membres du comité, étant donné que la traduction française n'est pas encore prête.
    Monsieur le président, je ne sais pas si les règlements du comité le permettent, mais s'ils le permettent et si vous êtes d'accord, nous aimerions vous faire parvenir une copie de ce texte, qui est très détaillé, dès que la traduction française sera disponible.
    Parmi les faits saillants du rapport, notons qu'au cours de la période de 28 ans entre 1977, soit deux ans après la signature de la Convention, et 2005, la population a augmenté de 117 p. 100. C'est une augmentation phénoménale, surtout que la plupart des gens sont restés dans leur collectivité. Pour ce qui est des chiffres réels, la population était de 6 727 en 1977, de 14 588 en 2005, et elle dépasse à présent 15 000.

  (1225)  

    Selon les résultats d'un recensement effectué en 1999, il manquait à l'époque 1 403 unités de logement. Des rapports sont actuellement en voie de préparation; toutefois, nous savons que la pénurie de logements augmente, plutôt que de diminuer. Cette situation nous inquiète. Elle influe sur la formation de nouvelles familles. Elle crée des pressions sociales dont vous avez parlé dans d'autres contextes, mais qui s'appliquent à notre cas également. C'est un problème auquel il faut s'attaquer de toute urgence.
    La proposition crie repose sur une approche tout à fait équilibrée, et j'ai été profondément impressionné par l'exposé du chef Diamond. Il ne nous disait pas: Vous devriez aller demander plus d'argent au gouvernement. Non, il parlait d'une approche équilibrée, et je l'ai même cité dans les notes qui ont été distribuées; il a dit ceci: « Il nous faut changer d'attitude et d'approche et voir le logement, non pas comme une question de droit ou d'aide sociale, mais bien de propriété et d'investissement ».
    Il parle justement de la nécessité de s'attendre à ce que les personnes qui bénéficient de la situation économique paient en fonction de leur capacité contributive. Si elles ont un emploi, elles devraient payer comme quelqu'un qui a un emploi. Il dit qu'en tant que collectivité et gouvernement, les Cris eux-mêmes devraient investir dans leur logement. Et même s'il parle aussi de financement gouvernemental, il préconise une approche équilibrée. Il a également indiqué son désir d'examiner et de définir ensemble les modalités d'un tel accord.
    Il ne fait aucun doute qu'il existe une grave pénurie de logements sociaux dans bon nombre de collectivités. Je ne remets pas en question cette réalité, ni la nécessité pour le gouvernement de continuer à soutenir financièrement les activités liées au logement dans les collectivités cries. Il est évident que cela s'impose. Mais c'est tout à fait à l'honneur des Cris que ces derniers aient déclaré qu'ils sont prêts à adopter une approche équilibrée, qui suppose l'utilisation d'autant de leurs ressources que possible. C'est une proposition tout à fait sensée.
    Il y a une dernière question qui découle de notre rapport, et elle concerne la nation naskapie de Kawawachikamach. Comme vous le savez, la nation naskapie se trouve dans la région de Schefferville, dans le nord-est du Québec. Cette nation a la Convention du Nord-Est québécois pour la guider; elle est également visée par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Mais cette nation a des problèmes uniques qui sont assez différents de ceux des Cris. Malheureusement, l'un d'entre eux concerne la création éventuelle d'un gouvernement régional du Nunavik, dans le nord du Québec.
    Le problème découle du fait que la Couronne, du droit du Québec et du Canada, n'a pas tenu compte des intérêts de la nation naskapie relativement à la création d'un gouvernement régional au Nunavik. Selon les responsables de cette nation, le ministère des Affaires indiennes n'a pas rempli ses obligations fiduciaires, et n'a pas mené ses activités d'une manière jugée conforme à l'honneur de la Couronne; de plus, cette dernière a permis la tenue de discussions officielles sur la création éventuelle d'un gouvernement régional, alors que ceci pourrait influer sur leurs intérêts dans les terres qui relèvent de la responsabilité aux termes de la Convention du Nord-Est québécois.
    À mon avis, c'est aux gouvernements de voir clair dans tout cela. Il faut que les Naskapis soient à la table; il faut qu'ils soient consultés. Évidemment, ils ne s'opposent aucunement à ce que les Inuits du Nord québécois et leur propre gouvernement régional, mais ils insistent sur le fait que leurs intérêts en vertu d'une convention qu'ils ont déjà signée soient protégés, respectés, et pris en compte dans le contexte de la création d'un autre gouvernement régional.
    Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est qu'à notre avis, les parties doivent toutes être à la table des négociations pour en discuter. Nous avons d'ailleurs écrit à l'ancien ministre, qui nous a répondu en nous disant: nous avons nommé un négociateur fédéral, un dénommé M. Donat Savoie, pour examiner la question; parlez-en avec lui. Nous en avons parlé avec lui, et il nous a recommandé de parler à un avocat du ministère de la Justice, qui nous a dit essentiellement que cela ne nous regarde pas.
    Eh bien, ils peuvent toujours parler. C'est bien beau tout ça, mais le fait est que le peuple naskapi n'est pas d'accord. Souhaitons-nous vraiment aller en cour et avoir encore 10 ans de problèmes devant les tribunaux, ou préférons-nous être à la table avec les autres pour trouver des solutions?
    Que cela nous regarde ou non, quelles que soient les parties directement concernées, allons ensemble à la table de négociation pour trouver des solutions.

  (1230)  

    Comme mon temps est limité, je vais conclure et céder la parole à mes deux collègues. Le commissaire Kanatewat commencera, le commissaire Awashish terminera, et ensuite nous serons à votre disposition pour répondre à vos questions. Si vous avez d'autres questions quand le temps sera écoulé, nous serions très heureux de rencontrer éventuellement des membres individuels si vous souhaitez obtenir un complément d'information sur quelque question que ce soit.
    Monsieur le président, je vous remercie infiniment.
    Robert.
    Merci, monsieur le président.
    Comme nous l'avons déjà mentionné, la Commission Crie-Naskapie produit des rapports depuis les 20 dernières années, et je suis heureux d'être présents parmi vous aujourd'hui. J'exerce les fonctions de commissaire à la Commission Crie-Naskapie depuis autant de temps, à l'exception d'un an.
    Je voudrais aujourd'hui souligner certaines des constatations formulées par la nation naskapie de Kawawachikamach lors de nos dernières audiences spéciales de mise en oeuvre, tenues en collaboration avec les dirigeants des nations crie et naskapie du 13 au 16 février 2006, en prévision de la préparation du présent rapport.
    Mesdames et messieurs, je voudrais vous parler de la Commission du Nunavik. La nation naskapie a exprimé ses préoccupations par écrit au gouvernement du Canada. Elle a remis en question la politique sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones du Canada. La nation naskapie attend une réponse par écrit à ses questions. Jusqu'à maintenant, le gouvernement du Canada n'a fourni aucune réponse complète à l'ensemble des questions soulevées. À la lumière de ces faits, et à la suite de la plainte et des doléances exprimées par la nation naskapie, la Commission Crie-Naskapie a résolu de tenir une enquête en vertu de l'alinéa 165(1)b) de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.
    Cependant, les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Développement du Grand Nord ont refusé de se présenter à une audience de la Commission sur cette affaire. Selon le Canada, il n'est pas du ressort de la Commission d'entendre les doléances de la nation naskapie. le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord a également réagi en déclarant qu'on avait mis en oeuvre un processus quadripartite — c'est-à-dire auquel participeraient les nations inuite et naskapie ainsi que les gouvernements du Québec et du Canada — afin d'étudier les questions soulevées par la nation naskapie.
    De plus, le ministère a précisé qu'il était en voie de fournir des renseignements détaillés à la nation naskapie et qu'il était convaincu que ce processus donnerait des résultats positifs. Vous trouverez cette section à la page 38 de notre rapport. Il est juste d'affirmer que la nation naskapie de Kawawachikamach a conclu que le refus du Canada de comparaître devant la Commission cadre tout à fait avec sa conviction selon laquelle le gouvernement du Canada a manqué à son devoir de protéger nos droits et nos intérêts face aux efforts soutenus de Makivik Corporation. Cette section se trouve à la page 38 de notre rapport.
    La Commission a recommandé ce qui suit dans son rapport de 2004… et là je cite la page 48 de notre rapport:
Le gouvernement du Canada doit assumer ses responsabilités adéquatement et prendre des mesures opportunes et adéquates en consultation avec la nation naskapie pour garantir les droits et les intérêts des Naskapis dans les actuelles négociations concernant l'établissement d'un gouvernement du Nunavik.
    La Commission, comme l'indiquent les conclusions du présent rapport, estime que le Canada a l'obligation civile d'agir dans les intérêts supérieurs de la nation naskapie à cet égard. D'ailleurs, la Commission a l'intention de maintenir la représentation de la nation naskapie et de produire des rapports à ce sujet, malgré la position du gouvernement du Canada.
    Pour ce qui est des autres problèmes que nous connaissons actuellement au sein de la communauté naskapie, tout à l'heure notre président parlait du logement. Nous avons effectivement précisé que la collectivité naskapie n'a toujours pas été informée au sujet des logements qui lui seraient attribués pour l'exercice 2007-2008 et pour la période ultérieure et ce, en partie à cause du processus d'attribution des logements de la SCHL. Vous trouverez ces renseignements à la page 39 du rapport.
    En ce qui concerne les services policiers, la nation naskapie a fait état d'un différend concernant le partage des frais de prestation des services policiers dans la province de Québec.
    En terminant, je voudrais citer rapidement les recommandations formulées par la Commission Crie-Naskapie. Ces recommandations figurent à la page 52 de notre rapport:
Le gouvernement du Canada, la nation naskapie de Kawawachikamach et les autres parties concernés devraient définir sans délai le mandat du Groupe de travail Naskapi-Inuit-Canada-Québec, qui devrait entreprendre de se pencher sur les préoccupations de la nation naskapie à l'égard des négociations actuelles sur l'établissement du gouvernement du Nunavik.

  (1235)  

Le gouvernement du Canada devrait régler son litige l'opposant à la province de Québec quant au partage des frais liés à la prestation des services policiers au sein de la nation naskapie de Kawawachikamach.
Le gouvernement du Canada et la nation naskapie de Kawawachikamach devrait régler la question des processus d'attribution des logements de la SCHL et déterminer les besoins actuels et futurs de la nation naskapie en matière de logement.
    Je voudrais remercier les honorables membres du comité de nous avoir donné l'occasion de faire connaître les préoccupations de la nation naskapie de Kawawachikamach.
    Je vous remercie.
    Monsieur Awashish.
    Monsieur le président, membres du comité, je voudrais vous remercier de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous entretenir de notre rapport de 2006.
    Je voudrais aborder un aspect particulier des recommandations de notre rapport de 2006. D'ailleurs, il s'agit d'une recommandation que contenaient certains de nos rapports antérieurs. En d'autres termes, dans bon nombre de nos rapports antérieurs — nous en sommes au dixième — nous avons recommandé à maintes reprises que les parties concernées — c'est-à-dire, le gouvernement du Canada et le gouvernement cri-naskapi — réexaminent la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, mettent sur pied une procédure en bonne et due forme en vue de réexaminer cette loi, et déterminent les moyens et les mécanismes qui permettront de modifier cette loi.
    Notre président vous a déjà fait un peu l'historique de la Loi proprement dite, mais les traités de l'époque moderne constituent, évidemment, le point de départ. Pour la reconnaissance et la protection de leurs droits et intérêts, les peuples cri et naskapi ont négocié leurs traités modernes, soit la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 et la Convention du Nord-Est québécois de 1978.
    Les Cris et les Naskapis voient dans ces conventions ou traités un rappel concernant leurs droits. Ils considèrent que ces traités établissent un cadre d'entretien de relations utiles et positives avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec, ainsi qu'avec la société moderne.
    Conformément à l'article 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et à l'article 7 de la Convention du Nord-Est québécois, le gouvernement du Canada a entrepris de recommander au Parlement l'adoption d'une loi spéciale concernant une administration locale pour les Cris de la Baie James sur les territoires de la catégorie 1A et d'une loi appropriée concernant l'administration locale des Naskapis du Québec dans les terres de la catégorie 1A-N.
    La loi spéciale que prévoyaient ces conventions, et qui est devenue la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, a été adoptée par la Chambre des communes le 8 juin 1984. Cette loi spéciale prévoit, pour les Cris et les Naskapis, un régime d'administration locale organisé et efficace, ainsi que l'administration, la régie et le contrôle des terres de la collectivité.
    Sauf pour déterminer quels bénéficiaires cris et naskapis sont des « Indiens », au sens de la Loi sur les Indiens, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec remplace la Loi sur les Indiens, qui ne s'applique pas aux premières nations crie et naskapie, pas plus que la Loi sur les Indiens ne s'applique aux terres de leurs collectivités.
    Les représentants des parties crie et naskapie et le gouvernement du Canada en sont arrivés à une entente concernant les conséquences et l'incidence de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec que consacre le protocole d'entente de 1984, et qu'on pourrait résumer ainsi:
La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est la pierre angulaire de la réalisation du plein potentiel de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ainsi que de la Convention du Nord-Est québécois. Les nouvelles structures qui ont été créées par ces conventions devaient servir de point de contact avec les administrations locales adéquatement constituées. La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec est la base à partir de laquelle les rapports avec le gouvernement fédéral seront redéfinis. À l'aide de la nouvelle Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, les Cris et les Naskapis pourront échapper aux restrictions qui caractérisent la Loi sur les Indiens et, par conséquent, exercer un contrôle complet sur l'administration de leurs collectivités et la gestion des terres des catégories 1A-N et 1A.

  (1240)  

    Ainsi la mise en oeuvre de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec doit permettre et faciliter le développement et l'évolution des administrations locales crie et naskapie, en tenant compte des réalités sociales, économiques et politiques, et des conditions qui existent de temps à autre chez les premières nations crie et naskapie. En conséquence, la mise en oeuvre appropriée de la Loi a une signification toute particulière et de très lourdes conséquences pour les aspirations et les objectifs des premières nations crie et naskapie en tant que peuples jouissant de l'autonomie gouvernementale.
    Comme vous l'a déjà dit notre président, cette loi est en vigueur depuis environ 23 ans. Or la signification de l'autonomie gouvernementale et les pratiques y afférentes ont évolué et ont été redéfinies au cours de 23 dernières années de manière à refléter les aspirations, les objectifs et la volonté politique des premières nations crie et naskapie. Les peuples cri et naskapi utilisent actuellement leurs administrations locales pour répondre à des besoins tels que le logement, le développement économique, les activités traditionnelles, le maintien de l'ordre, l'administration de la justice, l'éducation, la santé, l'exécution et l'administration des programmes et des services, le développement communautaire, la protection environnementale, et la représentation politique en vue de gérer les relations de gouvernement à gouvernement.
    Le plain potentiel de l'autonomie gouvernementale locale, vu sa nature dynamique et évolutive, n'a pas encore été atteint par les premières nations crie et naskapie parce que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, qui constitue l'une des principales contraintes, demeure, après 23 ans, un instrument inflexible, rigide et inchangé. Cependant, il conviendrait de mentionner que les traités eux-mêmes — soit les conventions modernes — ont été modifiées de temps à autre. La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été modifiée 18 fois.
    Toutefois, au cours des 23 dernières années, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec n'a pas suivi l'évolution de la pratique de l'administration locale crie et naskapie et l'état du droit autochtone est contemporain. En fait, certaines dispositions et modalités de la Loi actuelle sur les Cris et les Naskapis du Québec, de même que l'absence d'un certain nombre de dispositions essentielles, constituent de sérieux obstacles pour les administrations locales crie et naskapi.
    Le présent rapport et d'autres du passé, des documents de travail et les leçons tirées des enquêtes de la Commission Crie-Naskapie ont abouti à des conclusions, constatations et recommandations au sujet de l'examen et de la révision de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et ce, en vue d'atteindre certains objectifs, entre autres celui d'actualiser la Loi de façon à ce qu'elle reflète la réalité actuelle et la dynamique changeante de l'administration locale crie-naskapie et de l'état du droit autochtone contemporain.
    Nous avons préparé cet exposé à l'intention du comité, et aux pages 4 et 5 du texte, nous présentons les diverses raisons pour lesquelles il convient de modifier la Loi. J'imagine que ce document est accessible aux députés, afin que ces derniers puissent prendre eux-mêmes connaissance des différentes raisons pour lesquelles il convient de modifier et d'actualiser la Loi afin qu'elle soit conforme à l'état actuel du droit, de même qu'aux aspirations des peuples cri et naskapi.
    Je voudrais conclure en insistant sur le fait que le gouvernement du Canada doit absolument assumer ses responsabilités et respecter ses obligations d'ordre fiduciaire par l'entremise d'une relation de gouvernement à gouvernement, dans les intérêts supérieurs des administrations locales crie et naskapie. Pour y arriver, il conviendrait, entre autres, que le gouvernement du Canada procède à un examen sérieux de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et qu'il demande le dépôt d'éventuels amendements, afin d'améliorer encore l'exercice des pouvoirs locaux par les peuples cris et naskapi.
    Merci.

  (1245)  

    Chers membres du comité, si j'ai permis aux témoins d'avoir plus de temps pour faire leurs exposés liminaires, c'est parce que l'information qu'ils présentent me semble plus importante que les questions elles-mêmes.
    Je vais maintenant accorder cinq minutes à M. Russell, du côté libéral.
    Bonjour. Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de comparaître devant le comité. Je m'appelle Todd Russell, je suis du Labrador, et je représente la circonscription électorale de Labrador.
    Il est certain que la question que vous soulevez devant le comité et que vous abordez dans votre rapport n'est pas simple. Vous dites essentiellement dans votre rapport que vous souhaitez qu'on établisse un processus en bonne et due forme. Vous souhaitez que le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec ouvre un dialogue avec les nations naskapie et crie en vue de modifier la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. C'est bien ça? Voilà la recommandation générale que vous faites.
    Si je comprends bien — et corrigez-moi si je me trompe — vous avez déjà demandé cela dans des rapports antérieurs. C'est bien ça?
    C'est exact.
    Et quelles raisons ont été évoquées soit par le gouvernement du Québec, soit par le gouvernement fédéral pour ne pas ouvrir des négociations avec vous en vue de modifier la Loi?
    Premièrement, je voudrais apporter un éclaircissement au sujet des deux processus distincts qui ont été recommandés par la Commission Crie-Naskapie. Le premier concerne le réexamen de la Loi sur les Cris et les Naskapis elle-même par les dirigeants cris-naskapis et le gouvernement fédéral en vue de voir quelles modifications s'imposent. L'autre processus que la Commission a recommandé et qui est déjà en train concerne le réexamen des traités proprement dits, c'est-à-dire la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois, processus auquel participeraient à la fois le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, étant donné que les deux gouvernements sont parties aux deux traités en question.
    Selon nous, étant donné que la Loi découle de ces traités, les traités eux-mêmes devraient être réexaminés et modifiés afin d'y reconnaître, tout particulièrement, l'existence et la continuité du droit traditionnel cri-naskapi. L'une des difficultés actuelles est le fait que la Loi elle-même est muette sur l'existence et la continuité du droit traditionnel ayoowkwx. Nous constatons que lorsque nous sommes dans le Nord et que nous parlons de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, les gens nous disent que ce n'est pas ainsi qu'ils font les choses là-bas. Cela veut simplement dire qu'ils ont leurs propres façons de travailler. Ils ont leurs propres lois. Et quand cela se produit, bien entendu, il y a une tendance à simplement ne pas tenir compte des lois existantes, c'est-à-dire des lois contemporaines.

  (1250)  

    Je voudrais peut-être vous donner un petit exemple, parce que j'imagine que les membres du comité sont en train de se dire: « La Loi ne correspond pas à votre façon de faire les choses? Comment est-ce possible? »
    Mais prenons un exemple simple: les dispositions relatives aux élections. Ces dernières prévoient qu'il faut afficher un avis et que cet avis doit être affiché tant de jours avant la tenue des élections, etc. Mais s'il arrive qu'un aîné meure dans une collectivité donnée, ils vont tout simplement décider de tenir les élections un jour plus tôt, par exemple. Mais aux termes stricts de la Loi, ce genre de procédure est illégale. Donc, nous devons absolument régler ces petits problèmes aussi simples soient-ils.
    Très bien, mais pour en revenir à ma question, pourquoi les autres parties refusent-elles de collaborer pour faire avancer ces deux processus? Pourquoi le gouvernement fédéral, ou le gouvernement du Québec, n'a-t-il pas ouvert des discussions avec les nations crie et naskapie en vue de trouver des solutions à ces problèmes? Quelle est la principale embûche, que ce soit à cause des traités ou à cause de la Loi qui a besoin d'être réexaminée et modifiée?
    Le gouvernement fédéral préfère adopter une approche plus globale, c'est-à-dire examiner les modes de gouvernance crie et naskapie dans leur ensemble et ce, de façon complète et détaillée. Donc, au lieu d'examiner la Loi seulement, le gouvernement fédéral voudrait qu'on se penche sur la question globale du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
    Ils nous ont parlé de leur propre politique concernant la négociation de l'exercice du droit à l'autonomie gouvernementale. Ils voudraient examiner globalement tout ce processus d'accès à l'autonomie gouvernementale chez les premières nations, plutôt que de s'en tenir à examiner la Loi seulement.
    Merci.
    Monsieur Lévesque.

[Français]

    Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre présence. Je vais vous poser toutes mes questions en rafale, parce qu'on n'a pas beaucoup de temps.
    J'étais présent au moment où on discutait de certaines choses sur les territoires. Je fais régulièrement le tour, et on sait que vous réclamez des logements à certains endroits. L'espace manque sur le terrain même. Par exemple, on aurait besoin de fonds pour agrandir un espace afin d'y construire des logements.
    En ce qui a trait aux lettres que vous avez adressées au ministre concernant les négociations dont vous parlez dans votre exposé, nous n'en avons malheureusement pas reçu de copie. Nous aimerions bien connaître la teneur de la demande ainsi que la réponse du ministre dans ce dossier.
    Il y a un autre point qui m'intéresse. J'aimerais avoir des explications au sujet de votre territoire, par exemple Kawawachikamach, qui est situé sur le territoire maintenant reconnu comme étant le Nunavik. Quel territoire possédez-vous actuellement et quel territoire réclamez-vous? Les Innus du Sud, qui ont participé à une rencontre avec vous, vivent dans ce secteur. En effet, au mois d'août, je crois, vous avez eu une rencontre avec des représentants du Nunavik concernant le partage du territoire. Pourriez-vous nous parler des retombées de cette rencontre?
    Finalement, les Inuits et les Naskapis communiquent-ils toujours entre eux concernant le partage du territoire?
    J'avais demandé un compte rendu au Chef Jimmy James Einich, le chef de Kawawachikamach, qui a depuis été remplacé par Philip Awashish, mais je n'ai jamais rien reçu à ce sujet. On sait qu'une rencontre, un forum est prévu au Nunavik dans la semaine du 15 février. J'ai appris, par ouï-dire, qu'une entente de principe sera probablement signée avec le gouvernement du Nunavik. J'aimerais également entendre vos commentaires à ce sujet.

  (1255)  

[Traduction]

    Merci, monsieur Lévesque pour ces questions. Vous en avez posé plusieurs, et elles sont tout à fait utiles.
    Pour gagner un peu de temps, je précise que nous pourrons vous fournir les lettres adressées au ministre concernant les négociations. Notre Bureau se chargera de vous fournir l'ensemble de la correspondance entre nous, le ministre, Donat Savoie, et d'autres au sujet de cette question. Nous nous ferons un plaisir de le faire.
    Le territoire naskapi est essentiellement très semblable au territoire cri, en ce sens qu'il existe un territoire de la catégorie 1 qui a le caractère d'une réserve. Il existe aussi des territoires de la catégorie 2, et plus précisément un grand territoire au nord et un peu à l'ouest de la principale collectivité naskapie, qui se trouve à l'extérieur de Schefferville.
    À ma connaissance, ils ne souhaitent augmenter ni l'un ni l'autre territoire. Leur inquiétude concerne le fait que le projet de convention du Nunavik, tel qu'il est actuellement libellé, prévoit que le gouvernement du Nunavik soit responsable de l'ensemble de ce territoire. Même s'il est question dans l'accord du respect de certains de leurs droits, le fait est que leurs droits sont précisés dans la Convention du Nord-Est québécois. Par conséquent, ils voudraient en arriver à une entente explicite précisant qu'ils seront consultés au sujet de tout ce qui se passe là-bas. Deuxièmement, le gouvernement régional du Nunavik, tel qu'il a été proposé, serait un gouvernement public semblable à celui du Nunavut, de l'Ontario, ou n'importe quel autre gouvernement public.
    Ce qu'ils trouvent inacceptable, c'est qu'ils feraient partie du territoire tel qu'il a été décrit jusqu'à présent, et deviendraient une minorité ayant des droits spéciaux tombant sous la responsabilité d'un gouvernement public. En ce qui les concerne, c'est une solution moins intéressante que d'avoir leur propre gouvernement sur leur propre territoire, sans qu'il y ait de chevauchement des compétences.
    Vous auriez sans doute intérêt à en parler directement avec eux si vous souhaitez obtenir d'autres détails à ce sujet. Je sais qu'ils seraient très heureux de venir vous en parler ou d'en parler avec quiconque souhaite entendre leurs arguments. Je peux vous en donner les grandes lignes, mais il est toujours préférable de recevoir l'information directement des intéressés, plutôt que de passer par une tierce partie. Mais il ne fait aucun doute que cette situation pose problème.
    En ce qui concerne la réunion du 15, bien sûr, nous nous intéressons à ce qui va s'y faire et dans quelle mesure cet accord de principe sera signé à ce moment-là. Évidemment, nous nous intéressons à la question et nous allons assurer le suivi nécessaire et nous informer des activités.
    Pour ce qui est du logement, je suis d'accord. Avec l'approbation du président, nous vous ferons parvenir ce rapport détaillé dès que nous aurons reçu la version française. Si vous souhaitez conserver la version anglaise, je serais très heureux de vous la fournir. Mais par respect pour tous les membres, nous avons préféré attendre d'avoir les versions à la fois française et anglaise. Ce rapport devrait vous fournir le genre de détails qui vous intéressent.
    Madame Crowder.
    Je voudrais remercier les commissaires de leur présence devant le comité aujourd'hui. Quand des rapports sont soumis à l'examen du ministre et de la Chambre des communes, je trouve qu'il est très important que le comité ait l'occasion de les examiner en détail.
    J'ai beaucoup de questions à vous poser, mais comme je ne dispose que de quelques minutes, je vais me contenter d'aborder deux éléments que vous traitez dans votre rapport. Le premier se trouve à la page 12 de la version anglaise. Là vous parlez du fait que depuis 1986, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a toujours été d'avis qu'il n'appartient pas à la Commission, étant donné son mandat, de prendre en considération les questions qui peuvent se présenter en vertu des conventions. Je voudrais donc vous demander de me fournir d'autres renseignements à ce sujet.
    Je sais que vous avez parlé du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale mais, me semble-t-il, cette question est au coeur de l'enjeu dans ce contexte. À la page 42, vous recommandez que le chapitre 9 et le chapitre 7 soient modifiés de manière à prévoir la reconnaissance entière et explicite du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Vous dites un peu plus loin que vous craignez que la reconnaissance actuelle du droit inhérent par le Canada soit une simple politique sur la façon dont le gouvernement du jour peut décider d'interpréter l'article 35.
    Pour vous situer un peu, je devrais mentionner que je suis de la Colombie-Britannique, où de nombreux traités font actuellement l'objet de négociations. L'un des principes fondamentaux qu'on a retenu en Colombie-Britannique est justement la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Je suis donc troublé d'apprendre que même si ces traités et cette loi sont en vigueur depuis de nombreuses années, vous en êtes toujours à discuter avec l'autre partie en vue de faire reconnaître ce droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
    Je me demande ce que vous conseilleriez à d'autres qui sont actuellement en train de négocier des traités, étant donné qu'on ne semble pas vouloir reconnaître le droit de la Commission de traiter diverses questions qui découlent de la convention, et que les gouvernements concernés semblent réticents à admettre l'existence du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

  (1300)  

    Vous avez posé deux questions en réalité. Je vais répondre à celle qui concerne le mandat et vous parler brièvement du droit inhérent, mais Philip y a travaillé plus que moi et je vais donc lui demander de répondre.
    S'agissant du mandat, le ministère des Affaires indiennes a toujours soutenu — et vous pouvez constater vous-même, à la page 12, que cela continue d'être sa position — que nous n'avons pas compétence pour discuter des questions qui découlent de la Convention de la Baie James et de la Convention du Nord-Est québécois. Pour notre part, nous avons affirmé que, selon nous, la Loi elle-même, qui crée la Commission et décrit nos tâches, décrit également les tâches des conseils de bande. Entre autre, cette loi prévoit, aux paragraphes 21j), que la bande a pour mission « d'exercer les pouvoirs et fonctions que les lois fédérales ou leurs règlements lui confèrent… ». Pour moi, ce texte est clair.
    Donc, le ministère continue à soutenir que nous n'avons pas compétence, et ensuite il change de position et nous affirme que notre compétence législative n'est pas explicite. Voilà ce que les représentants du ministère nous ont dit dans leur exposé en février 2006, mais en même temps, ils ont fait une déclaration aux Nations Unies dans laquelle ils se sont vantés de ce qu'ils avaient fait, affirmant que le tout premier des traités modernes à être conclus — soit la Convention de la Baie James et du Nord québécois — prévoyait un mécanisme de surveillance, soit la Commission Crie-Naskapie.
    Nous avons fait remarquer cela à Michel Blondin, directeur du Bureau de mise en oeuvre de la Baie James, qui nous a dit: Eh bien, c'est absurde; il va falloir que j'assassine quelqu'un, c'est tout.
    Le lendemain, cette mention avait complètement disparu de leur site Web.
    Ce que nous ne lui avons pas dit, c'est qu'ils ont laissé autre chose sur le site Web, soit un énoncé intitulé « Le processus hybride », où l'on lisait ceci:

La partie XII de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec prévoit la création de la Commission Crie-Naskapie qui a pour mandat de mener des enquêtes privées sur les plaintes portant sur l'application ou la non-application de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, de la Convention du Nord-Est québécois ou de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec…
    Donc, nous n'allons pas continuer à en discuter avec eux. Nous ne les prenons plus au sérieux. Eux-mêmes ne se prennent pas au sérieux, de toute évidence, et par conséquent, nous allons passer à autre chose. Si les avocats veulent continuer à en débattre quelque part, qu'ils le fassent.
    Pour ce qui est du droit inhérent, ce qui nous inquiète, c'est que le gouvernement du Canada a toujours affirmé qu'il « pense » que l'article 35 traitant des droits ancestraux et des droits issus des traités comprend le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Certaines provinces ne sont pas de cet avis, de même que d'autres intervenants.
    Mais cette « pensée » constitue en réalité une politique: le gouvernement pense. C'est ça sa politique. Il n'existe aucune loi ou jugement de la Cour suprême indiquant que le droit inhérent fait partie intégrante de l'article 35. L'article 35 ne le précise pas, la Cour suprême ne l'a pas affirmé et il n'existe aucune loi fédérale qui le précise non plus. Donc, s'il s'agit d'une simple politique, c'est peut-être une bonne politique, mais elle est assez fragile. Les politiques évoluent, comme nous le savons tous, et à juste titre, dans bien des cas. Mais si cette question est vraiment aussi importante, il faudrait qu'elle fasse l'objet d'une loi.
    Philip, souhaitez-vous ajouter quelque chose rapidement?
    Oui, rapidement.
    La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée en 1975 et la Convention du Nord-Est québécois a été signée en 1978. Donc, ces deux conventions sont entrées en vigueur avant la Loi constitutionnelle de 1982.
    Le résultat de tout cela est la position prise par les nations crie et naskapie, qui maintiennent que les traités de 1975 et 1978 sont protégés par l'article 35 de la Constitution. Ces dernières considèrent que leurs droits issus de traités sont protégés en vertu de l'article 35. Elles considèrent également que ces droits issus des traités comprennent leur droit à l'autonomie gouvernementale. Évidemment, les tribunaux ne se sont pas prononcés sur la question. Nous n'avons que les énoncés de position ou les interprétations des premières nations, d'une part, et la politique que le gouvernement fédéral a suivie jusqu'à présent en ce qui concerne l'autonomie gouvernementale, d'autre part.
    Ce qui est intéressant, c'est que le gouvernement du Québec n'a pas reconnu le droit inhérent. Le gouvernement du Québec se contente de dire que les membres des premières nations ont droit à l'autonomie gouvernementale sur les terres qui leur sont confiées en vertu de la loi. Donc, il ne dit pas que ces droits sont des droits inhérents, et il précise que ces droits existent sous réserve des lois du Québec.

  (1305)  

    Monsieur Albrecht, avez-vous des questions?
    Oui. Merci, monsieur le président.
    Je voudrais revenir sur l'important énoncé qui se trouve à la deuxième page de votre texte, monsieur Saunders, où vous mettez en relief la remarque du chef Billy Diamond au sujet de la nécessité de changer d'attitude et d'approche en ce qui concerne le logement et d'y voir, non pas une question de droit, mais bien de propriété, etc. Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas en mesure de nous en donner les détails, et je respecte votre droit à cet égard, mais pourriez-vous nous indiquer en termes généraux quelle proportion des logements sont financés par les différents paliers de gouvernement et quelle proportion correspond à des propriétés individuelles?
    Pour moi, ce que le chef Diamond essaie de dire… et, encore une fois, il est évidemment mieux placé que moi pour vous expliquer ce qu'il a voulu dire. Mais si je comprends bien, il dit que plutôt que de s'adresser au gouvernement et de lui dire que nous devons recevoir des fonds correspondant à 100 p. 100 de nos frais essentiels en matière de logement, nous devrions demander à être traités équitablement, en fonction d'une formule équitable qui a du sens et qui tient compte du fait que 95 p. 100 de nos jeunes restent dans leurs collectivités cries, plutôt que de nous imposer une formule nationale selon laquelle la moitié d'entre eux quittent leurs collectivités pour s'installer à Toronto.
    De plus, il dit que nous devrions envisager d'établir une formule mixte et qu'il faut pour cela s'asseoir ensemble pour la négocier. Donc, il y aurait la contribution fédérale, il y aurait également la contribution crie versée par le gouvernement cri, et il y aurait aussi une contribution de la part des propriétaires en fonction des besoins et de la capacité de l'individu ou de la famille de participer en acquérant un intérêt dans sa propriété.
    Donc, il y aurait différentes proportions et tout cela serait décidé au cas par cas.
    Oui, je crois qu'il vise une formule globale qui serait axée sur une responsabilité tripartite, plutôt que de supposer que le gouvernement aura une responsabilité unilatérale dans ce domaine.
    Je serais certainement en faveur d'une telle initiative. Pour moi, la solution consiste effectivement à augmenter la part détenue par les propriétaires individuels dans ces logements.
    Deuxièmement — et ma question s'adresse à M. Kanatewat — en ce qui concerne l'enquête qui a été convoquée et le refus du ministère de participer aux audiences de la Commission, pourriez-vous nous dire à quelle époque cela remonte? C'était quand environ?
    Je ne vous demande pas des dates exactes, mais j'aimerais savoir si cela s'est produit il y a trois mois, il y a trois ans, ou encore…?
    C'était l'an dernier. Nous pourrions vous fournir les dates exactes, s'il le faut.
    L'an dernier; c'était donc au printemps ou en été 2006.
    C'était en été 2006.
    C'est tout pour moi, monsieur le président.
    Très bien.
    Je dois m'excuser, comme j'ai un autre engagement et je dois partir immédiatement. Mais avant de partir, je voudrais préciser encore, pour les fins du compte rendu, monsieur le président, que si nous souhaitons faire preuve de diligence raisonnable au comité quand nous convoquons des témoins à une audience, nous devrions essayer de prévoir plus de temps à l'avenir.
    Très bien.
    Premièrement, je voudrais remercier les témoins pour l'information qu'ils nous ont fournie, et je vous assure que le comité en tiendra compte. S'il y a du nouveau par rapport à votre désir de rencontrer les représentants du ministère pour négocier, un membre du comité vous fera parvenir cette information.
    Deuxièmement, nous vous sommes reconnaissants d'avoir offert de nous faire parvenir ce rapport sur le logement. Nous allons sans doute entamer notre étude de la question du logement dans un proche avenir.
    Merci infiniment d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Ce fut très informatif.
    Je voudrais maintenant poser une question aux membres du comité: souhaitez-vous que nous fassions venir un déjeuner quand nous tenons ces réunions?
    Oui, vous dites? Très bien. C'est ce que nous allons faire.
    La séance est levée.