Passer au contenu
Début du contenu

NDDN Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

CHAPITRE 4 — AUTRES QUESTIONS IMPORTANTES

INFORMER LES CANADIENS ET LE PARLEMENT

L’intérêt du Comité pour la question est en quelque sorte l’aboutissement d’un sentiment général collectif de frustration devant le manque d’information du Parlement sur la mission du Canada en Afghanistan. Comme l’a dit un des membres du Comité :

[...] je pense qu'il faut le reconnaître, nous manquons cruellement d'information. Avant d'envoyer des hommes et des femmes à la guerre, il est du devoir du gouvernement d'informer en premier lieu les parlementaires du déroulement de la mission. Il est inacceptable qu'à titre de parlementaires, nous ne possédions aucun détail et que de nombreuses questions demeurent sans réponse[1][…]

Cette opinion a pris d’autant plus de relief que certains députés estiment qu’ils ont manqué de temps pour se familiariser avec les détails de la mission en préparation au débat sur le prolongement de la mission en Afghanistan jusqu’en février 2009 qui a eu lieu à la Chambre des communes le mercredi 17 mai 2006.

Quand il a lancé le débat, le premier ministre Harper a clairement énoncé les éléments de la mission militaire dont son gouvernement sollicitait l’approbation par le Parlement :

...nous cherchons à prolonger de 24 mois tant la mission des Forces canadiennes à Kandahar que celle des diplomates militaires canadiens, des coopérants et des policiers de l'EPR, l'Équipe provinciale de reconstruction. La prolongation de la mission, advenant l'adoption de la motion, couvrira la période allant de février 2007 à février 2009, date à laquelle nous prévoyons une transition du pouvoir en Afghanistan même.

Le fait de prolonger la mission des Forces canadiennes a des conséquences sur le plan opérationnel. Nous allons à nouveau assumer le commandement de novembre 2007 à mai 2008, pour la deuxième fois en rotation, ce qui est nouveau. Comme je l'ai dit […], nous serons disposés à assumer le commandement d'ensemble de l'ISAF pour un an à compter de février 2008[2].

La question est si grave que le Comité regrette que certains des députés qui se sont exprimés aient choisi de s’intéresser à un autre aspect. Le premier intervenant a dit : « Ma question porte sur la manière de procéder »[3]. Un autre a déclaré : « la tenue de ce débat est tellement soudaine par rapport à tout le temps dont nous disposons pour prendre des décisions et on nous a fourni d'avance tellement peu d'information sur une question aussi importante que je trouve le processus insultant »[4]. Le chef de l’opposition officielle a bien traduit l’état d’esprit des députés, qui tenaient à saisir l’essence de la mission pour lui donner un appui éclairé, lorsqu’il a dit :

Nous croyons fermement à l'actuelle mission et aux objectifs mondiaux. Nous croyons aussi fermement que le processus adopté par le gouvernement ne permet pas à beaucoup de parlementaires de prendre une décision éclairée au sujet de cet enjeu crucial. C'est injuste de mettre les parlementaires dans une telle position[5].

Le ton était donné pour le reste de la soirée et ce leitmotiv a marqué toute notre étude. Le gouvernement n’a pas su communiquer des informations régulières et utiles sur la mission en Afghanistan, alors qu’il y aurait eu beaucoup à dire. En filtrant à ce point l’information, on risque de susciter des malentendus et de miner l’appui à une noble entreprise.

M. Roland Paris, invité à l’émission The Agenda du réseau TV Ontario le 20 février 2007 a déploré que, dans le débat parlementaire sur la mission en Afghanistan, on ait semblé se préoccuper davantage de questions d’image (c’était presque à qui paraîtrait soutenir le plus nos soldats) que des questions de substance comme le pourquoi et le comment de notre entreprise. Nous sommes d’accord avec lui et espérons que nos recommandations remédieront à cette lacune.

Une mission méconnue du grand public

Durant son étude, et en particulier après sa visite en Afghanistan, le Comité a été frappé de constater combien on connaissait mal la mission du Canada. Malgré la manne d’informations que contiennent les sites du gouvernement du Canada et les discours des ministres concernés, les Canadiens ordinaires et de nombreux parlementaires n’ont encore qu’une idée bien superficielle des détails de la mission et de ses résultats. Les médias en rendent compte d’une manière incomplète, se concentrant essentiellement sur les opérations de combat et le rapatriement des corps des soldats tués. Les Canadiens ne sont pas au courant des activités des experts en planification stratégique des Forces canadiennes qui appuient les hauts fonctionnaires afghans de Kaboul. Les agents de la GRC membres de l’Équipe provinciale de reconstruction dirigée par le Canada et qui contribuent à l’instruction de la Police nationale afghane font rarement la une. Le volet de coopération civilo-militaire (COCIM) de l’effort de reconstruction n’a jamais été totalement expliqué aux Canadiens.

Kandahar est le fief des talibans, lesquels disposent par ailleurs de refuges sûrs au Pakistan, ce qui leur permet d’éviter des combats décisifs avec les soldats canadiens. À une occasion cependant, les talibans ont décidé d’affronter les Canadiens, qui ont alors remporté contre eux une victoire magistrale durant l’opération Medusa, une bataille qui a eu lieu en septembre 2006. Le commandant de la FIAS, le général Sir David Richards, a loué les qualités martiales des soldats canadiens durant cette bataille, disant que cette victoire était peut-être la plus significative jusqu’à cette date, car elle avait encore plus contrecarré les activités des talibans dans la région et permis de relancer les travaux de reconstruction dans le district de Panjwayi.

Pourtant, l’opération Medusa est un exemple éloquent de la difficulté apparente de fournir à la population canadienne une information adéquate sur la mission dans son ensemble. Au moment où s’est déroulée la bataille et même encore maintenant, on ne trouve aucune information sur l’opération Medusa sur les sites Internet du gouvernement. On en fait mention sur le site Web du ministère de la Défense nationale dans des communiqués de presse annonçant le décès de soldats durant les combats. Les médias ont certes couvert l’opération Medusa, mais sans aller aussi en profondeur qu’il l’aurait fallu. Eux aussi se sont concentrés surtout sur les soldats tués et blessés.

La presse a fait état aussi de nombreuses victimes parmi les civils, et des témoins ont dit au Comité qu’ils craignaient que le recours excessif à un appui aérien et à des tirs d’artillerie ait fait inutilement des victimes parmi les civils durant l’opération Medusa. Or, durant sa visite de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan à Kandahar, le Comité a entendu le lieutenant-colonel Omer Lavoie, commandant du groupement tactique 1 RCR, qui a dirigé l’assaut. Le colonel Lavoie a dit clairement qu’il n’y avait pas de non-combattants dans le secteur couvert par son groupe tactique et qu’il n’avait pas constaté « de nombreuses victimes civiles ». « J’étais le responsable sur place, et je n’en ai vu aucune[6] » a-t-il dit. Ce message très clair n’a jamais été communiqué aux Canadiens à l’époque.

Le gouvernement doit faire davantage pour aider les Canadiens à comprendre la nature, l’importance et les effets de la mission en Afghanistan. Le premier ministre a certes plusieurs fois expliqué clairement les raisons de notre présence en Afghanistan, tout comme l’ont fait aussi les ministres MacKay, O’Connor et Verner, mais il faudrait peut-être quelque chose de plus que leurs explications.

RECOMMANDATION 11

Le gouvernement devrait tenir des séances d’information publiques télévisées, à intervalles réguliers, pour fournir aux Canadiens des informations exactes sur l’état, les activités et les résultats de la mission en Afghanistan.

Faute de bénéficier de telles séances d’information, le Comité a cherché à obtenir des renseignements directement du ministère de la Défense nationale.

Information du Parlement sur la mission

Quand il a comparu devant le Comité le 30 mai 2006, le ministre de la Défense nationale Gordon O’Connor a répondu à une question sur la possibilité qu’il comparaisse devant le Comité au moins quatre fois par an pour faire le point sur la mission en Afghanistan :

Cela étant, je prends acte de ce que vous dites. Je ne sais pas si trois mois est un délai raisonnable ou non. Je ne sais pas non plus s'il est possible de faire rapport sur les progrès réalisés ou pas en l'espace de trois mois. Toutefois, j'ai bel et bien l'intention de me présenter devant votre comité de façon régulière, mais pour le moment, je ne pourrais pas m'engager à vous faire une mise à jour tous les trois mois avant de savoir si cela a du sens sur le plan pratique.

Le Comité a finalement obtenu qu’un officier supérieur des Forces canadiennes lui présente des comptes rendus sur la mission en Afghanistan à la quinzaine. Ceux-ci ont cependant cessé de la fin décembre 2006 à la fin janvier 2007 pendant que le Parlement était ajourné. En février, le Comité a adopté une motion portant reprise de ces séances sur une base mensuelle.

Le Comité pense qu’il devrait chercher plus activement à obtenir des informations courantes et pertinentes sur la mission des Forces canadiennes en Afghanistan. Il a donc l’intention de structurer davantage les séances d’information et les visites. En fait, le Comité estime qu’il devrait bénéficier de séances d’information régulières sur toutes les opérations des Forces canadiennes.

RECOMMANDATION 12

Le ministre de la Défense nationale devrait comparaître au moins quatre fois par année devant le Comité permanent de la défense nationale pour faire le point, devant les caméras de télévision, sur l’état, les activités et les résultats de toutes les missions opérationnelles courantes des Forces canadiennes.

Le Comité s’est rendu compte aussi qu’il aurait pu s’y prendre mieux pour se mettre au fait de la structure internationale de commandement et de contrôle des missions internationale et canadienne en Afghanistan, particulièrement sur le plan de la défense.

RECOMMANDATION 13

Les mois où le Comité ne se déplace pas et où le Ministre ne comparaît pas devant lui, un officier supérieur des Forces canadiennes devrait continuer de comparaître devant le Comité pour l’informer du statut, des activités et des résultats de toutes les missions opérationnelles des Forces canadiennes depuis le dernier rapport et sur les perspectives du mois suivant.

RECOMMANDATION 14

Pour le reste de la mission courante des Forces canadiennes en Afghanistan, et pour toute mission similaire dans l’avenir, le Comité permanent de la défense nationale devrait se rendre chaque année au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, afin d’y recevoir des exposés détaillés sur la mission de l’OTAN en Afghanistan et de rencontrer le Conseil de l’Atlantique Nord pour discuter de la coordination multilatérale des stratégies et d’autres questions d’intérêt mutuel.

RECOMMANDATION 15

Le Comité devrait aussi se rendre chaque année au Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE), qui supervise toutes les opérations de l’OTAN, ou encore au Quartier général du Commandement de la force interarmées (CFI) à Brunssum, qui veille aux opérations de la FIAS, ou au deux endroits, afin d’y recevoir des exposés stratégiques et opérationnels détaillés sur la mission de l’OTAN en Afghanistan. S’il n’est pas possible de se rendre sur place, le Comité devrait envisager d’autres moyens de communication, telles les vidéoconférences, ou inviter des représentants du SHAPE ou du CFI à venir le rencontrer.

RECOMMANDATION 16

Le Comité permanent de la défense nationale devrait rendre visite aux Forces canadiennes en Afghanistan au moins une fois l’an, lorsque les circonstances le permettent, afin de savoir où en est la mission et de constater les progrès qui ont été accomplis.

COLLABORATION DU MDN AUX DÉPLACEMENTS DU COMITÉ

Avant son départ pour l’Afghanistan, en janvier 2007, le Comité a eu droit à des séances d’information utiles de la part du MDN où il a été question de différents sujets, dont la nature actuelle de la mission, les plans de voyage et la sécurité des opérations. La visite à la FOI-AFG s’est avérée fort utile et nous remercions le MDN du soutien qu’il nous a offert tout au long du voyage. Il y a cependant deux points importants qui méritent d’être soulignés.

Premièrement, même si le Comité a réussi à « sortir de l’enceinte » pour visiter un camp de l’Armée nationale afghane et un centre d’entraînement de la Police nationale afghane (il aurait aussi visité une base d’opérations avancée canadienne, n’eût été du mauvais temps qui a empêché les hélicoptères de se poser), il y a des éléments importants de la mission qu’il n’a pas pu voir. L’EPR en est un. Il est regrettable que nous n’ayons pas pu voir le Camp Nathan Smith et l’EPR à l’œuvre à Kandahar pendant que nous y étions. En toute justice, il faut dire que tout le personnel supérieur de l’EPR est venu rencontrer le Comité au terrain d’aviation de Kandahar, mais aussi utiles soient-elles, ces rencontres sont moins efficaces qu’une visite en personne des lieux de travail.

Le Comité est bien conscient de l’énorme responsabilité qui incombe au ministre, au CEMD et au commandant de la FOI-AFG en ce qui a trait à la sécurité des dignitaires en visite. Il les incite cependant vivement à réfléchir à la nécessité de faire voir aux parlementaires tous les éléments de la mission et de leur faire rencontrer sur place le personnel militaire.

Le second point est plus ennuyeux. Le MDN a limité à 10 le nombre de membres du Comité pouvant se rendre au terrain d’aviation de Kandahar parce que, comme on nous l’avait expliqué au cours d’une séance d’information préalable, l’aéronef militaire faisant la navette entre la base de soutien de théâtre et le terrain d’aviation de Kandahar ne pouvait pas prendre plus de passagers. D’autres membres du Comité qui auraient souhaité visiter la FOI-AFG n’ont donc pas pu le faire, et le greffier du Comité a dû rester quant à lui au camp Mirage. Seulement huit membres du Comité, un interprète et un analyste ont pu passer un peu de temps avec la FOI‑AFG.

Le Comité juge très inhabituel et déplorable d’avoir à voyager sans son greffier et il a encore du mal à comprendre que le MDN n’ait pas pu transporter une seule personne de plus, surtout que pas moins de cinq de ses représentants (dont un colonel des Forces canadiennes, un agent des politiques du bureau des affaires parlementaires du MDN et deux membres du cabinet du ministre) étaient venus accueillir le Comité à son arrivée à la base de soutien de théâtre. Un d’eux était à Kandahar dans les jours précédents et nous l’avions rencontré au camp Mirage. Les cinq sont rentrés à Kandahar avec le Comité, occupant cinq sièges d’un aéronef bondé. Le Comité a eu la nette impression que la restriction qui lui a été imposée était, au mieux, tout à fait artificielle et n’avait pas sa raison d’être. Un représentant du MDN aurait très bien pu rester au terrain d’aviation de Kandahar pour nous accueillir, ce qui aurait permis au greffier d’être du voyage.

On touche ici à une question plus vaste, à savoir la nécessité d’offrir aux comités parlementaires tout le soutien nécessaire pour leur permettre de se déplacer au complet, si tel est leur vœu, avec tout le personnel dont ils ont besoin pour leurs travaux.

RECOMMANDATION 17

Lorsque le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes se rend visiter des missions internationales des Forces canadiennes, le MDN devrait lui fournir tout le soutien nécessaire afin que le Comité au complet, accompagné du personnel nécessaire, puisse effectuer tous ses déplacements et accomplir son travail.

LA FRONTIÈRE AFGHANO-PAKISTANAISE

La frontière afghano-pakistanaise est depuis longtemps source de conflits. Les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan sont difficiles depuis la création de ce dernier État après la partition de l’Inde en 1947. Il y avait d’ailleurs des frictions même avant la partition, entre l’Afghanistan et l’Inde, sous l’empire britannique. Aucun des gouvernements de l’Afghanistan n’a jamais reconnu la ligne Durand marquant la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Les Pachtounes afghans ont toujours revendiqué les régions pachtounes et baloutches du Pakistan[7]. Dans les régions reculées, la frontière est davantage une notion théorique qu’un fait. Les gouvernements centraux de l’Afghanistan et du Pakistan n’ont jamais réussi à prendre en main leur région frontalière.

Lorsque les forces américaines ont envahi l’Afghanistan en 2001 pour aider l’Alliance du Nord à expulser les dirigeants talibans et les terroristes d’Al-Qaïda, les Américains ont craint que ceux-ci s’évanouissent dans la nature, dans les régions de l’ouest du Pakistan, et qu’ils ne soient jamais traduits en justice.

Quand, en 2006, la FIAS a étendu ses activités dans le sud et l’est de l’Afghanistan, le fief des talibans, ceux-ci, leurs rangs grossis par des renforts venus du Pakistan occidental, se sont rebiffés, mais ont été défaits durant l’opération Medusa à l’automne de la même année. Comme toujours, les combats ont perdu en intensité durant l’hiver, les déplacements des talibans dans les montagnes de la zone frontalière devenant difficiles, mais on prévoit une résurgence au printemps de 2007, ce qui posera de nouveau la question du refuge et de l’aide que les talibans trouvent au Pakistan. La FIAS a néanmoins lancé des opérations préemptives. Elle a dispersé une partie des forces talibanes de la province de Kandahar durant l’opération Falcon Summit en janvier 2007, et en mars 2007, une autre opération, l’opération Achilles, a permis de chasser les insurgés talibans de la région du barrage de Kajaki dans la province d’Helmand.

La stabilité des régions tribales qui bordent la frontière, la politique du Pakistan à l’égard de celles-ci et les effets du militantisme tribal sur les efforts que déploie la communauté internationale pour stabiliser l’Afghanistan s’articulent autour de facteurs historiques de grande envergure. C’est un problème infiniment complexe qu’on a parfois tendance à trop simplifier.

Il est utile à cet égard de rappeler la situation au Pakistan occidental, où un système de zones tribales sous administration fédérale (ZTAF) tente de s’imposer. Les ZTAF sont bordées par l’Afghanistan à l’ouest, le long de la ligne Durand (une frontière que l’Afghanistan n’a jamais reconnue officiellement), la Province frontalière du Nord-Ouest et le Punjab à l’ouest, et le Balouchistan au sud[8].

La population totale des ZTAF était estimée à 3 341 070 habitants en 2000, soit 2 p. 100 environ de la population du Pakistan. Seulement 3,1 p. 100 de la population réside dans des municipalités établies, ce qui fait de cette région la plus rurale du pays.

Les zones tribales comptent sept districts — Khyber, Kurram, Bajaur, Mohmand, Orakzai, Waziristan Nord et Waziristan Sud — et cinq « régions frontières », à savoir celles de Peshawar, Kohat, Tank, Banuu et D.I. Khan.

Environ 30 p. 100 des ZTAF sont inaccessibles, tant sur le plan politique que sur le plan administratif et la région relève, théoriquement seulement, du gouvernement central du Pakistan. Les tribus qui y vivent, principalement pachtounes, sont farouchement indépendantes, mais elles entretenaient des rapports dans l’ensemble amicaux avec le gouvernement central du Pakistan jusqu’à la chute des talibans de l’Afghanistan voisin, qui a suscité des frictions.

Plus de cinquante ans après l’indépendance du Pakistan, le développement humain et l’infrastructure physique de la région demeurent insuffisants pour lier les ZTAF au reste du pays. Le système judiciaire remonte à l’ère coloniale et est incompatible avec la constitution du Pakistan. En conséquence, les droits des habitants sont inégaux et ceux-ci éprouvent sans doute un faible sentiment d’allégeance et de responsabilité envers l’État pakistanais.

Les zones tribales qui bordent la frontière afghano-pakistanaise présentent un certain nombre de difficultés pour l’Afghanistan et le Pakistan, comme pour la communauté internationale. Les militants des talibans et d’Al-Qaïda se sont réfugiés dans les villages isolés de cette région, d’où ils lancent des attaques contre les forces afghanes et celles de la FIAS en Afghanistan. Ces guerriers talibans se sont par ailleurs alliés aux insurgés locaux du Waziristan et du Balouchistan, ce qui soulève plusieurs questions inquiétantes quant à la sécurité intérieure du Pakistan et à l’influence du pouvoir central sur cette région.

Cédant à des pressions de la communauté internationale, le gouvernement pakistanais a dépêché l’armée régulière dans les zones tribales pour la première fois de l’histoire du Pakistan. En 2004, des attaques de l’armée pakistanaise contre des groupes militants locaux ont fait des morts dans la population civile, ce qui n’a fait que nourrir l’insurrection chez certains groupes tribaux waziris. Les soldats pakistanais et les forces américaines ont mené des « opérations concertées » dans la région frontalière qui n’ont fait qu’irriter davantage certaines tribus locales. L’armée pakistanaise a environ 80 000 soldats dans la région actuellement.

Le manque de succès des forces militaires pakistanaises dans le Waziristan Sud et le Waziristan Nord — et les traités de paix concomitants — n’a fait que renforcer le pouvoir et légitimer le rôle sociopolitique des mollahs, des militants et de leurs alliés talibans. Les forces internationales sont maintenant aux prises avec des talibans bien différents de ceux qu’elles affrontaient en octobre 2001. Les talibans ont regarni leurs coffres, recruté de nouveaux membres et adopté des tactiques importées d’Irak, comme le recours à des engins explosifs et à des attentats suicides.

Le Pakistan s’efforce ces dernières années de réduire les infiltrations en Afghanistan. Les autorités ont envisagé notamment l’érection de barrières, la pose de mines (le Canada est contre) et des opérations de surveillance aérienne. Le Pakistan a dépêché plus de 80 000 soldats dans les régions frontalières et en a perdu plus de 800 dans les combats contre les insurgés depuis 2002.

Le Canada est bien au fait de la situation et n’est pas resté oisif. En octobre 2006, le ministre de la Défense nationale Gordon O’Connor a décrit la situation au Comité. Il a indiqué qu’environ 12,5 millions de Pachtounes vivent du côté afghan de la frontière, mais il y en a aussi quelque 22 millions au Pakistan, soit au total l’équivalent de la population du Canada.

La frontière est une passoire, et il n’y a pas que les talibans qui la traversent. Les Pachtounes n’ont pas besoin de papiers pour passer la frontière, qu’ils ont le droit de franchir comme bon leur semble, un peu comme les Autochtones du Canada peuvent librement franchir la frontière canado-américaine.

Quand le ministre O’Connor a rencontré le Président du Sénat du Pakistan et le ministre pakistanais de la Défense en septembre 2006, il leur a dit combien le Canada appréciait leurs efforts et que nous sommes conscients du fait que d’autres insurrections exigent aussi leur attention. Le Canada demande néanmoins au Pakistan d’en faire plus parce qu’une frontière poreuse est une porte ouverte sur nos secteurs d’opérations en Afghanistan.

Le ministre O’Connor a proposé de modestes mesures, notamment l’affectation d’un officier de liaison canadien au 12e corps d’armée de l’armée pakistanaise dans la région de la frontière sud et l’affectation d’un agent de liaison pakistanais au quartier général de Kandahar.

Lorsqu’il a comparu devant le Comité le 22 novembre 2006, le ministre des Affaires étrangères Peter MacKay a décrit certaines des mesures prises par le Canada pour composer avec cette situation compliquée[9].

Le niveau de coopération politique et militaire du Canada au Pakistan est plus élevé que jamais. En mars 2006, le premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Défense nationale Gordon O'Connor se sont rendus au Pakistan et le ministre de la Défense y est retourné en septembre 2006. Les deux fois, on a fait valoir au gouvernement pakistanais l’importance des missions de sécurité et de développement en Afghanistan et la valeur que le Canada accorde à la coopération du Pakistan. On a insisté en particulier sur les préoccupations du Canada relativement aux activités des insurgés sur le territoire pakistanais. Le ministre des Affaires étrangères Peter MacKay a abordé les mêmes questions par la suite avec le premier ministre du Pakistan Shaukat Aziz en octobre 2006, à Halifax, puis avec le président Moucharraf lui-même à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies qui avait lieu le même mois.

De concert avec ses alliés, le Canada continue de multiplier les efforts pour empêcher les mouvements transfrontaliers d’insurgés. Il encourage en particulier le Pakistan à débusquer et arrêter les têtes dirigeantes des talibans dans le pays, à améliorer la sécurité de la frontière, à signer, ratifier et mettre en œuvre les grandes conventions et résolutions des Nations Unies contre le terrorisme, à adopter et faire respecter des lois plus strictes sur le blanchiment d’argent et à instituer des programmes de formation à la lutte contre le narcotrafic, et à prévenir l’exploitation, par les insurgés, de camps de réfugiés au Pakistan.

Sur un autre plan, le Canada collabore avec les forces de police et de sécurité pakistanaises pour aider celles-ci à accroître leur capacité en matière de gestion de la frontière et de questions connexes. Les dispositions de liaison entre le personnel des Forces canadiennes en poste au Pakistan et les Forces pakistanaises sont en cours d’amélioration.

La capacité des forces de sécurité pakistanaises dans les régions frontalières est limitée, compte tenu surtout du défi considérable que présente le terrain accidenté. Les militaires pakistanais sont trop peu nombreux et souvent mal équipés, particulièrement sur le plan des technologies de communication, ce qui contribue à l’anarchie qui règne dans les régions frontalières et compromet les efforts déployés par le gouvernement pour stopper les mouvements d’insurgés à travers la frontière. Le Canada s’efforce d’accroître la capacité des forces de sécurité pakistanaises par la voie de deux fonds des Affaires étrangères, le Fonds pour la paix et la sécurité mondiales et le Fonds pour le renforcement des capacités antiterroristes. Un cours de renforcement des capacités de la politique pakistanaise a pour objectif de faire travailler des formateurs de la GRC avec le Pakistan pour améliorer la formation professionnelle du personnel de sécurité et de police en poste le long de la frontière et ailleurs. La fourniture d'équipement de communications approprié, et aussi d’aide technique en matière de téléphonie par satellite, aux autorités pakistanaises compétentes aidera à sécuriser la frontière pakistano-afghane et à réagir aux menaces — c'est-à-dire à repérer et à intercepter les contrebandiers et les insurgés qui franchissent la frontière.

LA CONDITION DES FEMMES EN AFGHANISTAN

Les Forces canadiennes n’ont aucun rôle direct à jouer sur le plan de la condition des femmes, qui relève davantage de l’ACDI. Il reste que la question a piqué notre intérêt, car le Comité a entendu dire à maintes reprises durant les audiences que la mission du Canada en Afghanistan avait entre autres pour objectif d’améliorer la situation générale des femmes et des filles, de les libérer de l’oppression des talibans et de la pauvreté extrême dans laquelle elles vivent depuis une génération. Nous avons donc demandé spécifiquement d’entendre des universitaires et des défenseurs des droits des femmes à ce sujet.

Les témoins n’ont pas tous dit que la situation des femmes en Afghanistan s’était améliorée partout depuis 2001, mais ils n’ont pas non plus été unanimes à dire qu’elle s’était détériorée. Mme Rina Amiri, conseillère principale pour les questions touchant l’Afghanistan et la région au Open Society Institute a dit que sa perception se trouvait quelque part entre ces deux extrêmes[10]. Elle trouve que la société civile afghane s’est améliorée et a précisé que plus de 200 organisations féminines commencent à donner une voix aux femmes. Cependant, Mme Amiri a signalé que les progrès concernent surtout les grandes villes comme Kaboul, que les femmes des régions rurales demeurent victimes de violence conjugale, de viols et de mariages forcés, et que le taux de mortalité maternelle est supérieur à 40 p. 100[11]. Pour les femmes, la sécurité tient à bien plus que la simple défaite des talibans. La règle de droit n’est pas encore bien établie en Afghanistan et cela nous ramène au problème soulevé précédemment de la corruption des fonctionnaires et des membres de la Police nationale afghane. Quoi qu’il en soit, Mme Amiri voit d’un bon œil la campagne militaire :

Je trouve paradoxal que, d'une part, les gens parlent de la situation des femmes et de la nécessité d'intervenir, alors qu'ils refusent de s'engager sur le plan militaire en Afghanistan, qu'ils refusent d'y envoyer des soldats. […] Il y a une certaine hésitation. La situation des femmes n'existe pas en vase clos. Les femmes font partie de la société afghane. Comme dans tous les pays du monde qui sont en proie à des conflits, ceux qui souffrent le plus de l'instabilité qui en découle sont les femmes et les enfants. Nous avons vu ce que les femmes ont enduré en Afghanistan. À moins d'un engagement ferme à envoyer des soldats sur le terrain et rétablir la sécurité en Afghanistan, la situation des Afghanes ne va pas s'améliorer[12].

ÉRADICATION DE LA CULTURE DU PAVOT

Les Forces canadiennes en Afghanistan ne participent pas aux opérations d’éradication de la culture du pavot, mais celles-ci les touchent quand même indirectement. L’éradication de la culture du pavot est financée largement par les États-Unis et le Royaume-Uni. Quant à la destruction des champs de pavot, c’est la Police nationale afghane qui s’en charge.

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)[13] note dans son rapport Afghanistan Opium Survey 2006 que les superficies cultivées ont progressé de 59 p. 100 entre 2005 et 2006. À 6 100 tonnes, la production annuelle d’opium de l’Afghanistan compte maintenant pour 92 p. 100 de l’offre mondiale d’opium. Dans les provinces du sud, l’augmentation a été encore plus spectaculaire et a atteint 121 p. 100 dans l’ensemble et 162 p. 100 dans la province d’Helmand, où est basé le contingent militaire britannique. En revanche, dans la province de Kandahar, où se trouvent les Canadiens, la production a diminué de 3 p. 100.

La culture du pavot et le trafic de l’opium représentent des sommes considérables. L’ONUDC estime que la valeur, à l’échelle mondiale, de l’opium provenant d’Afghanistan et de son dérivé, l’héroïne, totalise plus de 50 milliards de dollars américains. Au début de 2006, le directeur général de l’ONUDC, Antonio Maria Costa, a dit que la récolte rapportera plus de 3 milliards de dollars cette année. Suivant M. Costa, les cultivateurs de pavot touchent environ 25 p. 100 et les seigneurs de la guerre, les 75 p. 100 restants, soit environ 2,3 milliards de dollars.

Le président de l’Afghanistan Hamid Karzaï a abordé le problème de la drogue durant sa visite à Ottawa en février 2005. Dans une allocution qu’il a prononcée lors d’une séance conjointe de la Chambre des communes et du Sénat, il a dit qu’il faudrait 10 ans pour résoudre le problème et que « si nous ne détruisons pas le pavot en Afghanistan, c'est le pavot qui nous détruira ». Il a ajouté « J'espère que vous aurez la patience de nous appuyer pendant tout ce temps ».

À en croire de nombreux rapports internationaux, la campagne d’élimination de l’opium menée par le gouvernement afghan est un échec. Les Britanniques dirigent les efforts de lutte contre le narcotrafic et contribuent entre autres à la formation des agents de lutte contre le narcotrafic de la Police nationale afghane. Dans un programme complémentaire, l’Allemagne dirige la formation de l’ensemble de la PNA, ce qui comprend notamment la police des frontières qui elle aussi contribue à la lutte contre le narcotrafic. Cependant, l’éradication de la culture du pavot ne fait pas l’unanimité.

Le Conseil de Senlis[14] est un centre de réflexion international dont le travail couvre la politique étrangère, la politique de sécurité, la politique de développement et la politique de lutte contre le trafic des stupéfiants. Il administre un vaste programme en Afghanistan qui met l’accent sur l’élaboration de politiques globales conjuguées à des recherches sur le terrain destinées à étudier les rapports entre les politiques touchant la lutte contre le narcotrafic, l’armée et le développement et leurs conséquences sur les efforts de reconstruction de l’Afghanistan.

Sur la foi de travaux réalisés dans les provinces de Nangarhar, de Kandahar et d’Helmand, le Conseil de Senlis est très critique de la stratégie militaire globale en Afghanistan[15]. Il affirme que les politiques de lutte contre le narcotrafic appliquées en Afghanistan par la communauté internationale sont largement inefficaces et détériorent les relations avec les collectivités locales. La destruction des champs de pavot pousse les agriculteurs insatisfaits vers les talibans et les partisans d’Al-Qaïda au lieu de « gagner les cœurs et les esprits » à la cause.

On craint que le ressentiment des Afghans affecte les Canadiens même si nos soldats ne participent pas directement aux opérations d’éradication. Certains craignent par ailleurs que la destruction forcée des cultures ne fasse que renforcer la rébellion. Le gouvernement afghan a résisté jusqu’à maintenant aux pressions des États-Unis qui souhaitent procéder à des épandages aériens, préférant employer des tracteurs. Il affirme cibler les propriétaires cupides plutôt que les nécessiteux (en détruisant par exemple des champs de pavot qui appartiendraient, dit-on, à un ancien chef de police). Aucune indemnisation n’est offerte. Les opérations d’éradication sont souvent assez aléatoires et visent généralement ceux qui ne peuvent pas soudoyer les équipes d’éradication pour qu’elles passent leur chemin. Comme il y a très peu d’activités d’éradication, sinon aucune, en territoire taliban, les populations qui vivent dans des régions contrôlées par le gouvernement s’estiment injustement pénalisées[16].

La solution que propose le Conseil de Senlis est originale : acheter la totalité de la récolte de pavot directement des producteurs et la traiter pour en obtenir des opiacés médicinaux destinés principalement aux marchés des pays en développement. La répression du trafic des stupéfiants en Afghanistan outrepasse la portée de la présente étude, mais il peut être instructif de savoir comment les Forces canadiennes affrontent la situation. La capsule suivante provient d’un article écrit en 2006 par Murray Brewster de la Presse canadienne[17].

Quand le commandant des Forces canadiennes dans la province d’Helmand, une province du sud de l’Afghanistan où la culture du pavot est répandue, assure aux anciens du village que ses soldats ne sont pas là pour détruire leurs champs, il ne leur ment pas.

En fait, le major Bill Fletcher prend bien soin de voir à ce que ses véhicules blindés n’endommagent pas les pâturages ou de façon générale n’abîment pas les plantes, qui sont pourtant en partie responsables du fléau de la toxicomanie en Occident.

« Je leur donne ma parole de commandant » a-t-il dit dans une récente interview à la base d’opérations avancée Robinson, au cœur de la vallée de l’Helmand.

« Il y a un code d’éthique ici. Quand je donne ma parole en tant que commandant, et quand mes commandants de peloton donnent leur parole que les Canadiens ne se mêleront pas de cela, on semble nous faire confiance ».

Entouré de champs de pavot de trois côtés dans un avant-poste qui a été la cible d’une attaque massive de la part des talibans le mois dernier, M. Fletcher pratique ce qu’un officier supérieur britannique appelle de manière irrévérencieuse la « realpolitik ».

À titre de commandant de la compagnie C du premier bataillon d’infanterie légère du régiment Princess Patricia, M. Fletcher se trouve placé devant un dilemme délicat chaque fois qu’il jette un œil au-delà des murs préfabriqués de son avant-poste isolé, où les pavots sont plantés si près qu’ils effleurent souvent le barbelé à lames qui défend la place. La semaine dernière, sous les yeux des soldats canadiens lourdement armés, les villageois du cru et des travailleurs temporaires ont procédé à la récolte. Celle-ci sera transformée dans des laboratoires de stupéfiants disséminés tout au long de la frontière afghano-pakistanaise, et une partie de l’héroïne raffinée se retrouvera dans les rues des grandes villes canadiennes.

Le programme d’arrachage et d’incendie des plantations de pavot est organisé et mené par la Police nationale afghane, précision que les commandants de la Coalition tiennent à souligner. La majeure partie de l’opération antinarcotiques ultrasecrète est centrée sur la destruction des laboratoires de traitement.

La pauvreté est telle dans cette région, où le salaire moyen d’un fonctionnaire équivaut à peu près à 60 dollars canadiens par mois, que les soldats ont bien du mal à ne pas compatir au sort des agriculteurs.

« Le fait est que ces gens-là cultivent le pavot pour survivre », a dit M. Fletcher. « Ce ne sont pas des caïds de la drogue, ni de gros narcotrafiquants. Leurs soucis ne sont pas bien différents de ceux des agriculteurs de chez nous, sauf que leur récolte sert à produire un stupéfiant illégal[18] ».

TRAITEMENT ET TRANSFERT DES DÉTENUS

Depuis 2001, les Forces canadiennes ont capturé puis transféré de nombreuses personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ou de planifier des actes terroristes contre les forces internationales ou contre des Afghans. Les personnes ainsi appréhendées sont appelées « détenus » et sont habituellement remises par les soldats canadiens aux forces de la sécurité nationale afghane. Au début des audiences, des témoins ont fait valoir au Comité les grandes préoccupations que suscite le transfert des détenus aux autorités afghanes, certains craignant que ces détenus soient maltraités ou torturés par la police afghane, qui manque d’entraînement.

Par la suite, il a été allégué que trois détenus afghans avaient même été maltraités quand ils étaient entre les mains des Canadiens. Ces allégations étaient le fait d’un professeur de droit de l’Université d’Ottawa, Amir Attaran[19], qui se fonde sur des documents qu’il a obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Les Forces canadiennes ont constitué une commission d’enquête[20] chargée d’examiner le traitement et le transfert des détenus par les Forces canadiennes en Afghanistan et les circonstances entourant le transfert des trois détenus, entre le 6 et le 8 avril 2006, d’une unité de campagne canadienne à la police militaire basée à l’aérodrome de Kandahar.

La Commission d’enquête est distincte de l’enquête courante du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, dans laquelle des enquêteurs détermineront si un acte criminel a été commis et si la preuve est suffisante pour porter des accusations.

Outre ces enquêtes, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire a annoncé qu’elle lançait une enquête d’intérêt public sur des allégations concernant la conduite de la police militaire en Afghanistan[21]. Cette décision fait suite à une lettre de plainte conjointe d’Amnistie Internationale et de la British Columbia Civil Liberties Association reçue le 21 février 2007. On allègue dans la lettre que le Grand prévôt des Forces canadiennes et des membres non identifiés de la Police militaire des FC auraient, à au moins 18 occasions, transféré des détenus aux autorités afghanes en dépit de preuves montrant que ceux-ci risquaient d’être torturés.

Le traitement et le transfert des détenus présentent par ailleurs certains aspects diplomatiques. L’Afghanistan est un pays souverain responsable du traitement de tous les détenus capturés sur son territoire. Le Canada, comme d’autres pays, est en Afghanistan sur invitation du gouvernement afghan. Ainsi, les personnes capturées par les Forces canadiennes étaient initialement remises aux autorités afghanes sous réserve des conditions énoncées dans une entente conclue le 18 décembre 2005 entre les Forces canadiennes et le ministère afghan de la Défense.

L’accord relatif à l’Afghanistan s’intitule « Entente sur le transfert des détenus conclue entre les Forces canadiennes et le ministère de la Défense de la République islamique d’Afghanistan ». L’article premier de l’entente traduit la nature technique du document au moyen des termes suivants : « La présente Entente établit la procédure à suivre lors du transfert ». C’est une entente entre deux organisations et non une entente en bonne et due forme entre deux pays.

D’après Mme Colleen Swords[22], sous-ministre adjointe, Secteur de la sécurité internationale et directrice politique au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, l’entente en question n’est pas un traité en bonne et due forme et n’est pas juridiquement contraignante. On y réaffirme simplement des engagements juridiques déjà contractés par le Canada, en particulier aux termes de la Troisième Convention de Genève, ainsi que les obligations du Canada et de l’Afghanistan aux termes du droit international relatif aux détenus. On a donc estimé qu’il n’était pas nécessaire de conclure une autre entente juridiquement contraignante avec le gouvernement de l’Afghanistan. Mme Swords a aussi signalé que les mécanismes de transfert des détenus convenus avec les autorités afghanes et d’autres alliés de l’OTAN comme le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ne sont pas non plus juridiquement contraignants.

L’entente établit la procédure à suivre en cas de transfert d’un détenu. Elle vise principalement à fournir aux commandants sur le terrain des indications claires sur ce qu’ils doivent faire dans l’éventualité d’un transfert et énonce deux principes fondamentaux :

a.      l’obligation de traiter les détenus avec humanité en tout temps et en toutes circonstances conformément aux normes établies au sujet des prisonniers de guerre[23] dans la Troisième Convention de Genève;

b.      les autorités afghanes, souveraines sur leur propre territoire, sont responsables des personnes qui sont remises entre leurs mains et qu’elles détiennent en Afghanistan[24].

L’entente atteste le droit du Comité international de la Croix-Rouge de visiter les détenus en tout temps et l’obligation des parties d’informer celui-ci de tout transfert de détenus, conformément aux obligations que leur impose le droit international. Elle porte aussi que les personnes remises aux autorités afghanes par les Forces canadiennes ne peuvent pas être condamnées à la peine de mort. Enfin, les deux parties y acceptent le rôle légitime de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme relativement au traitement des détenus. Le Canada informe en temps opportun le Comité international de la Croix-Rouge de tout transfert de détenus, de même que la FIAS. Enfin, il transmet cette information aussi à ses partenaires de l’OTAN.

Les autorités afghanes étant responsables des détenus qui leur sont remis, le Canada cherche activement à renforcer les capacités afghanes en la matière. Dans l’esprit de son action au niveau de la réforme du système de sécurité dans le sud de l’Afghanistan, le Canada affecte depuis trois ans un expert en services correctionnels à la MANUA et a récemment affecté d’autres agents du Service correctionnel du Canada à l’EPR de Kandahar, pour bâtir les compétences afghanes en matière de détention et de services correctionnels dans la province de Kandahar.

M. Michael Byers, professeur et titulaire d’une chaire de recherche du Canada en politique mondiale et droit international, a comparu devant le Comité le 11 décembre 2006 et a fait valoir que l’entente sur les transferts de détenus n’était pas aussi solide qu’elle pourrait l’être. À l’instar de M. Alex Neve d’Amnistie Internationale Canada, M. Byers craint vivement que les détenus remis aux autorités afghanes ne soient torturés ou maltraités par la police afghane. M. Neve et M. Byers estiment que l’entente n’est pas suffisante pour interdire de tels abus et que le Canada et les Forces canadiennes risquent par conséquent d’être accusés de violation de leurs obligations internationales en matière de droits de la personne.

Citant en exemple l’entente conclue entre les Pays-Bas et l’Afghanistan sur le transfert de détenus, M. Byers a proposé des modifications conçues pour renforcer l’entente. Il veut d’abord que le Canada exige le droit d’effectuer des vérifications de suivi de la condition des détenus remis aux autorités afghanes. Ensuite, en plus de s’assurer que les détenus transférés ne seront pas condamnés à la peine de mort, le Canada devrait selon lui insister pour que les détenus ne soient pas renvoyés dans un pays tiers. Enfin, M. Byers estime qu’il faudrait faire de l’entente un accord juridiquement contraignant de manière que l’on puisse demander des comptes aux autorités afghanes en cas de violation du droit international.

Sensibles au débat qui entoure la question du traitement des détenus, les chefs militaires canadiens en Afghanistan ont veillé à ce que la question soit traitée de la manière appropriée. Dans un article récent de la Presse canadienne[25], on indique que le brigadier-général Tim Grant, commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, a conclu une entente avec le bureau de Kandahar de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme pour que celle-ci contrôle le traitement des personnes capturées par les Canadiens de manière que les plaintes pour mauvais traitements donnent lieu à une enquête.

Abdul Quadar Noorzai, directeur du bureau de Kandahar de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme, a dit : « Les Canadiens respectent bien les droits de la personne […] C’est une de leurs plus grandes qualités et je leur suis profondément reconnaissant de leur attitude » [traduction]. M. Noorzai a dit qu’il était maintenant libre de faire enquête sur les cas d’abus et de monter un dossier, que les allégations concernent des soldats canadiens ou les autorités afghanes. L’entente donne aux victimes la possibilité de faire étudier leur plainte soit par les autorités canadiennes soit par les instances judiciaires locales[26].

Quoi qu’il en soit, le transfert des détenus afghans aux forces de sécurité afghanes continuait de susciter des préoccupations. Le ministre de la Défense nationale s’est rendu à Kandahar pour parler dans le détail des transferts de détenus et du rôle de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme dans le contrôle de la manière dont sont traités par la suite les détenus dans les prisons afghanes. Le ministre Gordon O’Connor a confirmé à son retour au Canada que la Commission surveillera la manière dont sont traités les détenus transférés par les Forces canadiennes aux autorités afghanes.

Le gouvernement du Canada est allé encore plus loin le 3 mai 2007 en signant une entente supplémentaire avec le ministère afghan de la Défense dans laquelle les deux parties se sont entendues sur des critères additionnels encore plus stricts concernant le traitement et la surveillance des détenus dans les prisons afghanes et l’accès à ces personnes. Cette entente supplémentaire règle les principales préoccupations soulevées au début de notre étude et est en fait maintenant considérée comme le meilleur arrangement en son genre en Afghanistan. Ensemble, les deux arrangements entre le Canada et l’Afghanistan sont donnés en exemple aux contingents des autres pays.

Il serait néanmoins préférable que la FIAS de l’OTAN  établisse un protocole commun de transfert des détenus auquel adhéreraient la FIAS et le gouvernement de l’Afghanistan de manière que tous les détenus soient traités de manière uniforme à cet égard et que toutes les parties connaissent et comprennent ce qu’on attend d’elles en matière de suivi.

RECOMMANDATION 18

Le gouvernement du Canada devrait tenter de convaincre l’OTAN de conclure une entente générale avec le gouvernement afghan afin d’assurer une uniformité de traitement des détenus et, dans l’intervalle, voir à ce que, dans toutes les opérations mixtes menées par les militaires canadiens et les forces militaires ou policières afghanes, tous les détenus capturés par les Forces canadiennes soient traités conformément aux ententes conclues le 18 décembre 2005 et le 3 mai 2007 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République islamiste d’Afghanistan dans l’esprit de la Convention de Genève et de la Convention contre la torture.

CONTRIBUTION À L’INSTRUCTION DES FORCES DE SÉCURITÉ AFGHANES

Les programmes de constitution de l’Armée nationale afghane (ANA) et de la Police nationale afghane (PNA) représentent un aspect important des efforts internationaux de reconstruction et de développement en Afghanistan. On voudrait que les deux organisations soient en mesure d’assurer elles-mêmes le maintien de la paix et la sécurité au pays. Quand elles y parviendront, les forces militaires internationales pourront alors se retirer de l’Afghanistan.

Les États-Unis sont à la tête du projet de développement de l’Armée nationale afghane.

Une fois que les éléments de l’ANA ont terminé leur instruction, la FIAS se concentre sur leur déploiement opérationnel. Elle n’a pas besoin de se soucier de leur dotation en personnel, de leur instruction initiale et de leur maintien en puissance. Elle contribue à développer leur capacité opérationnelle en leur adjoignant des équipes de mentorat opérationnel et de liaison qui, en plus de soutenir leur formation, participent aux opérations dans un rôle consultatif.

À la Conférence de Genève sur la sécurité en Afghanistan, au mois d’avril 2002, des pays donateurs ont convenu d’aider à la reconstruction des forces de sécurité en Afghanistan. Ils ont adopté une démarche dite « des cinq piliers », un programme en cinq volets pris chacun en charge par une nation différente. Les États-Unis se sont engagés à construire l’ANA, tandis que l’Allemagne s’est chargée de former la PNA[27]. Le gouvernement afghan et la communauté internationale ont convenu de fixer à 62 000 hommes l’effectif total de la PNA, ce qui, selon toute vraisemblance, serait l’effectif minimal capable de fonctionner efficacement et que le gouvernement afghan serait en mesure de soutenir à long terme. De ce nombre, 44 300 seraient des agents de police en uniforme, 12 000 des agents de la police des frontières, 3 400 des membres de la patrouille routière et 2 300 des policiers affectés à la répression des narcotrafiquants. Une force d’intervention policière de réserve a été ajoutée en janvier 2006.

L’ANA et la PNA forment ensemble le gros de forces de sécurité nationales afghanes. La première est placée sous la responsabilité du ministre de la Défense de l’Afghanistan et la seconde, sous celle de son collègue de l’Intérieur.

Le Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan (CTCS-A), que dirigent les États-Unis, veille à l’instruction de l’Armée nationale afghane et entretient des relations avec les Allemands chargés de la formation de la Police nationale afghane. En collaboration avec le gouvernement afghan et la communauté internationale, il planifie, programme et met à exécution la réforme des secteurs de la police et de la défense afghanes dans le but de rétablir la stabilité en Afghanistan, d’y assurer une application plus rigoureuse de la règle de droit et de dissuader et de vaincre le terrorisme à l’intérieur de ses frontières[28]. Il a à sa tête un major-général américain, assisté d’un brigadier-général canadien.

Instruction de l’Armée nationale afghane

 Quand il a accédé à la présidence de l’Afghanistan, Hamid Karzaï s’est fixé comme objectif la constitution d’une armée de 70 000 hommes avant 2010. Pratiquement inexistante il y a trois ans, l’Armée nationale afghane (ANA) compte actuellement près de 37 000 hommes[29] et ses unités participent régulièrement aux opérations de combat effectuées conjointement par l’ANA et la FIAS, et il leur arrive même de diriger ces opérations.

Les problèmes de recrutement initiaux tiennent à l’absence de coopération des seigneurs de la guerre régionaux et au manque d’uniformité du soutien international. Les désertions étaient nombreuses au début. À la mi-mars 2004, on estimait à 3 000 le nombre des déserteurs.

Dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, plusieurs pays participent à des titres divers à l’instruction de l’Armée nationale afghane, sous la direction du Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, un commandement multinational à deux étoiles placé sous la direction des Américains et ayant son siège à Kaboul. Le brigadier-général canadien Denis Tabbernor en est le commandant adjoint.

Depuis juillet 2006, l’instruction de l’Armée nationale afghane est dirigée et mise en œuvre par le nouveau Commandement de l’instruction de l’Armée nationale afghane (CIANA) qui relève directement du chef d’état-major général afghan. Les centres d’instruction et les écoles militaires dépendent tous du quartier général du CIANA; des éléments de la FIAS assurent l’encadrement des gradés militaires, qui assurent eux-mêmes l’entraînement de leurs hommes.

L’instruction de base est fournie principalement par des instructeurs et du personnel de l’ANA au Centre d’instruction militaire de Kaboul du CIANA. Les conseillers étrangers de ce centre travaillent sous la direction d’un général de l’Armée américaine. Outre le fort contingent américain, on compte parmi eux 60 soldats britanniques et de petits détachements de soldats français, roumains et même mongols. Quinze membres des Forces canadiennes travaillent comme conseillers auprès des instructeurs afghans au Centre d’instruction militaire de Kaboul. Il est important de noter que les Canadiens sont des conseillers et non des instructeurs, car on cherche à bâtir la capacité afghane, non à faire le travail pour les Afghans.

Le Centre d’instruction militaire de Kaboul a une capacité d’environ 2 500 soldats à l’entraînement et forme un kandak (bataillon) de 615 hommes par mois. Il faut 16 semaines pour entraîner une recrue (contre 13 semaines au Canada).

Le CSTC-A offre à l’ANA divers degrés de contrôle, de conseils et d’assistance. Les États-Unis contribuent à l’instruction de base et l’instruction avancée des recrues et entraînent les sous-officiers pour les cours d’instruction de base. Une équipe consultative de l’Armée française supervise l’instruction des officiers pour les postes d’état-major et les postes de commandement de campagne dans la Brigade d’instruction des officiers. Le Royaume-Uni assure l’instruction initiale et la nomination des officiers d’infanterie à l’École des aspirants officiers. L’Armée britannique se charge aussi de l’instruction initiale et avancée des sous-officiers dans une brigade d’instruction distincte.

Les Forces canadiennes supervisent la partie exercice d’entraînement interallié de l’instruction militaire initiale, où les soldats novices et les aspirants officiers et sous-officiers participent ensemble à des manœuvres sur le terrain pour obtenir leur accréditation. Idéalement, ces exercices auraient lieu au niveau du kandak, mais l’ANA n’est pas encore en mesure de s’organiser en conséquence. Cependant, l’ANA progresse et elle y arrivera un jour. À ce moment-là, pour que l’instruction soit efficace, il faudra un surcroît de formateurs. C’est un point sur lequel le Canada et les Forces canadiennes peuvent renforcer le succès.

RECOMMANDATION 19

Le gouvernement devrait accroître la contribution des Forces canadiennes à l’instruction de l’Armée nationale afghane afin de pouvoir offrir, à mesure que l’Armée nationale afghane prendra de l’expansion et de l’expérience, un niveau plus poussé d’instruction aux nouveaux kandaks avant qu’ils ne soient affectés à des opérations réelles.

Dans les corps d’armée régionaux déployés dans tout le pays, les kandaks de l’ANA fraîchement émoulus du Centre d’instruction militaire de Kaboul sont soutenus par du personnel militaire de la FIAS formant les équipes de mentorat opérationnel et de liaison (EMOL), affectueusement appelées « omelettes » (de OMLT, en anglais), qui conseillent les chefs des kandaks et les commandants sur le plan des communications, du renseignement, de l’appui-feu, de la logistique et des tactiques d’infanterie. Les EMOL jouent aussi un rôle de particulièrement important de coordination et d’harmonisation des opérations de l’ANA et de la FIAS. L’Alliance a déjà déployé plus d’une vingtaine de ces équipes et elle cherche à en augmenter considérablement le nombre.

Le Canada fournit une équipe de mentorat opérationnel et de liaison (EMOL) de 64 personnes dans la province de Kandahar qui s’est récemment chargée d’une brigade entière de l’ANA.  Là encore, le Canada pourrait offrir une aide précieuse en augmentant la taille de son EMOL en fonction de la hausse des effectifs de l’ANA et du nombre de kandaks dans la région de Kandahar.

Durant sa visite à Kandahar, le Comité a entendu toutes sortes de commentaires sur les soldats afghans, les qualificatifs allant d’irresponsables à courageux. Les observateurs d’expérience estiment que les soldats afghans se comportent bien au combat, même s’ils ont tendance à manquer un peu de discipline. Tout n’est pas rose cependant. Abstraction faite du risque constant qu’un soldat entraîné parte rejoindre les rangs des talibans, les désertions et les difficultés de recrutement font régulièrement problème. Les soldats sont recrutés dans les neuf groupes ethniques du pays et, une fois enrôlés, ils passeront la totalité de leur période de service en déploiement opérationnel. Certains finissent par se lasser d’être loin de chez eux, parfois pour la première fois de leur vie. D’autres, après avoir reçu leur solde, repartent dans leur famille sans égard pour leurs responsabilités « professionnelles ». Ces renseignements ne s’appuient sur aucune donnée empirique. Ce sont des informations anecdotiques, mais qui ont néanmoins permis au Comité de se faire une meilleure idée de la situation.

En bout de ligne, l’étude du Comité lui a permis de se faire une idée réaliste de la difficulté de bâtir et de développer une Armée nationale afghane efficace. On ne constitue pas une bonne armée morale du jour au lendemain et il faudrait à l’ANA encore des années de travail acharné pour se débrouiller seule sur son propre territoire. Elle n’est pas en mesure de se passer de l’aide extérieure pour l’instant.

Le Comité estime que c’est là un domaine où le Canada pourrait faire plus. Notre propre stratégie de retrait de cette mission repose sur une ANA bien entraînée capable de protéger l’Afghanistan, car les forces militaires étrangères ne pourront retourner chez elles que lorsque l’ANA sera en mesure de faire cavalier seul. Ainsi, après les questions de sécurité, le soutien de l’entraînement de l’ANA devrait être la seconde priorité des Forces canadiennes, car la réforme de la sécurité aux termes du Pacte de l’Afghanistan repose sur le développement de l’ANA jusqu’au point où celle-ci sera en mesure
d’assurer la sécurité dans tout le pays. Actuellement, ce sont les Américains, les Britanniques et les Français qui assument le gros de cette tâche. Nous pourrions faire davantage.

Non seulement les soldats canadiens sont-ils des formateurs de première classe en opérations militaires, mais la profession des armes au Canada repose sur de solides exigences morales et physiques et un leadership éthique, qualités qui pourraient être utilement appliquées au développement de l’ANA.

Instruction de la Police nationale afghane

Le développement de la PNA a pris du retard par rapport à celui de l’ANA et ce n’est pas avant les deux dernières années que la communauté internationale a compris l’importance d’une force policière nationale solide, capable de contribuer efficacement à l’établissement de la paix et de la sécurité, ainsi qu’à l’application de la loi et au maintien de l’ordre. Le Pacte pour l’Afghanistan autorisait un effectif policier de 62 000 hommes. La communauté internationale, sous l’impulsion des Américains et des Allemands, a offert à l’Afghanistan de l’aider concrètement à atteindre cet objectif.

La PNA fait partie du ministère de l’Intérieur. Elle est organisée en régions, en provinces et en districts, ayant chacun ayant à sa tête un chef de police[30].

L’instruction de base des recrues de la PNA dure huit semaines, après quoi la recrue est affectée à un poste habituellement proche de son domicile. Bon nombre des nouveaux membres de la PNA manquent d’instruction ou sont illettrés. La plupart des officiers sont formés à l’école de police de Kaboul. Ils y reçoivent pendant trois ans un enseignement professionnel de niveau universitaire au terme duquel ils peuvent s’attendre à être affectés n’importe où au pays.

La population a tendance à imputer la corruption et l’inefficacité de la PNA au manque d’encadrement et de développement, ainsi qu’aux bas salaires (environ 70 dollars américains par mois) et à une supervision insuffisante. La réforme permanente des grades et des salaires, une mesure destinée à professionnaliser la force en n’y conservant que les policiers dûment formés et en s’assurant qu’ils touchent leur salaire en temps voulu, réglera certains de ces problèmes. Malgré tout l’intérêt que porte la communauté internationale au développement de la PNA, celle-ci accuse sur ce plan un retard d’environ trois ans par rapport à l’ANA. On s’est donné pour objectif de porter son effectif à 60 000 hommes d’ici 2011.

Le problème, c’est que même aujourd’hui, le gouvernement afghan n’a pas les moyens de payer ses policiers. La communauté internationale a donc établi un mécanisme pour payer les salaires de la PNA à même le Fonds en fiducie pour le maintien de la loi et de l’ordre administré par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)[31]. Les coûts sont considérables. Les États-Unis ont notamment versé 20 millions de dollars en 2004, 40 millions de dollars en 2005 et 9,5 millions de dollars en 2006. Au mois de mai 2006, les fonds accordés par le US Bureau of Narcotics and Law Enforcement Affairs au cours de la période 2004-2007 totalisaient près de 1,1 milliard de dollars. Et c’est sans compter le transfert d’une somme de 200 millions de dollars, destinée à l’origine au programme de l’ANA, pour armer et équiper la PNA en 2005.

Le gouvernement afghan prévoit maintenir à près de 170 millions de dollars le niveau de financement de la PNA jusqu’en 2012 et même au-delà, sauf que les coûts prévus de maintien en force de la PNA (formation, infrastructure et équipement) seront plutôt de l’ordre de 600 millions de dollars. La communauté internationale sera donc probablement mise à contribution pour combler l’écart[32].

La détérioration de la sécurité en 2006 a cependant forcé le ministère de l’Intérieur à rééquilibrer la PNA et à créer la Police auxiliaire nationale afghane (PANA). Le ministère de l’Intérieur envisage également de porter à 82 000 hommes l’effectif de la PNA. Un groupe d’étude composé de représentants de l’Allemagne, des États-Unis et de la Norvège, du représentant spécial de l’Union européenne et de membres de la MANUA et du gouvernement afghan (ministère de l’Intérieur et ministère des Finances), a été mis sur pied en février 2007 pour examiner la question. Il s’est réuni quatre fois, sous la présidence de l’ambassadeur d’Allemagne.

Le projet d’augmentation de la taille de la PNA découle d’une analyse faisant valoir la nécessité de grossir les rangs des forces de sécurité afghanes pour garantir la stabilité du pays en raison des problèmes de sécurité qui se sont aggravés au début de 2006. Tout un train de mesures ont été prises pour rééquilibrer la PNA et constituer la Police auxiliaire nationale afghane, qui est essentiellement une force locale d’autodéfense, afin d’endiguer l’infiltration grandissante des insurgés dans le sud du pays.

Le principal facteur qui fait hésiter les autorités à aller de l’avant avec ce projet d’augmentation des effectifs de la PNA est l’impact financier qu’aurait cette mesure sur le gouvernement afghan et le Fonds en fiducie pour le maintien de la loi et de l’ordre en Afghanistan. Le gouvernement afghan n’a pas assez d’argent pour payer les salaires de 62 000 policiers et le Fonds en fiducie pour le maintien de la loi et de l’ordre a constamment de la difficulté à se maintenir à flot.

Le groupe d’étude a convenu que, quelle que soit la décision qui serait prise, ce n’est pas seulement en augmentant le nombre de policiers qu’on parviendra à accroître l’efficacité de la police, mais en améliorant la qualité du service. Le ministère de l’Intérieur a rappelé le besoin urgent et toujours très présent d’améliorer la qualité du service de police, mais la professionnalisation de la police passe aussi par une réforme complète du ministère de l’Intérieur lui-même.

La Police auxiliaire nationale afghane (PANA) est une force communautaire composée d’auxiliaires de police placés sous la direction du chef de police local, qui est chargée de renforcer la sécurité à l’échelle du district ou du village. Dans la région de Kandahar, les futurs membres de la PANA sont recommandés et choisis par les aînés et les mollahs du village, où ils retournent une fois leur formation terminée. La solde mensuelle est équivalente à celle d’un policier régulier de la PNA et les auxiliaires de police se voient remettre un uniforme et une arme après avoir reçu la formation de deux semaines offerte par les Forces canadiennes à Kandahar, sous l’égide du CTCS-A. On commence par les embaucher pour un an et, une fois leur contrat terminé, ils peuvent soit le renouveler, soit joindre les rangs de la PNA. On prévoit pour le moment former et déployer 2 000 auxiliaires de police dans la province de Kandahar, et porter éventuellement ce nombre à 2 080 si la situation financière le permet.

La contribution du Canada à la formation de la PNA est assez modeste par rapport à celle d’autres pays, mais elle a son importance. La police civile canadienne et la police militaire des Forces canadiennes instruisent les membres de la PNA sur une foule de sujets, dont la réaction à un attentat à l’aide d’un engin explosif artisanal, le secourisme opérationnel, les patrouilles, le maniement des armes, la fouille des suspects et le contrôle des véhicules. Le Centre de formation régional administré par les États-Unis offre aussi un soutien à la formation des recrues de la Police auxiliaire nationale afghane.

Le Peloton de police militaire canadien fait partie de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar (EPR-K). Deux policiers de ce peloton sont affectés à la formation de la PNA dans la région de Kandahar.

La GRC participe avec ses partenaires internationaux à l’encadrement et à l’instruction des membres de la PNA. Un de ses membres a été détaché au sein du groupe de la réforme policière, au Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, à Kaboul, et un autre au ministère afghan de l’Intérieur.

Dix membres de la police civile canadienne, sous la direction d’officiers de la GRC, aident au renforcement des capacités de la PNA en encadrant les forces de police locales. La police canadienne tâche d’établir des relations avec les autres organismes d’application de la loi présents en Afghanistan et sert d’intermédiaire entre l’EPR-K et la police locale. Elle travaille aussi en étroite collaboration avec d’autres corps de police étrangers. Des policiers canadiens se joignent régulièrement aux patrouilles effectuées par les militaires de l’EPR-K afin de s’entretenir avec la PNA à différents postes de police et points de contrôle à Kandahar même et dans certains districts ruraux.

Depuis 2005, les policiers canadiens ont distribué localement plus de 2 500 uniformes de travail à leurs homologues de la PNA, en sus de matériel de police essentiel, dont des bottes, des lampes de poche, des ceinturons, des balises de déviation, des hérissons et des bosses de décélération portatives.

Des fonds de développement canadiens ont servi à améliorer les conditions de vie et de travail dans six postes locaux de la PNA. Quatre postes ont été rénovés, trois sont actuellement en construction dans des quartiers clés de la ville et deux autres sont prévus.

Le service d’incendie à Kandahar se trouve à faire partie de la PNA. L’équipe de coopération civilo-militaire (COCIM) de l’EPR-K a reçu pour lui, qui en a peu, de l’équipement élémentaire de lutte contre les incendies venant du Service de pompiers volontaires de Langford, en Colombie-Britannique. Ce même service a aussi fait don d’environ 400 000 $ en équipement, à partager entre les villes de Kandahar et de Kaboul.

UN FARDEAU PARTAGÉ À PLUSIEURS

Durant 2006, la population canadienne s’est convaincue que nos troupes assumaient une trop grande part des combats dans le sud de l’Afghanistan. Elle était confortée dans cette opinion par les commentaires de nombreux leaders de la FIAS préoccupés par le fait que beaucoup de pays participants avaient imposé des réserves à l’emploi de leurs soldats privant les commandants de la FIAS de la latitude voulue pour déployer les forces de la FIAS dans les secteurs où la menace est la plus grande. Cette question a fait l’objet de débats animés dans les cercles de l’OTAN durant l’été et l’automne.

L’affectation de contingents de soldats à des opérations de l’OTAN par les pays participants a toujours été subordonnée à des réserves — certaines explicites, mais beaucoup implicites. La plupart sont parfaitement raisonnables en pareilles circonstances. On a souvent reproché aux forces affectées aux travaux de reconstruction et de développement dans le nord de ne pas faire leur juste part parce qu’il est interdit de les déployer dans les provinces du sud où elles combattraient aux côtés des Britanniques, des Canadiens, des Hollandais et des Américains. C’est faire abstraction de deux considérations importantes. Premièrement, les parlements et gouvernements des pays concernés avaient accepté d’affecter leurs soldats à des tâches précises et certains ont eu la chance de se retrouver dans des zones où les combats étaient peu nombreux. Ces contingents ont été organisés et formés pour accomplir la tâche qui leur a été confiée — à savoir principalement diriger une équipe provinciale de reconstruction, ce qui mène à la seconde considération.

La plupart du temps, il est difficile de convertir rapidement en unités de combat des éléments axés sur la reconstruction et le développement. Ces soldats ne sont ni entraînés ni équipés pour participer à de sérieuses batailles. Ils risqueraient d’être un fardeau plus qu’autre chose s’ils étaient affectés dans le sud.

Le gouvernement canadien aussi a imposé des réserves à l’emploi du contingent des Forces canadiennes actuellement en Afghanistan. Il est par exemple interdit d’affecter ailleurs l’Équipe provinciale de reconstruction menée par le Canada sans l’aval de notre chaîne de commandement.

Il est vrai que les soldats canadiens ont payé un lourd tribut, mais nous ne devons pas nous laisser décourager par ces pertes. Plus de 10 000 soldats canadiens ont été déployés en Afghanistan depuis 2001. Avec 56 morts tragiques et plus de 205 blessés, nos soldats affichent un taux de pertes de 2 p. 100 environ. Le Comité sait que ces calculs peuvent sembler insensibles et froids, mais il est important de se faire une idée objective du prix payé.

Les Canadiens ne sont d’ailleurs pas les seuls à payer un prix. Certains des autres contingents ont été encore plus durement touchés. Si d’autres ont été moins éprouvés, il reste que beaucoup de nos alliés participent aux combats. Le tableau suivant fait le bilan des morts de soldats de la FIAS en Afghanistan jusqu’à présent.

Décès de soldats de l’OTAN en Afghanistan par pays
(à l’adoption du rapport)

Allemagne

21

 

Australie

1

 

Canada

57

 

Corée du Sud

1

 

Danemark

4

 

Espagne

21

 

États-Unis

399

 

Finlande

1

 

France

9

 

Italie

9

 

Norvège

1

 

OTAN

1

 

Pays-Bas

6

 

Portugal

1

 

République tchèque

1

 

Roumanie

4

 

Royaume-Uni

60

 

Suède

2

 

Total

599

 

Source : www.icasualties.org


[1]              Robert Bouchard, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 16 mai 2006.

[2]              Stephen Harper, hansard,17 mai 2006, p. 1503.

[3]              Paul Szabo, hansard, 17 mai 2006, p. 1504.

[4]              John McCallum, hansard, 17 mai 2006, p. 1504.

[5]              Bill Graham, hansard,  17 mai 2006, p. 1505.

[6]              Propos recueillis au cours d’une séance d’information, le 25 janvier 2007, à l’occasion de la visite du Comité à la FOI-AFG.

[7]              Rubin, « Resolving the Afghanistan-Pakistan Stalemate », p. 2.

[8]              Cette section est tirée d’un article de C. Christine   Fair,  Nicholas Howenstein et J. Alexander Thier, Troubles on the Pakistan-Afghanistan Border, United States Institute of Peace, décembre 2006, http://www.usip.org/pubs/usipeace_briefings/2006/1207_pakistan_afghanistan_border.html.

[9]              Peter MacKay, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 22 novembre 2006.

[10]           Rina Amiri, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale,  30 janvier 2007, p. 5.

[11]           Ibid., p. 6.

[12]           Ibid., p. 6.

[13]           Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, http://www.unodc.org/unodc/index.html.

[14]           Conseil de Senlis, http://www.senliscouncil.net/.

[15]           Voir les documents publiés sur le site du Conseil de Senlis.

[16]           « Double Spring Offensive », The Economist, 22 février 2007.

[17]           Murray Brewster, « Canada treads dangerous line over poppy eradication in southern Afghanistan », Canada.com, www.canada.com/topics/news/national/story.html?id=9311e6b5-f974-4e2f-ae54-dd2084e67021&k=4588.

[18]           Le major Bill Fletcher s’est récemment vu décerner l’Étoile de la vaillance militaire, qui vient tout juste derrière la Croix de Victoria du Canada, par la gouverneure générale Michaëlle Jean, pour actes de courage sous le feu ennemi en Afghanistan.

[19]           Voir une entrevue avec M. Attaran à l’adresse http://www.wsws.org/articles/2007/feb2007/inte-f16.shtml.

[20]           Voir le communiqué de presse du MDN, http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=2199.

[21]           Voir le site de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire du Canada, http://www.mpcc-cppm.gc.ca/300/Afghanistan/index_f.aspx.

[22]           Témoignages, 11 décembre 2006.

[23]           Il importe de noter que les détenus ne sont pas considérés comme des « prisonniers de guerre », mais que le terme est employé là uniquement pour décrire la manière dont on s’attend qu’ils soient traités.

[24]           L’Afghanistan est, comme le Canada, un pays souverain membre des Nations Unies. Les Forces canadiennes et les autres forces militaires internationales sont dans le pays à l’invitation du gouvernement afghan.

[25]           Murray Brewster, « Afghan group to monitor detainee care. Canada first NATO country to reach deal on probing inmate complaints ». Presse canadienne, 1er mars 2007.

[26]           Ibid.

[27]           Inspecteurs généraux, Département d’État et Département de la Défense des États-Unis, Interagency Assessement of Afghanistan Police Training and Readiness,  novembre 2006. Les autres piliers sont la justice (Italie), la lutte contre le trafic des stupéfiants (R.-U.) et la démobilisation, le désarmement et la réintégration (Japon).

[28]           Site Web du CSTC-A, à http://oneteam.centcom.mil/default.aspx.

[29]           Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, quatrième session, Rapport du Haut Commissaire aux droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme en Afghanistan et sur les résultats obtenus grâce à l'assistance technique dans le domaine des droits de l'homme, 5 mars 2007.

[30]           Cette information et celle qui suit est tirée d’une séance d’information qu’ont reçue des officiers des Forces canadiennes au cours de la visite en Afghanistan du Comité, en janvier 2007.

[31]           Inspecteurs généraux, Département d’État  et Département de la Défense des États-Unis, Interagency Assessement of Afghanistan Police Training and Readiness,  novembre 2006, p. 5.

[32]           Ibid. p. 6.