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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 054 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 30 octobre 2012

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

     Bienvenue à la 54e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous sommes aujourd'hui le 30 octobre 2012.

[Traduction]

    Aujourd'hui, nous accueillons Neri Colmenares, membre de la Chambre des représentants de la République des Philippines. Il est accompagné de Connie Sorio, sa collaboratrice, mais c'est lui qui comparait à titre de membre de la Chambre des représentants. C'est lui qui va prononcer une déclaration liminaire et c'est à lui que vous devrez poser vos questions.
    Je vous rappelle que la réunion d'aujourd'hui est télévisée et qu’elle sera retransmise sur CPAC. Comme je vous le dis toujours, il se peut que votre mère vous regarde, par conséquent conduisez-vous de façon à lui faire honneur.
    Cela dit, monsieur Colmenares, je vous donne la parole.
    Au nom de mon parti et du peuple philippin, je tiens à remercier le sous-comité de nous avoir invités à présenter notre point de vue sur la situation actuelle aux Philippines.
    J'ai appris que le sous-comité avait rencontré plusieurs groupes philippins depuis 2007 à propos de divers dossiers relatifs aux droits de la personne et, dans une certaine mesure, de l'implication possible de certaines entreprises canadiennes implantées aux Philippines.
     Je ne m'attarderai pas sur les problèmes fondamentaux qui ont été soulevés par les divers groupes, notamment des dirigeants ecclésiastiques et même des membres de notre Parlement qui ont comparu devant vous, sans oublier, tout récemment, des défenseurs des droits de la personne. Je vais donc me contenter de faire le point sur les différents dossiers, mais auparavant, j'aimerais vous rappeler que des requêtes ont été adressées au Parlement canadien pour qu'il entreprenne une mission d'étude aux Philippines afin d'y examiner la situation des droits de la personne et, tout au moins, de déterminer si des entreprises canadiennes sont impliquées dans des cas de violation des droits de la personne.
    L'exemple qui décrit sans doute le mieux la situation actuelle aux Philippines est le cas de Merlyn Bermas, qui dirigeait une unité gouvernementale locale, qu'on appelle un barangay, aux Philippines. Il y a quelques mois, elle a condamné des membres du 49e Bataillon d'infanterie de l'armée philippine pour le meurtre de l'un de ses électeurs. Benjamin Mancera a été tué, selon les accusations de Merlyn, par le 49e Bataillon d'infanterie, en même temps que ses deux fils, Richard et Michael, âgés de 11 et 8 ans. Quelques mois plus tard, Merlyn Bermas était sur sa mobylette, moyen de transport très courant aux Philippines, lorsque deux hommes, eux aussi en mobylette, l'ont rattrapée et lui ont tiré dessus, la tuant sur le coup. Pour comble de malheur, la famille de la victime pleure également la mort de son fils de quatre ans, Gérald, qui a lui aussi été frappé à la tête. On a essayé de le ranimer, mais il est mort le lendemain à l'hôpital, dans la province méridionale de Camarines Sur.
    Pour résumer la situation des droits de la personne aux Philippines, je dirai que les assassinats continuent.
    Merlyn Bermas n'est malheureusement qu'une des 114 victimes d'exécutions extrajudiciaires depuis que le président Aquino est arrivé au pouvoir en juillet 2010. Beaucoup de statistiques démontrent que les violations des droits de la personne se multiplient, mais je vous les ferai parvenir plutôt que d'en discuter maintenant.
    Aux Philippines, vous savez, certains membres du gouvernement répugnent à toute forme d'opposition. Ils ne tolèrent pas les protestations, surtout celles qui visent à dénoncer la corruption du gouvernement ou ses politiques abusives, car, après tout, cette corruption et ces politiques abusives leur rapportent des millions de dollars. C'est pour cela qu'ils recourent parfois à la répression, pour étouffer l'opposition.
    L'armée, une autre institution corrompue de notre pays, est toujours prête à appliquer des mesures de répression. Les premiers touchés sont, bien sûr, ceux qui sont frappés de plein fouet par ces politiques abusives, les agriculteurs, les indigènes, les quartiers pauvres des villes, mais au final, ces mesures de répression touchent tout le monde. Les exécutions extrajudiciaires frappent tous azimuts, aussi bien des dirigeants ecclésiastiques que de simples paroissiens, des femmes et même, dans le cas de Merlyn Bermas, des enfants.
    Nous sommes ici pour vous dire que les violations des droits de la personne continuent aux Philippines, et pour demander à la communauté internationale d'exprimer son inquiétude face à la multiplication de ces violations.

  (1310)  

    Je me dois cependant d'ajouter que les violations des droits de la personne impliquent, malheureusement, des entreprises transnationales. Selon la presse, plusieurs entreprises transnationales implantées dans des régions habitées par des populations indigènes seraient impliquées dans de telles violations, notamment des entreprises minières canadiennes.
    Aux Philippines, il y a des entreprises transnationales qui embauchent des groupes paramilitaires, soi-disant pour des raisons de sécurité, mais le fait est, et tout le monde le sait, que l'embauche de groupes paramilitaires mène toujours à la catastrophe. Des groupes incontrôlables de civils armés avaient déjà commis de graves violations des droits de la personne il y a longtemps, à l'époque de Marcos et pendant les mandats de ceux qui lui ont succédé. Je suis sûr qu'il existe de nombreux rapports sur les exactions commises par des groupes paramilitaires dans les pays d'Amérique latine et dans d'autres pays asiatiques, et sur les effets désastreux que cela a eus sur les droits de la personne.
    Il y a beaucoup d'entreprises minières canadiennes aux Philippines. Certaines sont implantées dans le nord, notamment à Abra, dont vous avez sans doute entendu parler étant donné que l'entreprise CANEX a obtenu des pouvoirs publics un permis d'exploitation sur 85 p. 100 de la superficie totale de la province.
    L'autre entreprise canadienne qui a fait récemment parler d'elle s'appelle Toronto Ventures Incorporated, ou TVI. TVI a été accusée publiquement d'avoir eu recours à des groupes paramilitaires. Ce n'est pas une accusation déraisonnable, surtout depuis que le président des Philippines a été amené à publier un décret autorisant les entreprises transnationales à utiliser des groupes paramilitaires pour leurs opérations.
    J'aimerais vous faire part de deux faits qui circulent au sujet de TVI. Le premier concerne des déclarations faites par des journalistes affirmant qu'ils ont été détenus ou gardés en otages, ce sont les termes qu'ils ont employés, par des membres d'un groupe paramilitaire recruté par TVI. Ils étaient en route pour faire un reportage sur la démolition de maisons appartenant à des indigènes de la région où TVI allait entreprendre des opérations minières. Aux dires des journalistes, les groupes paramilitaires les auraient détenus et leur auraient interdit de faire un reportage sur la démolition.
    Il faut rendre à César ce qui appartient à César, et je dois dire que le lendemain de la publication de ces accusations, TVI a démenti avoir embauché des groupes paramilitaires. L'entreprise a également nié avoir fait démolir les maisons des indigènes qui se trouvaient sur ses concessions minières. Le fait est que, dans la perception du public, TVI est maintenant impliquée dans des cas de violation des droits de la personne, notamment parce qu'elle a fait appel à un groupe paramilitaire pour empêcher des journalistes de faire leur travail.
    L'autre fait que je voudrais vous rapporter est le cas de Timuay Manda, un indigène connu pour son opposition aux activités minières dans la région de Zamboanga del Sur, là où TVI est implantée. Timuay Manda s'est fait tirer dessus en septembre dernier, alors qu'il conduisait son fils Jordan à l'école. Timuay Manda a survécu à l'attentat, contrairement à Merlyn Bermas, mais son fils de huit ans a été tué.
    Encore une fois, pour vous donner les deux versions de cette affaire qui a causé une grande indignation dans la population philippine, ce nouvel attentat contre un militant écologiste était non seulement un exemple de plus de la répression exercée contre les indigènes, mais il avait aussi causé la mort d'un enfant innocent.
    TVI, bien entendu, a démenti, à l'instar de l'armée et de la police, toute implication dans cette affaire. Elle a affirmé que ses groupes paramilitaires n'avaient joué aucun rôle dans l'attentat, et qu'en fait Timuay Manda n'est pas un militant opposé aux activités minières mais plutôt un opposant illégal à ces activités.

  (1315)  

    Je ne prétends pas savoir personnellement qui dit la vérité ici, mais à mon avis, monsieur le président et messieurs, mesdames les membres du comité, cela n'a plus tellement d'importance. Le fait est qu'un autre enfant est mort, et que cet enfant a été tué dans le contexte de la ruée vers les ressources, vers l’or et vers le nickel des Philippines. J'estime que c'est une victime de trop.
    Que TVI soit impliquée ou pas, il va falloir le déterminer, mais ce qui est important, c'est qu'on prenne des mesures pour savoir si des entreprises canadiennes sont vraiment impliquées dans des cas de violation des droits de la personne aux Philippines. Après tout, ce n'est pas seulement la sécurité mais aussi l'image des investisseurs canadiens aux Philippines qui sont en jeu.
    Certes, beaucoup de requêtes ont été déposées et beaucoup d'inquiétudes ont été exprimées quant à la situation des droits de la personne dans mon pays, mais je voudrais réitérer ce que j'ai dit au début, à l'appui des requêtes qui ont été adressées à votre sous-comité par des délégations antérieures, à savoir que votre sous-comité devrait entreprendre une mission d'étude aux Philippines pour examiner la situation des droits de la personne dans ce pays ou, tout au moins, vérifier si des entreprises canadiennes sont impliquées dans ces violations. Je ne pense pas qu'il serait déraisonnable de la part d'un Parlement qui se préoccupe aussi de l'image et de la sécurité de ses entreprises à l'étranger d'entreprendre ce genre d'étude.
    Permettez-moi de conclure en vous disant que, pour nous Philippins, la réaction de la communauté internationale a toujours été un outil efficace pour améliorer le sort de notre population, peut-être pas pour éliminer complètement les violations des droits de la personne ou les exécutions extrajudiciaires, mais en tout cas pour tenir à distance, dans une certaine mesure, les auteurs de ces assassinats. L'expression de votre inquiétude ou une mission d'étude contribuerait grandement non seulement à améliorer la situation de la population philippine, mais aussi à épargner des vies.
    Je ne sais pas si, pour le Parlement canadien, une mission d'étude est une chose facile ou difficile à entreprendre, mais étant donné que c'est une occasion de sauver des vies, je suis sûr que cet effort en vaut la peine.
    Maraming salamat po. Merci infiniment.
    Merci beaucoup, monsieur Colmenares.
    Chaque intervenant aura droit à six minutes, car nous avons suffisamment de temps.
    J'invite maintenant M. Sweet à poser des questions.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
     Merci beaucoup, monsieur Comenares, de votre témoignage et des conversations que nous avons eues auparavant.
    Qu’a dit le président lorsqu'il a signé le décret permettant aux entreprises internationales d'avoir recours à des groupes paramilitaires? Comment a-t-il justifié sa décision? Je suis sûr qu'il y a beaucoup d'entreprises philippines qui comptent sur la police pour se protéger. Alors pourquoi autoriser les entreprises étrangères à utiliser des groupes paramilitaires?

  (1320)  

    Notre Constitution elle-même se méfie des groupes paramilitaires, compte tenu de l'expérience que nous en avons eue avec le gouvernement Marcos. Je dirai même que notre Constitution déconseille le recours à des forces paramilitaires, et que c'est en fait le principal reproche qu'on a fait au président lorsqu'il a signé le décret.
    Permettez-moi d'ajouter que notre parti est membre de la coalition de la majorité à la Chambre des représentants, mais que nous nous sommes vus obligés de critiquer le président au sujet de ce décret.
    Il nous a répondu que la police ne pouvait pas assumer cette tâche, car les opérations minières se déroulaient dans des régions montagneuses, très éloignées des villes. Il faut savoir que le président et l'armée disposent de ce qu'on appelle le CAFGU, mais qu'il existe aussi un groupe paramilitaire spécial qui s'appelle le Special CAFGU ou SCAA. Le CAA fait partie de l'armée en ce sens que celle-ci le finance et contrôle ses opérations, mais elle n'a pas les moyens de financer le Special CAFGU. C'est pour ça qu'ils ont dit qu'ils allaient demander des dons aux entreprises qui ont besoin des services de sécurité du Special CAFGU.
    Le président a beau dire, le fait est que ce groupe incontrôlable de civils armés et payés par des entreprises transnationales — et des sociétés privées, qui plus est — risque fort de causer des violations des droits de la personne. Malgré les critiques qui lui ont été adressées, le président a maintenu que ce groupe spécial était nécessaire et que le gouvernement allait s'assurer que les groupes paramilitaires spéciaux sont réglementés et placés sous le contrôle des forces armées.
    C'est ce qu'il a répondu.
    Merci, monsieur Colmenares.
     On a appris tout récemment qu'aux Philippines, en ce moment, les marines poursuivent un groupe de rebelles qui s'appelle Abu Sayyaf et qui retient des otages. Il y a aussi un autre groupe, le Front Moro islamique de libération, le MILF, ainsi que le Front démocratique national, le NDF.
    Comment pouvez-vous savoir qui est la source de ces exécutions extrajudiciaires? Les accusations que vous lancez sont très sérieuses, et, d'après ce que vous avez dit, vous ne pensez pas que ce sont ces groupes qui sont à l'origine de ces exécutions extrajudiciaires?
    Non.
    Mais alors, qui en est à l'origine et comment pouvez-vous le prouver?
    Je vous remercie de votre question.
     J'écarte d'emblée Abu Sayyaf. À mes yeux du moins, c'est un groupe qui n'a aucune idéologie politique. C'est un groupe de bandits. Mais avec les deux autres groupes de rebelles, le gouvernement a signé des ententes ou traités.
     Avec le NDF, il a signé ce qu'on appelle la CARHRIHL, c'est-à-dire une entente visant à respecter le droit humanitaire international et les droits de la personne dans la conduite de sa guérilla, en application de la Convention de Genève. Ça, ça concerne le NDF. Pour ce qui est du MILF, vous avez sans doute entendu que le gouvernement avait récemment proposé les contours d’un accord de paix.
     Je suis avocat dans le domaine des droits de la personne, et, avant de devenir un parlementaire, j'ai eu l'occasion, avec mes collaborateurs, d'analyser les accusations portées par les victimes et leurs familles, à savoir que c'étaient les militaires qui avaient commis ces actes. Nous avons trouvé trois catégories de preuves relativement à ces assassinats.
    Dans la première catégorie, les victimes sont généralement officiellement vilipendées par l'armée — dans des discours sur PowerPoint, dans des jardins publics —, allant jusqu'à les taxer d'éléments subversifs et même de terroristes ou de communistes. Aux Philippines, si on vous traite de communiste, c'est un arrêt de mort. En effet, celui qui se fait ainsi vilipender publiquement, qu’il soit militant écologiste, opposant aux activités minières ou dirigeant ecclésiastique, meurt ou disparaît dans les semaines qui suivent.
    Dans la deuxième catégorie, nous avons constaté que les auteurs des crimes jouissaient d'une grande impunité. Les assassinats avaient été commis en plein jour, pour la plupart, dans des jardins publics ou dans des centres d'achat, comme si les criminels n'avaient pas peur d'être arrêtés par les autorités et la police.
     Dans la troisième catégorie de preuves, nous avons constaté que ni l'armée ni la police n'était le moindrement intéressée à faire enquête et à poursuivre les auteurs des assassinats. C'est ce qui nous a amenés à croire, comme le laissaient entendre les accusations des familles des victimes, que ces crimes avaient été commis au moins par des unités paramilitaires, sinon par l'armée ou des membres du gouvernement.
    Certes, il y a d'autres cas où des militaires ont été arrêtés. C'est par exemple ce qui s'est passé pour le meurtre de Benjamin Bayles, un dirigeant laïc d'une église aux Philippines. Il s'est fait tirer dessus le 14 juin 2010. Malheureusement pour les auteurs du crime, c'était le même modus operandi, monsieur Sweet. Deux hommes armés et casqués sont arrivés en moto et lui ont tiré dessus à trois heures de l'après-midi. Ils ont été arrêtés par la police puis poursuivis et condamnés pour le meurtre.
    Lors d'un débat sur le budget, étant donné que la famille de la victime affirmait que les assassins étaient en fait des militaires, même si ces derniers utilisaient des faux noms et se faisaient passer pour de simples pêcheurs, j'ai réussi à faire admettre au secrétaire de la Défense nationale qu'en fait, le meurtre de Benjamin Bayles, un dirigeant laïc d'une église, avait été perpétré par l'armée philippine. En fait, il s'est vu obliger de décliner le nom, le grade et le numéro d'identité des deux auteurs présumés du meurtre. Et cela a été officiellement confirmé par un tribunal, tout récemment.
    Il y a donc eu des cas où des allégations ont été portées par les familles, et nous accordons foi aux deux: d'une part, ce qu'on peut appeler les preuves indirectes, en l'occurrence accablantes, et d'autre part, bien sûr, l'implication directe, comme dans le cas du meurtre de Benjamin Bayles.
    Permettez-moi d'ajouter que même le Front Moro islamique de libération, par exemple, a lancé un avertissement pour dissuader quiconque, sans mentionner le Canada ou TVI, d'entreprendre des opérations minières à Mindanao, surtout sur les terres ancestrales du peuple Moro.

  (1325)  

    De façon générale, les gens sont convaincus que ce sont des groupes paramilitaires qui sont à l'origine de ces crimes.
    Merci.
    Nous avons pris du retard, mais comme il ne s'agissait pas d'une autre question, j'ai préféré laisser le témoin terminer sa réponse.
    Monsieur Marston, vous avez la parole.
    Monsieur le président, je me réjouis que vous l'ayez fait, car c'est justement le sujet que je voulais aborder.
    Vous avez dit que c'est au cours d'un débat sur le budget que vous avez réussi à mettre en évidence le rôle des unités paramilitaires. Si j'ai bien compris, il existe deux groupes paramilitaires. Pourriez-vous nous expliquer comment, au cours de ce débat, vous avez réussi à faire la distinction entre le groupe paramilitaire officiel et celui qui cause des problèmes?
    Ce qui est bien dans ce genre de débat, c'est que les membres de l'exécutif sont obligés de collaborer avec le Parlement. Après tout, c'est nous qui approuvons leur budget.
     Au cours d'un de ces débats sur le budget, j'ai réussi à leur poser des questions sur l'existence du CAA, car, comme je l'ai dit tout à l'heure, notre Constitution interdit les groupes paramilitaires qui ne sont pas réglementés. Ils ont été obligés d'admettre qu'il existait un CAA spécial. Ils ont donc été obligés de l'admettre, même si, bien sûr, ils ont enrobé leur réponse en disant que le SCAA, c'est-à-dire le CAA spécial, avait pour tâche de protéger la population et la collectivité. Mais que, étant donné qu'ils n'avaient pas le budget nécessaire, ils avaient demandé aux collectivités et aux entreprises de la région de verser des dons pour financer les activités de ces groupes. « Nous garantissons à Votre Honneur », ont-ils déclaré, « que nous exercerons un contrôle opérationnel sur ces unités paramilitaires spéciales ».

  (1330)  

    Contrôle opérationnel, ce sont des mots importants.
     Vous avez lancé des accusations très graves contre des entreprises canadiennes, et cela préoccupe bien sûr au plus haut point tous les députés qui sont ici. Vous proposez à notre comité d'entreprendre une mission d'étude là-bas.
     Ce qui me préoccupe, c'est ce lien avec les dons. Ce n'est pas la même chose quand quelqu'un recrute un employé dans le cadre d'un contrat. La notion de don laisse entendre qu'on a affaire à toutes sortes de personnes qui n'ont pas de lien particulier avec l'entreprise canadienne.
    Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Savez-vous de source sûre que TVI ou une autre entreprise canadienne emploie directement des membres du CAA, le groupe paramilitaire?
    J'ai fait bien attention, dans ma déclaration liminaire, à employer le mot « allégations », car je dois admettre très honnêtement que je n'ai pas de preuves en main. De toute façon, il serait très difficile pour moi d’avoir la preuve qu’ils sont recrutés directement. Et c'est pour ça que je propose une mission d'étude par votre comité, car vous auriez sans doute plus de pouvoir pour obtenir cette information. Je dois admettre, monsieur Marston, que je n'ai pas la preuve qu'il y a recrutement direct.
    Des allégations de ce genre ont été portées contre des entreprises canadiennes dans d'autres pays, mais la preuve est loin d'être faite. Je vous remercie d'avoir apporté ces précisions, mais tant que nous n'avons pas de preuves directes, nous devons être prudents.
    Ma question suivante porte sur le genre d'étude que nous pourrions entreprendre. Pensez-vous vraiment qu'une délégation étrangère puisse se livrer à une enquête dans votre propre pays? Dans une certaine mesure, nous serons à la merci de ceux qui vont devoir nous guider et nous aider. Combien de temps pensez-vous qu'il nous faudra?
    Notre gouvernement a pour stratégie économique d'attirer les investisseurs étrangers. Ça remonte à Marcos, à l'époque de la loi martiale. Par conséquent, notre gouvernement a toujours été sensible aux inquiétudes exprimées par la communauté internationale. En fait, j'ai dit dans ma déclaration que ce n'était pas grand-chose pour la communauté internationale d'exprimer des inquiétudes, de signer des lettres ou d'entreprendre une mission d'étude, mais qu'en revanche, cela était très important pour les victimes et leurs familles. Je suis même convaincu que ça permet de sauver des vies.
    À l'époque de Marcos, j'ai été jeté en prison alors que j'étais étudiant. Des lettres me sont parvenues dans ma cellule, en provenance du Canada. C'étaient des membres d'Amnistie Internationale au Canada. Dès que les lettres sont arrivées, la torture a cessé. Quand j'ai été arrêté, j'avais 18 ans, c'était en 1978, et je me souviens encore de Veronica McGuire, une femme de Toronto âgée de 75 ans, dont la correspondance non seulement a rendu ma détention plus supportable, mais a aussi été pour nous une source de réconfort pendant notre séjour en prison.
    Vous savez, la communauté internationale exerce une grande influence, notamment le Canada.
    Je suis désolé de vous interrompre un instant, monsieur, mais il ne me reste plus beaucoup de temps. Je suis d'accord avec vous, une intervention de notre comité, que ce soit une étude au Canada ou l'envoi de lettres pour exprimer notre inquiétude, aurait certainement un impact. Je ne suis pas en désaccord avec vous là-dessus. Je sais que ça s'est déjà fait dans le passé.
    Pour autant, je me demande si, au cas où nous décidions d'y aller, notre mission serait essentiellement symbolique, pour bien montrer que les Canadiens s'intéressent à la question, ou bien si nous serions censés rassembler des preuves, ce qui, à mon avis, serait beaucoup plus complexe. En fait, j'aimerais savoir si vous avez un plan d'action en tête qui nous faciliterait la tâche.

  (1335)  

    Ce serait les deux à la fois. Votre mission serait symbolique en ce sens que la présence d'une délégation chargée de faire une étude aurait immédiatement pour conséquence de diminuer le nombre des agressions. À part cela, je suis sûr qu'une fois aux Philippines, vous aurez plus facilement accès aux informations, pas seulement sur TVI mais aussi sur les autres entreprises minières canadiennes, car elles sont implantées dans toutes les régions du pays. Si on vous en donne l'autorisation, vous pourrez également vous rendre dans les collectivités voisines, et à mon avis, c'est très important. Je peux vous parler de bien des choses ici, mais ce sont ces populations qui comptent avant tout.
    Je suis sûr que vous craignez qu'on ne vous impose un programme ou un itinéraire. Je crois que votre sous-comité a une certaine latitude. J'ajouterai que des groupes catholiques ou protestants des Philippines seraient très heureux de...
    Je suis désolé encore une fois de devoir vous interrompre.
    En fait, vous ne le pouvez pas car votre temps est écoulé.
    Je suis désolé, mais je suis sûr que des groupes ecclésiastiques seraient prêts à vous préparer un itinéraire.
    Merci.
    Monsieur Albrecht, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Colmenares, de comparaître devant notre comité.
    Permettez-moi de dire tout d'abord que votre témoignage sur les enfants innocents qui sont assassinés, délibérément ou par hasard, m'a beaucoup troublé, surtout quand vous avez dit que la police n'était pas intéressée à faire enquête ou à poursuivre les responsables de ces meurtres.
    J'aimerais m'attarder sur deux questions, la réalité politique et la réalité religieuse. Vous avez dit que vous faisiez partie de la coalition actuellement au pouvoir, et je suppose donc que votre parti n’est pas victime d'oppression flagrante. Est-ce que je me trompe?
    Deuxièmement, s'agissant de liberté religieuse, notre gouvernement n'hésite pas à faire la promotion de la liberté de religion non seulement au Canada mais aussi à l'étranger, ce qui comprend le droit de quiconque de changer de religion ou de se convertir. À cet égard, la situation aux Philippines s’est-elle améliorée, ou bien avez-vous observé une intensification de la répression, surtout à l'approche des élections de 2013?
    C'est un sujet particulièrement déprimant, car on sait qu'à l'époque d’Arroyo, beaucoup de représentants religieux ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires, mais malheureusement, ça continue encore aujourd'hui.
    Ça continue?
    Oui. Sur les 114 victimes d'exécutions extrajudiciaires, cinq appartenaient à diverses confessions. Les représentants religieux ont tendance à parler au nom de leurs membres, mais les pouvoirs publics et les militaires n'aiment pas beaucoup ce militantisme de la part des groupes religieux.
    À l'heure actuelle, aux Philippines, l'Église catholique et l'Église protestante sont très opposées aux opérations minières qui s'y déroulent. C'est sans doute ce qui a aussi suscité la colère de certains éléments qui agressent et harcèlent les membres de ces églises.
    Pour en revenir à la réalité politique, est-ce que votre parti est dans leur ligne de mire?
    Je dois reconnaître que notre parti, dont 157 membres ont été assassinés à l'époque d’Arroyo, n’est plus directement la cible d'exécutions extrajudiciaires, mais que le harcèlement de nos membres dans les provinces se poursuit. Des cas de harcèlement contre des dignitaires parlementaires comme moi sont actuellement devant les tribunaux.
    Monsieur Colmenares, vous nous avez dit que toute inquiétude exprimée par la communauté internationale avait des effets salutaires, qu'elle s'exprime sous forme de déclaration ou de lettre, et vous nous avez raconté ce qui vous est arrivé quand vous étiez en prison. Nous sommes bien sûr prêts à continuer à faire ce genre de choses. Y en a-t-il d'autres que vous aimeriez nous recommander, outre une mission d'étude aux Philippines par notre comité ou une délégation? Que peut faire notre comité, outre le fait d'envoyer des lettres ou d'exprimer son indignation verbalement?
    Je ne connais pas votre procédure parlementaire, mais une résolution ou un rapport exprimant votre inquiétude face à la détérioration de la situation des droits de la personne seraient certainement les bienvenus. Je suis sûr que cela aurait une incidence et que cela amènerait certaines personnes à dire aux militaires de mettre la pédale douce.
    Vous pourriez peut-être aussi demander à votre premier ministre de faire des démarches auprès du gouvernement philippin. S'il se rend un jour aux Philippines, ce serait très utile qu'il puisse exprimer son inquiétude à ce sujet. L'ambassade canadienne aux Philippines pourrait aussi décider d'examiner les allégations portées contre les entreprises minières canadiennes. Une ambassade est censée promouvoir les investissements, mais le Canada est réputé pour son respect des droits de la personne, alors vous pourriez envisager de limiter cette promotion. Un discours au Canada d'un parlementaire canadien, sur une question de privilège, aurait aussi un impact. En revanche, pour ce qui est de la mission d'étude, il serait sans doute plus efficace de la faire aux Philippines.

  (1340)  

    Bien, merci.
    Merci.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai eu le plaisir d'entendre le discours que le représentant Colmenares a prononcé à une rencontre hier, à Montréal. Je ne sais pas si tout le monde se rend compte que nous sommes en présence d'un véritable héros. C'est une chose de critiquer, mais c’en est une autre de le faire à ses propres risques, et c'est pourtant ce qu'il fait. Son parti est à l'avant-garde de la lutte contre la corruption, du harcèlement et de l'impunité. Ce qu'il fait est tout simplement héroïque, et je tiens à lui dire combien je me réjouis de sa présence parmi nous.
    Hier, il a expliqué pourquoi il est important que nous envoyions une délégation aux Philippines, et l'impact que cela aurait. Je suis d'accord avec lui. Par ailleurs, le Révérend Fryday nous a parlé de la pétition qu'il est en train d'organiser; il a demandé aux députés de tous les partis de déposer des pétitions en Chambre au sujet de ce qui se passe aux Philippines.
    J'aimerais aborder une autre question. Vous avez décrit, hier et à nouveau aujourd'hui, comment se perpétraient les exécutions extrajudiciaires et les disparitions, forcées et involontaires, et vous nous avez parlé de la culture de l'impunité. J'ai quelques questions à vous poser à ce sujet.
    Le recours en habeas data promulgué par la Cour suprême des Philippines en faveur des victimes a-t-il eu un impact? Combien de demandes ont-elles été déposées? Ont-elles abouti?
    Une requête avait été faite pour que le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires se rende aux Philippines. Où en est cette invitation? Je sais qu'elle a été faite au moment de l'examen périodique universel et que certains États l'ont appuyée, mais où en sommes-nous?
    Merci.
    Le recours en habeas data, un nouveau mécanisme juridique, a été utilisé par la Cour suprême précisément pour endiguer la vague d'exécutions judiciaires aux Philippines. Notre principale organisation de défense des droits de la personne aux Philippines, l'Union nationale des avocats du peuple, a appuyé l'initiative de la Cour suprême à cet égard, et nous avons eu quelques victoires au début. En fait, les deux premières causes présentées par des avocats des droits de la personne, peu après la promulgation en 2007 du recours en habeas data, ont été des victoires. Les personnes disparues ont été retrouvées par les militaires.
    Malheureusement, les militaires ont ensuite commencé à chercher des façons de contourner le recours en habeas data, et je suis forcé de reconnaître que, à cause de l'ignorance et de la corruption probable des juges de première instance, le recours en habeas data, qui est très semblable au recours en habeas corpus, ne donne plus beaucoup de résultats. C'est tout à fait regrettable.
    S'agissant des Nations Unies, je sais que plusieurs rapporteurs spéciaux ont fait des suggestions, non seulement ceux du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, mais aussi d'autres rapporteurs de comités sur les droits des populations autochtones, des femmes et des enfants. Toutefois, que je sache, le gouvernement des Philippines n'a toujours pas lancé d'invitation officielle, et les Nations Unies ne peuvent bien sûr pas s'y présenter tant qu'elles n'y ont pas été invitées par le gouvernement philippin.
    Il serait bon qu'il y ait une action concertée des Nations Unies ou de certains pays, mais pour le mouvement, du côté des Nations Unies, ça ne bouge pas beaucoup. C'est la raison pour laquelle des missions conduites par d'autres pays sont peut-être davantage envisageables car elles sont, d'une certaine façon, moins réglementées que celles des Nations Unies.

  (1345)  

    Il vous reste un peu de temps, monsieur Cotler.
    Pensez-vous qu'il serait utile que notre comité appuie une visite du groupe de travail onusien, afin d'amener le gouvernement philippin à réagir favorablement et à recevoir cette délégation? Est-ce que ça serait utile?
    Pourquoi pas? En fait, je pense que cela aiderait à souligner le fait que, si nous agissons avec transparence, nous n'avons rien à redouter d'une mission d'enquête onusienne.
    J'ignore si cela se traduira par une réponse positive de la part du gouvernement, parce qu'il sait que les instances onusiennes s'intéressent à tous les aspects de la question des droits de la personne. Une mission d'étude canadienne, elle, s'intéresserait, au rôle des entreprises canadiennes, mais une commission onusienne examinerait bien d'autres aspects, et je suis donc loin d'être sûr que le gouvernement philippin s'empressera d'accéder à la demande. Mais pour en revenir à votre suggestion, ça ne peut pas, à mon avis, ne pas améliorer les choses.
    Je ne proposais pas ça en remplacement de notre mission d'étude, mais en plus.
    Ce serait certainement très utile, monsieur Cotler.
    Merci.
    Madame Grewal, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Colmenares.
    C'est un honneur pour nous d'accueillir un représentant du parti Bayan Muna, des Philippines.
    Votre parti s'emploie à améliorer la qualité de vie de tous les Philippins en favorisant l'instauration d'un gouvernement très représentatif et en luttant contre la corruption au gouvernement. Je suis profondément déçue d'apprendre que votre parti et ses membres continuent d'être la cible de violentes agressions, d'assassinats et d'arrestations arbitraires.
    Étant donné que les prochaines élections aux Philippines doivent avoir lieu en 2013, j'aimerais savoir si cette violence va avoir un impact sur votre parti. Ceux qui auraient normalement voté pour vous vont-ils craindre de devenir des cibles? Et ceux qui envisageaient d'être candidats pour votre parti? Sur un plan plus personnel, comment faites-vous pour collaborer avec un gouvernement qui semble aussi hostile à votre parti?
    Je vous laisse répondre.
    L'assassinat de 157 de nos membres aux dernières élections a eu un impact considérable sur notre parti. C'est uniquement grâce à l'appui indéfectible de nos électeurs et au peuple philippin que notre parti, le Bayan Muna, a survécu à toutes ces violences. Non seulement nous avons survécu, mais nous avons réussi à faire élire plusieurs membres à la Chambre.
    À l'heure actuelle, nous ne vivons plus dans un climat aussi violent que l'assassinat de 157 personnes, mais nous avons quand même dû saisir les tribunaux de plusieurs cas de harcèlement. Un membre a été tué l'an dernier. Ce n'est plus la même chose, mais la volonté existe toujours, c'est clair, de faire peur à nos membres et à nos électeurs. Cela a un impact considérable, mais il faut bien faire des choix dans la vie. Un grand nombre de nos électeurs ont choisi de nous appuyer et de voter pour nous.
    Est-ce que cela a un impact sur nos futurs membres? À n'en pas douter. En fait, au risque de faire preuve d'arrogance, je dirai que, s'il n'y avait pas eu toutes ces agressions, nous aurions recueilli davantage de voix aux élections. Je suppose que c'est le prix à payer quand on veut continuer de dénoncer, comme le fait le parti Bayan Muna, les atrocités et les violations des droits de la personne commises par les militaires.
    Personnellement, je milite en faveur des droits de la personne depuis l'école secondaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le gouvernement Marcos nous a arrêtés — j'avais alors 18 ans —, et les quatre années de prison qui ont suivi, pendant lesquelles j'ai été torturé, m'ont en fait complètement écoeuré de la politique. Quand j'ai retrouvé la liberté, je pensais ne plus jamais recommencer à militer, mais comme je ne cesse de le rappeler dans toutes mes conférences, il y a des gens qui continuent de mourir, pas seulement sous les balles des assassins, mais de pauvreté. C'est sans doute la raison pour laquelle tant de Philippins partent s'installer dans des pays comme le Canada, pour échapper à la pauvreté. C'est quelque chose qui ne devrait pas exister dans une société.
    Personnellement, j'ai finalement décidé de continuer à militer. Est-ce que j'ai peur des menaces qui pèsent sur nous? Bien sûr. Nul ne peut prétendre avoir le courage de supporter n'importe quoi, et je ne le prétends pas, mais je crois qu'il y a des moments dans la vie où il faut faire des choix, et j'en assume les conséquences.

  (1350)  

    Notre comité a entendu le témoignage de l'évêque Marigza, qui représentait l'Église unie du Christ aux Philippines. Il nous a dit que des ecclésiastiques, des dirigeants et, bien sûr, de simples paroissiens avaient été victimes d'exécutions extrajudiciaires, et que ces exécutions se poursuivaient, au rythme moyen de près d'une par semaine.
    Il y a également eu un incident en 2008, lorsque des rebelles musulmans ont expulsé de force des familles chrétiennes de leurs fermes, dans le sud des Philippines. Les rebelles, des membres du Front Moro islamique de libération, étaient armés jusqu'aux dents et prétendaient que les terres appartenaient aux musulmans.
    Ce mois-ci, le gouvernement a signé un accord de paix avec l'ancien groupe, si bien que le Front Moro islamique de libération va pouvoir créer un territoire autonome dans cette région du sud, où les musulmans sont majoritaires. Étant donné que les chrétiens sont déjà persécutés dans le sud en général, pensez-vous que cet accord va menacer encore davantage leurs droits et leurs moyens de subsistance?
    La guérilla n'a jamais cessé à Mindanao depuis l'implantation des mines et, en fait, depuis les années 1960. C'est le peuple Moro qui revendique le droit à l'autodétermination, sous prétexte — et je suis assez d'accord avec eux — qu'il a longtemps été victime de discrimination de la part du gouvernement central.
    Nous allons devoir examiner de plus près l'accord de paix qui a récemment été signé entre le gouvernement et le Front Moro islamique de libération, afin de voir s'il donne véritablement au peuple Moro le droit à l'autodétermination ou bien s'il s'agit d'un accord de plus, conclu entre deux groupes, mais qui n'a aucune signification.
    Le parti Bayan Muna a toujours appuyé vivement les efforts visant à conclure la paix. Je suis convaincu que l'instauration d'une paix véritable dans notre pays contribuerait grandement à atténuer la pauvreté, à condition bien sûr que l'entente signée soit authentique et durable, et fondée sur la justice. Nous sommes prêts à encourager tous les efforts visant à l'instauration de la paix, même si cet objectif semble difficile à atteindre.
    Monsieur le président, me reste-t-il du temps?
    Malheureusement non.
    Nous allons maintenant passer à la dernière ronde de questions. M. Marston et M. Jacob se sont entendus pour partager leur temps, et je vais donner d'abord la parole à M. Marston.
    Tout d'abord, permettez-moi de réparer mon oubli de tout à l'heure et de vous dire combien je respecte l'homme que vous êtes et les risques que vous prenez. Vous nous l'avez bien démontré.
    Je reconnais que les lettres et interventions provenant d'un gouvernement ou de comités contribuent à stigmatiser les activités d'un autre gouvernement, et qu'elles ont vraiment un impact positif.
    Je pense toutefois qu'il y a une petite confusion entre une mission d'étude et une enquête. Pour faire véritablement une enquête sur le terrain, il faut, je crois, un rapporteur ou un autre représentant de l'ONU, si l'on veut vraiment aller au fond des choses. Par ailleurs, il me semble qu'une mission d'étude par notre comité serait pertinente, car ce serait davantage une initiative symbolique qu'une enquête concrète. Certes, nous ne pourrions pas faire enquête sur les entreprises canadiennes. Notre rôle serait de prendre acte de la situation des droits de la personne aux Philippines. Le rôle des entreprises canadiennes pourrait en faire partie, mais nous pourrons le décider sur place.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Je crois que c'est plutôt avec une mission d'étude qu'on a le plus de chances d'aboutir à quelque chose.

  (1355)  

    Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous. En fait, le mandat de la mission d'étude serait d'examiner la situation des droits de la personne, et le comité déterminera là où il veut aller. Nous serions tout à fait favorables à ce genre de mission, car ça aurait un impact considérable, j'en suis sûr.
    Merci.
    Monsieur Jacob.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Colmenares, de venir témoigner devant nous cet après-midi au sujet de ce qui se passe dans votre pays.
    Vous avez parrainé un projet de loi visant à criminaliser les disparitions forcées aux Philippines, soit la Loi définissant et punissant le crime lié aux disparitions forcées ou involontaires et à d'autres fins.
    Au cours de l'Examen périodique universel des Philippines, le Canada a recommandé que les Philippines promulguent la version de ce projet de loi qui avait été adopté par le Sénat philippin.
    Vous avez commencé à nous dire pourquoi cette loi était devenue nécessaire. J'aimerais que vous complétiez cette explication et que vous nous disiez s'il existe une différence importante entre le projet de loi que vous avez parrainé devant la Chambre des représentants et celui qui a été adopté par le Sénat.

[Traduction]

    Nous avons en effet parrainé un projet de loi sur les disparitions forcées. On gagne parfois de petites batailles, et c'est réconfortant. Le congrès philippin a récemment adopté un projet de loi sur les disparitions forcées, qui est très semblable au texte que nous avions proposé. Nous avons donc maintenant une loi qui pénalise les disparitions forcées.

[Français]

    Est-ce que ce projet de loi fait partie d'une stratégie ayant une plus grande envergure visant à lutter contre les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées?

[Traduction]

    Oui, monsieur le président, il s'inscrit dans notre stratégie globale de lutte contre les violations des droits de la personne. Nous présentons des projets de loi, nous organisons des forums et prenons toutes sortes d'initiatives dans ce sens.

[Français]

    Merci.
    Vous avez rappelé brièvement que des défenseurs des droits de la personne ont déjà critiqué dans le passé le comportement des sociétés minières canadiennes présentes aux Philippines. Pouvez-vous préciser davantage le comportement des sociétés minières canadiennes? Se comportent-elles de manière responsable? Suscitent-elles chez vous des inquiétudes au chapitre des droits de la personne? J'aimerais avoir plus de précisions à ce sujet.

[Traduction]

    En effet, des sociétés minières canadiennes ont été accusées d'avoir été partie à des violences, mais elles ne sont pas les seules, d'autres grandes sociétés minières l'ont été aussi. Elles ont été accusées d'avoir eu recours à des groupes paramilitaires, et, de ce fait, d'avoir été partie aux violations des droits de la personne auxquelles ces groupes se livrent inévitablement.

  (1400)  

[Français]

    Me reste-t-il encore un peu de temps, monsieur le président?
    Oui, il vous reste une minute.
    À votre avis, des mesures pourraient-elles être prises par le gouvernement du Canada? Pourrait-il avoir une influence positive relativement au respect des droits de la personne aux Philippines? Autrement dit, le Canada peut-il faire quelque chose de particulier en vue d'améliorer les mécanismes de reddition de comptes imposés aux militaires et aux paramilitaires ainsi qu'aux milices privées?

[Traduction]

    Oui, et je vous remercie de votre question.
    Le Canada est universellement réputé pour son respect des droits de la personne. Nous savons que c'est un dossier qui transcende les frontières, et la création par le gouvernement canadien d'une mission d'étude canadienne aurait un impact considérable sur la vie de la population philippine et des victimes de violations des droits de la personne.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Jacob.

[Traduction]

    Monsieur Sweet a demandé à poser d'autres questions, et je vais donc lui redonner la parole.
    Je vous remercie, monsieur le président et chers collègues, de votre indulgence. Ce que je veux dire est important.
    J'ai l'Examen périodique universel devant les yeux, le plus récent, qui date de juillet 2012. Le précédent remontait à cinq ans, je crois. On y lit des choses qui vont à l'encontre de ce que vous avez dit, notamment dans la liste des 128 points vignettes. Je vais vous en citer deux et vous demander ce que vous en pensez.
    Le premier est le numéro 80, où on lit:
Les Philippines étaient satisfaites de voir que les États membres ainsi que les États qui jouissaient du statut d'observateur au Conseil des droits de l'homme reconnaissaient qu'elles avaient intensifié leurs efforts pour résoudre des problèmes aussi complexes que ceux des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et de la torture. La chef de la délégation a donné l'assurance que les Philippines considéraient ces affaires comme des dossiers prioritaires et les traitaient toutes dans le cadre de leur système de justice pénale...

    Le deuxième est le numéro 22:
L'action concertée interinstitutions s'est traduite par une diminution spectaculaire des incidents signalés d'exécution extrajudiciaire et de torture aux Philippines. La cellule Usig, unité spéciale relevant de la police nationale, ainsi que des acteurs indépendants et des partenaires internationaux ont pu vérifier que le nombre des cas d'exécution extrajudiciaire avait manifestement diminué.

    Le contestez-vous, monsieur Colmenares?
    Oui, merci.
    La meilleure preuve en est que, par exemple, il a fallu interroger inlassablement l'armée et le gouvernement pour obtenir l'identité des deux militaires inculpés dans l'assassinat de Benjamin Bayles. En fait, malgré des assignations à comparaître, le gouvernement a même refusé de se présenter devant le tribunal. À mes yeux, cela prouve clairement qu'il ne cherche pas à mettre fin à la corruption. La situation va perdurer tant que les crimes resteront impunis. Aucune escouade de la mort n'a été démantelée. Les auteurs du rapport n'ont pas demandé au gouvernement philippin ni même à l'ambassade des Philippines combien de poursuites avaient été intentées et avaient donné lieu à des mises en accusation. Je suis sûr que la réponse aurait été très succincte.
    Je sais que le gouvernement fait toujours ce genre d'affirmations aux rapporteurs de l'ONU, mais elles sont démenties par le nombre de poursuites et de mises en accusation, sans parler de l'accueil qu'il réserve aux rapporteurs. Or, quand on n'a rien à cacher, on devrait être disposé à ouvrir grand ses portes.
    Je ne me souviens plus de l'autre point vignette.
    C'est celui où le gouvernement philippin remercie les pays qui ont participé à l'Examen périodique universel de reconnaître que le nombre d'exécutions extrajudiciaires a diminué, mais vous prétendez le contraire.
    Oui.
    Même si les 114 exécutions extrajudiciaires rapportées récemment par le Karapatan, l'une des plus grandes organisations de défense des droits de la personne aux Philippines, représentent une diminution par rapport aux 1 200 qui ont été recensées à l'époque d'Arroyo, il n'en demeure pas moins, comme je l'ai dit tout à l'heure, que c'est encore trop. Un seul assassinat c'est encore trop. Le gouvernement ne peut pas se contenter de dire qu'il n'y a plus que 114 assassinats alors qu'il y en avait 1 200 avant. Il aurait fallu pouvoir sauver la vie de Jordan, et aussi celle de Merlyn Bermas, qui a été assassinée parce qu'elle exerçait son droit constitutionnel de réparer un tort. Les exécutions continuent. Même si le gouvernement fait des comparaisons statistiques positives, il n'en demeure pas moins que les assassinats continuent, et c'est très inquiétant.
    Je suis tout à fait d'accord, monsieur Colmenares.
    Merci beaucoup, monsieur le président et chers collègues.
    Merci.
    Avec l'indulgence du comité, je vais poser une dernière question sur le même sujet, avant de mettre un terme à cette réunion.
    Si l'on compare le nombre d'exécutions judiciaires des années passées à celui de l'époque actuelle, on constate une diminution. Ça ne signifie pas pour autant que ce chiffre tend vers zéro. J'ai l'impression que, pour vous, ce chiffre ne sera jamais ramené à zéro et qu'on s'en va vers un nouveau statu quo qui, s'il n'est certes pas aussi inquiétant que dans le passé, ne s'améliorera probablement pas si on ne fait rien d'autre.

  (1405)  

    Oui. En fait, j'ai parlé tout à l'heure de détérioration de la situation.
    Lors de votre réunion précédente, la délégation a mentionné 68 cas d'exécution extrajudiciaire en avril 2012. Nous sommes presque en novembre et le chiffre a quasiment doublé, puisqu'il atteint 114. C'est sûr que c'est moins que les 1 200 victimes recensées pendant les neuf années de la présidence d'Arroyo.
    De plus, le gouvernement n'a pas réussi à démanteler les escouades de la mort, si bien qu'elles peuvent être réactivées du jour au lendemain. Et la situation peut se détériorer d'un seul coup, selon le bon plaisir des assassins. C'est surtout ça qui est dangereux. Quand la communauté internationale s'indigne, elles se font discrètes, mais ensuite, elles ne tardent pas à se réveiller.
    Il faut que notre gouvernement trouve une solution pérenne à ce problème.
    Merci. C'était très instructif.
    Je vous remercie d'avoir témoigné devant notre comité. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris la peine de vous être déplacé pour venir nous parler de toutes ces questions. Nous apprécions surtout, à l'instar sans doute de tous vos électeurs, de l'énergie que vous apportez à la défense de leurs vies et de leurs intérêts.
    Sur ce, chers collègues, je lève la séance.
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