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PROC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre


NUMÉRO 113 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 7 juin 2018

[Enregistrement électronique]

  (1005)  

[Traduction]

    Bienvenue à la 113e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
     Nous poursuivons ce matin notre étude du projet de loi C-76, Loi modifiant la loi électorale du Canada et d'autres lois et apportant des modifications corrélatives à d'autres textes législatifs.
    Nous sommes heureux d'accueillir M. Leslie Seidle, directeur de recherche à l'Institut de recherche en politiques publiques; M. Nicolas Lavallée, conseiller stratégique de l'organisme Citoyenneté jeunesse, ainsi que M. Michael Morden, directeur de recherche au Centre Samara pour la démocratie.
    Nous vous remercions d'être des nôtres aujourd'hui.
    Sans plus attendre, j'invite M. Seidle à nous présenter ses remarques préliminaires.
    Je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur le président, messieurs, mesdames, de me donner la possibilité de me présenter devant vous aujourd'hui.
    Le projet de loi à l'étude est énorme, mais mon exposé portera essentiellement sur les dispositions qui limitent les dépenses des tiers pendant et avant la période électorale officielle. C'est un domaine auquel je m'intéresse depuis longtemps et, récemment, j'ai produit un rapport sur des recherches comparatives approfondies. Il s'agit aussi de l'une des principales questions qu'a abordées au début des années 1990 la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, souvent appelée la Commission Lortie, dont, j'étais le coordonnateur principal des recherches.
    Je commencerai par l'instauration de plafonds aux dépenses des tiers pendant la période électorale.
    À l'heure actuelle, le plafond des dépenses publicitaires des tiers à l'échelle nationale est fixé à 214 350 $, dont pas plus de 4 287 $ peuvent être dépensés dans une circonscription électorale donnée. Le projet de loi C-76 augmentera le plafond des dépenses des tiers, sous réserve d'une limite, pour ajouter les dépenses pour les activités partisanes et les dépenses pour les sondages électoraux aux dépenses publicitaires autorisées depuis 2000. Par conséquent, les plafonds ont été considérablement relevés. C'est l'un des constats du document d'information qui accompagnait le dépôt du projet de loi. Le nouveau plafond national pour les dépenses des tiers est estimé à 500 000 $ pour 2019. Le niveau stipulé dans le projet de loi, soit 350 000 $, sera rajusté en fonction de l'inflation à compter de 2000, et non d'aujourd'hui. À mon avis, il est raisonnable de relever les plafonds imposés aux tiers dans la mesure où les activités supplémentaires — les sondages, par exemple — sont associées à leur publicité électorale, ou la soutiennent. Le niveau des nouveaux plafonds me semble aussi raisonnable.
    Une modification corollaire limite la période électorale à 50 jours. Pour les partis politiques et les candidats, cela signifiera qu'une augmentation proportionnelle des plafonds imposés aux tiers ne sera plus possible. Je soutiens cette initiative. La disposition relative aux plafonds proportionnels adoptée par le gouvernement précédent découle d'une politique publique assez curieuse, et son abrogation est une très bonne chose, pas seulement pour les tiers, mais aussi pour les partis et leurs candidats, bien entendu.
    J'en viens maintenant aux nouveaux plafonds des dépenses des tiers pendant la période préélectorale.
     Avant de livrer mes commentaires sur la portée et le niveau de ces plafonds, j'aimerais dire quelques mots sur la raison d'être de cette mesure et sur l'expérience d'autres pays.
    Afin d'établir des règles du jeu équitables, le gouvernement a décidé que ces plafonds devraient être appliqués en période préélectorale. Vous serez certainement d'accord avec moi que c'est conforme à la longue expérience du Canada en ce qui concerne le plafonnement des dépenses électorales des partis et des candidats depuis 1974, qui fait largement consensus au sein de la population. Les nouveaux plafonds s'appliqueront à partir du 30 juin d'une année électorale, de même que ceux visant les dépenses des candidats et des partis. Ils couvriront donc une période de presque quatre mois.
     Comme les députés le savent, une opinion assez répandue veut que, pour être efficaces, les plafonds imposés aux partis et aux candidats doivent se conjuguer à l'imposition de limites aux dépenses des tiers. Ces mesures sont perçues comme étant complémentaires et, en un sens, comme se renforçant mutuellement. En effet, la Cour suprême du Canada, dans sa décision Harper de 2004, a déclaré qu'un plafonnement des dépenses électorales des tiers est nécessaire pour protéger l'intégrité du régime de financement applicable aux candidats et aux partis. Si un plafonnement des dépenses des partis et des candidats est mis en place pendant la période préélectorale, il s'ensuit que les dépenses des tiers, ou du moins certains aspects de ces dépenses, devraient également être soumises à des limites. Autrement, on irait à l'encontre du principe de connexité ou de complémentarité qui s'applique pendant la période électorale.
    D'autres pays ont pris des mesures semblables. Au Royaume-Uni, le plafonnement des dépenses des partis, des candidats et des tiers en période préélectorale a été mis en place en 2000. Les plafonds s'appliquent pendant une assez longue période, soit un an plus ou moins quelques jours, selon la date choisie pour le vote. En 2016, l'Ontario a instauré des plafonds en période préélectorale pour les trois entités. Ils ont pris effet six mois avant l'émission du bref électoral annonçant l'élection générale qui s'est terminée aujourd'hui. La période prévue au projet de loi C-76 est quand même un peu plus courte, soit près de quatre mois. C'est à mon avis tout à fait raisonnable.
    Pour ce qui est de leur champ d'application, ces nouveaux plafonds des dépenses viseront les activités partisanes, la publicité partisane et les sondages électoraux. Bien que leur champ d'application semble comparable à celui des plafonds des dépenses des tiers en période électorale, il faut noter une différence importante.
     Contrairement à la publicité électorale, la définition de publicité partisane ne comprend pas les messages publicitaires qui prennent position sur une question à laquelle est associé un parti ou un candidat. J'ai inclus les deux définitions en annexe de la version écrite de mon exposé. Cela signifie que si un tiers commandite une publicité sur une importante question de politique publique, mais que le message ne favorise ni ne contrecarre un parti enregistré ou un candidat, le coût de cette publicité ne compte pas dans le calcul des dépenses préélectorales du tiers en question.
     Je vais donner deux exemples de messages publicitaires que pourrait commanditer un tiers pour illustrer ce point. Le message A pourrait être « La marijuana peut nuire à la santé de vos enfants. Ne votez pas pour les libéraux », et le message B « La légalisation de la marijuana par le gouvernement libéral de M. Trudeau peut nuire à la santé de vos enfants ».
     Selon mon interprétation du projet de loi C-76, les dépenses de publicité du tiers pour le message A seraient soumises à une limite. En revanche, les dépenses pour le message B, « La légalisation de la marijuana par le gouvernement libéral de M. Trudeau peut nuire à la santé de vos enfants », ne le seraient pas, parce qu'il n'invite ni ne dissuade les électeurs à voter pour les libéraux. C'est ce que l'on appelle souvent la « publicité thématique ».
    Le financement de ce type de message pendant la période électorale officielle compterait dans le calcul du plafond des dépenses d'un tiers. La politique diffère selon que ce plafond est imposé pendant la période préélectorale ou la période électorale.
    Mon dernier sujet a trait au niveau des dépenses autorisées.
    Les plafonds des tiers pendant la période préélectorale sont estimés à environ 1 million de dollars à l'échelle nationale, et à 10 000 $ dans une circonscription électorale donnée. Le plafond national des dépenses des tiers sera donc deux fois celui des dépenses électorales et correspondra aux deux tiers de ce que les partis politiques enregistrés seront autorisés à dépenser en période préélectorale, soit environ 1,5 million de dollars.
     De surcroît, à la lumière des différences dans les définitions de dépenses de publicité que je viens d'expliquer, les plafonds des tiers pendant la période préélectorale portent sur une gamme d'activités plus restreinte que les plafonds pendant la période électorale. Les dépenses liées à la publicité thématique ne seraient donc pas assujetties aux plafonds. Je ne suis pas convaincu qu'il faille en période préélectorale appliquer des plafonds de dépenses aussi généreux pour les tiers.

  (1010)  

    Je vous remercie.
    Je donne maintenant la parole à M. Lavallée.

[Français]

     Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, chers membres du comité, bonjour.
    Je me présente. Je m'appelle Nicolas Lavallée. Je suis conseiller stratégique à Citoyenneté jeunesse. Citoyenneté jeunesse était anciennement connue sous le nom de la Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec, vocable sous lequel nous avons témoigné devant ce même comité au printemps 2014.
    Les forums jeunesse régionaux ont notamment le mandat de favoriser la participation citoyenne des jeunes et d'exercer un rôle-conseil en matière de jeunesse. Ces forums jeunesse sont financés pour divers projets par le Secrétariat à la jeunesse du Québec, le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion du Québec. Pour ce qui est des élections provinciales et municipales, nous avons également eu divers partenariats financiers, notamment avec Élections Québec.
    Nous collaborons également avec Élections Québec à déployer une simulation électorale sur le territoire québécois, nommée « Électeurs en herbe », qui a d'ailleurs été mise sur pied par l'un de nos membres, le Forum jeunesse de l'île de Montréal. Les forums jeunesse mènent des actions toute l'année pour augmenter, chez les jeunes, l'intérêt envers la politique ainsi que le sentiment de compétence. Par exemple, nous offrons des activités et des ateliers pour les jeunes sur la politique. En période électorale, nous allons à la rencontre des jeunes électeurs sur le terrain, afin de les inciter à exercer leur droit de vote et de les informer des différentes modalités de vote.
    Je vais vous parler un peu d'éducation à la citoyenneté et de son impact sur le vote des jeunes.
    Aux dernières élections fédérales, seulement 57,1 % des jeunes Canadiens de 18 à 24 ans ont voté, et seulement 57,4 % des jeunes Canadiens de 25 à 35 ans ont voté. Cela constitue un retard d'un peu plus de 10 points de pourcentage par rapport au taux de participation électorale à la même élection, soit 68,3 %. Il est donc primordial de travailler à faire voter les jeunes, puisque les études démontrent qu'un jeune qui vote dès qu'il a le droit de le faire a de fortes chances de conserver cette habitude tout au long de sa vie. Travailler à faire voter les jeunes, finalement, c'est travailler à faire voter toute la population.
    Pourquoi les jeunes s'abstiennent-ils de voter? Il y a deux types de facteurs. Principalement, ce sont les facteurs motivationnels, comme l'intérêt pour la politique et les connaissances, et les facteurs d'accès au vote, comme l'inscription sur des listes, l'absence de pièces d'identité ou l'ignorance des modalités de vote. L'Enquête nationale auprès des jeunes de 2015, qui mesurait le poids relatif de tous les facteurs dans la décision de voter, a d'ailleurs conclu qu'autant les obstacles motivationnels que les obstacles d'accès étaient en cause.
    On doit mener des actions d'éducation à la citoyenneté, parce que ces actions sont efficaces. À l'automne 2016, Élections Canada a d'ailleurs commandé une évaluation externe du programme Vote étudiant. L'étude montre que le programme Vote étudiant a une incidence positive sur les nombreux facteurs associés à la participation électorale. Le programme augmente notamment les connaissances de la politique et l'intérêt pour celle-ci et fait également augmenter la perception que le vote est une responsabilité civique.
    Or, si ces campagnes sont bonnes pour les jeunes d'âge scolaire primaire et secondaire, elles le sont bien évidemment pour les jeunes ayant nouvellement le droit de vote. C'est précisément le groupe d'âge ayant besoin de davantage d'informations et d'éducation populaire. Nous sommes donc très enthousiastes de voir que le projet de loi C-76 propose de permettre à nouveau à Élections Canada et au directeur général des élections d'agir en toute indépendance, à la fois sur les facteurs motivationnels du vote et sur les facteurs d'accès au vote. Les campagnes « grand public » de promotion du vote jouent également un rôle important et contribuent à la création d'une saine pression sociale en faveur du vote.
    Grâce à la recherche, on sait également que les gens sont sensibles à leur entourage quand vient le temps de décider de voter. Les jeunes sont particulièrement sensibles à cette influence de leur famille, de leurs pairs ou de la société. D'ailleurs, à la suite des élections générales de 2014 au Québec, Élections Québec a fait évaluer ses propres campagnes de promotion de vote, et 75 % de la population à l'étude avaient pris connaissance de ces publicités.
    Finalement, voici quelques recommandations.
    Nous croyons qu'il est possible et souhaitable de travailler à nouveau à la fois sur les obstacles motivationnels et les obstacles d'accès au vote.
    Premièrement, nous recommandons l'adoption de la nouvelle formulation des paragraphes 18(1) et 18(2) du projet de loi. Ainsi, le directeur général des élections retrouverait enfin sa marge de manoeuvre pour mener des campagnes axées davantage sur la motivation ou sur l'information, à son choix, en toute indépendance et, bien évidemment, sans contrainte.
    Deuxièmement, nous voyons d'un bon oeil les initiatives visant l'augmentation de la participation électorale, spécifiquement celle des jeunes. Citoyenneté jeunesse s'intéresse grandement à des mesures comme la mise sur pied d'un registre des futurs électeurs ou le prolongement des heures d'ouverture des bureaux de vote par anticipation.
    Finalement, nous demandons également que l'éducation demeure au coeur des interventions d'Élections Canada, que ce soit par des projets menés par l'organisme lui-même ou encore par le financement d'autres organisations, évidemment non partisanes et vouées à l'éducation à la citoyenneté. La valorisation du vote et de la démocratie, que ce soit par les amis, les membres de la famille, les enseignants, les pairs, et le reste, est primordiale pour éviter de voir le taux de participation des jeunes au vote tomber en chute libre.

  (1015)  

     Pour renverser la vapeur, toute la société doit s'unir et jouer un rôle, particulièrement Élections Canada, qui est l'institution en charge de l'organisation du vote, mais qui détient aussi une large expertise à ce sujet.
     J'espère sincèrement qu'il sera possible d'adopter ce projet de loi et que tous les partis pourront s'entendre pour travailler ensemble à la santé démocratique du pays.
    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Merci beaucoup. Nous apprécions votre initiative. L'engagement des jeunes nous tient beaucoup à coeur. C'est excellent.
    Nous écouterons ensuite M. Michael Morden.
    Je vous remercie, monsieur le président, de me donner cette possibilité de prendre la parole devant le Comité.
    Je m'appelle Michael Morden et je suis directeur de recherche au Centre Samara pour la démocratie. Le Centre Samara est un organisme de bienfaisance non partisan qui s'est donné pour mission de renforcer la démocratie canadienne par la recherche et l'élaboration de programmes. Nous saluons les efforts actuels pour renouveler en profondeur les lois électorales. Le projet de loi à l'étude revêt une grande importance pour la démocratie canadienne, car il touche au processus même de la démocratie. Cette mesure mérite que le Parlement lui accorde toute l'attention et tout le temps voulus, en faisant montre d'une volonté sincère d'en arriver à un consensus multipartite dans la mesure du possible.
    Étant donné l'ampleur du projet de loi, je vais me concentrer sur les éléments qui sont les plus étroitement liés aux travaux récents du Centre Samara sur la participation des électeurs et l'accessibilité du processus électoral. Pour terminer, je ferai quelques commentaires brefs sur les partis.
    En premier lieu, sur la question de l'identification des électeurs, nous suggérons de suivre le principe fondamental suivant: l'important est d'offrir un éventail le plus large et le plus souple possible de modalités d'identification. Dans les cas où l'exactitude des renseignements ou leur administration risquent de poser problème, Élections Canada devrait épuiser toutes les solutions possibles avant de renoncer à une méthode d'identification par ailleurs parfaitement envisageable et légitime. C'est pourquoi nous approuvons le rétablissement de méthodes légitimes comme le recours à un répondant ou les cartes d'information de l'électeur pour établir l'admissibilité à voter, moyennant la présentation d'une autre pièce d'identité dans ce dernier cas.
    En deuxième lieu, nous sommes favorables à l'élargissement du mandat d'éducation populaire non partisane du directeur général des élections sur la démocratie canadienne. Il pourra ainsi donner de l'information sur le processus électoral et les raisons pour lesquelles il faut voter non seulement aux élèves, mais aussi au reste de la population. Ce rôle échoit naturellement à Élections Canada, l'un des très rares organismes non partisans et suffisamment subventionnés qui s'intéressent à la démocratie canadienne. À l'instar de la plupart des autres organismes électoraux du pays, Élections Canada devrait pouvoir faire de la publicité et de l'éducation durant et entre les campagnes électorales et, en partenariat avec les organismes communautaires, contribuer à renforcer nos capacités en matière d'éducation et de compétences civiques.
    Notre troisième point a trait au vote des jeunes. Nous sommes convaincus de l'utilité d'un registre des futurs électeurs comme outil de formation et de mobilisation, mais uniquement s'il est assorti d'une programmation énergique. Selon des recherches menées dans divers pays, il semble que l'instauration et la promotion d'un mécanisme de préinscription des jeunes électeurs entraînent une hausse de la participation des 18 à 24 ans. Les résultats varient quant à l'ampleur de cette hausse, mais tous indiquent une amélioration statistiquement importante. Cependant, même si je suis conscient que votre étude porte exclusivement sur le libellé du projet de loi, je précise au passage que la question des ressources pourrait échoir à l'ordre du jour du Comité. Le projet de loi prévoit essentiellement l'établissement d'un mécanisme de préinscription, qui en soi ne fera pas une grande différence. L'expérience des autres pays nous montre en effet qu'un tel mécanisme pourra être efficace seulement s'il est soutenu par des efforts considérables de mobilisation et une promotion dynamique.
    Nous avons été ravis de constater que bon nombre des recommandations du directeur général des élections ont été prises en compte dans le projet de loi C-76. Toutefois, et je tiens à souligner cette exception, le projet de loi ne donne pas suite à la proposition de modifier la législation afin d'autoriser la tenue du scrutin la fin de semaine. Je sais que c'est un sujet dont le Comité a discuté, mais nous pensons qu'il faut y revenir. Certes, le lien entre la tenue du scrutin un jour de fin de semaine et la hausse de participation n'a pas été démontré de manière systématique, mais cette option offre d'autres avantages directs qui ont été relevés par le directeur général des élections. Notamment, il serait plus facile de recruter du personnel électoral et le choix d'emplacements pour les bureaux de scrutin serait plus vaste.
    À notre avis, la tenue d'un scrutin la fin de semaine favorisera une participation accrue si ce changement s'inscrit dans une initiative plus large, menée conjointement par l'État et la société pour faire de notre expérience électorale un événement plus social, plus festif et plus communautaire.
    Le Comité pourrait envisager de modifier la loi pour autoriser, et non imposer, la tenue du scrutin la fin de semaine. Pour commencer, la modification pourrait s'appliquer uniquement aux élections complémentaires, pour en explorer la faisabilité. Par exemple, en guise d'expérience, le Parlement pourrait tenir une élection complémentaire un samedi ou un dimanche, et décider ensuite, à partir des résultats, s'il y a lieu ou non d'étendre la modification aux élections générales.

  (1020)  

    En dernier lieu, j'aimerais dire quelques mots au sujet des partis politiques. Il nous apparaît important que le directeur général des élections puisse exiger que les partis lui remettent des reçus. Les organismes électoraux des provinces ont ce pouvoir. C'est une lacune du régime fédéral qu'il aurait fallu corriger depuis longtemps, et nous croyons que ce temps est venu. En fait, nous devrions réclamer davantage de transparence relativement aux dépenses qui sont remboursées aux partis à même les poches des contribuables.
    Merci.
    Nous vous remercions.
    J'entends la sonnerie. Les membres du Comité devront se rendre voter à 11 heures. Nous accueillerons ensuite un autre groupe de témoins.
    Je crois que le vote aura lieu avant 11 heures.
    Oui. Le vote aura lieu à 10 h 50, mais nous devrions être de retour à 11 heures.
    Il nous reste 27 minutes. Nous recevrons un autre groupe complet de témoins à 11 heures. Que pensez-vous, chers collègues...
    Deux minutes chacun?
    Vous voulez dire deux minutes de questions pour chaque parti?
    Je ne sais pas si ce sera efficace, mais nous pouvons essayer.
    Très bien. Chaque parti dispose de deux minutes.
    Monsieur Simms.
    Inutile de préciser que je serai bref.
    Monsieur Seidle, je vous remercie d'être venu à notre rencontre. Vous avez une longue expérience de ces questions, qui remonte même jusqu'à la Commission Lortie. C'est assez impressionnant. Vous êtes d'accord pour que la période électorale soit limitée à 50 jours. Parmi les critiques qui nous ont été exprimées au sujet de cette disposition se trouve son caractère un peu trop restrictif. Pourquoi ne pas conserver la même période qu'avant? La dernière période électorale a duré deux mois environ, mais elle a été beaucoup plus courte lors de l'élection précédente. Est-il vraiment raisonnable d'inscrire dans la loi — ce qui revient à imposer — que la période électorale est limitée à 50 jours?
    Peu importe qu'elle soit limitée à 50, 55 ou 49 jours. En fait, je m'oppose à la permission qui est donnée au parti au pouvoir de décider, unilatéralement, que la campagne électorale sera plus longue. Depuis 1974, nous défendons le principe de l'équité des règles. Si un parti a le pouvoir de prolonger la campagne électorale et qu'il s'avère que ses coffres sont mieux remplis que ceux de ses adversaires, alors on pourrait dire qu'il a pris une décision qui lui donne un avantage sur les autres.
    L'argent n'est pas toujours synonyme de victoire, comme l'a appris à ses dépens le parti qui a perdu en 2015 même s'il était le mieux nanti. Néanmoins, le principe de l'équité n'est pas respecté quand le gouvernement peut décider de prolonger la période électorale. Si je me souviens bien, la dernière campagne a duré un peu plus de deux mois. J'imagine que quelqu'un ici pourrait nous dire le nombre exact de jours.
    En tout cas, cela m'a paru deux ans.
    Des députés: Oh, oh!
    M. Scott Simms: En fait, là n'est pas la question.
    Cela dit, la limitation de la période préélectorale a aussi fait réagir certains observateurs. Si j'extrapole, j'imagine que vous êtes également favorable à la limitation de la période préélectorale pour que les partis les plus riches ne soient pas trop avantagés.
    Oui, effectivement. Si les dépenses préélectorales sont plafonnées, au même titre que les dépenses électorales, alors la période visée doit aussi être limitée. Comme les plafonds s'appliqueront à compter du 30 juin d'une année électorale, la durée variera de quelques jours, dépendant de la date du scrutin. C'est plus raisonnable selon moi que ce qui se fait en Ontario, qui a fixé la limite à six mois, et assurément plus qu'au Royaume-Uni. Selon une analyse du cadre législatif britannique réalisée par Lord Hodgson, beaucoup de groupes de pression et d'autres intervenants ont indiqué qu'une limite d'un an leur imposait un fardeau réglementaire beaucoup trop lourd. Le gouvernement n'a pas encore pris de décision, mais l'abrègement de la période préélectorale fait actuellement débat au Royaume-Uni.

  (1025)  

    Ai-je le temps pour une brève remarque?
    Oui.
    Je serai très bref. Je présente mes excuses aux autres témoins. Je n'ai pas le temps de vous poser des questions.
    Je vous remercie, monsieur Morden, d'être venu nous présenter le point de vue du Centre Samara. Vous avez récemment mené un sondage auprès des députés. J'en profite pour inviter tous mes collègues à y répondre. C'est très important. Merci à votre organisme pour ce travail.
    Le sondage émane du caucus multipartite sur la réforme démocratique, et c'est pourquoi nous en parlons. J'ai moi-même rempli et remis mon questionnaire.
    Blake.
    Merci.
    Monsieur Seidle, je vais commencer avec vous. J'aimerais que vous me donniez des chiffres plutôt que des justifications. Vous avez dit que les plafonds fixés aux dépenses préélectorales étaient trop généreux. Pouvez-vous nous proposer des chiffres précis?
    Je ne peux pas vous donner de chiffres précis, mais je crois que les plafonds devraient être abaissés du tiers au moins. Selon moi, il y a une incohérence entre les plafonds imposés aux partis politiques et aux tiers. Les partis politiques ont seulement 50 % plus de jeu durant la période préélectorale que les tiers.
    Merci pour votre effort de concision. Je l'apprécie.
    Vous avez tous les deux fait des remarques sur la période d'application des plafonds aux dépenses préélectorales des tiers. Monsieur Seidle, vous en avez parlé, et le représentant du Centre Samara a également commenté les plafonds imposés aux tiers. Ma question s'adressera à vous deux, en commençant par M. Morden. Dans son exposé, M. Seidle a mentionné qu'au Royaume-Uni, le plafonnement des dépenses préélectorales est en vigueur pendant un  an environ, et que cette période est de six mois en Ontario. Pour ce qui est du fédéral, l'application commence deux mois environ avant la date de l'élection.
    Si j'en juge par les observations précédentes du Centre Samara, il est clair que les dépenses effectuées durant les périodes préélectorales soulèvent des préoccupations. Vous avez même affirmé que beaucoup de tiers dépensent énormément d'argent durant cette période, mais plus rien ou à peu près rien après pour ne pas avoir à déclarer leurs dépenses durant la campagne électorale. Autrement dit, ils profitent de la période préélectorale pour déjouer les règles. Pensez-vous que cette période de deux mois est suffisante et, si ce n'est pas le cas, quelle devrait être selon vous la période d'application des plafonds aux dépenses préélectorales?
    M. Morden, puis M. Seidle.
    La réponse courte est que la fixation d'une limite est toujours un peu arbitraire. Je ne crois pas que c'est tout à fait raisonnable, mais je ne serais pas en défaveur d'un compromis qui prolongerait un peu la période préélectorale. Par exemple, la durée pourrait se situer quelque part entre celle qui est proposée dans le projet de loi et celle qui a été adoptée en Ontario.
    Merci.
    Monsieur Seidle.
    J'ai dit déjà que je suis assez d'accord avec la durée proposée dans le projet de loi. Il faut garder une chose à l'esprit: si la période d'application commence avant, elle risque d'empiéter sur la session parlementaire. C'est un problème que la Colombie-Britannique a dû prendre en compte lorsqu'elle a voulu fixer des limites il y a une dizaine d'années. En fait, il faut éviter de créer un climat de méfiance, ce qui serait inévitable si les députés peuvent faire des discours et parler aux médias alors qu'il serait interdit aux tiers de faire de la publicité directe. Je pense que les législateurs ont pris ce risque en considération dans cette partie du projet de loi.
    Désolé, mais je dois vous interrompre.
    Dans vos exemples, vous avez cité l'Ontario, où la période d'application est de six mois. Est-ce que cette limite a créé des problèmes dans cette province?
    Je n'ai jamais entendu parler de gros problèmes en Ontario. Si c'est le cas, je suis certain qu'ils ont été soulevés pendant la campagne électorale. Je n'ai pas vraiment suivi la campagne ontarienne...
    Croyez-vous que nous devrions inviter des personnes qui ont participé à l'élection en Ontario et qui pourraient nous expliquer comment cela s'est passé avant que nous prenions une décision?
    Évidemment.
    Merci.
    Monsieur Cullen.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à présenter nos excuses aux témoins. Nous n'avons pas pour habitude de bousculer les échanges sur un projet de loi aussi important pour notre démocratie.
    Monsieur Morden, vous avez souligné que le projet de loi méritait qu'on lui consacre l'attention et le temps voulus. Personne ici n'est à blâmer, mais il est certain que ce ne sera pas le cas pour le projet de loi à l'étude.
    Vous vous dites favorable à l'ensemble du projet de loi, mais il est énorme. Il fait 350 pages. Selon vous, devrions-nous traiter à part certains des éléments que vous appuyez, comme les cartes d'information des électeurs ou le recours à des répondants, et accorder le temps voulu aux aspects plus complexes comme l'intervention des tiers, la désinformation, les médias sociaux, les influences étrangères et d'autres éléments complexes qui se sont greffés au projet de loi original depuis sa présentation, il y a 18 mois?

  (1030)  

    Je crois que ce serait très logique. Idéalement, nous aurions pris certains éléments et nous aurions pris le temps... Ce que je veux dire, c'est que les différents éléments, notamment parce qu'ils ne sont pas directement interreliés, doivent être examinés isolément. Nous avons dû restreindre notre analyse précisément parce que nous n'avions pas les ressources requises pour examiner la totalité du projet de loi.
    Apparemment, nous sommes logés à la même enseigne.
    J'ai bien peur que oui, et je compatis. J'imagine que la plupart d'entre nous auraient aimé avoir plus de temps pour faire une étude rigoureuse, sans pour autant négliger l'autre objectif, c'est-à-dire être fin prêts pour les élections générales de 2019.
    Je me tourne maintenant vers vous, monsieur Seidle. Le projet de loi est très touffu, et vous avez choisi de vous concentrer sur un élément, qui soulève d'intéressantes questions sur ce qui pourra être couvert ou non — je ne parle pas d'une lacune — simple question de formulation d'une question d'un tiers. Je n'ai pas de réponse à cette question, et le gouvernement n'en a pas non plus, je crois. Pour ce qui concerne le projet de loi, il reste quelques semaines avant la clôture de la session parlementaire du printemps, et l'étude du Comité n'est pas terminée. Selon vous, que devons-nous faire pour mener à bien ce dossier d'une extrême importance?
    Je ne crois pas que le Comité ait suffisamment de temps pour étudier un projet de loi aussi énorme et complexe. Je n'ai pas commenté certains volets, par exemple l'interdiction des dépenses de tiers étrangers et la question très complexe de la lutte contre le piratage et l'ingérence dans le déroulement du vote lui-même. Ce n'est pas mon domaine d'expertise, et c'est surtout un nouveau domaine en matière de politiques publiques. J'ai consulté la liste des témoins que vous rencontrez cette semaine, et je n'y ai vu personne qui soit un spécialiste de ces questions.
    Pour répondre à votre question, je ne crois pas que le temps qui vous est imparti soit suffisant.
    Si je comprends bien, nous connaissons bien certaines parties du projet de loi — le recours à des répondants, par exemple, et le public aussi en entend parler depuis un certain temps —, mais tout un pan du projet de loi est tout à fait nouveau pour les parlementaires. Le Comité devra réfléchir à une manière d'aborder ces questions pour éviter de commettre des erreurs dans un domaine aussi sensible.
    Merci, monsieur le président. Je sais que nous devons aller voter.
    Merci.
    Pour ce qui est des questions de sécurité, nous avons accueilli les représentants du Centre de la sécurité des télécommunications cette semaine.
    Il reste 17 minutes avant le vote. Nous serons de retour aussi vite que possible et nous reprendrons les travaux à 11 heures, avec tous les membres du Comité.

    


    

  (1110)  

    Bonjour. Je vous souhaite de nouveau la bienvenue à la 113e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
    Notre second groupe de témoins sera formé de Mme Elizabeth Dubois, professeure adjointe au sein du Département de communication de l'Université d'Ottawa; de Mme Cara Zwibel, directrice du programme des libertés fondamentales de l'Association canadienne des libertés civiles, ainsi que de M. Chris Roberts, directeur national des Services des politiques sociales et économiques du Congrès du travail du Canada. Nous sommes ravis de vous accueillir.
    Nous vous remercions de nous consacrer votre temps. Je propose de faire un tour de table des témoins, en commençant par Mme Dubois.
    Très bien. Merci de m'accueillir parmi vous. Je suis heureuse de l'occasion qui m'est donnée de discuter du projet de loi C-76. Comme il a été annoncé, j'enseigne au Département de communication de l'Université d'Ottawa, et je mène des recherches sur la manière dont les gens accèdent à l'information politique et la partagent. Plus particulièrement, j'étudie le rôle des médias numériques, des plates-formes des médias sociaux et des moteurs de recherche dans ce processus. J'ai notamment cosigné un rapport avec M. Fenwick McKelvey, de l'Université Concordia, qui à ma connaissance a été le premier à traiter de l'utilisation de robots politiques au Canada. Cette recherche a été réalisée dans le cadre du projet de l'Université Oxford sur la propagande informatique.
    Je voudrais aujourd'hui attirer votre attention sur trois aspects liés au projet de loi C-76, soit les stratagèmes informatiques pour museler les électeurs, les sociétés technologiques et les sociétés plates-formes, ainsi que les politiques des partis politiques en matière de protection des renseignements personnels.
    Selon des données probantes recueillies sur des élections et des référendums tenus ailleurs dans le monde ces dernières années, des individus et des groupes ont expérimenté toutes sortes de tactiques pour automatiser leurs communications politiques avec l'électorat.
    Au nombre des techniques utilisées se trouve la création automatisée de comptes de médias sociaux, que nous appelons des robots, ou bots en anglais. Ce ne sont pas des humains, mais plutôt des comptes fictifs ou de trolls gérés par des humains, mais qui ne correspondent pas forcément à des électeurs réels. Il peut s'agir également de stratégies de publicité ciblée dans le cadre desquelles les annonces sont supprimées rapidement, et dont la trace est donc très difficile à suivre.
    Les approches informatiques et l'automatisation permettent de développer et de diffuser l'information à la vitesse de l'éclair. Elles sont utilisées pour atténuer la force d'un message ou démolir des idées. Elles offrent un moyen évident et explicite de museler les électeurs, ne serait-ce qu'en les dirigeant vers le mauvais bureau de scrutin. Il est facile d'imaginer un autre scandale des appels automatisés pilotés par des robots politiques. Ces approches peuvent aussi être employées pour perturber le vote de manière plus subtile, par exemple en créant un climat de méfiance à l'égard du système électoral ou en encourageant l'apathie politique au moyen d'assistants virtuels ou d'autres robots du genre. Il est très important de comprendre les nouvelles formes d'intelligence artificielle si nous voulons préserver l'intégrité de notre système électoral.
    Actuellement, la plupart des recherches portent sur le rôle des robots politiques dans les médias sociaux, mais nous réalisons que des applications de messagerie instantanée comme WhatsApp sont de plus en plus utilisées. En pareil contexte, il s'avère extrêmement difficile d'assurer la surveillance des stratagèmes informatiques de muselage des électeurs, de récupérer des données et, au bout du compte, de faire appliquer les lois.
    Ces activités violent manifestement l'esprit de la loi, mais elles ne sont pas explicitement encadrées. Il n'existe pas de mécanisme de prévention ou de dépistage digne de ce nom. Il serait certainement très indiqué d'inclure dans le projet de loi une obligation d'enregistrer toute utilisation de techniques automatisées, y compris le recours à de nouvelles méthodes d'intelligence artificielle pour communiquer avec l'électorat.
    Je souligne que j'ai parlé d'enregistrement, et non d'interdiction. Il ne faut pas décourager les utilisations très efficaces et tout à fait licites des méthodes automatisées de communication avec l'électorat.
    Par ailleurs, étant donné le rôle joué par les sociétés plates-formes comme celles qui administrent les principaux médias sociaux et moteurs de recherche, je crois que le projet de loi C-76 pourrait leur donner des directives plus claires. Le projet de loi interdit aux organismes de vendre sciemment des espaces de publicité électorale à des tiers étrangers, ce qui de toute évidence touchera les sociétés plates-formes, mais c'est tout. Il ne contient aucune disposition pour encadrer l'influence majeure que peuvent avoir ces sociétés sur l'application des nombreuses facettes des lois électorales canadiennes.
    Par exemple, en raison du faible coût de la publicité en ligne et de la possibilité de microcibler les destinataires, des centaines de versions d'un message publicitaire peuvent être diffusées sur diverses plates-formes Web. Le suivi de ces messages est extrêmement difficile, autant qu'il est difficile de dépister les activités illicites comme les opérations de musalage des électeurs ou l'achat par des tiers non enregistrés d'espaces publicitaires excédant le plafond des dépenses et, s'il y en a eu, à quel moment elles ont eu lieu.
    Aux prises avec le même problème ailleurs dans le monde, et notamment aux États-Unis, les sociétés plates-formes ont commencé à concevoir de très intéressants outils de transparence publicitaire. Cela dit, elles le font de leur plein gré et peuvent rebrousser chemin si aucune disposition législative ne les oblige à les utiliser.
    Le risque pour le système électoral canadien est réel puisque les sociétés plates-formes prennent des décisions commerciales de portée internationale qui ne tiennent pas forcément compte des besoins de la démocratie canadienne.
    En dernier lieu, le projet de loi C-76 oblige les partis politiques à faire une déclaration relative à la protection des renseignements personnels. Toutefois, il ne prévoit aucun mécanisme qui permettra de contrôler ou de vérifier que leur politique est adéquate, éthique et qu'elle est appliquée. Aucune sanction n'est prévue en cas de non-conformité. Aucune disposition ne permettra aux Canadiens de demander la correction ou la suppression de leurs renseignements, ce qui est le cas dans beaucoup d'autres administrations.

  (1115)  

    Je ne crois pas exagérer en affirmant que c'est un sujet qui déborde largement le système électoral. Sachant que les partis politiques ne sont pas assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et à aucun autre mécanisme de protection des renseignements personnels, et sachant que le processus électoral représente un rouage fondamental de notre démocratie, nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'ignorer ce sujet. Il doit faire l'objet d'un examen approfondi dans le cadre de la présente étude.
    J'aimerais souligner en terminant que malgré l'utilité indéniable de certains aspects du projet de loi, j'estime qu'il comporte des lacunes flagrantes pour ce qui concerne les stratagèmes informatiques pour museler les électeurs, le rôle des sociétés technologiques et plates-formes, et la protection des renseignements personnels. J'espère que ces aspects feront l'objet d'une réflexion plus poussée.
    Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. J'attends vos questions avec impatience.
    Merci. Votre exposé était très utile et fort éclairant.
    Nous entendrons maintenant Mme Zwibel, de l'Assocation canadienne des libertés civiles.
    Bonjour, monsieur le président, bonjour, mesdames et messieurs. Merci de m'avoir invitée à prendre la parole devant vous au nom de l'Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC.
    Je sais que mon temps de parole est limité, et je me concentrerai donc sur deux éléments du projet de loi C-76 que les membres de l'ACLC estiment particulièrement préoccupants. Le premier a trait à la publicité politique, et notamment aux plafonds imposés aux dépenses publicitaires des tiers. Le second touche le traitement des renseignements personnels par les partis politiques.
    Nous tenons tout d'abord à souligner que pour ce qui concerne la publicité politique, l'effet de la loi existante, que perpétue le projet de loi, est de restreindre passablement le discours politique, qui se trouve au coeur de la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Nous comprenons et nous prenons au sérieux les craintes que la richesse devienne un instrument de contrôle du débat politique. Cependant, nous n'avons vu ni preuve ni indice qui justifie les plafonds fixés aux dépenses publicitaires des tiers ou les distinctions que fait le projet de loi entre les différents types d'expression politique et intervenants politiques.
    Nous savons que dans l'arrêt Harper, une majorité de juges de la Cour suprême du Canada a confirmé les plafonds imposés par la loi sur les dépenses engagées par des tiers. À notre avis, cette majorité a commis une erreur. La preuve dont la Cour a été saisie ne justifiait aucunement de limiter de manière aussi importante les dépenses publicitaires de tiers. Je vous fais lecture d'un passage des motifs des juges dissidents:
Les dispositions litigieuses fixent, à l'égard des dépenses publicitaires engagées par les citoyens — appelés des tiers —, des plafonds si bas que ces tiers ne peuvent discuter efficacement des enjeux électoraux avec leurs concitoyens pendant les campagnes électorales. Concrètement, ces mesures signifient que seuls les partis enregistrés et leurs candidats peuvent communiquer efficacement leur message pendant la période électorale, puisqu'ils jouissent de plafonds beaucoup plus élevés.
    Les juges dissidents soulignent que les dépenses autorisées ne couvrent même pas le coût pour une journée d'annonce pleine page dans les journaux nationaux. Malgré la hausse des plafonds annoncée dans le projet de loi, les tiers sont loin d'avoir l'assurance de pouvoir s'exprimer concrètement au cours d'une campagne électorale. Nous y voyons une grave atteinte aux droits garantis par la Charte, que seuls des éléments de preuve clairs et convaincants peuvent justifier. À ce jour, nous n'avons rien vu ni rien entendu qui pourrait s'en approcher.
    Le projet de loi établit des plafonds qui s'appliquent seulement aux dépenses relatives à la publicité partisane des partis politiques durant la période préélectorale, mais ceux qui sont imposés aux tiers ratissent beaucoup plus large. Là encore, il est difficile de comprendre les fondements ou les justifications de cette distinction.
    Dans une perspective plus globale, l'ACLC s'interroge sur l'intérêt et la faisabilité d'une distinction entre la publicité partisane et électorale ou, plus généralement, des tentatives pour restreindre la publicité thématique prenant position sur une question à laquelle un « parti enregistré ou un candidat est associé ».
    La Cour suprême des États-Unis a fait valoir que la ligne de démarcation entre la publicité thématique et la publicité politique est tracée dans le sable un jour de grand vent. La restriction continue de la publicité thématique risque d'encarcaner le débat public sur les politiques du gouvernement ou les options stratégiques qu'il propose, mais elle n'aura aucun effet sur les discours qui posent le réel problème, ceux qui influencent ou cherchent à influencer indûment le processus électoral.
     Nous nous demandons également s'il est juste que les dispositions législatives régissant le plafonnement des dépenses soient adoptées par des personnes et des partis qui ont tout intérêt à museler leurs opposants. Nous invitons le Comité à réfléchir, que ce soit dans le cadre de la présente étude ou d'une étude ultérieure, à la possibilité de créer une entité indépendante pour examiner les questions liées au plafonnement des dépenses des tiers, des partis politiques et des candidats.
    J'aimerais parler en deuxième lieur des dispositions du projet de loi C-76 visant à renforcer la capacité des partis politiques à protéger les renseignements personnels des Canadiens.
    En clair, le régime proposé par le projet de loi est inadéquat. Il ne prévoit aucune garantie réelle de protection des renseignements personnels, aucun mécanisme indépendant de surveillance des mesures adoptées par les partis pour assurer cette protection, et aucune pénalité en cas de manquement. Étant donné ce que nous savons maintenant à propos des données recueillies par les médias sociaux et d'autres outils du genre, et de l'exploitation qu'en font les partis politiques pour faire du microciblage des électeurs, l'absence de mesures tangibles pour protéger les renseignements personnels dans ce projet de loi a de quoi décevoir, et le mot est faible.
    Je sais que le sujet a été soulevé par quelques témoins ces derniers jours, alors je n'insiste pas. Je me contenterai de dire que l'ACLC approuve dans l'ensemble les amendements proposés par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
    En dernier lieu, je tiens à souligner l'appui de l'ACLC aux dispositions du projet de loi qui annulent les modifications néfastes que le Parlement a apportées en adoptant la Loi sur l'intégrité des élections. Nous sommes favorables aux dispositions qui autorisent l'utilisation des cartes d'information de l'électeur, qui rétablissent le recours à un répondant et qui élargissent le mandat d'éducation du directeur général des élections. Nous sommes également ravis de la réforme portant sur la participation de citoyens canadiens résidant à l'étranger aux élections fédérales.
    Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci de me recevoir ce matin.

  (1120)  

    Merci beaucoup.
    Je passe maintenant la parole à M. Chris Roberts, représentant le Congrès du travail du Canada.
    Bonjour, monsieur le président, et bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité.
    Je représente le Congrès du travail du Canada, ou CTC, la plus importante centrale syndicale du pays. Le CTC est le porte-voix de 3 millions de travailleurs canadiens sur diverses questions nationales et internationales. Il réunit 55 syndicats nationaux et internationaux, 12 fédérations de travail provinciales et territoriales, ainsi que plus de 100 conseils du travail locaux.
     Le CTC appuie en bonne partie le projet de loi C-76, et plus particulièrement les dispositions visant à assurer un processus électoral juste, accessible et inclusif. Nous accordons un soutien sans réserve aux mesures proposées pour améliorer l'accès des électeurs qui ont des déficiences physiques, et pour inclure les frais de garde d'enfants et les dépenses liées à une déficience dans les dépenses remboursées aux candidats.
    Le projet de loi C-76 rétablit la capacité du directeur général des élections à autoriser l'utilisation de l'avis de confirmation d'inscription, ou carte d'information de l'électeur, comme pièce d'identité. Nous saluons ce pas en avant. Nous sommes, tout aussi, favorables au rétablissement de la capacité du directeur général des élections de proposer des programmes d'éducation et d'information populaires visant à sensibiliser les électeurs au processus électoral, et tout particulièrement aux personnes dont l'accès est compliqué par différents obstacles.
    Le projet de loi C-76 rétablit la possibilité qui était offerte auparavant de recourir à un répondant aux fins de l'établissement de l'identité et de la résidence d'un électeur, et nous approuvons cette mesure. Cependant, à l'instar de M. Mayrand, nous pensons qu'il faut en étendre l'application au personnel des établissements de soins de longue durée et des résidences pour personnes âgées, même si un employé n'est pas un électeur inscrit dans la même section de vote.
    J'aimerais maintenant parler des dispositions du projet de loi qui concernent les tiers, et notamment les syndicats et les organisations de travailleurs.
     Le projet de loi C-76 instaure des exigences additionnelles importantes pour les tiers participant au processus électoral. S'il est adopté, ils devront se conformer à des obligations de déclaration plus larges que celles auxquelles seront tenus les autres intervenants.
     Pendant et entre les élections, les organisations syndicales offrent à leurs membres et à la population canadienne un espace de réflexion et d'échange sur les enjeux importants pour les travailleurs. Ce travail essentiel d'éducation et de mobilisation favorise une participation éclairée et efficace des travailleurs à la vie civique et au débat démocratique.
    Nous nous réjouissons de constater que le paragraphe 222(3) du projet de loi C-76 exclut de la définition d'une « activité partisane » la prise de position sur une question à laquelle un parti ou un candidat peut être associé durant la période préélectorale. Néanmoins, nous demandons au Comité d'étudier attentivement les autres restrictions et obligations de déclaration prévues au projet de loi C-76, et de s'assurer qu'elles ne compromettent pas le travail que font les organisations syndicales pour engager le débat avec leurs membres et le public autour des questions touchant les travailleurs.
     Si le projet de loi C-76 est adopté, l'un des principaux chevaux de bataille du CTC sera d'obtenir qu'Élections Canada publie une mise à jour de son guide à l'intention des tiers qui énoncera des directives d'interprétation identiques des définitions d'activité ou de publicité partisane sur Internet durant la période préélectorale et de la publicité électorale sur Internet durant la période électorale.
    Selon cette interprétation, les messages diffusés sur Internet pendant la période électorale sont réputés concerner les élections seulement si des frais sont associés au passage du message, c'est-à-dire s'il a fallu payer pour acheter un espace publicitaire. Si c'est gratuit, alors les messages diffusés dans les médias sociaux, par courriel ou sur le site Web d'un organisme n'entrent pas dans la définition de « publicité électorale ». À notre avis, Élections Canada doit appliquer la même définition aux messages diffusés en période préélectorale. Ce sera d'autant plus important si la réglementation et les obligations de déclaration s'appliquent à la période entre deux élections, c'est-à-dire entre la date d'un scrutin et le début de la période préélectorale des élections suivantes.
    Je conclus là-dessus, mesdames et messieurs.
    Merci énormément de votre attention.

  (1125)  

    Merci à vous tous.
    Nous entamons maintenant la période des questions. Madame Sahota, à vous l'honneur.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première série de questions s'adressera à Mme Dubois.
    Votre exposé m'a fascinée. Je ne crois pas être la seule à avoir beaucoup réfléchi à ce sujet en raison des événements qui ont entouré diverses élections dans le monde.
    Je m'intéresse aux approches informatiques dont vous avez parlé. D'après vous, dans quelle mesure ont-elles été utilisées dans le cadre d'élections provinciales ou fédérales, et de façon générale en Amérique du Nord?
    Pour ce qui concerne les approches informatiques, si vous me le permettez, je vais me limiter aux robots politiques. En fait, ce sont des comptes de médias sociaux automatisés, ou des comptes automatisés créés avec des applications de messagerie instantanée ou d'autres technologies de communication.
    Actuellement, nous savons que ces robots ont été beaucoup utilisés aux dernières élections américaines. Le rapport de Sam Woolley, chercheur de l'Université Oxford, en donne des preuves concrètes. Dans le rapport que j'ai cosigné avec Fenwick McKelvey sur la situation des robots au Canada, nous donnons aussi des exemples d'utilisation des robots politiques durant la campagne électorale fédérale de 2015. Nous avons amorcé des recherches sur les élections en cours en Ontario, mais les données recueillies n'ont pas encore été validées et nous n'avons pas terminé nos analyses. Toutefois, je peux vous certifier que des procédés automatisés ont été employés. L'automatisation ne sert pas uniquement à museler les électeurs ou pour d'autres types d'interventions dans les élections que vous et moi ne verrions pas d'un bon oeil.
    Par exemple, la plupart des sociétés de médias recourent à des méthodes automatisées pour diffuser des gazouillis ou des billets sur Instagram et Facebook en simultané. C'est beaucoup plus rapide que de les saisir sur chacune des plateformes. Les messages politiques automatisés transmis de cette façon ne nous inquiètent pas vraiment. Cependant, il serait extrêmement difficile de faire une évaluation quantitative. Les opérations de muselage des électeurs sont possibles, parce qu'elles sont clandestines et difficiles à surveiller. Il m'est donc impossible de donner des chiffres précis.

  (1130)  

    Les messages ciblés, notamment, ou les procédés qui nous sont plus familiers à nous qui représentons la branche politique... Il est possible de cibler les destinataires de nos billets et de nos messages, mais on peut aussi bloquer l'accès à certains groupes en fonction de telle ou telle caractéristique démographique, par exemple. Quel est votre point de vue à ce sujet? Est-ce une forme de muselage des électeurs?
    Tout dépend de ce que vous entendez par muselage des électeurs. Comme je ne suis pas avocate, je ne peux pas vraiment dire ce qui est permis ou non à un endroit ou un autre. Chaque pays, et même chaque province, a sa propre définition. Aux États-Unis, il y a eu des cas évidents où des annonces de logement n'étaient pas diffusées à des groupes culturels ciblés. Ces pratiques du secteur immobilier ont été jugées illégales, parce qu'elles constituaient de la discrimination fondée sur la race. Il existe d'autres exemples de méthodes de ciblage et d'exclusion de certains groupes bien précis qui ne sont pas légalement admissibles. Dans une perspective plus globale, si nous réfléchissons à nos objectifs en matière de participation électorale et d'accès égal des citoyens au système électoral, il est clair que nous ne pouvons pas permettre que des groupes soient systématiquement exclus du débat et ne reçoivent pas d'information des candidats en lice dans leur secteur. Ces pratiques pourraient s'avérer très problématiques.
    Le projet de loi interdit à des tiers étrangers d'engager des dépenses de publicité électorale et toute collusion entre des tiers d'ici et des intervenants se trouvant à l'étranger. Est-ce un pas dans la bonne direction?
    Oui, je crois que c'est un pas dans la bonne direction, mais il ne faut pas oublier que la surveillance de ces pratiques est extrêmement compliquée. Si rien n'est mis en place pour garantir le soutien et la collaboration des sociétés plateformes qui assurent le plus souvent la diffusion, il serait étonnant que ces mesures suffisent.
    Nous discuterons avec des représentants de quelques-unes de ces plateformes dans le courant de la journée. Selon vous, quel type de mécanismes de soutien et de coopération de ces sociétés faudrait-il mettre en place?
    Les choses ont déjà commencé à bouger du côté de ces sociétés, comme la création d'outils axés sur la transparence de la publicité que je trouve extraordinaire. Ces sociétés collaborent volontiers avec Élections Canada et des candidats pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés durant une campagne électorale. Le hic est que cette collaboration est volontaire et que, si on ne les oblige pas à poursuivre leurs efforts pour servir l'intérêt public et la démocratie au Canada, elles peuvent changer d'avis du jour au lendemain et se limiter à faire des changements qui correspondent à leurs besoins commerciaux sur les marchés mondiaux.
    Comment pouvons-nous renforcer la lutte contre la propagation de fausses nouvelles? Le projet de loi propose quelques mesures timides, et il prévoit aussi des mesures pour empêcher que le public soit induit en erreur par quelque moyen que ce soit. Là encore, y voyez-vous un pas dans la bonne direction?
    La lutte contre la désinformation — un terme que je préfère à « fausses nouvelles », une expression qui a été récupérée par les politiciens d'une manière qui lui enlève toute valeur probante et toute utilité, du point de vue de la recherche — est beaucoup plus large que le cadre électoral. C'est en grande partie pourquoi j'ai parlé très spécifiquement des stratagèmes de muselage des électeurs et du rôle que peut y jouer la désinformation.
    Selon ce que j'en comprends, l'objectif des dispositions du projet de loi sur les déclarations trompeuses semble être d'empêcher quiconque de se faire faussement passer pour un candidat. Autrement dit, il est interdit de dire que l'on s'exprime au nom d'un parti si ce n'est pas le cas. Il ne faut pas confondre avec l'enjeu plus vaste des stratagèmes de muselage des électeurs.

  (1135)  

    Merci.
    Monsieur Richards, nous vous écoutons.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être ici.
    Je vais commencer avec vous, monsieur Roberts. Vous représentez le Congrès du travail du Canada. Votre groupe, si je ne me trompe pas, a été très actif lors des élections et durant les périodes préélectorales, et notamment durant les dernières élections. Combien d'argent le CTC a-t-il dépensé pour faire de la publicité durant la période qui a précédé l'élection de 2015, ou la période préélectorale?
    Il n'y avait pas de période préélectorale en 20...
    Eh bien, vous avez raison, le concept de période préélectorale n'était pas inscrit dans une loi, mais nous disions quand même « période préélectorale » pour désigner la période précédant l'élection. Si vous préférez, combien avez-vous dépensé pendant les six mois qui ont précédé l'élection?
    Comme j'ai tenté de vous l'expliquer, le CTC dépense beaucoup moins que ce que la loi lui permet durant les périodes électorales. Nous animons des débats et des conversations sur divers thèmes avec nos membres et la population canadienne. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nos dépenses sont largement en deçà des plafonds.
    D'accord, mais pouvez-vous nous donner des chiffres approximatifs concernant vos dépenses publicitaires durant la période préélectorale?
    Non, je n'ai pas ces chiffres en main, mais je pourrai les transmettre au Comité.
    Vous pourrez nous les transmettre?
    M. Chris Roberts: Oui.
    M. Blake Richards: Je sais que plusieurs organismes sont affiliés au Congrès. Je crois qu'il existe — en fait, je ne crois pas, je le sais. Certains de vos organismes affiliés ont confirmé qu'ils coordonnaient la diffusion de certains messages et qu'ils menaient des campagnes publicitaires conjointes durant les élections. Pouvez-vous nous transmettre des chiffres qui incluent les dépenses de certains de vos organismes affiliés? Par exemple, pourriez-vous nous dire combien d'argent des organismes comme la Fédération du travail de l'Ontario et d'autres ont dépensés?
    Assurément. Les dépenses des fédérations provinciales qui font partie du CTC seront incluses dans le montant global que nous vous transmettrons pour le CTC. Nous vous donnerons des chiffres globaux.
    Donc, vous avez ces chiffres.
    Pour ce qui concerne les organisations syndicales affiliées au CTC, il faudra leur demander...
    Oui, nous pouvons le leur demander. J'espère que nous aurons le temps — j'espère que le gouvernement nous accordera suffisamment de temps.
    Vos dépenses publicitaires s'élevaient à 300 000 $ pour l'élection de 2015. Pouvez-vous nous décrire, dans les grandes lignes, le genre de messages qui ont été diffusés et les campagnes publicitaires qui ont été menées avec cet argent?
    Le CTC lance régulièrement des campagnes appelées « Les meilleurs choix » dans lesquels nous mettons l’accent sur des thèmes précis. Ceux abordés au cours de cette année-là étaient la sécurité de la retraite, la garde des enfants, et d’autres de même nature. Ce sont des sujets de la plus haute importance pour nos membres et, nous en sommes convaincus, pour les gens qui travaillent. Nous essayons avec ces campagnes de lancer des débats sur des sujets d’actualité et non pas de leur dire pour quel parti ils devraient voter. Le CTC ne dit pas, et ne prétend pas dire à ses membres pour quel parti voter.
    Cette publicité ne fait donc en aucune façon la promotion d’un parti politique ou d’un candidat, pas plus qu’elle ne les combat.
    Le projet de loi  C-23, la Loi sur l’intégrité des élections, précise que ces dispositions s’appliquent à la publicité sur des questions qui concernent les partis politiques. Donc oui, en application de la loi, elles relèvent de cette définition, mais nous faisons bien attention à ne pas les aborder en termes partisans. Nous discutons des questions de fond.
    Très bien, mais vous nous avez dit que la Fédération du travail de l’Ontario, la FTO, et d’autres organismes du même genre sont associés à vos publicités et à vos autres activités pendant les élections fédérales. Le 1er septembre 2015, la Fédération a indiqué dans un communiqué de presse, que j’ai sous les yeux, qu’elle collabore avec le Congrès du travail du Canada, et avec d’autres entités, pour battre les conservateurs de Harper et pour élire un gouvernement NPD lors de l’élection fédérale du 19 octobre 2015.
    Il me semble bien qu’on veuille faire là la promotion d’un parti politique donné et s’opposer à un autre. Aurais-je mal compris?

  (1140)  

    Je travaille pour le Congrès du travail du Canada, et non pas pour la Fédération du travail de l’Ontario.
    D’accord, mais la FTO dit bien collaborer avec le Congrès du travail du Canada.
    Tout ce que je peux vous dire est que le CTC aborde les élections générales en lançant la discussion sur un certain nombre de sujets. C’est de ceux-ci que nous voulons discuter. Nous laissons ensuite nos membres décider par eux-mêmes quel est le parti qui, sur ces questions, défend le mieux leurs intérêts.
    Oui, mais la FTP précise qu’elle collabore avec le CTC précisément dans ce but puisqu’elle s’oppose à un parti politique et en appuie un autre. Vous voudrez peut-être en discuter avec elle si vous n’avez pas la même politique ni les mêmes intentions.
    D’où vient votre financement, j’entends par là les fonds que vous utilisez, ces 300 000 $, et le financement des autres activités électorales et préélectorales? Vient-il uniquement des cotisations de vos membres ou recevez-vous des fonds d’autres sources?
    Le financement du Congrès du travail du Canada est assuré intégralement par les fonds que lui versent ses syndicats affiliés, qui proviennent eux-mêmes des cotisations payées par les membres de ces syndicats. Je me permets de vous rappeler que dans sa décision Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, et dans Law c. Canada, la Cour suprême a convenu que les campagnes de défense d’intérêts et traitant d’autres sujets thématiques du mouvement syndical relèvent bien de leur rôle associationnel d’agent de négociation collective des…
    Oui, vous croyez donc savoir que l’argent qui vient de vos organisations affiliées provient en totalité et uniquement des cotisations des membres ou, à votre connaissance, pourrait-il provenir d’autres sources?
    Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Tout ce que je sais est que le Congrès du travail du Canada tire l’essentiel de son financement des montants facturés aux syndicats affiliés en fonction du nombre de leurs membres.
    Si ces organismes affiliés devaient eux-mêmes recevoir des fonds d’autres sources, le sauriez-vous? Savez-vous ce qu’il en est?
    Comme la plupart des gens qui connaissent le mouvement syndical au Canada le savent déjà, il y a des syndicats internationaux qui sont présents dans notre pays et qui ont joué, par le passé, un rôle dans la création des syndicats canadiens. Nombre des syndicats canadiens affiliés au Congrès du travail du Canada ont leur siège aux États-Unis. Je ne sais pas si c’est de cela que vous voulez parler.
    Est-ce que ces membres ont leur mot à dire sur la façon dont leurs cotisations sont dépensées en publicités électorales?
    Tout à fait. On peut prétendre que, dans notre pays, le Congrès du travail du Canada est la plus importante organisation démocratique appartenant à ses membres et gérée par eux.
    Si les membres ne veulent pas que leurs cotisations servent à financer cette campagne pour battre un parti donné et en promouvoir un autre, auraient-ils le droit d’exiger que leur argent soit dépensé autrement?
    Tout à fait. Ils ont de nombreuses occasions, tout au long de l’année pendant un cycle électorale, de participer avec leurs collègues à la vie organisationnelle de leur syndicat pour définir les orientations et les questions de politique à débattre et pour désigner les partis qu’ils appuieront.
    Nous sommes tout à fait partisans de ce type d’implication démocratique.
    C’est une bonne chose à savoir.
    Je donne maintenant la parole à M. Cullen.
    C’est tout à fait éclairant. Nous ne procédons pas de cette façon au Parlement, puisqu’il se peut que nous ne voulions pas voter en faveur de l’achat d’une série d’avions de combat, mais qu’ils les achètent quand même.
    Nous avons là un groupe de témoins vraiment intéressant. Comme je ne vais pas disposer de tout le temps voulu, je vais essayer de faire court.
    Permettez-moi de commencer avec vous, madame Dubois. Si vous aviez accès maintenant aux dirigeants de Facebook et de Twitter, quel serait le premier point de désaccord sur leur mode de fonctionnement actuel dont vous voudriez leur faire part? Je pense ici précisément à leur manque de vigilance envers les activités abominables que l’on voit parfois sur leurs plateformes.
    Ces entreprises prétendent qu’il est souvent très difficile de détecter les tactiques de suppression du vote ou de désinformation. En toute franchise, nous savons faire face aux pourriels et nous pouvons nous attaquer à d’autres formes de contenus que nous ne voulons pas voir sur notre plateforme.
    Ce sont des questions sur lesquelles il peut s’avérer difficile d’être empirique. On peut cependant convenir que, de nos jours, un électeur canadien peut être influencé par ce qu’on appelle les médias traditionnels, comme la presse imprimée, la radio et la télévision, mais aussi de plus en plus par les médias sociaux. Ces diverses influences sont-elles maintenant équivalentes? Seriez-vous d’avis que les médias sociaux jouent maintenant un rôle encore plus important dans la façon dont les Canadiens prennent connaissance de leurs nouvelles ou des différentes histoires qui sont sorties pendant la campagne électorale ontarienne ou encore qui sortiront pendant la campagne électorale fédérale à venir? Disposez-vous de chiffres sur les influences exercées sur les électeurs par les nouvelles écoutées chez eux le soir, par celles qu’ils entendent à la radio en conduisant, ou encore par celles qu’ils découvrent sur leur téléphone ou sur leur ordinateur?

  (1145)  

    L’un des problèmes est que nous ne disposons pas de données fiables et cohérentes sur l’utilisation d’Internet au Canada parce que l’Enquête canadienne sur l’utilisation d’Internet de Statistique Canada a été abandonnée. En nous fiant à ce qui se passe dans d’autres pays similaires, nous pouvons en déduire que…
    Cette enquête n’a toujours pas été reprise?
    Je crois savoir qu’elle sera administrée à nouveau l’an prochain, mais je n’en suis pas certain. Vous auriez intérêt à vérifier auprès de Statistique Canada. On ne sait pas non plus avec certitude quel sera son niveau de détail.
     On peut dire sans se tromper que l’influence des médias sociaux est importante. Si vous publiez une annonce dans le Globe and Mail, la législation relevant d’Élections Canada vous oblige à indiquer qui a financé sa parution et vous devez tenir un registre détaillant l’utilisation qui en est faite.
    Si vous affichez l’une de ces annonces flash sur Facebook ou sur Twitter, dont l’apparition est commandée par des algorithmes, pour cibler un microgroupe d’électeurs, vous n’êtes pas tenus de produire un rapport. Nous ne savons donc pas qui finance cette annonce et nous n’avons non plus aucune trace de celle-ci, sauf si nous en avons fait une capture d’écran. Son influence devrait-elle être équivalente?
    Que l’influence qu’elle exerce ou non sur les personnes soit équivalente…
    Obligation de produire des rapports.
    Je vous prie de m’excuser. Il vaudrait mieux se demander si: « les mêmes règles devraient-elles s’appliquer à ce type d’annonces? »
    D’accord. Dans le cas des publicités en ligne, elles devraient être soumises aux mêmes règles. L’interface des plateformes devrait permettre d’obtenir ces données. C’est une question purement technique. Il faudrait donc, lors de la diffusion d’une publicité électorale, l’accompagner de la mention précisant qu’il s’agit bien d’une publicité électorale et indiquant quel est le parti qui vous cible avec celle-ci. Est-ce que cela…?
    Je crois que oui. L’emploi de robots et le dossier Cambridge Analytica ont fait plonger Facebook en eaux troubles. Ont-ils maintenant mis de l’ordre dans leurs affaires? Leur plateforme est-elle sécuritaire? Pourrait-il y avoir encore un autre cas du type Cambridge Analytica avec une entreprise tentant de profiter d’une autre faille dans leur système?
    Peu importe la technologie, il faut nous faire à l’idée que la sécurité absolue n’existe pas et que le mieux que nous pouvons faire est de faire de notre mieux. Je crois que ce sont les pressions publiques subies par Facebook qui l’ont amenée à prendre des mesures, et non pas la législation canadienne. Cela signifie que si d’autres administrations ou des intérêts commerciaux exercent des pressions sur eux, il se pourrait qu’ils décident de changer de comportement.
     Le projet de loi C-76 donne l’occasion d’exercer de telles pressions.
    Oui.
    Profitons-nous actuellement de cette possibilité en application du projet de loi?
    Non.
    Très bien.
    Madame Zwibel, j’aimerais vous faire une suggestion. Vous voudriez que les tierces parties puissent davantage faire part de leurs opinions et s’impliquer plus avant dans les campagnes thématiques ou dans les activités électorales. Si elles pouvaient le faire, devraient-elles également être tenues de faire rapport dans les mêmes termes que les partis politiques sur leur financement, sur les plafonds de leurs dépenses et sur toutes les autres exigences qui s’appliquent aux acteurs politiques?
    Je n’ai pas dit croire que les tierces parties devraient disposer de plafonds de dépenses plus élevés, mais plutôt que je ne vois pas la preuve du respect des plafonds actuels.
    Ah, d’accord.
    J’ignore d’où viennent ces chiffres et je ne saisis pas très bien certaines des distinctions entre…
    Ils proviennent de la même source que les précédents.
    Une fois encore, je ne sais pas très bien d’où ils proviennent, mais comme au moins quelques juges de la Cour suprême du Canada estiment que ces chiffres sont si faibles que cela revient dans les faits à un monopole des partis politiques et des candidats aux élections, c’est une question qu’il faut aborder.
    Permettez-moi, madame Dubois, de faire pendant un instant un retour en arrière sur la protection des renseignements personnels. Madame Zwibel, vos commentaires seront aussi les bienvenus si nous disposons d’assez de temps.
    La protection des renseignements personnels par les partis politiques ne fait l’objet d’aucune vérification ni d’aucune forme de contrôle efficace. À vos yeux, à quoi cela tient-il? Qu’avons-nous de si spécial?
    Les partis politiques se doivent de communiquer avec les électeurs, mais comme ils n’obéissent pas nécessairement à des intérêts commerciaux, on a estimé que, dans leur cas, les règles touchant à la protection des renseignements personnels devraient s’appliquer différemment étant donné leur spécificité.
    Très bien, mais en Colombie-Britannique, la province dans laquelle je vis, ces restrictions s’appliquent aux partis politiques et cela ne semble pas poser de problème.
    Dans l’Union européenne, avec l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, le GDPR, certains éléments portent à croire que la protection des données devrait être élargie à tous les contextes dans lesquels vos données peuvent être recueillies, suivies et utilisées.
    Les conséquences sont bien réelles sur notre démocratie, sur nos décisions, sur le Brexit, sur la dernière élection aux États-Unis. Cela préoccupe-t-il les gens?
    Ils divulguent en permanence quantité de renseignements personnels privés sur Facebook. Quel est le problème si les partis politiques recueillent quantité de données et en apprennent davantage sur leurs électeurs? Cela les rendra peut-être plus intelligents.

  (1150)  

    Les gens s’en préoccupent, mais ils doivent constamment communiquer leurs données personnelles pour obtenir les choses dont ils ont besoin. Je pense effectivement que les partis politiques pourraient faire une utilisation intelligente de ces données. J’en suis convaincue. Il serait avantageux pour eux de mieux connaître leur électorat grâce aux divers types d’interactions qu’ils peuvent avoir avec lui sur Internet. Toutefois, les citoyens méritent de comprendre ce qui se passe, et quelles sont les données recueillies sur eux et, plus important encore, ils doivent pouvoir accéder à leurs renseignements personnels pour pouvoir les corriger en cas d’erreurs. De telles erreurs peuvent nuire de façon injuste à certains groupes de personnes au point que je ne crois pas que notre système électoral devrait permettre l’assouplissement de ces règles sur la protection des renseignements personnels.
    La suppression des votes!
    Il est possible de les supprimer, ou d’exclure intentionnellement certains électeurs dont vous savez qu’ils ont peu de chances de voter pour vous, et il n’y a donc pas d’intérêt pour vous à leur consacrer de votre temps.
    J’ai compris.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    La parole est maintenant à M. Simms.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    J’ai quelques questions à poser rapidement à vous trois qui découlent de ce que j’ai entendu jusqu’ici. La première s’adresse à M. Roberts.
    Vous nous avez parlé des difficultés auxquelles vous faisiez face au CTC avant les projets de loi C-76 et C-23, et j’ai connu moi-même quantité des mêmes difficultés. Elles m’ont concerné, pas seulement parce que je me situe à la gauche du centre, mais parce que ces activités me plaisaient plutôt.
    Vous constaterez maintenant que nous en venons aux activités électorales, aux publicités électorales et aux sondages électoraux. Je n’ai pas de problème à comprendre ce qu’on entend par publicités électorales, mais il n’en est pas de même dans le cas des activités électorales et des sondages électoraux. Que faites-vous au sein de votre organisme qui relèverait de ces deux catégories?
    À ce que je crois savoir, l’activité partisane, qui est maintenant réglementée, implique de promouvoir la candidature ou l’élection d’un parti ou d’un candidat donné, ou au contraire de s’y opposer. Jusqu’à maintenant, le fait de parler d’une question à laquelle ce parti ou ce candidat serait associé ne relève pas de l’activité partisane. Certains tentent de faire la distinction entre le travail politique sur des thèmes donnés qui pourraient être considérés comme une activité politique, mais pas comme une activité partisane, si vous me suivez.
    En ce qui concerne les sondages, à ce je crois savoir, l’accent est mis sur les sondages électoraux servant à éclairer par la suite des décisions de nature partisane.
    Ce qui nous intéresse avant tout est de conserver la liberté de nous impliquer dans les discussions thématiques, tout en reconnaissant et en comprenant la nécessité de réglementer les dépenses politiques partisanes. J’en profite pour vous signaler rapidement ce qui, de façon ironique, est la plus importante préoccupation que nous devrions avoir concernant les influences indues et partiales qui s’exercent sur la vie et les discours politiques. Il s’agit de l’inégalité croissante des revenus et de la richesse qui aboutit à une concentration du pouvoir économique et politique dans les mains de groupes ayant les moyens d’influencer les électeurs lors des débats et des élections démocratiques. Il suffit de voir ce qui s’est passé aux États-Unis.
    Entendez-vous par là des organismes à vocation générale ou des partis politiques?
    Je pense essentiellement à des tierces parties qui s’impliquent dans la vie politique.
    Vous craignez donc que les plus riches ne soient pas soumis aux règles que nous tentons d’adopter ici au sujet des dépenses des tierces parties?
    C’était une façon pour moi d’insister sur le fait que nous comprenons la nécessité de réglementer l’implication politique des tierces parties.
    Tant que nous ne touchons pas aux activités thématiques auxquels vous vous adonnez.

  (1155)  

    Et que nous conservions autant de liberté de manœuvre que possible pour ce type d’implication politique.
    Disposez-vous maintenant de cette liberté de manœuvre? Votre réponse restera, bien évidemment, entre vous et moi.
    Du point de vue du CTC, il y a des éléments qui nous conviennent dans ce projet de loi. Je suis d’avis que votre comité doit étudier la marge de manœuvre dont nous disposons en la matière et y réfléchir très attentivement.
    En ce qui concerne le plafond des dépenses, celles du CTC en sont très loin, mais il y a quantité d’obligations de rapports qui sont beaucoup plus exigeantes que pour d’autres participants au processus.
    Je suis ravi que vous en ayez terminé avec les plafonds de dépenses, parce que cela me permet de poser ma question à Mme Zwibel sur ceux-ci.
    J’espère ne pas vous paraphraser trop mal, mais vous nous avez parlé de la façon arbitraire dont ces plafonds sont imposés. M. Roberts nous a donné quantité de raisons pour ne pas trop nous attarder à ces plafonds de dépenses. Quelle réaction cela vous inspire-t-il?
    Il est tout à fait exact que certains groupes sont loin d’atteindre ces plafonds de dépenses.
    À ce que nous avons entendu jusqu’à maintenant, il s’agit de la plupart des groupes. Veuillez continuer, je vous prie.
    Cela fait maintenant plus d’une décennie que ces plafonds de dépenses nous sont imposés, et il est donc difficile d’avoir une idée de ce qui se passerait si nous disposions d’une plus grande marge de manœuvre. Reportez-vous au cas Harper c. Canada, et consultez certains des arguments présentés par les dissidents. J’en rappelle un, soit que vous ne pourriez pas publier dans un journal de portée nationale une annonce valide un seul jour. Dans les limites de votre circonscription, vous ne pourriez effectivement pas faire des envois en nombre à toutes les personnes de certaines circonscriptions. Ce sont là les types de mesures sur lesquels nous devons nous pencher quand nous essayons de définir certains de ces plafonds.
    Je sais fort bien que nous pouvons être préoccupés par des groupes ayant les moyens de coordonner des activités, ou par la possibilité que des tierces parties remplissent l’espace qui est naturellement celui des partis politiques, mais je crois que, actuellement, la balance penche trop dans l’autre sens. Les partis politiques et les candidats à des élections sont en mesure de dominer la discussion, et il ne reste pas réellement d’espace pour les tierces parties. La définition qui couvre la défense des questions thématiques pose problème, et pas seulement à ceux qui doivent être régis par celle-ci, mais également à ceux qui doivent veiller à son respect. Permettre au directeur général des élections de bien comprendre les questions qui dominent l’actualité de chaque candidat et de chaque partie supposerait un travail considérable.
    Je crois avoir saisi où vous voulez en arriver. J’avais une autre question à vous poser dans le prolongement de celle-ci, mais je ne dispose pas d’assez de temps.
    Je m’adresse maintenant à Mme Dubois…
    Oui.
    … professeure adjointe à l’Université d’Ottawa.
    M. Cullen m’a volé ma question. Je ne devrais pas dire qu’il l’a volée parce que nous pensions tous deux la même chose: si des représentants de Facebook et de Twitter se tenaient devant vous, que leur demanderiez-vous? Je me souviens qu’il y a quelques années, dans les années 1990 ou au début des années 2000, on utilisait en anglais le terme « truthiness » pour désigner une notion ou une réalité que l’on souhaitait être vraie. C’est un fait, mais ce n’est que la moitié de l’histoire, qui est par la suite devenue l’histoire complète pour certaines personnes. Comment empêcher cela?
    Pour moi, c’était le problème le plus important que j’ai dû affronter comme politicien. Lorsque des gens viennent maintenant à moi sur Facebook et me disent « Comment pouvez-vous penser cela? ». Je leur réponds quelque chose comme « Eh bien, non, je ne le pense pas. », et on me demande ensuite « Mais est-ce vrai ? » et je dois leur répondre, « Oui, c’est exact, mais… ». Tout part de là. La manipulation de l’histoire me fait peur, tout comme la prolifération de ces faussetés.
    Et voilà une question de nature générale: que disons-nous à une plateforme de médias sociaux sur laquelle les gens me semblent hausser les épaules comme s’il s’agissait tout simplement d’un avertissement à un acheteur?
    J’estime qu’il est important d’admettre qu’il y a des choses qui se trouvent en quelque sorte à la périphérie. Est-ce une bonne chose ou non? Est-ce légal ou non? Et puis il y a des choses qui manifestement ne sont pas bonnes, qui ne sont pas légales.
    Je crois que la question de savoir ce qui est socialement ou moralement acceptable est une question existentielle qui va probablement au-delà de la discussion de ce projet de loi. S’efforcer d’empêcher des gens de voter et raconter des choses manifestement erronées ne devrait pas être permis dans le déroulement d’un processus électoral. Ces entreprises doivent convenir qu’il n’existe pas de baguette magique pour résoudre d’un seul coup tous les problèmes, mais elles peuvent élaborer assez rapidement des approches pour s’attaquer aux interventions qui sont à l’évidence interdites par la loi.
    Merci beaucoup.
    Notre dernier intervenant est M. Reid.
    À cette étape de notre réunion, je dispose bien de cinq minutes?

  (1200)  

    Oui.
    Je vais commencer par contredire un peu mon collègue Reid parce que je crois que cela sera utile.
    Pour moi, le terme « truthiness » s’applique non à une chose qui n’est pas vraie et qui conduit dans la mauvaise direction, mais plutôt à la présentation de quelque chose qui, sans être exact au sens factuel ni moralement vrai, devrait être vrai. Si vous ne partagez pas ce point de vue, n’êtes pas d’accord avec cette obligation, votre stature morale est alors entachée.
    C’est une façon de déplacer un débat de l’hémisphère gauche du cerveau vers l’hémisphère droit de façon à confondre votre auditoire.
    D’accord. C’est comme une facturation négative.
    Des voix: Oh, oh!
    Ce n’est pas un mauvais exemple. Oui, c’est exact: les renseignements militaires, etc.
    De toute façon, j’ai abordé cette question maintenant parce que je pense qu’elle pose un problème.
    Madame Zwibel, si je ne me trompe, l’avis minoritaire auquel vous avait fait allusion se trouve dans Harper c. Canada (Procureur général). Est-ce bien cela?
    Oui.
    Combien de juges ont exprimé leur dissidence dans ce cas-ci ? Vous en souvenez-vous ?
    Il y en a eu trois.
    Trois. C’était donc pratiquement une majorité.
    Ce fut une décision de six contre trois.
    Tous les juges de la Cour suprême ne siégeaient donc pas. Très bien.
    Ont-ils utilisé l’expression « monopole des partis »? Vous avez évoqué le terme de « monopole ».
    Je n’en suis pas sûre. Malheureusement, je n’ai pas la décision sous les yeux, mais je crois qu’ils ont utilisé cette expression au sujet de la capacité des partis politiques et des candidats à monopoliser la conversation pendant une élection en profitant de la façon dont les plafonds de dépenses sont fixés.
    Cela met en évidence un point de vue que nous n’avons pas retenu à ce comité, soit la notion que… nous faisons l’hypothèse que nous, des quatre partis qui peuvent prétendre au pouvoir, tentons de les positionner sur un pied d’égalité. C’est la raison pour laquelle nous consacrons autant de temps à discuter des mérites relatifs d’une commission des débats qui pourraient exclure le Parti Vert et le Bloc québécois. On nous a prévenus hier que l’un des nombreux partis communistes du Canada se plaignait d’une telle exclusion.
    L’autre point de vue minoritaire qui nous a été exposé est que, au sens strict, les élections n’appartiennent pas aux partis politiques même si ce sont eux qui les contestent, mais plutôt au public. J’imagine que les tierces parties sont, indépendamment de leur mode de financement et de tous ses volets, essentiellement composées de groupes de citoyens dévoués à la chose publique, qui tentent de nous dire de faire ceci, de faire cela, et qui occupent un espace tout aussi légitime que celui des partis politiques.
    Cela éclaire-t-il leur argumentation?
    Oui, c’est bien l’idée, à savoir que les tierces parties sont simplement des citoyens qui essaient de prendre la parole pour dire à leurs concitoyens ce qu’ils pensent pendant la campagne électorale et, tout en convenant qu’il pourrait se révéler tout à fait nécessaire de veiller à ce que nous ne fassions pas… Je ne crois pas que quiconque veuille que chez nous, comme chez nos moyens du Sud, l’argent soit manifestement roi. Nous devons veiller à la façon d’imposer ces restrictions et les justifier par des éléments de preuve.
    Cela nous amène au problème fondamental. Je comprends les choix faits par le tribunal et, étant moi-même un défenseur des libertés civiles, c’est une idée qui suscite beaucoup de sympathie chez moi.
    Le problème est que je ne vois pas très bien, si nous éliminons les plafonds de dépenses des tierces parties comme elles le veulent, comment éviter de reproduire chez nous les conséquences diverses que nous décriions au sud de la frontière. Je ne vois pas non plus comment nous pourrions éviter certains autres problèmes. Je ne suis pas convaincu que ce soit ce que nous voulions. Je ne fais que mentionner des problèmes qui seraient durs à éviter, comme dans le cas des fonds consacrés à démotiver certains groupes d’électeurs ou démoniser des candidats. Je ne parle pas ici d’élucubrations, comme de prétendre qu’une personne est un meurtrier en série ou un pédophile. Je parle de décourager des gens de voter en affirmant que Doug Ford est la personne la plus effrayante que j’ai jamais rencontrée et qu’il est hors de question qu’il devienne premier ministre de l’Ontario, ou en disant la même chose d’Andrea Horwath. Je ne sais pas très bien comment éviter ce type d’élucubrations.
    Existe-t-il une façon de se sortir de ce dilemme ou, au bout du compte, sommes-nous contraints de choisir entre Charybde et Scylla? Qu’en pensez-vous?
    Je ne veux pas laisser croire qu’il s’agit là d’un problème facile à résoudre. Ce qui nous préoccupe est que nous avons fait pencher la balance du mauvais côté, et cela ne veut pas dire qu’il faudrait maintenant supprimer complètement les plafonds de dépenses. Il nous faut examiner soigneusement ces plafonds et analyser leurs justifications. J’attire votre attention sur l’opinion des dissidents, parce que nous faisons sans l’ombre d’un doute face à un problème, lorsque le plafond des dépenses dans une circonscription ne vous permet pas d’adresser des courriels à tous les électeurs de celle-ci.
    À mes yeux, cela signifie probablement, après en avoir discuté récemment au sein de notre organisation, que le plafond est trop bas. Ces plafonds de dépenses sont définis dans la législation et leur montant est indexé sur le taux d’inflation. Vous venez tout juste de parler de la mise en place d’une commission indépendante sur les débats. Peut-être ne retiendrez-vous pas cette suggestion, mais il se peut qu’on se retrouve dans la même situation que pour la délimitation des circonscriptions, et qu’il faille recourir à des personnes de l’extérieur, qui aient une vision d’ensemble de la situation des médias, des coûts d’une campagne, des tendances, et qui puissent fixer le plafond des dépenses dans chaque circonscription.

  (1205)  

    Je vous remercie. Nous vous écoutons, monsieur Reid.
    Avez-vous des exemples de cas dans lesquels ces plafonds sont définis de façon indépendante?
    Je n’en ai pas. Nous en avons discuté hier dans les locaux de l’Association canadienne des libertés civiles. Ce qui m’a frappé est qu’un tel processus pourrait se comparer, dans une certaine mesure, à celui de la délimitation des circonscriptions électorales, parce qu’il susciterait manifestement un réel intérêt.
    Je suis pleinement au courant. Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Merci à tous d’être venus aujourd’hui. Vos témoignages se sont avérés très utiles pour notre étude.
    Nous allons maintenant passer rapidement à notre prochain groupe de témoins.

    


    

    Je vous souhaite à nouveau la bienvenue à cette 113e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
    Les derniers témoins que nous entendrons aujourd’hui sont M. Paul G. Thomas, professeur émérite, Études politiques, University of Manitoba, qui comparaît de Winnipeg par vidéoconférence, M. Glenn Cheriton, président de Commoners' Publishing, et M. Jean-Luc Cooke, membre du conseil du Bureau central du Parti vert du Canada.
    Merci à tous de votre présence. Je donne maintenant la parole à M. Thomas qui va nous faire part de sa déclaration liminaire.
    Merci beaucoup. J’ai transmis à votre greffier un mémoire qui a été traduit en français et dont les deux versions vous ont été remises. Je vais tenter de m’en tenir strictement aux cinq minutes dont je dispose pour formuler cinq brefs commentaires. Si j’y parviens, cela évitera au président de devoir m’interrompre.
    Mon premier commentaire, qui permet d’intégrer mon mémoire aux autres témoignages entendus par le Comité est que ce projet de loi C-76 illustre très bien à quel point la loi électorale est devenue spécialisée, technique et compliquée en réponse aux transformations rapides et souvent imprévisibles de la société, de la technologie et du processus politique, au Canada comme ailleurs. Dans ces conditions, Élections Canada a besoin d’une trousse d’instruments de politique diversifiés et souples pour planifier et administrer le processus électoral. En d’autres termes, à la différence des dispositions de la Loi électorale du Canada en vigueur actuellement, qui sont très précises et très normatives, la future loi devra conférer davantage de pouvoir aux professionnels œuvrant à Élections Canada. Le projet de loi C-76 va en partie dans cette direction. Il accorde au directeur général des élections davantage de pouvoirs pour mener les activités d’une élection, imposer des pénalités administratives pécuniaires, et s’appuyer sur les interprétations et les opinions formulées par écrit, etc.
     Mon second commentaire est que, dans l’ensemble, ce projet de loi est salutaire. J’appuie donc, dans les grandes lignes, ses dispositions mises de l’avant par le projet de loi C-33 qui révisent les dispositions plus problématiques de la Loi sur l’intégrité des élections. J’aime certaines des nouvelles dispositions figurant dans ce projet de loi, comme l’imposition d’un plafond des dépenses aux partis politiques pendant la période préélectorale, y compris pour les publicités d’opinion, l’obligation d’apposer des étiquettes sur toutes les publicités pour identifier la source, etc.
    Dans mon mémoire, j’aborde ensuite mes trois préoccupations. Ce qui me désole le plus est que les partis politiques ne soient pas soumis aux dispositions de la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels et de retenir, en cas de préoccupations en la matière, le recours au Commissariat à la protection de la vie privée. Pour l’essentiel, ce projet de loi confirme qu’il incombe aux partis politiques de se réglementer eux-mêmes en la matière. Ce n’est pas la solution que je préfère, mais la meilleure solution de remplacement serait d’exiger du Commissariat, et non pas d’Élections Canada, qu’il approuve les politiques et les pratiques des partis politiques dans ce domaine. En ce qui concerne le second volet de mes préoccupations, je proposerai que, chaque année, les partis politiques publient une déclaration en ligne de leurs activités dans ce domaine de la protection des renseignements personnels, en précisant les activités de formation du personnel mises en place, etc., en réponse aux plaintes formulées en matière de renseignements personnels.
    Mon quatrième commentaire porte sur les flux de fonds et d’influences provenant de l’étranger s’immisçant dans les élections canadiennes. Lorsque j’ai lu le projet de loi, et je ne suis pas avocat, il m’a semblé que celui-ci laissait place à une échappatoire autorisant l’amalgame des fonds canadiens et étrangers, y compris dans les cas d’appui à certains groupes de défense, ou tierces parties comme elles sont nommées dans le projet de loi. Je ne crois pas que la législation ou la réglementation puissent fournir des solutions simples à ce problème, mais j’ai noté l’interdiction de la collusion inscrite dans le texte. Il se peut qu’il faille laisser le temps à ces dispositions sur la collusion de s’appliquer pour disposer d’une forme de jurisprudence qui limitera, sans probablement l’éliminer complètement, la possibilité que des influences étrangères s’exercent sur les élections canadiennes.
    Mon cinquième et dernier commentaire concerne la période préélectorale commençant le 30 juin. J’explique dans mon mémoire qu’il faudrait que le projet de loi fasse correspondre les calendriers des restrictions imposées aux publicités partisanes et d’opinions à l’interdiction de la publicité gouvernementale sous forme d’énoncés de politiques administratives. Cette opinion ne s’appuie pas sur la législation. Cela reviendrait à interdire la publication d’annonces publicitaires dans les 90 jours précédant le jour de l’élection. Les deux périodes devraient être harmonisées afin de mettre en place une situation dans laquelle le gouvernement serait, effectivement, responsable de la situation alors que tous les avantages dont le parti politique au pouvoir pourrait profiter du fait des publicités gouvernementales seraient éliminés.
    Mon dernier commentaire est que ce projet de loi aurait dû être déposé beaucoup plus tôt, ou peut-être qu’il aurait fallu déposer une version antérieure à celle-ci. Les choses ont trop tardé.

  (1210)  

    Je sais que le personnel d’Élections Canada, très professionnel, va faire tout son possible pour appliquer les dispositions du projet de loi, mais il faut que nous prenions l’habitude de traiter plus sérieusement les délais de planification d’une élection.
    Je vous remercie de votre attention et je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.
    Vous avez parfaitement respecté le temps qui vous était imparti. Je vous remercie.
    Nous allons maintenant entendre M. Glen Cheriton, président de Commoners' Publishing.
    Je vous remercie de cette occasion de m’adresser à vous.
    Mon exposé repose sur une plainte que j’ai formulée il y a de nombreuses années à Élections Canada concernant son implication et celle de son personnel dans une publication mise en ligne sur son site Web et distribuée par d’autres moyens. Elle est datée de décembre 2005, et cela s’est donc produit pendant une campagne électorale fédérale. On y lit que le document a été préparé avec l’appui d’Élections Canada, et on y trouve une liste de membres du personnel de cette entité qui ont été impliqués dans la préparation de cette publication.
    Ma plainte est motivée par le fait que cette publication traite de l’égalité politique des femmes, et j’aimerais que ce thème soit intégré à ce projet de loi. L’une des choses qu’on y souhaitait était une modification de la législation et de la politique afin que, dans certaines circonstances, les hommes ne puissent tenter de se faire élire au Parlement. Élections Canada a étudié ma plainte, ce que son personnel a fait, et ce qui a été affiché pendant la campagne électorale. Ses représentants ont estimé que cette question ne s’était pas présentée pendant la campagne électorale et que ma plainte n’était donc pas pertinente. À mon avis, cette question qui s’est posée lors de chaque campagne électorale.
    Ils ont également estimé qu’il s’agissait là simplement d’une interprétation du personnel d’Élections Canada pendant une campagne électorale et qu’il n’y avait pas de raison de leur interdire de la communiquer. Pour revenir à cette question dans le cadre du projet de loi qui nous est soumis, il me semble que si Élections Canada se voit confier le pouvoir de décider qui respecte les règles, il faudrait aussi disposer de certains mécanismes pour s’assurer qu’Élections Canada et son personnel respectent également les règles en question.
    Je dois vous signaler que j’ai tenté il y a de nombreuses années de présenter exactement le même exposé à ce comité. Cinq députés m’ont dit que j’avais raison, qu’il n’appartenait pas à Élections Canada de faire ce genre de choses, et qu’il s’agissait là d’une violation de la Loi électorale du Canada. Ces députés m’ont dit par contre qu’ils n’allaient pas m’inviter à prendre la parole devant le Comité, parce qu’ils craignaient qu’Élections Canada leur retire le droit de se présenter à l’élection suivante.
    À mes yeux, j’appuie dans une large mesure les dispositions de ce projet de loi. Ce qui me préoccupe dans ce cas-ci est que les fonds du gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de Condition féminine Canada, servent à cette publication et que l’argent d’Élections Canada est utilisé pour la défense de l’égalité politique des femmes, alors que ces gens décident eux-mêmes s’ils contreviennent ou non aux règles.
    Je reconnais que c’est là pour moi une énigme. Je suis certainement préoccupé par l’argent étranger. Je suis enclin à penser que l’argent du gouvernement du Canada, et l’argent et le personnel d’Élections Canada devrait être considérés comme de l’argent étranger et ne devrait pas servir à influencer les élections ni à agir sur les questions soulevées pendant une élection fédérale.
    Je vous remercie.

  (1215)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre M. Jean-Luc Cooke, membre du conseil, Bureau central du Parti vert du Canada.
    Je tiens à remercier le Comité de cette occasion de traiter de ce projet de loi. Le Parti vert du Canada est particulièrement reconnaissant du temps que vous lui avez accordé pour préparer cette comparution.
    Une bonne partie de ce projet de loi n’est pas tant une modernisation qu’un retour à la Loi électorale du Canada d’avant l’ère Harper, ce qui est pour l’essentiel une bonne chose, mais la promesse centrale de cesser de tenir un scrutin uninominal à un tour est malheureusement absente. Ce n’est pas que je sois obtus, mais c’était manifestement une promesse ferme qui n’a pas été tenue, sans que le gouvernement s’en excuse.
    Lors de consultations à travers le pays, la majorité des Canadiens était en faveur d’une réforme et d’une forme de représentation proportionnelle. Je trouve regrettable qu’un gouvernement, sans en avoir le mandat de la population, continue à perpétuer un système qui étouffe les voix des Canadiens qui ne sont pas représentés dans une démocratie dite représentative.
    Le Parti vert du Canada convient que certains volets importants de la modernisation ont été retenus, mais il se demande si le gouvernement a accordé suffisamment de temps à Élections Canada pour mettre à jour ses technologies, ses modalités administratives, et pour instaurer des programmes de formation. Après tout, un quart de millions de Canadiens travaillent dans les bureaux de vote lors d’une élection générale. Nous sommes à 15 mois de la 43e élection générale et rien à cet effet ne figure dans la loi.
    On peut citer, parmi les améliorations dignes de mention, le recours aux cartes d’information des électeurs qui pourront désormais servir de pièces d’identité valides. Cela devrait accélérer le déroulement du vote et améliorer l’accessibilité. Le fait de permettre aux jeunes de 16 et de 17 ans de s’inscrire est une première étape bienvenue pour les amener à voter. Les études révèlent que l’implication dans le processus électoral à un jeune âge agit sur le comportement électoral pendant toute la vie de la personne. Le Parti vert vous félicite ce sujet et aimerait attirer votre attention sur le projet de loi C-401 d’initiative parlementaire de Mme May.
    Cela dit, je veux aborder deux aspects du projet de loi qui manque de dents.
    Tout d’abord, les dispositions sur la protection des renseignements personnels sont inadaptées. Les partis politiques possèdent d’énormes quantités de données et de renseignements personnels sur les Canadiens, ils sont actuellement dispensés du respect de la plupart des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, à une époque à laquelle le piratage motivé par des intérêts politiques n’est plus une possibilité, mais une réalité, il faut absolument que les partis collaborent pour s’assurer que les renseignements personnels dont il dispose sont protégés. Les grands partis politiques, s’ils étaient piratés, pourraient compromettre l’ensemble du système électoral. Notre démocratie repose sur la confiance et les grands partis sont actuellement le maillon faible.
     Le Parti vert incitait énergiquement les partis politiques à coordonner de façon informelle leurs efforts, et le projet de loi C-76 comporte des dispositions conformes à celles de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada.
    En second lieu, il faut en faire davantage pour amoindrir l’influence de l’argent dans le domaine de la politique. Revenir à l’allocation par vote réduirait l’influence des donateurs sur les politiciens et serait plus rentable que le système actuel de crédit d’impôt de 75 %. Nous savons tous que l’argent et les donateurs ont des effets de distorsion sur la démocratie américaine. Nous devrions donc, quel qu’en soit le prix, éviter ces excès que nous pouvons observer au sud de la frontière.
    Le Parti vert propose de redéfinir la période préélectorale, qui commencerait au lendemain d’une élection et se terminerait lors de la publication du bref de l’élection générale suivante. Pendant cette période préélectorale ainsi redéfinie, les plafonds de dépenses devraient rester à leur niveau actuel en étant simplement indexés pour tenir compte de l’inflation. Cette redéfinition de la période préélectorale correspond à la réalité que certains ont appelée la campagne permanente. Dans les faits, il n’y a que deux périodes en matière de publicité politique, la période préélectorale et la période électorale.
    Il faut que nous imposions des limites au processus électoral pour éviter les excès, mais également pour nous assurer que les citoyens, les partis politiques et les législateurs mettent l’accent sur la recherche d’une bonne gouvernance démocratique, sans être constamment distraits par les demandes et même parfois, par les fanfares des politiciens.
    Je vous remercie.

  (1220)  

    Merci à tous.
     Je donne la parole à M. Simms pour le premier tour de questions.
    Merci, monsieur le président.
     Tout d’abord, monsieur Cooke, je vous remercie d’être ici. Pouvez-vous me dire pour commencer si le projet de loi C-401, qui abaisse à 16 ans l’âge de voter, est bien le texte dont vous parlez?
    Tout à fait.
    Bien. Vous venez de mentionner le projet de loi C-401, et je n’étais pas sûr que vous l’ayez indiqué de l’autre côté. Je voulais simplement que ce soit précisé pour le compte rendu.
     En ce qui concerne la préinscription des jeunes, il y a un deuxième facteur à prendre en considération, qui est de les encourager à travailler pour Élections Canada, même avant d’avoir 18 ans. Qu’en pensez-vous?
    Nous vivons dans une société où il y a beaucoup d’âges de majorité différents. Il faut avoir 16 ans pour avoir le droit de conduire une voiture ou pour faire partie de la réserve, mais 18 ans pour avoir le droit de consommer de l’alcool ou de voter. Je trouve bizarre qu’il faille être plus âgé pour pouvoir consommer de l’alcool et voter que pour pouvoir se battre et donner sa vie pour son pays.
     Ces seuils devraient probablement être uniformisés, ne serait-ce que par principe. Si on a l’âge requis pour voter, on devrait logiquement avoir l’âge requis pour participer à l’organisation du processus électoral. Il me semble tout à fait logique qu’on puisse travailler pour Élections Canada si on a l’âge requis pour voter.
    Le concept de période préélectorale est un concept qu’approuve votre parti, mais vous pensez que ça devrait commencer dès la fin d’une élection. D’après vous, la période préélectorale démarre dès qu’une élection est terminée, dès le lendemain.
    Exact. C’est une question de définition.
    Selon le libellé actuel du projet de loi, il y a trois périodes différentes pour les dépenses électorales: après le dépôt du bref, avant le dépôt du bref et à tout autre moment. À mes yeux, il serait plus cohérent de n’avoir que deux périodes: après le dépôt du bref d’élection — c’est à dire la période électorale — et le reste du temps.
     S’il n’y a pas de limite aux dépenses faites en dehors de…
    Évidemment, vous pensez que la limite des dépenses devrait être ajustée en conséquence.
    En ce qui concerne la limite des dépenses, on peut envisager différentes formulations, et c’est là qu’on entre dans les détails. En dehors de la période du bref d’élection, il devrait y avoir une limite des dépenses, qui devrait peut-être être ajustée pour tenir compte de toute cette période. Ça devient plus une question d’équations et de formules que de principes. S’il n’y a pas de limite des dépenses en dehors d’une période préélectorale ou d’une période électorale, il y a un risque d’injustice.
    C’est pour les grands partis, selon vous.
    C’est pour les très grands partis ou les tierces parties, les groupes d’intérêt.
    Oui, et ces règles devraient être concordantes.
     Croyez-vous que les règles qui concernent les tierces parties devraient mieux concorder avec celles qui s’appliquent aux candidats, aux participants, aux partis politiques?
    Ce serait beaucoup plus simple, non seulement pour les électeurs, mais aussi pour les partis et pour quiconque participe au processus électoral ou souhaite se prévaloir de son droit d’exprimer une opinion, si tout le monde avait les mêmes dates et pouvait se fier au même calendrier. À partir de telle ou telle date…
    Voulez-vous dire qu’on devrait aussi avoir les mêmes limites?
    S’agissant des limites, je me rangerai derrière la décision de votre comité car, si j’ai bien compris, et je ne suis pas constitutionnaliste, il y a des questions constitutionnelles en jeu lorsque des tierces parties et des particuliers veulent exprimer leur opinion, ce qui ne s’applique pas aux partis politiques; donc…

  (1225)  

    Devrait-on les traiter différemment?
    Je ne suis pas constitutionnaliste, mais je crois bien que cela aurait des répercussions sur les tierces parties.
    D'accord. Merci.
    Professeur Thomas — Est-ce professeur Thomas ou M. Thomas?
    Professeur me convient.
    Professeur Thomas, merci de votre contribution. Je voudrais avoir votre opinion sur la question de l’identification pour la prochaine élection, ou n’importe quelle élection, en fait, étant donné ce que dit la Charte.
    Pour beaucoup de gens, il faut présenter une pièce d’identité couramment acceptée, et, étant donné que la plupart des gens possèdent ce type de pièce d’identité, ce devrait être acceptable, mais devrions-nous offrir plus de latitude aux gens qui veulent exercer leur droit de vote?
    Oui, j’aime bien l’idée de rétablir la carte d’information de l’électeur qui permet de s’identifier au bureau de vote, et j’aime bien aussi le système du répondant. Je n’ai vu aucune preuve convaincante — et pratiquement pas de preuve du tout — que des gens essaient de se faire passer pour d’autres ou essaient de voter plus d’une fois. Les études réalisées ici et ailleurs montrent que ce n’est pas un problème fréquent.
     Je pense que l’objectif essentiel devrait être de faciliter l’accès au vote et d’encourager les gens à voter. C’est l’activité démocratique la plus importante à laquelle participent la plupart des Canadiens, et nous devrions faire le maximum pour en faciliter l’accès.
     J’aime bien l’idée, par exemple, de la préinscription des jeunes électeurs. Aux États Unis, on a constaté une hausse de 5 à 15 % des taux de participation dans les États qui ont adopté cette pratique, et dans…
    Dans tous les pays ou seulement aux États-Unis?
    Je parle des États-Unis. Je pense qu’il y a 15 États dans lesquels on permet aux jeunes de s’inscrire lorsqu’ils approchent de l’âge requis, et cela a entraîné une hausse du taux de participation dans ce segment de population. Les gens s’habituent à ne pas voter, et c’est une mauvaise habitude qu’il ne faut pas encourager.
    En effet. L’un de nos témoins précédents a dit que la préinscription devrait s’accompagner d’une campagne de promotion plus vigoureuse d’Élections Canada auprès des jeunes. Qu’en pensez-vous?
    La disposition de la Loi sur l’intégrité des élections qui réduisait considérablement le mandat du DGE concernant les activités de promotion et d’éducation du public était une erreur, à mon avis.
     Il faut tracer la ligne quelque part. On ne peut pas s’adresser qu’à des segments particuliers de l’électorat — des groupes qu’on pourrait dire marginaux — afin de n’encourager que ceux-là à aller voter. Il ne s’agit pas de la prédisposition ou de la motivation à voter, il s’agit de les sensibiliser à l’importance du vote dans une saine démocratie.
    Vous croyez qu’il faudrait inclure une mise en garde, même si ce n’est peut-être pas la bonne expression, pour qu’Élections Canada comprenne qu’elle ne peut pas cibler un microsegment de la population quand elle entreprend une activité pour encourager les gens à voter.
    Ce débat s’est engagé au Royaume-Uni au moment où j’y réalisais une étude pour Élections Canada, et les autorités ont essayé de tracer cette ligne. Mais la ligne n’est pas très nette, voire assez floue, entre renforcer le désir de voter et informer les gens pour qu’ils aient envie de voter.
     C’est général. Dans certains cas, il faut peut-être déployer plus d’efforts pour informer certains groupes marginaux qui ne votent traditionnellement pas en grand nombre. On ne peut pas exclure ces groupes, et il faut faire plus d’efforts, mais il faut que le DGE et Élections Canada soient très prudents afin de ne pas être accusés de partisanerie politique en encourageant à voter certains groupes qui ne sont traditionnellement pas très actifs électoralement.
    Merci beaucoup.
    Je donne maintenant la parole à M. Richards.
    Merci à tous d’être ici, en personne ou virtuellement.
    Monsieur Cooke, je commence par vous. Vous avez fait, au début de votre déclaration liminaire, une remarque qui m’a semblé très sarcastique. Malheureusement, quand on lira le compte rendu du débat, on ne s’en rendra pas compte, et je voudrais donc vous donner la possibilité de préciser votre pensée car ce sarcasme change à l’évidence le sens de ce que vous avez dit.
     Vous avez dit avoir particulièrement apprécié tout le temps que vous avez eu pour préparer votre témoignage. Je suppose que c’était sarcastique.

  (1230)  

    C’était un peu sarcastique. Évidemment, si je suis ici, c’est parce que je pense m’être assez bien préparé pour pouvoir répondre à vos questions. Alors, allons-y.
    Pour que ce soit clair, quand vous a-t-on demandé de venir témoigner aujourd’hui?
    Personnellement, on m’a contacté il y a un peu plus de 28 heures.
    Ce que je peux en conclure, c’est que nous espérons que le gouvernement nous donnera plus de temps pour étudier correctement ce projet de loi et permettre réellement aux Canadiens qui doivent être entendus de s’exprimer à son sujet. Pour le moment, le gouvernement n’a prévu que cette semaine pour étudier ce projet de loi, et il estime que c’est suffisant pour un texte de cette importance. Êtes-vous d’accord? Pensez-vous que c’est suffisant, pensez-vous qu’on devrait consacrer plus de temps à l’examen d’un texte aussi sérieux et aussi important?
    Dans mon domaine, qui touche plus le secteur privé que le secteur public, on doit toujours peser le risque par rapport au bénéfice. Est-ce que le risque de prolonger notre examen de ce projet de loi vaut le bénéfice de corriger certains de ses défauts ou problèmes éventuels?
     Le Parti vert du Canada préférerait que ce projet de loi soit en vigueur pour les prochaines élections, mais avec des modifications. Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait améliorer, et des problèmes qu’on ne peut pas négliger.
    Après avoir entendu votre réponse, je comprends votre position, mais je sais qu’Élections Canada prépare déjà la mise en oeuvre de cette loi. Essayer de forcer l’adoption de ce texte en une semaine ou deux au lieu de prendre le temps nécessaire pour l’étudier n’empêchera probablement pas qu’il soit en vigueur pour les prochaines élections, et vous venez bien de dire qu’il y a à votre avis certains problèmes à régler.
     Ne nous incombe-t-il pas de prendre le temps nécessaire pour les régler, même si Élections Canada prépare déjà un plan de mise en oeuvre?
    Comme je l’ai dit, il faut évaluer le risque par rapport au bénéfice. Si certaines modifications n’exigent pas de changements administratifs à grande échelle à Élections Canada, je dirai que vous avez raison. Par contre, s’il faut apporter des changements profonds à la manière dont Élections Canada fonctionne, et aux principes qui soustendent son action, je dirai que le risque n’est pas approprié.
    Merci.
    Mais c’est à vous que revient la décision.
    Bien sûr.
     Professeur Thomas, vous avez fait dans votre déclaration liminaire une remarque que je partage totalement au sujet de la période préélectorale. Cela concerne la nécessité de faire concorder la période durant laquelle la publicité gouvernementale est interdite et la période durant laquelle des restrictions sont imposées aux partis politiques.
     Selon le même principe, j’aimerais savoir ce que vous pensez d’imposer aussi des restrictions aux déplacements ministériels. Évidemment, on voit bien, quand on parle des déplacements que font les ministres ou le premier ministre durant cette période pour faire des annonces gouvernementales, que cela peut avoir pour objectif d’inciter les électeurs à les appuyer, ce que nous avons déjà pu constater avec le gouvernement actuel à l’occasion d’élections partielles.
     Qu’en pensez-vous? Devrait-il y avoir aussi des restrictions à ce sujet durant la même période?
    Oui. Au Royaume-Uni, on a ce que l’on appelle une période de transition durant laquelle, à mesure qu’on approche du jour des élections, le gouvernement doit cesser certaines activités qui pourraient lui donner un avantage électoral. Cela peut s’appliquer à beaucoup de choses, et les déplacements peuvent en faire partie s’ils sont destinés à faire des annonces très médiatisées qui seront créditées au premier ministre, etc.
     Nous avons déployé beaucoup d’efforts pour mettre tous les concurrents sur un pied d’égalité, même si le gouvernement contrôle la fonction publique et détient le pouvoir de dépenser qui va avec, etc.
    Je pense que nous allons codifier de plus en plus ces règles. Nous allons devoir dresser la liste des choses qu’on peut faire ou qu’on ne doit pas faire durant cette période. On ne peut pas remonter trop loin dans le temps. Pour en revenir à la date du 30 juin, d’aucuns prétendent que cela va engendrer une orgie de publicité avant cette date et qu’il faut donc remonter plus loin en arrière; remontons donc un an en arrière, comme ils le font au Royaume-Uni. À mon avis, on ne peut pas suspendre l’action gouvernementale pendant aussi longtemps en empêchant le gouvernement de diffuser ses messages. Je sais qu’il y a des dispositions pour les messages d’urgence et pour la publicité, mais ce qu’il faut, c’est trouver un juste équilibre.
    L’équilibre proposé dans ce projet de loi n’est pas idéal. On ne devrait pas avoir cet intervalle de temps durant lequel le gouvernement a l’avantage.

  (1235)  

    Je vous comprends.
     J’aimerais maintenant aborder brièvement une autre question que je souhaitais également poser à un témoin précédent, mais notre séance a été interrompue parce que le gouvernement a forcé la tenue d’un vote. Nous entendions le témoignage d’un groupe représentant les jeunes, Citoyenneté jeunesse, et je voulais interroger ses représentants sur les pièces d’identité. Comme vous en avez parlé vous aussi, je vais vous poser la question.
     Cela concerne les activités d’éducation d’Élections Canada. L’une des choses que l’agence ne fait pas très bien et qu’elle devrait mieux faire — je voudrais savoir si vous partagez mon opinion —, c’est informer les gens sur la logistique du vote. Autrement dit, il existe toutes sortes de pièces d’identité différentes. Vous recommandez le rétablissement de la carte d’information de l’électeur, mais il existe actuellement 39 formules différentes. Je crois que beaucoup de gens ne connaissent pas les différentes options et risquent de se présenter au bureau de vote sans avoir l’un de ces documents parce qu’ils ne savent pas qu’ils en auront besoin.
     J’aimerais savoir ce que vous en pensez car, même la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants nous a dit, quand elle a comparu devant le comité récemment, qu’elle avait dû lancer elle-même une campagne pour informer les jeunes sur ces options. Je suppose que cela voulait dire qu’à son avis, Élections Canada ne fait pas un assez bon travail.
     Croyez-vous qu’Élections Canada pourrait faire un meilleur travail pour informer les gens sur les options dont ils disposent?
     Je crois que les professionnels qui travaillent à Élections Canada seraient les premiers à admettre qu’ils pourraient mieux faire dans ce domaine, et je sais qu’ils font des plans là-dessus pour les prochaines élections. Il faut continuer à ouvrir des bureaux de vote sur les campus et à mener des campagnes de publicité pour expliquer aux gens ce qu’ils doivent faire pour voter. Nous savons bien qu’à cette étape de leur vie, les jeunes adultes pensent à beaucoup d’autres de choses, et il est donc important de faire un effort supplémentaire pour les inciter à voter.
     Élections Canada l’a fait avec beaucoup de succès, lors des dernières élections, dans des communautés autochtones où elle avait auparavant diffusé relativement moins de messages au sujet de la nécessité de voter.
     Je partage le principe général que vous avez énoncé. Je pense aussi qu’Élections Canada en est parfaitement consciente.
    Merci.
    C’est maintenant au tour de M. Cullen.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins qui sont ici et notre ami du Manitoba.
    Je commence par vous, professeur Thomas. Le thème général de ce projet de loi m’apparaît de plus en plus clairement. Quand nous parlons à des spécialistes de différents domaines, nous voyons bien qu’il répond à deux objectifs.
     Le premier consiste à réparer les dommages causés par le gouvernement précédent en supprimant la carte d’information de l’électeur, le système de répondant, etc. Tout cela a été présenté il y a 18 mois dans un projet de loi.
     Le deuxième objectif est plus ambitieux, je suppose, car il s’agit de s’attaquer à des choses telles que le financement par des tierces parties, l’influence étrangère, les médias sociaux, etc.
    Cette description du projet de loi vous semble-t-elle correcte?
    Oui. Je pense que le projet de loi découle de la dernière élection et qu’il y a longtemps qu’on aurait pu examiner le rapport de l’ancien DGE, Marc Mayrand. Le gouvernement a très mal géré ce dossier, à mon avis, et le fait que le projet de loi ait langui au Feuilleton pendant 18 mois montre bien qu’il n’était pas très déterminé à aller de l’avant, sans compter tout le temps qu’il a fallu pour nommer un DGE permanent.
    Tout cela est regrettable. Nous avons maintenant un document de 350 pages dont nous essayons de comprendre toutes les dispositions avec leurs recoupements et leurs interactions. C’est très difficile à décortiquer. J’ai fait de mon mieux en utilisant le moteur de recherche de mon PDF pour essayer de repérer les parties que j’ai vraiment besoin de connaître en détail, mais cela n’a pas été facile, et pourtant je peux dire que je suis un spécialiste en la matière.
    Même chose pour nous.
     Je commence à croire que ma grand-mère avait raison quand elle me disait que mon imprévoyance ne l’empêchait pas de dormir. J’avais huit ans à l’époque. Ce qu’elle me disait alors résonne encore en moi aujourd’hui quand j’examine ce projet de loi. Alors que nous n’avons que quelques jours pour l’étudier, pratiquement toutes nos réunions ont été interrompues par des votes. Nous avons rarement pu tenir une réunion sans être interrompus. Pourtant, je partage certaines de vos remarques sur ce que j’appelle les dispositions qui facilitent l’exercice du droit de vote.
     Il y encore plusieurs questions à régler, en ce qui concerne notamment la protection des renseignements personnels, l’échappatoire dont vous avez parlé au sujet de l’amalgame et la question de savoir si les restrictions prévues pendant la période préélectorale mettent le parti gouvernemental et les partis d’opposition sur un pied d’égalité.
     Je me demande s’il ne faudrait pas scinder le projet de loi de façon à pouvoir adopter rapidement les éléments qui, malgré certaines contestations, font l’objet d’un consensus — je veux parler des éléments du projet de loi C-33. On a posé beaucoup de questions au sujet de la deuxième moitié du document: les tierces parties, l’échappatoire de l’amalgame et le fait qu’on n’impose pas assez de restrictions aux partis pour protéger les renseignements personnels. Que pensez-vous de cette suggestion?

  (1240)  

    On essaie de faire beaucoup de choses dans ce projet de loi. Jusqu’à présent, quand on réformait la loi électorale, on le faisait progressivement, idéalement sur la base du consensus le plus large possible des partis.
     Ces dernières années, il y a eu des controverses partisanes sur ces réformes, peut-être parce qu’on a essayé de faire trop de choses en même temps, d’apporter des changements trop radicaux. Une chose que pourrait envisager votre comité, qui fait pas mal de bonnes choses — j’admire vraiment le travail que vous faites —, c’est confier la réforme de la loi électorale à un comité spécial après le dépôt du rapport annuel du directeur général des élections.
    Si j’hésite, c’est parce que Mme Sahota, M. Reid et moi-même avons fait partie de ce genre de comité spécial, qui a nécessité beaucoup de temps et d’argent. Cela a donné quelques résultats, mais pas beaucoup, comme l’a indiqué M. Cooke.
    Oui, je sais, mais ce…
    Je vais bientôt manquer de temps. Je devrais surveiller ça de plus près.
     Voyez-vous, monsieur Cooke, ce texte est en partie un projet de loi de restauration. Le problème qu’on a avec les renseignements personnels... Ce projet de loi risque d’être adopté tel, sans aucune modification — et pourtant, en ce qui concerne l’absence de consentement, de supervision et de vérification, ce qu’un ancien directeur général des élections avait qualifié de Far-West —, nous n’avons tout simplement pas de règles pour protéger les renseignements personnels ni pour régir la façon dont les partis peuvent utiliser les renseignements personnels des Canadiens.
     Devrions-nous adopter ce projet de loi sous sa forme actuelle? Comment pouvons-nous donner aux Canadiens l’assurance que leurs données personnelles seront recueillies et conservées en toute sécurité?
    En juin 2011, la base de données du Parti conservateur du Canada a été piratée, avec les noms et adresses personnelles et électroniques de ses donateurs. Cela s’est produit…
    Vous parlez du scandale des appels automatisés?
    Non, c’est ce qu’on a appelé en anglais le scandale des « pommes de terre sautées avec lesquelles le premier ministre s’était étouffé ». Je ne me souviens plus du nom du pirate. C’était un nom impossible à prononcer.
    Exact.
    Cela s’est produit. Je travaille en ingénierie où l’on dit toujours qu’après un temps plus ou moins long, tout système finit par tomber en panne. Ça veut dire que la sécurité des systèmes de votre parti, de mon parti ou de n’importe quel parti n’empêchera pas qu’il y aura un jour un piratage. C’est simplement une question de statistique. Quelles sont les procédures mises en place pour s’assurer que tous les partis appliquent les normes les plus élevées? La réponse à cela est à mon avis de donner au Commissariat à la protection de la vie privée le pouvoir d’intervenir et d’examiner nos systèmes.
    Je crois que c’est vous — je vais dire que c’est vous pour le moment — qui avez proposé quelque chose de nouveau, une sorte de sceau d’or qui serait délivré par le Commissariat à la protection de la vie privée à tous les partis présentant des candidats aux élections. Un peu avant le jour de l’élection — avant le dépôt du bref, idéalement —, le commissariat pourrait dire: « j’ai travaillé avec les Verts, j’ai travaillé avec les libéraux, j’ai travaillé avec les conservateurs, et voici les résultats: ces gens-là utiliseront vos données en toute sécurité ».
    Je suppose que c’est un facteur que certains électeurs, au moins, prendraient en considération avant de voter.
    Dans pratiquement toute organisation avec laquelle les électeurs et les Canadiens interagissent et qui doit respecter les lois sur la protection de la vie privée, il y a un risque. Un vérificateur externe pourrait venir faire une évaluation et dire: « Voici certaines lacunes que vous devriez combler. Pour le reste, nous pensons que ça va bien ». L’organisation aurait alors un certain délai pour combler ces lacunes. C’est comme ça que les banques, les sociétés de téléphonie et toutes les entreprises gèrent les données personnelles.
    Le gouvernement prétend que ces cas sont différents et que le sien est spécial.
    Ce n’est pas ce que pensent la plupart des Canadiens.
    Quoi? Vous me faites de la peine.
     Je vous repose la même question. Il y a certains aspects de ce projet de loi que vous approuvez, ceux qui visent à faciliter l’exercice du droit de vote, pour ainsi dire. Il y en a d’autres qui posent des problèmes ou qui suscitent des questions qui n’ont pas encore obtenu de réponses. D’après vous, que devrait faire le gouvernement avec ce projet de loi, étant donné qu’il ne reste que quelques jours de session et qu’Élections Canada dit avoir besoin que le projet de loi soit adopté d’ici au 1er mai?
    La méthode d’attribution du temps est regrettable.
     M. Nathan Cullen: Absolument.
    M. Jean-Luc Cooke: Comme vous le disiez, la planification... Si cela avait commencé plus tôt, si le comité spécial sur la réforme électorale avait produit de meilleurs résultats, la situation serait peut-être meilleure. Encore une fois, il faut peser les risques et les bénéfices. Je dirai qu’il faudrait que cela soit adopté…
    ... très bientôt.
    La totalité du projet de loi? C’est difficile à dire. Je m’abstiendrai de répondre pour le moment.
    Merci.
    Qui sera le suivant? Monsieur Graham.
    Vous parliez de technologie il y a quelques minutes. J’ai travaillé moi aussi dans le secteur de la technologie auparavant. Quelles sont les limites du rôle de la technologie dans les élections, selon vous?

  (1245)  

    Pour vous répondre, je vais mettre ma casquette d’électeur en plus de celle de membre d’un parti politique. La technologie est utile parce que nous voulons connaître les résultats rapidement et faire les choses de façon efficace, mais il faut aussi absolument préserver le bulletin papier. S’il y a le moindre doute sur la légitimité d’une élection, les Canadiens veulent avoir une trace écrite, être capables de faire des rapprochements et pouvoir envoyer leur propre grand-mère dépouiller le scrutin. C’est essentiel.
    Surtout votre grand-mère…
    M. Jean-Luc Cooke: Surtout ma grand-mère…
    L’un de vous a parlé de quelque chose, mais je ne sais plus lequel. Nous parlions d’abaisser l’âge pour voter, plutôt que d’abaisser simplement l’âge pour s’inscrire. Est-ce que vous y seriez favorable?
    Oui. Elizabeth May a justement présenté un projet de loi d’initiative parlementaire à cette fin. Ce serait très utile. Souvenez-vous quand vous aviez 16 ans, que vous alliez finir l’école secondaire juste avant les prochaines élections fédérales. Je pense que si vous exercez pour la première fois votre droit de vote avant de quitter le foyer familial pour aller poursuivre des études ou une carrière dans une autre ville, que vous vous initiez ainsi au processus démocratique avant de partir, vous êtes mieux en mesure, psychologiquement, de continuer à exercer votre droit de vote une fois que vous êtes à l’université ou que vous vous installez dans votre premier appartement. Je pense que c’est très important.
    Je comprends tout à fait ce que vous voulez dire, car, à 16 ans, j’avais déjà fait trois campagnes électorales.
    David, vous êtes spécial.
    Vous savez, j’ai commencé à regarder CPAC dès sa création, et j’étais alors adolescent.
    Je disais bien que vous étiez spécial.
    Si nous décidons d’abaisser l’âge pour voter, devrions-nous en faire autant pour l’âge des candidats?
    À moins que je ne me trompe, je crois que la Constitution dispose que quiconque est habilité à voter est aussi habilité à être candidat.
    Donc, nous pouvons aussi abaisser l’âge des candidats à 16 ans ou...
    Ce ne serait pas juste d’avoir des âges différents.
    En effet.
    Est-ce que 16 ans est le bon âge?
    C’est une question difficile. Certains d’entre nous seraient sans doute prêts à faire remarquer, non sans ironie, qu’il y a des adultes qui ne devraient pas avoir le droit de voter parce qu’ils n’ont pas fait l’effort de se renseigner sur le processus électoral. Mais vous ne pouvez pas administrer un test aux gens pour déterminer s’ils ont le droit de voter. Il faut bien fixer une limite d’âge, et il me semble qu’une personne qui a l’âge pour s’enrôler dans la réserve, entrer dans les forces armées, ou conduire un véhicule susceptible de tuer quelqu’un, a aussi la maturité nécessaire pour voter.
    En tout cas, il faut l’espérer.
     Nous avons également parlé de la nécessité de réduire l’influence de l’argent dans le processus électoral, ce que j’approuve tout à fait. Je trouve frustrant, et je l’ai déjà dit au cours de débats sur des initiatives parlementaires, que quelqu’un qui fait un don de 100 $ mais n’a pas de revenus paie vraiment 100 $, alors que quelqu’un qui fait un don de 100 $ mais a d’importants revenus reçoit un remboursement de 25 $. Je suppose que c’est un problème qu’il faudra régler par voie d’initiative parlementaire.
     Quand je parle à mes collègues d’imposer des limites au financement électoral, ils me posent toujours les questions suivantes: Que fait-on avec les bénévoles? Comment peut-on leur fixer des limites?
     Comment peut-on limiter le travail des bénévoles?
    Personnellement, je ne pense pas qu’on puisse limiter le travail des bénévoles, ce serait contraire aux intérêts de la démocratie, sans compter qu’on ne peut pas limiter le temps et l’énergie que quelqu’un veut investir dans une élection. Si vous voulez vraiment comptabiliser tout ça, je vous dirai que selon certaines théories économiques, la seule monnaie qui compte, c’est le temps, parce que c’est la chose dont nous disposons tous en quantité égale. Si un parti politique attire davantage de bénévoles, c’est manifestement parce qu’il réussit à rallier davantage de personnes à sa cause. C’est le test ultime pour quelqu’un qui veut se faire élire.
    Avez-vous déjà été témoins — et je m’adresse à vous trois — d’usages frauduleux de la carte d’information de l’électeur?
    Je dois dire que oui.
    Pouvez-vous nous dire comment ça se passe?
    J’étais scrutateur et j’ai vu des gens arriver avec des cartes d’identification. Je leur ai demandé d’autres pièces d’identité et j’ai constaté que ce n’étaient pas les mêmes personnes. Dans certains cas, ils avaient le droit de voter, mais dans d’autres cas, il y avait un problème, dirons-nous.
    Combien de fois cela vous est-il arrivé?
    Assez rarement. Le problème vient surtout de la confusion, parce que les gens ne votent pas au bon endroit ou parce qu’ils ont des difficultés à se rendre au bureau de vote. J’ai vu très peu de cas d’usage frauduleux de la carte d’identification de l’électeur, mais c’est arrivé quand même.
    Est-ce que c’est un problème suffisamment important pour que, par souci de prudence, on prive 160 000 personnes du droit de voter?

  (1250)  

    C’est d’autant plus cocasse que je faisais remarquer à Élections Canada qu’ils avaient négligé de prendre en compte, dans leur historique, le cas le plus important de privation du droit de vote qui se soit produit, à savoir les 170 000 Canadiens qui ont été envoyés, à une certaine époque, dans des camps de secours pour les chômeurs.
    Je pense que, même au risque de se tromper, il vaut toujours mieux privilégier la participation. Oui, je préférerais que ce soit inclus, mais je crains que certains groupes soient inclus par déférence et que d’autres soient systématiquement exclus. À mon avis, si vous vous préoccupez pour les 160 000, vous devriez également vous préoccuper pour les 170 000 qui n’ont pas eu le droit de voter.
    C’était à quelle époque?
    Ça s’est passé entre 1930 et 1936. Comme ils avaient été placés dans des camps de secours pour les chômeurs, ils ont perdu leur droit de vote. Et comme ils étaient sous commandement militaire, ils n’avaient plus accès aux soins de santé. Si vous lisez l’historique des services sociaux au Canada, vous saurez tout sur les camps de secours pour les chômeurs, l’indemnisation des accidents du travail, les conditions salariales, et ces gens-là voulaient avoir le droit de voter.
    Il ne me reste que quelques secondes. Qui d’autre n’avait pas le droit de vote en 1936?
    Les Autochtones, les femmes au Québec…
    Ces exemples sont-ils pertinents à la loi actuelle?
    Ils sont pertinents dans la mesure où on parle de privation du droit de vote, et c’est vous qui avez soulevé le problème. Si nous devons tirer des enseignements du passé, c’est en partie pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
    Donc, il ne faut pas priver aujourd’hui du droit de vote ces 170 000 personnes. Je suis d’accord avec vous. Merci.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Reid, pour cinq minutes.
    Avant de poser mes questions, j’aimerais faire un bref commentaire.
     Quand on parle des cas où les gens peuvent voter sans pièce d’identité, des mécanismes qui ont été mis en place comme la carte d’information de l’électeur, cela nous ramène à la question fondamentale de savoir comment déterminer si les gens ont le droit de voter. Certaines personnes se présentent, et ça m’est arrivé, avec une pièce d’identité, mais elles n’ont pas le temps de revenir. Dans d’autres cas, peut-être plus rares, elles n’ont même pas de pièce d’identité, mais vous ne voulez pas empêcher quelqu’un d’exercer son droit de vote. D’un autre côté, si trop de personnes votent de façon frauduleuse, ce sont tous les électeurs de la circonscription qui risquent d’être privés de leur droit de vote. Ce n’est pas rien. Alors quand on prétend qu’il n’y a jamais eu de votes frauduleux au Canada, c’est tout simplement ridicule.
     Lorsque nous discutions de ce problème à l’époque du dernier gouvernement minoritaire, je me souviens d’avoir été contacté par l’épouse d’un candidat libéral, l’ancien député libéral du centre-ville de Toronto, car elle prétendait que son mari avait perdu les élections à cause de votes NPD frauduleux. Est-ce que c’était vrai? Je n’en sais rien, mais c’était suffisamment plausible pour qu’elle m’en parle. Il faut prendre cela très au sérieux.
     Il y a une solution, et je l’ai proposée à la ministre. C’est ce qu’on fait dans d’autres pays, y compris dans des démocraties tout à fait respectables comme les États-Unis d’Amérique. Je veux parler du vote provisoire. Vous pouvez voter même si vous n’avez pas de pièce d’identité. Je me présente et je dis que je m’appelle Scott Reid. Le scrutateur me croit sur parole. Il glisse mon bulletin dans une enveloppe anonyme, comme pour un vote postal, avant de le glisser dans une deuxième enveloppe, que je signe. Après, ils vérifient si je suis bien la personne que je prétends être. Par la suite, ils font le total de ces bulletins, si c’est nécessaire, au cas où leur nombre soit supérieur à la marge du candidat vainqueur.
    Ce n’est qu’une suggestion, qui permettrait de régler tout le problème. Je regrette qu’elle n’ait pas été retenue dans le projet de loi.
     Mais la question que je voulais poser porte sur un tout autre sujet, monsieur Cooke. C’est celui du débat des chefs. Comme vous le savez, une commission responsable des débats va être mise sur pied, non pas au titre de ce projet de loi ou d’un autre, mais sous la houlette du gouvernement. Il est fort probable que la formule retenue pour les débats des chefs exclura la cheffe de votre parti. Ou sinon, ce sera quelqu’un d’autre qui sera exclu, peut-être le chef du Bloc. Cela pose un problème fondamental.
    Je n’ai pas de solution à proposer au problème que pose l’absence d’une ligne de démarcation claire entre les grands partis et les autres. Qu’en pensez-vous?
    Dans le cadre de ce projet de loi, et de bien d’autres auparavant, nous avons discuté de toutes les règles qui s’appliquent aux élections: les dépenses, la publicité, le droit du gouvernement de faire de la publicité, les tierces parties, les partis politiques, mais il n’y a toujours pas de règles pour les débats des chefs. Tout le monde s’entend pour dire que le débat des chefs est le moment décisif d’une campagne électorale, et pourtant, il n’est assujetti à aucune règle électorale. C’est tellement curieux que c’en est presque absurde, franchement.
    Le Parti vert aimerait qu’une règle définisse qui a le droit de participer au débat des chefs.

  (1255)  

    Je ne pense pas que vous aimeriez vraiment avoir une règle, car il est très facile d’en imaginer une qui limiterait le débat aux trois grands partis, si bien que les Verts seraient exclus, à moins que cette option vous soit acceptable. Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit.
    Le Parti vert est prêt à accepter n’importe quelle règle qui soit claire. Supposons que la règle exige que, pour participer au débat, un parti politique doit avoir recueilli au moins 5 % des votes aux élections nationales précédentes. Je pense que le Parti vert serait prêt à accepter cela, car il saurait que c’est l’objectif qu’il lui faut atteindre.
    Quel pourcentage avez-vous recueilli?
    La dernière fois? Je ne m’en souviens pas.
    Vous savez pourquoi je pose la question, n’est-ce pas?
     C’est l’un des grands problèmes que nous avons eus. Dans l’affaire Figueroa dont a été saisie la Cour suprême, M. Figueroa contestait une loi selon laquelle un parti devait avoir présenté des candidats dans un certain nombre de circonscriptions aux élections précédentes pour pouvoir obtenir certains droits aux élections suivantes, ce qui avait bien sûr pour objectif d’écarter les nouveaux partis qui ralliaient un électorat important. La loi avait été présentée par le gouvernement chrétien, après le succès soudain du Parti réformiste et du Bloc québécois aux élections. Le gouvernement voulait manifestement s’assurer que cela ne se reproduirait pas.
     La cour a statué, à juste titre je pense, qu’il était anticonstitutionnel d’essayer d’étouffer des mouvements populistes comme le Parti réformiste et le Bloc québécois, que cela allait à l’encontre de l’article 3 de la Constitution. Vous voyez où je veux en venir? Si vous fixez un pourcentage des votes recueillis aux élections précédentes, cela veut dire que les préférences qui n’ont pas été exprimées pendant quatre ans valent en quelque sorte moins que les préférences qui ont été exprimées il y a quatre ans ou plus. Qu’en pensez-vous?
    Oui et non. Supposons que le critère soit de 2 %. Soit dit en passant, le Parti vert serait toujours le dernier parti à répondre à ce critère.
    Oui.
    Je pense que, même à 1 %, nous serions encore le seul parti à se qualifier.
    Il y a le Bloc aussi.
    Oui, vous avez raison.
     Je pense qu’il serait souhaitable de fixer un pourcentage. À mon avis, la démocratie et le système électoral sont suffisamment solides pour que, si un nouveau mouvement ou parti populiste suscite beaucoup d’intérêt dans la population... sans aller jusqu’à l’inclure dans un débat des chefs à la première élection, car ce ne serait sans doute pas très sain sur le plan démocratique, on puisse envisager de l’inclure à la deuxième élection. Il s’agit simplement de remonter un peu plus loin en arrière. Autrement dit, appelons-le le Parti pourpre et supposons qu’il recueille 4 % des voix aux prochaines élections fédérales. Dans ce cas-là, il pourra être représenté au débat des chefs qui aura lieu pour les élections suivantes. Je pense que ce serait une solution raisonnable.
    Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je vous ai demandé votre avis et je vous en remercie.
     Merci, monsieur Reid.
    Nous allons terminer cette période de questions avec Mme Tassi.
    Merci, monsieur le président.
     J’aimerais commencer par vous remercier tous les trois d’avoir pris le temps de venir témoigner aujourd’hui.
     Professeur Thomas, je vais commencer par vous. Je vous remercie des compliments que vous nous avez faits au sujet du travail accompli par le comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Je ne cherche pas à en avoir d’autres, mais je voudrais simplement vous dire que nous avons beaucoup travaillé la question dont nous discutons aujourd’hui. Le directeur général des élections est venu nous présenter son rapport, et nous avons consacré 22 réunions à l’examen de ce rapport, à raison de deux heures en moyenne par réunion.
     Et d’ici la fin de cette semaine, nous aurons entendu, si mes calculs sont bons, une trentaine d’heures de témoignages. Les deux dernières journées ont été un peu plus difficiles parce que nous avons eu des votes, mais c’est pour ça que nous sommes ici. Je voulais simplement vous donner une idée du temps que nous avons consacré à toute cette question.
    Vous avez dit une chose, et le directeur général des élections en a parlé dans son rapport à propos de certains des changements proposés dans ce projet de loi. Parmi ces changements, il y a la carte d’information de l’électeur et le répondant, ainsi que la préinscription des jeunes électeurs, et je crois que vous êtes favorable à ces mesures.
     Y a-t-il d’autres dispositions du projet de loi qui retiennent particulièrement votre faveur et dont il vous semble important qu’elles soient mises en place avant les prochaines élections?
    Oui. Si vous vous reportez à mon mémoire, vous verrez que mes compliments vont bien au-delà de ce que j’ai dit aujourd’hui.
    Je sais que vous avez fait une étude approfondie de toute la question, que vous avez publié trois rapports et que vous avez entendu le directeur général des élections par intérim, et peut-être M. Mayrand avant lui, donc je sais pertinemment que vous avez bien étudié la question. C’est la raison pour laquelle je pense que votre travail ne devrait pas être anéanti par la présentation tardive du projet de loi. Cela a compliqué les choses, car des mesures auraient dû être prises avant ce projet de loi. C’est ce que je pense.
    Oui, il y a d’autres dispositions du projet de loi qui me plaisent tout particulièrement. Par exemple, le fait que le commissaire soit maintenant replacé dans le cadre administratif d’Élections Canada. J’ai déjà parlé du mandat éducatif qui sera donné au directeur général des élections. C’est important si l’on veut avoir une démocratie saine et dynamique.
    Il y a aussi bien d’autres choses. Le projet de loi contient toutes sortes de détails sur la gestion des élections. Comme je le dis souvent, nous devrions nous éloigner de la tradition et élaborer des lois moins détaillées et moins prescriptives. Étant donné le monde dynamique dans lequel nous vivons, nous devrions accorder à Élections Canada davantage d’autonomie et de champ d’action pour s’adapter aux changements technologiques et aux nouvelles pratiques politiques, et lui donner en quelque sorte une panoplie d’instruments à utiliser, le cas échéant.
     Par exemple, j’aime bien l’idée qu’on ne soit plus obligé de poursuivre devant un tribunal celui qui enfreint les règles sur les dépenses électorales, car cela coûte du temps et de l’argent. Il faut trouver une meilleure solution. Nous avons la procédure des transactions, maintenant. Et il va falloir élaborer toute cette panoplie d’instruments dont je viens de parler.
    Quand j’ai fait des études là-dessus, j’ai constaté que le commissaire britannique aux élections avait beaucoup plus de pouvoirs en ce qui concerne la gestion des élections. Comme je l’ai dit, ce projet de loi propose un certain nombre de choses qui vont dans ce sens, comme l’embauche de la moitié du personnel avant la fin de la période pendant laquelle les partis peuvent proposer des directeurs du scrutin. C’est un pas dans la bonne direction, surtout dans le contexte actuel.
    Donc oui, nous allons dans la bonne direction. Mais je pense qu’à plus long terme, il faudrait déléguer davantage de pouvoirs statutaires et de pouvoirs de réglementation. C’est ce dont a besoin un organisme électoral moderne.

  (1300)  

    Monsieur le président, avons-nous un exemplaire de ce rapport? Je n’en ai pas ici.
    Vous voulez parler de son rapport?
    Oui.
    Oui, il est actuellement en cours de traduction, mais nous devrions le recevoir très prochainement.
    Très bien.
     Monsieur Thomas, nous n’avons pas votre mémoire devant les yeux, car il est en cours de traduction.
    Ce sera un bon remède à vos insomnies.
    Ce que vous dites au sujet du ciblage des électeurs m’a particulièrement intéressée. Je sais que c’est une question difficile, mais pourriez-vous me donner des précisions?
     Vous avez dit combien il est important de faire participer certains groupes, par exemple les jeunes et les personnes handicapées, et bien sûr, nous voulons encourager la participation des électeurs. Mais vous nous mettez en garde contre ce genre de ciblage. Il ne reste plus beaucoup de temps, mais pourriez-vous nous dire comment on pourrait augmenter la participation des électeurs sans aller jusqu’à cibler certains groupes, ce que vous dénoncez?
     Je ne me suis pas très bien exprimé, je vais essayer d’être plus clair.
     Élections Canada ne peut pas jouer le rôle de rabatteur d’électeurs. Il peut leur dire quels sont les critères à respecter pour pouvoir voter, comment ils peuvent voter, et quelles sont les modalités possibles, comme le vote à domicile, par exemple. Je crois que ce qu’il manque dans ce projet de loi, c’est la possibilité pour les employés des établissements de soins à long terme d’être les répondants des résidents, à l’intérieur de ces établissements. C’est pourtant ce qui se fait et c’est normal.
     Je crois qu’Élections Canada prêterait le flanc à la controverse s’il jugeait de son mandat d’augmenter le taux de participation des jeunes Canadiens. Les partis politiques ne manqueraient pas d’interpréter cela comme du favoritisme à l’égard d’un parti et pas d’un autre. Il faut donc que cela se fasse pour tous les groupes démographiques, mais comme je l’ai dit, certains groupes nécessiteront des efforts particuliers pour ce qui est de la logistique.
     La ligne de démarcation est très floue.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Encore une fois, nous avons eu une excellente discussion avec des témoins très intéressants. Merci à tous d’être venus et de nous avoir présenté de nouveaux points de vue.
     Pour en revenir à notre programme de travail, je vous rappelle qu’après la période des questions, nous entendrons trois groupes de témoins. Les deux premiers seront composés de quatre témoins chacun, et le dernier, qui comparaîtra de 17 h 30 à 18 h 30, sera composé de représentants de Twitter et de Facebook, ce qui promet d’être animé.
     Pour le moment, nous n’avons rien de prévu pour lundi. Comme nous avons des affaires courantes à régler, je vous propose de le faire lundi après-midi, à moins que vous ayez une autre suggestion, parce que Nathan n’est pas disponible lundi matin.
    Tout de suite, ce n’est pas possible, car j’ai une école qui m’attend à l’Édifice du centre. Je ne peux pas rester.
    Moi aussi, j’ai une école qui m’attend.
    Un député: Va-t-il y avoir des votes?

  (1305)  

    Pas que je sache.
    On m’a dit qu’il y aurait des votes après la période des questions. J’ai peut-être mal compris.
    À 15 h 30, nous nous retrouverons donc ici avec les trois groupes de témoins.
     Dans cette même salle, n’est-ce pas, monsieur le greffier?
    Non, ce sera dans la salle 430.
    Nous nous retrouverons donc dans une autre salle de ce même édifice.
     Scott, lundi après-midi pour régler certaines affaires courantes...
    Volontiers.
    Lundi après-midi, après la période des questions, nous nous réunirons pour régler certaines affaires courantes.
     Nous nous retrouverons tout à l’heure dans la salle 430.
    La séance est levée.
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