La séance est ouverte.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue à la 104e réunion du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(3)h) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 6 décembre 2023, le Comité reprend son étude sur l'utilisation par le gouvernement fédéral d'outils technologiques permettant d'extraire des données d'appareils mobiles et d'ordinateurs.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément au Règlement de la Chambre. Les députés peuvent y participer en personne ou au moyen de l'application Zoom.
[Traduction]
Je veux juste rappeler à tout le monde, comme je le fais toujours, de s'assurer de tenir les écouteurs loin des microphones pour ne pas blesser nos interprètes ou M. Light.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre témoin pour la première heure. Nous accueillons M. Evan Light, qui est professeur agrégé et comparaît à titre personnel.
Monsieur Light, je vous souhaite la bienvenue au Comité. Vous avez cinq minutes pour faire un exposé.
Allez‑y, s'il vous plaît.
:
Bonjour, mesdames et messieurs.
Je suis Evan Light, professeur agrégé au Collège universitaire Glendon de l'Université York.
[Traduction]
Je suis professeur agrégé en communications.
Je vais faire ma déclaration liminaire en anglais, mais je serai également heureux de répondre aux observations ou aux questions en français.
Comme l'un de vous l'a mentionné mardi, je suis la source des documents à partir desquels Radio-Canada fait ses reportages depuis novembre 2023 sur l'utilisation d'outils capables d'extraire des données personnelles des appareils mobiles et des ordinateurs.
Je suis très impressionné par la vitesse à laquelle vous avez relevé le défi d'enquêter sur l'utilisation répandue d'appareils d'analyse de dispositifs mobiles dans l'ensemble du gouvernement fédéral. Cela montre un profond respect pour le droit fondamental à la vie privée. La protection des renseignements personnels n'est pas une chose abstraite. C'est un droit fondamental qui est lié à d'autres droits de la personne. Au Canada, c'est un droit de la personne depuis 1977. Nous parlons de quelque chose qui est très fondamental.
Pour moi, cela signifie que c'est un droit qui ne devrait pas être violé à moins d'avoir une raison très bonne et bien documentée. Je pense que le témoignage des représentants des organismes que vous avez entendus jusqu'à maintenant ne nous permet pas nécessairement de qualifier l'utilisation qu'ils en font de « nécessaire et proportionnée », une expression utilisée à diverses reprises pendant vos dernières réunions.
Depuis 1977, les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas protégé notre droit fondamental à la vie privée. Ce comité, en ce moment, a vraiment une excellente occasion — pas juste une occasion, mais aussi une obligation — d'agir et d'examiner comment le gouvernement protège le droit fondamental à la vie privée.
J'ai transféré de nombreux documents au Comité. Certains ont été traduits, d'autres pas, ce qui signifie que vous n'avez pas toute la documentation sur les sujets que je vais aborder aujourd'hui. Je veux parler de ces questions et de certains témoignages des représentants des organismes avec qui vous avez discuté jusqu'à maintenant.
J'ai vu ces appareils pour la première fois en 2020 en faisant de la recherche pour un cours. Un groupe aux États-Unis a documenté leur utilisation dans plus de 2 000 corps policiers du pays. De la documentation supplémentaire sur l'utilisation de ces outils par différents régimes partout dans le monde et sur leur intégration étroite avec des logiciels espions nous vient du Carnegie Endowment aux États-Unis.
Rapidement à propos de la terminologie, je ne considère pas les appareils d'analyse de dispositifs mobiles comme des logiciels espions. Il en a été question à maintes reprises à votre comité. Ils ont toutefois essentiellement les mêmes capacités. Ils sont vendus par les mêmes fournisseurs et sont utilisés par les mêmes entités. Je ne pense pas que nous devons prêter trop d'importance à la terminologie. Je pense que ce qui compte, c'est que leur utilisation est tout autant intrusive et non réglementée.
Ce qui me préoccupe, ce n'est pas l'existence de ces appareils, mais le fait que leur utilisation n'est pas réglementée. Divers organismes qui ont témoigné devant vous ont dit qu'ils ne savent pas vraiment comment ils s'en servent. Ils n'ont pas de chiffres. Le représentant de l'Agence des services frontaliers du Canada a dit qu'ils s'en servent tout le temps, mais ils ne peuvent pas nous dire le nombre de fois. Quant aux représentants de Services partagés Canada qui ont témoigné mardi, ils ont dit qu'il n'ont pas de politiques ou de procédures sur leur utilisation. Scott Jones décide lui-même à quel moment leur utilisation est justifiée.
Comme des témoins l'ont fait remarquer devant le Comité, l'utilisation des appareils est pertinente. Je crois que M. Mainville, du Bureau de la concurrence, a mentionné mardi qu'ils s'en servent depuis 1996, ce qui a été une révélation étonnante pour moi. Cela montre que le gouvernement se sert régulièrement de ces choses depuis des dizaines d'années. Cela n'a jamais été réglementé ni jamais fait l'objet d'une surveillance.
Tout au long des réunions que le Comité a consacrées à cette étude, des membres du Comité et des témoins ont utilisé l'expression « nécessaire et proportionnée », ou un des deux adjectifs. Je pense que cette expression est vraiment essentielle pour comprendre l'utilisation des appareils d'analyse de dispositifs mobiles ou toute autre technologie de surveillance par le gouvernement. En fait, c'est lié à un document publié en 2014 et préparé par 16 organisations de la société civile de partout dans le monde. C'est appuyé par environ 600 organisations et 300 000 particuliers. Le document s'intitule: « Nécessaire et proportionnée: Principes internationaux sur l'application des droits de l'homme à la surveillance des communications ».
Il faut se pencher sur des cadres juridiques. Il y a des normes pour comprendre comment faire la surveillance tout en respectant les droits de la personne, et je pense que le Canada peut en apprendre quelque chose et qu'il devrait peut-être le faire.
Je serai bref. Mes cinq minutes sont presque écoulées. Je vais terminer par un bref commentaire sur certains des témoignages entendus récemment.
Services partagés Canada et d'autres organisations ont dit qu'ils utilisent seulement les appareils d'analyse de dispositifs mobiles dans des laboratoires isolés, ce qui donne l'impression qu'ils sont vraiment coupés du monde. D'après les moyens et les appareils à leur disposition, c'est manifestement faux. Dans les contrats que j'ai transmis à votre comité, on voit que diverses entités, y compris l'Agence des services frontaliers du Canada, l'Agence du revenu du Canada, Environnement et Changement climatique Canada, la GRC et le Bureau de la sécurité des transports ont tous, ce qui s'appelle, UFED Cloud, un progiciel de Cellebrite qui permet essentiellement d'avoir accès à toutes les applications infonuagiques d'un téléphone. C'est présenté comme un moyen de contourner les mandats.
De plus, pour terminer, je mentionne que différents organismes ont des versions renforcées de ces appareils, ce qui signifie qu'on peut se rendre sur le terrain et les échapper, les utiliser çà et là. Ils n'achèteraient pas ces appareils renforcés s'ils s'en servaient uniquement dans des laboratoires cliniques isolés.
C'est avec plaisir que je vais répondre aux questions.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, monsieur Light, de votre présence ici ainsi que de l'information et de l'analyse qui ont mené à cette enquête.
Je voudrais simplement souligner — je suppose que c'est une demande, car il est parfois difficile de s'attaquer à l'essentiel dans le temps accordé aux questions — que vous avez mentionné qu'il existe des recommandations sur la façon dont un gouvernement peut garantir que les droits sont respectés pendant les enquêtes. Je me demande si vous pouvez, compte tenu de votre expertise, faire parvenir aux comités des recommandations précises — en général, une recommandation peut comprendre deux ou trois phrases — et si vous pouvez décortiquer cela au point de permettre au Comité d'avoir quelque chose à recommander au gouvernement.
Je fais juste remarquer, pour votre gouverne, monsieur Light, que j'ai déposé une question à inscrire au Feuilleton pour demander des détails supplémentaires sur l'ampleur de la situation dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental. Je sais qu'on a mentionné 13 ministères. Services partagés Canada a dit qu'il pourrait y en avoir plus, et j'ai donc posé cette question, et j'espère que le gouvernement donnera cette information. Je crois qu'il a 45 jours pour répondre, donc probablement environ un mois et demi.
Vous avez parlé du droit à la vie privée et dit que c'est reconnu comme un droit de la personne au Canada depuis les années 1970. Une chose que je trouve très intéressante et qui a soulevé tout un éventail de préoccupations est la distinction entre l'utilisation de ces outils d'analyse très puissants à des fins administratives lorsqu'un ministère fouille l'appareil d'un employé dans le cadre d'enquêtes administratives ou quelque chose du genre et leur utilisation à la suite d'une ordonnance d'un tribunal pour fins d'enquête lorsque la personne n'est pas à l'emploi du ministère, n'a pas signé de contrat et fait plutôt l'objet d'une enquête ou qu'elle est un témoin indirect.
Puis‑je vous demander d'expliquer un peu la différence et de dire comment quelqu'un peut réconcilier la distinction entre l'utilisation de ces outils puissants à des fins administratives, disons, dans un ministère ou un organisme, et leur utilisation pour obtenir des renseignements de Canadiens dans le cadre d'enquêtes, que ce soit avec une autorisation judiciaire ou les différents autres formulaires qui pourraient être utilisés selon ce qu'on nous a dit?
:
Oui, absolument. Je vais le faire en anglais pour être plus efficace.
[Traduction]
Cellebrite et d'autres entreprises, par exemple Magnet Forensics, ont la capacité d'extraire ce qu'on appelle des « jetons ». Lorsque des applications sur un téléphone se connectent au nuage, ce sont des jetons qui essentiellement permettent la connexion. Ils servent d'identifiants uniques pour se connecter à un service infonuagique.
En fait, Cellebrite vient de mettre à jour son UFED Cloud, qui est utilisé par au moins cinq ou six organismes, afin qu'il puisse avoir accès aux registres de Lyft et d'Uber. Il peut aussi accéder aux registres de vol des drones de DJI, aux comptes bancaires, aux historiques des recherches sur Google et aux historiques des GPS.
Dans le passé, il aurait fallu obtenir un mandat pour pouvoir accéder à chaque élément relié à une société, et peut-être que cette société aurait reçu un mandat et aurait dû fournir l'information en question. Au lieu de cela, avec un appareil ou une image d'un appareil, on peut maintenant accéder à cette information sans mandat.
J'ai pris bonne note de l'utilisation que mon bon ami, M. Villemure a faite de son iPad pour chronométrer le temps de parole, alors j'espère être efficace, même si je ne procéderai certainement pas avec la même rapidité que celle avec laquelle mon ami M. Housefather a pu poser ses questions.
Notre étude est déjà bien entamée. Habituellement, lorsque des experts témoignent, nous leur donnons le temps de présenter leur domaine d'expertise. Dans votre déclaration préliminaire, vous n'avez pas eu l'occasion de le faire. Je veux vous donner la possibilité de le faire maintenant. Je crois savoir, d'après votre profil, que vous publiez beaucoup d'articles sur les questions de protection de la vie privée, de surveillance et de communications. Pour mettre les choses en contexte, vous pourriez peut-être nous faire part de votre expertise.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Light.
Je ne veux pas parler de l'outil comme tel ou du logiciel qui y est rattaché — le sujet principal de cette séance du Comité —, mais plutôt de l'enjeu de la protection des renseignements personnels en général. Vous avez dit grosso modo qu'il s'agit d'un droit de la personne fondamental. C'est un droit fondamental au Canada depuis 1977.
Monsieur, j'aimerais avoir votre opinion d'expert sur le désastre que constitue l'application ArriveCAN qui, comme on vient de le découvrir, s'est révélé être un gaspillage de fonds publics de plus de 60 millions de dollars.
Souvenez-vous de l'époque où le gouvernement faisait activement la promotion de l'application ArriveCAN. C'était la solution pour lutter contre la COVID, pour mieux protéger les Canadiens, etc. J'aimerais avoir votre avis sur le préambule de l'application quand on s'y inscrit. Il s'intitule: « Comment vos renseignements sont utilisés et divulgués », et on dit:
Les renseignements personnels peuvent être communiqués à des entrepreneurs travaillant pour l’Agence de la santé publique du Canada et Service Canada, ainsi qu’aux entités suivantes: d’autres institutions gouvernementales, ainsi que les gouvernements provinciaux, territoriaux, municipaux ou des organisations internationales de la santé et leurs institutions servant à ces fins.
Les renseignements personnels peuvent également être utilisés pour l'évaluation du programme. Dans d'autres circonstances limitées et particulières, les renseignements personnels peuvent être utilisés ou communiqués sans consentement, conformément à l'article 7 et au paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Il semble que des millions de Canadiens qui ont été forcés par le gouvernement Trudeau de s'inscrire à l'application ArriveCan ont vu leurs renseignements personnels largement...
:
C'est n'est pas négociable et ce n'est pas discutable.
Le préambule que vous avez lu est vraiment intéressant parce qu'il renvoie — si vous vous souvenez du projet de loi — à la loi du gouvernement Harper qui a porté l'échange de données entre les organismes gouvernementaux à un tout autre niveau.
Le préambule énonce en quelque sorte comment cela s'est produit. Il nous montre comment l'information circule entre les organismes et comment cela est devenu une pratique courante. Cela remonte très loin. Ce n'est rien de nouveau. Cela remonte probablement avant les années Harper. C'était sans doute une pratique informelle qui est maintenant plus officielle.
Cela me fait peur, en effet. Comme j'ai utilisé moi-même ArriveCAN quand l'application est sortie parce que je trouvais cela plus simple — je n'avais pas de papier à remplir dans l'avion —, je pense que les technologies que l'on utilise dans nos aéroports et à la frontière sont très intrusives. Elles le sont aussi ailleurs dans le monde. Je suis allé dans des aéroports en Europe où je ne pouvais pas obtenir une connexion sans un balayage de mon visage et de mes mains.
Je ne pense pas qu'on ait atteint ici un tel niveau d'intrusion, mais oui, je pense que c'est un problème.
:
Je ne dis pas que les employés n'utilisent pas leurs téléphones pour des raisons personnelles, mais l'employeur s'attend, au gouvernement ou dans les banques d'investissement, à ce que l'outil fourni aide les employés dans leur travail, et non pas à ce qu'il soit utilisé en dehors du travail.
J'aimerais vous faire part d'une partie du témoignage que nous avons entendu précédemment de la part de Services partagés Canada. Le témoin a dit: « [B]ien qu'il ait été question de logiciels espions dans les médias, je tiens à vous assurer que les outils utilisés par SPC ne correspondent aucunement à cette description. »
Il a ajouté:
Ces enquêtes ont lieu uniquement lorsqu'il y a une allégation crédible d'acte répréhensible commis par un employé et pour assurer la sécurité des réseaux gouvernementaux dont dépendent les Canadiens. Les employés concernés sont toujours informés du déroulement de ces enquêtes et l'équité procédurale est respectée.
Nous avons entendu un témoignage semblable de l'ASFC, dans les situations où il n'y a qu'un mandat. Les procédures ne s'enclenchent pas lorsqu'on vous prend votre téléphone au cours d'un deuxième contrôle, mais seulement lorsqu'il y a un mandat.
Puis, la GRC a dit: « [L]es informations diffusées dans les médias selon lesquelles ces outils de criminalistique numérique sont assimilables à des logiciels espions sont inexactes, et je vous fournirai des éclaircissements à ce sujet. » Il a ajouté: « Ces outils sont utilisés sur des appareils numériques saisis légalement dans le cadre d'enquêtes criminelles. »
Je suppose que ma question est la suivante: pensez-vous que ces témoins disent la vérité lorsqu'ils formulent ces propos en comité?
:
Bonjour et merci de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
Je m'appelle Nathan Prier. Je suis le président de l'Association canadienne des employés professionnels, ou ACEP, qui représente plus de 25 000 fonctionnaires des services économiques, des services des sciences sociales et des groupes de traduction, ainsi que des employés de la Bibliothèque du Parlement, du Bureau du directeur parlementaire du budget et des membres civils de la GRC.
Nous sommes choqués et consternés d'apprendre que des logiciels espions ont été utilisés dans de nombreux ministères fédéraux sur des appareils fédéraux utilisés par des travailleurs de la fonction publique, sans même suivre les politiques du gouvernement. L'utilisation de ces logiciels espions a été mise au jour, comme nous venons de l'entendre, grâce à une demande d'accès à l'information présentée par M. Light. Les fonctionnaires ont appris la violation potentielle de leurs droits dans les médias plutôt que par le biais d'évaluations obligatoires des facteurs relatifs à la vie privée ou d'une divulgation proactive par l'employeur.
Ce genre de comportement secret mine la confiance entre les travailleurs du secteur public et leur employeur. M. Light a décrit l'utilisation de ces logiciels espions comme étant « exagérée » et « ridicule, mais aussi dangereuse, » et nous venons d'entendre quelques exemples des raisons expliquant pourquoi il est de cet avis. À notre avis, l'utilisation de tels logiciels est assez répressive et brise la confiance de nos membres.
La Directive du gouvernement sur l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée est en place pour veiller à ce que toute collecte de données se fasse par les méthodes les moins intrusives possible. De plus, le commissaire à la protection de la vie privée du gouvernement a indiqué que des évaluations sont nécessaires chaque fois que des outils portant atteinte à la vie privée sont utilisés, même lorsqu'une autorisation judiciaire permet le recours à une mesure donnée. Les 13 ministères en question n'ont pas effectué d'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée avant d'utiliser ces logiciels espions, malgré leurs propres politiques exigeant une telle évaluation. Selon nous, c'est tout à fait inacceptable.
[Français]
Les employés du secteur public fédéral doivent jouir des mêmes droits à la vie privée et à un traitement équitable que les autres Canadiens et Canadiennes. Leur employeur doit renforcer leur confiance, afin qu'ils puissent fournir des services de qualité aux Canadiens. Afin de rétablir cette confiance et de garantir que les employés du secteur public fédéral conservent leur droit à la vie privée et à un traitement équitable, nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en œuvre un plan visant à mettre à jour et à respecter, de manière cohérente, son cadre de politique numérique.
[Traduction]
L'ACEP, mon syndicat, est ici pour présenter trois demandes précises.
Premièrement, nous demandons au gouvernement de mettre fin à l'utilisation de logiciels espions sur les appareils fédéraux allant à l'encontre de ses propres règles et d'utiliser les mesures les moins invasives qui soient. Tous les fonctionnaires ont droit à l'application régulière de la loi pendant les enquêtes.
Deuxièmement, nous voulons savoir quand le gouvernement prévoit d'effectuer des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée dans tous les ministères touchés et de rendre publics les résultats de ces évaluations afin d'aider les fonctionnaires à rétablir la confiance envers leur employeur après ces violations. L'utilisation de logiciels espions entraîne une érosion du droit à la vie privée qu'aucun fonctionnaire ne devrait accepter au premier abord.
Enfin, nous demandons au gouvernement de procéder à un examen approfondi de toutes ses politiques numériques afin de s'assurer que le cadre stratégique actuel est suffisamment robuste pour protéger les droits numériques des employés, y compris leur droit à une protection raisonnable de leur vie privée, leur droit d'être informés de tout outil de surveillance numérique utilisé en milieu de travail et leur droit de se déconnecter du travail après les heures travaillées.
Les membres de l'ACEP fournissent des conseils stratégiques judicieux au gouvernement et ils ne peuvent faire leur meilleur travail que lorsque l'employeur démontre sa volonté d'être ouvert, transparent et respectueux de la fonction publique.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui.
Je m'appelle Jennifer Carr, et je suis la fière présidente de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Nous représentons 75 000 fonctionnaires fédéraux et certains fonctionnaires provinciaux. Nous représentons également des travailleurs des technologies de l'information, ou TI.
D'entrée de jeu, je veux exprimer très clairement notre position. Le droit à la vie privée des employés doit être protégé. Les employés du gouvernement, nos membres, sont des citoyens canadiens comme vous et moi. Nous avons tous le droit de savoir quand nos renseignements sont consultés, quels renseignements sont recueillis, comment ils seront utilisés, qui les détient et qui y aura accès, et comment ils sont stockés et protégés. J'espère que nous pouvons tous convenir que le gouvernement fédéral, qui est l'un des plus grands employeurs, devrait donner l'exemple à tous les autres employeurs et être tenu de respecter les normes les plus élevées.
Malheureusement, comme vous l'avez entendu, il semble que de nombreux ministères et organismes gouvernementaux n'ont pas atteint cette norme. Ils n'ont pas respecté les politiques et règles du gouvernement. Il semblerait qu'ils ont fait fi de la directive du Conseil du Trésor exigeant que des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée soient effectuées avant d'utiliser ce genre d'outils.
Il est question de ministères et d'organismes fédéraux qui pourraient utiliser ces outils pour avoir accès à des messages textes, à des courriels, à des photos et à des antécédents de voyages; pour accéder à des données infonuagiques et révéler des antécédents de recherche sur Internet, du contenu supprimé et des activités dans les médias sociaux; et possiblement pour récupérer des renseignements chiffrés ou protégés par un mot de passe.
Pensez à tous les renseignements qui se trouvent actuellement sur votre téléphone, vos tablettes, votre montre ou votre ordinateur: des données sur la santé, des renseignements financiers, des messages supprimés de vos amis et de votre famille, ou des données infonuagiques comme vos photos de famille stockées sur Dropbox, Google ou OneDrive. Il est absurde d'avancer que l'utilisation d'un téléphone ou d'un ordinateur fourni par l'employeur signifie de renoncer à tous les droits à la vie privée.
Nous sommes profondément préoccupés d'apprendre que certains employeurs, comme Pêches et Océans Canada, ont prétendu que l'utilisation de ces outils était justifiée parce que les données appartiennent au ministère.
Même si l'appareil appartient à l'employeur, ce dernier ne possède pas les données personnelles qui s'y trouvent pour autant. Le commissaire à la protection de la vie privée et les juristes ont été on ne peut plus clairs à ce sujet. Le commissaire a également précisé que, même lorsqu'une autorisation légale est accordée, les ministères ne sont pas exemptés de faire l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. Ces évaluations sont essentielles pour cerner les risques en matière de protection de la vie privée et déterminer comment ils peuvent être atténués ou éliminés.
Le commissaire à la protection de la vie privée devrait indiquer sans équivoque que son bureau doit être consulté avant que ces outils ne soient utilisés, et qu'il ne doit pas entendre parler de leur utilisation dans les médias après coup.
Nous avons également besoin de transparence quant à la fréquence à laquelle les évaluations doivent être menées et aux facteurs qui devraient déclencher une nouvelle évaluation. La technologie évolue plus rapidement que jamais. Par conséquent, nos lois, nos règlements et nos pratiques en matière de protection de la vie privée doivent évoluer tout aussi rapidement.
De plus, les ministères et organismes gouvernementaux devraient être tenus de consulter le commissaire à la protection de la vie privée avant d'adopter de nouvelles règles en matière de protection de la vie privée, surtout lorsqu'elles concernent l'utilisation d'outils logiciels intrusifs. À défaut de cela, les députés devraient modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels pour en faire une exigence en vertu de la loi.
Les employés que nous représentons sont aussi préoccupés par les témoignages que vous avez entendus de la part de certains de leurs ministères. Les représentants de Santé Canada ont d'abord dit que le ministère avait acheté ces outils, mais qu'il ne les avait jamais utilisés, avant d'admettre qu'il les avait utilisés, mais sans dire à quelles fins. Des représentants du ministère de la Défense ont témoigné ne pas vraiment savoir si les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée avaient été effectuées ou non. Les représentants de la GRC vous ont dit qu'ils utilisaient les outils, mais qu'ils ne feraient l'évaluation des facteurs que plus tard cette année.
En tant que syndicat représentant des dizaines de milliers d'employés fédéraux, ces messages contradictoires accentuent nos préoccupations au sujet de la surveillance électronique dans nos milieux de travail.
En terminant, je tiens à remercier les membres du Comité d'avoir lancé cette étude. Nos membres vous sont reconnaissants d'avoir décidé de vous pencher sur cette question. Nous vous exhortons à formuler des recommandations fermes et claires sur la façon de mieux protéger les données personnelles des employés du gouvernement. Ces recommandations devraient comprendre ce qui suit.
Les ministères et organismes gouvernementaux devraient être tenus par la loi d'effectuer des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée avant d'utiliser l'un ou l'autre de ces outils, que des autorisations légales aient été données ou non, comme l'a recommandé le commissaire à la protection de la vie privée. De plus, des méthodes moins intrusives devraient être utilisées pour recueillir des renseignements, comme l'exige la Directive sur l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée.
En cas de non-respect des directives du Conseil du Trésor, il devrait y avoir des répercussions et des mesures claires pour veiller à ce que les ministères et organismes gouvernementaux s'y conforment davantage à l'avenir.
Deuxièmement, il faut fournir des lignes directrices plus claires sur les programmes nouveaux ou modifiés qui nécessiteront de nouvelles évaluations des facteurs relatifs à la vie privée et mettre à jour les lignes directrices actuelles. La technologie évolue rapidement, et nos pratiques doivent refléter cette réalité.
Enfin, le gouvernement doit reconnaître qu'il ne détient pas les données personnelles se trouvant sur les appareils utilisés par les employés. À mesure que les outils sur lesquels le Comité se penche dans le cadre de cette étude deviennent plus puissants et intrusifs, les mesures de protection de la vie privée doivent elles aussi être renforcées.
Nous exhortons tous les députés à s'unir pour veiller à ce que le gouvernement maintienne les normes les plus élevées en matière de protection de la vie privée des employés. Faisons de notre gouvernement un modèle d'employeur partout au pays sur le plan de la protection des renseignements personnels en milieu de travail.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres aujourd'hui. Je vous remercie de nous avoir fait part de vos recommandations. Une partie du travail de notre comité consiste à en formuler. Je vous remercie tous deux de nous en avoir fait part.
Le commissaire à la protection de la vie privée s'est exprimé à propos de l'utilisation du terme « logiciel espion ». Il a déclaré ce qui suit pendant son témoignage au Comité: « [dans] les premiers reportages, ces outils étaient qualifiés d'outils de surveillance secrète ou de “logiciels espions”. Depuis, il a été précisé qu'il ne s'agit pas de logiciels espions, mais plutôt d'outils d'investigation informatique. » Il a également déclaré que « [les] outils d'investigation informatique se distinguent des logiciels espions par le fait que ces derniers sont généralement installés à distance sur l'appareil d'une personne à l'insu de celle‑ci ».
Nous avons entendu dire que ces appareils sont utilisés dans le cadre de la réglementation, par l'entremise d'un mandat et au su des employés. Plusieurs agences nous ont répondu que... Je crois que je leur ai demandé s'il était possible d'accéder à distance à des renseignements d'employés avec ces outils et elles ont répondu non. Elles ont dit qu'il fallait obtenir un mandat et se procurer l'appareil physiquement et s'y connecter pour extraire les renseignements dont nous avons parlé.
Qu'en pensez-vous, madame Carr?
:
Il s'agissait d'une violation flagrante des politiques d'approvisionnement et d'une violation flagrante de... C'est l'une des nombreuses façons dont la sous-traitance a enflé ce que les gens considèrent généralement comme le secteur public. En fait, les fonctionnaires ne constituent pas la totalité de la fonction publique. Il s'agit en grande partie de relations louches et d'entrepreneurs... Ils sont parfois nécessaires, bien sûr.
Je suis ici à titre d'analyste des politiques et de président d'un syndicat qui représente de nombreuses personnes qui ont la même profession que moi. Même dans le monde spécialisé de l'élaboration des politiques, la sous-traitance est chose commune. Il y a des bases de données auxquelles nous n'avons pas accès. Il y a des champs d'information auxquels nous n'avons tout simplement pas accès, mais le fait de ne pas être en mesure de bâtir la mémoire institutionnelle nécessaire pour pouvoir accomplir nos tâches de façon régulière est un problème persistant.
Lorsque les gens parlent du gonflement du secteur public, pour nos membres, il s'agit des vastes réseaux de relations avec les entrepreneurs pour un travail qui pourrait probablement se faire à bien meilleur marché, de façon beaucoup plus efficace et dans l'esprit de renforcer la mémoire institutionnelle et la capacité à l'interne.
Nous ne croyons pas que la taille du secteur public soit démesurée. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de couper dans le gras au cours des 5 à 10 prochaines années. Cependant, nous avons besoin que ces relations avec les entrepreneurs et ce vaste réseau soient fortement limités, car nous estimons que nos membres sont qualifiés et sont les mieux placés pour faire le travail, et qu'il faut assurer une surveillance stricte et appropriée.
:
Merci, monsieur le président.
C'est merveilleux d'être ici avec vous, monsieur le président, et tous mes honorables collègues. Cela fait déjà deux ou trois ans depuis la dernière fois où j'ai siégé au comité de l'éthique. J'ai siégé ici pendant un certain temps. J'ai toujours trouvé que ce comité était très important à bien des égards. Je dirais qu'il mène de nombreuses études sérieuses.
Je souhaite la bienvenue aux témoins ici aujourd'hui.
Tout d'abord, je tiens à remercier les témoins, tous vos syndiqués et tous les fonctionnaires fédéraux de tout le travail que vous faites. Je ne remercie pas seulement les employés de la Bibliothèque du Parlement qui aident les députés. Merci à vous pour tous les services et les prestations que vous fournissez à des millions de Canadiens tous les jours.
J'aimerais aussi dire que nous avons embauché bien des gens dans la fonction publique fédérale ces dernières années. Nous l'avons rebâtie après les compressions dévastatrices du gouvernement Harper; c'est ainsi que je pourrais les décrire. Ce gouvernement‑là a fait des coupes jusqu'à l'os. Nous savons ce que c'était d'être fonctionnaire fédéral sous l'administration conservatrice, n'est‑ce pas?
Il y a peu, le député de Brantford—Brant a dit ici au Comité que pour les fonctionnaires, il n'y a pas d'enjeux de vie privée dans leur cas.
Madame Carr et monsieur Prier, croyez‑vous que les fonctionnaires ont droit à la protection de leurs renseignements personnels?
Concernant la vie privée, j'ai le plaisir et l'honneur de siéger au comité de l'industrie. Le projet de loi et la LPRPDE contiennent des dispositions sur la protection de la vie privée, qui prend beaucoup d'importance de nos jours; c'est le moins qu'on puisse dire. Il faut trouver un équilibre. J'emploie des termes très courants, si je puis dire. Comme bien des députés, j'ai travaillé dans le secteur privé avant d'avoir le grand plaisir de servir les électeurs de ma circonscription. Lorsqu'on reçoit un appareil de son employeur, cet appareil lui appartient. Il faut l'utiliser avec discernement et diligence. Il faut trouver un équilibre; c'est ce que j'ai toujours considéré.
Dans ce contexte, dans les opérations du gouvernement et dans les ministères, il faut respecter des garde‑fous et suivre les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée. Je l'ai littéralement appris dans les dernières heures. Je siège à deux autres comités, donc ma semaine a été fort occupée. Ces évaluations prévoient qu'il peut y avoir des enquêtes au besoin. Quand il faut mener une enquête, il faut examiner tous les appareils et leur contenu.
Pour mettre les choses en perspective, si je travaillais pour l'organisation de M. Prier et que je signais une entente avec le gouvernement fédéral, on accepterait que j'utilise l'appareil qui m'est prêté, mais de façon responsable. Je le dis, car il faut trouver un équilibre. Quand les règles ne sont pas suivies comme il faut, il faut bien sûr corriger les processus internes et la gouvernance.
Êtes‑vous d'accord que le consentement et l'équilibre sont importants, mais que l'utilisateur final détient aussi une responsabilité importante?
C'est ce qui met fin à cette partie de la réunion d'aujourd'hui.
Je vous remercie tous d'avoir témoigné devant notre comité pour cette étude importante. Je tiens aussi à relayer le message suivant du Comité à vos membres: nous vous sommes très reconnaissants du travail que vous accomplissez pour les Canadiens.
S'il n'y a pas d'autre chose, c'est ainsi que se conclue la réunion d'aujourd'hui.
Je vous souhaite tous une bonne semaine dans vos circonscriptions.
À notre prochaine séance du 27 février, nous entendrons le commissaire de la GRC en lien avec SNC‑Lavalin.
Je remercie la greffière, les analystes et les techniciens de toute leur aide pour tenir cette réunion.
La séance est levée.