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FOPO Rapport du Comité

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Crise de confiance envers les sciences du MPO

Rapport supplémentaire du Parti conservateur

Introduction

Le 1er février 2022, le Comité permanent des pêches et des océans (FOPO) a adopté une motion présentée par le député Mel Arnold, qui proposait que le Comité examine comment le ministère des Pêches et des Océans (MPO) établit les priorités, finance et élabore des études et des avis scientifiques pour le Ministère, comment les résultats des études scientifiques sont communiqués à la ministre et à la population canadienne, et comment la ministre intègre les données et les conseils fournis par son ministère et d’autres ministères dans le processus décisionnel.

La science devrait être un fondement essentiel des décisions de la ministre des Pêches et des Océans (« la ministre ») et du MPO. Bien que les dispositions de la Loi sur les pêches permettent à la ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de prendre en considération divers facteurs avant de prendre des décisions, la nature essentiellement biologique des pêches et des océans fait que leur gestion et leur conservation efficaces requièrent des évaluations, des décisions et des stratégies fondées sur la science.

Malgré des investissements considérables dans le Secteur des sciences du MPO, on ne constate pas d’amélioration concrète de la gestion des principaux stocks : certains stocks continuent de décliner, et des décisions de gestion ont été prises sans évaluation scientifique adéquate. L’absence d’évaluations convenables compromet également la capacité de la ministre et du MPO à repérer et à rendre accessibles les occasions offertes par des pêches pouvant être exploitées de façon durable.

Par ailleurs, l’importance accordée à la science et à la conservation dans les décisions et les actions ou inactions de la ministre et du Ministère reste souvent obscure et inexpliquée.

Pendant des années, les différents ministres des Pêches et le MPO ont rendu des décisions sans donner de raisons scientifiques ni expliciter les facteurs pris en compte, ce qui n’est pas sans inquiéter les Canadiens, en particulier ceux qui sont directement touchés par ces décisions. Les conservateurs partagent ces préoccupations et sont déterminés à faire pression sur le gouvernement pour obtenir les réponses et les changements que les Canadiens méritent.

Des engagements non respectés

Lors des élections fédérales de 2015, les libéraux de M. Trudeau ont présenté aux Canadiens un programme électoral dans lequel on pouvait lire que le « gouvernement doit appuyer ses politiques sur des faits, et non pas inventer des faits en fonction des politiques qu’il priorise. Le bon sens, la saine politique et les faits doivent l’emporter sur l’idéologie[1]. » Les deux premiers des cinq ministres des Pêches qui ont occupé ce poste depuis 2015 ont d’ailleurs reçu une lettre de mandat qui réitère ce judicieux engagement.

Tandis que les lettres de mandat des ministres Tootoo[2] et LeBlanc[3] les enjoignaient à « veiller à ce que les décisions se fondent sur la science, les faits et les preuves et servent l’intérêt du public », cette directive ne figurait pas dans les lettres de mandat des trois ministres des Pêches qui leur ont succédé depuis 2018.

Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose des promesses du programme libéral de 2015 et du mandat des deux premiers ministres des Pêches. Loin d’être fondées sur des faits et des données scientifiques probantes et transparentes, les décisions de la ministre et du MPO reposent de plus en plus sur des considérations politiques plutôt que sur la protection de l’intérêt du public et de la durabilité des pêches qui font vivre les pêcheurs et les collectivités côtières et alimentent les chaînes d’approvisionnement.

Les conservateurs partagent les préoccupations de nombreux Canadiens qui estiment que les politiques idéologiques ont pris le pas sur les objectifs de conservation et les considérations scientifiques et socioéconomiques censés guider les décisions prises par la ministre dans le cadre du mandat confié par le premier ministre – des décisions qui, en fin de compte, ont perturbé les collectivités côtières et les moyens de subsistance des pêcheurs, sans toutefois assurer la gestion, la restauration ou la conservation des pêches.

Premier objet de l’étude : La façon dont le ministère des Pêches et des Océans (MPO) établit les priorités et finance et élabore des études et des avis scientifiques pour le Ministère.

Pour évaluer comment le MPO établit ses priorités en matière de sciences, il convient d’examiner à nouveau les mandats confiés par le premier ministre à ses ministres responsables de la gestion des pêches et des océans. La lettre de mandat de chacun des cinq ministres des Pêches qui se sont succédé depuis 2015 prévoit que le ministre doit accorder la priorité aux sciences des océans ou de la mer, tandis que les sciences halieutiques ne sont jamais mentionnées.

L’accent mis par le premier ministre sur les sciences océaniques sert peut-être ses objectifs politiques ou stratégiques, mais il a aussi entraîné un déséquilibre sur le plan des priorités du MPO et de l’allocation des ressources destinées aux sciences, en particulier aux sciences halieutiques. Ces déséquilibres ont à leur tour exacerbé les lacunes en matière de sciences et de connaissances, ce qui a directement miné la capacité de la ministre et du MPO à prendre des décisions de gestion éclairées. Cette négligence des sciences halieutiques s’est traduite par un recours accru au principe de précaution et par la restriction de l’accès aux pêches dont dépendent des pêcheurs et des collectivités.

Les pêcheurs ont exprimé de sérieuses inquiétudes après que la ministre a fait part, lors d’une assemblée annuelle de la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada, de sa vision de la pêche sur la côte Est et de son objectif à ce chapitre, lequel consiste à laisser le plus de poissons possible dans l’eau et à y faire pousser le plus de végétaux possible pour que l’océan Atlantique absorbe plus de carbone et contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique[4].

Dans la foulée de cette déclaration, l’Union des pêcheurs de Terre-Neuve (FFAW-Unifor) a publié un communiqué selon lequel la ministre a également affirmé qu’en consentant ce sacrifice, les pêcheurs aideront le Canada à remplir ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique et que, grâce aux progrès technologiques, il sera plus facile pour eux de changer de carrière, car ils pourront travailler à distance en demeurant dans leur collectivité[5].

Après que la FFAW a dénoncé publiquement les déclarations de la ministre, le cabinet de cette dernière a publié une déclaration indiquant que ses propos avaient été mal interprétés[6]. Or, la ministre n’a pas clarifié sa position, et les décisions qu’elle a prises avant et après avoir déclaré qu’elle voulait laisser « autant de poissons que possible dans l’océan » semblent appuyer cet objectif avoué.

Invité à commenter les propos de la ministre lors de son témoignage devant le Comité, le président de la FFAW de l’époque, Keith Sullivan, a déclaré : « Je ne crois pas que c’était une fausse interprétation. Ce n’était pas la première fois que nous entendions cela, et c’est assez troublant. Nos collègues de la côte Ouest, comme l’a mentionné Mme Burridge, étaient très inquiets au sujet de la décision concernant le hareng. Nos membres étaient très préoccupés par certains messages véhiculés, et nous voulions que cela se sache[7]. »

La décision du gouvernement Trudeau de privilégier les sciences océaniques au détriment des sciences halieutiques contredit les mandats de la ministre et de son ministère, qui consistent à favoriser la durabilité, la stabilité et la prospérité des pêches, afin de permettre à cette industrie « de continuer à faire croître l’économie et [à] soutenir les communautés côtières[8] ».

Lors de sa comparution dans le cadre de cette étude, Robert Rangeley, d’Oceana Canada, a déclaré que « le MPO doit accorder la priorité à l’augmentation de la capacité nécessaire pour achever les plans de rétablissement des pêches[9] ». Selon M. Rangeley, la vérification annuelle des pêches d’Oceana a révélé que « seulement 7 des 33 stocks correspondant au niveau de l’épuisement – soit environ 21 % – font l’objet de plans de rétablissement et que la plupart de ces plans sont de mauvaise qualité. Le MPO ne réalise que 20 % des résultats attendus énoncés dans les plans de travail annuels, mais s’il avait respecté ses priorités, il aurait doublé le nombre de plans de rétablissement en place. »

« En raison d’un manque de ressources scientifiques, la tâche pourrait être plus importante que ce que le MPO reconnaît », a ajouté M. Rangeley. « Une nouvelle analyse portant sur des stocks sur lesquels on dispose de peu de données donne à penser que le nombre total se situant dans la zone critique serait de 58, soit 25 % de tous nos stocks, sans compter le saumon[10]. »

Lors de sa comparution, Christina Burridge, de la BC Seafood Alliance, a dit que « bien que l’afflux de fonds pour la science ait été bienvenu au cours des dernières années, la plupart de ces fonds étaient destinés à la science océanique et très peu à la science halieutique[11] ».

« Je suis sûre que mes collègues conviendront avec moi que l’évaluation des stocks et des risques et l’atténuation de ces risques auxquelles les gestionnaires des pêches se livrent sont absolument essentielles, a dit Mme Burridge. Nous constatons que la demande de travaux scientifiques a augmenté de façon exponentielle[12] ».

Selon ce témoin, le manque de capacité du MPO en science halieutique est exacerbé par le départ à la retraite des évaluateurs de stocks et des techniciens expérimentés et l’absence de stratégie de mentorat des jeunes diplômés[13].

Mme Burridge a aussi expliqué qu’une grande partie de la demande accrue de recherches halieutiques est attribuable à la réglementation et à la législation, et que ces travaux prennent la place des évaluations régulières des stocks nécessaires à l’écocertification des poissons et fruits de mer canadiens[14].

Or, comme l’écocertification est une valeur ajoutée pour ces produits, c’est toute la chaîne d’approvisionnement canadienne, du pêcheur au consommateur, qui s’en ressent si cette certification ne peut être obtenue parce que le MPO n’a pas les ressources adéquates en science halieutique.

De plus, les lacunes dans ce domaine soulèvent des questions sérieuses sur la capacité de la ministre et du Ministère de gérer et de conserver les pêches. En effet, on ne peut pas gérer ce qu’on ne mesure pas. Or, la ministre doit diriger le Ministère de telle sorte qu’il remplisse son mandat de « gestion durable des pêches ». Sa capacité de le faire est directement entravée si la science halieutique n’est pas une priorité et qu’on n’y consacre pas les ressources adéquates[15].

Le MPO a aussi pour mandat de travailler « en collaboration avec les pêcheurs, les collectivités côtières et les peuples autochtones afin d’assurer leur prospérité à long terme, laquelle repose sur le poisson et les fruits de mer[16] ». Le gouvernement Trudeau, parce qu’il n’assure pas un nombre adéquat d’évaluations des stocks, perpétue les manquements répétés de la ministre et du Ministère, qui sont censés, selon leur mandat, cerner et concrétiser toutes les occasions existantes d’assurer la prospérité des pêcheurs et des collectivités côtières et autochtones du Canada.

Les pêcheurs ont besoin de stocks durables. Ils s’efforcent donc, de leur côté, de combler les lacunes laissées par les carences du MPO en science halieutique. Keith Sullivan, de FFAW, a dit au Comité que son syndicat « a beaucoup investi dans la constitution d’une équipe compétente de scientifiques à temps plein et d’autres employés. Nous savons que les données scientifiques recueillies ont souvent comblé les lacunes laissées par le gouvernement fédéral. Chaque année, plus d’un millier de personnes mettent bénévolement à profit leur temps et leurs connaissances, apportant ainsi une contribution considérable à la science[17] ».

Jean Côté, du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG), a affirmé que, afin de répondre aux questions des évaluateurs de l’écocertification, il procède à une analyse annuelle des données sur les appâts et les prises accidentelles fournies par les pêcheurs membres de son organisme[18].

Mais selon les témoignages entendus, le MPO se montre fort peu intéressé par tous ces efforts et investissements faits par les pêcheurs. M. Côté a dit que, alors qu’il conduit depuis plus de 10 ans des relevés et des analyses des stocks de homards en Gaspésie, le Ministère n’a offert aucune occasion « d’avancer vers une collaboration plus poussée avec [lui] quant à l’analyse des données et au travail scientifique fait par le RPPSG[19] ».

Même son de cloche chez M. Sullivan, selon qui, malgré les investissements et les contributions de son syndicat en science halieutique, « les pêcheurs n’ont toujours pas vraiment voix au chapitre et le MPO continue de ne pas tenir compte de ces travailleurs et de leurs contributions[20] ».

Morley Knight, ancien directeur régional au MPO de la gestion des pêches, a confirmé que, alors qu’il lui manque des capacités essentielles en science halieutique, le Ministère n’utilise pas les données provenant des pêcheurs. Selon ce témoin, le programme scientifique du MPO est certes reconnu à l’échelle internationale et bien financé, mais il « est souvent incapable de produire des avis scientifiques adéquats pour la gestion des pêches[21] ».

Des trésors de données recueillies par les pêcheurs restent inutilisés. « Les données disponibles ne figurent pas toujours dans les résultats ou dans les modèles, notamment les données des journaux de bord ou les données des observateurs, a dit M. Knight. On n’insiste pas assez pour que les pêcheurs recueillent des données et des échantillons. Les rapports sur l’état des stocks sont produits sans tenir compte des renseignements anecdotiques des pêcheurs et des groupes autochtones sur la santé des stocks[22] ».

On a parlé à Christopher Jones, ancien gestionnaire principal des pêches au MPO (à la retraite), des décisions d’évaluation et de gestion prises par le Ministère à propos des stocks transfrontaliers de maquereau de l’Atlantique. Plus particulièrement, on lui a demandé si la recherche scientifique et la gestion des stocks faisaient l’objet d’une coordination entre les organes de réglementation canadien et américain. Le témoin a répondu qu’à sa connaissance, cette coordination n’existait pas[23].

On lui a ensuite demandé si le MPO devrait tenir compte de la température de l’océan lorsqu’il procède aux relevés de la biomasse féconde du maquereau de l’Atlantique.

Christopher Jones a répondu que « la recherche doit contribuer davantage à l’évaluation scientifique. La référence à la température et à l’état des stocks d’œufs en est un exemple. Cependant, il y a des années, et peut-être même plus d’une décennie, des scientifiques sont venus le long des côtes de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve pour travailler avec l’industrie de la pêche, prendre des mesures et développer la base de données pour l’évaluation du maquereau[24] ».

Morley Knight aussi a parlé de l’évaluation par le MPO du stock de maquereau de l’Atlantique : « les programmes de sciences et les scientifiques sont intimement reliés à des processus et des modèles théoriques. Ces processus s’effondrent lorsqu’un relevé n’est pas réalisé ou lorsque les modèles ne produisent tout simplement pas de résultats conformes à un ensemble de preuves flagrantes qui montrent que les modèles ne produisent tout simplement pas une réalité[25] ».

« Les modèles utilisent des données comme l’abondance, la taille selon âge, la maturité, la mortalité naturelle, etc., ainsi que certains jugements des scientifiques, mais ne peuvent jamais tenir compte de toutes les variables, comme des changements inconnus dans la taille à maturité, a dit M. Knight. Les modèles ne sont pas toujours justes[26] ».

Ce témoin a ajouté qu’il fallait s’assurer « que les navires dont les scientifiques ont besoin pour faire leur travail soient en service. Il faut en faire une priorité pour que la science soit appliquée, et les gens doivent être tenus responsables de la réalisation de cet objectif[27] ».

Le financement des sciences au MPO

La ministre a déclaré qu’elle est responsable de son ministère et qu’elle doit remplir le mandat que lui a confié le premier ministre. Il n’est donc pas étonnant que les priorités apparemment visées par les décisions de financement de la ministre et du MPO cadrent avec les mandats confiés par le premier ministre.

Les lettres de mandat remises par le premier ministre Trudeau aux ministres Tootoo (2015), LeBlanc (2016) et Wilkinson (2018) prévoyaient la mise en œuvre des recommandations de la Commission Cohen. Cette responsabilité était toutefois absente des lettres de mandat du premier ministre aux ministres Jordan (2019) et Murray (2021).

La Commission Cohen a été créée en 2009 afin d’enquêter sur le déclin du saumon rouge du fleuve Fraser. Dans son rapport publié à la fin de 2012, le juge Cohen a déclaré que dans son évaluation des impacts des fermes salmonicoles du Pacifique sur les stocks de saumon sauvage, il n’avait pas pu déterminer l’« arme du crime[28] », mais admet qu’il y a « probabilité d’un préjudice[29] ». Le juge Cohen avait entre autres recommandé la tenue d’une évaluation scientifique ciblée de ces impacts, recommandation à laquelle le gouvernement fédéral a rapidement donné suite en créant, au début de 2013, l’Initiative stratégique visant la santé du saumon (ISSS).

Le Comité a entendu le témoignage de l’ancienne directrice de l’ISSS, Kristi Miller-Saunders, qui a d’ailleurs été la seule scientifique à comparaître dans le cadre de cette étude. Malgré une hausse du financement des sciences au MPO, l’ISSS n’a pas obtenu les fonds nécessaires pour terminer la troisième des quatre phases prévues dans son mandat pour l’évaluation scientifique des impacts des fermes salmonicoles en Colombie-Britannique[30].

Depuis des décennies, les Britanno-Colombiens, le MPO, les gouvernements fédéral et provinciaux et les salmoniculteurs se heurtent à de grandes interrogations quant à l’impact des fermes salmonicoles de la Colombie-Britannique sur le saumon sauvage du Pacifique. Et pour y répondre, il faudra des recherches scientifiques financées et ciblées à long terme. Telle était la conclusion de la Commission Cohen et la raison derrière la création de l’ISSS en 2013. Le gouvernement Trudeau n’a toutefois pas réussi à poursuivre la mise en œuvre des recommandations du juge Cohen ni à mener à terme l’ISSS.

Dans son témoignage devant le Comité, Mme Miller-Saunders a déclaré qu’au Ministère, « les budgets accordés dépendent en grande partie de propositions concurrentielles. Il y a la nouvelle Initiative de la stratégie pour le saumon du Pacifique. Je n’ai pas encore reçu de financement dans le cadre de cette stratégie, mais j’espère en obtenir[31] ».

Mme Miller-Saunders a ajouté : « Mon programme est principalement financé grâce à des fonds provenant de l’extérieur du ministère, parce qu’il m’est plus facile d’obtenir des fonds pour mes recherches auprès d’organismes subventionnaires de l’extérieur. ».

Ces déclarations soulèvent de sérieuses questions quant à la façon dont le MPO priorise les ressources pour la recherche scientifique. Si l’Initiative de la Stratégie pour le saumon du Pacifique (ISSP), un programme de 647 millions de dollars, « vise à freiner les déclins historiques dévastateurs des principaux stocks de saumon du Pacifique et à rétablir ces espèces à un niveau durable », pourquoi les chercheurs du MPO, comme Mme Miller-Saunders, doivent-ils solliciter des fonds auprès d’organismes externes?

Sachant que les mandats ministériels sont désormais muets sur les recommandations de la Commission Cohen, et que les ressources nécessaires n’ont pas été allouées pour mener à bien toutes les phases de l’ISSS, il y a lieu de se demander pourquoi le premier ministre a omis de ses lettres de mandat les recommandations de la Commission Cohen et les travaux scientifiques essentiels à la gestion des pêches, comme les évaluations qui avaient été confiées à l’ISSS.

L’élaboration des avis scientifiques

Au cours de son étude, le Comité a entendu des témoignages selon lesquels les données scientifiques fournies aux gestionnaires du MPO ont mené à l’élaboration d’avis scientifiques aux décideurs qui ne cadraient pas avec les constatations initiales des scientifiques.

Le Comité a entendu que les scientifiques du MPO ont « très peu de contrôle... ou peu d’influence sur les données scientifiques communiquées à la ministre, ou même aux cadres supérieurs à Ottawa, pas plus que sur l’utilisation qu’ils en font[32] ». Jesse Zeman a indiqué que la B.C. Wildlife Federation « ne s’inquiète pas des compétences des scientifiques du ministère. Elle est plutôt préoccupée par les décideurs et les cadres supérieurs qui sont disposés à modifier, à supprimer et à cacher ces données scientifiques[33] ».

Selon Greg Taylor, de la Watershed Watch Salmon Society, le MPO a précédemment mis en place le Cadre pour la pêche durable (CPD), qui « regroupe des politiques fondées sur la science qui donnent des instructions précises aux responsables de la gestion[34] ». « Malheureusement, ces politiques importantes et les directives qu’elles présentent sont souvent ignorées dans la prise de décisions en matière de gestion[35] », a ajouté M. Taylor.

« Ce n’est pas difficile de trouver des exemples récents de tels manquements. En 2019, après 10 ans de promesses de la part du MPO de mettre en œuvre des politiques nationales, l’industrie canadienne des pêches a été obligée de laisser tomber sa certification de durabilité durement acquise auprès du Marine Stewardship Council, perdant ainsi un accès crucial aux marchés mondiaux[36] », a indiqué M. Taylor.

« Cette année, la ministre a pris la décision arbitraire de réduire de moitié la pêche au hareng sur la côte Ouest, même si la pêche respectait et les avis scientifiques et les politiques », a-t-il continué. « L’an dernier, la ministre a annoncé la fermeture de 60 % des pêches commerciales. Cette décision n’était pas fondée sur une analyse scientifique visant à déterminer quelles pêches devraient être fermées. En fait, c’est seulement maintenant qu’on travaille à l’élaboration d’une méthodologie pour établir quelles pêches devraient être fermées, sans contribution directe de la part du milieu scientifique[37] ».

M. Andrew Bateman, de la Fondation du saumon du Pacifique, a déclaré que la « science n’est pas le seul facteur de décision. Les décideurs, comme d’autres personnes l’ont mentionné, doivent tenir compte de demandes concurrentes ou complémentaires, l’économie étant l’une d’elles. Les avis scientifiques présentés aux décideurs, et au bout du compte à la ministre, doivent être exempts de toute manipulation ministérielle par des gestionnaires de niveau intermédiaire ou supérieur[38] ».

Plus récemment, les pêcheurs de crevettes du Canada atlantique qui pêchent dans les eaux de la zone 6 de Terre-Neuve-et-Labrador ont fait part de leurs préoccupations concernant le rapport du MPO sur les quotas par espèce[39] qui, selon eux, se traduira par une réduction des possibilités de pêche. Encore une fois, nous constatons que le MPO prend des décisions sans disposer de données scientifiques ou d’évaluations adéquates sur les pêches.

La ministre et le MPO ne disposent pas toujours de données scientifiques adéquates pour éclairer leurs décisions. Des témoins ont indiqué au Comité que même lorsque des avis scientifiques sont fournis aux décideurs, ils ne reflètent pas toujours directement les données scientifiques soumises par les scientifiques et le processus de prestation des avis scientifiques n’est pas transparent.

La façon dont les résultats des études scientifiques sont communiqués à la ministre et aux Canadiens.

Pour ce qui est d’évaluer la façon dont le MPO communique des données scientifiques aux Canadiens, il importe de rappeler que la plateforme libérale de 2015 énonçait « [n]ous redonnerons à la science et aux scientifiques leurs lettres de noblesse. Nous créerons le poste de directeur scientifique, dont le titulaire fera en sorte que la population puisse accéder à l’ensemble des travaux scientifiques du gouvernement, que les scientifiques puissent parler librement de leurs travaux et que le gouvernement tienne compte de leurs analyses dans ses décisions[40] ».

En 2017, Mona Nemer a été nommée conseillère scientifique en chef. En 2018, elle a été chargée de diriger le Comité d’experts indépendants sur les sciences de l’aquaculture (le Comité d’experts) et de remettre à la ministre des Pêches et des Océans et au MPO un rapport contenant des recommandations « sur l’utilisation appropriée des preuves scientifiques dans le cadre des décisions axées sur le risque en matière d’aquaculture, sur le processus d’établissement des priorités dans le domaine des sciences de l’aquaculture au MPO, ainsi que sur la communication liée aux sciences de l’aquaculture et des décisions qui en résultent pour les Canadiens[41] ».

Lorsque Mme Nemer a témoigné, il était évident qu’elle n’avait pas fait de suivi auprès de la ministre ou du MPO pour savoir si les 19 recommandations formulées dans le rapport du Comité d’experts avaient été mises en œuvre. « Je dois dire que je n’ai pas vérifié en détail, mais je crois qu’un certain nombre d’entre elles sont toujours en attente », a dit Mme Nemer[42]. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait aussi pour mandat de vérifier si les questions fondamentales qui lui sont confiées obtenaient réponse, Mme Nemer a répondu : « Je vous rappelle que le suivi de ce qui est mis en œuvre dans les divers ministères ne fait pas partie de mon rôle et de mon mandat[43]. »

La seule recommandation présentée dans le rapport du Comité d’experts dont Mme Nemer ait confirmé la mise en œuvre est la nomination du conseiller scientifique du MPO, Paul Snelgrove. Cependant, même s’il a été nommé à ce poste en 2020, on ne sait pas grand-chose du mandat, du rôle et des responsabilités de M. Snelgrove au sein du MPO, et on en sait encore moins sur ce que M. Snelgrove a fait au MPO depuis sa nomination.

Il n’y a aucun lien apparent de collaboration ou de coordination entre M. Snelgrove ou Mme Nemer et les décisions du MPO, y compris les décisions quotidiennes du Ministère déterminant les priorités scientifiques, les allocations de fonds ou la communication de données scientifiques et de décisions aux Canadiens.

Le poste de conseiller scientifique en chef a été créé pour faire en sorte que les données scientifiques du gouvernement soient pleinement accessibles au public, que les scientifiques puissent parler librement de leur travail et que les analyses scientifiques soient prises en compte lorsque le gouvernement prend des décisions. Or il est très troublant de constater qu’il y a peu de preuves, voire aucune, démontrant qu’on se rapproche de ces trois objectifs. Tous ces objectifs ont certes lieu d’être, mais la comparution de la conseillère scientifique en chef lors de notre étude sur les sciences au MPO a soulevé plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses quant à la façon dont Mme Nemer facilite la progression du MPO vers les objectifs qui sous-tendent la création de son rôle.

La façon dont la ministre applique les données et les conseils fournis par le Ministère et d’autres ministères aux décisions ministérielles.

Nous partageons les préoccupations des Canadiens concernant la façon dont le gouvernement Trudeau et la ministre des Pêches appliquent les données et les conseils scientifiques aux décisions ministérielles. Ces préoccupations sont le résultat direct d’années de décisions annoncées par le gouvernement, les ministres des Pêches et le MPO sans qu’aucune donnée scientifique ne soit citée et encore moins mise à la disposition du public.

Parmi les exemples les plus frappants de ces décisions, citons la promesse faite par les libéraux lors de la campagne de 2019 d’assurer la transition des fermes salmonicoles en Colombie-Britannique d’ici 2025, ainsi que la première (2020) et la deuxième (2023) décisions concernant les îles Discovery. La promesse de la campagne de 2019 et la décision de 2020 concernant les îles Discovery ont été présentées aux Canadiens sans aucune mention de données ou de fondements scientifiques, ce qui aurait dû être le cas. Le communiqué de presse du MPO annonçant la décision de 2023 au sujet des îles Discovery fait brièvement référence à des « données scientifiques récentes », mais n’explique toujours pas quelles sont les raisons scientifiques motivant la décision, et encore moins les données scientifiques évoquées[44].

Qui plus est, ni les décisions concernant les îles Discovery ni la promesse de la campagne de 2019 n’ont été annoncées avec une citation ou une mention des facteurs socioéconomiques pris en compte dans les décisions. Les décisions n’étaient pas non plus accompagnées d’un plan pour soutenir les transitions des travailleurs et des communautés autochtones et non autochtones de la Colombie-Britannique directement touchés par ces trois annonces.

Conclusion

Malgré près de huit ans de promesses du gouvernement actuel, de mandats ministériels, de créations de nouveaux postes de conseillers scientifiques et malgré l’existence de protocoles établis comme le cadre pour la pêche durable, force est de constater que les ministres successifs des Pêches et des Océans et le ministère des Pêches et des Océans n’ont aucunement redonné ses lettres de noblesse à la science en veillant à ce que leurs décisions soient fondées sur la science, des faits et des preuves, et qu’elles servent l’intérêt public.

Alors même que la ministre et les décideurs du MPO ne reçoivent pas systématiquement des analyses et des avis scientifiques impartiaux, on continue d’y prendre d’importantes décisions, dont beaucoup entraînent des répercussions néfastes sur les Canadiens et les communautés qui dépendent des ressources halieutiques.

Après avoir été marginalisés pendant des années et avoir vu leurs contributions ignorées par la ministre et le MPO, les pêcheurs ont peu, voire aucune confiance dans ceux dont les décisions régissent leur vie. Parallèlement, les Canadiens constatent que certaines organisations environnementales non gouvernementales jouissent de plus en plus d’influence sur les politiques et les décisions relatives aux pêches et aux océans.

À la lumière de ces conclusions combinées, il est impossible pour les Canadiens de savoir quel est l’équilibre des influences et des facteurs qui motivent les décisions relatives aux pêches et aux océans que prend le gouvernement. Cet équilibre était censé garantir que les décisions soient fondées sur la science, des faits et des preuves et qu’elles servent l’intérêt public. La conseillère scientifique en chef du gouvernement n’est pas en mesure, elle-même, de dire si elle a atteint les objectifs supposés de son rôle, notamment celui de veiller à ce que les décisions tiennent compte des analyses scientifiques et à ce que les données scientifiques soient communiquées aux Canadiens. 

La crise de confiance qui s’est installée entre réglementés et réglementeurs dans la sphère des pêches et des océans au Canada doit être résolue, et c’est la ministre qui doit en être le fer de lance.

Il serait approprié et utile que la ministre s’engage sans détour auprès des Canadiens à ce que ses décisions et celles de son ministère soient fondées sur la science, des faits et des preuves, et qu’elles servent l’intérêt public. La ministre pourrait également renforcer la confiance du public dans les décisions qu’elle et son ministère prennent en s’engageant à rendre les données scientifiques liées à ces décisions pleinement accessibles aux Canadiens.

Enfin, la gestion des pêches, des océans et des habitats aquatiques est compliquée. Il serait néanmoins possible d’obtenir de meilleurs résultats et d’établir des relations plus fructueuses si la ministre se souciait personnellement d’accroître la transparence et la responsabilité en améliorant les capacités, les processus, les décisions et les relations scientifiques que le MPO devrait, en tant qu’organisme de réglementation, favoriser et respecter.

Ceux et celles qui vivent et travaillent sous l’autorité de la ministre et du MPO ne sont pas que des personnes réglementées, ce sont d’abord et avant tout des Canadiens qui font vivre des familles et des communautés; ils méritent d’être informés et d’être entendus.


[1] Changer ensemble : Le bon plan pour renforcer la classe moyenne, programme électoral de 2015 du Parti libéral du Canada, p. 39.

[4] « Fish Harvester Unions Speak Out Against DFO Minister », communiqué de presse de la Fish, Food and Allied Workers Union, 17 février 2022 [en anglais seulement].

[5] Ibid.

[6] CBC, « N.L. fisheries' union head calls federal minister 'grossly misinformed' over reported climate change comments », 22 février 2022 [en anglais seulement].

[7] Keith Sullivan, président, Fish, Food and Allied Workers – Unifor, Témoignages, 2 juin 2022.

[9] Robert Rangeley, directeur des sciences, Oceana Canada, Témoignages, 14 juin 2022.

[10] Robert Rangeley, directeur des sciences, Oceana Canada, Témoignages, 14 juin 2022.

[11] Christina Burridge, directrice exécutive, BC Seafood Alliance, Témoignages, 2 juin 2022.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Keith Sullivan, président, Fish, Food and Allied Workers – Unifor, Témoignages, 2 juin 2022.

[18] Jean Côté, directeur scientifique, Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, Témoignages, 2 juin 2022.

[19] Ibid.

[20] Keith Sullivan, président, Fish, Food and Allied Workers – Unifor, Témoignages, 2 juin 2022.

[21] Morley Knight, ancien sous-ministre adjoint, Politique des pêches, ministère des Pêches et des Océans (retraité), à titre personnel, Témoignages, 7 octobre 2022.

[22] Ibid.

[23] Christopher Jones, gestionnaire principale des pêches, ministère des Pêches et des Océans (retraité), à titre personnel, Témoignages, 14 juin 2022.

[24] Ibid.

[25] Morley Knight, ancien sous-ministre adjoint, Politique des pêches, ministère des Pêches et des Océans (retraité), à titre personnel, Témoignages, 7 octobre 2022.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] L’avenir incertain du saumon rouge du fleuve Fraser, Rapport de la Commission Cohen, Vol. III, p. 104.

[29] L’avenir incertain du saumon rouge du fleuve Fraser, Rapport de la Commission Cohen, Vol. III, p. 23.

[30] Brian E. Riddell, conseiller scientifique, Fondation du saumon du Pacifique, Témoignages, 28 avril 2022.

[31] Kristi Miller-Saunders, chercheuse scientifique principale, MPO, Témoignages, 26 avril 2022.

[32] Kristi Miller-Saunders, chercheuse scientifique principale, MPO, Témoignages, 26 avril 2022.

[33] Jesse Zeman, directeur général, B.C. Wildlife Federation, Témoignages, 28 avril 2022.

[34] Greg Taylor, consultant et conseiller aux pêches, Watershed Watch Salmon Society, Témoignages, 28 avril 2022.

[35] Ibid.

[36] Ibid.

[37] Ibid.

[38] Andrew Bateman, gestionnaire, Santé du saumon, Fondation du saumon du Pacifique, Témoignages, 28 avril 2022.

[39] Rapport sur les quotas selon les espèces, MPO, page Web mise à jour le 26 février 2023 à 21:09.

[40] Changer ensemble : Le bon plan pour renforcer la classe moyenne, programme électoral de 2015 du Parti libéral du Canada, p. 39.

[42] Mona Nemer, conseillère scientifique en chef, Bureau du conseiller scientifique en chef, Témoignages, 26 avril 2022.

[43] Mona Nemer, conseillère scientifique en chef, Bureau du conseiller scientifique en chef, Témoignages, 26 avril 2022.

[44] « Le gouvernement du Canada agit pour protéger le saumon sauvage du Pacifique migrant dans la région des îles Discovery », communiqué de presse du MPO, 17 février 2023.