… depuis des années, voire des dizaines d’années, toute l’étude de la procédure
parlementaire se ramène à la recherche du juste milieu entre le droit de parler aussi longuement qu’il semble
opportun de le faire et le droit du Parlement de prendre des décisions.
Stanley Knowles, député (Winnipeg-Nord-Centre)
(Débats, 20 mai 1965, p. 1530)
L
’un des principes fondamentaux de la
procédure parlementaire est que le débat à la Chambre des
communes doit pouvoir aboutir librement à une décision dans un
délai
raisonnable [1].
Ce qui
peut sembler raisonnable à un parti peut fort bien être injuste aux
yeux d’un autre, mais rares sont les parlementaires qui contestent
l’idée que, à un moment donné, le débat doit
prendre fin [2] .
La
très grande majorité des travaux de la Chambre sont menés
à bien sans qu’il faille recourir à des procédures
spéciales pour limiter le débat ou y mettre fin, mais il existe
des dispositions permettant de le restreindre lorsqu’on estime que, sans
cette intervention, aucune décision ne sera prise, en tout cas pas dans
des délais raisonnables. Malgré le fait que les modifications
apportées au Règlement aient rendu l’obstruction
systématique de la part de l’opposition moins fréquente, une
solide connaissance de la procédure permet encore aux
députés de prolonger considérablement le débat sur
une affaire donnée.
Davantage que ne le prévoient les
règles normales, les règles touchant la limitation du débat
permettent à la Chambre en son entier de se prononcer sur la proposition
qui vise à limiter les délibérations sur une affaire. Une
distinction s’impose toutefois entre la « liberté de
parole » et la possibilité donnée au député de
participer au « débat ». La question de la liberté de
parole du député, privilège parlementaire fondamental, ne
se pose pas dans ce contexte. (Au sens parlementaire, la « liberté de
parole » désigne l’immunité accordée au
député, qui ne peut être poursuivi pour aucun propos tenu
à la Chambre ni dans ses comités, plutôt que
l’idée générale d’une possibilité
illimitée de prendre la parole.) Lorsqu’on lui demande de se
prononcer sur la recevabilité d’une motion tendant à limiter
le débat, le Président n’a pas à juger de
l’importance de l’affaire à l’étude ni du
caractère « raisonnable » de la période consentie pour le
débat, mais uniquement de la recevabilité de la
procédure [3] .
Des Présidents ont statué qu’une motion recevable tendant
à limiter la participation des députés au débat sur
une motion dont la Chambre est saisie ne constitue pas de prime abord une
atteinte au privilège
parlementaire [4] .
À l’époque de la
Confédération, peu de règles permettaient de limiter le
débat, mais, même alors, il était reconnu qu’un
débat sans limites n’était pas possible et qu’il
fallait faire preuve d’une certaine retenue ou trouver quelque arrangement
pour que la Chambre puisse expédier ses travaux avec une
célérité
raisonnable [5] .
Pendant
les 45 premières années de la Confédération, le seul
moyen à la disposition du gouvernement était la question
préalable [6].
Non seulement n’y avait-il aucun autre moyen de mettre fin à un
débat dans des délais raisonnables, mais aucune disposition
formelle ne restreignait la durée des débats, et les interventions
n’étaient aucunement limitées. Les relations concernant les
travaux de la Chambre étaient largement fondées sur un esprit de
fair-play mutuel et les arrangements officieux ou la « clôture par
consentement » régissaient le déroulement des débats.
Pour reprendre les propos du premier ministre Robert Borden :
… à une certaine phase du
débat, lorsque, de l’avis des principaux membres de toute la
députation, la discussion était rendue assez loin, il a
été d’usage de s’entendre et de fixer un jour, et les
députés qui ne pouvaient pas attirer l’attention de monsieur
[le Président] dans le délai prescrit étaient
empêchés de prendre part aux débats par les arrangements des
deux partis et la question était tranchée de cette
manière [7] .
Les premières règles
régissant les travaux de la Chambre réservaient une bonne part des
délibérations aux projets de loi d’intérêt
privé et à d’autres travaux proposés par de simples
députés. Comme le rôle du gouvernement dans
l’économie était modeste, les affaires du gouvernement ne
représentaient qu’une faible partie de la charge de travail de la
Chambre [8] .
Après 1900, l’évolution de la nature des affaires dont la
Chambre était saisie, et notamment le volume croissant des mesures
d’initiative ministérielle, ont provoqué une augmentation
constante de la proportion du temps de la Chambre réservée aux
Ordres émanant du gouvernement. Le temps de la Chambre est devenu une
denrée précieuse, ce qui a donné lieu à des
affrontements partisans parfois féroces. C’est ainsi que
l’opposition a été de plus en plus portée à
faire obstacle à l’adoption des projets de loi du gouvernement en
retardant le débat et en recourant à des tactiques
d’obstruction [9] .
Cette évolution de l’attitude
des parlementaires et de la charge de travail du gouvernement a amené la
Chambre à adopter des règles et des usages qui allaient,
d’une part, faciliter la gestion courante de son
temps [10]
et,
d’autre part, limiter le débat et accélérer le cours
des choses dans les cas jugés importants ou urgents. Le présent
chapitre porte sur ce dernier aspect et explique comment le débat peut
être limité par le recours à la question préalable,
à la clôture et à l’attribution de temps, et au moyen
d’une « motion pour affaire courante » proposée par un
ministre pour passer outre à l’exigence du consentement
unanime [11]
et
d’une motion visant à suspendre l’application de certains
articles du Règlement relativement à une affaire jugée
urgente [12] .