Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Droit d’ordonner la production de documents : accès à l’information du gouvernement

Débats, p. 18134–18135.

Contexte

Le 2 mars 2018, Erin O’Toole (Durham) soulève une question de privilège concernant l’information fournie à la presse sur le voyage du premier ministre en Inde. M. O’Toole indique que Ralph Goodale (ministre de la Sécurité publique) a admis que le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre a transmis à des membres de la presse de l’information sur le voyage qui n’avait pas été transmise aux députés pour des motifs de confidentialité et de sécurité. Il soutient que le droit à l’information de la Chambre et des députés prime sur de telles allégations de confidentialité et que l’accès à cette information est essentiel. À son avis, le conseiller à la sécurité nationale devrait comparaître devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale pour garantir que les députés ont accès aux informations requises et qu’ils accomplissent leurs fonctions parlementaires. M. O’Toole presse donc le Président d’ordonner que cette information soit transmise aux députés. Dans les jours suivants, il revient plusieurs fois à la charge[1]. Le 20 mars 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire à la leader du gouvernement à la Chambre des communes) lui répond qu’aucun ordre n’a été donné quant à la production d’information et que les actions ou l’inaction d’un ministère ne constituent pas matière à question de privilège[2]. Le Président prend la question en délibéré.

Résolution

Le 27 mars 2018, le Président rend sa décision. Il reconnaît l’importance du droit des députés d’accéder à des renseignements exacts et à jour, surtout en lien avec l’exercice de leur responsabilité de demander des comptes au gouvernement. Le Président déclare toutefois que, sans ordre de la Chambre, le gouvernement n’a aucune obligation de produire l’information et que la même logique s’applique aux travaux du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Il ajoute que le droit de la Chambre d’exiger de l’information ne vise pas les députés individuellement. Par conséquent, le Président n’a pas le pouvoir d’obliger le gouvernement à donner les renseignements à la Chambre. Il conclut donc qu’il n’y a pas, à première vue, atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 2 mars 2018 par le député de Durham concernant les renseignements communiqués aux journalistes dans une séance d’information à l’intention des médias.

Je remercie l’honorable député de Durham d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes, la députée de Berthier—Maskinongé et le député de Joliette de leurs observations à ce sujet.

Le député de Durham a souligné que le ministre de la Sécurité publique a reconnu que le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre a transmis aux journalistes des renseignements qu’il refusait, au même moment, de communiquer aux députés pour des raisons de confidentialité et de sécurité. Le député a fait valoir que même si ce raisonnement était justifié, de telles allégations de confidentialité ne pouvaient l’emporter sur les droits individuels et collectifs des députés d’avoir accès à ces renseignements et que, par conséquent, des mesures d’accommodement s’imposaient pour rendre ces renseignements accessibles.

Le secrétaire parlementaire a exprimé son désaccord en soutenant que, en l’absence d’un ordre de la Chambre visant la divulgation aux députés des renseignements sensibles demandés, il n’a pu y avoir d’atteinte aux privilèges du député et de la Chambre, et la présidence n’a donc pas l’autorité d’obliger le gouvernement à divulguer ces renseignements. En outre, il a affirmé que les questions de privilège doivent nécessairement concerner une délibération du Parlement, non les actions ou l’inaction d’un ministère, et que l’affaire en cause n’est donc qu’une simple question de débat.

Le 7 février 2013, à la page 13 868 des Débats, mon prédécesseur a déclaré dans une décision, et je cite : « l’accès des députés à des renseignements exacts et à jour est l’une des pierres angulaires de notre système parlementaire […] ». Ces propos sont empreints d’une grande vérité et d’un grand pouvoir, car ils se font l’écho d’un droit garant de la santé de notre démocratie. Ils mettent aussi en lumière, dans une certaine mesure, pourquoi les députés prennent au sérieux la nécessité de défendre leur droit d’avoir accès à des renseignements exacts et à jour pour remplir leurs fonctions parlementaires, particulièrement leur rôle qui consiste à demander des comptes au gouvernement.

Dans son intervention, le député de Durham a invoqué la décision que le Président Milliken a rendue le 27 avril 2010, pour étayer son allégation selon laquelle le droit des députés d’obtenir tous renseignements est absolu. Cependant, une lecture attentive de la décision révèle que, bien que cette affaire portait de façon générale sur l’accès à l’information, la question fondamentale concernait le droit de la Chambre d’ordonner la production de documents, qu’ils soient confidentiels ou non.

On peut lire ce qui suit à la page 281 de l’ouvrage de Bourinot Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 1re édition :

[…] il ne faut jamais oublier que, quelles que soient les circonstances, c’est la Chambre qui décide si les raisons invoquées pour refuser de fournir des renseignements sont suffisantes. Le droit du Parlement d’obtenir tous les renseignements possibles concernant une question d’intérêt public est incontestable […]

Par conséquent, si la Chambre, au moyen d’une motion officielle, ordonne au gouvernement de lui fournir des renseignements, le gouvernement est tenu de s’exécuter.

Cependant, il est tout aussi vrai que ce droit absolu de la Chambre ne s’applique pas de facto aux demandes d’information présentées par les députés à titre individuel. Il s’agit d’une distinction cruciale pour bien comprendre les limites et les obligations liées au droit des députés d’avoir accès à des renseignements, et elle a une grande incidence sur l’appréciation du bien-fondé de la présente affaire. Puisque la Chambre n’a pas ordonné au gouvernement de produire les renseignements en cause, le gouvernement n’est pas officiellement obligé de les fournir à la Chambre. La même logique s’applique aux travaux du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. En outre, il s’ensuit que la présidence n’a pas l’autorité d’exiger du gouvernement qu’il fournisse ces renseignements à la Chambre.

Pour ces motifs et au vu des faits de la présente affaire, la présidence ne peut en venir à la conclusion que les députés ont été entravés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège en l’espèce.

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[1] Débats, 2 mars 2018, p. 17607–17610, 20 mars 2018, p. 17722–17723, 22 mars 2018, p. 17845–17849, 26 mars 2018, p. 18072–18074.

[2] Débats, 20 mars 2018, p. 17721–17723.