Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Droit d’ouvrir des enquêtes et d’exiger la comparution de témoins : allégation d’intimidation d’un témoin potentiel du comité par un fonctionnaire; non soulevée à la première occasion

Débats, p. 20456.

Contexte

Le 31 mai 2018, Pierre Poilievre (Carleton) soulève une question de privilège concernant l’intimidation présumée d’un témoin potentiel du Comité permanent des finances par un membre du personnel ministériel. Selon M. Poilievre, l’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles (ACCAM) a reçu deux appels téléphoniques du cabinet du ministre des Finances visant à dissuader l’ACCAM de s’opposer au projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, lors de rencontres avec les parlementaires. Il considère cela comme une menace et comme la raison possible pour laquelle l’ACCAM n’a pas manifesté l’intérêt de comparaître devant le Comité[1]. Le 1er juin 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) avance que la question n’a pas été portée à l’attention de la Chambre à la première occasion, comme l’exige la procédure. Il souligne également qu’il n’est jamais arrivé que les actes d’un fonctionnaire soient considérés comme une atteinte au privilège[2].

Résolution

Le 7 juin 2018, le Président rend sa décision. Il déclare qu’étant donné que la question de privilège n’a pas été soulevée le plus tôt possible, il ne formulera pas d’autres commentaires à ce sujet.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre une décision sur la question de privilège soulevée par l’honorable député de Carleton le 31 mai 2018 concernant des tactiques d’intimidation de la part du personnel du bureau du ministre des Finances aurait usé contre un témoin potentiel.

Je remercie le député d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre de ses observations.

Selon le député de Carleton, l’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles a reçu deux appels téléphoniques de la part du personnel du bureau du ministre des Finances, lesquels, à son avis, avaient pour but de dissuader l’Association de s’opposer au projet de loi C-74 lors de rencontres avec des parlementaires ou d’une comparution devant un comité. En bref, il a affirmé que les appels, qu’il a qualifiés de menaçants, pourraient expliquer pourquoi l’Association n’a même pas manifesté l’intérêt de comparaître devant un comité.

En plus de remettre en question la recevabilité de la question de privilège compte tenu du moment où elle a été soulevée, le secrétaire parlementaire a soutenu que l’affaire relève du débat et que, dans le passé, des mesures prises par des fonctionnaires n’ont pas été qualifiées d’atteintes au privilège.

L’importance du moment où la question de privilège doit être soulevée a récemment fait l’objet de plusieurs rappels de la présidence, car les députés doivent tenir compte de cette condition. En l’espèce, c’est encore à juste titre qu’on a invoqué le non-respect de cette condition. La question de privilège aurait pu, et aurait dû, être portée à l’attention de la Chambre bien plus tôt. Il ressort d’un article du Globe and Mail du 15 mai 2018, dans lequel le député de Carleton est cité, que ce dernier était déjà au fait de l’affaire à cette date. La question aurait pu être soulevée à la Chambre à tout moment à compter du 22 mai, soit au retour de la Chambre après la relâche. Le fait que le député a donné avis de sa question de privilège une semaine complète avant de faire valoir son point à la Chambre donne aussi à penser qu’il aurait pu présenter sa question de privilège plus tôt.

À la page 145 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre, on explique l’exigence que les députés doivent respecter à cet égard :

La question de privilège dont sera saisie la Chambre doit porter sur un événement survenu récemment et requérir l’attention de la Chambre. Le député devra donc convaincre le Président qu’il porte la question à l’attention de la Chambre le plus tôt possible après s’être rendu compte de la situation.

Dans le passé, les Présidents ont décidé de ne pas donner suite aux affaires qui ne semblaient pas avoir été soulevées le plus tôt possible.

En fait, la Présidente Sauvé a conclu, le 1er mars 1982, dans une décision consignée aux pages 15473 et 15474 des Débats de la Chambre des communes, qu’une question de privilège soulevée par un député ne constituait pas une atteinte au privilège parce qu’elle n’avait pas été soulevée le plus tôt possible, et je cite :

La première difficulté, c’est que cette question de privilège n’a pas été soulevée le plus tôt possible […]
Je dois donc refuser de donner à cette question la priorité sur les travaux réguliers de la Chambre, étant donné surtout qu’elle ne semble pas avoir été soulevée à la première occasion. Cette exigence n’est pas seulement une question de forme, mais permet aussi, à certains égards, de juger de la validité du grief.

Aujourd’hui, la présidence ne peut donc en venir qu’à la même conclusion. La question de privilège n’a clairement pas été soulevée à la première occasion. Le député n’a pas respecté cette condition essentielle. La présidence se gardera donc de faire tout autre commentaire.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 31 mai 2018, p. 19996–19997.

[2] Débats, 1er juin 2018, p. 20056.