Le privilège parlementaire / Droits des députés

Liberté de parole : langue du débat; droit des députés de s’exprimer en langues autochtones à la Chambre

Débats, p. 12962.

Contexte

Le 8 juin 2017, Robert-Falcon Ouellette (Winnipeg-Centre) soulève une question de privilège concernant le droit des députés de s’exprimer en langues autochtones à la Chambre. Le député soutient qu’il n’y a pas eu d’interprétation simultanée pendant la déclaration qu’il a prononcée le 4 mai 2017 en nehiyo, la langue crie. Il estime par conséquent que ses privilèges ont été enfreints, puisqu’il n’avait pu être compris par les autres députés et par le public qui suivaient les délibérations de la Chambre. M. Ouellette demande au Président que la Chambre octroie les ressources nécessaires pour lui permettre de s’exprimer dans sa langue autochtone. Le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 20 juin 2017, le Président rend sa décision. Il rappelle que le droit fondamental des députés de s’exprimer n’est en aucun cas remis en question. La question s’analyse plutôt sous l’angle du droit des députés d’être compris lorsqu’ils parlent dans une langue autre que l’une des langues officielles. Le Président explique que rien n’interdit aux députés de parler d’autres langues à la Chambre, mais que, étant donné les limitations techniques et physiques, pour se faire comprendre, les députés doivent répéter leurs observations dans l’une des langues officielles. Il précise qu’il revient à la Chambre de se prononcer sur la possibilité d’élargir les services d’interprétation. Elle seule peut décider d’offrir quelque chose de plus ou de différent pour répondre aux revendications du député. Par conséquent, le Président conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège. Il invite toutefois M. Ouellette à soulever la question auprès du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 8 juin 2017 par l’honorable député de Winnipeg-Centre concernant le droit des députés de s’exprimer en langues autochtones à la Chambre des communes.

Je tiens à remercier le député de Winnipeg-Centre d’avoir soulevé cette question importante.

Tout d’abord, le député a expliqué que, bien qu’il eût fourni la documentation aux services d’interprétation 48 heures à l’avance, il n’y a pas eu d’interprétation simultanée pendant la déclaration qu’il a prononcée le 4 mai 2017 en nehiyo, la langue crie. Puisque ses pairs et ceux qui suivaient les délibérations n’ont pas été capables de le comprendre, le député estime qu’il a été réduit au silence et qu’il y a eu violation de ses privilèges. Le député veut avoir le droit de s’exprimer en langues autochtones à la Chambre et il demande l’octroi de ressources minimales pour que lui et les députés puissent participer et interagir pleinement pendant les délibérations.

La question soulevée par le député de Winnipeg-Centre touche au cœur des besoins des députés à la Chambre; en effet, les députés doivent pouvoir non seulement s’exprimer librement, mais aussi être compris. Soyons clairs : le droit fondamental des députés de s’exprimer n’est pas remis en question en l’espèce. La présente question porte plutôt sur le droit des députés d’être compris immédiatement lorsqu’ils parlent dans une langue autre que l’une des langues officielles.

L’instauration de l’interprétation simultanée dans les deux langues officielles à la Chambre en 1958 a certainement été motivée par le besoin de rapprocher les députés des deux groupes linguistiques. L’intention des députés de l’époque est expliquée dans l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes deuxième édition, à la page 287, et je cite :

Les députés étaient d’avis que cela réaffirmait l’esprit de la Constitution, qui prévoit l’égalité des deux langues officielles et leur usage dans les débats du Parlement.

Ce service essentiel a été créé par un ordre de la Chambre par suite de l’adoption, du consentement unanime des députés, d’une motion ministérielle à cet effet le 11 août 1958 et, encore aujourd’hui, il demeure un outil indispensable, car il permet aux députés de comprendre les délibérations parlementaires et d’y participer.

Le fait que l’interprétation soit offerte dans nos deux langues officielles n’interdit pas aux députés de parler dans d’autres langues à la Chambre. Le président suppléant Kilger l’a confirmé le 12 juin 1995, à la page 13605 des Débats de la Chambre des communes :

[I]l n’y a rien, à ce moment-ci, dans nos Règlements qui interdise à qui que ce soit de parler, comme vous dites si bien, dans une langue autre que les deux langues officielles du Canada […]

Les députés se sont prévalus de ce droit à maintes reprises et se sont souvent exprimés en langues autochtones et en d’autres langues. Cependant, étant donné que les moyens techniques et l’espace nécessaires à l’interprétation sont limités, les députés qui souhaitent que leurs interventions prononcées dans une autre langue que le français ou l’anglais soient comprises par ceux qui suivent les délibérations et qu’elles soient consignées dans les Débats de la Chambre des communes doivent faire un effort supplémentaire. Plus précisément, les députés doivent répéter leurs observations dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, afin que les interprètes puissent les traduire et que les observations soient consignées dans les Débats de la Chambre des communes dans leur intégralité. Ainsi, tous les députés et les membres du public pourront pleinement apprécier la richesse de ces interventions.

La présidence comprend que certains députés puissent être d’avis que cette façon de faire est tout à fait inadéquate, et peut-être ont-ils raison. Certains estiment peut-être qu’avoir le droit de s’exprimer dans d’autres langues sans interprétation simultanée ne suffit pas, et ce, même si, rappelons-le, l’espace de travail alloué pour l’interprétation à la Chambre est limité.

Il revient à la Chambre d’établir s’il serait judicieux d’élargir les services d’interprétation. Le député de Winnipeg-Centre a fait un vibrant plaidoyer en faveur de l’amélioration des services d’interprétation simultanée à la Chambre, et je l’invite à soumettre cette question au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a pour mandat d’examiner les procédures et les pratiques de la Chambre et de ses comités. Comme l’a souligné le député de Winnipeg-Centre, d’autres assemblées législatives au Canada ont de l’expérience en la matière, et le comité pourrait s’en inspirer s’il décide de se pencher sur cette question.

En conclusion, la présidence reconnaît que certains députés peuvent considérer que les services d’interprétation offerts à l’heure actuelle laissent à désirer, mais je ne peux conclure que le député de Winnipeg-Centre a été empêché d’exercer ses fonctions parlementaires.

Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège en l’espèce.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

Post-scriptum

À la suite de sa décision du 20 juin 2017, le Président a communiqué avec le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pour l’inviter à se pencher sur l’utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre des communes. Le Comité a ensuite entrepris une étude et a tenu 13 réunions sur le sujet. Le Comité a présenté son 66e rapport à la Chambre le 19 juin 2018[2] et celui-ci fut adopté par la Chambre le 29 novembre 2018[3].

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[1] Débats, 8 juin 2017, p. 12320–12322.

[2] Débats, 19 juin 2018, p. 21233–21234.

[3] Journaux, 29 novembre 2018, p. 4371.