Le privilège parlementaire / Droits des députés

Liberté de parole : allégation de menaces constituant de l’intimidation envers des députés de l’opposition; menaces de poursuites en diffamation

Débats, p. 24807–24808.

Contexte

Le 4 décembre 2018, Nathan Cullen (Skeena—Bulkley Valley) soulève une question de privilège au sujet des réponses données lors de la période des Questions orales des 3 et 4 décembre par Justin Trudeau (premier ministre) et Bardish Chagger (leader du gouvernement à la Chambre des communes[1]). M. Cullen allègue que, dans leurs réponses aux questions touchant certains députés du caucus libéral, ils ont menacé les députés de l’opposition de poursuites s’ils répétaient leurs allégations à l’extérieur de la Chambre, ce qui constituerait de l’intimidation et une atteinte au droit des députés de demander des comptes au gouvernement. Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre) réplique que la liberté de parole que leur accorde le privilège parlementaire s’accompagne d’une responsabilité quant à leurs propos. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 13 décembre 2018, le Président rend sa décision. Il déclare que la liberté de parole accordé aux députés est un droit fondamental au sein des délibérations de la Chambre. Il précise toutefois que ce privilège n’est pas pour autant illimité et qu’il doit être exercé avec prudence. Le Président rappelle ensuite que la présidence ne peut juger des réponses données aux questions, ni se prononcer sur le désaccord quant à l’interprétation des faits. Puisque M. Cullen n’a pas été en mesure de démontrer qu’il n’avait pu exercer ses fonctions parlementaires, le Président n’est pas en mesure de conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 4 décembre 2018 par le député de Skeena—Bulkley Valley concernant certaines réponses données à des questions orales.

Je remercie le député d’avoir soulevé cette question, de même que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes, ainsi que les députés de Portage—Lisgar et de Timmins—Baie James de leurs observations.

Le député de Skeena—Bulkley Valley a soutenu que les 3 et 4 décembre, lors de la période des questions, le premier ministre et la leader du gouvernement à la Chambre ont répondu à des questions concernant des députés du caucus libéral en menaçant des députés de l’opposition de poursuites judiciaires s’ils répétaient leurs allégations à l’extérieur de la Chambre. Selon lui, ces menaces constituaient de l’intimidation pouvant décourager l’opposition d’exiger que le gouvernement rende des comptes. Par conséquent, il estime qu’il s’agit d’une violation de ses privilèges.

Pour sa part, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a rappelé aux députés que le privilège de la liberté de parole accordé aux députés ne les soustrait pas à l’obligation d’assumer la responsabilité de leurs propos. Il a fait valoir que la question soulevée constituait simplement un désaccord quant aux faits.

Je rappelle à la Chambre que les députés bénéficient d’une immunité absolue lorsqu’ils interviennent pendant nos délibérations. La liberté de parole, qui est une pierre angulaire des droits et des privilèges parlementaires accordés aux députés, est, comme l’explique le commentaire 75 de la sixième édition de Beauchesne, à la page 23, et je cite :

«[…] à la fois le plus incontesté et le plus fondamental des droits du député, tant dans l’enceinte de la Chambre qu’aux comités.»

Quoiqu’il soit essentiel au fonctionnement de nos travaux parlementaires, le mot « liberté » ne peut être considéré comme un synonyme du mot « illimité ». Le Président Fraser a déclaré le 5 mai 1987, à la page 5765 des Débats :

Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège […] Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu que leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.

Bien que l’allégation en question suscite une importante réflexion, je n’ai pas le pouvoir de commenter la portée des réponses données par le gouvernement ni de me prononcer sur le désaccord entre les députés quant à l’interprétation des faits. Le Président Jerome a affirmé le 4 juin 1975, à la page 6431 des Débats, et je cite :

[…] les controverses portant sur des faits, des opinions et des conclusions à tirer des faits sont matière à débat et ne constituent pas une question de privilège.

Selon La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, à la page 148, le rôle de la présidence se limite à ce qui suit :

[…] la présidence prendra en considération dans quelle mesure l’atteinte aux privilèges a gêné le député dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires […]

Dans le cas présent, le député n’a pas démontré à la présidence qu’il a été incapable d’intervenir pendant les délibérations parlementaires et qu’il n’a pu exercer ses fonctions parlementaires. Par conséquent, la présidence ne peut conclure qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège.

Cela dit, tous doivent surveiller la teneur de leurs propos à la Chambre. La liberté de parole que possèdent les députés est grande, certes, mais il ne faut jamais oublier l’incidence que peuvent avoir les propos tenus lors des débats vigoureux qui animent cette Chambre. La retenue et le plus grand respect sont de mise en toutes circonstances.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 3 décembre 2018, p. 24314–24316 ; 4 décembre 2018, p. 24403–24404.

[2] Débats, 4 décembre 2018, p. 24412–24413.