Le privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction et l’ingérence : violation alléguée de la Loi sur le Parlement du Canada; règles d’expulsion et de réadmission d’un caucus

Débats, p. 26975–26976.

Contexte

Le 9 avril 2019, Jane Philpott (Markham—Stouffville) soulève une question de privilège concernant une violation alléguée de l’article 49.8 de la Loi sur le Parlement du Canada. Mme Philpott fait valoir qu’il est nécessaire de respecter les garanties procédurales dans le cadre des expulsions ou des réadmissions à un caucus. Elle estime qu’on a privé les députés libéraux de leur droit de voter sur l’adoption des règles portant sur cette décision aux termes de l’article 49.8 de la Loi sur le Parlement du Canada. Elle indique que la question de privilège est surtout de savoir quelles règles s’appliquent à l’expulsion ou à la réadmission; elle ne porte pas sur la possible expulsion du caucus d’un député particulier. À son avis, bien qu’il ne soit pas du ressort du Président d’interpréter la loi, cela ne le libère pas de la responsabilité de veiller à ce que tous les députés connaissent leurs droits[1]. Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre) soutient qu’il ne revient pas à la présidence de se prononcer sur les règles d’expulsion d’un caucus et que, de toute façon, le vice-président (Bruce Stanton) a déjà rendu une décision à ce sujet le 8 avril 2019[2].

Résolution

Le 11 avril 2019, le Président rend sa décision. La présidence rappelle son rôle, très limité, d’être informé des résultats des votes tenus par les différents caucus relativement à l’expulsion et la réadmission d’un député dans un caucus, l’élection et la destitution du président d’un groupe parlementaire, l’examen de la direction, et l’élection d’un chef intérimaire en vertu de la Loi. Le Président réitère qu’il ne dispose d’aucun pouvoir pour interpréter les résultats de ces votes, la tenue de ces votes ou toute disposition connexe. Le Président explique aussi que les affaires des caucus ne font pas parties des délibérations de la Chambre et sont régies entièrement par les caucus. N’étant pas en mesure de déterminer que Mme Philpott a été gênée dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, le Président juge donc qu’il n’y a pas matière à question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 9 avril 2019 par l’honorable députée de Markham—Stouffville concernant une violation alléguée de l’article 49.8 de la Loi sur le Parlement du Canada.

Dans son intervention, la députée de Markham—Stouffville a fait valoir qu’il est nécessaire de respecter les garanties procédurales dans le cadre des expulsions ou des réadmissions au caucus. Elle estime qu’on a privé les députés libéraux de leur droit de voter sur l’adoption des règles portant sur cette décision aux termes de l’article 49.8 de la Loi sur le Parlement du Canada. Elle a indiqué précisément qu’en l’espèce, la question de privilège est surtout de savoir quelles règles s’appliquent à l’expulsion ou à la réadmission; elle ne porte pas sur la possible expulsion du caucus d’un député particulier dont j’ai traité dans ma décision du 8 avril 2019. À son avis, bien qu’il ne soit pas du ressort du Président d’interpréter la loi, cela ne le libère pas de la responsabilité de veiller à ce que tous les députés qui siègent dans cette enceinte connaissent leurs droits.

Dans son intervention, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a informé la Chambre que le président du caucus libéral national avait bien fait parvenir la lettre requise au Président et il y était indiqué que les dispositions de la loi portant sur l’expulsion et la réadmission des députés au caucus ne seraient pas appliquées dans le cadre de la 42e législature. Par conséquent, il est d’avis que la question de privilège est théorique et qu’il n’y a aucun doute quant aux règles qui s’appliquent. De plus, il a soulevé qu’il n’est pas du ressort du Président de trancher ce type d’affaires.

La question en l’espèce est plutôt simple : on demande à la présidence, comme c’était le cas dans la décision récente sur une question similaire, de déterminer si des dispositions contenues dans la Loi sur le Parlement du Canada, qui sont liées aux affaires des caucus, ont été violées. Le paragraphe 49.8(1) de cette loi prévoit :

Lors de sa première réunion après une élection générale, le groupe parlementaire de chaque parti comptant officiellement au moins douze députés organise, auprès de ses députés, la tenue d’un scrutin distinct sur chacun des éléments suivants :
  1. l’applicabilité des articles 49.2 et 49.3 au groupe parlementaire;
  2. l’applicabilité de l’article 49.4 au groupe parlementaire;
  3. l’applicabilité des paragraphes 49.5(1) à (3) au groupe parlementaire;
  4. l’applicabilité du paragraphe 49.5(4) et de l’article 49.6 au groupe parlementaire.

Ces dispositions, qui sont entrées en vigueur lorsque la Chambre a adopté le projet de loi C-586, Loi de 2014 instituant des réformes, pendant la 41e législature, prévoient les processus d’expulsion et de réadmission d’un député du caucus, d’élection et de destitution du président d’un groupe parlementaire, d’examen de la direction, et d’élection d’un chef intérimaire. Il incombe au caucus de chaque parti reconnu, et non au Président, de veiller à la tenue de ces votes.

En fait, le seul rôle du Président consiste à être informé de la décision du caucus. Le paragraphe 49.8(5) de la même loi prévoit :

49.8(5) Dès que possible après leur tenue, le président du groupe parlementaire informe le président de la Chambre des communes de l’issue de chaque scrutin.

Le rôle du Président s’arrête là. Je ne dispose d’aucun pouvoir me permettant d’interpréter les résultats de ces votes, la tenue de ces votes ou toute disposition connexe.

Cela est tout à fait conforme avec la retenue générale dont doit faire preuve la présidence lorsqu’on lui demande d’interpréter la loi. Le Président Fraser a énoncé ce principe fondamental dans sa décision du 9 avril 1991, à la page 19234 des Débats :

[…] la présidence n’a pas pour rôle d’interpréter les questions d’ordre constitutionnel ou juridique.

Cela s’ajoute à une autre limite à la portée de ses pouvoirs, à savoir le privilège parlementaire. Par conséquent, les pouvoirs du Président se limitent aux affaires internes de la Chambre, à ses propres délibérations; ils ne s’étendent pas aux affaires des caucus. La députée de Markham—Stouffville avait raison de dire qu’il incombe au Président de veiller à ce que les députés connaissent leurs droits à la Chambre. Bien que les caucus puissent avoir des liens d’une façon ou d’une autre avec les députés de la Chambre, cela ne va pas plus loin; rien ne laisse entendre que leurs délibérations constituent des délibérations de la Chambre ou qu’elles y sont liées.

Les caucus ont donc le pouvoir de régir leurs activités internes. Le libellé de l’article 49.7 de la loi, qui interdit les contrôles judiciaires, l’énonce très clairement :

49.7 Toute décision relative au fonctionnement interne d’un parti prise par le groupe parlementaire, l’un de ses comités ou son président est définitive et n’est pas susceptible de contrôle judiciaire.

Il est évident, à la lecture de cette disposition, que les caucus disposent des pleins pouvoirs et que la présidence n’a donc aucun rôle à jouer dans l’interprétation ou l’application de cette loi, même lorsque les députés estiment ne pas disposer de règles clairement énoncées et bien comprises.

Pour ces raisons, la présidence ne peut venir à la conclusion que la députée de Markham—Stouffville a été gênée dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège.

Je remercie les députés de leur attention.

Note de la rédaction

Le 8 avril 2019, le vice-président (Bruce Stanton) avait rendu une décision sur une question de privilège similaire soulevée par John Nater (Perth—Wellington) sur une possible violation de l’article 49.8 de la Loi sur le Parlement du Canada. Le vice-président a souligné que la présidence n’a pas pour rôle d’interpréter les questions d’ordre constitutionnel ou juridique[3]. Au moment de donner la parole à Mme Philpott, le 9 avril 2019, le Président avait émis des réserves, puisqu’une décision avait déjà été rendu à ce sujet[4]. On trouvera la décision à la page 186.

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[1] Débats, 9 avril 2019, p. 26847–26848.

[2] Débats, 9 avril 2019, p. 26888.

[3] Débats, 8 avril 2019, p. 26787.

[4] Débats, 9 avril 2019, p. 26847.