Suspension d’articles du Règlement pour des questions de nature urgente

Lorsque surgit une situation que le gouvernement estime urgente, un ministre peut, en tout temps lorsque le Président occupe le fauteuil, proposer que la Chambre suspende l’application de certains articles du Règlement relatifs aux préavis, ainsi qu’aux heures et aux jours de séance pour étudier la question207. Ainsi, cette disposition peut être invoquée pour annuler le préavis de présentation d’un projet de loi ou de toute autre étape pour laquelle un préavis est normalement exigé208.

En proposant la motion, le ministre expose les raisons qui rendent la situation urgente et le Président saisit immédiatement la Chambre de la question209. Le Président peut permettre un débat ininterrompu d’au plus une heure210. Les interventions sont limitées à 10 minutes chacune et la motion ne peut faire l’objet d’un amendement, à moins qu’il ne soit proposé par un autre ministre. Pour mettre la question aux voix, le Président est tenu de demander aux députés qui s’y opposent de se lever. Si moins de 10 députés le font, la motion est automatiquement adoptée211 ; si 10 députés ou plus le font, elle est réputée retirée212. L’ordre découlant de la motion adoptée s’applique uniquement aux délibérations qui y sont précisées.

Les motifs de l’adoption en 1968 de cet article du Règlement remontent à quelques années plus tôt, soit en 1964, année où le premier ministre Pearson a proposé une motion sans préavis en vue de dépêcher des forces canadiennes de maintien de la paix à Chypre. Même si la motion semblait recueillir l’assentiment de toute la Chambre, certains députés ont soulevé des objections contre l’absence de préavis de 48 heures soutenant qu’il s’imposait avant qu’on ne puisse discuter d’une affaire aussi importante. Faisant observer que le premier ministre avait obtenu la permission de la Chambre, le Vice-président a rejeté ces objections et permis à la Chambre de passer à l’étude de la motion213.

Puis, en 1966, lorsqu’il a été demandé à la Chambre de se saisir d’urgence de la grève des contrôleurs de la circulation aérienne, le ministre des Travaux publics a proposé une procédure permettant au gouvernement de s’attaquer à des affaires urgentes. Il a donné l’explication suivante : « […] un simple député a le droit de proposer l’ajournement de la Chambre pour permettre l’étude d’une question urgente d’importance publique pressante. […] Mais, anomalie curieuse, le gouvernement n’est pas habilité par une disposition correspondante à saisir la Chambre de mesures analogues sans préavis214 ». Même si des députés de l’opposition estimaient qu’il fallait agir, la proposition du ministre a été retirée215.

Lorsque la règle actuelle a été adoptée, deux ans plus tard, en 1968, il était évident, d’après son libellé, que les événements de 1966 avaient été pris en considération puisque le nouveau texte était semblable à celui proposé durant cette année-là. En proposant l’ajout de cette règle, le Comité spécial de la procédure a écrit :

[…] il semble raisonnable de surseoir à l’obligation ordinaire de présenter un avis de motion pour mettre une affaire en délibération […] lorsque presque tous les députés en reconnaissent la nécessité. Le Comité estime intolérable qu’une seule voix dissidente puisse frustrer l’espoir de tous les autres députés […]216.

Cet article, conçu pour surseoir aux exigences de préavis et établir les heures et les jours de séance, a notamment failli être utilisé pour encadrer le débat d’une manière qui s’apparente à l’attribution de temps217. Il a somme toute été rarement invoqué depuis son adoption en 1968. Il a été utilisé en 2016 alors que le leader du gouvernement à la Chambre a proposé qu’une motion relative aux amendements du Sénat au projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) puisse être proposée sans le préavis requis de 24 heures. Comme moins de 10 députés se sont levés pour s’y opposer, la motion a été adoptée218. La motion relative aux amendements du Sénat a non seulement été débattue, mais elle a également été adoptée cette même journée219.