Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à tous. C'est une belle journée.
Je suis accompagnée par M. Hubert Lussier, que vous connaissez, et par Me Michel Francoeur, qui a discuté avec vous des tenants et des aboutissants du projet de loi S-3.
Je suis heureuse de m'exprimer sur le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles. Ce projet de loi a aussi comme objectif la promotion du français et de l'anglais. Il a été soumis à l'origine au Sénat par l'honorable Jean-Robert Gauthier. D'ailleurs, je voudrais féliciter M. Gauthier pour sa ténacité et son engagement envers la politique canadienne des langues officielles, le projet de loi S-3 étant le quatrième projet de loi qu'il a présenté sur ce sujet.
Le projet de loi S-3 vise à modifier la Loi sur les langues officielles afin d'imposer aux institutions fédérales une obligation justiciable d'assurer la mise en oeuvre de l'engagement fédéral prévu à la partie VII de la loi. Le gouvernement partage l'objectif d'imputabilité accrue que poursuit le projet de loi S-3. J'aimerais à cet égard rappeler l'engagement non équivoque du gouvernement du Canada à promouvoir la dualité linguistique du pays.
En premier lieu, le gouvernement s'est explicitement engagé, tel que l'indiquent les récents discours du Trône, à réaffirmer la dualité linguistique en tant que valeur fondamentale du pays et à promouvoir la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Deuxièmement, j'aimerais rappeler que le Cabinet compte maintenant un ministre responsable des langues officielles chargé de la coordination horizontale de la mise en oeuvre de la politique des langues officielles.
Troisièmement, le gouvernement du Canada s'emploie à la pleine mise en oeuvre de son Plan d'action pour les langues officielles, au coeur duquel se situent notamment les enjeux liés à la gouvernance de la politique sur les langues officielles. Je crois d'ailleurs important de préciser ici certaines dimensions du plan à cet égard.
Le plan d'action, c'est la nouvelle feuille de route de la dualité linguistique au Canada. Il se compose d'un cadre d'imputabilité et de coordination ainsi que d'une stratégie d'investissement comportant trois grands axes : l'éducation, le développement des communautés minoritaires des langues officielles et des mesures destinées à rendre la fonction publique exemplaire. Le cadre d'imputabilité et de coordination, pivot du plan d'action, vise l'ensemble de la loi. Il rappelle les obligations de chaque institution fédérale en vertu de parties I à V de la Loi sur les langues officielles, et spécifie les modalités de mise en oeuvre de la partie VII, dont il est question aujourd'hui.
Son objet est vaste et sa portée est grande : S'assurer que la dimension « langues officielles » figure dans la conception et dans la mise en oeuvre des politiques publiques et des programmes gouvernementaux. Ainsi, le nouveau cadre précise qu'afin de mettre en oeuvre l'engagement fédéral prévu à la partie VII, les institutions fédérales doivent sensibiliser leurs employés aux engagements gouvernementaux et aux préoccupations des communautés, identifier leurs politiques et leurs programmes ayant des incidences sur le statut des deux langues officielles et sur l'épanouissement des communautés, consulter ces dernières et tenir compte de leurs besoins. Le cadre d'imputabilité et de coordination comprend aussi toute une série de dispositions qui renforcent la coordination horizontale.
Bref, le plan d'action et son cadre d'imputabilité et de coordination vont dans le sens d'une meilleure concertation et de meilleurs résultats et, ce faisant, démontrent combien l'engagement et les actions du gouvernement rejoignent les visées du projet de loi S-3, à savoir amener les institutions fédérales à faire davantage en vue d'appuyer la dualité linguistique du pays et, à cette fin, d'accroître leur imputabilité.
Je dois cependant exprimer des réserves quant au libellé actuel des dispositions du projet de loi. En effet, il m'apparaît que celles-ci peuvent comporter des répercussions dont on mesure mal l'étendue à ce moment-ci, et qui pourraient s'avérer néfastes.
Je rappelle que le projet de loi S-3 remplace un engagement de politique non justiciable, c'est-à-dire un engagement fondé en grande partie sur le pouvoir de dépenser, par une obligation de prise de décisions et d'atteinte de résultats. Le projet de loi S-3 crée cette obligation à l'égard d'un objectif très large et plutôt difficile à évaluer, contrairement aux parties I, II, IV et V de la loi, qui visent des situations précises, comme la langue des lois et des règlements, des débats parlementaires, des services au public et la langue de travail.
De plus, l'obligation d'atteindre des résultats devient justiciable, c'est-à-dire qu'elle peut être l'objet d'un recours devant les tribunaux.
L'adoption de ce projet de loi, ainsi libellé, pourrait avoir deux répercussions majeures.
D'abord, il pourrait affecter considérablement les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. En effet, de nombreux domaines prioritaires reliés au développement des communautés minoritaires des langues officielles relèvent du champ de compétence des provinces et des territoires, et il serait extrêmement difficile pour le gouvernement d'atteindre les résultats exigés sans la collaboration d'autres niveaux de gouvernement.
Je vous rappelle que le projet de loi exigerait notamment du ministre du Patrimoine canadien qu'il prenne « des mesures pour assurer la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne ». Dans ces conditions, s'activer à obtenir les résultats voulus par la partie VII de la loi pourrait engendrer d'importantes pressions sur les relations fédérales-provinciales-territoriales.
Ensuite, le projet de loi S-3 pourrait également avoir comme effet de réduire de façon substantielle la marge de manoeuvre du gouvernement dans sa capacité d'élaborer des politiques et des programmes ainsi que dans l'exercice de son pouvoir de dépenser. Les décisions des ministres seraient assujetties à la révision des tribunaux, et les cours pourraient donc prescrire la modification ou l'annulation d'initiatives gouvernementales.
Je crois donc que le projet de loi devrait être amélioré pour que, tout en atteignant son objectif premier — accroître l'imputabilité des institutions fédérales dans la mise en oeuvre de la partie VII de la loi —, il respecte la capacité dont doit disposer le gouvernement fédéral dans ses discussions avec les provinces et territoires, dans ses choix de politiques et de programmes, ainsi que dans l'exercice de son pouvoir de dépenser.
Il importe de préserver la relation de partenariat que nous avons avec les provinces et territoires depuis plus de 30 ans dans les multiples domaines où nous joignons nos efforts.
Il m'apparaît que la meilleure façon de procéder à cette fin serait de faire porter les obligations des institutions fédérales sur des mesures de moyens à prendre en vue de la mise en oeuvre de l'engagement du gouvernement plutôt que sur les résultats à atteindre. Soyons clairs: nous sommes tous d'avis qu'il importe d'assurer de saines relations entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Or, est-il raisonnable d'exiger du gouvernement fédéral qu'il atteigne des résultats tout en sachant que cela serait extrêmement difficile sans la collaboration des provinces?
Je rappelle d'ailleurs à ce sujet que l'engagement fédéral prévu à la partie VII de la Loi sur les langues officielles de 1988, de nature déclaratoire et non justiciable, a été justement énoncé comme tel en raison des sérieuses préoccupations qu'avaient alors exprimées les provinces et les territoires quant aux pressions que le gouvernement fédéral pourrait être amené à exercer, afin que des actions soient prises dans des champs qui ne relèvent pas de sa compétence.
J'aimerais m'assurer ici que mon propos soit bien compris de tous. Faire porter les obligations sur des mesures de moyens à prendre plutôt que sur des résultats à atteindre ne vise pas à éviter un empiètement du gouvernement fédéral sur des compétences provinciales, car il va de soi qu'une loi fédérale ne peut sanctionner un tel empiètement. Cela est inscrit dans la Constitution.
La modification que je propose vise plutôt à réduire les risques de tensions politiques qui pourraient être provoquées par le désir d'une institution fédérale d'obtenir des résultats exigés par la loi, mais dont l'atteinte dépendrait d'autres ordres de gouvernement.
Les propositions que vous a soumises mon collègue la semaine dernière se fondent donc sur une approche qui cible les moyens plutôt que les résultats, et s'inscrivent en continuité, tout en les renforçant, des engagements du gouvernement à l'égard de la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne. Ainsi, en vertu de ces propositions, les institutions fédérales se verraient tenues, lorsqu'elles élaborent des politiques ou des programmes, de vérifier l'incidence de chaque politique ou programme sur la promotion du français et de l'anglais; de consulter, s'il y a lieu, les organismes intéressés, notamment ceux qui représentent les minorités francophones et anglophones du Canada; et de tenir compte des incidences de la promotion du français et de l'anglais et du résultat des consultations. Les obligations du ministre du Patrimoine canadien seraient également assujetties à une prise de mesures similaires.
J'aimerais insister sur le fait que de telles mesures de moyens, lesquels seraient, je le rappelle, justiciables, sont très loin d'être banales ou négligeables. L'obligation justiciable de tenir compte des incidences de tels programmes ou politiques sur la promotion du français et de l'anglais serait fort significative et amènerait les institutions fédérales à répondre de façon plus appropriée aux besoins des communautés minoritaires et aux intérêts de la dualité linguistique dans son ensemble. C'est d'ailleurs en ce sens que se prononçait la commissaire aux langues officielles dans le cadre de son dernier rapport annuel de 2003-2004. Elle y indiquait, et je cite:
Les institutions assujetties à la Loi doivent normalement prendre en considération les besoins des communautés de langue officielle dans l'élaboration des politiques et des programmes.
Cette exigence aurait une portée beaucoup plus grande si son caractère exécutoire était clairement établi. En effet, toutes les institutions devraient considérer de façon plus approfondie et rigoureuse les répercussions des politiques et programmes sur les communautés pour s'assurer qu'elles favorisent leur développement. La commissaire concluait en recommandant au gouvernement de clarifier par voie législative ou réglementaire la partie VII en précisant à la fois son caractère obligatoire et les modalités de sa mise en oeuvre par les institutions fédérales aux termes de l'article 41 de la loi. Il m'apparaît que les propositions mises de l'avant par mon collègue s'inscrivent tout à fait dans cette ligne de pensée.
Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir donné l'occasion d'exposer mon point de vue sur le projet de loi S-3. Vous savez que le gouvernement accorde une grande importance à son engagement en matière de langues officielles, et je souhaite que le comité puisse convenir de la meilleure façon de le rehausser.
Monsieur le président, nous sommes à vous.