Abrogation d’un texte réglementaire

Pendant les 15 premières années de son existence, le Comité avait le pouvoir d’examiner les décrets-lois, mais pas de les abroger. Le Comité spécial sur les instruments statutaires n’a pas proposé de procédure générale d’abrogation49, et la Loi sur les textes réglementaires ne renferme aucune disposition semblable. Ainsi, lorsque le Comité demandait à des ministères ou organismes de modifier ou d’abroger des règlements parce qu’il les jugeait non conformes à la Loi, sa demande restait souvent lettre morte. La seule façon pour le Comité de lancer un débat public sur ces règlements était de présenter des rapports à la Chambre et d’en proposer l’adoption50.

En 1985, le Comité a proposé au Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes des recommandations concernant la révocation de textes réglementaires51. Il proposait entre autres choses que tout texte réglementaire non soumis à une procédure de ratification par la loi puisse être révoqué par résolution de l’une ou l’autre chambre, et que le pouvoir exécutif ne puisse réadopter aucun règlement ainsi révoqué pendant une période de six mois. Subséquemment, dans son troisième rapport à la Chambre, le Comité spécial a recommandé que « la Chambre des communes [adopte] une procédure obligatoire de ratification ou de révocation des décrets-lois et des règlements adoptés en vertu d’une loi du Parlement52 ». Dans sa réponse, le gouvernement proposait une solution de rechange, à savoir le pouvoir d’abroger par un ordre de la Chambre53. La Chambre a adopté cette formule en 1986 et le Règlement a été modifié en conséquence54. Le gouvernement prenait alors l’engagement politique de « se considérer lié par un rapport du Comité » et, par conséquent, de donner suite à l’abrogation55.

La décision de soumettre la procédure d’abrogation à un ordre de la Chambre des communes a eu deux conséquences importantes : elle a privé le Sénat de toute voix au chapitre et elle a limité l’application de la procédure d’abrogation aux textes réglementaires pris par le gouverneur en conseil ou par un ministre. Il en a été ainsi parce que la procédure instaurée fonctionnait par résolutions et décrets qui, de nature, ne pouvaient lier que la Chambre56. Par conséquent, les règlements pris par les autorités détentrices d’un pouvoir réglementaire délégué par le Parlement (tels le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, l’Office national de l’énergie, les Instituts de recherche en santé du Canada, l’Office des transports du Canada et la Commission canadienne de sûreté nucléaire) ne pouvaient faire l’objet d’une abrogation.

À part de légères modifications d’ordre rédactionnel57, les articles du Règlement régissant les décrets-lois n’ont subi aucun changement jusqu’en 2003. En juin 2003, le projet de loi C-205, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires (procédure de désaveu des règlements) a reçu la sanction royale58. Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a recommandé de modifier le Règlement pour tenir compte des exigences de ce projet de loi, modifications ensuite adoptées par la Chambre le 5 novembre 200359.

Les modifications à la Loi sur les textes réglementaires (contenues dans le projet de loi C-205) ont paré aux lacunes identifiées dès 1986 par le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation. Elles instauraient une procédure d’abrogation s’appliquant au Sénat et à la Chambre des communes60 et venaient soumettre tous les textes réglementaires, et non plus seulement ceux pris par le gouverneur en conseil ou par un ministre, à la procédure d’abrogation. Les modifications à la Loi sur les textes réglementaires donnent à l’autorité réglementaire un délai fixe de 30 jours pour abroger les dispositions visées par la résolution. L’autorité réglementaire est maintenant tenue par la Loi de donner suite à la résolution, si elle est adoptée par les deux chambres61.

Rapport du Comité

Lorsque le Comité décide qu’un règlement ou un autre texte réglementaire n’est pas conforme à l’intention d’une loi du Parlement, il peut en faire rapport à la Chambre. Un tel rapport est de format normalisé et doit contenir une résolution portant abrogation d’un règlement ou d’une partie de celui-ci62. Bien entendu, la résolution doit viser un règlement que le gouvernement a le pouvoir d’abroger63. Chaque règlement que le Comité veut faire abroger par un ordre de la Chambre doit faire l’objet d’un rapport distinct, mais le Comité ne peut présenter qu’un seul de ces rapports par séance à la Chambre64. Par ailleurs, au moins 30 jours avant que le Comité n’adopte le rapport, le Comité (en pratique, son coprésident) doit informer le ministre et l’organisme concernés de son intention d’étudier un tel rapport65.

Lorsqu’un député (en pratique, le coprésident) présente un tel rapport, il doit d’abord préciser que celui-ci contient une résolution, identifier le règlement ou la partie du règlement qui fait l’objet de la résolution visant l’abrogation et indiquer que le texte pertinent est inclus dans le rapport. Enfin, le député doit préciser que les exigences relatives aux avis ont été respectées66.

Dès qu’un tel rapport est présenté à la Chambre, le Greffier fait inscrire la résolution au Feuilleton des avis au nom du député qui a présenté le rapport, qu’il s’agisse ou non du coprésident du Comité. Le Règlement interdit qu’on inscrive au Feuilleton des avis tout avis de motion portant adoption du rapport lui-même67.

Adoption de la résolution

Les modifications de 2003 ont permis au Comité mixte permanent de présenter à la Chambre un rapport contenant uniquement une résolution visant l’abrogation de tout ou partie d’un règlement. La résolution elle-même (et non pas une motion portant adoption du rapport du Comité) est inscrite au Feuilleton des avis et est réputée adoptée, à moins qu’un ministre ne donne avis d’une motion tendant au rejet de cette résolution. Le cas échéant, un débat particulier prendra place, selon les modalités décrites aux articles 126, 127 et 128 du Règlement68.

Adoption automatique

Si, le 15e jour de séance suivant la présentation du rapport à la Chambre69, aucune motion tendant au rejet de la résolution n’apparaît au Feuilleton au nom d’un ministre, la résolution est réputée avoir été proposée et adoptée à l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien, et l’autorité investie du pouvoir de prendre le règlement (habituellement le gouverneur en conseil) doit en abroger les dispositions irrégulières dans les 30 jours suivant l’adoption de la résolution70. Si la Chambre s’ajourne avant l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien de ce 15e jour de séance, la résolution est quand même réputée adoptée71.

Examen de la motion tendant au rejet de la résolution

À la demande d’un ministre, la motion tendant au rejet de la résolution est prise en considération. La demande doit être faite par écrit au moins 48 heures avant le 15e jour de séance suivant la présentation du rapport à la Chambre72. Une fois cette exigence remplie, un avis de débat est immédiatement inscrit au Feuilleton73. L’examen de la motion est automatiquement prévu pour 13 heures le premier mercredi après l’expiration du délai de 48 heures qui suit l’avis écrit74.

Même si un seul rapport peut être présenté au cours d’une séance et qu’une seule motion tendant au rejet de la résolution contenue dans ce rapport peut être inscrite au Feuilleton, il peut arriver que, lorsque plusieurs rapports sont présentés des jours successifs, plus d’une motion de rejet soit examinée le même mercredi. L’ordre de prise en considération est établi par un ministre de la Couronne et toutes les motions sont regroupées pour les fins du débat puis mises aux voix l’une après l’autre75.

Qu’une ou plusieurs motions tendant au rejet d’une résolution soient examinées un mercredi donné, seulement une heure leur est réservée, de 13 heures à 14 heures, et les délibérations ne peuvent porter que sur celles-ci76. Les députés qui participent au débat peuvent prendre la parole une seule fois et pour au plus 10 minutes77 et ces interventions ne sont pas suivies d’une période de questions et d’observations78. Les rappels au Règlement au sujet de la recevabilité, sur le plan de la procédure, d’un rapport du Comité mixte permanent ne sont autorisés qu’une fois la Chambre saisie de l’ensemble des motions. Si un rapport est jugé irrecevable par la suite, la résolution contenue dans ce rapport et la motion correspondante sont réputées retirées79.

À moins qu’on n’ait disposé de la ou des motions à 14 heures, le Président doit interrompre les délibérations et mettre aux voix toute question nécessaire pour disposer des motions dont la Chambre est alors saisie80. Les votes par appel nominal demandés sont automatiquement différés à l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien, et la sonnerie d’appel se fait entendre pendant au plus 15 minutes81. Les dispositions du Règlement concernant l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien sont suspendues jusqu’à ce que la Chambre se soit prononcée sur toutes les questions82. Lorsque les délibérations sur une ou plusieurs motions de rejet prennent fin avant 14 heures, le Président suspend la séance jusqu’à 14 heures83.

Si la motion proposée par le ministre est adoptée par la Chambre (c’est-à-dire si la Chambre est d’avis, comme le ministre, que le règlement, en tout ou en partie, ne devrait pas être abrogé), la résolution est réputée retirée du Feuilleton. Par contre, si la motion proposée par le ministre est rejetée (c’est-à-dire si la Chambre est d’avis, comme le Comité, que le règlement, en tout ou en partie, devrait être abrogé), la résolution est réputée proposée et adoptée par la Chambre84. Elle disparaît du Feuilleton et l’autorité investie du pouvoir de prendre le règlement (habituellement le gouverneur en conseil) doit en abroger les dispositions irrégulières dans les 30 jours suivant l’adoption de la résolution.

Que ce soit en vertu des règles en vigueur avant ou après novembre 2003, les articles du Règlement énoncés dans le présent chapitre ont rarement été invoqués. Entre l’adoption du libellé original (en 1986) et juin 2017, on ne compte que 11 rapports du Comité mixte permanent recommandant l’abrogation de règlements85. Il n’est arrivé que trois fois qu’on tienne un débat ; dans chaque cas, le rapport a été renvoyé au Comité pour un examen plus approfondi86.

La Chambre et, en particulier, les membres du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation continuent toutefois de suivre et de proposer des recommandations sur l’étude des décrets-lois87.