TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 6 novembre 1997
Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour.
[Traduction]
Bonjour. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Street. Nous nous excusons du retard. Nous sommes très impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire au sujet de l'étude dont vous voulez nous parler. Nous disposons d'une heure pour votre exposé et les questions. Encore une fois bienvenue. Vous avez la parole.
M. Roger Street (directeur, Groupe de recherche en adaptation environnementale, Service de l'environnement atmosphérique, Environnement Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Et je remercie le comité permanent de l'occasion qui m'est donnée de venir parler de certaines études qui se font au Canada sur les impacts et le potentiel d'adaptation associé aux changements climatiques.
Soit que vous avez devant vous un document ou qu'on est en train de vous le distribuer, j'espère qu'il vous donnera de l'information au sujet de l'étude pancanadienne. Je ne vais pas lire tout le document. Il est là pour vous donner de l'information. Ce que j'aimerais faire, c'est vous en expliquer certaines parties et vous donner plus de détails sur certains points.
Je vais utiliser des transparents qui correspondent aux diapos contenues dans le document. Je vais d'abord vous parler de l'étude pancanadienne sur les impacts et l'adaptation aux changements climatiques. J'ai inclus sur la première diapo le site Web qui existe et qui fonctionne à l'heure actuelle et qui a été créé pour fournir cette information.
[Français]
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): L'avez-vous en français?
M. Roger Street: Oui, j'en ai une copie en français, mais je ne l'ai pas aujourd'hui.
[Traduction]
Oh, il y en a une. Je n'étais pas certain que nous ayons les deux.
Mon exposé sera fait dans la langue de présentation. Certaines diapos sont en anglais, d'autres en français. Je sollicite votre indulgence à ce sujet. Nous pouvons vous fournir toutes les diapos dans les deux langues.
Comme je le disais, le site web que l'on voit sur ce transparent est le site web pour l'Étude pancanadienne.
J'aimerais commencer par certains messages clés qui, je pense, sont utiles pour essayer de comprendre l'étude pancanadienne.
En ce qui concerne la prochaine diapo, ce que je voulais vous faire remarquer, c'est qu'au Canada en particulier, le climat est une variable clé qui définit le bien-être social et économique. Cela a été le cas par le passé, c'est le cas à l'heure actuelle et on s'attend à ce que ce soit le cas à l'avenir. Je suis absolument certain que s'ils y réfléchissent bien, les membres de votre comité comprendront que le climat a été une variable déterminante pour ce qui est de l'endroit où ils ont grandi et où vivent leurs familles.
Je pense qu'un autre message clé qu'il faut transmettre c'est que les sensibilités, les vulnérabilités actuelles aux changements climatiques, tant au Canada qu'à l'étranger, auront des conséquences importantes tant sur plan environnemental que social et économique.
Je pense que ce sont là les conclusions auxquelles en est arrivé le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Le GIEC est l'organisme international au sein des Nations Unies. Ce sont également les conclusions qui ont commencé à ressortir lorsque nous avons commencé à faire notre étude pancanadienne.
Ce que j'aimerais faire aujourd'hui, c'est vous expliquer brièvement ce qu'est l'étude pancanadienne et pourquoi nous en avons faite une. J'aimerais décrire certains liens très fondamentaux à l'échelle internationale, puis je vous donnerai certains faits saillants de ce que cette étude nous a permis de comprendre.
L'étude pancanadienne a été entreprise officiellement au début de l'été 1996. Il y a eu un certain nombre d'activités internationales au cours desquelles nous nous sommes penchés sur les répercussions des changements climatiques à l'échelle mondiale. Il a été décidé que nous avions de besoin de mieux comprendre ce qui se passait au Canada. Quels étaient les impacts pour le Canada et pour les Canadiens? Nous devions donc être en mesure de mieux comprendre ce que nous savons. Quel était notre niveau de connaissance actuel?
Nous voulions fonder ce niveau actuel des connaissances sur l'information contenue dans des documents scientifiques et techniques. Nous voulions par ailleurs être en mesure de comprendre sur quoi exactement devraient porter notre recherche et nos efforts pour mieux comprendre les impacts et le potentiel d'adaptation. Par conséquent, nous avons voulu identifier les principales lacunes en la matière.
Par ailleurs, dans le cadre de cette étude, il est devenu très évident pour la plupart d'entre nous que nous ne pouvions pas faire cette recherche tout seuls. Nous devions engager les Canadiens. Nous avions besoin des autres milieux consacrés à la recherche, mais également des Canadiens aux niveaux communautaire et industriel. Nous avons donc fait un effort important pour engager les gens dans cette recherche, ainsi que des membres du secteur public et du secteur privé.
Après avoir lancé cette étude, il est devenu très évident que cela nous donnerait l'occasion de mieux comprendre la question des changements climatiques et de ses impacts en vue de la conférence de Kyoto.
Nous tentons maintenant de faire connaître cette information initiale de façon à ce que nos interventions lors de la conférence de Kyoto soient faites de façon informée. Nous comprendrons non seulement le coût des mesures d'atténuation des changements climatiques, mais le coût de l'inaction et de l'adaptation.
Afin de faire connaître l'étude pancanadienne et l'information qu'elle contient, nous avons décidé de publier six volumes régionaux. Il y en a un pour la région du Pacifique et le Yukon, un pour le Québec, un pour les Prairies, un pour l'Arctique, un pour la région de l'Atlantique et un pour l'Ontario. Ces volumes viennent tout juste d'être publiés. Certains au cours des dernières semaines.
Le volume sur le Pacifique et le Yukon a été publié le 4 juin. C'était le premier volume à paraître. Celui du Québec a été publié le 22 octobre. Celui de l'Atlantique a paru hier. Au cours des deux prochaines semaines, les volumes de l'Ontario et de l'Arctique devraient paraître. Ils seront publiés la semaine prochaine.
Nous avons par ailleurs entrepris de publier un volume national sectoriel dans lequel, au lieu d'examiner uniquement les changements climatiques dans une région particulière, nous avons tenté de les examiner pour tout un secteur et brosser un tableau national. C'est ce que nous avons voulu faire pour des secteurs importants, notamment les forêts, l'agriculture, l'eau, et ce genre de secteurs. Nous avons décidé de publier un volume sectoriel pour faire connaître l'information dont nous disposons à ce sujet.
Nous nous sommes ensuite penchés sur un certain nombre d'autres questions: le commerce intérieur, les préoccupations extraterritoriales, le coût de l'inaction et le problème des deux économies. Nous sommes préoccupés par le fait que nous avons une économie de subsistance au Canada. Nous devons examiner le rapport entre ces deux économies dans un scénario de changements climatiques. Ce sont donc certaines des questions sur lesquelles nous nous sommes penchés dans le volume sur les questions trans-sectorielles nationales.
• 0915
Ce que nous faisons également—et je vais vous le montrer sur
la prochaine diapo—c'est qu'il y aura un résumé pour les
décisionnaires au niveau national pour essayer de donner une idée
de ce que nous savons à l'heure actuelle sur les impacts des
changements climatiques. Voici la page couverture de ce sommaire
national. Nous espérons publier également une version en langage
clair au niveau national, version que pourront lire tous les
Canadiens. Il y aura également pour chaque région une version en
langage clair que pourront se procurer les Canadiens dans chacune
de ces régions.
Le sommaire national pour les décisionnaires et la version nationale en langage clair seront lancés lors d'un symposium, le symposium national de l'étude pancanadienne qui aura lieu du 24 au 26 novembre à Toronto. Nous aurons ainsi l'occasion de faire connaître aux Canadiens les résultats de cette étude. Ce symposium réunira les scientifiques qui ont participé à l'étude ainsi que des intervenants et des membres des secteurs privé et public à tous les niveaux.
Ce sera également pour nous l'occasion de décider quelle orientation nous devons prendre relativement à l'étude pancanadienne sur la biodiversité et quelles prochaines étapes nous devons envisager. Ce symposium se tiendra à l'Université de Toronto le lundi 24 novembre. Nous irons ensuite au centre des congrès pour les deux dernières journées au cours desquelles nous tenterons d'examiner cette question plus en détail tout en profitant de l'occasion pour songer aux prochaines étapes.
Je tiens à souligner que l'étude pancanadienne sur la biodiversité est liée dans une grande mesure à ce qui se fait à l'échelle internationale. On reconnaît que dans les milieux où on se penche sur les impacts des changements climatiques, il faut commencer à regarder non pas uniquement ce qui se passe à l'échelle mondiale, mais aussi à l'échelle régionale.
Le groupe qui s'occupe de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a lancé au groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat le défi d'examiner les impacts régionaux. On leur a lancé ce défi afin de pouvoir donner de l'information aux négociateurs à Kyoto.
Le GIEC a donc demandé que l'on fasse un rapport spécial pour examiner 10 régions du monde. L'une de ces régions était l'Amérique du Nord. Il a été décidé, pour que nos collègues mexicains puissent travailler avec leurs voisins d'Amérique latine, que l'Amérique du Nord comprendrait essentiellement le Canada et les États-Unis.
Les principaux auteurs de ce rapport sont un Américain et moi-même. Le rapport a été publié officiellement la semaine dernière ou la semaine précédente à Bonn. On est en train de l'imprimer à l'heure actuelle. Voici le chapitre 8, le chapitre pour l'Amérique du Nord.
Un sommaire à l'intention des décisionnaires a été négocié dans les Maldives à la fin de septembre. Il sera également publié. Il s'agit d'une description complète des impacts pour chaque région.
Une autre chose qui se fait à l'échelle internationale—et vous le verrez dans votre document—c'est que les États-Unis ont également entrepris une évaluation nationale. Dans le document que je vous ai distribué, il y a une description de l'effort américain. Ils nous encouragent et nous les encourageons, afin qu'il y ait une meilleure coopération entre le Canada et les États-Unis, car ni le climat ni ses impacts ne respectent les frontières.
J'aimerais vous parler un peu de l'état de la science. On ne fait qu'à peine commencer à faire de la recherche sur les impacts et l'adaptation. Nous ne faisons que commencer à apprendre comment faire ce type de recherche. Nous ne faisons que commencer à apprendre comment mieux comprendre les impacts. Il s'agit d'une initiative de recherche très complexe, principalement parce qu'elle ne touche pas une seule discipline. Il s'agit d'une recherche multidisciplinaire. Il ne s'agit pas ici d'une réaction dans une éprouvette, mais plutôt d'une réaction humaine. Il s'agit des réactions à des systèmes complexes, et par conséquent nous devons mettre à contribution de nombreux chercheurs. Je voulais donc souligner que cette recherche n'en est qu'à ses tous débuts.
Les impacts dont je vais vous parler ne sont pas des prédictions, mais plutôt une indication de ce que nous comprenons au sujet de nos sensibilités au Canada et de nos vulnérabilités face aux changements climatiques projetés. Certaines de ces sensibilités et de ces vulnérabilités se fondent sur des réactions que nous avons constatées par le passé lorsque le climat changeait. Elles se fondent également sur la façon dont ces réactions pourraient changer si les changements climatiques projetés sont effectivement plus intenses qu'ils ne l'ont été par le passé.
• 0920
Il s'agit donc d'une combinaison. Nous examinons ce qui est
arrivé par le passé, et nous examinons les réactions. Par
conséquent, nous déterminons les sensibilités et les
vulnérabilités, puis, ce que nous essayons de faire, c'est de
déterminer ce qui arriverait si les changements climatiques
projetés lors des modélisations de circulation générales se
concrétisaient. Qu'arriverait-il? Quel type de réaction
constaterions-nous?
Ces sensibilités et vulnérabilités se fondent donc sur des projections de changements climatiques auxquelles on s'attend au cours du prochain siècle, c'est-à-dire deux fois CO2. Je pense que nous sommes de plus en plus conscients que deux fois CO2 n'est pas un chiffre magique. Cela n'a jamais été considéré comme un chiffre magique. À moins que l'on ne prenne des mesures importantes, deux fois CO2 ne sera qu'un point sur la courbe à mesure que nous nous dirigeons vers trois ou même quatre fois CO2. Je pense que les impacts que nous voyons ici sont calculés en partant du principe que ce sera deux fois CO2, mais ça ne veut pas nécessairement dire que ce soit la limite.
Un autre point important qu'il est nécessaire de souligner, c'est que les divers impacts que l'on constatera au Canada et les options en ce qui concerne la réaction reflètent tout à fait la diversité et l'étendue du Canada. Encore une fois, je reviens au principal point que j'ai souligné au début. Le climat est une variable clé pour définir le bien-être socio-économique au pays. Nous sommes un pays très diversifié. Notre pays est très vaste. Il n'est absolument pas possible de dire que les impacts sur le secteur forestier ou le secteur agricole ou encore sur les Canadiens seront les mêmes partout au Canada et que les réactions seront les mêmes. Il y aura une certaine diversité.
Si vous me le permettez, j'aimerais passer en revue les principales constatations. Elles confirment le fait que les incidences auxquelles nous nous attendons varieront grandement d'une région à l'autre du pays. Elles pourraient être plus prononcées au niveau communautaire ou régional, traduisant ainsi la vulnérabilité différente de chaque secteur et région. Je vais tenter de vous l'expliquer à l'aide de la prochaine diapositive.
Sur l'axe horizontal, au bas, on voit le nombre de gens. Ce sont des chiffres approximatifs. Ça ne signifie pas qu'une seule personne sera touchée. On peut voir les différents niveaux: le site, le niveau local, le niveau régional, le niveau continental et le niveau global. Le long de l'axe vertical, on voit les coûts et les avantages des changements climatiques.
Ce graphique illustre la différence entre les régions, ainsi que l'effet de la moyenne. Si vous examinez l'incidence particulière des changements climatiques au niveau global, vous constatez qu'il y a ce qu'on appelle souvent les gagnants et les perdants. Je n'aime pas employer ce terme, mais on les utilise souvent dans les articles spécialisés. Le gagnant est celui pour qui le changement climatique est avantageux. Le perdant est celui pour qui le changement climatique aura un effet négatif.
Si on fait la moyenne pour une grande région, pour le globe ou pour le continent, la perte est minimisée. Regardons la courbe du bas, la ligne est continue. Déjà, au niveau régional, la perte est plus importante.
Je peux vous en donner un exemple. Bien des personnes et des collectivités dépendent d'un seul secteur, d'une industrie particulière, d'une partie de leur environnement naturel. Si les effets sont négatifs pour cet environnement naturel, cette personne ou cette collectivité subira une incidence négative significative. En revanche, au niveau global, il y a des plus et des moins et le tout s'équilibre. Il est important de s'en rappeler.
Le président: On pourrait en dire autant du commerce international.
M. Roger Street: En effet.
Il en va de même pour les gagnants. On peut voir qu'au niveau de la moyenne, il y a des gens pour qui les gains sont importants au niveau local.
Enfin, la ligne en tirets montre que l'adaptation peut permettre de réduire l'incidence négative. C'est ce qui se passe ici: l'adaptation. Nous nous adaptons déjà dans notre pays. Nous consacrons chaque année des millions, des milliards de dollars à nous adapter à notre climat actuel. Afin de minimiser les effets des changements climatiques, nous devrons nous adapter. Dans ce graphique, on tente de montrer que l'adaptation peut transformer même une perte globale en un gain global, mais que l'adaptation ne se fait pas sans coûts environnementaux, sociaux et économiques importants.
• 0925
Je vais passer en revue ces diapositives assez rapidement afin
que nous ayons du temps pour les questions.
Nous avons constaté, non seulement au cours de l'étude pancanadienne mais aussi dans les études que nous avons menées avec nos partenaires américains, que, en matière de changements climatiques au Canada et en Amérique du Nord, l'eau est un des principaux déterminants des incidences d'ensemble, et ce, en raison du rôle crucial que joue l'eau dans tout ce que nous faisons. Les excès d'eau, les pénuries d'eau, les changements extrêmes dans la quantité d'eau—sécheresse et inondations—et les incidences prévues de ces changements découlant des changements climatiques auront des conséquences considérables.
Je vous en donne deux ou trois exemples, rapidement. Premièrement, on s'inquiète beaucoup de la quantité d'eau qui sera disponible dans les Prairies. Une bonne partie de l'eau des Prairies provient de la fonte des neiges, des eaux de ruissellement des Rocheuses. Nous prévoyons que la quantité de neige et d'eau de ruissellement, ainsi que le moment de la fonte des neiges changeront. Par conséquent, les secteurs et les localités qui comptent sur cette eau n'auront peut-être pas la quantité d'eau dont ils ont besoin pendant toute la saison.
C'est particulièrement important en ce qui concerne l'adaptation. Ainsi, en matière d'agriculture, on envisage un recours accru à l'irrigation pour contrer les effets des changements climatiques entraînant des périodes de plus grande sécheresse dans les Prairies. S'il y a moins d'eau, il y a plus de gens et, du coup, une demande accrue d'eau; cela cause un problème. Nous commençons à le voir.
On s'inquiète beaucoup du niveau des Grands Lacs. On a connu des niveaux très élevés, mais des indices nous portent à croire que ces niveaux baisseront au point il n'y aura plus suffisamment d'eau pour assurer la vitalité du bassin des Grands Lacs.
On se préoccupe aussi des écosystèmes naturels. On constate des changements de structure et de fonctionnement découlant de changements dans la répartition des espèces, la population et les habitats et les conditions de concurrence.
Je vous montre maintenant les deux prochaines diapositives qui sont fondées sur des projections. La première montre la répartition des grands biomes dans le climat actuel. Je regrette de ne pouvoir vous présenter une vue globale, mais j'ai cru que cela serait quand même utile. Au Canada, on voit la zone bleue, la toundra, et la zone verte, la forêt boréale. Vous pouvez voir leur étendue, ainsi que celle des prairies de la région des grandes plaines. Ceux qui sont de l'Est et qui se préoccupent plus de cette région peuvent voir la forêt boréale et l'étendue de la forêt tempérée ou caducifoliée, qui va jusqu'au nord des Grands Lacs.
Regardez maintenant les changements que prédisent les modèles. Vous pouvez constater que la forêt boréale sera repoussée de façon significative vers le nord. Les forêts tempérées des Grands Lacs pourraient aller jusqu'au nord de l'Ontario et du Québec, suivies par les Prairies.
Ce changement n'est qu'éventuel. Dans le cas du prolongement de la forêt boréale, par exemple, le sol ne permettrait pas ce genre de changement. En l'occurrence, la forêt boréale rétrécirait plus tôt.
Dans l'Arctique, on craint que certains écosystèmes dont dépendent la majorité des collectivités inuites pour subsister, ne disparaissent.
Le nord est envahi par certaines espèces du sud. Cela fera augmenter la compétition de la part des espèces non économiques. Les écosystèmes seront perturbés par l'arrivée de différentes espèces qui modifieront la dynamique et l'équilibre qui existent entre les écosystèmes. Ainsi, on craint que, lorsque le climat aura changé au point où certains arbres ne pourront plus exister, ces arbres subiront un stress important. Les maladies et insectes nuisibles dont on a pu jusqu'à présent freiner la poussée vers le nord pourront alors le faire. Cela accroîtra le stress pour certains de ces arbres. Les arbres se mettront à mourir, ce qui accroîtra les risques d'incendie. Il y aura donc eu perturbation non seulement de l'écosystème naturel, mais aussi des secteurs qui comptent sur ces arbres.
Il faut à tous prix que le Canada s'adapte. Comme je l'ai dit, nous subissons déjà les changements climatiques. Nous constatons déjà les changements tels que ceux qui se produisent dans le bassin du Mackenzie, décrits dans le rapport que je vous ai fait distribuer. Nous voyons déjà ces changements. Nous nous sommes engagés à prendre acte de ces changements, car ils auront des incidences. Il ne faut pas attendre que les changements climatiques aient fait doubler la quantité de gaz carbonique. Nous nous inquiétons déjà du dépassement des seuils, comme on l'a indiqué dans le passé. Nous devons être en mesure de nous adapter. Nous avons besoin d'information et de mécanismes financiers pour pouvoir nous adapter.
Il importe de se rappeler que le Canada n'est pas une île. En raison de notre dépendance du commerce, de nos relations avec la communauté internationale, nous ressentirons les effets des changements se produisant dans la communauté internationale, particulièrement chez nos concurrents et partenaires commerciaux, que ce soit au chapitre de l'agriculture ou des forêts.
Ce n'est pas seulement l'incidence des changements climatiques sur ces collectivités qui compte, mais aussi comment on réagit à ces changements. Ainsi, si les arbres d'une région meurent et qu'on décide de faire du dumping avec la pâte à papier provenant de ces arbres, cela influera sur les prix mondiaux et, partant, sur notre compétitivité. On est donc fermement convaincu que les incidences au niveau international sont tout aussi importantes ou, du moins, très importantes en comparaison avec ce qui se passe au Canada même.
Sachez que le Canada étant un pays nordique, le fait que la hausse des températures se fera surtout sentir en hiver et que les températures minimales sont censées augmenter n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela aura des effets positifs. Il y aura moins de neige, et ce pourrait être bon pour les routes, mais si on pense à ceux qui comptent sur cette neige, sur les écosystèmes naturels qui dépendent de cette neige pour leur existence, c'est plutôt mauvais. Ce changement est donc une arme à double tranchant. Mais les changements climatiques créeront aussi de nouvelles possibilités; ainsi, avec le mouvement vers le nord de la région agricole, certaines cultures seront peut-être possibles là où elles ne l'étaient pas auparavant. Il y aura donc de nouvelles possibilités.
On se préoccupe beaucoup des événements extrêmes. Une augmentation de la température moyenne signifie une augmentation de la variabilité et, du coup, des changements dans la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques violents. Cela aura de graves conséquences pour notre sécurité et pour l'intégrité non seulement de nos ressources naturelles mais aussi de notre système et de notre infrastructure sociale. Cela préoccupe grandement le secteur de l'assurance et les secteurs publics intéressés. Si les inondations sont plus fréquentes, si les tempêtes de grêle sont plus fréquentes, si les sécheresses sont plus fréquentes... vous pouvez vous imaginer ce que cela signifie pour le secteur de l'assurance et le secteur public intéressé, telle que la protection civile, la police et les autres services de sécurité.
• 0935
Nous envisageons maintenant diverses étapes importantes. Grâce
à l'étude pancanadienne sur la biodiversité, nous avons appris
certaines choses, nous avons établi nos préoccupations et nos
priorités. Une bonne partie des renseignements dont nous avons
besoin ont été difficiles à trouver. Ils se trouvent dans les
articles scientifiques et n'ont pas été mis à la disposition des
Canadiens du secteur public ou du secteur privé qui voudraient
prendre des décisions éclairées. Il importe donc de communiquer les
informations à ces communautés afin que nous puissions savoir quels
sont les renseignements qu'il leur faut pour prendre des décisions
éclairées.
Il faut aussi que le secteur participe plus efficacement qu'avant. Nous devons aussi mettre à contribution les collectivités afin qu'elles entreprennent des activités d'adaptation, par exemple et comprennent mieux les incidences des changements climatiques, mais aussi pour qu'elles nous disent quelles sont les informations qu'il leur faut. Nous devons créer un réseau ou une tribune pour la recherche sur les incidences des changements climatiques et l'adaptation. C'est essentiel.
Le Canada est considéré comme l'un des chefs de file du monde en matière de recherche sur les incidences des changements climatiques et l'adaptation. On le sait déjà depuis plusieurs années. À ce chapitre, le monde entier suit l'exemple du Canada. Le projet du bassin du Mackenzie et le projet du bassin du Saint-Laurent et des Grands Lacs sont considérés par la communauté internationale comme des projets exemplaires.
Il nous faut donc orienter notre recherche désormais sur les priorités régionales et nationales. La collectivité se rend compte qu'une bonne partie du travail que nous avons fait portait sur les écosystèmes naturels. Il faudrait maintenant que les études d'impact et les recherches en matière d'adaptation nous amènent à comprendre ce que cela signifie pour l'interface urbain-rural. Nous devons nous orienter dans cette voie.
Une des choses que nous avons entreprises, et nous sommes parmi les premiers à agir dans ce domaine, c'est ce qu'on appelle l'étude de la région de Toronto et du Niagara. Nous allons examiner non seulement l'incidence des changements climatiques, mais celle d'autres questions atmosphériques sur cette région du pays. Nous allons commencer à nous concentrer là-dessus, et nous voulons l'étendre de manière à inclure la région de l'agglomération de Vancouver, la région montréalaise, et certaines autres parties du pays. Nous devons commencer quelque part, et la région de Toronto et du Niagara est celle que nous avons choisie. Nous devons renforcer la perspective nord-américaine, parce que les répercussions s'y font sentir. Il n'y en pas qu'une.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Street. Vous nous avez certainement beaucoup aidé à évaluer la gravité potentielle de la situation. J'espère que vous aurez l'occasion de faire un exposé similaire à un comité du cabinet avant qu'on prenne une décision.
Monsieur Casson, voulez-vous commencer?
M. Rick Casson (Lethbridge, Réf.): Certainement, merci.
Merci beaucoup. C'était un bon exposé.
Vous avez dit qu'il ne s'agissait ni d'une prévision ni d'une prédiction. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour projeter l'ampleur des changements climatiques? Pour se doter d'un plan d'adaptation, il faut avoir une idée de l'ampleur du problème. Quelle information avez-vous utilisée? L'avez-vous recueillie, ou est-ce que vous avez utilisé d'autres études?
M. Roger Street: Non. Je suis heureux d'avoir l'occasion d'apporter des clarifications à ce sujet. Nous avons examiné ce que la documentation actuelle disait au sujet du Canada et des répercussions. On a utilisé divers scénarios en utilisant la formule deux fois C02 pour ce qui est des projections. Dans tous les cas on utilise ceux que reconnaît le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Certaines études s'appuient sur les anciens modèles et d'autres sur les nouveaux.
Nous avons essayé d'expliquer ce que nous avons utilisé en les décrivant chacun. Nous l'expliquons très clairement. Dans le chapitre nord-américain, nous avons expliqué très clairement ce qui a été utilisé. Toutefois comme je vous le disais, les anciens modèles indiquent une évolution du climat plus marquée que les nouveaux pour ce qui est du siècle qui vient, mais tous partent de la formule deux fois CO2. On craint de dépasser ce niveau.
En vous présentant cette information, j'essaie non pas tant de vous parler de l'ampleur du phénomène—bien qu'on ne puisse en nier l'importance—que d'expliquer que ce sont des choses à l'égard desquelles nous sommes sensibles, qui présentent des risques, pour lesquelles nous éprouvons certains degrés de vulnérabilité et que nous devons prendre des mesures. C'est le grand message à retenir.
• 0940
Ce que nous avons essayé de faire dans toutes ces études,
c'est de repérer là où il existe des risques, là où on éprouve
certaines sensibilités et là où nous devons prendre des mesures
quelconques—des mesures d'adaptation. Et il y a des choses
auxquelles nous ne pouvons pas nous adapter, et auxquelles vous et
moi n'accepterons pas de nous adapter. Nous ne voulons pas faire ce
genre de choses. Nous souhaitons certaines choses pour nos enfants
et nos petits-enfants.
Ce que nous avons essayé de faire ici, c'est de dire qu'il existe des risques; qu'il existe des secteurs de sensibilité; il nous faudra peut-être prendre des décisions afin de ne pas permettre que ces choses dégénèrent au point de devenir inacceptables pour nous.
Ce que nous aimerions faire dans la prochaine recherche—et la communauté internationale commence à se rallier à cette idée—c'est de sélectionner deux ou trois scénarios, et toute l'étude d'impacts reposera sur ces scénarios. Il ne s'agira pas d'une prédiction, mais cela nous permettra de mieux comprendre quel est le risque à l'échelle du pays, et cela de façon uniformisée. Alors nous pourrons commencer à prendre des décisions, comme vous l'avez laissé entendre, en ce qui concerne l'adaptation.
M. Rick Casson: Vous avez mentionné que les processus que vous utilisiez en étaient à leurs tous débuts. Vous tirez vos conclusions puis vous dites que vous n'en êtes encore qu'à l'apprentissage, mais combien de temps vous faudra-t-il pour vous familiariser avec ce processus?
M. Roger Street: Je connais bien le processus et la façon dont les choses se passent maintenant. Je n'ai pas d'hésitation quant à ce que nous pouvons dire à propos des sensibilités et des vulnérabilités, surtout parce qu'une bonne partie de tout cela repose sur ce que nous avons déjà pu constater.
L'élément face auquel nous commencerons à nous sentir plus à l'aise, pour ce qui est des répercussions, c'est le moment où nous serons en mesure de faire cette comparaison, le moment où nous pourrons dire que nous avons utilisé les deux ou trois scénarios et que nous avons fait une étude complète dans tout le pays.
Nous n'avons pas choisi; ou plutôt nous avons choisi de tout prendre. Mais des chercheurs n'ont pas fait d'analyse complète de la situation dans tout le pays. Ils ne l'ont pas fait parce qu'ils n'ont pas les ressources voulues. Ce genre de travail est nouveau et nous ne faisons que commencer à rallier les chercheurs. Nous voulons faire cette étude complète. C'est à ce moment-là que je me sentirai à l'aise.
M. Rick Casson: Bien. Cela m'aiderait aussi à me sentir plus à l'aise.
M. Roger Street: Oui.
M. Rick Casson: Pouvons-nous nous procurer des exemplaires de vos rapports?
M. Roger Street: Pour l'instant, nous ne faisons qu'à obtenir ces rapports. Comme je vous l'ai dit, certains paraissent à peine.
Ce que je peux faire, c'est vous en faire parvenir des exemplaires dès que nous aurons les nôtres. Ce sont les seuls que nous ayons. C'est le plus grand jeu de documents que nous ayons maintenant, et c'est le seul. Mais j'y verrai.
M. Rick Casson: Vous avez parlé des Prairies et de l'irrigation et de choses qui me tiennent à coeur. Quand on a colonisé le pays, selon le rapport initial, on ne pouvait pas y vivre parce que c'était trop sec.
M. Roger Street: Vous parlez du travail de Palliser.
M. Rick Casson: Le triangle de Palliser. Or nous sommes ici et nous sommes bien nombreux et l'irrigation et la gestion des eaux font partie de notre vie quotidienne.
Comment pouvez-vous dire qu'une région du pays recevra plus de précipitations et qu'une autre sera davantage touchée par la sécheresse?
M. Roger Street: Je pense que la plupart d'entre vous étiez ici quand Gordon McBean a comparu et a abordé de l'aspect scientifique. Quand on commence à parler de précipitations et de sécheresse et que cela commence à diminuer, à mesure que l'échelle diminue passablement, on est de moins en moins certain de ce qu'on dit.
Pour ce qui est de l'eau dans les Prairies, une des choses qui nous intéresse au plus haut point, c'est le travail qu'a effectué récemment la Commission géologique du Canada. On y donne à entendre que Palliser n'avait peut-être pas tout à fait tort. Quand on remonte à 4 000 ou 5 000 ans dans le passé, on constate qu'il y a eu davantage de périodes de sécheresse que de périodes humides, comme celles qu'on a connues depuis 1940. On se préoccupe donc beaucoup de cet aspect.
Nous pourrions donc peut-être revenir à mes sensibilités. L'eau, comme vous l'avez dit, cela ne va pas de soi dans les Prairies. Il semblerait qu'en raison des changements dans le niveau de précipitations, des changements en ce qui a trait à l'eau provenant de la fonte des neiges, les Prairies vont connaître des périodes plus sèches que jusqu'à maintenant. C'est un sujet d'inquiétude.
Nous ne pouvons pas dire, par exemple, qu'à Red Deer ce sera plus sec qu'à Regina. Pour nous, il ne saurait en être question. Mais, ce que nous pouvons faire, c'est commencer à examiner la situation, et quand nous en serons à l'échelle continentale nous pourrons voir ce qui se passe dans l'Ouest par rapport à ce qui se produit dans l'Est, voir ce qui se produit dans le Nord par rapport à ce qui se produit dans le Sud. Alors, nous pourrons commencer à examiner les sensibilités et les vulnérabilités, puis commencer à faire état des choses que nous laissons entrevoir pour le moment, soit qu'il existe des sensibilités et des vulnérabilités.
M. Rick Casson: Ai-je le temps de poser une autre question?
Le président: Oui.
M. Rick Casson: Vous dites que le niveau d'eau dans les Grands Lacs est élevé.
M. Roger Street: Oui, il était élevé au cours des dernières années.
M. Rick Casson: Bien. Vous dites aussi que d'après certains indices, il devrait baisser.
M. Roger Street: Oui. Il semble qu'au cours du siècle prochain, le niveau des Grands Lacs va baisser à cause des changements climatiques.
Parmi les diverses prévisions, il y en a une... Et encore une fois, il s'agit de prévisions préliminaires fondées sur des analyses globales de niveaux et qui considèrent une région. L'étude sur le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent indique que certaines parties du lac Saint-Clair vont perdre des longueurs importantes de littoral. L'eau va reculer de un à six kilomètres, je crois, dans certaines régions. Le niveau va diminuer d'un mètre dans le Saint-Laurent. Voilà le genre d'indications que donnent les modèles. Mais encore une fois, on arrive ici à un niveau de l'échelle qui ne suscite pas la même confiance. Nous indiquons ici des préoccupations éventuelles.
Le président: Merci, monsieur Casson.
[Français]
Madame Guay, bienvenue à votre ancien comité.
Mme Monique Guay (Laurentides, BQ): Bonjour, monsieur le président. Il me fait plaisir de me joindre à vous aujourd'hui. Je remplace quelqu'un, évidemment, mais je connais bien le dossier de l'environnement et je suis très préoccupée par les changements climatiques et les gaz à effet de serre.
Bonjour, monsieur. J'aimerais vous féliciter pour votre travail et votre étude. Évidemment, je vais peut-être vous parler un peu plus de la scène politique. En ce moment, le Canada s'apprête à prendre position. On ne sait pas encore quelle position il prendra.
Au niveau international, j'ai rencontré il n'y a pas tellement longtemps des sénateurs et des représentants américains. Justement, un des sujets était les changements climatiques. On voit que la volonté américaine n'est pas très forte à ce niveau-là. Cela ne fait pas partie de leurs priorités. Donc, même si nous, au Canada, on prend la décision de faire des améliorations sur le plan des changements climatiques, si on n'a pas la participation de nos voisins américains, les risques demeurent les mêmes parce qu'on partage quand même un territoire.
J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
[Traduction]
M. Roger Street: Ce que vous dites montre bien qu'il ne s'agit pas uniquement de nos voisins du Sud, c'est-à-dire les États-Unis; il s'agit d'un problème mondial, et tous les pays doivent prendre des mesures. Si un pays comme le Canada agit résolument, alors que sa contribution aux émissions à effet de serre n'est que de 2 p. 100, les conséquences de son action seront très modestes, tant du point de vue de notre protection contre l'effet de serre que de celui des avantages que nous pouvons obtenir.
Il est très important d'apporter une réponse mondiale au problème. C'est pourquoi il existe une Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui préconise des mesures à l'échelle mondiale. C'est aussi pour cela que des discussions vont se tenir à Kyoto sur l'ensemble des mesures à prendre par tous les pays du monde. C'est également pour cela que la communauté scientifique s'est réunie. Et on commence à envisager des mesures à l'échelle régionale; ainsi, le Canada et les États-Unis travaillent ensemble pour mieux comprendre les conséquences de ce qui se passe dans notre région du monde. Je sais qu'on met désormais l'accent sur la coopération pour mieux comprendre les conséquences des phénomènes et les mesures d'adaptation qu'il va falloir adopter.
Comme je l'ai indiqué, le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat a toujours préconisé une gamme de réactions, car dans une certaine mesure, nous sommes destinés à subir des changements climatiques. Nous ne pouvons donc nous contenter d'essayer de les atténuer. Les mesures d'atténuation ne suffiront pas. Nous devons aussi nous adapter aux changements que nous allons subir.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.
[Français]
Mme Monique Guay: Oui, en partie. Par contre, c'est sûr qu'il y aura une période d'adaptation. On ne peut passer à côté. Il y a aussi une question de coûts dans tout cela.
• 0950
On voit que l'Alberta est bien défendue par nos
collègues réformistes, entre autres, parce qu'ils ne
veulent pas s'impliquer au niveau des changements
climatiques. C'est une des dix provinces.
Quelque part, une action doit
être entreprise le plus rapidement possible et on doit
sensibiliser tous les paliers de gouvernement. Cela
commence à la base et se globalise par la suite.
J'aimerais vous demander quels seront les impacts des changements climatiques à venir sur l'Arctique, entre autres.
[Traduction]
M. Roger Street: Comme je l'ai dit, un chapitre sur l'Arctique va bientôt être publié. Il en est aux dernières étapes de la préparation. Il va donner un point de vue spécifique sur l'Arctique.
On vous a remis un rapport sur le bassin du Mackenzie. On y relate les travaux que nous avons faits dans ce secteur. Je le répète, l'économie de subsistance et sa viabilité à long terme, qui sont essentielles pour les habitants de l'Arctique, suscitent de vives préoccupations. Nous avons souvent considéré l'Arctique comme une terre vierge propice au développement. Les changements que l'on constate dans l'Arctique, comme la modification du pergélisol, nuisent à la stabilité des écosystèmes et vont avoir des conséquences importantes non seulement sur les écosystèmes naturels, mais également sur la possibilité de travailler dans cette région.
La mer figure parmi les sujets de préoccupation concernant l'Arctique. Selon certaines prévisions, le passage du Nord-Ouest devrait être libre de glace pendant une partie de l'année, sinon pendant toute l'année. Certains ports de la région deviendraient alors accessibles, et on pourrait ouvrir la navigation dans le passage du Nord-Ouest à l'avantage non seulement du Canada, mais également de la communauté internationale.
En revanche, comme il n'y aura plus de glace pour contenir la houle, les ports de l'Arctique risquent d'être plus exposés à la violence des tempêtes. On enregistre déjà une perte importante du littoral à cause de l'érosion et de la disparition du pergélisol, et ce phénomène ne pourra que s'accélérer au contact d'une mer libre aux flots plus impétueux.
Par ailleurs, si l'on se place du point de vue des écosystèmes, la disparition de la glace sur la mer va avoir des conséquences importantes pour la faune, qui a besoin de la glace pour s'alimenter et pour se déplacer. On pense par exemple que l'ours polaire va devenir une espèce menacée, car il ne pourra pas conserver le même mode de vie lorsqu'il n'y aura plus de glace dans le passage du nord-ouest.
Les conséquences sont donc également importantes pour l'Arctique.
[Français]
Mme Monique Guay: Merci beaucoup, monsieur.
[Traduction]
Le président: Monsieur Heron, s'il vous plaît.
M. John Heron (Fundy—Royal, PC): J'aimerais avoir votre avis sur une question un peu plus simpliste. Depuis sa formation en 1988, le Groupe intergouvernemental a produit deux rapports importants. Le premier laissait planer quelques doutes quant au consensus scientifique et à l'importance de l'influence des activités humaines sur les changements climatiques, mais dans cette introduction, il est fait référence au rapport de 1996. On dit que d'après les conclusions du GIEEC créé par les Nations Unies,
Se peut-il qu'il y ait aujourd'hui consensus quant à l'existence d'une influence humaine discernable sur les changements du climat mondial?
M. Roger Street: Oui. La formulation de votre question reprend presque mot pour mot le résumé du GIEEC à l'intention des décisionnaires et on a de plus en plus de preuves qui corroborent une telle affirmation.
M. John Herron: Lorsqu'on dit donc que les scientifiques sont divisés, ils le sont à peu près à 98 p. 100 contre 2 p. 100.
M. Roger Street: Je ne suis pas certain que ce soient là les chiffres exacts.
M. John Herron: C'est simplement un exemple.
M. Roger Street: Ce dont la communauté scientifique discute, c'est précisément de ces 5 à 2 p. 100 de contestataires.
M. John Herron: Merci.
[Français]
Le président: Monsieur Charbonneau, vous êtes le premier du côté libéral.
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Notre invité d'aujourd'hui nous a dit des choses intéressantes. Il nous annonce plutôt des choses qui pourraient être intéressantes. Je crois que même s'il peut nous faire part d'observations préliminaires, il n'en reste pas moins que l'essentiel de sa communication consiste à nous dire qu'il est en train de préparer des travaux importants qui aboutiront, au cours des prochaines années, à nous faire mieux connaître ce dont nous essayons de parler aujourd'hui. Il a même employé le mot «enfance». Il a dit qu'ils étaient au stade de l'enfance dans leurs études.
Cela peut nous mener à deux conclusions. Il y a des gens qui pourraient dire: Eh bien, si on n'en sait pas plus, ce n'est pas la peine de s'alarmer et de prendre des mesures vigoureuses; on verra plus tard. Ces mêmes gens agitent souvent l'épouvantail économique. Ils s'enfouissent la tête dans le sable et disent: Ce sont des taxes qu'on veut nous imposer; ce sont des mesures qui ne sont pas soutenables économiquement. Ils en tirent certaines conclusions qui, si elles étaient retenues, nous mèneraient à l'inaction. Évidemment, ce n'est pas notre orientation.
Par contre, nous devons admettre que nous ne savons pas tout sur ces questions et que cela ne sert à rien non plus d'agiter des épouvantails catastrophistes sur la base des données dont nous disposons à ce moment-ci. Ce serait l'autre extrême, qui ne serait pas plus utile dans un débat que nous voulons équilibré.
Dans certains milieux, on nous prédit des sécheresses épouvantables, des tempêtes extrêmes et des changements très violents, alors que les données que nous avons nous disent: Attention, on n'en sait pas beaucoup; on a une idée globale de la question, mais on ne sait pas exactement ce qui va se passer région par région; tout cela est à mettre au point et doit être découvert avec les recherches que nous avons devant nous.
Donc, je vous demanderais d'essayer d'adopter une approche qui soit réaliste et pragmatique, une approche qui nous amènera à poser des jalons, à prendre des initiatives que, de toute façon, on ne pourra pas regretter. Quand on parle d'initiatives du type de l'économie d'énergie ou de certains changements dans la composition de notre base énergétique, on ne peut faire erreur. Il y a plusieurs mesures comme celle-là, des mesures d'économie, ainsi que certaines orientations. On peut même retoucher certains aspects de la fiscalité. On ne peut faire des erreurs à partir d'un certain nombre de mesures, mais il n'y a pas lieu non plus de s'alarmer sans avoir une certaine base scientifique.
Donc, vous avez parlé de l'état d'enfance de nos recherches et vous avez vous-même cité le deuxième rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Il faut lire ce rapport, monsieur le président.
Dans ce rapport, on nous dit partout qu'on a une certaine idée globale de la question, mais que la littérature concernant l'impact de ces changements climatiques est controversée. Souvent on extrapole à partir de modèles mathématiques, alors qu'il n'existe aucun consensus quant à la façon d'évaluer la valeur d'une vie statistique ou de regrouper les vies statistiques pour plusieurs pays.
On dit que:
• 1000
Après cette introduction, je voudrais vous demander,
monsieur Street, de nous dire dans quelle mesure votre
programme de recherche va tendre à éliminer ces
incertitudes dont on nous fait part, dans l'état actuel
de nos connaissances.
On me dit que la vapeur d'eau est l'agent à effet de serre le plus puissant et contribue pour 70 p. 100 au réchauffement de l'atmosphère. Elle n'est pas tributaire des activités humaines. Est-ce qu'on va cerner les facteurs propres du réchauffement au-delà de ces données?
On me dit que les mesures qui nous mènent à constater le réchauffement sont sont prises à la surface, alors que si on monte au niveau de la basse atmosphère, on constate plutôt un refroidissement. On me dit que plusieurs études démontrent que les augmentations de température sont explicables au moins à 70 p. 100 par le caractère cyclique des activités et des flux solaires. On me dit qu'il y a un phénomène qu'on appelle les îlots thermiques. Quand on prend des mesures en milieu urbain, il peut y avoir des distorsions. Si cela se fait sur de grands navires modernes qui dégagent de la chaleur, il peut y avoir une certaine distorsion, etc. Allez-vous nous apporter des données qui vont éliminer ces distorsions ou qui vont nous permettre de réduire la marge de controverse qui existe autour des données que nous échangeons actuellement?
[Traduction]
M. Roger Street: Je vais essayer de répondre à certaines de vos questions compte tenu du temps qu'il nous reste. Je ne sais pas exactement combien il me reste de temps.
En ce qui concerne les conséquences des changements climatiques... Vous avez raison de dire, comme je l'ai fait moi-même, qu'il en est à ses débuts mais comme on le voit dans le reste du rapport du GIEEC, de 400 à 500 scientifiques ont travaillé sur le sujet, et c'est là le point de vue d'un grand nombre, presque de la majorité, des scientifiques qui ont étudié ces conséquences. On voit donc apparaître également un consensus parmi les scientifiques en ce qui concerne les conséquences.
Comme je l'ai dit précédemment, nous avons essayé de... Personne ne peut contester le fait que le Canada est sensible aux écarts climatiques. Nous l'avons constaté à maintes reprises. Comme on nous l'a dit tout à l'heure, lorsque Palliser a traversé les Prairies, il les a considérées comme une région non viable. Son évaluation était due au temps qu'il avait fait pendant son séjour dans les Prairies. Nous sommes donc sensibles au climat, et nous l'avons également été pendant cette étude.
Il y a toujours eu des changements climatiques et il y en aura toujours, naturellement. Nous le reconnaissons tous. Les éléments présentés par M. McBean indiquent que l'activité humaine a désormais une influence sur le climat. Les preuves sont de plus en plus manifestes, et elles sont fondées sur des éléments scientifiques indiscutables. Pour l'essentiel, la communauté scientifique ne conteste pas les éléments qu'il a mentionnés dans son exposé. Ce sont les derniers 2 à 5 p. 100 qui sont contestés.
Il y a plusieurs façons d'envisager la question des changements climatiques. C'est un peu comme si on jouait à colin-maillard et qu'on se demandait: «Est-ce un arbre? Est-ce un éléphant? Qu'est-ce que c'est?» parce que nous n'étudions le phénomène que sur une courte période. Nous nous fions à des données indirectes ainsi qu'à des données provenant d'analyses historiques à l'appui des hypothèses relatives aux changements climatiques et des mesures et des prévisions que nous proposons.
• 1005
Pour ce qui est des données dont nous disposons, je suis
fermement convaincu qu'il nous faut aussi tenir compte de la façon
dont le système réagit aux changements qui surviennent. Ainsi, des
recherches récentes révèlent qu'on constate, en Amérique du Nord en
particulier, une augmentation de l'humidité atmosphérique qui cadre
avec les prévisions découlant des changements climatiques que les
modèles permettent de prévoir. On constate donc que les
précipitations sont plus élevées en raison des changements
climatiques.
Cela cadre tout à fait avec nos hypothèses. L'air se réchauffe et contient plus d'eau; en raison des différences dans les transferts de chaleur latents et réels, les tempêtes sont plus intenses. Les modèles sur lesquels nous nous fondons prévoient que la haute atmosphère, soit la stratosphère, se refroidira en raison des changements climatiques. Voilà donc le genre de phénomène que nous pouvons constater.
Nous pouvons aussi nous reporter aux données provenant des satellites et aux questions qu'elles soulèvent de même qu'aux réactions des écosystèmes naturels. Si l'on étudie ces données sur une très courte période, on constate au Canada l'apparition trois semaines plus tôt du feuillage dans les écosystèmes du Nord. Nous ne savons pas trop à quoi il faut attribuer ce phénomène, mais il y a bien quelque chose qui l'explique.
On observe aussi que les crues nivales se déversent beaucoup plus tôt qu'auparavant dans plusieurs rivières de la côte Ouest. Ce phénomène cadre tout à fait avec un printemps plus chaud et une fonte des neiges plus importante. Toutes ces données sont récentes.
Nous nous efforçons d'analyser ces prévisions et ces données sur les changements climatiques pour comprendre ce qu'elles signifient pour tous les Canadiens et pour le Canada en tant que pays.
Nos recherches ne nous permettront pas de trouver la réponse à cette question du jour au lendemain, mais nous espérons faire participer plus de gens, plus de chercheurs et plus de Canadiens à ces recherches.
[Français]
Le président: Allez-y, monsieur Charbonneau. Très brièvement, s'il vous plaît.
M. Yvon Charbonneau: Je crois que les réponses de notre expert invité nous amènent à regarder en avant et nous suggèrent d'encourager et d'appuyer d'une manière concrète les activités de recherche et les activités reliées à la sensibilisation du grand public canadien et de différents secteurs. Nous devons appuyer une recherche sérieuse, une recherche qui repose sur une démarche très serrée, mais qui comporte aussi un volet de communication. C'est là-dessus que je voudrais insister, si vous me le permettez, en 15 secondes.
Souvent, il se fait de la recherche dans des milieux institutionnels, spécialisés, scientifiques ou encore au niveau de nos ministères. Mais comme les gouvernements, avec ou sans le concours des oppositions, sont appelés à agir et à prendre des décisions économiques et budgétaires dans l'immédiat, on a besoin d'établir un dialogue constant entre les milieux de la recherche et le public. Sinon, on ne se comprend plus et chacun interprète les choses à sa façon. Il faut un flux constant d'interaction.
Je trouve que nous avons beaucoup à faire de ce côté-là si nous voulons en arriver à adopter des politiques qui seront appuyées, comprises et mises en oeuvre, non seulement par les ministères, mais aussi par les secteurs concernés, que ce soit le secteur de l'industrie ou les groupes d'action volontaire.
Donc, nous avons intérêt à appuyer ce travail qui est en cours. Merci.
Le président: Merci, monsieur Charbonneau. Il nous faut aussi un dialogue avec le ministre des Finances pour trouver l'argent nécessaire, n'est-ce pas?
M. Yvon Charbonneau: Probablement, parce que le ministre des Finances a des décisions à prendre dans l'immédiat. Il ne peut attendre trois ans les conclusions de ces messieurs. Il faut qu'il prenne des décisions à chaque année. Il faut trouver un appui dans la population, qui soit basé sur la compréhension.
Le président: C'est un discours pour le caucus du Parti libéral, monsieur Charbonneau.
M. Yvon Charbonneau: Pour tout le monde, parce qu'ici il y a des partis...
[Traduction]
Le président: Monsieur Street, j'aimerais vous poser une question au sujet du très intéressant exposé que vous avez fait ce matin. Il a été fort utile et extrêmement instructif.
En raison de votre mandat, vous devez évidemment éviter d'avancer des dates en ce qui concerne la stabilisation des émissions et les normes qui seront proposées à cet égard comme ont dû le faire vos collègues qui ont rédigé le deuxième rapport national sur les changements climatiques. Ils n'ont pas voulu donner beaucoup de précisions au sujet des échéances en matière de stabilisation ainsi que des mesures qu'il faudrait prendre pour atteindre nos objectifs à cet égard.
• 1010
La question que je veux donc vous poser et à laquelle vous ne
serez peut-être pas en mesure de répondre est celle-ci: que
faudrait-il faire pour stabiliser les niveaux d'émission d'ici
2005? Que faudrait-il faire pour les stabiliser d'ici 2006? Que
faudrait-il faire pour les stabiliser d'ici 2007?
On pourrait évidemment recourir à tout un arsenal de mesures allant de l'économie d'énergie à l'amélioration de l'efficacité énergétique en passant par la conversion au gaz naturel. Chacune de ces mesures a une incidence sur l'objectif de stabilisation.
J'aimerais donc savoir—et je comprendrais tout à fait si vous ne pouvez pas répondre à ma question—, quelles sont les mesures qu'il faudrait prendre pour stabiliser les niveaux d'émissions d'ici 2005?
M. Roger Street: Vous avez raison de faire remarquer que je ne pourrai peut-être pas répondre à cette question. Je travaille dans ce domaine depuis 1979 et mon principal objectif a toujours été de comprendre les conséquences des changements climatiques et la façon dont les écosystèmes s'y adaptent. Voilà les deux questions dont je vous ai entretenus.
Comme je l'ai dit, j'estime que notre pays doit prévoir des mesures d'adaptation au nombre de celles qu'il compte prendre pour faire face à la situation. Comme je l'ai dit cependant en réponse à la question d'un autre membre du comité, nous ne sommes pas prêts à accepter certaines mesures d'adaptation pour nos enfants et nos petits-enfants. Par conséquent, je pense qu'il faut chercher à atténuer les conséquences des changements climatiques.
Je regrette donc de ne pas pouvoir vous fournir ces chiffres, mais ce n'est pas mon domaine de compétence.
Le président: Nous n'avons pas encore trouvé de témoin prêt à répondre à cette question. Vous comprendrez que nous tentions toujours notre chance.
Je vous remercie, monsieur Street. Si votre emploi du temps vous le permet, vous pouvez demeurer parmi nous.
M. Roger Street: Je vous remercie beaucoup.
Le président: J'invite maintenant M. Clarke de l'Institut Bedford à nous faire un bref exposé pour que nous ayons le temps de lui poser des questions. Nous avons jusqu'à 11 heures.
Bienvenue, monsieur Clarke. Nous sommes très heureux de vous voir. Veuillez commencer.
M. Allyn Clarke (directeur intérimaire, Division des sciences océaniques, Institut océanographique Bedford): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis très heureux d'avoir été invité par le comité à titre d'océanographe qui participe au programme mondial de recherche sur le climat.
J'insisterai dans mon exposé sur le rôle de l'océan dans le système climatique, et en particulier son rôle en ce qui touche les variations climatiques. Je ne suis pas sûr qu'on vous ait distribué mon curriculum vitae, mais à sa lecture vous verrez que je suis fermement intégré au milieu des recherches sur le climat. Ce n'est cependant que ces dernières années que les recherches océanographiques ont été intégrées aux recherches climatiques. Comme je suis l'un de ceux qui ont oeuvré en vue d'obtenir que les océanographes participent aux recherches sur les changements climatiques, je crois que les météorologues diront que j'ai d'assez grandes réserves au sujet des modèles météorologiques, et en particulier de ceux qui ont trait aux océans.
Je vous ai distribué des documents issus de l'expérience sur la circulation océanique mondiale que j'ai dirigée. Dans la brochure portant sur le programme canadien, on trouve un aperçu du rôle des océans dans le système climatique.
En tant que climatologue et océanographe, je suis fermement convaincu que le système climatique s'adaptera de façon très visible aux changements atmosphériques découlant de l'activité humaine.
• 1015
Je suis sceptique quant au caractère prévisionnel des modèles
climatiques actuels. Je crois que tous les scientifiques vous ont
dit que ces modèles étaient particulièrement bons. Il s'agit de
scénarios, de façons d'étudier scientifiquement un phénomène, mais
on ne peut pas dire qu'il s'agisse de véritables prévisions.
Lorsque je discute de ces questions avec mes collègues, je leur explique que chaque nouvel indicateur climatique qui peut sembler étrange ne s'écarte pas de l'éventail des variations naturelles possibles. Quand je regarde les processus fondamentaux dans le système climatique et du fait que l'ampleur des changements dans le forçage radiatif du climat en raison de l'augmentation des gaz à effet de serre se rapproche de l'ampleur des changements survenus entre la période glaciaire et la période interglaciaire, quand on tient compte de la vitesse à laquelle ces changements sont survenus dans les données géologiques tirées du coeur des glaces et du coeur sédimentaire des océans et quand je regarde aussi toutes les anomalies qui semblent avoir apparues au cours d'une ou deux décennies, je suis convaincu que les changements climatiques sont vraiment dans le domaine du possible dans un avenir rapproché.
J'ai participé à la plénière du groupe de travail numéro un du GIEC en 1990 et j'ai appuyé sans réserve la déclaration des décideurs publiée à ce moment. J'étais en mer durant les plénières des réunions de 1995, mais j'aurais aussi appuyé sans réserve cette déclaration des décideurs là aussi. Si je conteste une bonne part des détails sur lesquels s'entendent tant de scientifiques qui sont mes collègues, je suis cependant d'accord avec leurs conclusions générales.
Comment fonctionne le système climatique? Il permet à la terre d'irradier vers l'espace la totalité de l'énergie qu'elle reçoit du soleil. Il le fait de diverses façons. Par ajustement du profil de température dans l'atmosphère, de sorte qu'il fait plus chaud proche de la surface de la terre et plus froid dans la haute atmosphère. En déplaçant la chaleur des tropiques vers les latitudes moyennes de sorte que, ici au Canada, nous pouvons vivre et subsister.
Le déplacement de chaleur opéré par le système climatique se fait aussi bien dans l'atmosphère que dans les océans. À environ 30 degrés de latitude nord et sud, l'océan transporte autant de chaleur vers les pôles que l'atmosphère. Il importe de le souligner puisque, jusqu'à l'évaluation de 1990, pratiquement toutes les prédictions climatiques étaient fondées sur des modèles exclusivement atmosphériques et ne tenaient donc pas compte de la moitié du transfert de chaleur vers les pôles.
L'océan assure ce transfert de deux façons principales. Premièrement, la chaleur s'y déplace de façon circulaire, par effet éolien. Ce qu'on apprend à l'école au sujet du Gulf Stream est vrai. Le même genre de système est présent dans tous les bassins océaniques.
L'océan transporte également de grandes quantités de chaleur par circulation thermohaline. À mesure que l'eau refroidit, elle devient plus lourde. La salinité de l'eau la rend également plus lourde. L'Atlantique Nord est l'océan le plus salé au monde. Dans les hautes latitudes de l'Atlantique Nord, de la mer du Labrador et des mers nordiques, soit celles qui sont au nord de l'Islande, l'eau se refroidit l'hiver, elle est relativement salée et, en s'enfonçant, elle forme les eaux de fond des océans. Cette eau s'écoule dans l'Atlantique vers l'océan austral, où elle est à nouveau modifiée. Elle pénètre par la suite dans les autres bassins océaniques. Ce processus s'étend sur plusieurs siècles.
Le président: Avant d'aller plus loin, pouvez-vous nous dire ce que signifie le mot «adsorbe» dans votre texte? Est-ce le contraire de l'absorption? Vous l'avez utilisé deux fois, soit dans la deuxième ligne et dans la sixième ligne de votre dernier paragraphe à la page 1.
M. Allyn Clarke: J'ai rédigé ces notes hier soir et je crois que c'est tout simplement une erreur d'épellation, monsieur le président.
Le président: D'accord. Merci. Voilà qui est très utile.
M. Allyn Clarke: Je me sers de ces notes comme points de repère, sans m'y tenir nécessairement, comme vous avez pu le constater.
Le président: C'est très bien. Avec les scientifiques, on ne sait jamais.
M. Allyn Clarke: Avec les systèmes de traitement de texte, on ne sait jamais non plus.
Il y a donc un phénomène de circulation thermohaline à grande échelle attribuable à l'heure actuelle à ce qu'on appelle la déconvection dans l'Atlantique Nord.
Vers la fin des années 80, l'un de mes scientifiques à l'Université McGill a pris un congé d'études au cours duquel il a collaboré avec un jeune scientifique suisse à l'élaboration de modèles océaniques à deux dimensions très simplifiés qui avaient l'avantage de permettre d'obtenir très rapidement des résultats au sujet de simulations très longues.
Les deux chercheurs ont donc adapté les modèles de manière à les faire ressembler au phénomène de brassage convectif que l'on connaît à l'heure actuelle et qui, à l'échelle planétaire, entraîne le déplacement de 16 millions de mètres cubes d'eau par seconde. Cela équivaut à 100 fois le Saint-Laurent. Ils ont par la suite ajouté l'équivalent d'un Saint-Laurent d'eau douce de plus à l'Atlantique Nord du modèle, après quoi ils ont fait cesser complètement la circulation. Cet aspect est important puisque, d'après les indices géologiques dont nous disposons, le passage d'une période glaciaire à une période interglaciaire est accompagné d'un arrêt de la convection dans l'Atlantique Nord et d'une amorce du phénomène de convection dans l'océan austral.
Depuis lors, nous avons mis à l'essai des modèles océaniques plus raffinés et nous commençons donc à comprendre certains des nombreux points d'équilibre de la composante océanique du système climatique.
À peu près à la même époque, les experts en modélisation du climat tentaient de combiner certains modèles océaniques à des modèles atmosphériques. L'une des difficultés, même sans modification du climat actuel, tenait au fait que les modèles passaient constamment d'un état à un autre. Les experts en modélisation ont fini par apprendre à stabiliser leurs modèles océano-atmosphériques.
Vous devez savoir qu'il existe à l'heure actuelle deux catégories de modèles. Il y a, d'une part, les modèles sur lesquels s'appuient le GIEC et mes collègues pour prédire que, dans 50 ans, la température de la planète aura augmenté de 1,5 à 4,5 degrés dans l'ensemble. Il s'agit là de projections qu'on pourrait qualifier de conservatrices.
Puis il y a les autres... dans le rapport du Groupe intergouvernemental, on parle de «surprises climatiques». Il s'agit de cas où le système, du fait qu'il est non linéaire, modifie son état d'équilibre. D'après les indices géologiques dont nous disposons, ce genre de transformation peut se produire fort rapidement, en moins d'un siècle.
Les océans sont également la source de variations climatiques. Le phénomène El Nino, dont on parle beaucoup à l'heure actuelle, est attribuable à des changements de température de la surface de l'océan dans la région tropicale du Pacifique. On peut penser également à ce qu'on appelle l'oscillation nord-atlantique, qui consiste à un renforcement de la dépression islandaise. Il s'agit du deuxième signal en importance de la variation climatique à l'échelle de la planète.
• 1025
Je croyais qu'il serait trop compliqué d'utiliser le
projecteur, mais je vais tout de même vous montrer un acétate. Il
illustre une autre façon d'interpréter les phénomènes de
température actuels. L'analyse est celle de Hurrel et Trenberth, du
NCAR aux États-Unis.
À partir des données des températures atmosphériques d'hiver pour l'hémisphère nord entre 20 degrés de latitude nord et le pôle, ces chercheurs ont tenté de déterminer quelle part de l'anomalie de température pouvait être attribuée à l'oscillation nord-atlantique et à l'oscillation australe, soit les deux courbes du haut du graphique, la rouge et la bleue qui représentent l'anomalie de chaleur et l'anomalie de froid. La courbe suivante vers le bas représente la somme des deux apports.
La cinquième courbe illustre les données brutes. Il s'agit du signal d'anomalie des changements de température, soit l'augmentation d'un demi-degré au cours de la période. Cependant, lorsqu'on sépare les apports de ces deux signaux connus de variabilité climatique, on obtient un résultat qui ressemble davantage à une perturbation aléatoire.
Mais cela veut-il dire que le signal climatique observé actuellement est une perturbation aléatoire? C'est peut-être le cas, mais il y a lieu de se demander s'il est significatif que, au cours de la dernière décennie, les indicateurs de l'oscillation nord-atlantique et de l'oscillation australe aient convergé vers le même mode durant une si longue période.
J'estime que ces modes de variabilité sont les modes naturels d'un système climatique, de sorte qu'il serait probablement naïf de supposer que la réaction du climat à l'évolution de la composition de l'atmosphère ne correspondrait pas à ces modes naturels. Ainsi, bien qu'on puisse supposer que le signal ne correspond qu'à une variabilité naturelle à laquelle s'ajoute une perturbation aléatoire, il faut tout de même se demander si le système climatique est vraiment en train de changer. En effet, avons-nous, par le passé, vu converger les deux signaux durant une aussi longue période?
Je suis à l'heure actuelle président du groupe d'orientation d'un nouveau programme portant sur la variabilité et la prévisibilité du climat. Nous amorçons notre programme de mise en oeuvre. Nous disposons de documents de divers pays et il se peut que, au cours des prochaines années, nous puissions bénéficier d'un programme canadien qui donnerait accès à la documentation canadienne. Le programme vise à étudier plus particulièrement la variabilité et la prévisibilité des signaux de variabilité climatique, mais il vise également à améliorer les modèles climatiques et le processus de détermination de l'évolution climatique.
Le Programme mondial de recherche sur le climat a intégré ces aspects en un seul programme, puisqu'il s'agit d'un seul et même problème. Il faut comprendre la variabilité du climat pour comprendre les signaux climatiques et pour être en mesure de faire évoluer la modélisation.
Merci de votre attention.
Le président: Merci. Votre exposé a été fort intéressant, monsieur Clarke.
Nous avons suffisamment de temps pour que chacun pose au moins une question. Monsieur Casson, voudriez-vous commencer? Ensuite, nous passerons à M. Knutson, suivi de Mme Carroll.
M. Rick Casson: Merci beaucoup. Votre exposé m'a beaucoup intéressé.
Sur l'acétate, j'ai remarqué qu'une qu'il y a une baisse en 1994, aussi bien pour l'Atlantique Nord que pour l'océan austral. Avez-vous des données jusqu'en 1997?
M. Allyn Clarke: Oui, et puisque, bien entendu, l'indicateur austral correspond à l'ENSO le plus prononcé, la courbe est redevenue rouge alors que celle de l'oscillation nord-atlantique est demeurée bleue.
M. Rick Casson: Au moment de la baisse des années 60 et 70, quelles étaient les prévisions? C'était plus froid partout. A-t-on supposé à l'époque qu'il y avait un refroidissement du climat?
M. Allyn Clarke: Durant les années 60 et 70, l'Atlantique Nord était chaud et salin, mais on s'inquiétait beaucoup à l'époque de la perspective d'une glaciation. Ma carrière en était à ses débuts et je m'efforçais d'obtenir mon doctorat. Je ne réfléchissais pas à des questions d'une telle envergure. Je me souviens qu'il était question de fermer le détroit de Béring et de l'imminence d'une nouvelle époque glaciaire. Je crois donc que les gens s'inquiétaient d'un refroidissement à l'époque.
M. Rick Casson: Savez-vous, en rétrospective, quelle était la cause du phénomène? A-t-on trouvé une solution?
M. Allyn Clarke: Non. Pour ce qui est de l'oscillation australe, l'ENSO, nos modèles sont plutôt bons et la théorie explicative est fort valable également. Par contre, pour ce qui est de l'oscillation nord-atlantique, le deuxième signal de variabilité climatique en importance, nous continuons d'en examiner la cause. S'agit-il d'un mode océanique ou de la combinaison de divers modes océaniques ou bien s'agirait-il plutôt d'une sorte de mémoire atmosphérique, ce qui semble assez difficile à comprendre.
M. Rick Casson: L'effet El Nino que nous connaissons à l'heure actuelle semble être parmi les plus chauds ou les plus considérables de l'histoire récente. A-t-on déjà constaté par le passé une température si élevée?
M. Allyn Clarke: On n'a jamais constaté une température si élevée si tôt dans la saison. À titre de président du CLIVAR, je dois défendre la recherche qui porte sur les prévisions relatives à l'ENSO, de sorte que je dois faire preuve de prudence dans l'intérêt de mes collègues. On parle de record, mais c'est surtout parce que la hausse de température a eu lieu très tôt dans l'année. L'augmentation a été aussi rapide pour bien d'autres ENSO, mais elle a eu lieu beaucoup plus tard dans la saison. On parle ainsi d'un record pour juillet, et pour juin, de sorte qu'on peut parler d'un ENSO sans précédent.
Je demeure quelque peu sceptique à cet égard, et il se peut bien qu'il y ait un plafonnement. Il s'agit d'un indicateur ENSO de forte intensité mais nous ne savons pas encore si l'événement, dans son ensemble, fracassera les records.
M. Rick Casson: Merci, monsieur le président.
Le président: M. Knutson, suivi de Mme Carroll.
M. Gar Knutson (Elgin—Middlesex—London, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Connaissez-vous le Dr Pocklington?
M. Allyn Clarke: Oui.
M. Gar Knutson: Il est diplômé de l'Institut Bedford.
M. Allyn Clarke: J'ai déjà été coordonnateur du programme climatique de l'Institut Bedford et j'ai donc travaillé avec Roger.
M. Gar Knutson: Il y a quelques jours il nous a notamment déclaré dans son témoignage que le refroidissement au large de la côte de Terre-Neuve entre Terre-Neuve et le Groenland qui a détruit la moitié des stocks de morue—l'autre moitié ayant été détruite par la superpêche—n'avait pas été prévu dans les modèles au départ. Lorsqu'il est nettement ressorti des données que le refroidissement avait eu lieu, les modélisateurs auraient plus ou moins manipulé leur modèle pour en tenir compte. C'est alors qu'ils ont fourni comme explication que les calottes polaires fondaient et que cette partie de l'océan recevait ainsi une plus grave quantité d'eau froide. Il a laissé entendre que cette explication visait plus ou moins à adapter leur modèle et à le faire aboutir à une conclusion préétablie.
M. Allyn Clarke: La plupart des océanographes et des experts de l'Atlantique Nord disent que la période de froid actuelle est attribuable à l'oscillation nord-atlantique. Cette phase de l'oscillation nord-atlantique est illustrée par ce sommet rouge, mais cela vise tout l'hémisphère nord. Dans le secteur de l'Atlantique Nord, on peut voir une forte poussée de froid. Par conséquent, toute cette période en rouge est en fait une période froide.
M. Gar Knutson: Vous dites donc que c'est plus chaud...
M. Allyn Clarke: Roger a raison. Nous n'avons pas de modèles climatiques couplés qui prédisent adéquatement une oscillation nord-atlantique. Voilà pourquoi c'est une question de recherche. Il ne s'agit pas de savoir si je peux prédire une oscillation nord-atlantique. À ce stade-ci, même les meilleurs modèles climatiques couplés océan-atmosphère ne font pas état d'une oscillation nord-atlantique acceptable.
M. Gar Knutson: J'ai une question plus précise: savons-nous si l'eau s'est refroidie par suite du réchauffement de la planète, de la fonte des glaces polaires?
M. Allyn Clarke: Non. Nous savons que l'eau s'est refroidie. Nous savons également que les eaux profondes sont froides à cause du renforcement de la dépression islandaise. Nous savons que c'est cela qui s'est produit.
Nous avons aussi noté une dessalure de l'eau et il y a tout un débat sur la cause de ce phénomène. Nous nous demandons s'il est attribuable à un flot accru de glace de mer en provenance de l'océan Arctique ou à une augmentation des tempêtes qui amènent l'humidité liée à la circulation subtropicale dans cette région.
Il y a tout un débat autour de cela. C'est un peu la même chose pour votre question. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une preuve incontestable d'un changement climatique mondial, mais c'est une possibilité intrigante. Et cela, en raison du caractère durable du phénomène. On ne parle pas d'une courte période, mais d'une longue période soutenue.
M. Gar Knutson: Vous avez aussi laissé entendre qu'en soi, le gaz carbonique jouait un rôle relativement mineur, en comparaison de la vapeur d'eau et des gaz à effet de serre. Vous avez plus ou moins donné l'impression qu'étant donné son influence mineure sur les conditions climatiques globales, la perspective de voir doubler la quantité de gaz carbonique n'aurait peut-être aucun effet ou encore, un effet négligeable.
M. Allyn Clarke: Vous allez bien au-delà de mon expertise sur l'équilibre radiatif. Il est vrai que la vapeur d'eau est le plus important des gaz à effet de serre naturels. Lorsque j'entends les experts en radiation discuter autour des tables rondes du programme mondial de recherche sur le climat, je suis convaincu que ce qui est présenté dans le rapport actuel, et qui précise le forçage radiatif du climat à la suite de chacune de ces augmentations de gaz, est un reflet exact de la réalité.
M. Gar Knutson: Vous ne pensez donc pas que l'on essaie de manipuler de mauvaise foi les données. Vous avez dit qu'en 1989, Environnement Canada avait déclaré que le changement climatique était la politique du gouvernement et que la science devait s'aligner sur cette vision de l'univers. Vous n'avez donc pas le sentiment que l'analyse et la recherche légitime sont subordonnées à la volonté politique?
M. Allyn Clarke: Non. La plupart des modèles sont créés par des scientifiques qui oeuvrent au sein d'un large groupe. Il ne s'agit pas de scientifiques qui travaillent seuls. Ces scientifiques sont mus par le désir de créer le meilleur modèle possible et, pour ce faire, ils doivent incorporer mieux que quiconque les divers processus physiques dans leurs propres modèles.
Pour qu'un modèle soit publié dans la littérature spécialisée, il faut qu'il soit meilleur qu'un autre. La modélisation a été dictée par le désir assez impur d'être plus futé que le camp adverse.
Connaissant George Boer et Norman McFarlane, les artisans du modèle canadien, ils jouent selon les mêmes règles du jeu que les autres. Je pense qu'ils ignoreraient les directives que voudrait leur donner le Service de l'environnement atmosphérique. Leurs pairs sont des scientifiques internationaux, avec lesquels ils sont en concurrence.
M. Gar Knutson: Ce ne sont pas des manipulateurs.
M. Allyn Clarke: Les modélisateurs sont des manipulateurs. La crédibilité de votre modèle dépend de l'exactitude avec laquelle il simule ce que vous savez au sujet du système. Lorsque vous construisez un modèle, vous manipulez des modèles pour simuler le système.
• 1040
La manipulation fait partie de l'art, mais vous essayez de
manipuler le modèle pour expliquer différentes... Les processus
physiques sont un élément différent du système. Par conséquent,
j'utilise le terme «manipuler» dans ce que je considère être son
bon sens. Les modélisateurs n'essaient pas d'obtenir tel ou tel
résultat, mais avant de commencer un modèle, ils essaient de
simuler les conditions actuelles.
M. Gar Knutson: Merci.
Le président: Merci. C'est très intéressant.
Madame Carroll.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): J'écoute avec une telle attention que cela me fait presque mal.
M. Knutson vous a interrogé précisément dans le sens où je l'aurais fait moi-même. Vous venez de dire que les modélisateurs sont des manipulateurs, et que cette manipulation n'est pas nécessairement, comme les profanes que nous sommes auraient pu le croire, une tentative pour altérer le modèle pour qu'il soit conforme aux données, mais plutôt un effort pour permettre aux données d'évoluer vers leur conclusion naturelle.
Si j'ai bien compris, cette manipulation est positive car vous pouvez ainsi vérifier une hypothèse. Vous êtes presque tenu de préciser une piste de réponse. Vous savez ce que d'autres ont fait jusque-là, mais vous pensez qu'ils ont opté pour une piste quelque peu différente, ou encore plus vaste, de sorte qu'il vous faut modifier le modèle pour arriver à vos propres conclusions.
Cela est très complexe. Étant donné que nous sommes des profanes dans cette discipline qui est la vôtre, nous devons évaluer très soigneusement ce que vous nous dites.
Comme mon autre collègue l'a signalé, il y a aussi l'important volet communications car les manchettes prennent souvent une tournure qui fait vendre les journaux. Et parfois, les hommes politiques et les fonctionnaires emboîtent le pas aux journalistes.
J'écoute du mieux que je peux et je constate qu'on fait preuve de beaucoup de prudence... Tout à l'heure M. Street s'est refusé à répondre à une question non pas parce qu'il était intimidé par une politique quelconque ou par le statu quo, mais parce que l'état des travaux de son ministère et de ses propres recherches ne lui permettait pas d'aller plus loin sur une base scientifique. Compte tenu des données de recherche, il ne pouvait en dire plus. Je comprends que vous livrez le même message.
Cela étant dit nous attendrons de vous des conseils. Pour nous, qui sommes membres du comité, et pour vous, en tant que représentant de la communauté scientifique, le fardeau est lourd.
J'ai le bonheur de passer l'été dans un chalet situé sur une île de la baie Georgienne. Cet été, le grand sujet de conversation des résidants a été le niveau de l'eau, qui n'avait jamais été aussi élevé. Qu'entend-on par «jamais»? Pour moi c'est 10 ans. Lorsque j'en ai parlé à un voisin qui a un chalet là-bas depuis 50 ans, il a souri d'un air entendu. Il avait des graphiques qui montraient que c'était un phénomène cyclique.
Je suppose que c'est mon microcosme à moi. Dans mes discussions avec vous, c'est du macrocosme dont il est question. Vous parlez constamment de «relevés». Si l'on considère la durée de vie du globe, de cette planète que nous étudions, sur quoi avons-nous des relevés? Ai-je raison de dire que nous conservons des relevés—si j'ai bien compris ce qu'ont dit M. Pocklington et d'autres—depuis 200 ans environ? Avons-nous des relevés pour cette période?
Je n'ai pas vraiment de questions à vous poser, si ce n'est que lorsque je lis le rapport du GIEC et que je vous entends dire que vous appuyez sa conclusion... elle a été reprise dans une manchette farfelue «Chrétien's Wacky Weather». Voilà exactement le problème de communication auquel nous faisons face.
En fait, il n'y a aucune preuve qu'au cours du XXe siècle, la planète ait connu des événements climatiques extrêmes ou une variabilité climatique accrue. A-t-on des relevés pour le XXe siècle, ou pour une période plus longue?
M. Allyn Clarke: Ce serait surtout pour le XXe siècle. Le plus vieux relevé instrumental remonte au IXXe siècle. Il y a des carnets de bord de navires qui remontent à la deuxième moitié du IXXe siècle et qui constituent un relevé scientifique précis. À l'échelle planétaire, il n'y a aucune preuve que les choses ont changé systématiquement depuis la période des relevés instrumentaux, notamment pour ce qui des tempêtes et des autres critères pertinents. Localement, il y a eu des changements sur des périodes plus courtes, soit le genre de changements que vous avez remarqués—le niveau d'un lac augmente ou baisse. Des organismes scientifiques en prennent note également.
• 1045
Pour ce qui est de la grande question de la variabilité
climatique, nous pouvons remonter encore plus loin dans les relevés
grâce à la paléoécologie. Nous pouvons nous servir des cercles des
arbres, des cycles annuels sur les coraux ainsi que du coeur des
glaces. Cela nous permet de remonter jusqu'à environ 1 000 ou 2 000
ans, sur une base annuelle. Mais ces relevés ne disent rien au
sujet des tempêtes. Ils vous diront si l'été a été mouillé ou sec
ou l'hiver froid, selon l'indicateur utilisé.
[Français]
Le président: Monsieur Charbonneau, s'il vous plaît.
M. Yvon Charbonneau: J'aimerais remercier notre invité de nous apporter un éclairage complémentaire en nous soulignant l'importance absolument indiscutable de prendre le temps de voir les données, non seulement à partir des mesures que l'on peut faire à la surface de la terre, mais également en prenant en considération les phénomènes qui se passent dans les grands océans.
Nous devons survoler en très peu de temps des données ou des indications que vous avez pris des années à accumuler. Nous recevons un document et nous devons essayer de poser certaines questions. Je vois ici, dans le document que vous nous apportez, à la page 2:
[Traduction]
[Français]
Donc, vous ne nous cachez pas la réalité, le stade où vous en êtes, comme celui qui vous a précédé. Il a dit: Nous en sommes à un stade préliminaire, un stade où nous commençons à mettre en place des programmes qui nous permettront, avec le temps, de faire les liens qui s'imposent entre ce qu'il y a sur la terre, ce qu'il y a dans l'atmosphère et ce qui se passe dans les grands océans.
Comme on sait que les océans recouvrent une surface beaucoup plus grande de la planète que les continents et qu'il faut prendre le tout en profondeur également et regarder les grands éléments de circulation, vous nous dites, au fond, qu'il faut regarder bien davantage ce qui se passe dans les océans afin de comprendre tout cela.
Vous ajoutez aussi:
[Traduction]
«Les modélisateurs ont maintenant appris comment stabiliser leurs modèles.»
[Français]
Premièrement, j'aimerais que vous reveniez là-dessus pour nous commenter cette notion de stabilisation des modèles.
Deuxièmement, vous dites:
[Traduction]
«On considère aussi que l'océan est la principale source de variabilité climatique sur une période pouvant aller de plusieurs mois à des décennies». Cette «variabilité» implique-t-elle également une possibilité de stabilisation? Cela pourrait aller dans les deux sens. Ce pourrait être une démarche pour compenser ou atténuer d'autres facteurs. Quand on parle de variabilité, cela veut dire qu'il y a des hauts et des bas, mais au bout du compte quelle est la direction générale?
À la troisième page de votre mémoire, vous nous laissez avec plus de points d'interrogation que de réponses, notamment lorsque vous dites que cela évoque davantage une variabilité fortuite que le signal original d'une anomalie. Cela signifie-t-il que vous vous posez une question et que vous répondez par une autre question? Cela signifie-t-il qu'il n'y a guère de signes de réchauffement de la planète? Peut-être... Pourrait-on croire que la réaction aux changements relatifs aux gaz à effet de serre se manifeste par ces mécanismes naturels?
• 1050
Je vous remercie des informations que vous nous donnez, mais
je prends aussi en compte les points d'interrogation que vous nous
laissez.
M. Allyn Clarke: Je suis un scientifique. Je suis au bas de l'échelle dans la structure de gestion du MPO, et j'ai l'intention d'y rester puisque je suis un scientifique, et non un gestionnaire.
M. Yvon Charbonneau: Qu'est-ce que le MPO?
Une voix: Le ministère des Pêches et des Océans.
M. Allyn Clarke: Lorsque j'ai assisté à la séance plénière de l'Évaluation scientifique du GIEC, c'est moi-même et d'autres collègues scientifiques qui avons insisté pour que la déclaration des décideurs précise l'incertitude, aussi bien que les moyens. En fait, ce sont trois diplômés de l'Université de la Colombie-Britannique qui ont insisté pour que l'on précise dans la déclaration qu'il existe des surprises climatiques. J'ai dit que j'étais d'accord avec la déclaration des décideurs politiques. Je reconnais que cela les met dans l'embarras puisqu'ils doivent prendre une décision fondée sur beaucoup d'incertitude.
Les scientifiques estiment qu'en l'occurrence, ils ne peuvent expliquer le signal actuel uniquement par la variabilité naturelle. Voilà la conclusion du GIEC. C'est un peu comme si nous voulions esquiver la question, mais en fait, une centaine de scientifiques ont examiné cette preuve et en sont arrivés à la conclusion qu'ils ne peuvent aller plus loin—ce qui est quand même assez loin.
Pour ce qui est de prouver un rapport, comme il a fallu le faire, dans le cas de la cigarette et de l'industrie du tabac, il faudra attendre plusieurs décennies, mais dans l'intervalle, les cas en question s'accumulent. D'après le rapport du GIEC, plus on attend, plus le problème s'aggrave. Et même si l'on commence à s'y attaquer dès maintenant, il faudra des décennies avant que le système ne se purge.
Je fais ressortir l'incertitude qui entoure ce dossier car je suis océanographe de métier, et parce que j'avais l'impression que vous vouliez que l'on vous parle de l'incertitude liée à la variabilité. Mais je pense qu'en dépit de tout cela, le message du GIEC est clair. La communauté scientifique estime qu'à long terme, si nous ne faisons rien—ou même si nous faisons quelque chose—le changement climatique deviendra de plus en plus évident. Nous n'en voyons qu'un aperçu dans nos données, mais nous en voyons la preuve plus concrète dans nos modèles.
Le président: Ce dernier échange est extrêmement intéressant. Cela me rappelle la conférence tenue en 1987 à Toronto. La communauté scientifique avait alors tenu un débat très vigoureux sur cette question. Cela me rappelle aussi la réunion de Bergen, où le principe de la précaution a été adopté par les scientifiques présents à cette conférence. Cela me rappelle aussi la conférence de Genève qui a eu lieu quelques années plus tard.
Autrement dit, monsieur Charbonneau, il subsiste toujours un doute, lequel est toutefois surmonté ou déclassé par l'adoption du principe de précaution. Cela veut dire qu'on n'attend pas d'apercevoir de la fumée avant d'agir. On intervient tout de suite pour empêcher l'incendie de se répandre. C'est à ce niveau que l'élément politique doit se brancher et décider quand il y a lieu d'intervenir. Il le fait quand il existe à son avis des éléments de preuve suffisants—non pas concluants, mais suffisants. Je pense que M. Clarke nous a aidés à comprendre cela.
Pour se retrouver dans cette infernale jungle de sigles de la bureaucratie scientifique—ce sera ma dernière question avant de lever la séance—vous avez mentionné le GIEC, qui veut dire Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Où se situe dans tout cela le PMRC, c'est-à-dire le Programme mondial de recherche sur le climat? Relève-t-il de ce groupe intergouvernemental?
M. Allyn Clarke: Non. Le PMRC est un programme parrainé par l'Organisation météorologique mondiale, la Commission océanographique intergouvernementale et le Conseil international des unions scientifiques.
Le GIEC relève de l'ONU et c'est un organisme d'évaluation. C'est le PMRC qui s'occupe des recherches. Le GIEC en évalue les résultats.
Le président: Et où se situe l'ECOM dans tout cela?
M. Allyn Clarke: L'ECOM est un programme du PMRC, tout comme ce nouveau programme qui s'appelle l'Étude de la variabilité du système couplé océan-atmosphère et de la prévision du climat.
Le président: C'est donc un programme du PMRC.
M. Allyn Clarke: C'est bien cela.
Le président: D'accord.
Je vois nos collègues qui arrivent pour la séance du comité suivant. Nous vous remercions énormément. Votre intervention a été des plus utiles, inspirantes et motivantes. Nous espérons avoir l'occasion de vous revoir, monsieur Clarke. Veuillez transmettre nos meilleurs voeux à vos collègues, en particulier à Elisabeth Mann-Borgese.
La séance est levée.