TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 2 mars 2000
Le président (l'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Le Comité de la justice et des droits de la personne poursuit l'audition de témoins qui comparaissent au sujet du projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada.
Nous accueillons aujourd'hui comme témoins l'Evangelical Fellowship of Canada, représenté par Mme Janet Epp Buckingham, et Focus on the Family, représenté par Jim Sclater, directeur des politiques publiques, et Derek Rogusky, recherchiste.
Comme vous le savez sans aucun doute, le format de la séance veut que chaque groupe dispose de dix minutes pour faire un exposé, lequel est suivi par un dialogue avec les députés présents. Nous commencerons donc par entendre l'Evangelical Fellowship of Canada pendant dix minutes. Merci.
Mme Janet Epp Buckingham (directrice intérimaire, Centre for Faith and Public Life; conseillère juridique, Evangelical Fellowship of Canada): À l'intention de ceux d'entre vous qui ne connaissent pas très bien l'Evangelical Fellowship of Canada, je me permettrais de rappeler qu'il s'agit d'une association nationale de Chrétiens évangéliques. Nos membres représentent 32 confessions, et notre association regroupe plus de 100 organismes religieux, un grand nombre d'églises et des adhérents individuels. On estime qu'il y a 3 millions de Chrétiens évangéliques au Canada. On me dit qu'une erreur s'est glissée dans notre mémoire, lequel indique qu'il y en a seulement trois. Je m'excuse de cette erreur; il faut lire 3 millions, dont 1,2 million sont, selon nos estimations, affiliés aux institutions membres de l'EFC.
J'aimerais en passant remercier le Comité de la justice de nous permettre de venir exprimer les préoccupations que nous inspire le projet de loi C-23.
Nous nous inquiétons en premier de l'empressement avec lequel on veut faire adopter le projet de loi. Même si nous nous félicitons que le comité ait décidé de porter de un à quatre le nombre de jours d'audience prévus, nous recommandons néanmoins que la période de consultation soit prolongée et que le public soit invité à y participer.
D'un autre côté, l'EFC se réjouit de ce que le projet de loi ne fait pas. Il ne prétend pas modifier la définition du «mariage» comme étant l'union d'un homme et d'une femme, et il ne cherche pas non plus à modifier la définition de «conjoint» qui s'applique aux époux mariés. Donc, sur le plan terminologique au moins, le mariage n'est pas visé par le projet de loi. L'EFC a toutefois plusieurs réserves au sujet de ce que fait le projet de loi.
Il y a des motifs historiques à l'octroi d'avantages aux conjoints. À l'origine, on voulait protéger les conjoints, en particulier les femmes qui étaient plus vulnérables et plus susceptibles d'être à la charge de leur mari parce qu'elles étaient souvent chargées d'élever les enfants et que leur capacité de gain est moindre. L'inégalité sur ce dernier plan continue d'exister aujourd'hui.
Deuxièmement, c'est la principale relation donnant lieu à la procréation et donc celle à laquelle est associé le fardeau d'élever les enfants et d'en prendre soin. Comme les conjoints qui vivent en union de fait sont assimilables à des gens mariés pour ces deux mêmes raisons, certains des avantages et des obligations qui échoient aux époux leur ont aussi été consentis.
• 0940
En droit provincial, les conditions pour avoir droit aux
avantages sont l'existence d'une relation conjugale, ajoutée à la
cohabitation pour une période de temps donnée—habituellement deux
ou trois ans—ou la présence d'un enfant issu de la relation. Ce
dernier critère était une sorte de passeport pour avoir accès aux
droits, obligations et avantages car il s'agissait exactement du
type de relation que visaient les avantages.
Une gamme particulière d'obligations et d'avantages a été accordée aux conjoints à cause du caractère distinctif de leur union en comparaison avec les autres formes de ménage. Dans l'arrêt Egan, le juge La Forest a écrit au nom de la majorité:
Ces avantages, par conséquent, ont été accordés, non pas en fonction de la dimension sexuelle de la relation, mais en fonction de l'interdépendance affective et financière des conjoints et de la probabilité qu'il y aurait procréation et que des enfants devraient être élevés.
En plus d'être malavisée, l'obligation de vivre dans une relation conjugale pour être reconnu comme conjoint de fait, stipulée dans le projet de loi C-23, constitue donc un critère inacceptable. Comme les rapports sexuels entre homosexuels ne sont aucunement procréateurs, il est injustifié que cette obligation serve de critère à l'octroi d'avantages. Le pire problème que pose la définition de «conjoint de fait», c'est qu'elle oblige le gouvernement à demander aux individus et aux couples de déclarer s'ils ont des rapports intimes. C'est de la grossière ingérence dans la vie privée.
Un argument assez fort veut qu'invoquer le critère du caractère conjugal d'une relation pour octroyer des avantages soit discriminatoire aux termes de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême du Canada a statué que l'état matrimonial et l'orientation sexuelle sont des motifs de discrimination analogues. En refusant d'appliquer la loi aux ménages tels que ceux formés par deux soeurs qui habitent ensemble, ou deux femmes non mariées ou deux hommes non mariés, qui vivent ensemble comme des partenaires domestiques mais qui entretiennent une relation platonique, le gouvernement fédéral fait de la discrimination flagrante fondée à la fois sur l'état matrimonial et sur l'orientation sexuelle.
Nous soutenons que toute relation non conjugale avec interdépendance financière mérite autant que les autres des structures juridiques qui répondent à ses besoins particuliers. Un couple comme celui, imaginaire, formé par Matthew et Marilla Cuthbert dans le roman Anne... La maison aux pignons verts serait privé des avantages prévus en vertu du projet de loi C-23, même s'il s'agit d'une homme et d'une femme qui habitent ensemble, ont adopté un enfant et sont par conséquent, pour Anne, des parents bien aimés. Ils seraient privés des avantages prévus par le projet de loi C-23, même si pour des étrangers, ils ressemblent probablement à une famille heureuse et si, au sein de leur collectivité, beaucoup pensent peut-être même qu'il s'agit d'un couple marié.
Nombre de ménages méritent d'avoir une protection, et j'en ai mentionné quelques-uns. Cela pourrait concerner aussi un parent âgé et un enfant adulte qui s'en occupe.
La majorité des Canadiens sont d'accord pour que les avantages ne soient plus liés au caractère conjugal d'une relation. D'après le sondage Angus Reid commandé par Justice Canada et réalisé le 23 juin 1999, 57 p. 100 des Canadiens approuveraient que le critère de la relation assimilable à une union conjugale pour l'octroi d'avantages et d'obligations soit abandonné au profit d'une définition fondée sur la nécessité et la dépendance financière. C'est ce que nous préconisons dans une telle situation.
Si le comité recommande que ce projet de loi soit adopté sans amendement pour inclure des partenaires domestiques qui n'ont pas de relations sexuelles, il accordera les avantages sur la base de l'activité sexuelle. Cela est manifestement discriminatoire et inapproprié. Dans la mesure où le projet de loi favorise les unions ménagères fondées sur des relations sexuelles intimes en dehors du mariage en leur reconnaissant la légitimité pour ce qui est des avantages offerts par le gouvernement, il affecte le mariage.
Le deuxième point que j'aimerais soulever porte sur le délai de cohabitation. Selon la définition donnée dans le projet de loi C-23, l'«union de fait» est une relation qui existe entre deux personnes qui vivent ensemble dans une relation conjugale depuis au moins un an. Si c'est l'indice d'un engagement dans une relation qu'on recherche, une seule année de cohabitation ne semble pas suffisante pour faire la preuve d'une relation et d'un engagement à long terme.
Je reconnais qu'à l'heure actuelle, certains des avantages accordés dans la catégorie des conjoints de fait se basent sur une période de cohabitation de 12 mois ou un an. Mais quand ces avantages sont maintenant étendus à une catégorie plus large de personnes, je pense qu'il est temps de s'interroger sur la durée de cette période de cohabitation.
• 0945
En outre, ce délai de cohabitation d'un an pourrait s'avérer
incompatible avec le droit provincial. Beaucoup de lois
provinciales exigent deux ou trois ans de cohabitation, et je pense
que l'on peut voir que là où il en est ainsi, on pourrait se
retrouver avec des droits conflictuels.
En outre, étant donné qu'aux termes de la Loi sur le divorce, le couple doit vivre séparé durant un an avant d'avoir le droit d'intenter une action en divorce, un délai d'une seule année laisserait à peine le temps de présenter une requête de divorce. Il est par conséquent possible que l'on se retrouve devant des problèmes de partage des biens sous le régime du droit de la famille provincial et qu'il y ait des conflits en vertu de la Loi sur le divorce, du fait qu'il pourrait y avoir un partenaire de fait ainsi qu'un conjoint toujours marié.
J'aimerais tout particulièrement attirer votre attention sur le paragraphe 44(3) qui porte sur le Régime de pensions du Canada, et où le partenaire de fait, quand il y en a un, a priorité pour les prestations de survivant; s'il y a un conjoint toujours marié et des problèmes en suspens relativement au partage des biens, cela pourrait entraîner des conflits.
L'EFC recommande que la période de cohabitation soit portée à trois ans.
Mon dernier point porte sur l'importance du mariage. J'ai passablement plus développé la question dans mon mémoire que je vais le faire de vive voix, mais j'aimerais quand même déclarer que l'enquête en cours de Statistique Canada, l'enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, qui suit 23 000 enfants ayant entre zéro et 11 ans constate qu'en 1993-1994, 20,4 p. 100 de toutes les naissances du Canada sont survenues dans le cadre d'unions libres; c'est deux fois plus que dix ans auparavant. L'étude précise que les enfants nés de parents mariés aux yeux de la loi sans avoir préalablement vécu ensemble en union libre sont environ trois fois moins susceptibles de connaître l'éclatement de leur cellule familiale. Cette étude fait clairement le lien entre les unions de fait et l'éclatement des familles, et elle indique que si les parents sont mariés, ils risquent moins de se séparer.
J'aimerais par conséquent recommander que le mariage soit considéré comme une catégorie particulière et qu'il soit privilégié de manière à ce que les parents au Canada soient encouragés à se marier. Si tous les droits, avantages et obligations du mariage sont étendus aux unions non maritales, tout porte à croire que les gens seront moins enclins à se marier.
Dans un sens, c'est un peu la même différence que dans le cas des fonds communs de placement dont les frais sont prélevés à l'achat et ceux dont les frais sont prélevés au rachat. L'union de fait nécessite que l'on paie son dû au départ—il faut vivre ensemble dans une union de fait pendant un an avant de pouvoir bénéficier des avantages—mais il n'y a pas de pénalité à la fin. Il suffit de franchir la porte pour sortir de la relation.
En revanche avec le mariage, il n'y a pas de période d'attente précise, autre que le délai pour obtenir un permis, mais il y a une période d'un an qui doit s'écouler avant que l'on puisse sortir de la relation, la période d'un an pendant laquelle les intéressés doivent vivre séparément. Il se pourrait qu'un grand nombre de couples optent pour la formule de paiement à l'entrée de manière à ce qu'ils puissent mettre fin éventuellement à la relation avec un minimum de problèmes, et que la législation que nous étudions encourage les gens à vivre dans le cadre d'unions libres, et aboutisse, comme l'indique clairement, très clairement Statistique Canada, à l'éclatement des familles.
Le problème que soulève l'éclatement des familles est que les enfants souffrent véritablement de la rupture de la relation entre les parents. Ils sont beaucoup plus susceptibles de rencontrer des problèmes sociaux, des problèmes émotifs et des problèmes scolaires. Nous vous encourageons donc, au nom des enfants canadiens, à favoriser le mariage.
En conclusion, l'Evangelical Fellowship of Canada se félicite que le projet de loi ne modifie pas les définitions du «mariage» et du «conjoint». Nos craintes et recommandations, toutefois, sont qu'il devrait y avoir une consultation publique plus large au sujet du projet de loi; que l'obligation de conjugalité est erronée, inappropriée et discriminatoire, et qu'elle devrait être remplacée par l'interdépendance économique et sociale; qu'une période d'un an pour satisfaire au critère de cohabitation est trop courte et devrait être prolongée; et que le mariage est la relation la plus solide pour fonder une famille et élever des enfants.
La loi devrait refléter cette réalité en accordant au mariage un statut, des avantages et des privilèges distinctifs. Je recommande que le mariage soit défini dans cette loi ou dans une autre loi comme étant une relation entre un homme et une femme de manière à ce qu'il soit clair, au plan législatif, que ce mariage n'est pas modifié ni menacé par ce projet de loi.
Le président: Je vous remercie.
Nous allons maintenant passer à Focus on the Family.
M. Jim Sclater (vice-président, Politique publique, Focus on the Family (Canada) Association): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
Je m'adresse à vous au nom de la Focus on the Family (Canada) Association. Nous sommes un organisme de bienfaisance fondé sur des principes chrétiens, qui appuie, encourage et renforce la famille canadienne. Nous offrons un éventail de programmes et de ressources aux parents, aux grands-parents et aux enfants.
Nous sommes préoccupés depuis une douzaine d'années, soit peu de temps après notre établissement dans ce pays, par l'érosion des institutions fondamentales de notre société.
J'ai déjà comparu devant ce comité à d'autres occasions et devant plusieurs autres comités, aussi bien de la Chambre des communes que du Sénat, et nous avons demandé aux députés de soutenir plutôt que de saper le mariage et la famille. Nous pensons que le mariage, et par conséquent, la famille sont menacés quand le gouvernement proclame de nouveaux arrangements qui changent le concept historique de ces unités les plus fondamentales de notre culture.
La Focus on the Family Association envoie régulièrement des documents à 160 000 ménages d'un bout à l'autre du pays. Nos programmes radiophoniques sont suivis par plusieurs centaines de milliers d'auditeurs par semaine, et ces programmes sont diffusés par plus de 100 stations d'un bout à l'autre du pays. Beaucoup de nos auditeurs nous ont fait part des craintes que leur inspire le projet de loi C-23.
Dans notre perspective, le projet de loi C-23 signale que le gouvernement en place n'a plus pour but de faire respecter et de mettre en valeur le mariage. Il informe le monde que le mariage n'est plus une priorité au Canada. Il prépare le terrain à la remise en cause de la discrimination qui existe encore. Beaucoup l'ont déjà fait remarquer. Le critère d'un an pour être admissible est une forme de discrimination. L'impossibilité de pouvoir être qualifié de «conjoint» ou de «marié» est une discrimination. Apparemment, l'impossibilité d'invoquer les lois sur le divorce est une discrimination, si l'on en croit le ministre de la Justice.
Nous pensons qu'il devrait y avoir de la discrimination dans notre société. Nous en faisons à l'égard de l'âge et des qualifications requis pour faire bien des choses dans notre pays. Mais il devrait y en avoir tout particulièrement en ce qui concerne le fondement et le tissu social de la société, c'est-à-dire le mariage.
Le projet de loi le fait: il conditionne les avantages à une situation «conjugale» terme mal défini, importun et inapproprié qui, à l'origine, a été dérivé de l'expression «mari et femme». Le projet de loi élargit par ailleurs la catégorie des unions de fait, une catégorie très problématique dans notre société. Derek Rogusky, notre recherchiste, est ici avec moi et pourrait vous faire part de quelques statistiques à cet égard si cela vous intéresse.
Ce projet de loi n'est pas la façon de créer la stabilité et l'environnement positif dont ont besoin les enfants. La Focus on the Family Association est énormément préoccupée par les enfants de notre pays, et nous pensons que ce projet de loi leur sera préjudiciable. La catégorie des couples qui vivent en union libre a elle-même créé des problèmes: par exemple, à l'âge de 10 ans, 63 p. 100 des enfants des couples en union libre ont fait l'expérience de l'éclatement de la cellule familiale. Le projet de loi n'a pas à coeur l'intérêt supérieur des enfants.
Il est motivé par un programme axé sur les droits qui va trop loin. Les gouvernements devraient s'efforcer d'inverser la tendance vers l'instabilité et l'éclatement des familles, plutôt que de l'accentuer en diluant l'importance du mariage légitime.
Il y a deux ans, lors de notre conférence sur la famille à Ottawa, la douzième du genre, un document intitulé Déclaration de la famille canadienne a été ébauché. Je vais vous en lire un bref extrait:
Je saute au point cinq de la déclaration:
J'ai rapidement noté quelques-unes des ramifications que je peux voir et que je vais évoquer maintenant.
Le projet de loi affaiblira le mariage. Cela ne fait aucun doute. Nous pensons qu'il entraînera une réduction du nombre des mariages, ce qui n'inverse pas la tendance, comme cela devrait être le cas. Il va semer la confusion dans l'esprit des jeunes au sujet de la sexualité et de la formation de la famille. On leur enseignera dans les établissements scolaires que cela représente ce qu'il faut croire quand on est tolérant au Canada. Nous pensons que cela va à l'encontre d'un très grand nombre de choses, la moindre n'étant pas la conscience et les convictions religieuses d'un grand nombre de nos concitoyens.
Je pense que l'on se rappellera cette brève période comme celle où l'on s'est éloigné des grandes causes sociales que sont la famille, la moralité et par-dessus tout le mariage. Cette période, selon moi, sera considérée comme une aberration, un moment où le tissu social a été détruit et mis en pièce, mais pas de façon irréversible, je pense.
• 0955
Nous demandons au gouvernement de considérer la situation dans
son ensemble et l'avenir que ses politiques imposent à la réalité
actuelle. Ce projet de loi ne modernise pas nos politiques et nos
lois. Il démantèle nos unités sociales fondamentales: le mariage et
la famille.
La logique du gouvernement, si l'on en croit le ministre de la Justice et d'autres, est que l'on ne fait que rattraper l'opinion publique canadienne en la matière. Nous ne pensons pas que cela est vrai. Il existe une forte majorité qui souhaite protéger le mariage en tant qu'institution privilégiée, et une plus petite partie de la population, mais quand même un bon tiers, qui est solidement opposée à l'érosion du mariage sous quelque forme que ce soit et à ce que l'on transfère les avantages qui lui sont liés à d'autres formes d'arrangements. Voilà les faits que, selon moi, le gouvernement n'a pas pleinement pris en compte.
Le gouvernement nous dit également que ce sont les tribunaux qui le forcent à agir en ce sens, mais aucune décision de la Cour suprême du Canada n'oblige le gouvernement d'aller aussi loin. La Cour a admis l'importance de préserver l'institution du mariage en tant qu'institution privilégiée et a reconnu que le mariage a toujours existé—et devrait continuer d'exister—à cause de son rôle au plan de la procréation et de l'éducation des enfants dans la société.
M. Darrel Reid, le président de Focus Canada, s'est exprimé de la manière suivante dans un communiqué de presse le 11 février:
Et il ajoutait qu'il est évident que le gouvernement de l'Ontario faisait la même chose que le gouvernement fédéral: «... il vide complètement de sens les mots 'conjoint' et 'mariage'».
M. Reid réclamait aussi l'organisation de consultations publiques nationales sur le projet de loi. Il déclarait notamment:
Les Canadiens qui tiennent à la famille naturelle—et les sondages montrent régulièrement que c'est le cas de la grande majorité—doivent faire savoir au gouvernement de la façon la plus catégorique qu'ils rejettent cette mesure législative. Il faut qu'ils contactent leurs députés aujourd'hui et qu'ils les incitent à la rejeter.
Pour conclure, je voudrais dire que tout le dossier de l'élargissement des avantages et des obligations doit être reconsidéré. Il est possible qu'il y ait un moyen acceptable d'étendre les avantages à ceux qui vivent en véritable interdépendance économique et sociale, sans pour autant enlever au mariage toute sa signification à l'exception de son nom. N'est-il pas ironique que la seule chose qui resterait au mariage, si ce projet de loi était adopté, serait un ensemble de lois qui nous expliquent comment en sortir, à savoir la législation sur le divorce.
Donc, premièrement, nous demandons que le gouvernement retire le projet de loi. Qu'il reparte à zéro, qu'il reconnaisse que l'opinion publique est, tout particulièrement en ce qui concerne ce projet de loi, massivement contre.
Deuxièmement, nous demandons que les audiences soient reprogrammées et que soit mis en place un processus consultatif totalement refondu après le retrait de ce projet de loi. Nous devons entendre l'opinion des sociologues et des autres experts, du Canadien moyen et de la communauté religieuse. Nous avons prévenu dans une lettre urgente ceux qui figurent sur notre liste de correspondants que ce projet de loi fait fi des croyances profondes de millions de Canadiens, entre autres les Chrétiens, les Juifs, les Musulmans, les Sikhs et de nombreux autres groupes confessionnels.
Les Canadiens qui trouvent les habitudes de vie homosexuelles choquantes et qui s'opposent moralement au mariage homosexuel et aux adoptions se retrouveront forcés de financer ces relations par le biais de leurs impôts. Les simples particuliers et les organismes, quelles que soient leurs croyances religieuses ou morales, peuvent se retrouver forcés d'assurer des avantages aux couples homosexuels.
Troisièmement, nous suggérons très fortement que le gouvernement fasse figurer une définition du mariage dans la législation fédérale. Que le gouvernement nous entende et décide de retirer le projet de loi et d'élargir le processus de consultation ou non, le mariage doit être réaffirmé comme il l'a été dans la motion sur le mariage il y a seulement quelques mois à la Chambre des communes. On nous dit que cela est difficile, mais beaucoup nous disent aussi que cela n'est pas impossible et qu'il est important de le faire.
Quatrièmement, nous préconisons que l'on cesse de fonder des avantages sur une déclaration importune, quoi que fasse le gouvernement, concernant un comportement conjugal/sexuel mal défini, qui doit être faite par les intéressés.
Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci. Il est évident que vous avez déjà fait cela plusieurs fois auparavant, car vous avez pris dix minutes pile.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Lowther pendant sept minutes.
M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président. J'entends le chronomètre qui démarre ce qui veut dire qu'on marche véritablement à la seconde près ici.
• 1000
À l'intention des témoins, je voudrais commencer par dire que
je crois comprendre que certains changements ont été apportés à
l'union de fait dans cette mesure législative. Pour clarifier les
choses, on parle d'étendre les avantages de l'union de fait aux
couples homosexuels, et pourtant lorsqu'on examine le projet de loi
il me semble qu'on a en fait rapproché l'union de fait du mariage,
puis étendu tous les avantages de l'union de fait aux couples
homosexuels.
Restera-t-il une politique sociale distincte à l'égard du mariage si ce projet de loi finit par être adopté? Reste-t-il en l'occurrence une politique sociale distincte? Il me semble qu'il s'agit plutôt d'étendre tous les avantages et obligations sociaux du mariage aux couples d'homosexuels qui ont vécu ensemble pendant un an.
M. Derek Rogusky (recherchiste, Focus on the Family (Canada) Association): Dans le cadre de notre analyse du projet de loi, effectivement, nous avons trouvé, comme Jim l'a mentionné, qu'à l'exception des lois sur le divorce ainsi que des lois sur l'immigration, lesquelles vont, autant qu'on sache, également faire l'objet de certains changements, il n'y a véritablement aucune distinction, excepté pour ce qui concerne la période d'attente d'un an. Autrement dit, une fois que vous êtes mariés, les avantages sont disponibles, alors que dans le cas d'une union de fait, il vous faut attendre 12 mois entiers.
M. Eric Lowther: Je suppose que cela est vrai également quand il s'agit de se séparer. J'entends par là que dans cette relation, si elle est homosexuelle, je peux en sortir, mais si je suis marié, en fait il faut que j'obtienne un divorce, c'est bien cela?
M. Derek Rogusky: Une des choses intéressantes, au sujet du projet de loi C-23, c'est qu'il est théoriquement possible pour quelqu'un d'avoir un conjoint et un partenaire en union libre en même temps. Certaines des lois qui seraient modifiées donnent préséance au partenaire de fait actuel par rapport à l'ancien conjoint. Techniquement, pendant que vous attendez une séparation légale ou quelque chose du genre, vous pourriez continuer d'avoir un conjoint et il ou elle serait privé de quelques-uns des avantages auxquels il ou elle aurait normalement droit dans la situation actuelle.
M. Eric Lowther: Je regarde la loi et les expressions «personnes liées» à l'article 9 et «famille» à l'article 134, et je me rends compte que ces deux expressions sont maintenant changées par le projet de loi C-23. Auparavant, la famille et les personnes liées étaient définies comme étant la progéniture d'un parent ou les personnes mariées ou liées par le sang, le mariage ou l'adoption. On a maintenant changé le concept de personne liée et de famille pour qu'il se rapporte non seulement à ceux que j'ai mentionnés, mais également aux gens de même sexe qui ont habité ensemble pendant un an.
Pouvez-vous faire des commentaires à cet égard?
M. Derek Rogusky: Il est certain que la définition de la famille serait modifiée dans la Loi de l'impôt sur le revenu, et de manière assez radicale. Je pense que cela fait précisément ressortir le point que nous tentons de faire valoir, à savoir que ce projet de loi affecte en fait la famille et le mariage. Il ne s'agit pas simplement d'étendre les droits de l'union de fait. Le projet de loi a un impact, car il change la définition de certaines de ces expressions. Plus de cent fois il supprime des mots comme «conjoint», «mari», «épouse» ou «veuve»—des mots que l'on associe normalement au mariage. Ils sont soit supprimés soit redéfinis plus de 100 fois.
Par conséquent, on peut affirmer que ce projet de loi a un impact sur le mariage, bien que techniquement, il ne le redéfinisse pas nécessairement.
M. Eric Lowther: Madame Buckingham, vous avez commencé par déclarer que vous vous félicitiez que le mariage ne soit pas affecté par cette mesure législative. Pourtant à l'article 254, par exemple, en ce qui concerne la Loi sur les normes de prestation de pension, le mot «mariage» a été carrément supprimé. Et je pense qu'il y a d'autres exemples.
Par conséquent quand vous soutenez que le mariage n'est pas concerné, je me demande comment vous pouvez en arriver là.
Mme Janet Epp Buckingham: Je crois qu'il y a un malentendu. Je n'ai pas prétendu que le mariage n'était pas affecté; j'ai dit que le mariage n'était pas redéfini. Je pense que le mariage est foncièrement affecté, ce que j'ai fait ressortir plus tard dans mon exposé. Je regrette qu'il y ait pu avoir un malentendu.
M. Eric Lowther: Par ailleurs, madame Buckingham, il y a un débat en ce qui concerne la question de savoir si oui ou non la conjugalité équivaut à intimité sexuelle. Certains disent que ce n'est pas le cas, d'autres le contraire. Les choses ne sont pas claires à cet égard.
Pouvez-vous à ce sujet me dire ce qu'il faut normalement entendre par une relation conjugale?
Mme Janet Epp Buckingham: Je pense que le mot «conjugal» est peut-être déroutant ou trompeur. Dans la définition donnée par les dictionnaires, il signifie intimité sexuelle entre mari et femme. Même si les tribunaux ont donné certaines indications qu'il peut référer à des critères différents, actuellement, dans tous les dictionnaires connus, ce mot est défini comme signifiant une intimité sexuelle entre mari et femme.
Si l'on veut utiliser le mot «conjugal» sans le définir dans la loi, cela risque d'être très déroutant, de créer beaucoup de confusion. La seule indication qu'il pourrait y avoir une définition plus large du mot «conjugal» se trouve dans l'affaire M et H, où le tribunal a déclaré que le mot «conjugal» pouvait inclure ces autres critères, et qu'il ne doit pas nécessairement signifier «intimité sexuelle». Mais c'est la seule indication qu'il y ait une autre définition que la définition classique donnée par les dictionnaires.
M. Eric Lowther: Monsieur Sclater, vous avez observé, à la fin de votre exposé, que c'est la première fois que l'on a étendu les avantages—je ne fais que paraphraser—en fonction de motifs idéologiques et non biologiques.
Je pense qu'on s'entend généralement pour dire que les familles qui ont procréé, élevé des enfants, donné naissance à la prochaine génération ont fait une certaine contribution sociale. Je me pose la question: y a-t-il une contribution sociale à étendre ces avantages sur la base d'idéologies plutôt que de la biologie? Pouvez-vous expliquer un peu plus en détail cette terminologie et faire ressortir ce à quoi vous voulez en venir en l'occurrence?
M. Jim Sclater: Il s'agissait d'une citation de M. Reid, notre président. Je pense que le point était que nous sommes plongés depuis plusieurs années dans une politique des droits et que cela est devenu l'idéologie de base à laquelle il faut se référer pour comprendre notre société. La Charte des droits et un grand nombre d'autres choses ont été interprétées comme signifiant, quand elle ne nous pousse pas complètement dans cette direction, que les droits individuels sont plus importants que le tissu social. C'est ce qui s'est passé.
Là, on parle d'idéologie. Il nous faut retourner à une compréhension de la nature...
Quand j'ai lu notre déclaration au sujet de la famille, j'ai dit que tout cela était enraciné dans la nature humaine. C'est une question de biologie, à notre avis—comment nous sommes faits, comment nous réagissons, comment nous fonctionnons. Défendre des droits, avant tout, ce n'est rien d'autre qu'adopter une approche idéologique. On peut appeler cela de nombreuses façons—ingénierie sociale, réinvention de la race humaine—mais nous ne pensons pas qu'en dernier lieu, cela s'avère productif pour quiconque pourrait penser en bénéficier.
J'aimerais en passant commenter sur le fait qu'en dépit de ce que le gouvernement nous a dit au sujet de la population, je ne pense pas que beaucoup de gens, même autour de cette table, pourraient prétendre qu'ils ont entendu un grand nombre de personnes exiger que nous procédions ainsi.
Nous savons, comme, j'en suis sûr, certains autour de cette table, que beaucoup au sein de la communauté homosexuelle disent que ce n'est pas une bonne idée; notre société n'a pas besoin de redéfinir le mariage pour bénéficier de ces avantages.
J'ai dit dans mon exposé qu'il y a peut-être un autre moyen d'accommoder les dépendances économiques légitimes, mais pas en dépouillant le mariage de sa signification.
Le président: Je vous remercie tous les deux.
La parole est à M. Ménard pendant sept minutes.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je me joins à notre président pour vous souhaiter la bienvenue. Vous dire que votre témoignage m'a surpris serait vous mentir.
J'ai trois questions pour vous. Quand on s'intéresse au droit de la famille, on sait qu'il existe une loi fédérale sur le mariage, que le mariage est défini quant au fond par le gouvernement fédéral et que la célébration du mariage relève des provinces. Dans le projet de loi qui est ici devant nous, on ne modifie pas la loi fédérale sur le mariage.
Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que, si on parcourt ensemble le projet de loi, la loi qui concerne le mariage et les définitions de fond, on verra que les conditions de fond définies par le gouvernement fédéral ne sont pas modifiées? Est-ce qu'on s'entend là-dessus?
• 1010
Ma question s'adresse au Dr Buckingham.
[Traduction]
Mme Janet Epp Buckingham: Il n'existe pas de loi fédérale qui définit le mariage. Le mariage est actuellement défini en vertu de la common law. On trouve des jugements qui remontent aux années 1800 dans lesquels le mariage est défini comme étant une union entre mari et femme. Le gouvernement fédéral dispose de la juridiction pour définir le mariage, mais ne l'a pas fait dans sa législation. La seule loi fédérale qui existe à cet égard concerne l'interdiction relative au degré de consanguinité, ce qui signifie que vous ne pouvez pas épouser votre soeur, votre frère ou vos parents. C'est le seul texte législatif fédéral.
[Français]
M. Réal Ménard: Oui, il y a une loi fédérale sur les degrés de parenté. En français, on appelle ça la loi sur les degrés apparentés. Il y a une loi fédérale qui décrète qui peut se marier et qui détermine les conditions de fond. Cela relève du gouvernement fédéral. Les conditions de forme relèvent de la célébration du mariage. Il existe une référence dans une loi fédérale concernant qui est autorisé à se marier.
Je veux être sûr qu'on s'entend pour dire que de telles conditions sont définies dans une loi. Il y a même un député, M. Tom Wappel, qui prétend qu'il faudrait aller encore plus loin et renforcer cette loi. Il existe donc bien un texte législatif. Si on se rend à la Bibliothèque du Parlement, on pourra voir ensemble qu'il existe une loi déterminant qui peut se marier et qui ne peut pas se marier selon le degré de consanguinité ou les liens apparentés.
Ce que je veux vous entendre dire, c'est que cette loi, cette référence ou cette pratique, qui est aussi confirmée dans la common law, n'est pas modifiée par le projet de loi qui est devant nous.
Donc, quand vous vous présentez devant nous et que vous nous dites que le mariage est menacé, il est difficile de voir en quoi le mariage, du moins dans ses assises juridiques, peut être menacé si la définition n'en est pas changée dans la loi même qui le définit.
[Traduction]
M. Jim Sclater: J'aimerais faire un bref commentaire. Il est vrai que le mariage continue d'être défini comme une institution légitime que peuvent contracter les gens. Nous soutenons que traditionnellement, historiquement et en tout cas dans notre pays, il a bénéficié de privilèges particuliers car il joue un rôle dans la procréation et dans l'éducation des enfants. Voici ce que nous disons: maintenant qu'on a tout simplement accordé ces privilèges à pratiquement n'importe quelle autre forme d'arrangement admissible après un an, nous pensons que c'est un signal fort, comme je l'ai dit au début, que nous n'honorons plus le mariage—mais on peut toujours se marier.
[Français]
M. Réal Ménard: Mais il y a là un abus de langage. Est-ce que, dans votre esprit, et à des fins sociologiques, on fait une distinction entre un couple et une famille? Quand vous dites qu'on va conférer des avantages à des gens qui ne sont pas, disons, orientés vers la mission de procréation, ce n'est pas tout à fait vrai. Ici, on ne change pas la loi sur les prestations pour enfants.
Je vais formuler cela autrement. Ma collègue, Mme Venne, qui vit avec un partenaire de sexe opposé depuis plusieurs années, n'a pas d'enfant. Elle forme un couple. Moi, avec mon partenaire, je forme aussi un couple. Ce que le projet de loi dit, c'est que ces deux formes d'engagement, ces deux formes d'union de fait—la loi parle d'union de fait—seront sur un pied d'égalité. Est-ce qu'on fait la même lecture de la loi? Elle n'a rien à voir avec les prestations pour enfants. Elle n'a rien à voir avec la définition de la famille.
Dans mon esprit à moi, un couple qui n'a pas d'enfant, c'est un couple, mais ce n'est pas une famille. Est-ce qu'on s'entend là-dessus?
En quoi la loi va-t-elle menacer les familles? En quoi quelqu'un qui, au Canada, décide d'avoir des enfants, veut s'engager dans le mariage et avoir deux, trois, quatre ou cinq enfants se trouve-t-il menacé par cette loi? En quoi cette loi constitue-t-elle une menace à la famille, que vous appelez de tous vos voeux?
[Traduction]
M. Jim Sclater: Je voudrais faire un bref commentaire et Derek ou Janet souhaiteront peut-être ajouter quelque chose.
Une des principales choses que j'ai dites, c'est que les jeunes s'en remettent au droit. Ils ne lisent pas vraiment les lois et ils n'en voient pas beaucoup les effets non plus, mais on leur enseigne ce qu'elles signifient à l'école. Je pense que nous avons maintenant dilué le concept à un degré tel que les jeunes vont commencer à penser, comme je l'ai dit, que notre pays n'honore plus cette institution et se demander par conséquent pourquoi ils devraient le faire? Nous pensons qu'il s'agit d'un facteur significatif.
Derek ou Janet souhaitent peut-être développer certains aspects de votre question.
[Français]
M. Réal Ménard: Oui, je comprends. Je sais que vous êtes un homme rigoureux; je vous ai vu à la télévision et je suis votre carrière de près. Cependant, je me permets de penser que l'inverse est un peu vrai et je ne comprends pas la réponse que vous me faites.
Les jeunes qui seront dans les écoles vont apprendre que la famille, ce n'est plus le mariage. J'aimerais que vous soyez plus explicite. En quoi un jeune de 16, 17 ou 20 ans qui est d'orientation hétérosexuelle, qui est à l'école dans Chomedey—Maisonneuve ou qui est à l'école en Colombie-Britannique, va-t-il apprendre que le mariage n'est plus possible dans la société canadienne ou que la famille est menacée?
M. Jim Sclater: Eh bien, la réponse est tout simplement qu'avant que la vérité sur ce projet de loi finisse par être connue des enseignants, le message pourrait être passablement différent. Je sais que cela peut être interprété comme une critique des enseignants, mais j'ai été informé, et personnellement impliqué même, dans des situations où certaines choses ont été changées par le gouvernement ou décrétées par le gouvernement et quand les enfants rentrent à la maison de l'école, on leur a dit, on leur a enseigné, quelque chose de tout à fait différent.
Nous savons aussi que puisque nous nous orientons dans cette direction, les gens qui représentent votre point de vue ont été généreusement accueillis dans nos écoles pour parler des arrangements alternatifs, etc. Je pense que le message que les jeunes retiendront est qu'il n'est plus nécessaire de se marier, que l'on peut simplement nouer une relation quelconque si elle vous convient. C'est au fond ce que je veux dire: les jeunes apprendront que, comme le Canada est un pays tolérant, il n'est plus nécessaire de penser en termes des anciennes notions juridiques. Le mariage n'a pas été enlevé aux gens qui veulent se lier par un contrat légal, mais je pense qu'il apparaîtra—en fait, je pense que c'est déjà le cas—comme un concept totalement différent.
Le président: Monsieur Ménard, pouvez-vous attendre jusqu'au prochain tour de table? Vous avez utilisé tout votre temps et je voudrais que l'on s'en tienne aux délais prévus.
[Français]
M. Réal Ménard: Oui.
[Traduction]
Le président: La parole est à M. Robinson.
M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président.
Je veux poursuivre dans la même veine, car, je le reconnais, je suis un peu perplexe quant à la logique de l'argument. Ou alors, ce que vous voulez dire, c'est que les relations hétérosexuelles de fait devraient être découragées aussi vigoureusement que les relations homosexuelles de fait, si vous parlez du caractère sacré du mariage. Est-ce en fait ce dont vous parlez?
Ensuite, quand vous parlez de garantir des avantages spéciaux à ceux qui sont mariés, êtes-vous prêt à enlever les avantages actuels qui sont accordés aux partenaires hétérosexuels vivant en union libre?
M. Jim Sclater: Quelqu'un a demandé lors de notre conférence de presse d'hier pourquoi nous voudrions tout remettre en question et j'ai répondu: «Eh bien, c'est ce que le gouvernement a fait avec ce projet de loi. Il a en réalité soulevé la question. Il a modifié le statut de l'union libre.» C'est une question qu'à mon avis, nous devrions réexaminer. Je pense que l'union libre a miné le concept de la famille de façon assez évidente. Je ne prétends pas... Je n'ai pas de position définitive en la matière, mais je pense que c'est un débat qu'il faut que nous reprenions.
J'aimerais savoir ce qu'en pensent aussi Janet et Derek.
M. Svend Robinson: Par souci de clarté, pouvez-vous nous dire si vous croyez que ces avantages et obligations qui sont actuellement accordés aux couples hétérosexuels non mariés, qui vivent en union libre, devraient être maintenus? Ou devraient-ils être supprimés?
M. Jim Sclater: Je pense que pour répondre à cela et prendre en compte la nouvelle catégorie dont il est question dans le projet de loi, nous devrions examiner chaque cas. Soixante-huit lois sont concernées en l'occurrence. Je pense qu'elles doivent toutes être examinées séparément. Nous devrions nous demander à quoi elles devaient servir à l'origine et ce qu'elles devraient continuer de faire. Il s'agit donc d'un débat tout à fait nouveau. Je ne les ai pas passées en revue. Derek les a analysées, mais nous n'avons pas de position définitive...
M. Svend Robinson: Peut-être que M. ...
M. Jim Sclater: Nous n'avons pas de position définitive en ce qui concerne les dispositions qui devraient continuer de s'appliquer ou non.
M. Svend Robinson: Je m'excuse de vous interrompre.
Peut-être que compte tenu du temps dont on dispose, vous pourriez indiquer plus tard au comité quels sont les avantages que vous seriez prêt à supprimer aussi aux couples hétérosexuels qui vivent en union libre. Je pense qu'il pourrait s'avérer intéressant de savoir desquels il s'agirait.
Mme Janet Epp Buckingham: Mais je pense que l'un des points débattus est qu'un plus grand nombre d'avantages sont étendus aux couples hétérosexuels qui vivent en union libre en vertu de cette mesure législative.
M. Svend Robinson: Et vous soutenez que c'est une mauvaise chose.
Mme Janet Epp Buckingham: Oui.
M. Svend Robinson: Bon, mais vous prétendez également que d'étendre les avantages aux couples hétérosexuels qui vivent en union libre, dans l'état actuel des choses, est également néfaste.
Mme Janet Epp Buckingham: Oui, nous aimerions qu'il y ait un débat plus vaste sur la question.
M. Svend Robinson: Que voulez-vous dire? Quelle est la réponse? Pensez-vous que nous devrions ou non supprimer ces avantages?
Mme Janet Epp Buckingham: Il y a peut-être certains avantages que nous voudrions voir supprimés. Nous ne disons pas pour le moment que tous les avantages devraient être enlevés aux couples vivant en union libre...
M. Svend Robinson: Bon, peut-être...
Mme Janet Epp Buckingham: ...parce qu'ils élèvent des enfants.
M. Svend Robinson: Très bien. Les témoins pourraient peut-être indiquer plus tard au comité quels sont les avantages qu'ils aimeraient voir supprimés. Cela pourrait être utile.
Pouvez-vous faire cela?
Mme Janet Epp Buckingham: Cela faciliterait-il l'examen de ce projet de loi en particulier?
M. Svend Robinson: Effectivement. Je vous remercie.
Vous avez aussi par ailleurs fait référence à la définition du mot conjugal, et je pense que vous avez dit qu'il y a des indications... Je ne sais pas si Mme Buckingham est avocate.
Mme Janet Epp Buckingham: Oui, je suis avocate.
M. Svend Robinson: Alors, madame Buckingham, vous savez que c'est plus qu'une indication. Quand la Cour suprême prend une décision, il ne s'agit pas simplement d'une indication, n'est-ce pas? C'est un jugement, rendu par la plus haute cour du pays.
J'ai été quelque peu perplexe et désorienté d'entendre parler d'une indication concernant la définition de conjugal. En fait, dans l'affaire M. c. H., il ne s'agissait pas simplement d'une indication: la cour a jugé que les relations homosexuelles peuvent effectivement entrer dans la définition de conjugal et qu'en fait, la distinction entre les relations conjugales hétérosexuelles et les relations conjugales homosexuelles est inconstitutionnelle. N'en est-il pas ainsi, madame Buckingham?
Mme Janet Epp Buckingham: C'est effectivement le cas. La cour a également indiqué que le mot «conjugal» pouvait aussi s'appliquer à une relation qui n'était pas sexuelle, mais que, dans ce cas, ce serait considéré obiter dictum, car cela ne faisait pas nécessairement partie d'une décision de justice. La cour ne s'intéressait pas, en l'occurrence, à une relation de cette nature.
M. Svend Robinson: Effectivement, mais il ne s'agissait pas simplement d'une indication, pour ce qui est de la distinction entre les deux: il s'agissait d'une décision.
Mme Janet Epp Buckingham: C'était une décision concernant cette question en particulier. Les juges ont donné une définition plus large de conjugal, mais cela allait au-delà d'une décision de justice particulière, et on ne peut donc pas savoir clairement si cette définition élargie est contraignante sous tous ses aspects.
M. Svend Robinson: Quand on changé les lois pour étendre les avantages et les obligations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu aux relations hétérosexuelles de fait, vos organisations existaient déjà. Vous êtes-vous prononcé contre, et avez-vous suggéré à ce moment-là que la chose était injuste car elle ne s'étendait pas à d'autres types de relations de dépendance?
M. Jim Sclater: Nous n'étions pas au courant de ce qui se passait à ce moment-là. Nous ne sommes présents ici que depuis 15 ans et...
M. Svend Robinson: C'était en 1993.
M. Jim Sclater: Je sais, mais nous venons juste de commencer à nous intéresser à la politique publique. J'ai commencé en fait en 1990 à mettre en place le département, et par conséquent nous ne nous étions pas encore penchés sur ce dossier. Il y a des dizaines de dossiers dont nous ne nous sommes pas encore occupés, et celui- là en faisait certainement partie.
M. Svend Robinson: Seriez-vous préoccupés par l'extension des avantages et des obligations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu—soyons précis—à des partenaires hétérosexuels vivant en union libre?
M. Jim Sclater: J'ai déjà dit que la seule réponse à cette question est que des avocats et d'autres comités du Parlement examinent chaque loi et tentent de déterminer ce qui est octroyé et dans quel but. Nous n'avons évidemment pas de réponse définitive pour chaque cas de figure.
M. Svend Robinson: Pour m'assurer que je comprends bien, ni l'un ni l'autre de vos organismes n'a exprimé jusqu'ici de préoccupations à l'égard de l'extension des avantages ou obligations à des partenaires hétérosexuels vivant en union libre. C'est bien cela?
Mme Janet Epp Buckingham: Nous avons fait ressortir les aspects discriminatoires des dispositions qui s'appliquent à l'union libre en ce qui concerne la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces dispositions imposent en fait un plus lourd fardeau aux couples mariés avec des enfants qu'aux couples vivant en union libre et ayant des enfants, et nous nous sommes déjà occupés de cette question par le passé.
M. Svend Robinson: Ma dernière question s'adresse à M. Sclater et porte sur les craintes qu'il manifeste à propos des enfants. Il a déclaré—et j'ai noté ses propos—que les jeunes seront désorientés en ce qui concerne les questions de sexualité. De quelle façon ce projet de loi pourra-t-il désorienter les jeunes à cet égard?
M. Jim Sclater: Eh bien, il fait passer le message que les couples homosexuels sont équivalents et devraient être reconnus de la même façon que les couples hétérosexuels. Vous devez savoir que les adolescents passent par une période pendant laquelle ils vivent parfois une véritable crise d'identité sexuelle.
M. Svend Robinson: Donc cela pourrait les inciter à adopter ce que vous avez appelé le mode de vie gai, n'est-ce pas?
M. Jim Sclater: Cela pourrait leur signifier, comme je l'ai déclaré dans mon exposé, que notre pays n'honore plus les relations hétérosexuelles entre gens mariés comme il le faisait auparavant. Certains jeunes grandissent dans des foyers où ils ne reçoivent peut-être pas un message très clair au sujet de ce que j'ai dit être la nature inhérente de la race humaine. Par conséquent, je pense qu'il y aura une certaine confusion.
M. Svend Robinson: Je m'excuse, mais qu'est-ce que la nature inhérente de la race humaine?
M. Jim Sclater: Je l'ai dit, le concept de mariage et de conjugalité, tel que nous l'interprétons, est ancré dans la nature humaine. C'est la façon dont nous sommes faits.
M. Svend Robinson: Êtes-vous en train de me dire que les hommes gais...
Le président: Dernière question.
M. Svend Robinson: Je m'excuse, c'est ma dernière question.
Êtes-vous en train de dire que les hommes gais et les lesbiennes ne font pas partie intégrante de la race humaine?
M. Jim Sclater: Vous connaissez certainement les statistiques. Je pense qu'au moins 97 p. 100 de la race humaine est soumis à l'impératif biologique de relations avec le sexe opposé. Il y a des explications sociologiques et autres à cela, naturellement, vous le savez bien.
M. Svend Robinson: Les trois autres pour cent ne font pas partie intégrante de la race humaine?
M. Jim Sclater: Non. Je soutiens qu'ils font partie d'un phénomène que nous pensons être d'ordre sociologique.
Le président: Je vous remercie.
Je donne maintenant la parole à M. McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président. Merci, madame et messieurs les témoins.
Vous le savez très bien, l'une des questions qui est débattue porte sur la capacité du gouvernement—et jusqu'ici sa réticence—à inclure une définition du mariage dans la loi, soit en amendant la Loi sur le mariage soit en l'incluant dans ce projet de loi.
Je serais particulièrement intéressé par vos commentaires, madame Buckingham, en ce qui a trait à ce qui deviendra inévitablement la prochaine frontière, pourrait-on dire, des contentieux fondés sur la Charte. En tant qu'avocate, préféreriez- vous plaider le dossier en vous appuyant sur une loi adoptée par le Parlement ou sur la base d'une définition vieille de 150 ans que l'on trouve dans la common law?
Mme Janet Epp Buckingham: Nous avons déjà été témoins de quelques contestations soulevées par la définition hétérosexuelle du mariage, et cela a toujours été fondé sur les exigences provinciales en matière de licence, voulant que le mariage implique un homme et une femme. Personne n'a encore soulevé la question dans la perspective de la common law, bien que ce soit possible. Il serait sans aucun doute préférable de pouvoir disposer de textes législatifs. La terminologie utilisée dans la common law est plutôt ancienne, et il serait utile de disposer d'une déclaration du Parlement sur cette question. C'est ce à quoi servent les législateurs.
M. John McKay: Pensez-vous que l'emploi du mot «conjugal» dans ce projet de loi appuie ou affaiblit les arguments qui pourront être présentés dans le contexte de cette prochaine frontière, dans le domaine des contentieux fondés sur les droits?
Mme Janet Epp Buckingham: Je pense que l'emploi du mot «conjugal» sera contestable. Ce n'est pas une affirmation claire. La définition donnée par le tribunal dans l'affaire M. c. H. est encore moins claire, quand il s'agit de savoir si cela inclurait également les partenaires domestiques qui n'ont pas de relation sexuelle. Je pense que l'intention de ceux qui ont rédigé cette mesure législative est une chose; mais l'interprétation commune du mot «conjugal» en est une autre. Et l'interprétation des tribunaux recouvre peut-être encore quelque chose de tout à fait différent.
M. John McKay: J'aimerais poser une question à M. Rogusky.
Je suis curieux. Nous parlons en fait, si je peux m'exprimer ainsi, de trois catégories de relations: le mariage, l'union libre hétérosexuelle et la relation homosexuelle. J'aimerais savoir si vos recherches et les connaissances que vous avez accumulées démontrent une différence dans la stabilité de ces relations—si différence il y a?
M. Derek Rogusky: Certainement; prenez par exemple les recherches de Statistique Canada inspirées de l'enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes: elle démontre clairement que certaines relations parentales—ce qui, bien sûr, nous préoccupe énormément—autres que le mariage légitime risquent l'échec. Par exemple, ce sont les enfants nés au sein d'un mariage traditionnel qui n'est pas précédé d'une union de fait qui sont le moins susceptibles de connaître la désintégration de leur famille avant l'âge de 10 ans, le pourcentage étant dans ce cas de 13,6 p. 100. Toutefois, les enfants dont les parents ont vécu en union de fait avant de se marier tombent dans une catégorie intermédiaire où la désintégration familiale est d'environ 25 p. 100. En ce qui concerne les enfants nés d'unions de fait, les chiffres sont, de loin, les plus frappants. À l'âge de 10 ans, plus de 63 p. 100 d'entre eux auront connu la dislocation de leur famille.
Des conclusions semblables ont pu être tirées en ce qui concerne les couples du même sexe, même si cela ne concerne pas nécessairement les enfants. Peu de recherches ont été faites sur l'échec des couples homosexuels qui ont des enfants, mais nous avons vu quelques études démontrant qu'il s'agit également de situations plutôt instables... en tout cas, que les risques d'échec sont plus élevés que parmi les couples mariés légitimement.
M. John McKay: Voyons si je suis bien votre analyse. Dans la première catégorie, 13,6 p. 100 des mariages aboutissent à un échec au bout de 10 ans, mais lorsqu'il y a eu une union de fait au cours de la relation, le pourcentage double. Est-ce juste?
M. Derek Rogusky: C'est à peu près cela.
M. John McKay: Est-ce également au cours d'une période de 10 ans?
M. Derek Rogusky: Oui. L'enquête portait sur une période de 10 ans. En outre, dans les cas où la relation se borne à une union de fait—il n'y a pas de mariage qui suit—le pourcentage de désintégration familiale grimpe à un peu plus de 63 p. 100.
M. John McKay: Et en ce qui concerne les couples du même sexe, vous n'avez pas de données parallèles.
M. Derek Rogusky: Il n'y a rien que l'on puisse mettre en parallèle, parce que les couples qui ont des enfants et qui entrent dans ces catégories représentent encore un segment modeste de la population et il est donc difficile de faire une analyse statistique. Toutefois, certaines études des relations entre personnes du même sexe montrent qu'elles sont certainement plus susceptibles de mener à une rupture ou à une séparation que les relations entre personnes mariées légitimement.
M. John McKay: Mais est-ce que le taux d'échec est semblable à celui qui s'applique aux unions de fait hétérosexuelles?
M. Derek Rogusky: Oui.
M. John McKay: Je présume que le projet de loi repose sur le principe voulant que les trois catégories de relations soient virtuellement traitées sur un pied d'égalité. Il est intéressant de savoir qu'au moins sur le plan statistique, on peut arguer qu'elles se valent.
Ma dernière question est quelque peu provocatrice, mais c'est une question que mes collègues de l'opposition aimeraient sans doute vous poser. N'est-ce pas tout simplement une tentative de la droite religieuse pour imposer son programme et son point de vue au reste de la société? Essentiellement, vous représentez un segment de la société qui, statistiquement parlant, est peu important, et vous essayez d'imposer votre point de vue au reste de la population.
Mme Janet Epp Buckingham: Je vais vous répondre tout de suite.
Tout d'abord, permettez-moi de vous dire que nous représentons en fait un groupe d'intérêt imposant. Des études sociologiques très sérieuses ont évalué à 3 millions le nombre de Chrétiens évangéliques que l'on trouve au Canada, c'est-à-dire environ 10 p. 100 de la population. C'est un pourcentage appréciable. Nous n'imposons pas d'opinion; nous faisons connaître notre point de vue. Nous représentons une communauté qui a une très haute idée du mariage, et nous estimons qu'il y a de très bonnes raisons d'avoir une telle opinion du mariage.
Nous jugeons préoccupante la désintégration de la famille au sein de notre société. Plus généralement, notre objectif, c'est une société qui fonctionne bien et des enfants qui sont élevés dans de bonnes conditions. Si, quand nous examinons ce qui se passe dans notre société, nous faisons état de certaines préoccupations, c'est pour le bien de la société toute entière.
Je pense que ces dernières années, nous avons pu constater une évolution de la réglementation qui s'applique aux unions de fait et un élargissement des avantages dont bénéficient les gens qui entretiennent ce genre de relations; on a également pu constater une augmentation du nombre des unions de fait. C'est ce que montre une étude menée en 1998 par Statistique Canada; il y a eu une augmentation des unions de fait. Est-ce une conséquence de la réglementation? Il est possible que ce soit à la base de ce phénomène. Nous disons donc qu'il est temps, pour le bien de la société, d'endiguer cette vague, de montrer plus de considération pour la famille. Cela signifie en partie montrer de la considération pour le mariage.
M. Jim Sclater: J'ajouterais qu'il s'agit là de vérités historiques. Aucun des anthropologues dont j'ai lu les ouvrages, ni aucun sociologue, d'ailleurs, n'a dit qu'à un moment donné de l'histoire de l'humanité les gens entretenaient d'autres relations avant de se marier et de fonder une famille. Évidemment, il n'y a guère de traces écrites de l'histoire des premières heures de l'humanité, mais il s'agit là d'une vérité fondamentale et à cet égard, ce ne sont pas nécessairement des arguments religieux que nous avançons.
Pour ce qui est de la religion, ce ne sont pas seulement les Chrétiens évangéliques qui pensent ainsi. Et ce n'est pas seulement parce que se marier c'est «bien». Il y a beaucoup d'autres religions qui défendent la même chose que nous. À notre avis, c'est une idée que l'on retrouve à travers le monde. Quelle que soit la façon dont vous interprétez la religion et sa source d'information, c'est une idée très répandue. Nous estimons que nous défendons un vérité historique et que nous avons de solides bases sociologiques sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.
Le président: Merci.
M. Svend Robinson: J'invoque le Règlement. Les témoins ont mentionné une étude effectuée par Statistique Canada en 1998. Je me demande s'ils peuvent en laisser une copie au greffier.
M. Derek Rogusky: Bien sûr. Je ne sais pas trop comment procéder, mais je le ferai bien volontiers.
M. Svend Robinson: Vous n'avez qu'à donner un exemplaire de cette étude au greffier qui la distribuera aux membres du comité.
Le président: Merci.
Monsieur Lowther, vous avez trois minutes.
M. Eric Lowther: Je ne savais pas que j'allais avoir la parole à nouveau aussi rapidement, mais tant mieux.
J'avais une brève question à poser sur le fait que, selon moi, on pourrait remettre en question—et je crois que c'est quelque chose que les témoins ont fait valoir, de façon générale—l'idée que l'on a manifestement intérêt à accorder des avantages sociaux à deux personnes du même sexe qui vivent ensemble. Je dirais que l'on a manifestement intérêt à accorder des avantages sociaux à deux personnes de sexe opposé qui vivent ensemble. Dans le passé, on a accordé ce genre d'avantages aux couples hétérosexuels parce que, dans la grande majorité des cas—pas toujours, mais certainement, et de loin, dans la majorité des cas—des enfants naissaient de cette union et ces couples devaient les élever. Élargir à ces couples le versement de certaines prestations pour reconnaître qu'ils contribuaient à la société en procréant et en élevant des enfants allait donc dans le sens du bien public.
• 1035
Selon vous, trouve-t-on dans ce projet de loi une raison
quelconque pour accorder tous les mêmes avantages, sans exception,
à deux hommes qui vivent ensemble pendant un an et qui ont une
relation à caractère sexuel? Je ne vois aucune raison de le faire.
Et vous?
Mme Janet Epp Buckingham: Je pense qu'il faut chercher à définir quel est le fondement de ces avantages. Nous avons dit qu'historiquement, comme l'a dit M. Lowther, c'est parce que des enfants naissaient de ce genre de relations. Il faut alors se demander si la dépendance économique et sociale est la raison pour laquelle on accorde des avantages. Si vous partez de ce principe, rien ne justifie alors que l'on accorde des avantages à certaines personnes, parce qu'elles ont des relations intimes. Si vous partez du principe que le fait d'avoir des enfants est la raison pour laquelle on accorde certains avantages, rien ne justifie non plus que les avantages en question soient accordés à certaines personnes parce qu'elles ont des relations intimes. La raison, c'est le fait d'avoir des enfants.
À l'origine, la chose se justifiait parce que les relations intimes produisaient des enfants. Si ce n'est pas le cas, il est tout à fait judicieux de modifier la raison d'être des avantages en question.
M. Eric Lowther: Ce projet de loi ne va-t-il dans le sens d'un élargissement des avantages qui repose sur le fait d'avoir des relations intimes ou quelque chose d'assez vague que l'on appelle une relation conjugale et que personne ne semble prêt à définir de façon trop précise? La Cour suprême prétend l'avoir fait, nous en avons parlé, mais nous n'arrivons pas à faire dire au ministre de la Justice quelle est sa définition. Si je n'ai aucune relation sexuelle, est-ce j'y ai droit? Si j'ai des relations sexuelles, est-ce que j'y ai droit? Nous nous désintéressons de la question; nous laissons les tribunaux décider.
Présumons que la définition que l'on trouve dans le dictionnaire est juste et que par «conjugale», on entend une relation qui implique une intimité physique. Dans ce cas, est-ce que ce projet de loi n'élargit pas tout simplement tous les avantages accordés à un couple hétérosexuel à cause de sa capacité de procréation à deux hommes qui vivent ensemble pendant un an et qui ont des relations sexuelles? Oui ou non?
Mme Janet Epp Buckingham: Tout à fait.
M. Jim Sclater: Vous avez raison, je pense. À mon avis, il y a certains autres facteurs.
Je n'ai pas le chiffre exact, mais un pourcentage très élevé des personnes de sexe opposé qui s'engagent dans une relation espèrent avoir des enfants. Ce n'est pas toujours le cas, mais il y a quand même une raison fondamentale pour laquelle la société devrait favoriser le mariage entre personnes de sexe opposé, c'est que c'est là la façon dont la sexualité a été régulée tout au long de l'histoire de l'humanité, que ce soit dans les sociétés tribales ou dans tout autre contexte. Tel est le contrat social: mettons les gens deux par deux de façon à réguler et à contrôler la sexualité. On s'attend à ce qu'en grande majorité, ils aient des enfants. Nombre de gens sont très déçus lorsqu'ils n'en ont pas.
M. Eric Lowther: À l'origine, c'est la raison pour laquelle nous avons élargi l'octroi de ces avantages aux couples qui vivent en union libre, n'est-ce pas?
Le président: Monsieur Lowther, c'est exact. Les témoins peuvent répondre, mais vous avez raison.
M. Jim Sclater: D'autres questions?
Le président: Monsieur Saada, s'il vous plaît, vous avez trois minutes.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
J'ai une seule question à poser.
Monsieur Sclater, Je vous ai entendu parler de s'engager pour la vie. Vous avez utilisé l'expression «disloquer la famille». Imaginons que vous êtes premier ministre dans un pays quelconque. Décideriez-vous de rendre illégal le divorce, d'interdire par la loi à deux personnes de vivre ensemble sans être mariées? Quel traitement réserveriez-vous à un père de famille qui quitte le domicile conjugal et laisse sa femme et ses enfants?
Je m'intéresse à la logique de vos propos. Le seul type de société que vous reconnaissez, en vertu de vos critères—c'est vous qui parlez d'idéologie et j'aimerais donc que vous abordiez cette question—est une société où les gens prennent des engagements à vie et où rien ne devrait être autorisé si cela contribue à la dislocation des familles.
Ma question est simple. Déclareriez-vous illégal le fait de vivre comme conjoints de fait? Laissons de côté la question du sexe pour l'instant. Déclareriez-vous illégal le fait de divorcer ou de se séparer et déclareriez-vous illégal le fait qu'un des conjoints s'en va et abandonne sa famille?
M. Jim Sclater: Je pense que vous me demandez de vous donner notre opinion du point de vue religieux. Or, j'ai dit que nous nous plaçons principalement dans une perspective sociologique. Dans toute société que je voudrais défendre, personne ne réglementerait tous les aspects de la vie des gens. Vous ne pouvez pas déclarer illégal ce que les gens font. Nous avons choisi les circonstances dans lesquelles nous le faisons. Nous avons décidé de faire du meurtre un crime capital. Nous avons placé cela en haut de l'échelle, et beaucoup diraient que même dans ce cas, nous sommes revenus sur nos positions, en ce qui concerne le châtiment.
• 1040
Mais même dans les écritures, si vous voulez vous placer dans
la perspective des Chrétiens, on laisse une place au divorce, parce
que les gens peuvent avoir le coeur dur.
Je ne voudrais donc pas appartenir à une société où l'on essaie de déclarer ce genre de chose illégale. Cela irait tellement plus loin que ce que certains appellent le bien, que ce serait contre-productif, je crois. Il faut que nous nous montrions réalistes dans la façon dont nous légiférons.
Je dis simplement que si nous ne défendons pas nos couleurs, si nous ne définissons pas clairement ce que nous respectons, alors, nous en favorisons la désintégration.
M. Jacques Saada: Un instant. Vous dites chaque chose et son contraire. D'un côté, vous dites que nous devons légiférer pour donner un cadre à ce que nous voulons reconnaître et que, par exemple, dans la Bible, il y a une raison pour reconnaître le divorce. Or, vous dites aussi que vous vous opposez à ce projet de loi en vertu d'une idéologie qui vous fait rejeter tout ce qui n'est pas compatible avec un engagement à vie, tout ce qui a pour objet la désintégration de la famille. Il y a là une contradiction flagrante.
M. Jim Sclater: Non, je n'ai pas dit cela. J'ai dit que respecter certaines choses en droit, c'est transmettre clairement un message à notre population. C'est très différent de ce que vous laissez entendre. Je ne propose pas que l'on abolisse les lois sur le divorce. Je ne fais aucune des autres propositions dont vous avez parlé. J'ai dit que les couleurs que nous défendons sont aussi celles que les gens respecteront.
Ce que je propose, c'est de maintenir le mariage. Je n'ai pas dit que nous devrions abolir les lois sur le divorce ni prendre aucune des autres dispositions dont vous avez parlé. Vous avez cité un autre exemple, celui des gens qui décident de vivre ensemble. Vous avez également parlé de rendre illégal le fait d'abandonner la cellule familiale. Ce que je propose de faire dans le cas qui nous occupe, car c'est du projet de loi C-23 qu'il s'agit, c'est d'examiner les 68 lois concernées, de tout reprendre à zéro et de décider quel est l'objet de chacune d'entre elles et ensuite, en se basant sur leur objet, de décider à qui elles devraient s'appliquer.
Le président: Merci, messieurs Saada et Sclater. Nous allons donner la parole à M. Ménard pour trois minutes.
[Français]
M. Réal Ménard: Je veux seulement m'assurer que je comprends bien votre point de vue et faire un commentaire au préalable. Pour ma part, je souhaite vivre dans une société où les gens qui sont hétérosexuels et qui veulent avoir des enfants puissent le faire avec le maximum d'aide de l'État, mais également dans une société où les gens qui sont homosexuels puissent avoir les mêmes droits.
Est-ce que vous souhaitez vivre dans le même type de société que moi? À cet égard, reconnaissez-vous qu'actuellement, au-delà de toute considération religieuse, il existe, d'un point de vue juridique, de la discrimination à l'égard des couples homosexuels. Est-qu'on peut partir de ce postulat?
[Traduction]
Le président: Janet, voulez-vous répondre la première?
Mme Janet Epp Buckingham: Je crains fort de ne pas avoir compris quelle était la question.
[Français]
M. Réal Ménard: Est-ce que vous reconnaissez qu'au moment où on se parle, en l'an 2000, en mars de l'an 2000, il existe au Canada de la discrimination à l'endroit des couples homosexuels? Est-ce que reconnaissez cet état de fait?
[Traduction]
Mme Janet Epp Buckingham: Je reconnais que les couples homosexuels ne bénéficient pas des mêmes avantages que les couples hétérosexuels, en droit.
[Français]
M. Réal Ménard: Iriez-vous jusqu'à dire que, d'un point de vue juridique, parce que c'est de ce caractère particulier qu'on parle ici, ou même sociologique, il y a là quelque chose de discriminatoire qui doit préoccuper le législateur?
[Traduction]
M. Jim Sclater: Ce que j'ai dit, c'est qu'une discrimination positive s'exerce au sein de la société, et j'ai donné un exemple, la nécessité d'avoir un certain âge pour faire telle ou telle chose. Pour ce qui est de la sexualité et de fonder une famille, nous disons qu'il y a certains critères, le principal étant que les partenaires doivent être de sexe opposé pour nouer une relation conjugale.
Les gais ont malheureusement fait l'objet d'une discrimination sur le marché, dans le domaine du logement et ainsi de suite. Nous nous sommes vigoureusement opposés à cela. Personne, dans notre société, ne devrait subir de discrimination en ce qui concerne l'accès aux choses fondamentales qui devraient être assurées à chaque citoyen.
[Français]
M. Réal Ménard: Je sens que vous voulez éluder ma question. Je sens aussi que vous allez vous faire du mal, parce que ce n'est pas vraiment dans votre genre. Est-ce que vous reconnaissez que, sur un strict plan juridique ou sociologique, sans tenir compte de la procréation, à laquelle nous pourrons revenir, il existe de la discrimination? Certaines personnes d'orientation homosexuelle s'engagent dans la vie de couple, forment des couples dont l'engagement n'est pas différent de celui des couples hétérosexuels. Reconnaissez-vous qu'une discrimination est exercée à leur endroit? Comme législateurs, devons-nous nous en préoccuper? Reconnaissez-vous qu'il existe de la discrimination à l'endroit des couples homosexuels, quant à la reconnaissance de leur couple?
M. Jim Sclater: Je dirais que, certes, il existe de la «discrimination». Mais nous la jugeons appropriée à cause du rôle absolument fondamental que joue le mariage hétérosexuel dans notre société. Bien des gens, au sein de la communauté homosexuelle, disent la même chose.
En ce moment même, en Californie, on discute de la proposition 22 et de la question que cela soulève. Certains chefs de file du mouvement gai ont déclaré que la société californienne n'était pas prête à reconnaître les mariages homosexuels. Le vote doit avoir lieu dans les prochains jours, je pense. Au Vermont, le processus a abouti à ce que les tribunaux leur disent—et c'est d'ailleurs ce que nos tribunaux ont dit au gouvernement, ici—qu'ils devaient trouver des moyens de mettre fin à la discrimination. Au Vermont, on les a laissés décider comment procéder, et l'idée d'autoriser les mariages gais a provoqué une énorme vague de protestations.
Je vais essayer de vous répondre rapidement en disant qu'il arrive un moment où il faut mettre le holà dans l'intérêt de la société toute entière. Nous savons qu'au sein de la communauté gaie, il y a une très petite minorité qui ne mettra pas fin... Ce que je veux dire, c'est que même si le projet de loi C-23 est adopté, il y en a qui s'adresseront aux tribunaux pour faire reconnaître pleinement leurs relations comme un mariage.
Le président: Merci, monsieur Ménard.
Madame Carroll.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je voulais revenir un peu sur le début de votre témoignage. Madame Buckingham, je lis ici que votre siège social est à Ottawa.
Mme Janet Epp Buckingham: Notre siège social est à Markham.
Mme Aileen Carroll: Votre organisation est donc basée en Ontario.
Mme Janet Epp Buckingham: Oui.
Mme Aileen Carroll: Nous reprendrons dans un instant, madame, mais M. Sclater a dit quelque chose qui me laisse un peu perplexe. Vous avez dit que vous êtes arrivé dans ce pays il y a 10 ans. Est- ce que votre organisation est basée en Ontario?
M. Jim Sclater: C'est de l'établissement de Focus on the Family ici que je parlais.
Mme Aileen Carroll: Bon. C'est ce que je demande. D'où vient l'organisation?
M. Jim Sclater: Elle a été fondée par M. James Dobson, en Californie, pour être précis, aux États-Unis.
Mme Aileen Carroll: Je ne connais pas aussi bien votre organisation que mes collègues.
M. Jim Sclater: L'organisation établie ici, au Canada, a son propre conseil d'administration, son propre président et ses propres politiques.
Mme Aileen Carroll: Et en ce qui concerne votre siège social, il est aussi situé en Ontario?
M. Jim Sclater: Non. Nous sommes basés à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Mme Aileen Carroll: Je vois. Ce que j'aimerais alors vous demander, dans le contexte de votre intervention devant nous, ici, à Ottawa, c'est ceci: lorsque le gouvernement de l'Ontario a déposé tous ces textes législatifs afin de respecter la décision de la Cour suprême, avez-vous, à ce moment-là, comparu devant le Comité de la justice du gouvernement ontarien?
Mme Janet Epp Buckingham: Le comité n'a pas tenu d'audience. Le gouvernement de l'Ontario a adopté ces textes législatifs en l'espace de deux jours. Nous avions transmis des mémoires au gouvernement ontarien avant que la législation soit déposée.
Mme Aileen Carroll: Vous auriez donc, l'un et l'autre, exprimé les mêmes opinions que celles que vous faites valoir aujourd'hui devant nous, si vous en aviez eu l'occasion?
Mme Janet Epp Buckingham: Oui.
Mme Aileen Carroll: Mais vous ne l'avez pas fait.
J'ai également de la difficulté, et c'est ce que M. Robinson essayait de vous faire préciser... Pour moi, la réponse que vous avez donnée aux questions qu'il vous a posées à propos des relations hétérosexuelles en union libre n'est pas claire. Que souhaiteriez-vous que fasse le gouvernement? Comment voudriez-vous que nous modifiions la législation de façon à intégrer vos opinions sur les unions de fait entre hétérosexuels? Je ne sais pas quelle est la réponse. Pourtant, j'écoutais avec beaucoup d'attention.
Mme Janet Epp Buckingham: Pour nous, je pense, le problème que posent les avantages octroyés aux couples en union de fait est que nous avons maintenant tout le recul nécessaire et que nous nous apercevons que nous aurions dû prendre une part plus active au débat que cela a suscité au moment où la proposition a été faite. Nos préoccupations à cet égard viennent en partie d'études effectuées par Statistique Canada—comme celle que nous allons déposer et qui s'intitule «Grandir avec maman et papa?»—qui démontre qu'il y a eu une augmentation marquée du nombre des unions de fait au cours des 15 à 20 dernières années, au fur et à mesure que l'on élargissait les droits, les avantages et les obligations aux couples en question. Nous sommes amenés à nous demander si l'élargissement de ces droits, de ces avantages et de ses obligations n'est pas en partie responsable de l'augmentation du nombre des unions de fait, ce qui aboutit, c'est clair, à la désintégration de la famille.
Mme Aileen Carroll: Pour moi, ce qui transpire de toutes ces discussions, c'est qu'elles tournent autour de la définition de la famille. À ce que je sache, on ne trouve dans la jurisprudence aucune définition de la famille. La common law définit certainement le mariage, mais à ma connaissance—et je ne suis pas avocate—il n'y a pas de définition de la famille.
• 1050
Selon moi, bien des gens sont aux prises aujourd'hui avec
l'image que donnait une émission comme «Leave it to Beaver»—si je
peux dire—de ce qui définissait le mariage à un certain stade de
l'évolution de notre société. Telle était l'idée que l'on se
faisait du mariage. Il y a beaucoup de mères célibataires qui se
donnent beaucoup de mal pour élever leurs enfants seules et qui
sont confrontées à ce qui est dit dans les écoles et qui correspond
peut-être à l'idée que se font les éducateurs de la famille. Je ne
pense pas que ce soit un concept facile à cerner du point de vue
idéologique. Je ne pense pas que nous, à titre de législateurs,
nous puissions prétendre, à quelque moment que ce soit, essayer
d'imposer une opinion en la matière. Je le répète, j'essaie de
tirer au clair comment, à votre avis, le gouvernement fédéral
pourrait, d'une façon ou d'une autre, intégrer dans le droit une
définition qui prescrirait clairement ce qu'est la famille
aujourd'hui.
Le président: Merci, madame Carroll. Pourriez-vous conclure?
Mme Aileen Carroll: Pourriez-vous me donner vos idées à ce propos? Comment devrions-nous procéder, à votre avis?
Mme Janet Epp Buckingham: J'ai deux observations à faire à ce sujet. Premièrement, Statistique Canada nous dit que ce que l'on appelle la famille traditionnelle, maman, papa et les enfants, est bel et bien le meilleur environnement dans lequel des enfants peuvent grandir. Il me semble donc difficile de dire que vous pouvez ignorer cette évidence, à titre de législateurs, et que dans la foulée, vous traitiez tout le monde sur le même pied, quelle que soit la façon de vivre que les gens adoptent, parce que nous ne voulons pas qu'il y ait d'exclus dans notre société. Certes, nous ne voulons pas qu'il y ait d'exclus et nous voulons aider tout le monde, mais il faut également reconnaître que pour élever des enfants, il y a une situation familiale qui leur est beaucoup plus favorable et bien meilleure pour assurer leur avenir.
Deuxièmement, je dirais qu'étant donné la façon dont ce texte législatif est structuré, il reste discriminatoire. Il y a encore toutes sortes de familles qui ne sont pas prises en compte. Le gouvernement fédéral dit qu'il ne peut définir ce que l'on entend par «famille» et qu'il va donc partir du principe que tous les types de familles doivent être traitées sur un pied d'égalité. Alors, qu'en est-il de la situation dans laquelle se trouvent deux femmes célibataires qui vivent ensemble depuis 20 ans et qui ont des relations platoniques, qui partagent tout, se considèrent comme les membres d'une famille mais, n'ayant pas de relations conjugales, ne vont pas être prises en compte par ce texte législatif? Méritent- elles moins d'être traitées comme une famille qu'un couple de lesbiennes? À mon avis, c'est l'un ou l'autre. Soit on donne de la «famille» une définition qui reflète une préférence parce que l'on reconnaît que cette situation là est dans l'intérêt de la société et des enfants, soit on n'exerce aucune discrimination et on couvre tout le monde et toutes les circonstances dans lesquelles vivent les gens tout en n'étant pas mariés.
Le président: Merci.
Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: Je trouve touchant que les témoins se soucient du sort de ces deux soeurs qui avancent en âge. Il est intéressant de noter qu'ils n'ont pas exprimé les mêmes préoccupations à propos de la situation d'un frère et d'une soeur vieillissants lorsqu'on a reconnu l'union de fait hétérosexuelle. Personne n'a alors laissé entendre que, d'une façon ou d'une autre, ils étaient victimes de discrimination.
J'aimerais revenir sur la remarque de Mme Carroll à propos des familles. Concentrons-nous un moment sur la famille. Considérez- vous qu'une mère célibataire et les deux ou trois enfants qu'elle élève constituent une famille?
M. Jim Sclater: Focus exerce un ministère important auprès des mères célibataires. Nous avons un magazine...
M. Svend Robinson: Considérez-vous que dans le cas que j'ai cité, il s'agit d'une famille?
M. Jim Sclater: Oh, oui, tout à fait.
M. Svend Robinson: Très bien, mais ce que vous semblez oublier, c'est qu'au Canada il y a beaucoup d'enfants qui sont également élevés par deux mères ou deux pères. Dans ce cas, considérez-vous qu'il s'agit aussi d'une famille? Deux mères, c'est-à-dire un couple de lesbiennes, qui élèvent des enfants? Ou encore deux hommes qui sont gais et qui élèvent des enfants? S'agit-il d'un couple? S'agit-il d'une famille?
M. Jim Sclater: Nous ne définissons pas ces situations de cette façon pour la simple raison que ce n'est pas le genre de couleurs que nous voulons défendre. Nous estimons que c'est le genre de chose qui peut déconcerter les jeunes. Naturellement, le sort des enfants et des parents qui se trouvent dans cette situation nous préoccupe beaucoup, nous nous intéressons à eux de près et nous espérons pouvoir les aider.
M. Svend Robinson: Mais il ne s'agit pas d'une famille.
M. Jim Sclater: Nous n'appelons pas cela une famille, non.
M. Svend Robinson: Donc, s'il y a une mère et deux ou trois enfants, c'est une famille, mais s'il y a deux mères, ce n'en est plus une.
M. Jim Sclater: Non, mais dans le cas d'une mère célibataire, nous disons...
M. Svend Robinson: C'est bien ce que vous dites? Je veux juste que les choses soient claires.
M. Jim Sclater: Oui.
M. Svend Robinson: Bon, je vous entends bien, mais je trouve bizarre l'argument que vous présentez.
J'aimerais vous poser juste deux ou trois autres brèves questions. Tout d'abord, monsieur Sclater, je crois vous avoir entendu dire que beaucoup de membres de la communauté gaie estiment que ce n'est pas une bonne idée. Est-ce du projet de loi que vous parlez? Dites-vous qu'ils estiment que ce projet de loi n'est pas une bonne idée? Que bien des membres de la communauté gaie...
M. Jim Sclater: C'est à cela que je faisais allusion, oui.
M. Svend Robinson: Bon, dans ce cas, je vais vous prendre au mot. Vous avez parlé du Vermont et de la Californie, mais nous sommes au Canada. Pouvez-vous me donner le nom d'un porte-parole reconnu de la communauté gaie et lesbienne du Canada qui a déclaré que ce projet de loi n'était pas une bonne idée?
M. Jim Sclater: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner le nom de ceux qui se sont prononcés contre ce projet de loi, c'est vrai. Je connais le nom de certains membres de la collectivité...
M. Svend Robinson: Vous avez fait une déclaration que, selon moi, vous ne pouvez pas confirmer.
M. Jim Sclater: Je crois que si, mais je ne vais pas, ici, nommer des gens qui, je le sais, se sont déclarés contre cette évolution. Je ne sais pas, mais je présume qu'ils se sont prononcés sur le projet de loi C-23. Vous avez parfaitement raison, je ne peux pas citer les propos de quelqu'un au sujet du projet de loi.
M. Svend Robinson: Vous ne pouvez donc pas citer un membre de la communauté gaie et lesbienne du Canada qui s'est prononcé contre ce projet de loi.
M. Jim Sclater: Je peux certainement citer des gens qui ont déclaré qu'ils s'opposaient à l'évolution des choses dans le sens que préconise ce projet de loi.
M. Svend Robinson: Mais ce n'est pas ce que vous avez dit, n'est-ce pas?
M. Jim Sclater: Excusez-moi?
M. Svend Robinson: Vous avez déclaré que certaines personnes en vue appartenant à la communauté gaie et lesbienne s'opposaient à ce projet de loi.
M. Jim Sclater: J'ai peut-être dit cela, mais je ne sais pas vraiment comment j'ai présenté la chose. Si c'est vrai, je reconnais mon erreur.
M. Svend Robinson: Bon, merci.
Le président: Dernière question.
M. Svend Robinson: Ma dernière question porte sur la définition de la «famille», et nous pourrions avoir une longue discussion à ce propos. En fait, je ne suis pas d'accord avec mon collègue, M. Ménard. Cela fait maintenant quelque temps que j'entretiens une relation avec mon partenaire. Nous formons une famille. Peut-être n'élève-t-on pas d'enfants, mais nous formons une famille. Et sans aucun doute, nombreux sont les gais et les lesbiennes qui estiment également former une famille avec leurs partenaires. De fait, il y a un groupe qui s'appelle la Foundation for Equal Families, et non la Foundation for Equal Couples. La famille à laquelle j'appartiens est tout aussi solide, tout aussi aimante que bien d'autres familles, et l'engagement sur lequel elle repose est tout aussi fort.
J'aimerais vous poser une question sur la définition de «conjoint»—et ce sera ma dernière question. J'ai noté avec intérêt qu'un député réformiste, M. Jay Hill, qui occupe en fait une position importante au sein du Parti réformiste—c'est lui le whip du parti, je pense—a donné une nouvelle définition du mot «conjoint» dans un projet de loi qu'il a déposé au Parlement, le projet de loi C-223, Loi modifiant la Loi sur le programme de protection des témoins. Il a proposé du mot «conjoint» la nouvelle définition suivante
Il a déclaré que cela s'applique également aux couples de gais et de lesbiennes. Avez-vous des observations à faire sur cette proposition du Parti réformiste? Êtes-vous pour ou contre?
M. Jim Sclater: Je n'étais pas au courant.
M. Svend Robinson: Comment réagissez-vous à cela?
M. Jim Sclater: J'aimerais lire le texte. Je sais que vous l'avez probablement cité exactement, mais ce que je veux faire valoir—et c'est autour de cela que tourne tout le débat—c'est que si nous voulons que le tissu social reste solide, il faut que les mots «mariage» et «conjoint» ne s'appliquent qu'à des couples hétérosexuels.
M. Eric Lowther: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Les témoins ne sont pas au courant du contexte dans lequel se situe le projet de loi, et on leur demande de faire des commentaires à ce propos. Il y a des détails relatifs au projet de loi qu'ils ne connaissent pas. Leur demander de faire des observations à ce sujet est injuste.
Le président: Je pense que les témoins savent qu'ils ont le droit de refuser de se prononcer s'ils ne se sentent pas compétents pour discuter des sujets qui sont abordés, s'ils en décident ainsi.
M. Svend Robinson: Je mettrais volontiers à la disposition des témoins une copie du projet de loi de M. Hill.
Le président: Merci.
Pour m'assurer que tous les angles de ce débat sont couverts, je dois signaler au comité qu'un organisme qui s'appelle Homosexuals Opposed to Pride Extremism a demandé à comparaître. C'est juste aux fins du compte rendu.
Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Jim, dans votre témoignage, vous avez indiqué que les gens qui rejettent ce style de vie sont contrariés de voir leurs taxes financer des avantages accordés aux homosexuels. Le ministre des Finances nous a dit que sur le plan des dépenses fiscales, ce texte législatif n'aurait aucun impact ou qu'il pourrait même générer un excédent étant donné les obligations fiscales qu'il implique. N'êtes-vous pas d'accord avec le ministre des Finances?
M. Jim Sclater: Qui aurait ce courage?
M. John Maloney: On ne peut pas dire mieux.
Quoi qu'il en soit, il y a des droits et il y a également des obligations. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous déclarez que...
M. Jim Sclater: Je comprends cela. Je dirais simplement qu'on a souvent entendu le gouvernement prétendre que bien des programmes n'auraient aucun impact financier, mais que nous avons eu de mauvaises surprises plus tard.
M. John Maloney: Pouvez-vous alors dire sur quoi vous vous appuyez pour faire une telle déclaration?
M. Jim Sclater: Selon moi, toute la question tourne autour de l'octroi des avantages, des couleurs que l'on défend, d'une certaine manière, comme j'aime à le répéter. Je ne pense pas que l'on se préoccupe vraiment de savoir si, en bout de ligne, cela est compensé.
Permettez-moi de demander à Derek de répondre, car je pense qu'il a étudié d'un peu plus près les dispositions telles qu'elles sont énoncées.
Pouvez-vous répondre à cette question, Derek?
M. Derek Rogusky: Une des choses qui nous préoccupe, c'est que, premièrement, les gens restent libres de déclarer ou non la relation en question. Lorsqu'il y a des obligations à la clef, les gens sont plutôt poussés à ne pas nécessairement faire de déclaration. C'est ce qui est arrivé dans la communauté des conjoints de fait hétérosexuels; ainsi donc, à notre avis, les gens se prévaudront beaucoup plus rapidement de leurs droits qu'ils se déchargeront de leurs obligations.
• 1100
Même si les recettes compensent les dépenses, de nombreux
Canadiens s'opposeraient tout simplement au fait que des programmes
financés à même les fonds publics appuient un style de vie qu'ils
rejettent pour quelque motif que ce soit. La question n'est pas
tant de savoir si on gagne ou si l'on perd de l'argent en faisant
cela; c'est juste l'idée que le gouvernement agit au nom de
certains contribuables qui met les gens mal à l'aise.
M. John Maloney: Je tiens à souligner que des pressions ont été exercées sur le gouvernement par des couples mariés qui étaient préoccupés ou contrariés par le fait que les conjoints de sexe opposé vivant en union libre payaient moins d'impôt. En 1993, nous avons fait disparaître cette inégalité de traitement. N'est-ce pas la même chose?
M. Derek Rogusky: Certes, mais on a entendu dire—même si évidemment, rien ne peut être prouvé à cet égard—que certaines personnes ne déclaraient pas la relation qu'ils entretenaient afin d'éviter des obligations découlant du fait d'être considéré comme un couple marié lorsqu'on vit en union libre.
M. John Maloney: Vous avez fait allusion, je crois, à la définition de la «famille» que l'on trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Un responsable du ministère des Finances qui témoignait devant nous nous a fait remarquer que cette définition s'appliquait uniquement aux colonies huttériennes. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Derek Rogusky: Encore une fois, à notre avis, c'est juste la charge symbolique de la chose qui est importante. C'est le fait que nous redéfinirions le mot «famille» dans des textes législatifs en vigueur. C'est l'un des rares endroits où l'on donne en fait une définition de ce que l'on entend par «famille». À l'heure actuelle, dans le cas d'un adulte non marié, on entend par «famille» une personne et les enfants non mariés de cette personne qui ne sont pas encore arrivés à l'âge adulte et dans le cas d'un adulte marié, une personne, son conjoint et les enfants non mariés de l'un ou l'autre des conjoints ou ceux qui sont issus de leur union et qui ne sont pas adultes. On veut maintenant élargir cette définition pour couvrir des conjoints de fait du même sexe ainsi que leurs enfants. Nous disons tout simplement que ce qui est important, c'est tout le symbolisme qu'il y a derrière la modification de la définition de la famille pour en faire quelque chose de très différent de ce que nous avons connu jusqu'ici.
Mme Janet Epp Buckingham: J'ajouterais qu'à mon avis, les huttériens ne sont sans doute pas favorables à cette modification de la définition de leurs colonies.
Le président: Monsieur Maloney, vous pouvez poser une très brève question, mais nous avons déjà dépassé le temps qui nous était imparti et il y a des témoins qui attendent.
M. John Maloney: Je n'ai pas entendu tout ce que vous avez dit, Jim, mais dans la dernière partie de votre déclaration que j'ai pu saisir, vous avez dit quelque chose comme «parce que le Canada est un pays tolérant». Ce texte législatif ne porte-t-il pas avant tout sur la tolérance?
M. Jim Sclater: On m'a posé cette question plus tôt, sous prétexte que l'élément moteur, c'est l'idéologie. Nous pensons qu'on a fait de la tolérance la valeur la plus prisée. La tolérance bien comprise est une merveilleuse vertu, mais c'est le mot qui a servi d'écran à tout le mouvement en faveur de la reconnaissance des droits. Je dirais que dans ce contexte, on ne devrait pas invoquer la tolérance à propos de la question qui nous occupe dans le cadre dont nous en discutons. On dépouille le mariage de toute sa signification et l'on pare de tous les avantages tout autre arrangement que peuvent faire les gens.
Pourquoi quelqu'un d'autre ne viendrait-il pas protester en disant que ce texte ne couvre pas la situation dans laquelle il vit? C'est toujours un sujet délicat, et je ne vais pas continuer dans cette veine, mais il y en a d'autres qui pourraient se faire entendre. On a vu sur la Colline trois personnes mettre en scène une parodie de mariage. Bêtise, pourrait-on dire, mais cela indique que les rênes nous échappent, que les définitions s'estompent rapidement.
Le président: Merci, monsieur Maloney. Il y a des gens qui attendent, et ils vont finir par ne plus avoir le temps de témoigner.
J'aimerais remercier les députés de leur collaboration au bon déroulement de ce débat. Je tiens également à vous remercier, madame et messieurs les témoins, d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vous nous avez aidés dans un processus qui va nous permettre d'élaborer ce qui sera, selon nous, une loi appropriée.
Merci.
Nous reprenons nos travaux dans cinq minutes. La séance est levée.