STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 29 mai 2001

• 0913

[Traduction]

Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux témoins.

C'est la dernière semaine d'audiences. Aujourd'hui, nous avons une liste assez intéressante de personnes de diverses régions du pays. Vous savez probablement déjà que vous avez été choisis par les divers membres du comité. Nous nous réjouissons d'entendre votre exposé et de vous poser ensuite des questions. Nous avons le quorum.

Je tiens à remercier les membres, présents ou absents, qui nous ont aidés en suggérant des noms de participants pour les deux tables rondes. Je vous rappelle que les tables rondes ont pour but de clarifier au moins deux questions importantes. La première est celle de l'intendance et de l'indemnisation et l'autre est celle de la protection de l'habitat.

Le greffier a préparé deux dossiers pour faciliter les discussions qui se dérouleront au cours des prochaines semaines, avant l'ajournement d'été. Ce serait bien d'avoir terminé les discussions avant l'été car il faut battre le fer tant qu'il est chaud et profiter de ce que les connaissances que nous avons acquises sont encore fraîches. Cela permettrait à ceux et celles qui le désirent de préparer des amendements pendant l'été de sorte qu'à l'automne, lorsque la session reprendra, nous pourrons passer à cette étape de l'étude du projet de loi.

Je vous signale également que nous recevrons bientôt un nouveau projet de loi, la loi sur l'évaluation qui est actuellement à l'étape de la deuxième lecture à la Chambre. Nous entamerons son étude quand nous en aurons fini avec le présent projet de loi.

En outre, la nouvelle Commissaire à l'environnement et au développement durable a manifesté un vif désir de nous rencontrer. Elle présentera de toute apparence un rapport au mois de septembre. Il faudra peut-être l'examiner de près, parce que ses rapports sont généralement explosifs, surtout pour les partis de l'opposition. Par conséquent, vous aurez besoin de temps cet automne pour faire tout ce qu'il y a à faire.

• 0915

En plus des sujets examinés dans le cadre des tables rondes, il y a un autre point qui concerne l'avis juridique préparé par le ministère de la Justice pour Environnement Canada. Plusieurs membres ont manifesté le désir de voir le texte de cet avis. Pour l'obtenir, il est nécessaire de présenter une motion pour demander à Environnement Canada de nous remettre cet avis, pour autant que cette motion soit adoptée. C'est le client et non le ministère de la Justice qui a le droit de remettre un avis juridique. Par conséquent, le greffier distribuera une motion, qui sera soumise à la période d'attente habituelle de 24 heures, dont nous pourrions discuter brièvement demain et sur laquelle nous pourrions prendre une décision.

Avant d'appeler les témoins à la table, je voudrais savoir si vous avez des questions ou des commentaires.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Monsieur le président, je voudrais savoir qui a confirmé sa présence pour la table ronde, parce qu'on ne sait pas très bien si toutes les personnes invitées participeront.

Le président: Le greffier peut répondre.

Le greffier du comité: Je peux vous dire qui pourra venir. M. Schindler ne pourra pas venir et M. Pearse doute beaucoup pouvoir venir. En ce qui concerne le représentant du Ralliement national des Métis, il pourra venir à la rigueur. Les autres n'ont pas confirmé.

Le président: Merci. Y a-t-il d'autres questions?

Madame Carroll.

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): M. Schindler ne peut pas venir mais les autres professeurs ou docteurs qui doivent faire partie de la table ronde de scientifiques ont confirmé leur participation. Est-ce bien cela?

Le greffier: Oui.

Mme Aileen Carroll: Excusez-moi.

Le président: Merci.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan: Monsieur le président, pour le compte rendu, je signale que j'estime très important pour nous d'avoir l'occasion de participer aux discussions à propos des témoins. À cause de cette façon de procéder, nous avons trouvé des noms de témoins sur les listes sans en avoir été avisés. Nous avons adopté diverses politiques pour le choix des personnes à inviter et pour déterminer la nature de la représentation. À mon avis, il est très important qu'à l'occasion de l'étude du prochain projet de loi ou de quelque autre sujet, nous envisagions d'adopter une façon de procéder acceptable pour les membres du comité, en ce qui concerne le choix des témoins et l'établissement du calendrier des séances du comité.

Le président: Si j'ai bonne mémoire, dès le mois de mars nous avions dit que nous tiendrions des tables rondes avant l'été. Par conséquent, j'estime qu'on en a déjà assez discuté. Je suis sûr que le greffier a transmis des renseignements concernant la composition de... en fait, ce sont les membres qui lui ont fourni ces renseignements. Si vous n'avez pas été avisés assez longtemps d'avance, j'en discuterai volontiers avec le greffier et nous verrons ce qu'on peut faire pour améliorer le système.

Y a-t-il d'autres observations ou d'autres questions? Dans ce cas, nous examinerons demain la motion concernant l'avis juridique du ministère de la Justice. Nous passons maintenant la parole aux témoins; je suppose que certains d'entre eux sont déjà dans cette pièce.

J'invite ceux et celles qui sont assis au fond de la salle à s'avancer à la table. Le premier témoin est M. Nightingale, du Vancouver Aquarium Marine Science Centre.

• 0920

Je vous souhaite la bienvenue. Nous apprécierions que vous fassiez un bref exposé pour nous permettre de passer la parole aux autres témoins puis de faire un tour de questions, voire deux, selon le temps qu'il nous restera d'ici 11 heures.

Monsieur Nightingale, vous avez la parole.

M. John Nightingale (président, Vancouver Aquarium Marine Science Centre): Merci. Je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de faire un exposé.

Je suis arrivé des États-Unis au Canada en 1973 pour diriger l'Aquarium de Vancouver. J'ai décidé de m'établir au Canada notamment à cause de sa grande beauté naturelle, de sa diversité, de sa faune et de sa nature pratiquement intacte. La richesse incroyable de la flore et de la faune est une des raisons pour lesquelles un projet de loi sur les espèces en péril protégeant les plantes et les animaux est nécessaire.

Ce projet de loi est nécessaire. Je l'appuie sans la moindre réserve et, en juin 2000, quand je suis devenu citoyen canadien, j'ai commencé à le voir sous un angle différent. Je suis donc ici à trois titres, qui ne sont pas tous évidents. Premièrement, je suis ici à titre de citoyen. Je suis biologiste et j'ai maintenant la double citoyenneté; je tiens donc beaucoup à ce que nous léguions un patrimoine naturel intact à nos arrière-arrière- arrière-petits-enfants.

Deuxièmement, je suis président du Vancouver Aquarium Science Centre qui est, en vertu d'une proclamation gouvernementale, l'aquarium national pour la région du Pacifique.

Troisièmement, je suis membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des jardins zoologiques et des aquariums, c'est-à-dire de l'association professionnelle qui regroupe les 24 jardins zoologiques et aquariums les plus intéressants du Canada. Je représente donc cette association.

J'ai décidé de fusionner dans mes notes le témoignage du Vancouver Aquarium Marine Science Centre et celui de l'Association canadienne des jardins zoologiques et des aquariums.

Au début des années 70, comme étudiant de troisième cycle de l'Université de Washington, j'ai eu une occasion très spéciale. Étant biologiste, j'ai suivi les lois qui ont précédé la Endangered Species Act américaine de 1973, c'est-à-dire la Endangered Species Act de 1966 et la Species Conservation Act de 1968. C'est alors que j'ai pris conscience des liens entre la biologie et la politique.

J'ai eu l'insigne honneur de collaborer avec certains membres du personnel du bureau du sénateur Warren Magnuson. Maggie—c'est le petit nom familier qu'on lui donnait—était un des premiers instigateurs de la Endangered Species Act. Un soir, alors que nous étions assis sur une série de bureaux dans le bureau de la faculté des pêches de l'université, je crois que j'ai appris davantage que jamais auparavant pendant l'heure et demie de discussion avec le sénateur. Mes opinions actuelles en la matière ont en fait été fortement influencées par cette discussion.

Je crois que le projet de loi C-5 est absolument nécessaire. Aussi, les organismes dont je suis le porte-parole aujourd'hui appuient chaleureusement son adoption, que je recommande également à titre personnel. Est-il parfait? Je ne le pense pas. Est-il applicable? Certainement. Constitue-t-il un cadre qui permettra une collaboration plus productive avec les propriétaires fonciers, les entreprises, les ONG, les étudiants et les citoyens? Je pense que oui.

Le système de gouvernement n'est pas le même au Canada qu'aux États-Unis. C'est manifeste, et ce l'est encore plus pour vous que pour moi. Je ne crois pas qu'une loi du style de la loi américaine soit possible ou applicable au Canada. Je ne pense pas non plus qu'une telle loi puisse être applicable dans la même mesure qu'aux États-Unis. Comme vous le savez déjà et comme vous l'ont dit, je pense, d'autres témoins, la loi américaine est une loi très prescriptive: elle désigne les solutions à mettre en oeuvre dans divers cas précis. Elle ne consulte pas la population américaine et ne la fait pas participer. Elle crée un climat de confrontation autour de la question de la durabilité et de la préservation des espèces en voie de disparition. Je pense que de telles méthodes ne sont pas très productives à long terme.

Après avoir travaillé pendant 20 ans dans des jardins zoologiques et dans des aquariums, j'en suis arrivé à la conclusion que notre meilleur espoir de léguer à nos petits-enfants un pays à peu près semblable à celui que nous connaissons aujourd'hui, en matière d'histoire naturelle, de flore, de faune et de productivité, repose sur la sensibilisation et la participation du public à grande échelle.

• 0925

Nous vivons dans un pays très riche et il faudra la participation et la collaboration du plus grand nombre possible de Canadiens pour préserver ces richesses. L'aspect du projet de loi C-5 que j'apprécie le plus est qu'il n'est pas trop prescriptif. Il fait place à la collaboration. Il constitue un cadre qui permettra de déterminer quelles sont les espèces en voie de disparition, les espèces menacées et les espèces en péril, et de les aider, de telle sorte que, s'il est mis en oeuvre de façon sérieuse au cours des prochaines années, il incitera diverses entreprises et divers organismes canadiens à collaborer pour atteindre les objectifs en matière de conservation.

L'Aquarium de Vancouver et l'Association canadienne des jardins zoologiques et aquariums pensent qu'il faudrait adopter le projet de loi C-5 dans les plus brefs délais et ce, parce que nous ne pensons pas qu'il soit possible de préserver notre patrimoine naturel rien que par le biais de lois et de règlements. La durabilité authentique n'est possible que si l'on avive le désir—ou la volonté—du public de collaborer.

L'expression que j'utiliserai dans ce contexte est celle de collaboration structurelle. Il faut instaurer un système qui nous permette d'examiner ensemble les divers problèmes sous tous leurs angles. Les enjeux sont importants et il faut établir un dialogue constructif pour trouver un juste milieu entre le développement et la protection, entre les considérations économiques, l'emploi et une protection durable de l'environnement.

Nos contacts avec le public et tous les résultats de sondages que j'ai vus indiquent que la population en est consciente. Elle sait que la situation n'est pas parfaite, mais elle manifeste une réelle volonté et un réel désir d'engagement. D'après mon expérience, les Canadiens—dont je suis un échantillon—souhaitent davantage que les Américains avoir voix au chapitre et s'investir. Ils veulent savoir ce qui se passe. Ils veulent s'assurer que les autorités font ce qu'il faut. Dans le présent contexte, toutes les personnes auxquelles nous avons parlé et tous les résultats de sondages que j'ai vus indiquent que les Canadiens estiment qu'un tel cadre est indispensable pour protéger les espèces en voie de disparition ou menacées.

Comme tous les autres témoins, je suppose, nous avons deux ou trois recommandations à faire qui pourraient donner plus de vigueur à la loi. La première est que le processus d'établissement de la liste des espèces par le COSEPAC doit être irréprochable, ce qu'il n'est pas pour l'instant. Deux des membres de mon équipe font partie de divers comités. D'après ce qu'ils m'ont raconté, il est clair que plusieurs membres de ces comités, qui représentent une association industrielle ou un ministère, ont commis des abus d'influence.

Le choix des membres du COSEPAC, leur travail d'évaluation et l'établissement de la liste des espèces désignées doivent être irréprochables parce que c'est absolument essentiel pour protéger les espèces en voie de disparition. Si une espèce est vraiment en péril pour quelque raison que ce soit, il faut que nous le sachions tous. Des mesures appropriées ne peuvent être prises que si les décisions sont prises en toute impartialité.

Je crois par ailleurs que la Loi sur les espèces en péril devrait être considérée comme un processus évolutif. Aux États- Unis, deux lois ont précédé la Endangered Species Act. Depuis lors, cinq nouvelles autorisations ont été accordées. Chaque fois, le cadre fondamental de la Endangered Species Act est resté intact, mais d'importantes modifications ont été apportées en ce qui concerne sa mise en oeuvre et les définitions.

Les membres de votre comité et le Parlement auraient beau en discuter pendant cinq ans qu'ils n'arriveraient probablement jamais à adopter une loi parfaite et ce, dans une certaine mesure, parce qu'on doit apprendre par l'action—par la mise en oeuvre de la loi. Je crois qu'au cours des deux ou cinq premières années de la mise en oeuvre de la Loi sur les espèces en péril, nous tirerons des enseignements qui nous pousserons à vouloir en modifier certaines dispositions.

Je voudrais qu'il soit spécifié dans le projet de loi qu'un examen officiel devra être effectué après cinq ans. Je crois qu'il sera nécessaire de réunir à nouveau un groupe comme le nôtre pour faire une évaluation officielle de l'efficacité des dispositions de la loi en ce qui concerne la protection de la flore et de la faune.

• 0930

Une des recommandations que nous voudrions faire pour que le processus du COSEPAC et l'administration des espèces en péril demeurent irréprochables est d'envisager la création d'un bureau des espèces en péril, ou d'un bureau du patrimoine naturel durable, qui serait chargé d'administrer la mise en oeuvre proprement dite de la loi. Ce bureau devrait relever directement du Parlement—je dis bien du Parlement et pas seulement du gouvernement au pouvoir.

Nous suggérons en outre d'exiger que le dirigeant de ce petit groupe administratif présente chaque année un rapport au Parlement, en personne, pour le mettre au courant des réalisations, des réussites, des échecs et des changements nécessaires; il conviendrait aussi d'accorder à ce bureau le mandat de vous présenter, une fois tous les quatre ans par exemple, les modifications qu'il propose et de se soumettre à l'examen quinquennal que nous proposons.

En conclusion, l'aquarium de Vancouver et l'Association canadienne des jardins zoologiques et des aquariums, qui compte 24 membres, recommandent vivement l'adoption du projet de loi C-5. C'est un bon cadre; c'est une bonne base de départ. En ce qui nous concerne, nous nous engageons à collaborer avec Environnement Canada, avec les autres organismes fédéraux et avec un éventuel bureau indépendant pour aider les Canadiens à le mettre en oeuvre.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Nightingale.

Le témoin suivant, d'après la liste, est Mme Cleverley, de Toronto. Nous sommes très heureux que vous ayez pu venir. Voudriez- vous faire un exposé?

Mme Pheobe Cleverley (présidente, Naturalistes de terrain de Toronto): Merci.

C'est une toute nouvelle expérience pour moi. Je suis présidente des Naturalistes de terrain de Toronto mais je ne suis pas ici pour exposer une position officielle de notre club. J'apprécie l'occasion que vous me donnez de témoigner. Comme M. Nightingale, je suis très dévouée à cette cause. Je suis heureuse que ce projet de loi se présente enfin sous une forme qui permettra probablement de passer à l'action.

Je suis naturaliste de terrain et je suis par conséquent plus habituée à me balader en pleine nature coiffée de mon chapeau Tilley, les jumelles au cou et ma bibliothèque personnelle sur le dos, pour observer les oiseaux, les plantes et les autres beautés de la nature. Aussi, je ne suis pas très habituée à faire des discours, surtout dans un contexte comme celui-ci.

J'ai toutefois lu le projet de loi et je trouve que l'on a bien fait d'en envoyer un exemplaire à des personnes comme moi, car cela nous permet de mesurer la complexité du problème dont les ramifications sont si nombreuses que cela oblige à faire un véritable travail de tisserand. Les personnes qui n'ont pas une connaissance intime du problème ont parfois une vue simpliste quant à la façon de s'y prendre pour le résoudre. Cependant, comme l'a si bien dit M. Nightingale, j'apprécie les divers éléments qui ont été réunis dans ce projet de loi.

Je crois qu'on a procédé à peu près de la même manière en Ontario, en organisant des tables rondes auxquelles on a fait participer l'industrie—au lieu de l'accuser, comme les écologistes ont tendance à le faire—, les Autochtones, qui savent par expérience comment la situation a évolué sur le terrain à mesure que le pays se peuplait et s'industrialisait, ainsi que des représentants du gouvernement et des personnes qui travaillent sur le terrain.

Tous ces fils doivent être réunis afin d'obtenir un tissu assez solide pour affronter la situation actuelle; je crois en effet que les Canadiens se rendent compte que de nombreuses espèces sont menacées. Ces espèces sont réparties entre diverses catégories précises et la situation évolue sans cesse, mais la tendance générale est à la diminution du nombre et de la diversité des espèces sauvages. C'est ce que l'on peut du moins constater sur le terrain.

• 0935

Je suis donc d'accord avec M. Nightingale et je pense que sa suggestion concernant l'établissement d'une procédure très précise en matière de rapports est excellente.

Si j'ai bien interprété les commentaires de mes collègues, ils pensent que tout cela est bien beau sur papier mais qu'il faut voir comment la loi sera mise en oeuvre et comment ses dispositions seront appliquées. Nous voulons être sûrs que ce ne sont pas des mots creux. C'est une excellente idée de vouloir éduquer, encourager et collaborer; encore faut-il appliquer toutes ces dispositions. Elles sont là. Je crois qu'il est possible d'atteindre les objectifs. Il faut cependant mettre ces principes en application et prévoir un nombre suffisant d'observateurs et d'exécutants sur le terrain.

C'est un des points sur lesquels j'insiste beaucoup. Il ne faut pas que ce soit seulement un beau texte—et c'est le cas; encore faut-il prévoir des fonds suffisants et un personnel sur le terrain ayant une formation solide pour mettre toutes ces dispositions exécutoires en application.

Les pouvoirs publics ont la plupart du temps tendance à ne pas écouter les exécutants. J'espère que le gouvernement écoutera ceux et celles qui oeuvrent sur le terrain. J'avais une très bonne opinion du COSEPAC à cet égard, mais les commentaires de M. Nightingale sur le parti pris de certains membres de ce comité m'ont ouvert les yeux.

Le président: Ne sommes-nous pas tous un peu partiaux?

Mme Pheobe Cleverley: Bien sûr. J'ai un parti pris en faveur de la préservation de l'environnement. J'ai probablement déjà plus de petits-enfants que vous et, par conséquent, je vois le problème avec les yeux d'une personne âgée; je veux léguer un patrimoine correspondant le plus possible aux souvenirs de mon enfance, dans notre société de plus en plus industrielle.

Ce matin, au petit déjeuner, je lisais un article de Andy Kenney dans Seasons, la très belle revue de la Fédération des naturalistes de l'Ontario, concernant les boisés fragmentés et leurs conséquences sur les espèces en voie de disparition. Des lois et des règlements très stricts sont nécessaires pour protéger l'habitat. Par exemple, si un boisé est traversé par un chemin, il est fragmenté, même si le chemin ne couvre pas une très grande superficie de terrain. Par conséquent, les espèces qui vivent au coeur de la forêt ne peuvent plus y rester. Les espèces de l'écotone prolifèrent alors qu'elles sont pour la plupart de type prédateur ou qu'elles sont nuisibles pour les espèces qui vivent en pleine forêt.

Tout cela est très complexe et nous ne sommes pas toujours conscients de toutes les ramifications du développement, qui a notamment une incidence sur l'écoulement des eaux de pluie. Au lieu d'être absorbées par le sol, elles ruissellent vers les ruisseaux dont elles gonflent les eaux. Les eaux de crue rongent les berges. Nous le constatons quand nous faisons des randonnées à pied.

Je considère que la protection de l'habitat est extrêmement importante et je voudrais qu'elle se manifeste par des gestes concrets sur le terrain.

Je suppose que je suis ici pour apporter mon appui à cette initiative en espérant que tout sera pour le mieux. Je ne mobiliserai pas davantage votre attention à moins qu'il y ait un sujet dont vous souhaiteriez que je parle.

Le président: Merci, madame Cleverley. Nous poserons des questions plus tard.

Le témoin suivant est M. Kure. Vous pouvez faire un bref exposé. Allez-y.

M. Colin Kure (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Je suis un simple citoyen de l'Ouest. Nous sommes très inquiets de ce qu'il adviendra de la flore et de la faune de notre pays.

• 0940

Je tiens à remercier les membres du comité de me permettre de faire cet exposé.

Mon épouse Diana et moi, tout comme nos deux fils et nos quatre petits-enfants, vivons à Red Deer River Valley, dans le centre-ouest de l'Alberta. Nous sommes à 40 minutes de voiture des Rocheuses. Mes petits-enfants sont la sixième génération de Kure à travailler la terre. Nous sommes propriétaires d'une ferme mixte d'une superficie de 1 200 acres et consacrons une grande partie de notre temps libre à jouir des agréments de la vie dans notre région.

Les ancêtres de tous les résidents s'y sont installés au début du siècle et la plupart d'entre nous pratiquent la chasse et la pêche et participent aux initiatives de conservation depuis le début. Mon grand-père est membre fondateur de l'Alberta Fish and Game Association.

Étant donné que les terres de notre région sont cultivées et que la plupart des résidents contribuent à la bonne gestion des terres à parc qu'elle contient, la valeur des terres est parmi les plus élevées au pays. Les résidents de longue date et les nouveaux venus accordent un très grand prix et une grande valeur à la diversité des espèces et des habitats de la région. Nous sommes conscients depuis un certain temps de l'importance de préserver l'habitat naturel et la faune; aussi, de nombreux groupes bénévoles ont pris des initiatives pour les préserver. Pour ma part, j'ai participé à des programmes de gestion des terres à parc, aux activités de groupes de travail sur les bassins d'alimentation, à la planification environnementale, aux activités du comité de planification environnementale en agriculture et à celles du comité de chasse et pêche, de l'environnement et de l'agriculture. Je fais maintenant partie du groupe d'étude sur le bassin de la rivière Rouge.

J'ai également participé aux activités du groupe d'évaluation des incidences cumulatives sur les versants est des Rocheuses. Depuis quelques années, toutes ces initiatives ont l'appui de la population en général. Cependant, l'un des nouveaux problèmes, qui est probablement particulièrement marqué dans la région des versants est des Rocheuses, est l'incidence profonde qu'aura le développement considérable du tourisme et des loisirs en nature sur les terres publiques et privées. Ce développement est favorisé par l'information instantanée, par les médias et par les fabricants de matériel de jeu et de sport. Je me demande si le nouveau projet de loi permettra d'enrayer cette menace.

Les effets préjudiciables de la présence d'un grand nombre de personnes seront les plus marqués dans les zones publiques ou les zones vertes de notre province. Certains groupes sont d'avis que la population doit s'occuper davantage de la protection des ressources plutôt que de s'en remettre aux gouvernements pour voter de nouvelles lois, prendre de nouveaux règlements et adopter des dispositions obligatoires limitant les libertés civiles.

Pour ce qui est de l'application de la nouvelle loi touchant la protection des espèces, la plupart d'entre nous souhaitent que des consultations et une indemnisation soient prévues, dans les cas où elles sont jugées nécessaires, en se basant sur des données scientifiques plutôt qu'en cédant à diverses pressions politiques. Bien qu'il y ait lieu de prendre des règlements à cet égard, l'application arbitraire et rigoureuse des règlements environnementaux peut être très intimidante et pourrait aller à l'encontre d'une approche collective au problème du maintien de l'habitat. Si l'on s'y prend bien avec les producteurs et les exploitants des terres publiques et privées, nous pourrons, je pense, contribuer dans une large mesure à la protection des diverses espèces végétales et animales sauvages.

• 0945

Il serait sans doute souhaitable de collaborer avec les groupes et organismes locaux ou régionaux déjà en place afin que tous participent à l'atteinte de résultats positifs. Dans notre région, au cours des cinq dernières années du moins, de nombreux groupes se préoccupent du maintien de l'habitat et de la protection de l'environnement. Par le passé, il y a eu un manque de communication entre les divers ministères fédéraux et provinciaux, sans parler de la communication interministérielle. Pour résoudre ce problème, une bonne communication de l'information entre les divers paliers de gouvernement et la population est nécessaire. Elle accélérerait l'adoption d'une approche intéressante en matière de protection des espèces.

Plusieurs ministères fédéraux qui sont déjà implantés dans notre région, comme l'Administration du rétablissement agricole des Prairies, Habitat faunique Canada et le ministère des Pêches et des Océans, pourraient collaborer à la sauvegarde des espèces en péril. Je pense qu'il y a maintenant dans la région de nombreuses personnes bien informées et que, pour autant que l'on collabore, des initiatives très constructives pourraient être prises dans le domaine de la protection de l'environnement.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Kure. Nous sommes reconnaissants à M. Mills de nous avoir suggéré de vous inviter et nous vous remercions de nous faire profiter de vos opinions et de votre expérience.

Pourriez-vous faire votre exposé, monsieur O'Ferrall?

M. Brian K. O'Ferrall (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Je m'appelle Brian O'Ferrall. Je vous remercie de me permettre de témoigner et je remercie tout particulièrement M. Eugene Morawski, que je n'ai pas rencontré, de m'avoir aidé à venir aujourd'hui.

Je suis avocat et je suis membre associé d'un grand cabinet d'avocats de Calgary depuis 20 ans. Ma pratique consiste à représenter des propriétaires fonciers, des compagnies pétrolières et des groupes écologiques dans le contexte de projets pétroliers et gaziers, de l'exploitation houillère, des pipelines, des lignes électriques, des projets forestiers, des projets routiers et autres projets analogues. J'ai été président et membre du premier conseil d'administration de l'Environmental Law Centre qui a son siège à Edmonton et qui est un des premiers centres du droit de l'environnement du pays. J'ai également été président de l'Alberta Expropriation Association.

L'aspect de la Loi sur les espèces en péril dont je me propose de parler est celui qui concerne l'indemnisation. Comme vous le savez, le paragraphe 61(1) de cette loi interdit la destruction de l'habitat essentiel d'une espèce menacée ou en voie de disparition. Le paragraphe 64(1) stipule que le ministre peut indemniser toute personne des pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l'application de l'interdiction de détruire un habitat essentiel. Le modèle d'indemnisation préconisé par M. Pearse et par d'autres personnes est un modèle d'expropriation et je le trouve intéressant.

Je fais partie d'un groupe de quelques avocats et évaluateurs qui a fait pour ainsi dire des milliers d'expropriations. Notre expérience en matière d'expropriation et d'indemnisation liée à l'expropriation est inégalée dans les autres régions du pays. Ce n'est pas parce que nous sommes particulièrement compétents mais plutôt parce qu'en Alberta, on procède chaque année à au moins une vingtaine de milliers d'expropriations ou d'acquisitions de terres sous la menace d'expropriation, tant des terres franches que des terres de la Couronne. La plupart de ces acquisitions libres ou forcées couvrent de petites superficies, c'est-à-dire qu'elles ne concernent qu'une parcelle de terrain et que, dans certains cas, leur seule conséquence est une perte de jouissance temporaire.

• 0950

C'est donc le contexte dans lequel je vous présente cet exposé. Je ne reparlerai plus de mes antécédents. Si j'ai bien compris, mon mémoire vous a été distribué. Je compte passer brièvement en revue les divers points de ce document.

Dans le premier paragraphe, je parle du projet de loi. Un point qui n'a pas encore été signalé, je pense, dans les divers exposés, est que c'est l'interdiction prévue dans le projet de loi, à savoir l'interdiction de détruire l'habitat essentiel d'une espèce menacée inscrite, qui déclenche le processus d'indemnisation. Ce ne sont pas les restrictions réglementaires mais c'est plutôt l'interdiction qui donne lieu à une indemnisation.

Dans les 2e, 3e et 4e paragraphes, j'explique ce qui constitue une expropriation. La Cour suprême du Canada en a établi la définition. Il ne s'agit pas toujours d'acquisition forcée d'un bien-fonds ou d'acquisition de tous les intérêts sur une partie de bien-fonds. Il s'agit parfois d'acquisition d'un certain intérêt sur un bien-fonds.

D'une manière générale, l'expropriation est fondée sur une procédure dont il est question aux 5e, 6e, 7e et 8e paragraphes de mon mémoire. Elle comprend une procédure pour l'expropriation proprement dite, y compris le droit du propriétaire de contester l'acquisition forcée. Cependant, le propriétaire n'aurait, bien entendu, plus ce droit, en cas d'identification d'une espèce menacée ou en voie de disparition. Il n'aurait pas le choix.

En outre, le propriétaire devrait accepter que l'interdiction s'applique à son bien-fonds mais si l'on s'inspire des autres modèles, il devrait avoir le droit de remettre en cause l'acquisition forcée, autrement dit de douter que le bien-fonds identifié comme contenant un habitat essentiel est bien le terrain en question. Il pourrait poser par exemple des questions comme celles-ci: Est-il nécessaire de faire l'acquisition d'une plus grande ou d'une plus petite superficie de terrain? Est-ce indispensable? Est-ce que cette initiative permettra d'atteindre les objectifs visés par la Loi sur les espèces en péril? Il s'agit d'un processus d'enquête indépendante qui a pour but de déterminer si l'expropriation est nécessaire. Le rôle de l'agent enquêteur indépendant se borne à faire une recommandation. C'est le ministre qui prend la décision finale.

Le processus d'enquête indépendant suivi en Alberta exige que la personne qui prend la décision soit au moins en mesure de la justifier, ne fût-ce que devant un agent enquêteur indépendant qui n'a d'autres pouvoirs que l'autorité morale de faire une recommandation. Ce processus permet également au propriétaire de plaider sa cause devant le tribunal.

Il n'est pas nécessaire que ce processus soit très élaboré. En Alberta, il ne dure pas plus de 30 à 90 jours. Il ne se déclenche pas si le propriétaire ne remet pas l'acquisition en cause. Ce droit n'est pas toujours exercé. Sur les 20 000 expropriations dont j'ai parlé, on fait peut-être quelques enquêtes par an. La procédure ne doit pas nécessairement être coûteuse non plus. Les coûts ont été limités. Il n'est pas toujours nécessaire de faire intervenir un avocat. La question peut être réglée par le propriétaire du terrain et la compagnie pétrolière.

Si vous adoptez un modèle d'expropriation, il inclut une procédure, non seulement pour l'acquisition forcée mais aussi pour l'indemnisation. Cette procédure comporte seulement l'émission d'un avis, la remise d'un plan au propriétaire pour indiquer la parcelle acquise, la prise de possession ou l'imposition de l'interdiction ou de la restriction.

Ensuite, il faut appliquer les principes de l'indemnisation. Ils sont généralement énoncés dans le texte de loi. Ils sont également énoncés dans mon mémoire.

• 0955

Il y a aussi des cas d'indemnisation où le bien-fonds ou l'intérêt n'est pas acquis mais où il subit une dévaluation. J'en ai cité des exemples dans mon mémoire. Par exemple, aux termes de la Loi sur l'aéronautique, qui est une loi fédérale, des procédures d'indemnisation sont prévues pour les restrictions imposées sur l'usage du bien-fonds.

À mon avis, le droit de réclamer des indemnités devrait être spécifié dans la loi ou dans les règlements, mais pas nécessairement le droit à l'indemnisation. Dans la province de l'Alberta, on fait beaucoup d'acquisitions forcées qui ne donnent droit qu'à de très faibles indemnités. Le propriétaire, l'entreprise et la municipalité le savent d'avance. Cette façon de procéder n'entraîne pas toujours nécessairement des procédures compliquées ni des frais coûteux pour le Trésor public en ce qui concerne ces restrictions.

Je ne pense pas—et je l'ai indiqué dans mon mémoire—qu'il devrait y avoir indemnisation uniquement pour les circonstances extraordinaires. Un des points forts de notre système qui assure la collaboration des personnes concernées est que même les petites acquisitions forcées font l'objet d'une certaine attention. Elles ne donnent pas droit à une forte indemnisation mais on s'en occupe. Si tous les cas étaient liés à des circonstances extraordinaires, tous mes clients prétendraient subir des conséquences extraordinaires.

M. Pearse a fait deux ou trois commentaires que je n'approuve pas et dont je parle aux 11e et 12e paragraphes de mon mémoire. Voici en bref de quoi il s'agit.

Je pense qu'une indemnisation adéquate est une incitation à collaborer. Cela ne fait aucun doute. Nous obtenons une collaboration raisonnable, malgré la vingtaine de milliers d'acquisitions forcées que nous faisons par an, entre les entreprises du secteur de l'énergie et la collectivité rurale. Cette collaboration est due notamment au fait que nous avons mis en place un processus d'indemnisation. L'indemnisation est donc ce qui incite à collaborer.

Ce n'est pas un échec de devoir indemniser. M. Pearse semble considérer que c'est un échec de devoir indemniser un propriétaire. Pas du tout. Le seul échec possible est qu'on n'arrive pas à s'entendre à l'amiable sur le montant de l'indemnité.

Il y a un dernier commentaire que je tiens à faire parce que je ne pense pas qu'il ait déjà été fait. Peut-être que oui, mais je n'ai pas lu tous les comptes rendus. M. Pearse dit, avec raison, qu'il faut faire preuve de prudence quand il s'agit d'indemniser ceux qui subissent les effets des restrictions imposées à l'usage de leurs terres parce que c'est inhabituel—et ce l'est—et parce que cela aurait des incidences pour les municipalités et les autres paliers de gouvernement qui voudraient imposer des restrictions absolument nécessaires à l'usage des terrains, notamment par le zonage.

Je signale toutefois que diverses lois fédérales contiennent des dispositions relatives à une indemnisation pour le zonage. Lorsque les municipalités imposent un zonage, c'est dans le but de mettre en valeur les terres de toutes les personnes de cette zone, y compris du propriétaire du terrain concerné. Autrement dit, les restrictions de zonage sont avantageuses pour nos terres, mais celles qui sont prévues dans la Loi sur les espèces en péril ne le seront pas nécessairement.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur O'Ferrall. C'était très intéressant.

Nous avons une longue liste d'interventions et c'est M. Forseth qui ouvrira la discussion,

[Français]

suivi de M. Bigras, M. Reed, Madame Carroll, Madame Scherrer, Monsieur Laliberte.

[Traduction]

Monsieur Forseth, vous avez cinq minutes.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, AC): Merci bien.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Nightingale.

Vous avez beaucoup d'expérience en matière d'établissement de contacts communautaires et d'obtention du soutien de la collectivité pour vos activités. Nous aurons peut-être plus tard encore quelques témoins en faveur du projet de loi et, théoriquement, quelques opposants qui voudraient ralentir l'application des mesures qu'il contient. Entre les deux, se trouvent la plupart des citoyens qui ont peut-être lu des articles dans les journaux ou vu des messages publicitaires à la télévision et qui se demandent ce qui se passe.

• 1000

Auriez-vous quelques suggestions à faire en fonction de l'expérience que vous avez acquise en matière de soutien communautaire. Le projet de loi contient-il quelque article dont les dispositions doivent être améliorées pour concilier davantage les divers intérêts contradictoires qui se manifesteront peut-être dans l'avenir? Quand la bonne volonté est de la partie, on peut accomplir de grandes choses, quelles que soient la nature de la loi ou ses carences. Nous savons que bien des initiatives intéressantes sont déjà en place, sans projet de loi sur les espèces en voie de disparition. Par conséquent, nous voudrions savoir si le projet de loi contient, d'après vous, des articles qu'il faudrait remanier ou s'il a des carences auxquelles il faudrait remédier pour que la bonne volonté devienne contagieuse et pour que l'on puisse passer à l'action sans se préoccuper de la nature des règlements.

M. John Nightingale: Merci. Je ne suis ni avocat ni législateur. Je suis biologiste.

J'aurais deux observations à faire. La première est que, d'après ce que j'ai pu constater, les Canadiens sont généralement partisans de l'équité et de la transparence. J'estime par conséquent que le processus d'évaluation scientifique d'une espèce, c'est-à-dire le processus du COSEPAC, doit être irréprochable. Le mécanisme réside probablement dans un article du projet de loi visant à protéger une espèce et son habitat lorsqu'après avoir examiné la situation, les scientifiques ont décrété qu'elle était menacée ou en voie de disparition. Je crois que personne en haut lieu ne contestera qu'il est nécessaire d'adopter une loi sur les espèces en péril. C'est toujours quand les restrictions touchent notre terrain que l'on n'est plus d'accord. Je pense qu'en ce qui concerne l'indemnisation, tout doit être bien spécifié dans la loi.

Il faudrait réfléchir un peu à la question mais, en ce qui concerne la communication directe avec le public et la transparence—ou l'apparence de transparence étant donné que c'est plutôt là que réside le problème... Je ne sais pas très bien quoi dire en si peu de temps mais je suis certainement disposé à essayer. Je serais disposé à faire quelques suggestions et recommandations sur la communication directe entre les personnes qui mettent la loi en oeuvre et les Canadiens.

Nous constatons que, d'une part, il y a d'ardents défenseurs de la cause et, d'autre part, diverses personnes qui jouent plutôt un rôle didactique et tentent d'expliquer les problèmes. C'est l'approche adoptée par notre aquarium. Nous essayons d'éviter de dicter une conduite. Nous essayons de montrer aux gens qu'ils ont en fait un choix et que certains actes pourraient avoir telles ou telles conséquences et qu'en agissant autrement, on pourrait obtenir des résultats différents. Lorsque les gens comprennent la nature des choix à faire, ils excellent à peser le pour et le contre.

Je crois que cet aspect pourrait être renforcé dans la loi. Je ne peux pas suggérer un libellé ou désigner un article en particulier mais je sais que notre institution et l'Association canadienne des jardins zoologiques et des aquariums... Nos organismes ont, chaque année, des contacts avec quelque 12 millions de Canadiens et nous constatons que la plupart s'intéressent à la faune et au patrimoine naturel du Canada. Nous serions donc disposés à collaborer, si tel est votre souhait.

M. Paul Forseth: Merci.

Je voudrais adresser une question à M. Brian O'Ferrall. Votre mémoire est un des meilleurs qu'il m'ait été donné de voir. Vous avez énoncé clairement le principe que nous essayons de faire admettre, à savoir qu'une indemnisation suffisante incite à collaborer. C'est exactement ce que je pense: outre les règlements et la loi, la coopération de la collectivité est essentielle.

Le ministre nous a promis que les formules—et ce sont les détails qui causent des problèmes—de réglementation ou d'indemnisation devront être prévues dans les règlements qui seront pris après l'adoption de la loi. Je lui ai dit qu'il faudrait au moins énoncer clairement dans le projet de loi un principe qui donnerait une indication des dispositions qui seraient prises après l'adoption du projet de loi. Vous avez frappé en plein dans le mille en disant que c'est ce qui manque. Je me demande si vous ne pourriez pas faire quelques suggestions plus précises quant à l'orientation ou au thème qui devraient être définis dans le projet de loi en vue des règlements qui seront pris après son adoption.

• 1005

M. Brian O'Ferrall: Lorsque j'ai commencé à m'occuper d'expropriations, la plupart des acquisitions de pipelines fédéraux ont été faites aux termes de la Loi sur les chemins de fer qui prévoit un système d'indemnisation très simple: elle stipule qu'en cas d'expropriation, l'indemnisation doit être «juste et raisonnable» pour le propriétaire du bien-fonds. Autour de ces quelques termes s'est élaborée une jurisprudence qui a permis à mon avis d'indemniser les propriétaires... De toute façon, il y a toujours des plaintes: le propriétaire estime qu'il ne reçoit jamais assez et l'entreprise ou le preneur pense toujours avoir payé trop cher.

Il ne faut pas modifier beaucoup le projet de loi si ce n'est qu'il faudrait éviter des tournures comme «conséquences extraordinaires», mais les politiciens en ont peut-être décidé autrement. Ce sera très intéressant pour les avocats. Nous nous amuserons beaucoup parce que cela donnera lieu à des discussions interminables sur l'interprétation de «conséquences extraordinaires». Pourquoi ne réglerait-on pas la question tout de suite en précisant que l'indemnisation doit être «juste et raisonnable»? Ensuite, au niveau des règlements, d'autres experts pourraient aider à établir les mécanismes nécessaires pour déterminer ce qu'est une indemnisation juste et raisonnable.

M. Paul Forseth: Bien. En un mot, nous pourrions déjà tirer bien des enseignements de la jurisprudence qui s'est élaborée en matière d'indemnisation dans le contexte du droit d'expropriation et il serait utile d'insérer dans le projet de loi une phrase faisant allusion à cette jurisprudence.

M. Brian O'Ferrall: Oui. Il y aurait deux possibilités. On pourrait adopter l'approche de la Loi sur les chemins de fer et spécifier que l'indemnisation doit être «juste et raisonnable», selon la vieille coutume, ou on pourrait adopter une recette que l'on retrouve dans beaucoup de dispositions législatives en matière d'expropriation et spécifier: «La commission tiendra compte de la valeur marchande du bien-fonds, des dommages attribuables aux troubles de jouissance, des pertes commerciales» et autres facteurs analogues. On peut donner une recette ou alors spécifier que l'indemnisation sera juste et raisonnable.

Mon commentaire est peut-être un peu trop long. Bref, je préfère cette dernière formule parce qu'elle laisse une certaine marge de manoeuvre et permet de tenir compte des changements de circonstances. Tout est bien clair quand il est spécifié que l'indemnisation versée au propriétaire du bien-fonds qui subit des préjudices à cause de l'imposition d'une interdiction recevra des indemnités justes et raisonnables.

[Français]

Le président: Monsieur Bigras, à vous la parole pour cinq minutes.

M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Merci, monsieur le président. Merci à vous tous de vous être présentés ici en comité.

J'aimerais revenir sur les propos de Mme Cleverley. Madame Cleverley, monsieur le président nous a ramenés, je dirais, au gros bon sens. C'est un débat que nous avons souvent. On a eu le débat dans le cadre de l'étude de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE. Mme Cleverley nous a dit qu'on a beau avoir la meilleure loi, l'important, c'est son application. Monsieur le président, une bonne implication réside dans le budget qu'un gouvernement décide d'accorder pour la protection de son environnement.

On sait, et j'y crois très sincèrement, qu'une bonne partie de la conservation réside dans le travail que les organismes bénévoles tels que le vôtre et les ONG réalisent concrètement sur le terrain. On sait que le ministre Martin a annoncé, dans son budget 2000, un montant de 90 millions de dollars sur trois ans afin de protéger les espèces menacées. Ma question est la suivante. Est-ce que vous estimez, dans le cadre des annonces et du budget actuels, dans le cadre du financement prévu actuellement et sur la base de l'application du projet de loi que nous avons devant nous, que nous pourrions en venir à une protection adéquate, optimale et rigoureuse des espèces menacées telle que formulée dans le projet de loi? Donc, trouvez-vous que le financement est adéquat et qu'on va pouvoir en venir à une application optimale de la loi? D'ailleurs, ma question s'adresse à tous les témoins.

• 1010

[Traduction]

Mme Pheobe Cleverley: J'ai des craintes parce qu'il y a déjà eu, au palier fédéral comme au palier provincial, des compressions budgétaires tellement radicales au chapitre de l'environnement que nous ne progressons pas et que nous devons faire du rattrapage. Je ne suis pas du tout experte dans le domaine financier, mais les sommes que l'on propose d'investir dans ce domaine me paraissent plutôt mesquines. Il faut que nous y accordions une plus grande priorité. Je voudrais que le Cabinet et le ministre des Finances accordent une priorité plus importante à la protection de l'environnement.

[Français]

M. Bernard Bigras: C'est tout, monsieur le président. Si quelqu'un veut répondre...

[Traduction]

Le président: Quelqu'un a-t-il des commentaires à faire?

M. John Nightingale: Je suis d'accord. Je pense qu'il faudrait investir davantage que les sommes prévues actuellement. Aux États- Unis, rien que pour l'administration de la Endangered Species Act, sans tenir compte des dépenses des États ou des indemnités, la facture s'élève à plus de 120 millions de dollars par an. Nous n'avons certainement pas besoin de dépenser autant que cela, compte tenu de l'approche plus réaliste que représente le projet de loi C-5, mais je suis convaincu qu'il faudrait davantage que les sommes prévues jusqu'à présent.

Le président: Y a-t-il d'autres commentaires?

[Français]

Merci, monsieur Bigras.

[Traduction]

Monsieur Reed, vous avez cinq minutes.

M. Julian Reed (Halton, Lib): Merci, monsieur le président.

Monsieur Nightingale, vous proposez plusieurs modifications à ce projet de loi et je crois que presque tous les témoins que nous avons vus défiler au cours des dernières semaines ont proposé des changements destinés à satisfaire des intérêts particuliers. Auriez-vous l'obligeance de faire des commentaires sur le ton général du projet de loi et de dire ce que vous pensez de ses dispositions? Il ne peut être parfait pour tous, mais nous devons tenter d'établir divers principes fondamentaux. L'un d'entre eux consiste à sensibiliser davantage les Canadiens en ce qui concerne la nécessité de protéger les espèces en voie de disparition. Qu'en pensez-vous d'une manière générale?

M. John Nightingale: D'une manière générale, je pense qu'il faudrait l'adopter demain. Il n'est pas parfait. Il faudra le modifier à mesure que l'on progressera et tirer les enseignements de sa mise en oeuvre au cours des quatre ou cinq prochaines années, mais c'est un bon cadre. C'est, à mon avis, un cadre qui a du bon sens. Comme je l'ai dit, vous auriez beau essayer de l'améliorer pendant deux autres années qu'il ne serait pas encore parfait. Nous n'atteindrons jamais la perfection. Le projet de loi fournit un cadre qui permettra aux Canadiens, aux entreprises, aux ONG et aux pouvoirs publics de collaborer. Je crois que c'est son point fort. Pour obtenir de bons résultats, il faudra former un front commun et faire montre d'une volonté collective de collaborer qui permettra de combler bien des carences du projet de loi.

Je ne suis pas entièrement convaincu que l'indemnisation soit la seule motivation. Je crois que les Canadiens ont dit de façon très claire qu'ils ne souhaitaient pas que l'on puisse inscrire «Nous avons compromis l'avenir du Canada» en épitaphe sur leur pierre tombale. C'est une motivation également. Ce sont, bien entendu, les questions de détail comme celle de l'indemnisation qui sont une source de problèmes, mais le cadre du projet de loi est excellent, surtout lorsqu'on le compare à la Endangered Species Act, qui est beaucoup plus prescriptive. Ce projet de loi n'entraînera aucune modification à la Constitution et, par conséquent, même si nous le voulions, nous n'obtiendrions jamais une loi du même style que la loi américaine équivalente. Au Canada, il y a des politiciens à la tête de chaque ministère et, par conséquent, les nouvelles initiatives doivent passer le test politique au début, à l'opposé du système américain que l'on pourrait qualifier en quelque sorte de circulaire.

• 1015

Je crois que c'est un bon cadre à partir duquel on peut se mettre à l'oeuvre.

M. Julian Reed: Merci bien.

Madame Cleverley, vous représentez une région urbaine du Canada et le Canada urbain doit être un des secteurs de prise de conscience ou de responsabilité. C'est une question qui me préoccupe beaucoup parce qu'il semble que la perception que les espèces se trouvent dans des régions isolées, en pleine campagne, soit très répandue. On pense surtout aux grizzlis ou aux chouettes tachetées ou à quelque autre espèce terrestre. En fait, plus de la moitié des espèces en voie de disparition sont aquatiques et, chaque fois qu'on tire la chasse de toilette, dans la région métropolitaine de Toronto, on contribue à la dégradation du lac Ontario. Comment pouvez-vous nous aider à faire comprendre aux citadins, aux politiciens et aux municipalités qu'ils ont des responsabilités à assumer lorsqu'ils prennent des décisions qui entraînent une augmentation de la quantité de rejets d'eaux usées ou autres effluents d'eau d'égout qui se déversent dans le lac Ontario? Ces effluents contribuent à la mise en péril des nombreuses espèces qui peuplent le lac. Comment transmettre ce message aux citadins?

Mme Pheobe Cleverley: À Toronto, de nombreux organismes s'efforcent de sensibiliser la population et de faire son éducation. Après 13 années d'absence, j'ai redéménagé de Vancouver à Toronto en 1988; j'ai constaté que le nombre d'organisations non gouvernementales et d'organismes publics, comme le service des travaux publics, le service des parcs et autres services analogues, avaient proliféré. Mon expérience se limite à la ville et à sa périphérie.

La municipalité a publié par exemple une excellente brochure sur la réduction de la consommation d'eau et sur l'arrivée du tuyau de descente des eaux pluviales dans le sol plutôt que dans les cours d'eau. Elle a un programme éducatif très actif et s'efforce d'améliorer le réseau d'égouts—je le sais parce qu'on est toujours en train d'éventrer les routes. La municipalité essaie donc d'améliorer la situation. Elle a un bon service d'urbanisme et de bons services éducatifs. Je ne sais pas si ce projet de loi contient des dispositions susceptibles de s'appliquer à ce secteur; je ne crois pas que ce soit son objectif. La population se conscientise de plus en plus et je pourrais probablement vous citer au pied levé le nom d'une dizaine d'organismes qui militent dans ce domaine. Il y a même un défenseur des arbres au conseil municipal.

M. Julian Reed: J'habite actuellement dans une zone en hypercroissance où les lotissements poussent comme des champignons. Si je m'absente trois jours, le paysage a changé pendant ce temps-là. Pourtant, on n'exerce aucune pression consciente pour modifier nos exigences en ce qui concerne l'utilisation de l'eau et l'élimination des déchets. Rien n'a changé dans ce domaine. La technique utilisée actuellement est toujours la même qu'il y a 30 ans. Le seul changement que l'on remarque dans les nouveaux lotissements, c'est l'aménagement de bassins de collecte des eaux de ruissellement dans le but, semble-t-il, de recharger la nappe d'eau souterraine. C'est toutefois le seul changement. Il y a des milliers d'habitations. Je parle de ma circonscription.

Mme Pheobe Cleverley: Laquelle?

M. Julian Reed: Halton. J'ai rencontré les responsables municipaux pour leur en parler mais je ne sais pas comment les inciter à apporter ce changement. Je sais qu'il faut que l'impulsion vienne des citoyens.

Mme Pheobe Cleverley: Je ne pense pas pouvoir résoudre ce problème pour vous. La protection de l'environnement bénéficie actuellement d'un appui massif de la part de la population, comme en témoigne l'appui suscité dans le cas de Richmond Hill et de la moraine de Oakridges. Il y a une association de naturalistes très active dans South Peel. Je ne sais pas très bien quels groupes sont actifs à Halton. Je sais qu'à Oakville, il y a des écologistes militants. Quant aux promoteurs, ils sont pour la plupart contre les mesures de conservation.

• 1020

Je ne sais pas s'il est particulièrement pertinent de poursuivre ce type de raisonnement pour l'instant, mais j'en discuterais volontiers avec vous après la séance. Tout cela a des conséquences sur l'environnement et tout cela se tient, mais l'objet des discussions d'aujourd'hui est ce projet de loi et ce qu'il permettra de réaliser. Si l'on peut spécifier qu'il s'agit d'un habitat, nous pourrions peut-être alors obtenir votre appui pour nous protéger du développement.

M. Julian Reed: Merci.

Le président: Merci, monsieur Reed.

Je donne la parole à Mme Carroll, suivie de Mme Scherrer, M. Laliberte et Mme Kraft Sloan.

Mme Aileen Carroll: Merci, monsieur le président.

Je voudrais adresser ma question à M. O'Ferrall. J'essaierai d'être aussi brève que possible. Monsieur O'Ferrall, étant donné que vous pratiquez le droit et que votre spécialité est le droit d'expropriation, domaine dans lequel vous avez beaucoup d'expérience, je crains que vous n'ayez des préjugés en faveur du type d'indemnisation que vous préconisez. Nous éprouvons souvent de la difficulté à sortir de notre quotidien et à examiner les problèmes dans une perspective globale. S'il y a une profession où l'on est tenu d'avoir une vue d'ensemble, c'est bien la nôtre, puisque nous établissons des politiques officielles, surtout à l'échelon fédéral.

À propos d'intendance et des moyens prévus dans ce projet de loi pour inciter les Canadiens à collaborer aux stratégies de rétablissement, j'ai l'impression, après avoir lu attentivement votre mémoire, que vous ramenez tout à votre expérience personnelle en matière d'indemnisation. Cela me préoccupe. Ce n'est pas par préjugé envers les gens de droit puisque je suis mariée à un avocat et que je suis mère d'un autre. Je voudrais que vous me disiez si vous tenez compte de toutes les considérations liées à l'intendance et à la collaboration dans le contexte du présent projet de loi.

Comme l'ont mentionné d'autres témoins aujourd'hui, je pense que lorsqu'on promulgue une loi, il faut bien comprendre qu'il est absolument nécessaire que les citoyens participent de leur plein gré et que l'intendance des richesses naturelles est une nécessité quand on veut prendre des initiatives pour rétablir le milieu écologique que nous avons endommagé.

L'approche strictement légaliste que vous avez adoptée me préoccupe. J'en ai parlé avec les représentants de la Fédération canadienne des municipalités qui ont dit qu'il fallait dédommager à la valeur marchande pour tout préjudice que ce projet de loi pourrait causer. J'ai déjà été active en politique au palier municipal et je pense à toutes les décisions qui ont été prises en matière de planification de l'utilisation des terres sans prévoir la moindre indemnisation pour les citoyens de ma ville qui ne pensaient d'ailleurs même pas devoir être indemnisés. Nous agissions dans l'intérêt de la population, avec son concours. Par conséquent, votre position me préoccupe.

Je voudrais que vous me répondiez. Si j'en ai le temps, j'aimerais beaucoup discuter avec vous de la question des précédents en common law, en matière de compensation. Merci.

M. Brian O'Ferrall: Le projet de loi dit que le ministre peut indemniser. Après avoir lu cela, je me suis demandé quels modèles d'indemnisation on pourrait adopter. Puisque votre mari et votre fils sont des avocats, ils pourraient vous dire qu'un autre modèle pourrait être...

Mme Aileen Carroll: C'est ma fille qui est avocate.

M. Brian O'Ferrall: Je m'excuse. J'ai trois filles et ce lapsus me vaudra des ennuis.

On pourrait adopter un modèle d'indemnisation délictuel, le type d'indemnisation accordée dans les cas d'accidents de la circulation. L'autre approche pourrait être une approche axée sur la préservation de la nature, que l'on retrouve dans d'autres mesures législatives. En matière d'indemnisation, le nombre de modèles est limité. Il y a, d'une part, le type d'indemnisation qu'accordent les tribunaux, qui est axée sur une infraction et, d'autre part, le type d'indemnisation que l'on retrouve dans des lois sur la protection du milieu naturel, ayant certains points communs avec ce projet de loi.

• 1025

Le seul modèle d'indemnisation auquel on a recours avec une certaine fréquence est celui que les municipalités vont pouvoir appliquer dans le cadre de la nouvelle loi Brownfield en Ontario, qui consiste à accorder des stimulants et des allégements fiscaux. Il concerne les terrains contaminés, mais c'est le modèle courant. La responsabilité est restreinte. On donne autre chose en échange. Le principe de l'indemnisation est que, si l'on demande à quelqu'un, c'est-à-dire au propriétaire du bien-fonds, de supporter une part exagérée du fardeau causé par ce projet de loi, à supposer que ce soit un fardeau, il doit être indemnisé. Il ne l'est pas nécessairement. Autrement dit, on n'est pas certain que toutes les restrictions imposées sur un bien-fonds vaudront des indemnités à son propriétaire.

Excusez-moi, mes explications étaient un peu longues.

Mme Aileen Carroll: Non, c'est bien. Mon intervention l'était aussi; c'est qu'un préambule est parfois nécessaire.

Me reste-t-il encore du temps?

Le président: Oui.

Mme Aileen Carroll: Nous laisserons tous deux notre marque au compte rendu.

Je pense que vous avez une vision très étroite. Vous dites qu'une indemnisation adéquate est une incitation à collaborer et qu'il ne faut par conséquent pas s'attendre à ce qu'un propriétaire participe aux stratégies de rétablissement; vous affirmez que les propriétaires ne s'intéressent pas aux fonds d'intendance mais uniquement aux indemnités. Ma vision est plus optimiste que la vôtre.

J'attire votre attention sur le texte suivant.

C'est à l'avocat que je m'adresse. Je voudrais que vous examiniez un précédent. Vous verrez où je veux en venir. Le principe se dégage d'une affaire récente, en Colombie-Britannique.

Je voudrais que vous fassiez des commentaires au sujet de cette décision.

M. Brian O'Ferrall: Il y a deux types de considérations qui entrent en ligne de compte. La première consiste à se demander comment protéger efficacement l'environnement. Bien avant que les ONG ne se manifestent, bien avant que le Environmental Law Centre, dont j'étais membre, ne soit créé et bien avant que ne soit fondé le Pembina Institute, savez-vous qui protégeait l'environnement contre l'industrie pétrolière et d'autres industries dans la province de l'Alberta? C'était le propriétaire, et il invoquait ses droits privés de propriété pour protéger l'environnement. La situation a toutefois évolué.

Personne n'a droit à un permis. Supposons que M. Kure soit le propriétaire du terrain concerné. Comme conseiller municipal, après toutes les audiences et tous les changements de zonage habituels, vous lui accordez le droit d'utiliser son bien-fonds d'une certaine façon. C'est ce que font les municipalités, sans verser d'indemnités, et je me base sur ce que vous avez dit au sujet du zonage et d'autres décisions administratives analogues...

Mme Aileen Carroll: Pour l'utiliser sans être indemnisé.

M. Brian O'Ferrall: C'est exact. Vous avez toutefois restreint son usage et vous avez spécifié qu'il pouvait notamment cultiver son terrain. À supposer, par contre, qu'en vertu de la Loi sur les espèces en péril, on lui interdise de le cultiver. Vous lui aviez pourtant déjà accordé ce permis. Vous aviez zoné son terrain et vous lui aviez dit qu'il pouvait le cultiver parce que le zonage est agricole. Cependant, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, il ne pourrait plus le cultiver parce que cela détruirait ou menacerait un habitat essentiel.

• 1030

Dans ce cas, il faudrait l'indemniser, contrairement au propriétaire qui aurait voulu faire de l'exploitation minière dans la région de baie Clayoquot. Ils ont besoin d'un permis pour faire de l'exploitation minière. Ils ne l'ont pas obtenu. Les autorités ou les politiciens ont refusé de le leur accorder. Dans ce cas, les propriétaires n'ont aucun recours. Par contre, lorsqu'on a accordé un permis au propriétaire et qu'on le prive de ses droits à cause d'une mesure législative comme celle-ci, il faut lui accorder des indemnités.

Le président: Merci. Vous aurez à nouveau la parole pendant le deuxième tour de questions, si nous en avons le temps.

[Français]

Madame Scherrer, s'il vous plaît.

Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Je vais d'abord m'adresser à M. Nightingale. Je dois vous dire que je partage votre philosophie qui vous amène à croire qu'il serait préférable d'investir beaucoup plus dans la promotion et dans l'information pour s'assurer que les espèces en péril soient bien respectées. Je ne crois pas, et vous non plus probablement, qu'il y ait des gens, des Canadiens, qui vont s'attaquer malicieusement à des espèces. Les gens qui le font actuellement le feraient probablement quand même, même s'il y avait une loi actuellement. Je pense que ces gens-là sont un peu marginaux, de toute façon.

Je persiste à croire qu'il faut également investir énormément dans l'information du public et dans la promotion, mais je demeure convaincue—et probablement que vous l'êtes aussi—que ça prend tout de même un certain encadrement pour permettre, par exemple, de dresser une liste et de mettre en place des mesures ou une méthodologie qui va permettre de s'assurer qu'on protège et qu'on réinvestit dans les espèces qui sont actuellement en péril.

Ma question vient surtout d'un propos que vous avez tenu au tout début de votre présentation. Vous disiez qu'il était très important d'avoir un comité de sélection pour la liste qui serait transparent, parce que vous aviez eu connaissance, entre autres à l'intérieur de ce comité, qu'il y avait des gens, par exemple, qui n'étaient pas—c'est ce que vous sembliez dire—tout à fait honnêtes dans leur démarche. J'aimerais d'abord que vous élaboriez un peu là-dessus. D'abord, qu'est-ce qui faisait que ces gens-là, d'après vous, n'étaient pas honnêtes dans leur démarche et, deuxièmement, comment entrevoyez-vous une sélection transparente de membres pour faire cette sélection-là?

[Traduction]

M. John Nightingale: Je ne sais pas si je peux vous recommander un système de sélection bien déterminé aujourd'hui. Je crois que c'est une des raisons qui nous a incités à recommander la création d'un bureau distinct ou d'envisager du moins cette possibilité.

Comme quelqu'un l'a déjà fait remarquer ce matin, nous avons tous un certain parti pris. Tous nos actes sont influencés par notre emploi et par nos opinions personnelles. Par conséquent, si l'on représente un ministère fédéral ou provincial ou une association professionnelle et que l'on assiste à une réunion du COSEPAC au cours de laquelle on discute d'une espèce ou d'un habitat, il y a de fortes chances que l'on n'arrive pas à se détacher de ses préjugés.

Cependant, il peut s'agir uniquement de simples préjugés fortuits ou alors votre patron peut vous avoir dicté une prise de position ou vous avoir fait des recommandations. C'est ce dernier type de partialité que nous voudrions éliminer. Il est absolument essentiel d'avoir l'esprit ouvert, d'être impartial, d'être équitable, parce que si l'on ne peut pas faire confiance aux décisions fondamentales d'un comité du COSEPAC, toute la loi doit être remise en question.

En ce qui concerne le cas que je connais, le problème était dû au président du comité. Il ne parvenait pas à maintenir la discipline au sein du comité. La situation était devenue incontrôlable à cause de l'abus d'influence d'un ou deux membres qui ont sabordé l'ordre du jour. Il serait peut-être même préférable que les présidents des comités ne soient pas des biologistes parce que de bons présidents qui connaissent un peu le sujet sont généralement plus justes et sont davantage capables de maintenir la discipline ou d'éviter toute influence indue.

Il serait utile d'examiner la structure proprement dite du COSEPAC, de voir comment ce comité a été institué et comment ses sous-comités sont créés, de voir dans quelle mesure cette structure respecte l'esprit ou les dispositions de la loi et de vérifier dans quelle mesure il est réglementé et quelle latitude il a. D'ici à ce que vous proposiez des amendements pour améliorer le projet, il serait bon d'avoir des discussions approfondies sur les possibilités de faire en sorte que ce processus soit fondamentalement irréprochable.

• 1035

[Français]

Mme Hélène Scherrer: Monsieur O'Ferrall, j'ai une petite question pour vous. Une des critiques qui a été faite par les témoins lors de présentations précédentes, c'était que le nombre d'intervenants: les ministres provinciaux, les différents ministères, les intervenants de toutes espèces, créait des complications terribles pour l'application d'une telle loi.

Lorsque vous nous parlez aujourd'hui de compensation, vous faites intervenir encore différents intervenants supplémentaires. J'aimerais que vous réagissiez at large sur ce qui suit: est-ce que vous croyez que cette loi-là, telle que conçue actuellement, va être facilement applicable, spécialement au niveau du volet de la compensation?

[Traduction]

M. Brian O'Ferrall: C'est un projet de loi ambitieux. J'ai apprécié les commentaires de M. Nightingale non seulement parce qu'ils sont intéressants mais aussi parce qu'il s'agit d'un projet de loi nécessitant de nombreuses consultations avec un très grand nombre d'intervenants: les Autochtones, les administrations locales, les gouvernements territoriaux, les propriétaires fonciers et, bien entendu, les scientifiques qui ont la compétence voulue pour nous dire sur quoi il faut axer notre attention. C'est compliqué.

Je rappelle que les circonstances sont analogues en Alberta—et je reconnais ma partialité qui est due à mon expérience en matière d'expropriation. Par exemple, lorsque l'on propose d'ouvrir des mines importantes ou de réaliser d'autres projets de cette envergure, le gouvernement fédéral intervient. Dernièrement, je m'occupais d'un projet d'irrigation dans le sud de l'Alberta qui a nécessité l'intervention des représentants du gouvernement fédéral, de ceux du ministère des Pêches, de ceux qui sont chargés de la protection des eaux navigables, des représentants du ministère fédéral et du service municipal de l'Environnement et des Autochtones. Qu'il s'agisse d'une séance de comité, d'une audience ou d'une séance de tribunal—qui a lieu à une date prédéterminée et pour laquelle on a le temps de se préparer étant donné qu'un préavis a été donné—, lorsque les gens viennent témoigner dans le cadre d'un processus qui a des points communs avec le vôtre, on peut prendre des décisions judicieuses pour autant que ce soit sous la direction de personnes compétentes.

Je suis déçu chaque fois que je plaide une cause devant un tribunal car le lendemain, que l'on ait gagné ou perdu, et que l'on soit enchanté ou désabusé, on a l'impression que le tribunal n'a pas de cerveau. Lorsque j'examine les jugements rendus par les tribunaux avec un certain recul, je me dis que c'était probablement la meilleure décision possible compte tenu des divers facteurs à prendre en considération. Le tribunal ne m'écoutait pas mais je ne suis qu'un simple avocat représentant son client.

Par conséquent, c'est réalisable, mais j'admets que c'est un projet ambitieux et que ce sera compliqué.

Le président: Merci.

Monsieur Laliberte, suivi de Mme Kraft Sloan. Ensuite, ce sera à mon tour.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, Lib.): Merci, monsieur le président.

Les déclarations liminaires de M. Nightingale ont donné le ton. En ce qui concerne le troisième commentaire que vous avez fait au sujet de la création d'un bureau du développement ou de la conservation durables, le projet de loi... Je pense à un article qui semble jouer un rôle important mais dont on n'a pas beaucoup parlé. Il s'agit du paragraphe 7(1), concernant le Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril. Tout le monde parle du COSEPAC, de l'inscription des espèces et des connaissances scientifiques, autochtones et écologiques, ce qui est très bien. Par contre, le Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril a pour mission «de diriger d'une façon générale les activités du COSEPAC, l'élaboration des programmes de rétablissement et l'élaboration et la mise en oeuvre des plans d'action». Cela recouvre tout; toutes les initiatives prises en vertu de ce projet de loi relèvent de ce conseil et pourtant, personne ne semble y accorder beaucoup d'attention.

Il faut définir l'expression «ministre compétent». Il y a plusieurs ministres compétents: en ce qui concerne les parcs, c'est la ministre du Patrimoine canadien, en ce qui concerne la vie aquatique, c'est le ministre des Pêches et des Océans et en ce qui concerne tout ce qui passe à travers les mailles du filet, c'est le ministre de l'Environnement. Nous avons besoin de leadership. Nous avons besoin d'un point de ralliement, c'est-à-dire d'un organisme central. Vous nous avez lancé un défi.

Le problème que vous avez soulevé au sujet des propriétaires fonciers sera un des problèmes majeurs. Nous devons faire de la conduite préventive—en gardant les oreilles et les yeux ouverts—au lieu de conduire agressivement ce véhicule sur la route de l'avenir. Nous devons trouver quelqu'un qui aura la compétence nécessaire.

Pour le moment, nous essayons d'instaurer un processus qui est comparable à un véhicule sans chauffeur attitré. Il y a trois conducteurs qui se chamailleront constamment. En outre, il manque un ministre, celui des Affaires indiennes et du Nord, qui a d'énormes responsabilités en ce qui concerne les gouvernements territoriaux et les réserves. Ce quatrième ministre devrait également participer au processus.

• 1040

Ces ministres devraient toutefois être assis à l'arrière du véhicule. Il faudrait un chauffeur attitré pour nous conduire vers l'avenir.

Vous pourriez peut-être faire des commentaires à ce sujet.

M. John Nightingale: Cela fait partie de la participation et de la responsabilisation de la population canadienne. C'est une question qui concerne tous les partis politiques: aucun parti politique ne tient à voir disparaître notre patrimoine naturel ni diverses espèces. Si l'on crée un bureau ou une commission—et je ne suis pas expert en matière d'organisation gouvernementale...

M. Rick Laliberte: Moi non plus.

M. John Nightingale: ... il faut instaurer un mécanisme signalant aux Canadiens que c'est un processus d'une telle importance qu'il sera suivi par tout le Parlement et pas seulement par le gouvernement au pouvoir ou par deux ou trois ministres.

Par conséquent, le Parlement doit signaler que c'est une question vitale pour le pays, que l'on surveillera ce conseil et qu'on l'obligera à présenter un rapport chaque année. Le Parlement doit faire savoir qu'il a établi un organisme doté de pouvoirs très précis—peu importe que ce soit un organisme de régie, ou qu'il s'agisse de groupes consultatifs, du moment que l'on opte pour le mécanisme qui fonctionne le mieux.

Comment faut-il le structurer et signaler par son intermédiaire que l'on accorde beaucoup d'importance à ces problèmes? Si l'on veut tenir un débat politique sur un plan de rétablissement déterminé ou sur une autre question précise, eh bien, qu'on le fasse. Qu'on s'installe autour de la table, qu'on tienne un débat politique, qu'on examine les compromis à faire, la question de l'indemnisation, les conséquences pour le pays et les incidences locales. Il faut foncer au lieu de faire comme c'est souvent le cas aux États-Unis, où l'on se perd dans les méandres de la bureaucratie et où les litiges s'éternisent, si bien qu'il faut attendre jusqu'aux élections pour que la question soit tranchée, du fait que le système repose sur des décisions politiques.

M. Rick Laliberte: Hier soir, dans l'avion, j'ai lu un article assez intéressant sur la montée en flèche de l'évaluation des chalets due à l'intérêt que suscitent à l'étranger certaines propriétés situées près d'un lac ou de la mer.

Il faut examiner le problème dans une perspective nationale. Des intérêts régionaux, provinciaux, territoriaux et privés entreront certes en jeu, auxquels des valeurs différentes seront associées. Il faut adopter une perspective nationale. Il faut être juste et équitable et le conseil canadien dont il est question au paragraphe 7(1) doit être... C'est le modèle de travail. C'est lui qui a la capacité de projeter cette loi dans l'avenir.

Tous les autres problèmes sont intéressants, mais chaque problème sera spécifique et il faudra que quelqu'un fasse le tri en ayant le souci de l'équité. Si vous faites intervenir plusieurs ministères sous prétexte qu'il s'agit de diverses espèces et que la situation change à chaque changement de régime politique, on ne s'y retrouvera plus. Une tâche monumentale attend ce conseil pendant les cinq premières années. Il devrait être organique et être capable de s'adapter aux progrès pour assurer la protection de nos espèces.

M. John Nightingale: Je suis bien d'accord.

Le président: Merci.

Êtes-vous d'accord, monsieur Nightingale?

M. John Nightingale: Oui.

Le président: Merci.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci, monsieur le président.

Je voudrais adresser mes questions à Mme Cleverley et à M. Nightingale. Vous avez tous deux appuyé le projet de loi tel qu'il se présente actuellement et vous avez très bien exposé certaines de vos préoccupations.

Je voudrais examiner la question de la protection obligatoire de l'habitat essentiel. M. David Schindler, un éminent écologiste canadien, a dit que le projet de loi C-5 est un «projet de loi à la Novocaine». Une des raisons pour lesquelles il l'appelle ainsi est que dans le projet de loi précédent, il était obligatoire de protéger les habitats essentiels relevant de la compétence fédérale. Dans le présent projet de loi, la protection de l'habitat n'est pas obligatoire mais volontaire et je me demande ce que vous en pensez.

M. John Nightingale: Oh la la! L'habitat est le point de départ de la protection d'une espèce. On ne peut protéger une espèce sans protéger son habitat, ses lieux de reproduction et ses aires d'alimentation, ses interactions sociales et ses voies migratoires.

• 1045

Nous avons probablement deux options en ce qui concerne la protection de l'habitat. La première est celle qui a été adoptée par le biais de la loi américaine, qui est très prescriptive. Certes, cette loi s'applique d'abord et avant tout à des terres fédérales, qui représentent un pourcentage beaucoup plus élevé de la superficie totale du territoire national que les terres domaniales canadiennes. Cette loi dicte les agissements des ministères et leur capacité d'avoir des incidences sur un habitat ou d'en faire l'acquisition ou encore de le modifier, avant qu'il ne devienne propriété privée. Au Canada, les initiatives fédérales de ce genre sont moins nombreuses que les initiatives provinciales.

Je ne vois aucune autre possibilité d'établir une formule de protection obligatoire de l'habitat, sans devoir dépenser des sommes colossales en honoraires d'avocats, qu'en énonçant clairement dans le projet de loi le principe de la protection de l'habitat.

L'autre façon de procéder est ponctuelle et consiste à expliquer aux Canadiens que si l'on veut préserver la grenouille maculée de l'Oregon, par exemple, ou quelque autre espèce que ce soit, il faut procéder de telle ou telle façon pour protéger son habitat et s'en remettre à eux pour la protection obligatoire de l'habitat proprement dite.

Il faut établir un dossier et communiquer les résultats sur une espèce en particulier. Ce faisant on déclenche, bien entendu, une argumentation fondée sur les emplois que l'on perdrait éventuellement, ou sur le développement qui n'aurait pas lieu et le débat pencherait tour à tour d'un extrême à l'autre pour trouver son équilibre quelque part entre ces deux pôles.

Qu'il s'agisse d'un conseil, d'une commission ou d'un organisme qui tient des audiences, pour autant que le processus soit transparent et qu'il fasse intervenir la population à l'échelle locale ou à l'échelle nationale, la décision de protéger l'habitat d'une espèce pour la sauver deviendrait un choix et elle serait prise en connaissance de cause.

Je ne conçois pas la possibilité de procéder de façon prescriptive au Canada, c'est-à-dire d'énoncer point par point dans une loi des prescriptions précises concernant la protection de l'habitat dans des circonstances déterminées.

Mme Karen Kraft Sloan: Je suppose que c'est parce qu'il y a un processus de planification du rétablissement et que c'est à ce niveau que l'on identifie les mesures à prendre. Quand le projet de loi précédent, le projet de loi C-65, a été renvoyé par le comité au Parlement pour l'étape du rapport, il contenait un article précisant que la protection de l'habitat essentiel sur les terres domaniales était obligatoire. Il y a aussi des lois provinciales.

À l'échelle nationale, 79 p. 100 des Canadiens estiment que la protection obligatoire de l'habitat est un élément essentiel. De nombreux témoins, scientifiques et protecteurs de l'environnement ainsi que des représentants du secteur privé ont dit que la protection de l'habitat essentiel, du moins sur les terres domaniales, est indispensable pour que le projet de loi soit un tant soit peu efficace; à l'échelle rurale, 74 p. 100 de la population appuie la protection obligatoire de l'habitat.

M. John Nightingale: Je suis entièrement d'accord avec vous sur le principe. Il faut en effet protéger l'habitat. Si le projet de loi peut établir ce principe, les questions de détail seront réglées par le biais d'un cadre réglementaire qui évoluera avec le temps et s'appuiera sur un ensemble de précédents. Ce serait parfait. Je suis bien d'accord avec vous.

Mme Karen Kraft Sloan: Nous avons les mêmes opinions mais vous vous exprimez de façon différente.

M. John Nightingale: Si cela risque de compromettre l'adoption de ce projet de loi, je préfère accepter celui-ci tel quel plutôt que d'y renoncer. Je préférerais cependant que l'on insiste davantage sur la protection de l'habitat.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci.

Madame Cleverley, avez-vous des commentaires à faire?

Mme Pheobe Cleverley: Je ne dirais pas la vérité en prétendant que je ne suis pas d'accord avec mon confrère. J'ai tendance à être en faveur d'une approche fondée sur la collaboration, la sincérité et l'équité, comme M. Nightingale. Cependant, la plupart des personnes qui sont sur le terrain estiment que la protection obligatoire de l'habitat est nécessaire. Par conséquent, il faut trouver un terrain d'entente car il est très important que ce projet de loi soit adopté. J'accepterais donc que la protection de l'habitat devienne obligatoire.

• 1050

Mme Karen Kraft Sloan: Merci.

Monsieur O'Ferrall, je tiens à vous féliciter de nous avoir signalé vos préjugés. Nous ne tenons pas particulièrement à nous y attarder, mais nous recevons souvent des témoins qui ne révèlent pas leurs antécédents et leurs intentions de façon aussi claire. Je crois que votre expertise dans ce domaine nous sera d'un apport très utile.

Il y a quelques points que je souhaiterais que vous précisiez, pour m'assurer que je vous comprends bien. Au deuxième paragraphe de votre mémoire, vous parlez de la définition donnée par la Cour suprême du Canada du terme «expropriation». Au troisième paragraphe, vous dites que l'expropriation est l'acquisition forcée d'un bien- fonds ou d'un intérêt sur ce bien-fonds. S'agit-il de la définition donnée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire C.-B. c. Tener, de 1985, ou d'une autre définition?

M. Brian O'Ferrall: Dans l'affaire mentionnée par Mme Carroll, la Cour suprême du Canada a jugé que le refus d'octroyer un permis ou une licence n'était pas l'équivalent d'une expropriation. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire de La Reine c. Tener, s'est montrée très prudente dans sa définition parce qu'elle comprenait que c'était très difficile. Sa définition est donc fondée sur l'acquisition forcée globale.

Aucun titre de propriété n'a été transmis au gouvernement de la Colombie-Britannique dans le cas de l'agrandissement du parc provincial Wells Grey mais la compagnie minière qui avait une concession dans cette zone depuis 1937 a appris qu'elle ne pouvait pas l'exploiter. C'est toute la différence. Par exemple, la compagnie à laquelle on a refusé un permis d'exploitation à baie Clayoquot n'a aucun droit au permis—si ce n'est dans l'intérêt public, elle ne peut creuser ni exploiter ni poursuivre quelque activité que ce soit à cet endroit—mais, à partir du moment où une entreprise a déjà reçu une autorisation, si les conséquences d'une loi ultérieure comme la Loi sur les espèces en péril sont de la priver de ce droit, il y a expropriation. Je crois que c'est le raisonnement qu'a tenu la Cour suprême dans l'affaire de La Reine c. Tener.

Mme Karen Kraft Sloan: Vous parlez d'une acquisition forcée globale sans mentionner une éventuelle restriction de l'activité dans une certaine zone alors que, dans des conditions normales, l'entreprise aurait été en mesure d'exploiter.

M. Brian O'Ferrall: Il n'y a pas eu acquisition forcée dans le cas de La Reine c. Tener. La compagnie n'avait pas perdu son droit d'exploitation. Le problème est qu'elle ne pouvait pas l'exercer à cause de l'agrandissement du parc.

Mme Karen Kraft Sloan: Elle ne pouvait pas exercer l'entièreté de son droit d'exploitation.

M. Brian O'Ferrall: C'est exact.

Mme Karen Kraft Sloan: Un représentant du Environmental Law Centre qui a témoigné a dit être très préoccupé par la nature ambiguë de l'article du projet de loi concernant l'indemnisation, en pensant aux incidences qu'il pourrait avoir sur des mesures législatives ultérieures. Il est important pour nous de comprendre exactement ce que l'on entend par expropriation et ce que l'on entend par restriction. Nous devons assurer une certaine continuité.

Par conséquent, est-ce qu'une expropriation peut impliquer un certain degré de restriction?

M. Brian O'Ferrall: Vous n'obtiendrez pas de réponse à cette question. On en discute depuis que je pratique le droit. Je pourrais arguer qu'une restriction est tellement préjudiciable qu'elle constitue une expropriation alors que l'autre partie, généralement une municipalité ou un autre palier de gouvernement, répondra tout simplement qu'ils «exercent les droits qui leur ont été conférés par la loi».

Vous n'obtiendrez jamais de réponse à cette question, mais n'oubliez pas que cela pose un problème. L'enseignement qui se dégage des jugements qui ont été rendus au cours des dernières années par des tribunaux de la Colombie-Britannique dans diverses affaires comme La Reine c. Tener ou l'affaire des mines Casamiro indique qu'ils considèrent que les restrictions générales—pour utiliser mes propres termes—constituent une expropriation.

Mme Karen Kraft Sloan: Oui. Je connais beaucoup de membres de ce comité qui auraient tendance à être d'accord avec vous sur ce point et je pense que nous devons prendre cela en considération.

Merci.

Le président: Merci, madame Kraft Sloan.

J'ai la vague impression que Mme Carroll voudrait faire un bref commentaire. Soyez brève, parce que je voudrais poser une question à M. O'Ferrall.

Allez-y.

• 1055

Mme Aileen Carroll: J'estime que c'est une discussion très intéressante pour définir de façon plus précise...

Nous considérons, et le projet de loi aussi, qu'il y aura expropriation dans 0,01 p. 100 des cas. On ne considère pas que, sur le plan juridique, cela soit très différent de ce qu'on a déjà connu.

Ce que je voulais dire, c'est que, vers la fin du XXe siècle, les pouvoirs publics ont adopté de nouveaux règlements. Ces règlements restreignent l'exercice des droits privés de propriété dans l'intérêt de la société et que, peu importe les règlements sur l'exercice des droits privés de propriété, les assemblées législatives et les tribunaux ont généralement accepté le principe que l'exercice des droits privés de propriété au Canada doit être restreint lorsque le bien public est en jeu, contrairement au raisonnement que l'on suit aux États-Unis, où la situation est entièrement différente. La notion de bien public implique qu'il n'y aura pas nécessairement dédommagement ni versement d'indemnités, qu'il s'agisse d'une expropriation ou d'un autre type de restriction. Nous devons considérer que nous devons tous investir dans le bien public et ne pas déclencher toutes sortes de recours à la jurisprudence ou de poursuites devant les tribunaux. C'est une responsabilité qui nous incombe.

Je vous remercie. Merci, monsieur le président.

Le président: Pouvons-nous permettre à M. O'Ferrall de faire des commentaires? Veuillez être bref.

M. Brian O'Ferrall: Je dirais notamment que s'il ne s'agit que de 0,1 p. 100 des cas et que si l'on veut...

Mme Aileen Carroll: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Brian O'Ferrall: Non. S'il s'agissait d'un pourcentage infime, vous auriez peut-être raison. Il est normal que vous vouliez mettre ces mesures de protection en place pour vous assurer l'adhésion d'un pourcentage élevé de la population canadienne qui vit sur des terres où sont situés des habitats. Autrement dit, si ce n'est pas très répandu, il faut faire en sorte que le processus soit équitable pour les personnes concernées lorsqu'un problème se pose.

Mme Aileen Carroll: Je crois que ce sera un problème pour un très faible pourcentage des personnes concernées et cela n'aura aucune conséquence pour M. Kure et sa ferme d'élevage. Si l'on prend des initiatives pour protéger une espèce en voie de disparition dans un habitat situé sur ses terres, diverses options sont possibles: collaborer à l'intendance et à ce moment-là l'intéressé recevrait des fonds, avant qu'il ne puisse se plaindre qu'on l'empêche d'exercer son métier. Il se trouve que ce n'est pas bien de procéder ainsi. Ce n'est vraiment pas bien.

Merci.

Le président: Très bien. La discussion devient de plus en plus intéressante. Merci.

Monsieur O'Ferrall, voudriez-vous faire des commentaires sur ce qui suit? La conclusion que je tire de votre mémoire, qui est une analyse très concise et très lucide, est que vous croyez que l'indemnisation est le seul moyen d'obtenir la collaboration des citoyens, que c'est une condition sine qua non et qu'il faut verser des indemnités raisonnables.

La loi est fondée sur diverses mesures regroupées sous le titre «Intendance», qui sont censées permettre de s'assurer la collaboration du public en limitant le plus possible le nombre de cas nécessitant une indemnisation. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'approuve le raisonnement de M. Pearse qui dit «qu'un régime adéquat d'indemnisation réduirait l'incitation à collaborer» alors que vous, vous pensez le contraire, d'après ce que vous dites au 11e paragraphe. Pourquoi en êtes-vous arrivé à cette conclusion?

M. Brian O'Ferrall: Je m'explique. Si mon analyse est concise, c'est parce que j'économise les mots. Une indemnisation adéquate est précisément ce qui incite à collaborer, surtout lorsqu'on demande au propriétaire d'un bien-fonds de supporter des conséquences déraisonnables ou injustes. J'admets que nous devions tous supporter les conséquences de ce projet de loi. Mais lorsqu'on demande au propriétaire d'un bien-fonds, qui en possède les titres de propriété, de supporter les conséquences dans une mesure qui dépasse les limites du raisonnable, j'estime que c'est une indemnisation adéquate ou la possibilité de la réclamer, sans être certain de l'obtenir—autrement dit, même si le tribunal décide que vous n'avez pas subi le préjudice dont vous vous plaignez—qui incite à collaborer, parce que la nature humaine est ainsi faite.

Je ne parle pas des dispositions concernant l'intendance. Je parle de l'interdiction s'appliquant à la destruction d'un habitat essentiel. Si cette interdiction est à mon détriment, la seule motivation que j'aie de collaborer est l'indemnisation. Il n'est plus seulement question d'intendance, mais d'interdiction, d'une interdiction s'appliquant à l'utilisation de mon bien-fonds pour empêcher la destruction de l'habitat essentiel en question.

• 1100

Ce que vous devez comprendre, c'est que les personnes que vous avez consultées vous ont parlé d'un aspect très restreint du projet de loi, à savoir des dispositions qui indiquent qu'il y aura possibilité d'indemnisation lorsque l'interdiction aura des conséquences extraordinaires.

Le président: Et c'est pourquoi vous nous avertissez que l'emploi du terme «extraordinaires» entraînerait des exercices juridiques acrobatiques et qu'il faudrait le remplacer par... par quoi encore?

M. Brian O'Ferrall: Je crois qu'il suffirait de préciser que l'indemnisation doit être juste et raisonnable.

Nous avons eu des problèmes avec les mesures législatives concernant l'indemnisation en Alberta. On oblige les agriculteurs à devenir ce que j'appelle des menteurs, car les nombreuses règles qu'il faut respecter pour obtenir des indemnités les incitent à exagérer leurs pertes. C'est la réaction que provoquerait ce projet de loi également. À partir du moment où l'on précise qu'il doit s'agir de conséquences extraordinaires, les intéressés trouvent toujours un moyen d'exagérer.

Le président: Je regrette beaucoup de devoir libérer la salle pour nos collègues. Je les prie de nous excuser pour le retard.

Au nom des membres du comité, je vous remercie pour cette discussion très intéressante. Nous nous réjouissons de vous revoir.

La séance est levée.

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