STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 10 mai 2001

• 0837

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte la quinzième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Nous recevons aujourd'hui des témoins qui viennent nous parler du projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

Je souhaite la bienvenue à notre groupe de témoins distingués, ainsi qu'aux membres du comité à cette heure relativement matinale pour nos délibérations.

Nous accueillons aujourd'hui des témoins représentant la Gendarmerie royale du Canada, en la personne du commissaire Zaccardelli; le Service de police de Toronto, avec le chef Julian Fantino; le Service de police de Winnipeg, avec le chef Jack Ewatski; et la Criminal Lawyers' Association, représentée par Irwin Koziebrocki et Michael Lomer. Bienvenue à vous tous. Comme vous le savez, chaque groupe dispose de dix minutes pour présenter une déclaration préliminaire. Par la suite, les membres du comité vous poseront des questions. Puisque nous devons terminer à 11 h, nous allons commencer immédiatement avec le commissaire Zaccardelli qui se trouve en tête de liste.

Le commissaire Guiliano Zaccardelli (Gendarmerie royale du Canada): Merci, monsieur le président.

J'étais ici hier et j'ai abondamment parlé sur le sujet. Je précise au comité que j'ai décidé de ne pas présenter d'exposé et de favoriser plutôt un bon dialogue sur le sujet. Je répondrai volontiers à vos questions.

Le président: J'apprécie et je suis certain que M. Fantino va utiliser vos dix minutes.

Des voix: Ah, ah!

Chef Julian Fantino (Service de police de Toronto): Monsieur le président, vous avez fait votre travail.

Tout d'abord, mesdames et messieurs les membres du comité, je tiens à vous remercier de me donner la possibilité de venir témoigner sur ce sujet extrêmement important qui est une source de préoccupations pour nous tous. Cependant, je ne pense pas avoir besoin moi non plus de beaucoup de temps pour évoquer les questions profondes sur lesquelles nous nous penchons aujourd'hui, questions qui touchent la trame même de notre société canadienne. Il s'agit bien entendu du crime organisé et de ses conséquences. La documentation de votre comité évoque un grand nombre des conséquences et des coûts du crime organisé pour la population canadienne et il me paraît inutile de revenir sur ces points particuliers.

• 0840

En revanche, nous devons diriger notre attention sur d'autres aspects tels que le problème du trafic de drogue dans notre société et la criminalité qui en découle et qui nous touche directement dans nos collectivités; toute la question du blanchiment d'argent, des vols avec violation de domicile, des extorsions, des fraudes commerciales dans le secteur de la haute technologie. Toutes ces activités criminelles font les nouvelles le soir, mais elles font également des victimes parmi les citoyens.

Il faut toutefois remettre les choses en perspective. J'ai constaté, au fil des ans, que le crime organisé est essentiellement glorifié au cinéma et à la télévision. Il semble être considéré par un grand nombre de gens comme une source de divertissement. Et je pense que dans certains cas il a acquis une certaine respectabilité. Pourtant, le crime organisé, ce n'est rien de tout cela. Le crime organisé, ce sont des personnes âgées dépouillées de toutes leurs économies, des immigrantes contraintes de se prostituer, une des menaces pour notre jeunesse. Et bien entendu, nous avons tous connaissance d'accidents hélas trop fréquents de jeunes victimes de surdose de drogues. En fin de compte, il faut bien comprendre qu'il s'agit là d'une activité inspirée par le profit. Le crime organisé est mercenaire par nature, n'a aucune conscience et ne vise que le profit.

Par conséquent, il est extrêmement important d'éliminer le profit du crime organisé afin de maintenir un semblant de sûreté, de sécurité et de qualité de la vie et protéger notre nation des menaces que posent les activités du crime organisé qui, comme nous le savons tous, sont de nature internationale et à multiples facettes.

C'est pourquoi je voulais dans mon témoignage aujourd'hui—et je vous remercie de m'en donner l'occasion—applaudir les initiatives que propose le projet de loi C-24. Comme vous le savez, monsieur le président, vous êtes à l'origine de bon nombre de ces propositions et nous nous y intéressons nous-mêmes depuis de nombreuses années. Les questions que j'ai soumises sans relâche aux décideurs que vous êtes émanent directement de la collectivité. Aujourd'hui, je me sens privilégié de représenter ma collectivité et de vous présenter les préoccupations des citoyens de la ville de Toronto. C'est exactement le but et l'intention de mes commentaires.

Bon nombre des amendements que propose le projet de loi C-24 sont absolument essentiels. Mais, je vous le dis en toute franchise, nous espérons que les travaux se poursuivront dans ce domaine et que l'on continuera de rester vigilants afin de poursuivre l'excellent travail qui a abouti au projet de loi C-24. À mon avis, monsieur le président, c'est un travail qui n'est jamais achevé.

Nous devons multiplier les initiatives contenues dans ce projet de loi si nous voulons faire des progrès importants dans la lutte contre le crime organisé. Je pense même qu'il est possible d'améliorer certaines dispositions du projet de loi C-24 pour obtenir les résultats escomptés qui, à mon avis, sont tout à fait louables. Par exemple, monsieur le président et messieurs et mesdames les membres du comité, la question des produits de la criminalité est un excellent point. Par ailleurs, la notion d'enquêteur poursuivant que l'on trouve dans l'esprit de la loi, le financement de la création d'équipes chargées d'effectuer ce genre de travail sont extrêmement louables. Mais il ne faudrait pas se limiter aux infractions à une loi fédérale et inclure également les autres infractions de caractère hybride qui ne sont pas incluses expressément, d'après mes observations, dans la proposition actuelle.

Il est nécessaire également, bien entendu, que le gouvernement fédéral et les provinces collaborent plus étroitement sur certaines de ces questions, en particulier dans le domaine de la poursuite et des produits de la criminalité, des dispositions concernant la confiscation des biens, etc. Des fonds sont absolument nécessaires pour permettre au ministère de la Justice, aux procureurs provinciaux, à la GRC et à nos services de police municipaux et provinciaux de multiplier les efforts dans ce domaine, de mettre sur pied une équipe d'élite pour combattre le crime organisé à l'échelle nationale.

• 0845

Nous devons imposer des peines dissuasives aux auteurs du crime organisé, y compris des sentences minimales obligatoires sans possibilité de libération conditionnelle tant que la peine n'a pas été entièrement purgée. Bien entendu, nous devons dans certains cas avoir des dispositions qui s'appliquent à vie après la libération des délinquants. Nous devons également mettre en place des mesures visant à empêcher la poursuite des activités de crime organisé pendant que les délinquants sont en prison. C'est un aspect sur lequel il faut se pencher, car je crois qu'en incarcérant les délinquants, on ne met pas nécessairement fin au problème. Nous avons besoin de mécanismes permettant de travailler en collaboration avec les organismes d'application de la loi des autres pays et il faudrait que ces partenariats soient, évidemment, universels, car, comme je l'ai déjà mentionné, les activités du crime organisé sont de dimensions internationales.

Je voulais également souligner rapidement un certain nombre de points qu'il faudrait, à mon avis, examiner. Par exemple, il faudrait je crois s'intéresser au recrutement des membres du crime organisé auquel les dirigeants ne participent pas nécessairement directement. Tout cela se fait à distance. Il faudrait, à mon avis, rendre beaucoup plus claire l'infraction de dirigeant de bande, en ce sens qu'un chef est un chef et qu'il ne doit pas nécessairement se livrer au recrutement pour être considéré comme un chef, ainsi que semble le préciser le projet de loi C-24.

Je souhaiterais également que le comité se penche sur le port d'insignes. Je sais que cette question soulève peut-être des problèmes en raison des dispositions de l'article 2 de la Charte des droits et libertés concernant la liberté d'expression. Cependant, il faudrait introduire une notion de présomption permettant d'inverser la charge de la preuve lorsque le prévenu porte certains insignes qui sont nettement associés aux activités du crime organisé.

Par ailleurs, il y a la question des peines obligatoires. Nous estimons que la loi devrait prévoir des peines minimales pour toutes les infractions liées au crime organisé.

D'autre part, je propose d'élargir dans certains cas les pouvoirs de la police en matière de détention, fouille et enquête sur les membres des organisations criminelles notoires.

Rapidement, les dispositions actuelles du projet de loi ne s'étendent pas aux législateurs provinciaux et à leurs familles lorsqu'ils se consacrent à des questions liées au crime organisé—pas plus qu'aux élus municipaux—qui sont victimes de menaces et d'intimidations. Je vais vous donner rapidement un exemple. Un conseiller municipal oeuvrant en vue de fermer les locaux d'un groupe de motards n'est pas moins vulnérable que je le suis dans mes fonctions. Par conséquent, je pense que nous devons élargir la portée des dispositions afin d'inclure toutes les personnes qui, dans l'exercice légitime de leurs fonctions, visent un objectif cherchant à contrer les activités du crime organisé. Je vous prie instamment d'envisager d'inclure dans le projet de loi une protection spéciale pour toutes ces personnes, jusqu'à l'échelon des conseillers municipaux. Toutes ces personnes font partie de notre équipe et nous devons les protéger, elles et leurs familles.

Enfin, je sais que l'article concernant l'immunité soulève un grand débat. Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, vous devriez nous donner les moyens de faire correctement notre travail et d'affronter les défis extraordinaires qui se présentent à nous dans nos efforts pour protéger le bien public. Il faut se garder en effet de penser qu'il y aura automatiquement des abus si la police dispose de pouvoirs plus grands et d'un mandat plus large. Ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent au Canada. Nous avons des obligations de rendre compte. Je reconnais qu'il faudra mettre en place un système de frein et contrepoids, mais il me paraît déplorable que des hommes et des femmes oeuvrant sur la ligne de front et faisant face à de graves dangers ne bénéficient pas des moyens et de la protection qui leur sont nécessaires pour effectuer un travail très dangereux et très difficile.

Si le pays ne veut pas nous les accorder, alors il faut que cela soit dit clairement. Cependant, je m'insurge contre la notion voulant que l'octroi à la police de certains pouvoirs plus larges entraîne automatiquement des abus. Je reconnais qu'il faudrait mettre en place des mesures de contrôle et des obligations de rendre compte, mais je ne pense pas que les 25 000 personnes chargées de l'application de la loi au Canada céderaient à la corruption tout simplement parce que nous souhaitons travailler plus efficacement pour le bien du public.

Le temps file, monsieur le président. J'espère que j'aurai l'occasion de continuer un peu plus tard.

• 0850

Le président: C'était très bien, monsieur Fantino.

Nous allons maintenant entendre le chef Jack Ewatski de Winnipeg.

Chef Jack Ewatski (Service de police de Winnipeg): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup. C'est un plaisir pour moi d'être ici ce matin et je vous remercie de me donner la possibilité de témoigner.

À titre de chef de police d'une des plus grandes zones métropolitaines du pays, je me présente devant vous aujourd'hui pour vous parler d'une des menaces les plus graves à la sécurité publique au Canada de nos jours, à savoir le crime organisé.

En tant que membre du comité du crime organisé de l'Association canadienne des chefs de police et membre de l'exécutif du Service canadien des renseignements criminels, je peux affirmer que la lutte au crime organisé est une des priorités nationales de la répression criminelle.

Le crime organisé est une menace réelle ici même dans notre société au Canada ainsi que dans les autres nations du monde. Il est impossible de s'attaquer isolément aux activités du crime organisé puisque cette activité est pratiquée avec grand raffinement par des groupes qui opèrent dans le contexte de l'économie globale.

Le crime organisé a des impacts réels sur la sécurité publique ainsi que des conséquences sociales et financières. Il est impossible de chiffrer les coûts en souffrance humaine qui résultent des activités telles que la prostitution et l'abus de drogues. Les personnes qui se sont fait prendre dans le cycle infernal de modes de vie déviants et de la dépendance résultant des activités criminelles et celles dont les actions traduisent un sentiment de désespoir et de crainte, témoignent de l'impact négatif que de telles activités peuvent avoir sur notre tissu social.

Si l'on tient compte des pertes financières découlant de divers actes criminels liés aux activités du crime organisé qui touchent mortellement les particuliers, mais aussi l'économie en général, on peut aisément chiffrer les coûts du crime organisé à plusieurs milliards de dollars canadiens chaque année.

Les vols, les cambriolages, la vente de drogues, l'extorsion et les actes frauduleux, pour ne nommer que quelques activités criminelles, représentent un montant ahurissant d'argent et de biens prélevés dans les poches des honnêtes gens, blanchis à travers un réseau d'établissements illégitimes et remis entre les mains de ceux qui ont choisi de vivre en marge de la société.

La sécurité et surtout la perception de la sécurité souffrent de l'existence des activités criminelles, organisées ou non. C'est la crainte et l'intimidation du crime organisé qui sèment la terreur dans le coeur des Canadiens lorsqu'ils entendent parler d'actes violents, impitoyables et insensés.

On peut dire que la peur anéantit silencieusement la santé, le dynamisme et l'esprit de la collectivité.

L'Association canadienne des chefs de police comprend qu'il faut aborder le crime organisé comme n'importe quelle autre question de sécurité publique à l'aide d'une approche multidisciplinaire en trois dimensions. La prise de conscience, l'éducation et l'application de la loi sont les composantes de cette approche et il convient d'élaborer des stratégies pour chacune d'entre elles. L'un des plus grands défis consiste à faire en sorte que la population canadienne prenne conscience de la menace que pose le crime organisé dans notre pays. Il faut toutefois être prudent dans nos efforts visant à encourager une plus grande prise de conscience, afin d'éviter de contribuer au sentiment de panique, sans perdre de vue le fait que le crime organisé est une réalité dans notre pays.

Il faut mettre en oeuvre des stratégies de communication visant à décrire le crime organisé afin de dissiper les perceptions de nombreuses personnes qui pensent que de telles activités criminelles existent peut-être dans d'autres pays, mais pas au Canada.

Nous devons attaquer le problème à la base, c'est-à-dire auprès des jeunes qui doivent savoir que le crime organisé ou n'importe quel autre mode de vie criminel n'est pas un état auquel ils devraient aspirer. La glorification de la culture du gangster comme on peut le voir au cinéma et à la télévision, est une illusion. Ce qu'il faut montrer, ce sont les conséquences réelles du comportement criminel, y compris l'incarcération et/ou une mort violente et prématurée.

L'application de la loi doit se faire de manière rapide, ferme et cohérente lorsque l'activité criminelle se produit. La police et tous les intervenants du système de justice pénale doivent disposer des outils nécessaires pour faire leur travail. Nous avons tous un rôle à jouer dans cette entreprise et les outils dont nous avons besoin doivent être disponibles au moment opportun, qu'il s'agisse de ressources, de formation ou des dispositions de la loi.

Comme je l'ai déjà dit, le crime organisé est une réalité de notre pays. Mes homologues des autres régions pourront parler en plus grande connaissance de cause des activités criminelles dans leur secteur. De mon côté, je peux affirmer devant le comité que le crime organisé existe au Manitoba. Des bandes de motards, des bandes fondées sur l'appartenance culturelle et des entrepreneurs criminels qui se regroupent selon les formules non traditionnelles du crime organisé ont manifesté leur présence dans ma province.

Le trafic de drogues, la prostitution, l'extorsion, la criminalité avec violence, le blanchiment d'argent et les fraudes concernant les cartes de crédit ne sont que quelques-unes des activités qui ont été associées à des groupes de crime organisé au Manitoba.

Le degré d'organisation d'une bande internationale de motards n'est pas le même que celui d'une bande locale, mais elles ont en commun la volonté de s'attaquer à la société de diverses manières, au mépris de la loi, des autres et des dommages qu'ils peuvent leur infliger.

Le projet de loi C-24 est, à mon sens, un pas dans la bonne direction qui mettra le système de justice pénale en meilleure position pour lutter contre le crime organisé. Il contient quelques-uns des outils législatifs que réclamaient les chefs de police du pays. Ces outils permettront à nos agents de première ligne d'être aussi efficaces que possible dans leur lutte contre les activités criminelles graves.

• 0855

Nous devons envoyer un message extrêmement clair à ceux qui croient pouvoir vivre du crime organisé. Ceux qui ont pour mission de faire respecter l'ordre public doivent exprimer ce message d'une voix unanime. Ce message doit proclamer haut et fort que le Canada est le pire endroit au monde pour l'exercice du crime organisé.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Les prochains témoins représentent la Criminal Lawyers' Association.

M. Irwin Koziebrocki (vice-président, Toronto, Criminal Lawyers' Association): Merci, monsieur le président.

Je suis accompagné du trésorier de notre association, Michael Lomer. Nous sommes tous deux coprésidents du comité législatif.

C'est toujours un privilège pour la Criminal Lawyers' Association d'être convoquée devant votre honorable comité. Nous avons accepté à plusieurs reprises par le passé votre gracieuse invitation et nous espérons que notre témoignage vous sera utile en ce qui a trait au projet de loi modifiant le Code criminel.

Avant de poursuivre, nous devons reconnaître que les questions abordées dans ce projet de loi sont de la plus haute importance. Il ne fait aucun doute que la Chambre a le devoir de se pencher sur les questions de la responsabilité pénale. Si le crime organisé et les bandes criminelles présentent une menace aussi grave qu'on le dit, il faut en effet s'attaquer à ce problème. La véritable question est de savoir si le projet de loi tient suffisamment compte des besoins en matière de protection du public contre la criminalité et de l'obligation de protéger le public de tout débordement non justifié des services de maintien de l'ordre.

La nécessité de combattre le crime ne peut s'accompagner de l'abdication de cette responsabilité et de ce droit aux services de maintien de l'ordre. Sur le plan philosophique, nous estimons que la police, pas plus que les autres citoyens, n'est autorisée à enfreindre la loi. C'est un principe fondamental de notre démocratie qui a cours depuis 200 ans dans notre pays ainsi que dans les autres pays démocratiques.

Cela étant dit, nous reconnaissons que le projet de loi a passablement évolué par rapport à sa forme initiale et qu'un certain nombre de questions ont été prises en compte. Mon collègue M. Lomer et Mme Janet Leiper ont pris part en octobre dernier à une table ronde du ministère de la Justice au cours de laquelle le premier projet de loi avait été dévoilé. Nous avions présenté alors notre point de vue et proposé quelques changements au ministère de la Justice. Certains d'entre eux ont de fait été pris en compte et adoptés dans la version actuelle du projet de loi.

En janvier de cette année, M. Roy m'a invité à assister à la présentation de la proposition révisée au ministère de la Justice. Cette fois encore, nous avons présenté quelques changements concernant la responsabilité publique politique. Certaines des modifications que nous avions proposées figurent dans le projet de loi que vous avez actuellement sous les yeux. Je constate respectueusement qu'il s'agit là d'un pas dans la bonne direction.

Il est important que la Chambre et les procureurs généraux et solliciteurs généraux de tout le pays soient appelés à rendre des comptes lorsque la police enfreint la loi. Le projet de loi tel qu'il se présente actuellement soulève de nombreuses questions. J'aimerais en aborder quelques-unes.

Le projet de loi passe pour être un instrument de lutte contre le crime organisé, mais ce n'est pas nécessairement le cas. C'est un texte d'une grande portée. Les services de maintien de l'ordre ne se limitent pas à faire enquête sur les infractions liées au crime organisé; ils peuvent enfreindre la loi dans de nombreux cas. Ils peuvent mettre à l'épreuve ceux qui sont susceptibles ou soupçonnés de se livrer à des activités criminelles.

• 0900

Vous savez que plusieurs commissions royales ont révélé par le passé que la police avait enfreint la loi et que non seulement les tribunaux, mais également cette Chambre ont institué des commissions royales afin de déterminer pourquoi et comment cela s'était produit. La police peut faire enquête non seulement sur les membres du crime organisé, mais également sur les députés que l'on soupçonne de corruption, ou sur d'autres agents de police et avocats. Tout dépend de la personne qui est chargée de l'enquête et de ses préjugés particuliers. En fait, le projet de loi devrait être accompagné d'une mise en garde à l'intention de ses utilisateurs. En effet, il peut aller beaucoup plus loin que les définitions qui s'appliquent au crime organisé.

La définition de crime organisé contenue dans le projet de loi s'est considérablement élargie. Sauf votre respect, il me semble qu'elle s'écarte considérablement de la notion de crime organisé. On trouve actuellement dans le Code criminel une définition établie il y a deux ou trois ans. Selon cette définition, pour qu'une organisation soit reconnue comme criminelle, il faut qu'elle compte cinq membres et qu'elle se livre à certaines activités depuis cinq ans.

Les premières poursuites en vertu de ces dispositions ont cours actuellement devant les tribunaux. La constitutionnalité de ces dispositions est actuellement contestée devant les tribunaux. Elles semblent avoir survécu à la première étape, mais la contestation se poursuit à des niveaux supérieurs. On nous demande maintenant de modifier la loi pour y inclure une définition du crime organisé selon laquelle trois personnes commettant des infractions punissables sont passibles d'être accusées d'appartenir à une organisation criminelle.

J'ai déjà été procureur de la poursuite dans une organisation appelée groupe des enquêtes spéciales, un service composé de personnes provenant de diverses organisations dont certains membres du groupe de témoins se souviendront. Notre définition du crime organisé était légèrement différente.

La définition proposée s'appliquerait par exemple à trois jeunes qui décideraient de visiter plusieurs chalets par un bel après-midi ou au cours d'une fin de semaine. Cette définition du crime organisé s'appliquerait également à trois grands-mères qui prendraient l'initiative de faire des faux chèques pour boucler plus facilement leur fin de mois parce que leur pension n'est pas suffisante. Voilà des infractions punissables puisqu'elles sont graves et perpétrées par trois personnes. Elles répondent à la définition de crime organisé qui figure dans le projet de loi. Elles auraient pour conséquence l'imposition de peines consécutives; aucune libération sur parole avant d'avoir purgé la moitié de la peine; et dans le cas des trois jeunes faisant la tournée des chalets, celui qui serait perçu comme le chef de bande serait passible de l'incarcération à vie.

Voilà le type de problèmes auquel s'applique le projet de loi. L'objectif visé par le projet de loi est largement dépassé.

Une des questions principales consiste à déterminer si la police peut enfreindre la loi et se rapporte conséquemment à l'obligation de rendre compte à la population et aux autorités de la police. Le projet de loi contribue d'une certaine manière à régir l'obligation de rendre compte. Autrefois, dans les cas d'infraction ou d'ingérence par rapport aux droits individuels, un représentant de l'autorité tel qu'un officier de justice devait autoriser ce type de responsabilité. Par exemple, un juge doit examiner la preuve avant de donner un mandat de perquisition. Quant à l'autorisation d'intercepter les communications privées, il revient à un juge de la cour supérieure de décider si la chose est appropriée.

À ce titre, le changement législatif le plus profond depuis 200 ans a consisté à accorder au Solliciteur général du Canada le pouvoir de nommer certains officiers supérieurs de police qui eux-mêmes peuvent donner à des subalternes le pouvoir d'enfreindre la loi.

• 0905

Les services de maintien de l'ordre ont actuellement le pouvoir de déléguer les responsabilités. Ces autorités ne sont absolument pas tenues de rendre des comptes au public, comme elles pourraient l'être. On ne demande pas à un juge d'autoriser quelqu'un à enfreindre la loi. Un ministre du gouvernement peut prendre la parole à la Chambre et expliquer pourquoi certaines lois ont été violées dans certaines circonstances, mais on ne lui demande pas de rendre des comptes sur les personnes qu'il a nommées. Cela représente une fracture grave dans la chaîne de responsabilité.

La délégation d'un pouvoir aussi important devrait à tout le moins être accompagnée d'une obligation de rendre compte, de sorte que la personne responsable devrait confirmer qu'elle était au courant de la situation et qu'elle a autorisé la violation de la loi. Ce n'est pas le cas en vertu du projet de loi.

Vous autorisez la violation de la loi dans presque tous les cas graves, hormis pour le meurtre et l'agression sexuelle. En effet, dans le cadre de son travail, la police peut faire à peu près n'importe quoi à part commettre un meurtre ou une agression sexuelle ou causer des lésions corporelles graves. Par exemple, la police peut commettre un vol si c'est important pour son travail d'infiltration. Certaines infractions graves doivent être autorisées par un cadre supérieur de la police. Dans certaines situations, ce n'est pas le cadre supérieur de la police qui les autorise, mais plutôt l'agent qui se trouve sur le terrain ou les personnes travaillant pour la police, telles que les informateurs, qui sont généralement des criminels. Voilà des éléments graves qu'il faudrait prendre en considération dans de telles circonstances.

Comme vous le voyez, le projet de loi soulève également d'autres questions comme la création d'une nouvelle infraction de meurtre au premier degré ainsi que le propose le paragraphe 231(6.2).

Il y a aussi l'infraction consistant à faire entrave à l'administration de la justice telle que proposée au paragraphe 423.1. Nous pourrons revenir sur cette clause particulière qui soulève toutes sortes de questions et qui comprend notamment l'expression «la personne associée au système judiciaire ou l'une de ses connaissances». Il est possible d'intimider un membre du système judiciaire, ou des personnes qu'il ou elle connaît. Je suppose qu'il s'agit de personnes de la connaissance du membre du système judiciaire. Est-ce que le boucher ou le livreur de journaux de cette personne sont concernés par cette phrase? L'article proposé est extrêmement vaste et peut s'appliquer à toutes sortes de personnes.

Le projet de loi s'applique à des activités qui en elles-mêmes ne seraient peut-être pas considérées comme des meurtres au premier degré. Par exemple, un homicide involontaire en temps ordinaire pourrait être considéré désormais comme un meurtre au premier degré. Voilà un aspect préoccupant sur lequel il faudrait se pencher.

Le paragraphe 467.11(1) du projet de loi concernant l'assistance au crime organisé soulève en lui-même un problème et peut avoir des ramifications constitutionnelles. On peut y lire en effet que quiconque contribue en pleine connaissance de cause à une activité d'une organisation criminelle commet de ce fait une infraction. Une personne qui loue du terrain ou une propriété aux Hell's Angels commet-elle une infraction criminelle tout simplement parce qu'elle connaît la réputation générale de cette bande de motards? La clause précise qu'il n'est pas nécessaire de connaître les personnes en question, ni quel genre d'infractions criminelles elles ont commises, ni de savoir de quelle manière on contribue ainsi à les assister dans la perpétration du crime en question. Ainsi, la livraison de produits alimentaires à des Hell's Angels pourrait être considérée comme une assistance à leurs activités criminelles.

• 0910

J'ai ensuite des questions concernant les dispositions relatives au jury contenues dans le paragraphe 631(3.1).

Le président: Pourriez-vous en parler un peu plus tard?

M. Irwin Koziebrocki: Je termine dans une minute.

Le président: Très bien.

M. Irwin Koziebrocki: Voulez-vous protéger les jurés? Il est question de protéger l'anonymat des jurés dans certains cas et de protéger leur droit à la vie privée. Sauf votre respect, le droit à la vie privée ne doit pas être le facteur déterminant lorsqu'il s'agit de savoir si un accusé connaît le jury constitué de ses pairs au moment de déterminer qui va juger cette personne. La sécurité des jurés est une question qui peut se poser, mais le droit à la vie privée n'a jamais été considéré comme un facteur approprié pour la protection des jurés.

Essentiellement, nous estimons qu'il faudrait se demander si le projet de loi n'a pas une trop grande portée, s'il ne va pas au-delà de l'objectif visé et s'il ne diminue pas gravement dans les faits les droits du public, bien que l'objectif soit de remédier à un problème grave, mais un problème que l'on pourrait peut-être régler de manière plus mesurée.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je vais...

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): J'en appelle au Règlement, monsieur le président. Puisque le temps dont nous disposons pour les questions est limité, serait-il possible de demander aux autres membres du groupe d'experts de répondre aux commentaires que vient de faire le représentant de la Criminal Lawyers' Association?

Le président: Je ferai ce que vous me direz. Est-ce que vous êtes d'accord?

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, AC): Je préférerais qu'on fasse d'abord le premier tour de questions.

Le président: Très bien. M. Cadman souhaiterait que l'on fasse d'abord le premier tour de questions et que l'on redonne par la suite la parole aux différents témoins... Par conséquent, si vous avez des...

M. Chuck Cadman: Nous ne voulons pas de pugilat.

Le président: Si vous avez des questions à adresser ou des réponses à présenter... gardez-les en tête.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Cadman pour sept minutes.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Je remercie tous les témoins d'être venus. La semaine a été longue pour le comité.

Ma question s'adresse aux chefs. Il y a quelques jours, nous avons entendu des représentants de l'Organized Crime Agency de Colombie-Britannique et nous avons parlé avec eux du financement. Tel que prévu sur le papier, le financement leur paraissait assez raisonnable. Cependant, au moment de le répartir dans la pratique entre les interventions de première ligne, la lutte elle-même contre le crime organisé, le maintien de l'ordre, le financement ne paraissait pas énorme.

J'aimerais avoir votre point de vue sur le financement depuis vos différentes perspectives. Est-il approprié? Est-il suffisant? En faudrait-il plus? Faudrait-il revoir la répartition? J'aimerais connaître votre point de vue sur le financement et les ressources.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Monsieur le président, je peux peut-être répondre le premier puisque j'ai reçu ces fonds.

Nous étions très heureux de recevoir ces fonds. Je dois dire cependant qu'ils ne correspondent pas à ce que nous avions demandé et ils sont insuffisants pour faire tout ce que nous projetons. En revanche, ces fonds nous ont placés dans une bien meilleure position pour lutter contre le crime organisé.

Cependant, l'argent et les ressources ne suffisent pas, il faut également apprendre à mieux travailler ensemble. Nous devons conjuguer nos ressources au sein de la collectivité non seulement pour le maintien de l'ordre, mais également dans les autres secteurs de la société. Il y a une multitude de facteurs.

Pour répondre directement à votre question, nous avons apprécié recevoir l'argent. Nous accepterions volontiers plus d'argent, mais nous sommes en mesure, avec les montants que nous avons reçus, d'offrir un bien meilleur service au public canadien.

Chef Julian Fantino: Moi, monsieur le président, je ne suis pas content.

Je vais vous expliquer pourquoi si vous le permettez. Nous sommes confrontés à un problème national et même plus. C'est, à vrai dire, un problème international. Mais si vous le voulez bien, je vais me limiter à la responsabilité de notre pays dans ce domaine particulier.

• 0915

La ville de Toronto est la plus grande municipalité du pays et on me dit même qu'elle est la cinquième par ordre de grandeur en Amérique du Nord. Bon nombre des activités que nous reconnaissons comme des manifestations du crime organisé ont des impacts très graves dans nos propres collectivités: dans nos quartiers, nos écoles, chez nos enfants, menaçant la qualité de vie de nos voisinages.

Nous collaborons extrêmement bien avec les autres organismes. Comme le commissaire l'a précisé, il existe toutes sortes d'activités communes et intégrées et nous poursuivons nos efforts dans cette direction. Cependant, j'éprouve énormément de difficultés à diriger les ressources dont nous disposons ailleurs que dans les interventions quotidiennes pour régler les problèmes pressants auxquels je suis confronté. J'appelle cela la chaîne de montage; je ne peux absolument pas l'arrêter ni en modifier le rythme.

Nous recevons chaque année environ huit millions d'appels. Nous parcourons chaque année dans la ville 33 millions de kilomètres, uniquement pour les activités de routine des services de police.

Je tiens à préciser que d'importantes activités reconnues comme des manifestations du crime organisé se produisent dans ma propre collectivité, dans les rues de mon quartier. Je ne reçois aucun financement fédéral direct susceptible de m'aider à consacrer les ressources nécessaires pour effectuer comme on le devrait ce service difficile exigeant l'intervention de nombreuses personnes dans la lutte du crime organisé. Nous faisons de notre mieux, mais de jour en jour, j'ai l'impression d'avoir à quémander des ressources pour pouvoir offrir un service qui est en fait une priorité nationale.

Merci.

Chef Jack Ewatski: Monsieur le président, je vais me contenter de faire écho aux commentaires du chef Fantino, puisque je viens moi aussi d'une municipalité.

Les problèmes entourant le crime organisé sont devenus si complexes et les enquêtes si compliquées que nous devons imposer des normes de rentabilisation aux enquêtes. Nous ne voulons certes pas orienter nos priorités strictement en fonction des analyses de rentabilisation, mais c'est parfois la bonne solution et c'est ce que nous avons fait pour lutter contre certaines de ces activités.

C'est très difficile pour les chefs de police du pays qui, à partir de leurs ressources limitées, doivent poursuivre leurs activités quotidiennes en plus d'avoir à réaliser des études très complexes et coûteuses pour lutter contre certains groupes criminels aux techniques extrêmement raffinées. C'est une situation que nous avons vécue récemment au Manitoba.

Je peux vous dire que mon point de vue est le même. Nous devons travailler très fort pour tenter de faire mieux les choses, mais à un moment donné, nos ressources ne suivent plus. Les enquêtes très complexes imposent des pressions extrêmement énormes sur nos activités courantes de maintien de l'ordre.

Le président: Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman: Oui, merci.

Je m'adresse maintenant à la Criminal Lawyers' Association. Vous avez émis certaines réserves au sujet des définitions, notamment celle des associations du crime organisé. D'autres que vous ont soulevé ces mêmes inquiétudes. Nous sommes tous ici pour apprendre, pour trouver une meilleure façon de faire les choses.

On veut éviter en effet qu'un organisme comme l'Organized Crime Agency de Colombie-Britannique s'en prenne aux grands-mères en colère lorsqu'elles décident de bloquer une voie d'accès à une exploitation forestière dans le détroit de Clayoquot. Comment définir le crime organisé? Comment modifier la définition? Comment devrait-on définir un groupe voué au crime organisé? Nous ne voulons pas que cette définition englobe des groupes tels que celui des grands-mères en colère.

M. Irwin Koziebrocki: D'après moi, nous avons franchi une première étape qui consistait à fournir une définition décrivant raisonnablement ce que nous estimons être le crime organisé: un groupe de personnes qui passent leur temps à commettre des infractions criminelles. C'est une définition qui est assez universelle dans le monde occidental et que l'on retrouve par exemple dans le code du RICO aux États-Unis. Dans sa définition, il est question de cinq personnes se livrant pendant une certaine période de temps définie dans la loi, c'est-à-dire cinq ans, à une série de crimes. Même s'il n'est pas possible de prouver chacun des crimes, on peut démontrer l'existence d'une activité criminelle qui permet l'application de cette définition.

Vous venez à peine de commencer à appliquer cette définition des infractions criminelles dans des poursuites et vous voulez déjà la modifier. On ne sait pas encore quels sont les résultats qu'elle produira. De fait, certaines causes sont actuellement à l'étude devant les tribunaux. Aux dernières nouvelles, la constitutionnalité de la loi a été maintenue en première instance. Des condamnations ont été obtenues dans le cadre de ces poursuites et j'espère que la loi continuera d'être confirmée par les instances supérieures.

• 0920

Que trouvez-vous de mauvais dans la façon actuelle de procéder? Pourquoi voulez-vous la modifier? Cela ne vous avance à rien pour lutter contre les individus que nous associons traditionnellement au crime organisé.

Pour les autres, il y a le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il y a les accusations de complot et de complicité. Tout cela se trouve dans le Code criminel. Rien de tout cela n'a été changé.

C'est cet aspect particulier de la criminalité que vous voulez cibler; en voulant modifier la définition, vous modifiez ce qui existe déjà, une définition qui est actuellement mise à l'épreuve. J'aime la définition actuelle concernant les organisations criminelles et je peux m'en contenter.

Mais, bien entendu, cela ne m'empêchera pas de me présenter en cour d'appel et en Cour suprême du Canada pour affirmer qu'elle est contraire aux droits constitutionnels.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

[Français]

Le président: Monsieur Ménard.

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je ne vais pas pouvoir rester pour le deuxième tour parce que je m'en vais en comité. J'espère donc que vous serez plus indulgent à mon égard en termes de temps puisque je ne serai là qu'une seule fois.

Je suis totalement en désaccord avec l'affirmation...

[Traduction]

Maîtrisez-vous.

[Français]

Est-ce que cela va arrêter mon temps, monsieur le président?

[Traduction]

Le président: Vous venez de perdre 19 secondes.

[Français]

M. Réal Ménard: J'ai quatre questions et un commentaire.

Une des questions qui concernent les parlementaires a trait à la notion d'immunité assez large qu'on entend donner. D'une part, j'aimerais savoir pourquoi la notion d'immunité, telle que proposée dans le projet de loi, ne doit pas être circonscrite aux actes de gangstérisme, mais à l'ensemble des enquêtes criminelles. D'autre part, j'aimerais savoir pourquoi un juge et la magistrature ne pourraient pas intervenir, comme c'est le cas pour les saisies ou d'autres dispositifs analogues en droit criminel. J'aimerais que vous nous donniez des exemples très précis là-dessus, parce qu'il s'agit d'une question qui préoccupe assez le caucus du Bloc québécois pour penser déposer un amendement. C'est la première question.

Deuxième question. Monsieur Fantino, vous avez parlé de l'infraction liée au leadership qui doit être explicitée. J'aimerais que vous nous donniez plus d'information à cet égard. C'est la même chose lorsque vous voulez élargir les pouvoirs de perquisition qui, en ce moment, sont reliés à la Loi sur l'administration des biens saisis. J'aimerais que vous nous expliquiez cela.

Vous parlez également du port des blousons et des écussons. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait là d'un indice qui contribue à la preuve de l'infraction définie à l'article 467.1. Dites-moi si j'ai bien compris, et si ce n'est pas le cas, ce que vous souhaitez de spécifique.

En ce qui a trait à la déclaration des avocats en droit criminel, je suis prêt à parier une grosse bière que ce qu'ils soutiennent n'est pas plausible pour la bonne et simple raison que lorsque vous mentionnez...

[Traduction]

Je pense que vous ne m'écoutez pas. Je vais devoir poser une question. Ah, vous ne pouvez pas travailler. D'accord, je vais poser une question pour vous.

[Français]

Je disais donc que vous mentionnez que trois jeunes qui décident de s'introduire par effraction dans un chalet pourraient être considérés comme faisant partie d'une organisation criminelle et qu'on ne peut pas soutenir cela devant le comité en vertu même du libellé de la loi, qui précise que la définition ne comprend pas un groupe d'individus formés au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction.

Alors, j'espère que vous allez nous expliquer comment vous entendez démontrer que les infractions commises au hasard, par exemple pour un chèque sans fonds ou lors d'une introduction par effraction dans un chalet, sont possibles. J'arrête mes questions en espérant obtenir des réponses.

• 0925

[Traduction]

Comm. Guiliano Zaccardelli: Vous avez posé bien des questions. Je suis contre l'idée qu'un juge intervienne dans la notion de l'immunité pour les agents de police. Je crois qu'il faut qu'il y ait une distinction claire. La magistrature ne devrait rien avoir à voir avec le processus d'enquête. Je trouve qu'il est préférable de s'en tenir à la responsabilité envers le ministre et envers les chefs de police.

Je sais qu'un lien a été fait, ou que la question a été posée: qu'en est-il de l'écoute électronique, des affidavits et ainsi de suite? Il s'agit de paramètres bien définis, de délais très limités. Je ne pense pas que ce soit les deux... Et ça ne devrait pas être le cas. Nous ne devrions pas mêler les juges à cela. Il est clair selon moi qu'ils doivent répondre de leurs actes devant le chef de police et le ministre et je pense qu'il n'y pas un groupe dans notre société qui est surveillé de plus près que les services de police.

Ils ont de toute évidence des comptes à rendre et, comme le chef Fantino l'a dit, les chefs de ce pays sont très responsables. Nous pouvons nous comparer à n'importe qui au monde et nous allons toujours nous classer premiers pour ce qui est de la façon dont nous nous comportons, de l'intégrité de nos organisations et des normes qui régissent la prestation de services de police de qualité. Cela ne fait aucun doute pour moi.

[Français]

M. Réal Ménard: Pourquoi un juge ne peut-il pas le faire? Est-ce parce que ce n'est pas possible lorsque vous faites une enquête? Donnez-nous des explications.

Je ne doute pas de l'intégrité, mais on vit dans une société de droit, et il n'y a personne qui nous explique pourquoi cela est possible pour l'écoute électronique, pour la confiscation, et impossible dans le cadre d'une enquête. Donnez-nous un exemple.

[Traduction]

Comm. Guiliano Zaccardelli: Je ne peux pas vous donner d'exemple. C'est possible. Vous pourriez l'écrire dans la loi à l'intention des juges. Je ne le nie pas. C'est possible, mais je ne pense pas que ce soit la bonne façon de s'y prendre. À mon avis, ce serait une erreur dans notre système de mêler l'appareil judiciaire à une enquête criminelle ou au processus pénal dans lequel les enquêteurs interviennent. Nous sommes obligés de rendre des comptes par l'entremise de nos ministres qui sont des représentants élus et je pense qu'il faut qu'il en soit ainsi—à l'intérieur de ce système. Il y a un certain nombre de solutions possibles. Je crois tout simplement que ce n'est pas la bonne façon de faire dans notre système. Je ne dis pas que ce n'est pas possible. Vous pourriez le faire, mais ce serait une grave erreur.

Chef Julian Fantino: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je n'ajouterai rien à ce que le commissaire a dit.

Je suis complètement d'accord avec la position qu'il a définie. Je tiens à vous signaler que je suis tout à fait en faveur de règles de responsabilité très strictes en ce qui concerne ces questions. C'est ce qui se fait actuellement dans bien des cas différents. Je dois vous dire que le poste le plus vulnérable dans tout service de police est celui du chef, parce que moi-même, en tant que chef de police—peu importe ce que fait chacun de mes employés, peu importe dans quelles circonstances—je suis en fin de compte responsable de tous leurs actes et de tout ce qui se passe dans mon service. Je ne sais pas comment je pourrais être plus responsable. J'ai constamment la tête sur le billot, chaque fois que quelqu'un prend une décision dans mon service, et je l'accepte. Cela fait partie de notre système et je suis tout à fait d'accord.

Cependant, je tiens à insister sur le fait qu'il ne faudrait pas confondre le rôle de la police avec le rôle indépendant de la magistrature ou n'importe quelle question de politique qui intervient dans le rôle que nous avons le mandat de jouer. C'est mon point de vue.

M. Réal Ménard: Ce n'est pas une explication. Nous avons besoin d'explications pour comprendre pourquoi. C'est quand le processus d'enquête est difficile à arrêter. Nous avons besoin de plus d'explications pour comprendre pourquoi vous avez besoin d'agir ainsi.

Chef Julian Fantino: Si vous voulez avoir une explication bien précise, je vous dirai tout d'abord que c'est en raison de la philosophie rattachée à la façon dont nous faisons les choses dans ce pays-ci. Il y a une distinction claire entre le rôle de la police et le rôle politique, avec tout ce qui s'ensuit comme responsabilités.

Mais il y a aussi urgence ici. Nous avons maintenant un système de télémandats, par exemple. Malgré tout, il nous est très difficile de faire les choses que nous devons faire sur-le-champ. Je peux vous dire aussi que des décisions sont prises en un instant dans des circonstances très difficiles—c'est notre rôle—on n'a pas le temps de consulter des avocats et de convoquer une réunion de comité quand il s'agit de décider s'il faut ou non faire telle ou telle chose. Très souvent, c'est une question de vie ou de mort. Nous devons avoir ce genre de latitude pour pouvoir faire notre travail honorablement, d'un point de vue éthique et de manière professionnelle, tout en tenant compte des exigences.

• 0930

Laissez-moi vous citer un très bref passage que j'aime partager avec les gens. C'est une citation de Jeffrey Robinson, auteur du livre The merger: how organized crime is taking over Canada and the world. Il dit:

Le crime organisé semble avoir le feu vert dans tous les cas, et notre système est impuissant à intervenir. Pourtant, on veut passer les menottes à la police. Si c'est ce que voulez faire, libre à vous. Notre devoir nous oblige à respecter les règles, et nous les respecterons.

Mais, à mon avis, il est faux de penser que la police, si elle avait des pouvoirs extraordinaires... que nous avons actuellement, soit dit en passant. Qu'est-ce que cela a de si différent avec tout ce que nous faisons aujourd'hui? En passant des menottes aux poignets de la police, vous allez trouver un juste équilibre? J'ai des nouvelles pour vous—rien n'arrête les criminels. Quoi qu'il en soit, écoutez votre conscience et faites ce que vous croyez devoir faire. J'essaie simplement de vous expliquer comment les choses se passent en première ligne, là où je travaille et où je vis, là où j'interviens et où mes gens se trouvent.

Je vais passer très rapidement, parce que je sais que le temps file ici, à la question des écussons. Le projet de loi prévoit bien sûr certaines conséquences, comme nous le savons, pour ceux qui porteraient des écussons ou manifesteraient autrement qu'ils sont membres d'une organisation criminelle. Je ne le trouve pas assez sévère.

J'ai admis tout à l'heure que je n'ai de toute évidence aucune formation juridique. Je ne sais pas si une interdiction totale résisterait à une contestation fondée sur la Charte. Je pense qu'il faut toutefois reconnaître qu'il y a une différence entre un badge de scout et un écusson porté à l'épaule, au bras ou sur le blouson de membres bien connus du crime organisé, comme les motards.

Il y a des messages clairs qui vont de pair avec ces écussons. Même si on ne peut pas avoir d'interdiction totale, je pense qu'il faudrait inverser le fardeau de la preuve. Quand on sait très bien ce que ces écussons représentent, il faudrait que le fardeau inversé de la preuve soit prévu dans l'interprétation donnée. Je pense que c'est ce qu'on appelle une réfutation de présomption de participation fondée sur le port d'écussons. Vous devriez examiner la question.

Si je me souviens bien, je pense que votre dernier point avait trait au chef. De la façon dont le projet de loi est actuellement libellé, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a ordonné, par exemple, à une personne de commettre un acte criminel dont profiterait et serait responsable une organisation criminelle.

Cela pose un problème pour nous, parce qu'il nous faut démanteler ces organisations et arriver à leur chef. Très souvent, celui-ci est isolé et bien protégé par tous ceux qui font partie de la hiérarchie. Une bonne partie du travail est fait par des subordonnés, par exemple. Les chefs de grandes organisations criminelles ne recrutent pas souvent personnellement et ne demandent pas à personne non plus de se livrer à des activités criminelles. Ils sont trop intelligents pour cela.

Selon nous, il serait préférable que les chefs d'organisations criminelles soient tenus responsables de leurs actes parce qu'ils occupent un poste d'autorité, de contrôle ou de commandement à l'intérieur de l'organisation criminelle et reçoivent sciemment des récompenses ou des avantages, etc., parce qu'ils occupent ce poste. Cette approche serait plus réaliste que celle qui est actuellement prévue dans le projet de loi, ou que l'interprétation proposée dans le projet de loi.

J'espère avoir répondu à vos questions, monsieur.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Lomer.

M. Michael Lomer (secrétaire, Criminal Lawyers' Association): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je vais tout d'abord aborder la question de la définition d'une organisation criminelle qui ne s'appliquerait pas à trois jeunes qui décideraient une fin de semaine de s'introduire par infraction dans des chalets. Il suffirait de dire que s'ils s'introduisent par infraction dans plus d'un chalet, ils ne commettent pas une seule infraction. S'ils se connaissaient déjà...

Le président: Pourriez-vous s'il vous plaît, dans l'intérêt des traducteurs, déplacer un peu le microphone?

M. Michael Lomer: Certainement.

Chef Julian Fantino: Je suis toujours prêt à aider les avocats.

• 0935

M. Michael Lomer: Si ces trois jeunes se sont rencontrés à l'école, ce n'est pas par pur hasard. Je ne connais aucun procureur qui ne réussirait pas à contourner la question de la formation «au hasard», parce que rien ne se forme au hasard. C'est presque une limite sans limite, parce que «formé au hasard»... S'ils se sont tous rencontrés dans un bar, ce n'était pas par hasard; ils se sont rencontrés à un certain endroit et c'est comme ça qu'ils se sont connus. Donc, ce ne serait pas par hasard. Ce ne serait pas qu'ils arriveraient tous au chalet au même moment avec la même idée. Vous pourrez donc surmonter ce petit obstacle sans aucune difficulté.

La réalité, c'est que, oui, vous pouvez obtenir plus que ce que vous vouliez de cette mesure législative.

Pour ce qui est de la question des autorisations judiciaires de l'immunité, par opposition à l'immunité qui serait accordée aux services de police, je tiens à vous faire remarquer qu'on ne peut pas s'introduire dans la maison de quelqu'un, même un policier ne le peut pas, sans un mandat de perquisition, à moins qu'il s'agisse d'une situation très urgente. On ne peut pas faire d'écoute électronique, parce que le Code criminel dit que c'est illégal sans une autorisation judiciaire. En toute logique, je ne vois pas pourquoi, si vous deviez autoriser d'autres types de comportement qui autrement seraient criminels, vous ne pourriez pas obtenir au préalable une autorisation judiciaire. Il n'y a aucune raison logique pour laquelle cela ne devrait pas être là.

Je reconnais que ce serait un obstacle pour la police, parce que les mandats de perquisition constituent un obstacle pour la police, tout comme les autorisations d'écoute électronique. C'est une question d'équilibre dans nos affaires publiques qui nous fait dire que nous ne pouvons pas leur faciliter complètement la tâche d'obtenir des preuves—ils ne pourront pas faire d'écoute électronique au hasard; ils devront obtenir une autorisation.

Pour ce qui est des écussons, et sans parler de la grave question de la constitutionnalité de l'article 467.11 proposé, je n'entrerai pas dans les détails, mais qu'il me suffise de dire qu'il serait contesté presque immédiatement dans toute poursuite. Les adolescents qui portent un T-shirt de Che Guevara ne sont pas tous des révolutionnaires. La première chose qui va arriver, si ces écussons et ces emblèmes deviennent en quelque sorte un symbole des criminels, c'est qu'ils vont finir par être aussi populaires sur le marché que l'emblème des Maple Leafs de Toronto. Comment les gens pourraient-ils réagir autrement? Il est très difficile d'essayer de créer un acte criminel au moyen d'une simple infraction liée au statut juridique de la personne qui serait identifiée par ce qu'elle porte.

Le président: Merci beaucoup.

Bienvenue, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.

Bienvenue à nos invités. Je m'excuse de n'avoir pas pu assister à votre exposé.

J'ai une question à poser au sujet de la désignation spéciale qui sera accordée à la police en ce qui concerne l'immunité. Je dirai dès le départ que je crois qu'il y a certaines circonstances dans lesquelles cette désignation peut être accordée et je suis en quelque sorte réconforté par l'idée qu'il faudra que des comptes soient rendus après coup, qu'il devra y avoir un rapport, un examen.

Il y a une chose qui me trouble, et c'est le fait qu'il ne semble pas y avoir d'expiration de la désignation, c'est-à-dire que lorsqu'on aura obtenu un statut 007, il n'y aura plus aucun examen, semble-t-il, mis à part le système de rapports prévu. Et je prends certainement à coeur ce que M. Lomer vient d'expliquer, c'est-à-dire qu'il y aura sûrement une contestation constitutionnelle.

Cette absence de période fixe de désignation vous préoccupe-t-elle? Ensuite, aurions-nous intérêt à avoir peut-être un renvoi constitutionnel à cette question? Je sais qu'il pourrait y avoir un certain retard à l'entrée en vigueur de cette mesure législative, mais il me semble inévitable qu'elle se retrouvera devant les tribunaux. J'ai de la sympathie pour les procureurs qui vont devoir supporter le fardeau puisqu'ils devront intenter une action tout en faisant ce que le ministère de la Justice leur demande de faire en première instance, parce que cette question va se retrouver devant les tribunaux et que notre appareil judiciaire va en être saisi en moins d'un an au niveau le plus élevé de toute façon.

J'aimerais avoir vos commentaires sur ce que je viens de dire.

• 0940

M. Michael Lomer: Pour ce qui est des renvois constitutionnels, la Cour suprême est là bien sûr pour être saisie de toutes les affaires que le gouvernement choisit de lui renvoyer. C'est certainement une façon d'avoir une idée au préalable. La difficulté, c'est qu'elle n'a aucun précédent sur lequel se fonder. Les renvois constitutionnels ont toujours posé un problème en ce sens.

Je partage vos préoccupations au sujet du fait qu'il ne semble pas y avoir de limite de temps. Cela me rappelle les vieux mandats de main-forte que la GRC avait l'habitude d'avoir. On confiait un mandat à un agent qui le conservait en quelque sorte jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite.

Il semble que cela pourrait soulever une certaine inquiétude si ce n'est pas dans la loi, surtout si on choisit de ne pas avoir d'autorisations judiciaires et de plutôt recourir à un mécanisme politique... ou au Solliciteur général. Une fois que ce serait parti, comment se protéger et faire en sorte qu'il y ait en fin de compte une certaine responsabilité sans savoir si cela ne reviendra pas cinq ans plus tard sous une forme complètement inattendue? Ce sont là des préoccupations légitimes.

Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit d'autre pour le moment. Irwin?

M. Irwin Koziebrocki: Pour ce qui est d'un renvoi constitutionnel, en supposant que la loi demeure telle quelle, je suis d'accord avec cette approche particulière étant donné qu'à mon grand chagrin j'étais l'un des avocats qui ont plaidé l'affaire Campbell et Shirose à la Cour suprême du Canada, qui semble nous avoir mis dans ce véritable guêpier, si je peux m'exprimer ainsi.

Quand j'ai comparu devant la Cour suprême du Canada, je pensais défendre un principe de droit qui existait depuis une centaine d'années. La Cour suprême du Canada réaffirmait que personne n'est au-dessus des lois. Mais certains ont l'air de penser qu'elle a restreint la capacité des autorités policières de faire enquête.

Permettez-moi de ne pas être de cet avis, parce que pendant de nombreuses années la police a pu enquêter avec les outils dont elle disposait et voilà qu'elle dit maintenant qu'elle a un handicap.

Je pense que ce qu'on vous demande de faire dans cette mesure législative, qui est tant contestée, c'est de modifier notre système démocratique et nos lois. Si vous voulez que les plus hautes autorités, à part celles que nous avons ici, vous accordent un certain pouvoir, il vaudrait peut-être mieux avoir une cause type et voir si les diverses composantes et la responsabilité qui est prévue sont suffisantes.

À mon avis, elles ne le sont pas; ce seront les autorités policières qui décideront qui commet des infractions criminelles, comment ces infractions criminelles sont perpétrées et quelles sont les infractions criminelles qui sont commises. Ce ne devrait pas être à elles de décider. Ce devrait être aux autorités judiciaires, au Solliciteur général du Canada, aux solliciteurs généraux ou aux procureurs généraux des provinces afin que nous ayons tous des comptes à rendre dans ces circonstances.

Le président: Est-ce que quelqu'un a un autre commentaire?

Comm. Guiliano Zaccardelli: Monsieur le président, vous nous avez demandé si nous pouvions faire des commentaires au sujet de ce que notre ami de la défense a dit tout à l'heure. J'aimerais intervenir ici pour commenter ce qu'a dit mon ami, Irwin Koziebrocki, que je n'ai pas vu depuis de nombreuses années. Nous avons déjà travaillé ensemble, et nous nous entendions très bien. C'était un excellent procureur, soit dit en passant, mais un fier défenseur du droit de la police de faire enquête.

M. Irwin Koziebrocki: Je le suis toujours.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Je ne peux pas laisser passer l'occasion de commenter ce qu'il vient de dire, à savoir que la police a toujours eu le pouvoir de faire enquête et qu'elle a toujours eu les outils dont elle avait besoin pour le faire.

• 0945

Il était là lorsque l'affaire Shirose et Campbell a été jugée et cette affaire a tout changé. Nous pouvions, comme agents de police, faire toutes les choses que permettait la common law. Elles n'étaient pas illégales. Elles étaient acceptées dans notre système comme pouvoirs et comme moyens dont la police avait besoin pour s'acquitter de sa tâche dans la société. Je ne suis pas avocat, comme Julian Fantino l'a dit, mais de la façon dont j'interprète les choses, nous vous demandons simplement, en tant qu'organisations policières, de revenir aux règles du jeu équitables qui existaient avant Shirose et Campbell.

Je pense honnêtement que tout ce que l'affaire Shirose et Campbell a dit, c'est qu'il faut maintenant une autorisation pour faire ce qu'on pouvait faire auparavant. Il y a des lois pour cela. C'est ce qui est ressorti de cette affaire.

Donc, ce dont nous avons besoin, et je peux vous donner de parfaits exemples... Avant Shirose et Campbell, un agent de police pouvait acheter une carte de crédit volée, des marchandises volées, et aucune poursuite n'était intentée contre lui. Ce n'était pas considéré comme illégal. Cela faisait partie de ce que la police devait faire pour identifier une tendance, pour déterminer s'il s'agissait ou non d'une transaction unique ou si cela faisait partie d'un problème plus grave.

Au cours des dernières années, le gouvernement a investi d'importantes sommes d'argent pour arriver à contrôler la contrebande d'alcool et de tabac qui avait pris l'envergure d'une crise. Et il est parvenu à maîtriser la situation. Comment nous y sommes-nous pris? Il y a eu certaines réductions de taxe et ainsi de suite, mais nous avons aussi donné certaines ressources à la police pour qu'elle puisse enquêter. Et comment avons-nous utilisé ces ressources? Eh bien, nous avons acheté de l'alcool illégal et du tabac illégal. Nous pouvions le faire auparavant.

Depuis cette affaire, nous ne le pouvons plus. Nous avons cessé de le faire. Cela veut dire qu'il y a des organisations criminelles qui réalisent des profits et qui tirent parti de ce qui se passe dans la société, comme le chef Fantino l'a dit. Donc, je ne peux pas envoyer mon agent de police et lui demander de prétendre qu'il est contrebandier ou de vendre ou d'acheter des marchandises illégales. Ce sont là des questions pratiques.

Les cartes de crédit étaient considérées comme de la petite bière avant. C'est maintenant une entreprise de plusieurs millions de dollars. Les organisations criminelles s'en sont mêlées. Comment arriver à s'infiltrer pour savoir s'il y a des cartes de crédit illégales ou contrefaites?

Est-il important de protéger la monnaie de notre pays? Je ne peux pas envoyer un agent de police acheter de faux billets parce que nous devons respecter la loi—et nous la respectons.

C'est de ça que nous parlons. Il n'est pas question de commettre des actes illégaux. Nous n'en commettions pas avant et nous ne voulons en commettre aujourd'hui. Mais nous avons besoin des outils qu'il faut pour faire notre travail.

C'est très intéressant et toutes sortes de scénarios ont été proposés, dont certains sont plutôt épeurants. Et je suis très heureux qu'Irwin ait parlé des trois chalets. Il n'a pas parlé de l'étable et j'en suis très content. Comme membre de la GRC, cela me fait très plaisir, Irwin. Merci.

M. Irwin Koziebrocki: Je suis sensible à la GRC.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Merci.

En 1997, une nouvelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été adoptée. Cette loi accordait à la police le pouvoir de vendre des drogues. Combien de fois l'avons-nous fait? Nous l'avons fait une seule fois. Nous sommes autorisés à faire cultiver de la drogue pour les besoins de nos enquêtes. Nous l'avons fait une fois depuis 1997. Peut-on parler d'abus? Avons-nous fait tomber l'administration de la justice dans le discrédit?

Je pense qu'on peut parler de responsabilité. Je pense qu'on peut dire que nous sommes à la hauteur des normes les plus élevées qui nous sont imposées. Je pense que nous pouvons dire que nous rendons des comptes. C'est ce dont nous parlons ici, mesdames et messieurs. Comme le chef Fantino l'a dit, si nous n'avons pas les moyens... Je me rends compte qu'il doit y avoir un juste équilibre et que certains pouvoirs devraient nous être accordés au compte-gouttes dans notre société. Mais il nous faut certains pouvoirs de base, certains outils de base. C'est là notre argument.

Nous pouvons parler des adolescents et des chalets, mais Irwin m'aurait sorti du bureau si je lui avais raconté cette histoire. Vous le savez, Irwin.

M. Irwin Koziebrocki: Mais tout le monde n'est pas comme moi.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Nous pourrions parler toute la journée de la définition du crime organisé, mais lorsque nous avons affaire à une organisation, nous savons instinctivement s'il s'agit de crime organisé.

Le président: Malheureusement, nous ne pourrons en discuter toute la journée.

Nous allons passer à Judy pour sept minutes. Ou, si vous aimez mieux, avant que certains d'entre vous n'arrivent, nous avions décidé qu'après le premier tour, nous donnerions à nos témoins la chance de parler. Ils l'ont saisie, que nous le voulions ou non. Nous pourrons peut-être le faire au cours de la prochaine heure. De toute façon, nous allons passer à Mme Sgro.

• 0950

Mme Judy Sgro: Ma première question s'adresse aux avocats, et à Irwin. Et je ne veux pas perdre mon temps, parce que sept minutes, c'est vite passé. Je vais être très brève et je vous demanderais de me répondre brièvement.

Vous vivez dans ce pays. Vous devez être préoccupés par le crime organisé et l'ampleur qu'il a prise chez nous. Que suggérez-vous à la police de faire et quels outils devrions-nous lui donner pour qu'elle puisse faire son travail?

M. Irwin Koziebrocki: Si le commissaire Zaccardelli vous dit qu'il doit avoir le droit d'acheter des marchandises volées, pourquoi ne pas avoir dans le Code criminel une disposition particulière qui dit que la police peut, dans le cadre d'une enquête, acheter des marchandises volées?

Si le commissaire Zaccardelli vous dit qu'il doit avoir le droit d'acheter de l'alcool volé, ou de l'alcool qui enfreint nos lois douanières, accordez-lui le droit d'acheter de l'alcool volé. S'il doit avoir le droit d'acheter de l'argent de contrefaçon, donnez-lui le droit d'en acheter.

Ce sont des choses que les agents de police doivent faire pour pouvoir mener leur enquête. Ils n'ont pas nécessairement besoin d'acheter des drogues. C'est le problème qui s'est posé dans l'affaire Campbell et Shirose. Ils ont décidé qu'ils n'allaient plus acheter de drogues, qu'ils allaient en vendre. Le tribunal leur a dit qu'ils ne pouvaient pas le faire, qu'ils n'avaient pas le droit d'enfreindre les lois, que personne n'était au-dessus des lois.

Prévoyez des circonstances spéciales dans ce cas-ci où un policier pourrait infiltrer le crime organisé. Supposons qu'il s'agisse, par exemple, de motards qui décident de faire un vol. L'agent de police va-t-il prendre part à ce vol? Cette mesure législative l'autoriserait à le faire. Est-ce une bonne idée? Je n'en suis pas certain.

Jetez un coup d'oeil sur cette loi. Elle dit que tout est permis, à part le meurtre et l'agression sexuelle. L'organisation veut mettre à l'épreuve la vertu de l'agent d'infiltration. Que fera-t-elle? Si ce sont vraiment des brutes, comme la police l'affirme, ils vont lui demander de commettre un des crimes qui sont prohibés: «Va tuer ce gars. C'est un mouchard. Montre que tu fais partie de la gang. Va violer cette pauvre femme là-bas, parce que nous voulons que tu nous montres ce que tu as dans le ventre.» Que peut faire un agent de police qui s'est infiltré dans ces circonstances?

C'est le problème que pose cette loi. Elle n'est pas limitative et permet que la vertu des policiers qui s'infiltrent dans ces circonstances soit mise à l'épreuve. Si vous voulez accorder l'immunité à la police pour qu'elle puisse enquêter, il n'y a rien de mal à cela. Vous pouvez le faire. Vous pouvez dire que la police peut acheter des marchandises volées. Elle peut acheter des cartes de crédit. Elle peut ouvrir un magasin où les voleurs pourront vendre leur butin. Elle peut mettre sur pied une compagnie de finance où des bandits vont blanchir leur argent.

Mme Judy Sgro: Soit dit sans vouloir vous offenser, vous rendez-vous compte du nombre de documents qu'il faudrait pour y inscrire tout ce que vous auriez le droit de faire? La technologie change. Il faudrait que la police revienne ici chaque fois qu'il faut ajouter quelque chose.

M. Irwin Koziebrocki: C'est pourquoi vous êtes ici. C'est pourquoi nous viendrons ici.

Mme Judy Sgro: Nous avons déjà suffisamment de retard. Je dirais que la loi a certainement une quarantaine d'années de retard.

M. Michael Lomer: Vous avez modifié par voie de règlement la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour permettre la vente de drogues. Pourquoi ne pouvez-vous pas prévoir dans votre loi une modification par voie de règlement? Les règlements vont beaucoup plus vite.

Il y a vraiment une différence philosophique fondamentale ici. Allez-vous faire en sorte que la législature supervise a priori ce qui serait autrement considéré comme un comportement criminel mais qui est perçu comme un outil nécessaire pour la police? Toute forme de contrebande me paraît évidente et c'est un exemple qui a été utilisé dans le Livre blanc. On a fait une liste: ce sont là les choses dont nous avons besoin de toute évidence, et celles qui le sont moins...

Mme Judy Sgro: Monsieur Lomer, j'ai beaucoup de questions et on va bientôt me couper la parole, mais cela me rappelle l'article dont M. Fantino a parlé au sujet du XVIIe siècle.

Le président: Je pense que M. Fantino veut répondre à cette question lui aussi, Judy. Je vais vous laisser plus de temps.

Chef Julian Fantino: Merci, monsieur le président.

Je dirai très brièvement que l'objection qui a été soulevée ici en ce qui concerne cette question fait référence aux extrêmes. On parle toujours de cas extrêmes. Mais pour quelqu'un qui a été dans les tranchées et qui a travaillé sur le terrain—qui a participé à des opérations d'infiltration—bien des choses auxquelles il faut faire face à bref délai sont celles qu'on ne peut pas planifier.

• 0955

On ne peut pas tout simplement, par exemple, s'excuser parce qu'on doit aller demander la permission de faire telle ou telle chose. On ne peut pas tout simplement montrer son insigne et dire: «Non, je suis un policier, oubliez cela, je m'en vais.» Nous parlons ici de questions qui surgissent à brûle-pourpoint, qui se posent—sans qu'il s'y attende—pour un agent de police qui s'est infiltré et à qui on propose de commettre une infraction criminelle qu'il n'a nullement l'intention de commettre. Ça m'est arrivé. Il y a des choses que j'ai faites dans le cadre de mes fonctions, avant la décision Campbell et Shirose.

Donc, les règles ont changé. Nous devons nous mettre dans la tête qu'il faut avoir des règles du jeu équitables. Ce n'est pas une question d'abus de pouvoir de la part des policiers. C'est un droit fondamental pour les citoyens de ce pays d'avoir des règles du jeu équitables et c'est une chose fondamentale que nous devons aux hommes et aux femmes qui participent à ces enquêtes très sérieuses qui ont une incidence sur la sécurité et le bien-être de leur famille. Nous devons leur donner une forme quelconque de protection. Autrement, nous devrons sortir le drapeau blanc et nous rendre en disant que nous ne participerons jamais plus à une opération d'infiltration.

Je dois vous dire honnêtement, en tant que chef de police, que je ne mettrai jamais en danger un de mes agents de police, peu importent les circonstances, si nos lois et notre système de justice ne protègent pas au maximum sa sécurité et ne le mettent pas à l'abri des conséquences que ses gestes pourraient avoir plus tard. Tous ces litiges ne vont servir qu'à enrichir les avocats.

Merci.

Le président: Judy.

Mme Judy Sgro: Vous avez parlé de menottes tout à l'heure. Sachez où nous en sommes. Nous essayons de faire progresser la loi très rapidement, mais nous n'en avons été saisis qu'il y a deux jours. Nous reconnaissons qu'il y a un besoin et nous voulons procéder rapidement. Je serais intéressée de savoir ce que nous pourrions faire pour que les choses aillent mieux. Par ailleurs, il y a la question de la responsabilité et nous devons nous assurer que des comptes sont rendus.

Donnez-moi une idée de ce que vous ne pouvez pas faire aujourd'hui, en vertu de la loi actuelle, mais que vous seriez autorisés à faire. Est-ce que cela serait retreint aux unités du crime organisé? Ou lorsque ce projet de loi sera adopté et que vous aurez obtenu ce pouvoir, va-t-il être élargi aux services de police en général?

Comm. Guiliano Zaccardelli: À titre de porte-parole de la GRC, je dirais qu'il y a deux mots que j'aime vraiment dans cette mesure législative, «raisonnable» et «proportionnalité». Vous voyez, ce que la police fait doit être raisonnable et proportionnel au type d'enquête ou au type d'infraction, à la gravité de celle-ci. C'est très important. S'il n'y a pas de juste équilibre, ça ira mal.

La GRC va identifier les gens qui travaillent de toute évidence dans ce secteur en particulier. Il n'y aura pas de désignation à grande échelle. Ce sera très précis. Je sais que quelqu'un a dit qu'une fois qu'il y aura des désignations, ce sera pour toujours. La désignation vaudra tant qu'on travaillera dans ce secteur particulier.

La plupart des gens qui travaillent dans ces secteurs participeront à des opérations importantes, parce que nous n'avons pas les ressources, à vrai dire, pour nous occuper de tous les petits cas dont nous aimerions nous occuper. Nous nous en tenons aux affaires les plus graves. Ces affaires sérieuses, au cas où certains d'entre vous ne le sauraient pas, sont assujetties à un plan opérationnel qui doit être approuvé par les plus hauts cadres de nos organisations. Donc, tout est revu méthodiquement, de nombreuses fois, avant que quiconque soit autorisé à participer à certains types d'activités.

Il y a bien sûr des situations où il faut pouvoir réagir de sorte qu'il faut avoir les outils à ce moment-là, mais tout aura été planifié d'avance dans la plupart des cas. Il y aura donc un examen et des comptes seront exigés.

Je tiens à vous dire que je suis prêt à accepter les restrictions les plus strictes en matière de rapports que vous pourriez vouloir nous imposer comme organisation. Peu importe ce que vous me demanderez comme rapport, je suis prêt à vous le présenter, mais nous avons besoin de flexibilité, comme le chef Fantino l'a dit.

Cela paraît bien en théorie de dire «Pourquoi ne pas avoir une loi qui couvre tout?» Le problème, c'est que les choses changent. Les sociétés changent. Les marchandises changent. Les organisations s'intéressent à une multitude de marchandises. On ne parle d'ailleurs plus de marchandises, mais bien d'organisations criminelles, parce qu'aujourd'hui elles sont passeurs, demain elles vendront des cartes de crédit et, le surlendemain, des drogues. Elles font ce qu'il y a de plus rentable.

En réalité, oui, il faut avoir cette flexibilité. Il faut avoir les bons contrôles et l'obligation de rendre compte. Je crois que tous mes collègues, comme chefs et commissaires, seraient prêts à se plier aux structures de responsabilité les plus strictes qui nous seraient imposées.

• 1000

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons passer à M. Cadman pour trois minutes.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Je vais revenir sur une question à laquelle le chef Fantino et le chef Ewatski ont fait allusion, je crois, celle de la sensibilisation du public, de l'éducation et de l'idéalisation du crime organisé—je pense que nous pouvons tous nous reporter à une émission de télévision en particulier dont la cote est très élevée. En ce qui concerne l'éducation et la sensibilisation du public, avez-vous des idées ou des suggestions quant à ce que nous pourrions faire pour sensibiliser les Canadiens à la gravité du problème? Tout le monde ne regarde pas la chaîne parlementaire—j'imagine que tous ont une vie à vivre, du moins je l'espère. Comment mieux sensibiliser les Canadiens, surtout les jeunes, à la gravité du problème, leur montrer qu'il n'y a rien de valorisant dans tout cela?

Chef Julian Fantino: Une des choses que nous n'avons pas réussi à faire, collectivement—ce qui inclut la police—c'est de convaincre la population qu'il existe un lien direct entre les activités du crime organisé et les différents produits qu'elle consomme. Il y a des conséquences directes, et pas seulement l'augmentation de ce qu'il en coûte pour faire des affaires au Canada. Prenons par exemple les fraudes relatives aux cartes de crédit. Il y a quelqu'un qui doit payer pour les répercussions financières et pour les services. Mais surtout, il y a des conséquences directes sur la qualité de vie et sur tous les crimes accessoires auxquels nous devons nous attaquer dans les communautés.

Par exemple, il y a de l'importation, de la fabrication et de la culture de stupéfiants au plus haut niveau. En fait, le Canada est reconnu aujourd'hui aux États-Unis—et dans le monde entier, je suppose—comme une excellente source de marijuana hydroponique. De même, pour les migrants illégaux qui veulent entrer aux États-Unis, le Canada est une importante plaque tournante. Pour comprendre ce qui se passe en réalité, il faut voir quelles sont les conséquences des drogues dans nos communautés; il faut voir d'où elles viennent, comment elles sont fabriquées, qui les distribue, et il faut voir aussi quel est leur dénominateur commun, c'est-à-dire le fait qu'elles touchent les éléments les plus fragiles de notre société, nos jeunes, nos gens en difficulté et nos quartiers vulnérables. Pensez-y.

Et il faut tenir compte aussi de tous les crimes qui y sont associés, parce que c'est un cercle vicieux. C'est ça, le crime organisé. C'est une chaîne alimentaire. Tout ça nourrit le crime organisé, et nous n'avons pas réussi à convaincre les gens que nous devons tous en payer le prix, que nous sommes tous touchés, nos enfants, nos quartiers. Les gens considèrent ça comme un nuage de poussière radioactive qu'ils ne peuvent pas voir. Mais laissez-moi vous dire que nous, nous pouvons le voir; nous le sentons, et il nous touche tous, tout le temps, dans nos communautés. Je veux parler de la violence, du carnage de la guerre des motards au Québec. Y a-t-il d'autres endroits au monde, d'autres sociétés avancées, où on tolère ce genre de chaos, ces attentats à la bombe, ces assassinats en série, ces attaques contre les institutions judiciaires? Ce sont des choses qui se passent, c'est le crime organisé, c'est une réalité, mais malgré tous nos efforts de communication et d'information, les gens ne veulent pas voir la vérité et nous n'avançons à rien.

Chef Jack Ewatski: J'ai parlé d'une approche sur trois fronts, et je pense que nous devons l'appliquer pour toutes les questions touchant la sécurité publique. Il faut des efforts de sensibilisation, d'éducation et d'application de la loi, sans quoi nous serons absolument inefficaces. Nous l'avons fait dans mon service. Nous avons été le premier corps policier à procéder à une enquête en vertu des dispositions du projet de loi C-95 relativement à la participation aux activités d'un groupe criminel organisé, dans l'affaire des Warriors du Manitoba, qui a fait couler beaucoup d'encre.

La principale difficulté a été de convaincre le public qu'il y avait effectivement chez nous un problème lié au crime organisé. C'était difficile parce que les gens semblaient croire, comme je l'ai déjà dit, que le crime organisé ne prend pas cette forme-là et qu'il n'y en a pas près de chez eux. Mais nous avons présenté des arguments très convaincants et nous avons réussi à démontrer qu'il y avait une organisation criminelle très bien structurée qui était active dans les rues de Winnipeg et dans la province du Manitoba. Le processus judiciaire a permis de mettre cette réalité en lumière. Je pense que le procès a sensibilisé beaucoup de gens à l'ampleur du problème.

Notre ville a été qualifiée—ce qui est tout à fait injustifié, à mon avis—de capitale canadienne des gangs de rue; nous avons tous vu des manchettes à ce sujet-là. C'est un qualificatif que je n'accepte absolument pas, mais nous ne nous sommes pas attaqués au phénomène des gangs de rue simplement en essayent de faire respecter la loi. Nous avons mis des programmes en place avec nos partenaires pour nous occuper de nos jeunes, pour leur montrer que la vie de criminels, et en particulier la vie de criminels d'un groupe organisé, n'est pas un modèle à suivre et qu'elle entraîne des conséquences très sérieuses.

• 1005

Nous sommes allés dans les écoles, jusque dans les petites classes. Nous avons rencontré des enfants de six ou sept ans qui admiraient certains membres des groupes criminels organisés, que ce soient des gens de leur famille ou des voisins, et qui voulaient suivre leur exemple. Nous devons nous occuper de cette génération-là. Nous devons montrer à ces enfants que la participation à ces groupes a des conséquences graves.

Et nous devons leur offrir des options de rechange, parce qu'il faut s'attaquer à la racine du problème. Pourquoi les gens entrent-ils dans les gangs, pour commencer? Ils ont différentes raisons. Certains sont là strictement pour l'argent, mais il y a aussi des questions sociales auxquelles nous devons nous attaquer. Nous devons offrir à nos jeunes d'autres options, et un sentiment d'espoir. Ils se sentent souvent impuissants. Je m'en rends compte chaque jour dans ma ville. Ils n'ont personne vers qui se tourner, ils n'ont pas d'avenir, alors ils se disent: «Pourquoi ne pas entrer dans un gang? Pourquoi ne pas participer à ces activités parce que les gens du gang sont les seuls qui vont s'occuper de moi et que je pourrais profiter de leurs activités. Si je me retrouve en prison, tant pis. C'est le prix à payer pour mon style de vie.» C'est malheureux; c'est une tragédie courante dans la société d'aujourd'hui.

Donc, je suis d'accord pour dire que les programmes d'éducation doivent faire partie de notre stratégie de lutte contre les organisations criminelles. Mais il y a des gens qui ont adopté depuis longtemps le mode de vie du crime organisé, et qui appliquent des méthodes très raffinées. C'est contre ces gens-là, qui sont des criminels endurcis, que nous avons besoin d'outils comme ceux-ci.

Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Merci, chef.

Monsieur Owen, s'il vous plaît.

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Merci, monsieur le président.

Messieurs, merci beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

Je pense que la grande majorité des Canadiens apprécient nos corps policiers et sont très satisfaits de leurs services, pour bon nombre des raisons qui ont été énoncées aujourd'hui et que nous connaissons tous. Une des raisons pour lesquelles nous les apprécions tant et nous nous sentons aussi bien servis, ce sont les normes strictes qui s'appliquent à eux. Dans d'autres coins du monde, où on a laissé les forces de police et de sécurité agir en dehors du cadre de la loi, il y a eu un glissement très dangereux qui menace la démocratie. Cela s'est passé dans beaucoup de pays, et ce n'est pas parce que les forces de sécurité ont pris le pouvoir par la force, mais parce que la société elle-même—souvent une société démocratique—s'est sentie sérieusement menacée et l'a été effectivement. Donc, la population était prête à octroyer des pouvoirs accrus aux forces de police ou de sécurité; elle leur a accordé ces pouvoirs démocratiquement. Ce qui a entraîné des problèmes à certains endroits.

Nous ressentons aujourd'hui au Canada, avec une acuité de plus en plus grande, la menace que font planer sur nous des organisations criminelles de plus en plus omniprésentes. Nous devons faire en sorte que notre police dispose des outils nécessaires pour faire face à cette menace, sans aller jusqu'à risquer qu'elle commette des actes illégaux dont elle ne serait pas obligée de rendre compte. Il faut que ce soit mesuré. Dans le passé, il y a déjà eu des autorisations accordées à l'avance, dans des cas bien précis, par exemple des mandats de perquisition et des autorisations en vertu de la partie VI.

Nous prenons donc conscience maintenant—avec un peu de retard—de l'ampleur de la menace que représente le crime organisé et nous devons faire face à cette difficulté. La tâche qui nous attend, avec vos conseils, sera de trouver quels sont les outils supplémentaires dont vous avez besoin, de façon mesurée, graduelle et modérée, mais appropriée. Nous avons beaucoup parlé de cet aspect-là ce matin et les autres jours, et j'apprécie vos commentaires. Je pense qu'ils nous ont aidés à comprendre le problème.

J'aimerais cependant passer, brièvement, à la question des ressources, étant donné tout particulièrement que la nature du crime organisé a changé considérablement, ce dont nous nous rendons compte et ce que vous avez pu constater de près. Nous sommes passés de l'époque de la mafia traditionnelle, monolithique, hiérarchisée, en concurrence avec les autres organisations criminelles, très secrète, compétitive et sans pitié, à des réseaux réunissant des organisations criminelles à travers le monde, faits de petites cellules qui détiennent une information privilégiée, mais qui la partagent avec d'autres membres du réseau pour un crime précis. Nous constatons que les services de police vont devoir imiter ce type de fonctionnement. Vous avez d'ailleurs fait preuve de leadership à cet égard au Canada, par exemple en lançant des opérations policières conjointes.

• 1010

Il y a deux aspects qui peuvent, à mon avis, avoir une influence sur notre réussite et nos ressources à cet égard. Le premier, c'est que sur bien des plans, les forces policières ont toujours travaillé à peu près de la même façon que la vieille mafia hiérarchique; ils se méfient les uns des autres, souvent à juste titre, pour des raisons liées à la sécurité de l'information. Mais les renseignements n'ont pas été mis en commun, partagés, analysés et divulgués à ceux qui avaient besoin de les connaître, de la manière la plus efficace possible.

Premièrement, constatez-vous une amélioration dans votre capacité de recueillir de l'information par des moyens sûrs, de la faire analyser correctement et de la transmettre à ceux qui en ont besoin, au cas par cas? Est-ce qu'il y a une amélioration à ce niveau-là dans les milieux policiers?

Deuxièmement, il y a la nouvelle approche des opérations policières conjointes. L'Ontario l'applique depuis un certain temps, l'Alberta et la Colombie-Britannique s'orientent dans cette direction, et le Québec a obtenu récemment des succès importants grâce à cette formule. Cette approche permet d'utiliser de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible les ressources disponibles—aussi maigres soient-elles pour chacun des participants—en réalisant une opération conjointe, et en réunissant exactement les ressources et les compétences nécessaires. Est-ce que cette nouvelle approche est efficace, et est-ce que le partage, l'analyse et la diffusion des renseignements commencent à mieux fonctionner? Je sais que vous vous êtes déjà plaints que cela ne fonctionnait pas bien.

Comm. Guiliano Zaccardelli: La réponse courte, c'est que je crois que la police canadienne est un chef de file mondial dans ce domaine.

Vous n'avez qu'à voir les succès récoltés récemment au Québec et en Alberta grâce à ces opérations majeures. On aurait difficilement pu imaginer une opération de ce genre au Québec il y a quelques années. Nous avons plus de 1 000 agents qui y ont travaillé pendant plus de trois ans. C'est merveilleux. Il ne se fait pas mieux ailleurs. J'ai parcouru le monde à titre de commissaire et j'ai vu ce qui se passait.

Je peux vous dire que ce n'est pas suffisant. Mais nous obtenons déjà d'excellents résultats et nous concentrons nos ressources limitées sur les principales menaces contre notre pays. Il y a un meilleur partage et une meilleure collaboration. Nous avons tenu des réunions extraordinaires sur une base régulière. Et il n'y avait pas seulement des policiers présents à ces réunions; nous faisons aussi appel aux autres secteurs de la société parce que nous reconnaissons que ce n'est pas un problème policier, c'est un problème social.

Donc, je répondrais oui à toutes vos questions. Nous sommes un chef de file mondial, mais il y a encore place à l'amélioration.

Chef Julian Fantino: Je suis tout à fait d'accord avec le commissaire.

Nous avons d'excellents exemples de ce qu'il vient de dire. Les descentes récentes contre les motards en sont un. Il y a des opérations conjointes permanentes; certaines sont déjà bien implantées et d'autres sont en préparation. Nous nous dirigeons nettement vers des forces intégrées comme celles-là, soit sur une base permanente, soit au cas par cas, dans les situations où cela peut nous aider à tirer le meilleur parti possible de nos ressources.

Nous plaçons aussi la barre de plus en plus haut, et de beaucoup, pour ce qui est de notre façon de nous attaquer au crime organisé. Nous n'attendons plus que les occasions se présentent. Nous travaillons très fort pour trouver les renseignements nécessaires et pour cibler les organisations de manière à optimiser nos succès et—du moins nous l'espérons—à dépenser l'argent des contribuables de la manière la plus efficiente qui soit.

La dernière remarque que je voudrais faire sur ce point, c'est que nous ne sommes pas les seuls concernés. Certaines des activités qui se déroulent dans notre pays, et qui sont clairement liées au crime organisé, servent à financer des activités terroristes ailleurs. C'est un aspect dont personne n'a parlé ici, à savoir le lien direct qui existe parfois entre les activités du crime organisé et les actes terroristes qui sont commis ailleurs. C'est aussi une forme de crime organisé.

C'est également un aspect dont nous devons nous inquiéter sérieusement au Canada. Dans le cadre de la compétition pour accueillir les Jeux olympiques, je peux vous dire que les mesures à prendre à ce sujet-là ont été un élément majeur de la soumission préparée par Toronto. Il faut regarder le Canada dans une perspective mondiale. Il n'y a pas seulement la question de la sécurité du public, c'est-à-dire de la gestion des foules, mais aussi la menace terroriste. Le Canada n'est pas à l'abri de ce genre de chose.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Owen.

Monsieur MacKay.

Je rappelle aux membres du comité que leurs trois minutes sont censées inclure à la fois les questions et les réponses.

• 1015

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Je voudrais poser quelques questions courtes au sujet de la confiscation des biens.

Il me semble—et on l'entend souvent répéter—que le moyen le plus efficace de combattre le crime organisé, c'est d'empêcher l'argent de circuler. La plupart des Canadiens sont sidérés quand ils apprennent que certaines de ces organisations criminelles sont tellement ramifiées qu'elles peuvent continuer à fonctionner même à l'intérieur du système carcéral. Et la situation la plus dangereuse dans laquelle un policier puisse se retrouver, c'est sans doute d'être agent double dans un pénitencier fédéral pour essayer d'infiltrer certaines de ces organisations. Du point de vue de la police, est-ce qu'il y aurait plus à faire pour essayer d'empêcher ces cellules criminelles de poursuivre leurs activités même après coup?

En ce qui concerne certains des outils généraux disponibles, et même si le projet de loi C-24 représente déjà une nette amélioration s'il est adopté sous sa forme actuelle, que pouvons-nous faire de plus pour simplifier les critères à respecter pour obtenir un mandat, une autorisation d'écoute électronique ou autre chose du genre? La police se plaint souvent qu'il faut des tonnes et des tonnes de paperasse, en vertu des lois actuelles, avant d'obtenir les autorisations des tribunaux pour ce type d'interventions.

Chef Julian Fantino: Vous avez tout à fait raison. Quelqu'un a dit tout à l'heure que nous avons déjà eu les outils nécessaires pour faire notre travail, mais que ces outils ont disparu très rapidement au fil des années. Les demandes de mandat, ou les demandes en vertu de la partie VI, font maintenant des centaines de pages dans certains cas. Je ne sais même pas s'il y a quelqu'un qui lit tout ça, mais il semble maintenant que nous devions amasser toute cette information. Ce n'est plus la substance qui compte; c'est la quantité de papier qu'on noircit—le volume des mémoires qu'on présente—qui semble déterminer si on obtiendra ou non ce qu'on demande.

Cela dit, il y a un élément qu'il faudrait envisager à mon avis dans le projet de loi: il faudrait élargir la disposition sur les produits de la criminalité de manière à ce qu'elle ne s'applique pas uniquement aux infractions spécifiées ou désignées, mais à tous les actes criminels prévus dans les lois fédérales. Je pense que c'est trop restrictif, parce que très souvent, quand il y a des poursuites, cela signifie que la confiscation des biens ne serait pas possible en cas d'infractions mixtes, par exemple lorsque la Couronne déciderait de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité.

C'est une question fondamentale, que je tenais à soulever. Je suis content d'avoir eu l'occasion de le faire. Cela pourrait exclure des infractions comme le vol, la fraude et le blanchiment d'argent, selon ce que la Couronne choisirait de faire dans les cas de ce genre. Donc, nous devons examiner la question des infractions mixtes, surtout quand la Couronne décide—ce qui est son choix—de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Nous devrions inclure ces infractions également.

M. Peter MacKay: Il y a souvent des limites de temps à cet égard-là aussi.

Le président: Vous avez très bien fait ça, je dois dire.

Passons maintenant à M. DeVillers. Voyons s'il peut faire aussi bien.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Je vais essayer, monsieur le président.

Je suis toujours rassuré quand nous tenons des audiences comme celle-ci, et que nous entendons le chef Fantino nous dire que nous n'allons pas assez loin et M. Koziebrocki nous dire le contraire, à savoir que nous allons trop loin. Cela me porte à croire que le projet de loi a peut-être atteint l'équilibre que nous souhaitions.

Mais j'ai entendu le commissaire Zaccardelli et le chef Fantino se vanter de ne pas être avocats. Je suis avocat. Et en plus, je suis un avocat libéral gauchisant au coeur tendre.

Une voix: Ce sont les pires.

M. Paul DeVillers: Malgré cela, je suis prêt à appuyer ce projet de loi.

J'ai été membre du sous-comité qui a fait une bonne partie de la recherche et tenu une bonne partie des audiences. Ce que nous y avons appris, en ce qui concerne les objections et les préoccupations de M. Koziebrocki au sujet du changement relatif au nombre dans la définition des organisations criminelles, c'est que le crime organisé est en fait en train de s'adapter à cette mesure législative en constituant des cellules de moins de cinq personnes, qui continuent à fonctionner malgré cette disposition.

• 1020

Nous nous trouvons donc dans une situation qui exige des mesures législatives exceptionnelles parce que le crime organisé—comme nous l'avons appris au sous-comité—a une grande capacité d'adaptation. C'est la même chose pour les autorisations; si elles étaient spécifiques, comme certains le demandent, les organisations criminelles limiteraient leurs activités de manière à contourner les dispositions que nous pourrions inclure dans la loi.

Donc, nous avons appris que le crime organisé a une grande capacité d'adaptation et qu'il s'ajuste en fonction des lois. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces préoccupations dont nous avons entendu parler au sous-comité.

M. Michael Lomer: N'avez-vous pas peur d'inclure dans la loi un test de vertu en précisant les infractions que les policiers ne peuvent pas commettre, alors que ce sont précisément celles qu'on pourrait leur demander de commettre? Il me semble que cela pose un problème.

M. Paul DeVillers: Mais si nous faisions l'inverse et que nous disions qu'ils sont autorisés à commettre uniquement certaines infractions, je pense que les organisations criminelles connaîtraient le plan de match à l'avance et qu'elles limiteraient leurs activités en conséquence.

M. Michael Lomer: J'ai toujours été d'avis que les agents d'infiltration travaillent toujours dans des circonstances difficiles et qu'ils peuvent invoquer la nécessité ou la contrainte. En réalité, je dirais que nous n'avons jamais vu un agent d'infiltration accusé d'une infraction qu'il se serait senti obligé de commettre pour assurer sa propre sécurité ou pour une autre raison du même genre.

Donc, ce que vous faites en réalité, c'est que vous créez un drapeau rouge en disant aux policiers qu'ils ne peuvent pas faire certaines choses. Si ce que vous dites est vrai au sujet des conclusions du sous-comité, à savoir que les organisations criminelles s'adaptent à la loi, il me semble que c'est précisément le genre d'adaptation que personne ne souhaite.

Le président: Merci.

Voulez-vous répondre, commissaire?

Comm. Guiliano Zaccardelli: Vous vous rappellerez sûrement que je suis tout à fait d'accord pour dire que nous devrions revenir à la situation d'avant Shirose et Campbell.

M. Michael Lomer: En fait, je pense que l'arrêt Shirose et Campbell a été très mal interprété et que les agents d'infiltration ont toujours pu—et peuvent encore—invoquer la contrainte et la nécessité en défense. C'est la raison pour laquelle aucun d'entre eux n'a jamais été mis en accusation, ce qui est une bonne chose. Je ne dis pas qu'ils devraient l'être.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Mais la réalité, c'est qu'il n'y a pas seulement des cas où des agents doubles se trouvent dans des circonstances difficiles ou dans une situation d'urgence. Il a aussi des opérations bien planifiées qui requièrent des mesures spécifiques, de la part des agents ou de qui que ce soit d'autre.

Donc, dans des circonstances comme celles-là, tous les avis juridiques que nous avons reçus précisent que nous ne pouvons plus faire ce que nous faisions avant Shirose et Campbell. Donc, c'est une partie du problème.

M. Michael Lomer: Je ne voulais pas vous suggérer de vous servir des infractions réglementaires. Dans l'affaire qui a été portée devant la Cour suprême, vous aviez changé un des types de narcotiques après avoir effectué une perquisition. Vous aviez pris un échantillon de narcotique et vous aviez découvert qu'il ne faisait pas partie de la liste établie parce que la molécule avait été légèrement transformée. Vous aviez donc modifié le règlement, après quoi vous aviez arrêté vos suspects pour trafic de ce narcotique. La Cour suprême du Canada a déclaré que, si vous vouliez vous aventurer près de la frontière—la frontière de la criminalité—vous deviez être très conscients de ce qui est illégal et de ce qui ne l'est pas.

Donc, vous pouvez changer le règlement assez vite s'il y a quelque chose que vous voulez être autorisés à faire, à condition que les législateurs disent que vous pouvez le faire.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Sorenson, vous avez trois minutes.

M. Kevin Sorenson (Crowfoot, AC): Premièrement, j'ai vraiment apprécié l'heure qui vient de s'écouler. Je m'excuse d'être arrivé tard et d'avoir manqué vos présentations. J'aurais vraiment aimé les entendre et j'ai hâte de lire les transcriptions.

En examinant rapidement le projet de loi, premièrement... Il y a un membre de ma famille qui est policier et qui travaille comme agent double, et je l'ai entendu parler de certaines choses qui se font dans ce genre de travail. Avant d'arriver ici comme député, je l'écoutais presque avec horreur parfois, quand il me disait à quel point les agents comme lui devaient à l'occasion contourner les règles de la moralité pour pouvoir infiltrer les organisations et se faire passer pour des criminels. Il n'y avait rien de glorieux dans ce qu'il nous racontait, et je me suis rendu compte que ces gens-là risquent vraiment leur vie.

• 1025

J'ai écouté les arguments des deux côtés. J'ai écouté les représentants de l'association d'avocats, qui ont des arguments valables. Je comprends ce qui les motive. Et j'ai écouté les policiers, ceux qui sont sur la ligne de front, et je comprends aussi leurs préoccupations.

La vérité, c'est que nous sommes en guerre contre le crime organisé et qu'à mon avis, nous sommes en train de perdre cette guerre. Nous devons donc envisager des mesures législatives qui donneront à nos forces policières de meilleures armes pour livrer ce combat.

Quand j'ai examiné le projet de loi, j'ai lu quelque part que quelqu'un avait dit—peut-être quelqu'un d'entre vous—que le problème, avec les organisations criminelles, c'est qu'elles ont tout simplement trop d'argent; et notre problème à nous, c'est que nous n'en avons pas assez.

Il y a donc deux choses. Il y a les mesures législatives dont nous avons parlé, et il y a aussi les ressources.

Le Canada est un paradis pour le crime organisé. Nous imposons des peines généralement assez douces. C'est un fait reconnu. C'est peut-être discutable, mais c'est un fait. Nous avons aussi une frontière qui pose un problème pour ce qui est de la contrebande de biens et des autres crimes du genre, comme nous l'avons déjà dit. Mais il y a aussi que nous n'avons pas assez de ressources.

J'ai manqué vos présentations, mais j'aimerais vous poser une question. Dans ma circonscription, les agents de la Gendarmerie royale du Canada me disent, en gros, que le moral n'est pas bon à cause du manque de ressources. Or, ce projet de loi vise notamment—ce dont nous n'avons pas beaucoup parlé depuis que je suis arrivé—à augmenter les ressources dans une proportion que je qualifierais de minimale, soit de 200 millions de dollars sur cinq ans, si je ne me trompe pas.

Donc, ce que j'aimerais savoir, c'est si vous avez l'effectif nécessaire et les ressources nécessaires pour faire du bon travail. Dans cette bataille contre le crime organisé, comment maintenez-vous le moral des troupes? Même dans les régions rurales de l'Alberta, où la GRC n'a peut-être pas affaire au crime organisé autant qu'ailleurs, on voit des agents d'âge moyen qui quittent le service parce que le moral est bas, à cause des compressions, des postes supprimés...

Donc, que pensez-vous de cette augmentation de 200 millions de dollars en cinq ans et de la question des ressources en personnel?

Le président: Merci, monsieur Sorenson.

Je tiens à rappeler aux témoins que, quel que soit l'intérêt de la question, nous en avons déjà parlé tout à l'heure.

M. Kevin Sorenson: D'accord, excusez-moi.

Comm. Guiliano Zaccardelli: En tant que commissaire, je ne crois pas que le moral soit bas. Je pense qu'il est très bon.

Pour mettre les choses en perspective, je vous dirais que le Canada, s'il n'est pas le pays le plus sûr au monde, est certainement un des deux ou trois meilleurs à cet égard. Donc, il faut voir les choses en perspective. Si c'est un des pays les plus sûrs au monde, c'est en partie parce que nous avons une police très efficace. Mais la police ne travaille pas dans le vide, ce qui veut dire que nous avons beaucoup d'aide de la société. C'est une question de société. Donc, nous avons d'excellents services policiers.

Pourrions-nous avoir plus de ressources? Oui. Le gouvernement nous a accordé des ressources importantes depuis plusieurs années, mais les provinces et les municipalités ont également mis de l'argent dans les services de police. Le Canada a d'excellents corps policiers.

La GRC offre un service de bonne qualité. Nous pourrions avoir plus d'argent, nous pourrions avoir plus de ressources, mais ce n'est pas seulement une question de ressources. Nous devons travailler beaucoup mieux, de façon beaucoup plus judicieuse, et nous le faisons en collaboration avec nos collègues de la police et avec les gens de la communauté. Donc, ce n'est pas simplement une question de ressources, même si nous pourrions en avoir plus.

Je crois que nous sommes très bien financés pour faire le travail que nous avons à faire. Nous ne pouvons pas tout faire. C'est pourquoi nous avons trouvé des moyens efficaces pour nous servir des renseignements que nous recueillons, établir les priorités et évaluer les menaces les plus sérieuses qui pèsent sur le pays, et concentrer ensuite nos ressources sur ces menaces.

Le président: Merci beaucoup.

Je laisse maintenant la parole à M. Myers, pour trois minutes.

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Merci, monsieur le président.

Chef Ewatski, vous avez dit quelque chose—et le chef Fantino et le commissaire l'ont dit aussi—qui m'a rappelé l'omniprésence du crime organisé. Il est implanté à tous les niveaux, qu'il s'agisse de la violence dont nous avons parlé, de la pilule du viol ou de l'Ecstasy que consomment nos jeunes, ou encore des primes d'assurance que nous devons verser par suite de l'augmentation des activités du crime organisé.

Il me semble donc que le solliciteur général a tout à fait raison de dire, comme il l'a dit à maintes reprises, que le crime organisé est notre ennemi numéro un, notre grande priorité en matière de répression de la criminalité. Ça me dérange, bien franchement, quand j'entends des gens dire qu'il faut vous rogner les ailes, vous entraver et vous museler, qu'il faut limiter vos moyens d'action en tant que policiers travaillant sur la ligne de front et vous empêcher de faire efficacement le travail que vous devez faire pour aider le gouvernement à respecter son mandat, c'est-à-dire à lutter contre le crime organisé.

• 1030

Je demande donc instamment à mes collègues d'ici et d'ailleurs de faire en sorte que les outils dont vous avez besoin soient en place pour vous; c'est ma position et je n'en changerai pas.

Je voudrais poser une question à M. Koziebrocki. Est-ce que c'est dans l'affaire Stinchcombe, en 1991, qu'il a été question de la divulgation des preuves recueillies par la Couronne à l'accusé? Je pense que cela pose maintenant un problème. Le sous-comité chargé d'étudier le crime organisé, dont M. DeVillers a parlé il y a une minute, a examiné cette question. En fait, il a recommandé que la Loi sur la preuve au Canada soit modifiée de manière à ce que cet élément y figure sous une forme codifiée et simplifiée qui pourrait être utile. Or, il n'en est pas question dans le projet de loi C-24.

Je voudrais vous demander si, à votre avis, les règles actuelles sont équitables ou si elles devraient être modifiées; et, si oui, pourquoi? J'aimerais aussi savoir si cela devrait être inscrit dans la loi, d'après vous. Et je serais curieux de savoir également ce que vous pensez de la possibilité que l'accusé soit obligé, réciproquement, de divulguer lui aussi la preuve qu'il entend invoquer.

M. Irwin Koziebrocki: Ce sera dans le prochain projet de loi, je pense.

M. Lynn Myers: Pardon?

M. Irwin Koziebrocki: Ce sera dans le prochain projet de loi.

M. Lynn Myers: Eh bien, vous pourriez y aborder toutes ces questions-là.

M. Irwin Koziebrocki: À mon avis, l'arrêt Stinchcombe a été pour tout le monde—les autorités policières, les procureurs et certainement les avocats de la défense—un jalon important dans l'administration de la justice pénale parce qu'il plaçait tout le monde sur le même pied. De façon générale, avec quelques réserves que nous comprenons tous, tout le monde avait accès à la même information. Donc, quand l'affaire arrivait devant le tribunal, on savait à quoi s'attendre. Il n'y avait pas de surprises.

Je me rappelle l'époque où j'étais procureur. Nous avions très peu d'information, et les avocats de la défense en avaient encore moins. Nous prenions généralement connaissance de la cause au moment de l'enquête préliminaire ou du procès. Ce n'était pas un scénario particulièrement satisfaisant. C'est nettement plus efficace quand tout le monde arrive devant le tribunal pénal en sachant de quoi il est question, parce que cela permet de poursuivre efficacement et de trancher l'affaire efficacement, quand il faut trancher. L'accusé sait qu'il doit renoncer—c'est-à-dire plaider coupable—parce que les preuves sont là.

Est-ce que cela devrait être codifié? Je ne vois pas pourquoi l'occasion ne serait pas bien choisie pour préciser dans le Code criminel ou dans la Loi sur la preuve au Canada que la divulgation est obligatoire. La Cour suprême du Canada nous dit que c'est obligatoire de toute façon, et je pense qu'en général, l'information est là. Ce serait bien d'avoir un mécanisme en place qui prévoirait ce qu'il faut faire devant le tribunal quand ce n'est pas le cas, et qui obligerait à expliquer pourquoi. Je pense que tout le monde en profiterait.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Je voudrais poser une question sur ce dont M. Myers a parlé, au sujet de règles rigoureuses et précises sur la divulgation de l'information—les règles de la preuve. J'ai été associé par la bande à l'affaire Westray, en Nouvelle-Écosse, qui était peut-être...

M. Irwin Koziebrocki: De quel côté?

M. Peter MacKay: Du côté de la poursuite.

C'était peut-être le meilleur exemple de procès par avalanche que nous ayons jamais vu au Canada. Il y avait littéralement assez de papier pour remplir une pièce comme celle-ci, et les avocats—ceux de la Couronne comme ceux de la défense—en étaient rendus à argumenter pour savoir s'il y avait eu des copies de copies déposées en preuve. Donc, j'aimerais que MM. Fantino, Zaccardelli et Ewatski, ainsi que l'avocat de la défense, nous disent ce qu'ils pensent de la divulgation par voie électronique.

C'est une question qui est tout à fait d'actualité dans certains secteurs où il y a des tonnes de documents et d'éléments de preuve. Il me semble qu'il pourrait être très utile de pouvoir transmettre des documents sur disque. Même pour ce qui est de la preuve que la police remet à la Couronne, il serait possible de gagner beaucoup de temps s'il n'était pas nécessaire de mettre tous les documents sur papier. Il me semble que ce pourrait être bénéfique pour tout le monde si nous pouvions trouver un moyen de profiter davantage de la technologie pour la transmission des documents.

• 1035

M. Irwin Koziebrocki: Ce sera probablement dans le projet de loi omnibus qui s'en vient. À la Criminal Lawyers' Association, nous avons toujours appuyé sans réserve les éléments et les changements qui concernent l'électronique, dans ce projet de loi, parce que nous comprenons tous que les tribunaux de Toronto—comme ceux d'Ottawa, j'imagine—sont maintenant informatisés et que les gens y sont familiarisés avec les ordinateurs. En fait, nous avons eu à mon cabinet une cause pour laquelle 175 000 documents ont été enregistrés sur dix disques d'ordinateur. Cela correspondait à peu près à 150 caisses de matériel. Il y a des cas où c'est essentiel, à cause de la nature même de l'affaire. Nous sommes prêts à appuyer sans réserve une proposition de ce genre.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

J'ai l'impression d'avoir été ballotté ces derniers jours entre les associations policières et les associations d'avocats. C'est dans l'ordre des choses. Nous entendons les deux côtés de la médaille. Est-ce que j'hésite à accorder à la police des pouvoirs supplémentaires pour lui permettre de violer la loi? Bien sûr que oui. Mais j'ai vu ce qui s'est passé chez moi, dans une ville d'assez bonne taille très proche de celle du chef Fantino. Depuis 20 ans, nous avons de la drogue, de la prostitution, des salons de massage, des clubs d'effeuilleuses—et tout cela est dirigé par le crime organisé.

Je veux mettre fin à cette progression. Je vais donc devoir approuver le projet de loi pour accorder ces pouvoirs à la police. Je suis certain que mes électeurs sont d'accord avec moi pour le moment, mais si la police abuse de ses pouvoirs ou si elle fait une gaffe, ma tête va se retrouver sur le billot à côté de celle du chef Fantino.

Je ne me sens pas mal à l'aise. Ce que je pense, c'est que les organisations criminelles en sont rendues à un point où elles nous ridiculisent complètement, et où elles sont en train de détruire notre société. Ce que je pense, c'est que nous devons nous attaquer à elles.

Merci.

Le président: Monsieur Lomer.

M. Michael Lomer: Si ces dispositions sur l'immunité sont censées favoriser cette lutte contre le crime organisé, comment se fait-il qu'elles soient applicables en dehors du crime organisé? Si vous voulez une réponse limitée et bien ciblée, il faut permettre à la police de faire certaines choses dans le cas d'infractions commises par le crime organisé. Mais ce projet de loi, d'après ce que je peux voir, s'appliquera à tout et à tout le monde, y compris aux individus, qu'ils fassent ou non partie d'une organisation criminelle.

M. Lynn Myers: C'est une question théorique.

Le président: Voyons s'il y a une réponse.

Monsieur Fantino.

Chef Julian Fantino: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, nous avons dit et répété que ce ne sont pas des pouvoirs illimités que nous cherchons, ou que nous espérons. Il doit y avoir des justifications, et je pense que l'esprit et l'intention de la loi doivent être interprétés dans leur contexte.

Je ne nous vois vraiment pas sortir le fourgon cellulaire pour aller arrêter trois petites vieilles dames qui se demandent si elles devraient ou non tricher au bingo. Soyons réalistes! Il s'agit ici de questions de sécurité publique d'une importance critique, au plus haut niveau de la démocratie dans notre pays, et c'est ça qui nous intéresse. Les déclarations alarmistes sur la possibilité que la police abuse de ses pouvoirs et se transforme en armée d'occupation, c'est de la foutaise. C'est tout à fait absurde dans un pays comme le nôtre.

Nous nous targuons d'être diligents—mais pas parfaits—et de rendre des comptes détaillés à la population de notre pays, de qui nous tenons d'ailleurs notre légitimité. Nous ne l'oublions jamais, et nous ne profitons jamais de la situation.

Je pense que c'est Winston Churchill qui a déjà demandé qu'on lui donne les outils nécessaires pour faire son travail. S'il vous plaît, donnez-les-nous, sans quoi il ne servira à rien de compter les points parce que nous allons perdre de toute façon.

Le président: Merci.

Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Tout à l'heure, chef Fantino, vous avez évoqué la participation des organisations criminelles au terrorisme international. J'aimerais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet-là pour que nous puissions nous faire une idée de l'ampleur de cette participation. Le commissaire aura peut-être quelque chose à dire sur la question lui aussi.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Oui, je peux répondre.

Je pense que le directeur du SCRS y a fait allusion hier. Il est prouvé que certaines personnes liées aux milieux terroristes participent à certains types d'activités criminelles pour subvenir à leurs besoins, par exemple. Il est clair que cela se produit. C'est un phénomène international, que nous constatons à l'échelle mondiale, parce que les terroristes doivent toujours se financer et que la participation aux activités criminelles est un moyen d'y arriver.

• 1040

Dans certains cas, sur la scène internationale, il se crée des alliances entre deux groupes qui s'aident mutuellement; c'est donc quelque chose qui existe à l'échelle internationale. Nous devons en être conscients parce que nous ne sommes plus à l'abri de ce genre de chose. Si cela existe quelque part ailleurs, nous devons nous dire que cela peut se produire chez nous aussi. Voilà ce qui se passe.

Le président: Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veut répondre?

M. Chuck Cadman: Ce que je voulais savoir, c'est quelle est exactement l'ampleur de la participation du crime organisé à ce genre de chose au Canada, parce que le chef Fantino en a parlé tout à l'heure.

Chef Julian Fantino: Comme l'a dit le commissaire, il faut regarder où le Canada se situe dans le monde, où est sa place dans la hiérarchie, si vous voulez. Il y a une foule de choses qui se passent ici et qui sont liées à des activités internationales, par exemple celles des passeurs qui font entrer des gens clandestinement au Canada.

Il y a certainement des indices qui permettent de croire que les activités propres au crime organisé—ou plutôt les profits tirés de certaines de ces activités—s'en vont ailleurs pour financer d'autres activités à l'échelle internationale.

On entend beaucoup parler du narco-terrorisme, c'est-à-dire du trafic de stupéfiants visant à financer des choses qui se passent ailleurs dans le monde. Le trafic des stupéfiants est une activité internationale. Ce sont des criminels d'envergure internationale qui font entrer ces drogues au Canada. Et l'argent qu'ils font ici va certainement à certaines activités de ce genre. Il serait naïf de croire que nous vivons dans une tour d'ivoire, isolés de toutes ces choses.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Allard.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.): Je suis une nouvelle députée libérale et je représente la circonscription de Laval-Est, au Québec. Je m'adresse aux avocats de la défense.

Monsieur Koziebrocki, je vous écoutais tout à l'heure et je me suis dit qu'il était peut-être facile pour vous de jouer sur les sentiments et de dire que cela va permettre à nos policiers de rester dans une situation où ils peuvent assister à la commission d'un crime ou même aider à perpétrer un meurtre.

Je suis moi-même avocate et j'ai eu l'occasion de prendre connaissance de la définition d'une preuve circonstancielle. N'est-ce pas là justement la raison pour laquelle le crime organisé a tant prospéré au Canada? Les criminalistes ont-ils des problèmes de moralité lorsqu'ils renvoient dans la société des voleurs ou des bandits pour telle ou telle raison?

On a eu chez nous, au Québec, un procès très retentissant, soit le procès de Maurice «Mom» Boucher, qui impliquait un délateur. Le juge Jen-Guy Boilard, je crois, a donné une directive au jury qui a conduit à l'acquittement de «Mom» Boucher, et la Cour d'appel a clairement dit—il s'agit d'une preuve circonstancielle dans ce sens-là—que la directive du juge au jury était injustifiable et a ordonné un nouveau procès. La Cour suprême a refusé d'intervenir.

On est actuellement dans une situation de preuve circonstancielle où il est très difficile d'arriver à des condamnations claires pour les criminels. Le fait de faire davantage confiance à nos policiers n'est-il pas une approche qui est nécessaire pour enrayer le crime organisé? On pourrait peut-être compter sur votre association pour que vous fassiez pression sur vos avocats afin qu'ils soient moins performants en cour. Ce serait peut-être la solution. On aurait peut-être moins besoin d'encourager nos policiers.

À l'heure actuelle, on sait que les avocats de la défense sont prompts à tout invoquer—et c'est peut-être normal parce qu'ils défendent leurs clients- mais je pense qu'il faut un juste retour des choses.

[Traduction]

M. Irwin Koziebrocki: Permettez-moi de vous dire que je fais parfaitement confiance à la police. Les policiers qui sont ici sont les meilleurs qu'on puisse trouver dans tout le pays. J'en ai connu deux au cours de ma carrière, et j'ai le plus grand respect pour leurs compétences et pour le fait qu'ils prennent les décisions appropriées dans les cas appropriés. Ce n'est pas de cela que je veux parler.

• 1045

Quand je m'occupe de gens qui sont accusés dans des affaires criminelles, à titre d'avocat de la défense, je ne suis pas là pour performer, mais pour faire mon travail. Et mon travail fait partie du système démocratique de défense de la cause, dans les procès au criminel où j'ai une responsabilité particulière; et les avocats de la défense, dans l'affaire dont vous avez parlé, avaient la responsabilité de présenter à la cour les différents arguments dont dispose l'accusé.

Si un juge ou un jury décide, à la lumière des lois en vigueur dans notre pays, qu'un élément de preuve n'est pas admissible, que l'accusation aurait dû être formulée autrement ou que la preuve ne résiste pas à l'examen que nous jugeons approprié dans un système démocratique, tant pis. Je ne me mêle pas des enquêtes de la police. S'il n'y a pas de preuve, il n'y a pas de preuve. Je ne vais pas me retirer du dossier et dire qu'il faut une preuve parce que la police n'a pas réussi à la trouver, ou que la poursuite n'a pas réussi à l'établir. J'ai une responsabilité, et n'allez pas vous attendre à ce que des avocats de la défense fassent quoi que ce soit d'autre dans ces circonstances.

Je ne nie pas que la police doive avoir les outils nécessaires pour faire le travail qui relève de son mandat. J'ai expliqué au comité comment ces outils devraient être utilisés et quelles restrictions il devrait y avoir au sujet de leur utilisation parce qu'il y a d'autres problèmes. Nous ne sommes pas ici pour appuyer le crime organisé, loin de là. C'est la dernière chose que je vous dirais. En fait, plus nous mettons de gens en accusation, mieux c'est, à mon humble avis.

Le président: Chers collègues, nous avons un petit problème. Il y a encore deux députés qui veulent poser des questions et il nous reste moins de dix minutes; de plus, il me faudrait deux minutes pour régler une question administrative avant que nous quittions la salle.

Monsieur MacKay, et ensuite monsieur M. McKay.

M. Peter MacKay: Je voudrais donner à nos témoins de la police l'occasion de nous donner leur avis sur la divulgation électronique. J'aimerais également leur demander ce qu'ils pensent de la possibilité d'inclure dans une future loi une désignation particulière, qui pourrait se faire selon un processus semblable à celui qui s'applique aux criminels dangereux, pour les dirigeants d'organisations criminelles. Autrement dit, les infractions de ce genre feraient l'objet d'un traitement particulier dans le Code criminel et pourraient entraîner une incarcération prolongée s'il était possible d'en faire la preuve.

Comm. Guiliano Zaccardelli: Très rapidement, j'appuie sans réserve la divulgation électronique. Pour le reste, même si je tiens beaucoup à ce que nous mettions les bandits en prison, je pense que nous devons être très prudents si nous décidons d'établir des distinctions de ce genre. Je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire, mais nous devons être très prudents et réfléchir longuement avant d'adopter une mesure de ce genre.

Chef Julian Fantino: Sur la question de la divulgation électronique, il est certain que le service de police de Toronto va adopter cette formule, qui permettra essentiellement d'entrer les données une seule fois, dans la voiture de patrouille, et de les transmettre au bureau du procureur de la Couronne. Pour nous, c'est une nécessité, vers laquelle nous nous dirigeons tous de toute façon. Je pense qu'à peu près tout le monde s'entend sur ce point.

Pour ce qui est de la désignation spéciale, il faudrait à mon avis prouver des circonstances aggravantes, du moins en ce qui concerne l'établissement de la peine, à savoir le statut, la position ou les activités de certaines personnes. Effectivement, les dirigeants, les organisateurs des plus hauts niveaux sont évidemment les principaux responsables, et leur peine devrait être établie en conséquence.

Le président: Merci, monsieur Fantino.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je m'excuse de mon retard, mais ce n'est pas vraiment sincère. Je présidais ce matin le petit-déjeuner de prière national. Nous devrions peut-être commencer les audiences du comité de la justice au petit-déjeuner de prière national, étant donné les dilemmes que nous avons à résoudre ici.

Sur la question de l'immunité limitée, il y a essentiellement quatre options d'après moi. Il serait possible de n'accorder aucune immunité aux policiers. Ou encore d'adopter un genre de système d'improvisation fondé sur la common law, qui consisterait à vérifier après coup s'il y avait ou non immunité. Il serait possible également d'adopter la formule proposée dans le projet de loi, qui comporte un élément personnel et qui permet de monter jusqu'au solliciteur général, ou encore de prévoir une immunité accordée par voie judiciaire.

L'avocat de la défense est-il d'avis que la formule de la responsabilité personnelle, dans laquelle le solliciteur général interviendrait, présente certaines lacunes ou qu'elle est tout simplement inapplicable parce qu'elle devrait être supervisée par les tribunaux?

• 1050

Deuxièmement, en quoi l'utilisation du mot «personnel», quand il est question du solliciteur général, ajoute-t-il quelque chose à cette formule?

Ma troisième question porte sur le paragraphe 467.13.(1) proposé, selon lequel le procureur n'aurait pas besoin de prouver que l'accusé connaissait l'identité de toutes ces personnes. En quoi est-ce différent d'une simple accusation de complot en vertu du Code criminel?

M. Michael Lomer: Pour commencer, quand le livre blanc a été publié, notre position de départ était que les législateurs devaient en fait assumer cette responsabilité, ce qui est en fait la cinquième option. Ils pourraient le faire en indiquant dans la loi sur la contrefaçon, par exemple, qu'il n'est pas interdit aux policiers de se livrer à la contrebande dans le but de faciliter des arrestations, ou encore en procédant par voie de réglementation.

Au fil de la discussion, la solution qui a été proposée, c'est qu'il y ait au moins une certaine responsabilité en dehors de la police, que ce soit par autorisation judiciaire ou sous l'autorité du chef de la police, le solliciteur général. La solution faisant appel au solliciteur général ou aux procureurs généraux a été jugée préférable à la possibilité de laisser la police s'autoriser elle-même à commettre des actes illégaux. C'est donc la position qui a finalement été retenue dans le projet de loi.

Je pense que cela répond à votre première question. Nous avons toujours dit que la façon la plus simple et la plus facile de modifier la loi était de permettre que la police soit autorisée à commettre des actes considérés normalement comme des actes criminels, généralement dans les cas de contrebande.

Le président: Merci beaucoup. Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veut répondre?

M. Irwin Koziebrocki: Ce qui manque, comme nous l'avons dit tout à l'heure, c'est un lien entre le solliciteur général et le projet de loi lui-même, en ce qui concerne les autorisations. Le solliciteur général peut autoriser les autorités policières, qui peuvent à leur tour autoriser leurs subalternes à faire certaines choses. Mais il n'y a pas de lien dans l'autre sens, jusqu'au solliciteur général ou aux procureurs généraux des provinces.

Donc, dans les faits, c'est une abdication d'une responsabilité qui incombe à mon avis à un élu sur une question aussi sérieuse que celle-ci.

Le président: Merci. Nous avons terminé.

Je demanderais aux membres du comité de rester quelques instants.

Je remercie les témoins de leurs interventions éclairées. C'est toujours un plaisir.

Quant à vous, chers collègues, je vous invite à jeter un coup d'oeil sur trois documents qui vont vous être distribués. Il y a une liste de gens qui ont communiqué avec les greffiers et qui demandent à venir témoigner au sujet du projet de loi omnibus.

Vous allez recevoir la liste des témoins proposés, préparée par le personnel du comité en réponse à ces demandes compte tenu du fait que certaines personnes sont susceptibles de présenter les mêmes arguments. Si vous avez des commentaires à faire au sujet de cette liste de témoins, je vous prie de vous adresser aux greffiers.

Enfin, il y aussi un calendrier qui va vous être distribué. Je veux que ce soit très clair. Nous avons l'intention, après avoir entendu d'autres témoins mardi matin, de procéder à l'examen article par article mardi après-midi, après quoi nous passerons au projet de loi omnibus, le C-15.

J'attire également votre attention sur le fait que M. Toews a déjà fait une intervention qui nous a amenés à modifier la liste des témoins du deuxième groupe, au sujet de la cruauté contre les animaux. Nous entendrons aussi des représentants de la Canadian Cattlemen's Association, à la demande de M. Toews.

• 1055

Si vous avez des observations à faire, veuillez les faire aux greffiers le plus tôt possible.

Merci beaucoup. S'il n'y a pas de commentaires, la séance est levée.

Haut de la page